Cinéma orchestré. Un film pour plusieurs fois, le cinéma magnétoscopé Pour satisfaire notre...

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Cinéma orchestré

Un film pour plusieurs fois, le cinéma magnétoscopé

Pour satisfaire notre désir d’arrêter l’instant, de le suspendre puis de le laisser filer, divers appareils techniques sont à la disposition du spectateur. Je distinguerai deux catégories d’œuvres filmiques : d’une part, les images en mouvement de type cinématographique conçues et réalisées par des auteurs pour un dispositif de type salle de cinéma et d’autre part, les œuvres qui s’adaptent de manière à être vues diversement et jouées dans des conditions variées.

Dominique Païni compare le passage du rouleau de pellicule au film stocké sur un disque au passage du volumen (rouleau de papier) au codex (livre divisé en feuillets), qui a permis de feuilleter aisément des cahiers de papyrus. Les codices étaient aussi une manière de s’approcher de la forme d’un livre : des feuilles pliées étaient présentées par deux ou trois feuillets, formant des cahiers de petit format, réunis par un fil.

Histoire à pression 2 est la consultation de l’extrait d’un autre film, Soupçons d’Alfred Hitchcock. Cary Grant a-t-il tenté de tuer Joan Fontaine lors de la scène finale ? Pour vérifier les gestes de ce tueur hypothétique, nous avons repris le programme permettant de varier la vitesse de lecture du film. Lors de ces revisites successives nous n’étions pas dupes de la double fin désirée par Hitchcock, mais plus simplement en train de repenser la jouabilité en terme de variabilité. L’interface s’active comme un potentiomètre, pour varier la vitesse de lecture. Jouer signifie, dans ce cadre-là, varier.

P.A.U.S.E

Appuyer sur le bouton « play » d’un magnétoscope implique de mettre en lumière l’image, de l’éclairer d’un autre jour. Cependant il est plus difficile d’interrompre le flux des images mouvantes comme nous le montre l’un des protagonistes du film eXistenZ. Celui-ci ne sait plus comment sortir de l’œuvre et demande une pause pour suspendre le jeu : « PAUSE : je veux marquer une pause, je veux une PAUSE !!!! Dans tous les jeux on a le droit de marquer une pause ! eXistenZ, fais une pause ! (Hurlement) »

Histoire à pression 1 d’après Chromosome 3 de David Cronenberg.

Le spectateur peut commander un ensemble de situations à partir d’une simple cabine de pilotage.

L’outil total

Console de jeu Wii de la firme Nintendo.

L’outil perd sa spécificité au profit de la globalité. On attache plus d’importance à passer d’une fonction à une autre comme par exemple faire un film, écrire un texte et l’envoyer par Internet. Il devient un

outil reliant plusieurs pratiques qui étaient auparavant disjointes.

Ces fantasmes de contrôle sont relayés par les récits de science-fiction de l’univers des jeux vidéo, qui tendent à faire croire au spectateur qu’il pilote le récit, l’histoire par ses moindres gestes, en appuyant sur des boutons, bougeant un joystick ou pressant sur la surface adéquate.

L’utilisateur pilote un nombre de commandes considérables par des geste minimes. Il orchestre un ensemble de tâches sans avoir à fournir d’effort.

Il utilise des gestes minimes à la manière dont un astronaute pilote une fusée et vérifie sa trajectoire.

Le simple geste d’appuyer sur un bouton peut avoir un impact démesuré. Jean Baudrillard écrit ainsi que « l’homologie du nucléaire et de la télévision se lit directement sur les images : rien ne ressemble plus au cœur de contrôle et de télécommande de la centrale que les studios de la TV, et les consoles nucléaires se mêlent dans le même imaginaire à celles des studios d’enregistrement et de diffusion. Or tout se passe entre ces deux pôles. »

Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Paris, Galilée, 1981, p.82.

Selon Paul Virilio, les comportements de l’homme, qui n’a cessé de restreindre l’activité musculaire, seraient transformés : « Au nom de l’économie de l’effort physique – et donc du développement généralisé d’un confort étendu à l’ensemble de la gestualité coutumière – nous assisterions maintenant à une sorte de transmutation énergétique des comportements humains. » En analysant les diverses situations qui ont conduit l’homme à devenir un être inoccupé, Paul Virilio remet en question la logique de la construction des machines qui nécessite le moindre effort.

Paul VirilioVirilio Paul, LArt du moteur, Paris, Galilée, 1993, p.158.

Kris Kelvin dans la station de Solaris.

L’homme ayant accès à ses puissantes et nouvelles technologies gagne du temps et de l’espace. Il effectue des opérations qui auparavant exigeaient un apprentissage délicat et difficile. Il incarne ainsi à lui tout seul plusieurs métiers : typographe, graphiste, musicien, publiciste, mathématicien, comptable, monteur, mixeur, etc. « L’afflux des technologies auquel on assiste actuellement nous confère une puissance que nous aurait enviée n’importe quel empereur romain. […] Au Moyen Age, des légions de cavaliers auraient dû galoper des mois durant pour pouvoir livrer une infime partie des messages que l’on transmet presque instantanément par téléphone ou par télécopieur à l’autre bout du monde. Que dire encore, sinon qu’à lui seul, un disque compact peut contenir tout le savoir de la Renaissance ? » Christian Vanderboght et Eric Ouzounian, NetWar…, op. cit., p.257.

L’homme-orchestre est le chef de sa machine. Il ordonne, programme et dirige son objet. L’ordinateur est alors son assistant, une espèce de sous-chef, un exécutant multi-tâche. Il programme une liste de tâches à effectuer, et l’ordinateur lui sert de retour d’ordres. Il se fabrique des machines autonomes, qui fonctionnent quelque temps sans lui. Elles deviennent des simulateurs de son activité, ou même de son identité, car dans un jeu comme Les Sims, il jouerait à simuler ses activités.

Dans La Région centrale, Michael Snow a longtemps cherché puis enfin trouvé un espace de tournage désertique. Comme si les terriens pilotaient un satellite équipé d’une caméra depuis la lune pour explorer la Terre.

Michael Snow va concevoir et faire réaliser une machine par Pierre Abbeloos, un robot téléguidé cherchant à accomplir ce qu’aucun opérateur ne pourrait faire de manière aussi fluide et machinique. Cette caméra est actionnée par des bras pivotants et pilotée à distance d’après une partition de mouvements.

De l’auteur, chef d’orchestre de ses mondes-mémoires

Douglas Edric Stanley, Concrescence, http://www.abstractmachine.net/

L’utopie serait, pour le réalisateur, de vouloir contrôler autant le comportement du spectateur que le déroulement du film, de tenter de prévoir chacun de ses actes et de ses infimes mouvements. Seul, le réalisateur en connaîtrait la règle du jeu et il propose ainsi au spectateur, qui l’ignore, de la découvrir.

Judith Cahen, La Révolution sexuelle n’a pas eu lieu, 1998.

Une fois l’homme-orchestre environné de ses innombrables sources, son ubiquité s’accompagne de la nécessité de les agencer. Il lui faut pouvoir contrôler son monde. Plus elles se font nombreuses et variées, plus il doit être interfacé, équipé d’outils. Ils l’assistent dans de nombreuses tâches et trouvent leur origine dans des instruments analogiques dont nous verrons le devenir comme moyens d’orchestration, prothèses corporelles, outil total.

Chris Marker, La Jetée, 1962.

Le Theater Memory d’Agnes Hegedüs est une installation in situ créée pour le Media Museum de Karlsruhe et constituée de deux parties : « une structure […] reçoit, dans l’obscurité, le visiteur, et une projection numérique montrant les “pièces de la mémoire”. À l’intérieur de la structure en bois, une souris d’ordinateur 3-D dotée d’un capteur est installée dans une petite maquette de cette rotonde. En déplaçant la souris à l’intérieur de la maquette, le visiteur voit s’afficher sur un grand écran convexe qui recouvre les parois de la structure architecturale les diverses pièces de la mémoire. En sortant la souris de la maquette, il perçoit une vue aérienne de la rotonde, couverte par une “montre-boussole” celle-ci indique, dans les quatre points cardinaux, l’emplacement des quatre pièces de la mémoire. »

Martina RussoRusso Martina, «Agnes Hegedüs, défragmentation de la mémoire», Parachute, n° 119, X HUmain - IA, 07, 08, 09, 2005, p.120.

Le spectateur, placé au centre de ce dispositif, se déplace dans des espaces calculés suivant la cardinalité sud, nord, est, et ouest. Il visite les cabinets de curiosités évoquant la mémoire de personnes comme Umberto Bocciono, James Joyce, Daniel Libeskind, Ledoux, Vitruvius, Hans Vredemann De Vries, où l’imaginaire enfantin côtoie les pionniers de la réalité virtuelle. Le spectateur devient le pilote d’une exploration dont l’interface n’est pas sans rappeler les outils de navigation des grands explorateurs. La roue de navigation devient un objet pour se déplacer entre les images qui apparaissent aussi fantomatiques que celles découvertes par un navigateur s’approchant d’une île par un temps de brume.

Martina Russo, «Agnes Hegedüs, défragmentation de la mémoire», loc. cit.

Le Salon des ombres met en scène une aire de dialogue s’apparentant à un dispositif de tournage, comprenant quatre caméras. Les acteurs sont exactement dans la même position, lors de la prise de vue, que leur doublure projetée dans l’exposition. Dans le studio, placé au centre des caméras, Luc Courchesne compose les scènes, comme le ferait un metteur en scène de théâtre. Ensuite, dans le dispositif de projection, le visiteur prend la place du réalisateur. Le visiteur rencontre plusieurs champs simultanément : celui du récit et celui des comportements des autres protagonistes.

QuickTime™ et undécompresseur Cinepak

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