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Requins, loups, ours : sont-ils vraiment des mangeurs dhommes ?
Alors que les arrts prfectoraux se multiplient en France pour "prlever" (c'est--dire abattre) des
loups, que les bouquetins du massif du Bargy sont en train d'tre massacrs et que les ours sont menacs
dans les Pyrnes, Yves Paccalet, philosophe et naturaliste, qui a particip aux expditions du commandant
Cousteau pendant vingt ans bord de la Calypso, publie Eloge des mangeurs d'hommes. Loups, ours,
requins... sauvons-les ! (ditions Arthaud, paru le 1er octobre). Un essai teint dhumour noir, qui milite pour
la prservation de ces cratures "magnifiques" mais aussi des mythes et lgendes quelles ont inspirs.
Comment expliquer que nous soyons la fois fascins et effrays par les loups, ours et autres requins ?
Yves Paccalet : Nous avons dvelopp une crainte gntique mais aussi culturelle envers ces animaux.
Gntique car nous avons hrit des Homo sapiens et des hommes de Nandertal l'ide que les animaux
gros, rapides et aux grandes dents mettent en danger notre intgrit physique. Culturelle car des films
comme Les dents de la mer de Steven Spielberg (1975) ou des livres comme Les Mangeurs d'hommes de
Tsavo de John Henry Patterson (1907) ont intensifi cette crainte inne et ancr l'ide que les animaux
sauvages allaient nous attaquer si on ne s'en dbarrassait pas de manire prventive.
Dans le mme temps, nombre d'entre nous sont merveills face la beaut extraordinaire et la
perfection de ces animaux : la vitesse et la fluidit des requins, la grce, la lgret et le regard magnifique
des loups ou encore les performances des ours, incomparables pcheurs de saumons qui se meuvent une
vitesse insouponne. Nous avons cr le chien, un loup apprivois qui se couche nos pieds. Enfants, nous
portons une affection dbordante aux nounours. Bref, nous prouvons un mlange de crainte et d'amour
pour les espces sauvages.
Les loups, ours ou requins sont-ils des "mangeurs d'hommes" ?
Ces animaux tuent peu l'homme. Les requins tuent chaque anne une dizaine de personnes, les loups
et les ours quasiment aucun, les lions une centaine, les lphants environ deux cents, les crocodiles autour
de deux mille. Bien plus meurtriers, les moustiques tuent plus d'un million de personnes chaque anne, en
transmettant le paludisme (1,2 million de morts), la dengue, la fivre jaune ou le chikungunya. Diffrentes
espces d'escargots, vecteurs du ver parasite de la schistosomiase, tuent galement 280 000 personnes par
an. La mouche ts-ts, en transmettant la maladie du sommeil, cause 10 000 morts par an.
Mais l'animal le plus dangereux pour l'homme est en ralit l'homme lui mme. Si on regarde les
statistiques depuis la premire guerre mondiale, entre 500 000 et 600 000 personnes sont mortes en
moyenne par an du fait de guerres et 200 000 de crimes de sang. En outre, 7 millions dcdent chaque anne
de la pollution atmosphrique, lie aux activits humaines, selon les chiffres de l'Organisation mondiale de la
sant, 6 millions en raison de la cigarette et 1,3 million des accidents de la route. On a peur des animaux,
mais ils ne sont absolument pas dangereux compar aux dangers que nous crons nous-mmes.
Surtout, ce sont les hommes qui sont une menace pour les animaux : nous tuons 100 millions de
requins par an, des centaines de milliers d'lphants (100 000 en trois ans), de tigres, de lions, de rhinocros,
etc.
Pourtant, les requins et les loups attaquent parfois l'homme. Pourquoi ?
Une petite quarantaine d'espces de slaciens, sur environ quatre cents, sont connues pour s'tre dj
attaques aux humains et une douzaine en ont tu. Dans la grande majorit des cas, l'animal ne mord pas
pour dvorer l'homme : nous ne figurons pas parmi ses proies ordinaires. Les requins attaquent
principalement pour dfendre leur territoire, quand ils l'estiment viol par un nageur ou surfeur. Toutefois,
avant de donner le coup de dents fatal, ils avertissent l'intrus, en formant des cercles qui se resserrent,
menaants. Mais en surface, les nageurs ne s'aperoivent de rien, contrairement aux plongeurs sous l'eau.
Enervs, ils finissent alors par attaquer. C'est d'autant plus le cas qu'avec la pche industrielle qui vide
la mer de ses ressources, les requins se retrouvent chasser et se rapprocher des ctes.
De mme, les ours noirs ne s'attaquent pas l'homme lorsqu'ils ont faim (ils ne dvorent jamais leurs
victimes) mais pour des questions de territoire et de drangement. Un certain nombre d'entre eux sont
galement devenus un peu trop familiers avec notre espce, et s'approchent pour rcuprer dans les
poubelles une partie de la nourriture que nous jetons.
Dans l'histoire, les loups ont davantage mang des cadavres que tu des hommes, particulirement
pendant les guerres, comme celle de Cent Ans ou les conflits napoloniens. C'est ce moment qu'a t
forge la rputation du "loup mangeur d'hommes". Dans ses ouvrages, l'historien Jean-Marc Moriceau
dnombre en France 1 100 agressions mortelles en quatre sicles, entre la Renaissance et la fin de la
premire guerre mondiale. Cela donne une moyenne de trois dcs par an. Et c'tait une autre poque !
Aujourd'hui, les attaques d'hommes sont extrmement rares dans le monde - et inexistantes dans
l'Hexagone depuis le retour de Canis lupus en 1992.
Dans tous les cas, qualifier ces animaux de cruels ou de sadiques n'a aucun sens. Les tologues n'ont
aucun exemple de tels comportements, qui sont seulement des projections humaines. Aucun animal ne
torture pour le plaisir. Par contre, il chasse pour se nourrir et dfendre son territoire.
La coexistence est-elle aujourd'hui possible entre les humains et les animaux sauvages ?
Il faut apprendre vivre avec. Concernant les loups, l'Etat doit davantage indemniser les leveurs de
brebis et financer le recrutement de contrats aids, par exemple, pour davantage protger les troupeaux. Il
s'agit aussi de mieux rguler le prix de la viande, car c'est la concurrence des immenses exploitations de
Nouvelle-Zlande et d'Argentine, et non pas les loups, qui explique les difficults des leveurs franais.
Pour les requins, diffrents modes de protection des baigneurs sont utiliss ou l'tude, tels que des
filets protecteurs, des barrires lectriques, des rpulsifs naturels (par exemple des toxines fabriques par
les holothuries, des concombres de mer), ou des cottes de mailles ou gilets de Kevlar, inspirs de leurs
homonymes pare-balles.
Mais quand on duque correctement les gens, quand on leur explique comment se comporter face aux
animaux sauvages, il n'y a pas de problme. En Polynsie, dans certaines les, les enfants jouent avec des
squales. Cela prouve que l'on peut tablir des rapports pacifiques. Aprs, tout le monde ne peut pas le faire.
Mais il y a des rgles de conduite simples pour tous : vrifier les panneaux ou les drapeaux d'alerte, viter de
se baigner au crpuscule ou de nuit, se laver les mains avant de plonger si on vient de manger de la viande
ou des fruits de mer. Tout cela rduit les risques. Mais le risque zro n'existe pas.
Pourquoi protger ces animaux et viter leur disparition ?
Tout d'abord, les grands prdateurs sont indispensables l'quilibre des milieux sauvages. Sans les
loups par exemple, les herbivores prolifrent et dsquilibrent les milieux en mangeant les petits arbres, ce
qui empche la fort de se rgnrer. Au parc national de Yellowstone, aux Etats-Unis, les rives des cours
d'eau s'effondraient car les forts riveraines (les ripisylves) disparaissaient. Les autorits ont alors dcid, en
1995 de rintroduire des loups, pour manger les wapitis et lans qui broutaient les arbustes. Depuis, le
milieu s'est rtabli. En Amrique latine, les pumas quilibrent de manire similaire les effectifs de ruminants
(guanacos, daims, etc.).
Ensuite, ces animaux font partie de notre culture : tous les rcits des contes pour enfants sont emplis
de ces grands animaux. S'ils venaient totalement disparatre, on se couperait d'une partie essentielle de
notre culture, qui a inspir nos anctres et influencera encore nos enfants. Comme en France, le petit
chaperon rouge et les Fables de la Fontaine ; chez les Inuits, la lgende de Sedna avec lours polaire, le
narval, le requin du Groenland et le phoque ; en Inde, le Rmyana avec des lphants, tigres, ours ou cobras
; ou en Afrique, les histoires racontes par les griots, avec des lphants, crocodiles, girafes et lions.
Enfin, les animaux sauvages peuplaient la Terre bien avant nous. Les requins sillonnent les mers depuis
plus de 400 millions d'annes, et les loups arpentent nos forts depuis 1,8 million d'annes.
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