Daniel Widlöcher, psychologue

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Annales Medico-Psychologiques 170 (2012) 432–435

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Communication

Daniel Widlocher, psychologue

Daniel Widlocher, psychologist

Alain Blanchet

Laboratoire de psychopathologie et neuropsychologie, EA 2027, universite Paris 8, 2, rue de La-Liberte, 93000 Saint Denis, France

I N F O A R T I C L E

Mots cles :

Empathie

Memoire

Pensee

Keywords:

Empathy

Memory

Thought

R E S U M E

L’auteur discute le role de Daniel Widlocher dans les debats sur l’unite de la psychologie. Il souligne son

action constante pour maintenir cette unite, en depit des chapelles et des obediences. A travers des

exemples tels l’empathie ou differentes sortes de memoire, il montre l’exigence de Daniel Widlocher

pour developper une approche comprehensive et scientifique de l’experience psychanalytique.

� 2012 Publie par Elsevier Masson SAS.

A B S T R A C T

The author discusses the role of Daniel Widlocher in the debate on unity of psychology. He underlines the

permanent action of Daniel Widlocher for keeping this unity, in spite of chapels and allegiances. Through

examples as empathy or different types of memory, he illustrates the particularity of Daniel Widlocher

for developing a comprehensive and scientific approach of psychoanalytic experience.

� 2012 Published by Elsevier Masson SAS.

Cher Daniel Widlocher, depuis 1984, annee de notre rencontredans le cadre du comite national du CNRS, section psychologie etpsychophysiologie, nos echanges dans le cadre de votre seminairede recherche ainsi que les lectures de vos publications m’onttoujours conforte dans l’idee que vous posiez des questionsessentielles concernant la psychologie et ses relations avec lapsychanalyse.

Il est vrai que cette necessite n’a pas toujours ete comprisedepuis la naissance de l’une et l’autre de ces disciplines, au debutdu siecle dernier. Quelles que soient les raisons ideologiques decette mefiance, vous avez toujours souligne, parfois contre vents etmarees, l’importance de l’apport escompte par le travail encommun de deux disciplines qui envisagent le meme objet sousdes angles differents et complementaires.

Nous aborderons donc en premier lieu la notion d’unite de lapsychologie que vous developpez dans deux articles distants devingt-cinq ans (1974–1999). Et dans un second temps, nousreprendrons vos reflexions unitaires a propos de deux exemples :l’empathie et la memoire.

1. L’unite de la psychologie

En 1974, vous publiez un article dans Psychologie Francaise

intitule « L’unite de la psychologie et Daniel Lagache » ; en 1999,

Adresse e-mail : blanchet@univ-paris8.fr

0003-4487/$ – see front matter � 2012 Publie par Elsevier Masson SAS.

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.06.003

vous publiez, toujours dans Psychologie Francaise, un article intitule« La psychologie clinique et pathologique ».

Vingt-cinq annees separent ces deux contributions. Ellesabordent strictement le meme probleme : l’unite de la psychologiemise a mal par le creusement d’un fosse entre les referentiels despsychologies cliniques a vocation therapeutique et ceux de lapsychologie comme source de connaissance.

Depuis plus d’un siecle, selon Annick Ohayon, aucunerencontre, autre que particuliere, n’a veritablement eu lieu enFrance entre la psychologie scientifique fondee par Janet et lademarche psychanalytique de Freud. L’homme a-t-il deux ames ?Existe-t-il deux pensees etudiees par l’une et l’autre des disciplinesou bien s’agit-il d’un malentendu, d’un defaut d’explication, oud’une histoire de croyances, de societe et de territoire ?

Le texte de 1974 sur les relations de la psychanalyse et de lapsychologie developpe au moins trois idees essentielles :

� l’

unite de la psychologie est une valeur epistemologique. Si ellen’est pas constatee dans les faits, elle demeure un principelogique qui s’applique a toute demarche ayant un meme objet ; � la psychanalyse est un domaine de la psychologie, une discipline

pilote qui permet l’observation des interactions dynamiques ausein de la fantasmatique individuelle. Mais ces interactionsinteriorisees se sont constituees dans et par la vie sociale, ellessont aussi etudiees dans d’autres domaines de la psychologie. Iln’y a donc pas de solution de continuite entre ces deuxapproches ;

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� u

ne psychopathologie psychanalytique autocentree, affranchiedes criteres de verite de la connaissance, s’isole et se fige en seprivant d’apports exterieurs psychologiques fondamentaux etregenerants.

En 1999, vous publiez, toujours dans Psychologie francaise, unarticle intitule « La psychologie clinique et pathologique ». Dans cetexte, vous ne parlez plus directement de la psychanalyse, mais dela psychologie clinique devenue exclusivement pratique detraitement individuel des malheurs des personnes et desproblemes sociaux. « En l’etat, dites-vous, reste a savoir si cettefonction demeurera devolue au statut de psychologue » ; car, c’esten tant que source de connaissances psychologiques que cettefonction demeure problematique.

Dans ce texte, il n’est plus question d’allier l’or de l’intelligenceclinique, culturelle et philosophique de la psychanalyse a l’airainde la psychologie de laboratoire ou de terrain ; bien au contraire, ils’agit de montrer que la fonction strictement therapeutique de lapsychologie clinique ancree dans le terrain du malheur individuelet des problemes sociaux risque de s’abımer dans la banalite, enignorant la valeur inestimable des connaissances psychologiquestoujours en mouvement et renouvelees par leur dialogue constantavec la philosophie analytique et les neurosciences.

Il est vrai que la situation en France concernant la psychologieclinique strictement therapeutique est en effet tres preoccupante,pour la psychologie, mais certainement aussi pour la psychanalyse.

Dans l’etat actuel, nous observons ou constatons que le paysagedes pratiques est pour le moins confus :

� d

es dizaines d’obediences, de chapelles proposant des produitsparfois peu identifiables ; � d es modeles et pratiques definis par la seule reference a leur

promoteur et initiateur (kleinien, lacanien, jungien, reichien,rogerien, eriksonnien, beckien, batesonnien, etc.) ;

� u n manque d’etayage des pratiques sur des connaissances

scientifiques averees, et donc une absence d’evolution, deprogres, et le risque associe d’une acceptation sans critique deprincipes dogmatiques ;

� d es modeles explicatifs et praxeologiques souvent incompatibles

entre eux ;

� d es transmissions de savoir-faire prives impliquant des relations

de subordination a des maıtres, voire s’effectuant par desprocessus de type initiatique.

Dans l’etat actuel, les pratiques psychotherapeutiques releventencore du champ des pratiques sociales de croyances parce qu’elless’appuient sur des corpus theoriques qui pour certains se moquentencore de toute validation externe.

Vous insistez sur l’urgence de developper des recherches surl’evaluation et l’analyse de processus therapeutiques. Seule la miseen place d’un enseignement universitaire correle a ces operationsde recherches (comme c’est le cas dans la plupart des paysd’Amerique du Nord et d’Europe) permettra d’inscrire la pratiquepsychotherapeutique dans les disciplines psychologique et psy-chiatrique.

Evidemment, ce travail de recherche, associant necessairementpraticien et chercheur, psychanalyste et psychologue, contribue-rait largement a depasser les frontieres et les limites. Seule l’actioncommune peut changer les choses. Et c’est evidemment ce quevous proposez.

Alors pour illustrer, a travers vos travaux, ce dialogue en actionentre disciplines connexes et pour montrer l’effet fructueux del’exercice, j’ai choisi deux paradigmes qui impliquent unerencontre interdisciplinaire. Le premier concerne l’empathie etrepresente un objet empirique commun a la clinique et a la

psychologie pragmatique. Le second concerne la memoire quirepresente un enjeu theorique partage par la psychanalyse et lapsychologie experimentale.

2. L’empathie et la psychologie pragmatique

Vous avez ecrit, il y a quelque temps, un article sur l’empathie etla co-pensee. L’empathie est un processus intellectuel qui consistea se mettre a la place de l’autre pour comprendre ce qu’il pense etcomprendre « de son point de vue ». Vous soulignez dans cet articlel’usage que fait Freud de ce terme. Il considerait que l’empathie,« Einfuhlung », etait une voie necessaire a notre comprehension del’autre. Houzel souligne la resistance des milieux psychanalytiquesa employer le mot d’empathie qui a ete souvent soupconne dereceler des risques d’une derive psychologisante de la psychana-lyse. Et il est vrai, note-t-il, que l’insistance de Rogers a parlerd’ecoute empathique est venue alimenter les craintes despsychanalystes.

Vous remarquez, quant a vous, que dans Psychologie des masses,Freud semble considerer que l’empathie ne s’adresse pas seule-ment a la subjectivite consciente mais peut permettre d’entendrece que l’autre n’entend pas de lui-meme. Il s’agit donc d’un acte decommunication et vous soulignez que la conception que l’on avaitde la communication a l’epoque de Freud etait de type « perceptioninterne-langage ». En d’autres termes, selon cette conception, lelangage etait cense traduire la pensee ou l’experience interne d’unecertaine realite psychique. L’acces a cette experience interne etaitmodelise comme une capacite d’ecoute susceptible de depasser lerideau des apparences, version moderne de la mantique grecque.

Or, je pense que l’empathie revient sur le devant de la sceneparce que ce mode particulier de connaissance et d’interpretationconstitue une des cles de la comprehension des interactionsprecoces et de leur evolution et, consequemment, des interactionstout court. Au regard d’une demarche pragmatique de lacommunication, l’empathie est en effet consubstantielle aumecanisme d’attribution intentionnelle et, bien evidemment, al’existence d’une theorie de l’esprit.

Comme vous, je pense que la communication psychanalytiquemerite d’etre decrite et comprise a partir des outils de lapragmatique. Les modes de communication narratifs et interactifsdes patients constituent, vous le soulignez, des strategiesdiscursives qu’il faut savoir distinguer pour comprendre leur jeudans la chimie relationnelle si particuliere de la cure analytique. Etc’est pourquoi j’ai ete fort interesse par cette notion de « co-pensee » que vous proposez pour rendre compte d’un desmecanismes de la communication psychanalytique. Ce mecanismeexiste dans les situations naturelles mais sans doute avec unemoindre intensite. En tout cas, voici comment Heinrich von Kleist,dans De l’elaboration progressive des idees par la parole, evoque cettequestion : « C’est parce que j’ai tout de meme une idee obscure, quia un rapport plus ou moins lointain avec celle que je cherche, quemon esprit — alors que je m’engage courageusement, tandis quemon discours progresse —, se trouvant dans la necessitemaintenant de donner au debut une fin, transforme cette ideeconfuse en quelque chose de totalement intelligible, de telle sortequ’a mon grand etonnement la clarte jaillit lorsque la phrases’acheve [. . .]. Il y a dans le visage de celui qui nous fait face unesinguliere source d’enthousiasme pour celui qui parle ; et unregard, qui nous exprime qu’une pensee a moitie formulee est dejacomprise, nous offre souvent la formulation de toute la moitiemanquante. »

En psychanalyse, il s’agit de decrire avec le plus de precisionpossible le developpement reciproque de l’activite associative. Etvous dites que ce mecanisme d’association, de contextualisation etd’interpretation (au sens pragmatique du terme), mecanisme

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declenche a partir des mots des discours, implique dans le cadrepsychanalytique des elements preconscients et inconscients. De cepoint de vue, selon vous, la co-pensee peut etre consideree commele vehicule de la communication d’inconscient a inconscient.L’interpretation au sens psychanalytique maintenant devrait etrecomprise comme un effet direct de la co-pensee.

La notion de communication d’inconscient a inconscient, qui estrecurrente dans la litterature psychanalytique (il me semble queFreud est toujours reste intrigue par la transmission de pensee),trouve au travers de ce regard pragmatique une consistancenouvelle.

Comme vous l’indiquez vous-meme, le langage est opaque, iln’est pas transparent a la pensee. Vous aimez utiliser, pour fairecomprendre ce fait, la metaphore de l’ecran d’ordinateur : ce quiest represente a l’ecran n’est, ni la copie, ni la traduction, mais leresultat d’une serie d’operations. La pensee, invisible, comme lesont les operations du computer, est, de ce fait, le produit d’uneinterpretation. Une interpretation (au sens pragmatique) esttoujours approximative, alors comment imaginer qu’une pensee,fut-elle inconsciente, puisse echapper a ce principe, pour rentrer encommunication avec une autre pensee de meme type. J’auraisplutot tendance a croire (« mais qui peut dire ? ») que lacommunication d’inconscient a inconscient est ce qui paraıt existerlorsque l’on pratique la co-pensee avec ferveur.

En effet, il est difficile d’admettre que dans ce creusetd’echanges particuliers que constitue le lien psychanalytique,pourrait s’etablir une communication qui serait d’une autre natureque celle qui vaut pour le commun des mortels.

J’ai toujours ete interesse par votre point de vue sur cettequestion parce que j’ai le sentiment que vous traduisez ainsi unerealite que tout analysant et tout analyste a eprouvee et percue etque cette realite est encore difficile a saisir dans sa rationalitepragmatique. L’exercice intense de la communication, comme c’estle cas dans la cure psychanalytique, n’induirait-il pas une sorted’extension des savoirs partages, voire de construction dememoires communes qui contribueraient a creer ce sentimentde proximite subjective ?

3. La memoire

Il me semble que la memoire constitue pour vous un theme derecherche et de reflexion constant. Je me souviens de cet article surle travail de la realite dans le deuil et ses analogies avec les effets del’interpretation en psychanalyse.

Vous discutiez dans cet article des conditions dans lesquelles lamemoire peut ou ne peut pas se construire. Et dans ce dernier cas,comment peut se developper un monde possible hallucinatoire.Vous decriviez, par exemple, le travail du deuil, comme unenecessaire perlaboration pour que deux mondes possiblesincompatibles, celui du passe qui reste present et le monde averede la realite, deviennent accessibles l’un a l’autre. Vous posiezl’hypothese que les constituants (representations) de ces deuxmondes sont d’essence differente ; le premier est compose de« representations–action » et le second de « representations–langage ». Le travail du deuil, a l’image du travail analytiqued’elaboration, consiste alors a transformer cette memoire–actionau present en representations–langage, ce qui en assure l’accessi-bilite avec le monde de la realite.

Et puis il y a cet article recent sur l’enfant mythique, l’enfantmodele ou l’enfant reel tel qu’il est revele ou reconstruit parl’experience psychanalytique. Il me semble qu’il y a la, de facon apeine voilee, une reflexion sur la valeur des souvenirs, leurs realiteset sur l’efficacite de la construction de la memoire.

Enfin, vous avez publie recemment un article sur la pathologiede la memoire. Dans cet article, vous insistez sur l’importance de la

comprehension du processus de traitement plutot que sur lademarche consistant a rechercher des repertoires ou systemes dememoires.

Vous mentionnez dans cet article les experiences de Spanos. Cetauteur qui montre que la consigne, donnee a des sujets soushypnose, d’oublier ce qui a ete appris, est appliquee differemmentselon qu’on leur indique ou non « Comment oublier ». Par exemple,selon qu’on leur dit ou non de detourner leur attention de ce qu’ilsviennent d’apprendre quand on leur demandera de se le rappeler.

En effet, la memoire est un acte. L’intensite d’un souvenir estdeterminee par la facon dont un sujet part a la rencontre del’episode. Par exemple, les recherches sur l’entretien de temoi-gnage montrent comment l’usage de consignes differentes joue surla quantite d’informations exactes fournies par le sujet.

En fait, je pense que vous vous interessez beaucoup a lamemoire parce qu’il s’agit d’un des objets de recherche qui permetd’articuler la clinique psychanalytique et la recherche psycho-logique. Je citerai un exemple ou il me semble qu’il y a desarticulations possibles et des echanges d’experiences clinique etscientifique. Cet exemple concerne les notions d’inconscient et dememoire. Les choses ne sont pas nouvelles, Hering en 1870 (citepar Marcel Gauchet) disait : « La memoire n’est pas seulement unefaculte de notre etat conscient, mais aussi et beaucoup plus de nosetats inconscients. »

Mais nous nous interesserons davantage a la modelisation del’inconscient faite par Freud au debut du siecle dernier et a lanotion de memoire implicite definie par Graf et Schacter en 1985.

On pourrait se poser d’emblee la question suivante : l’hypothesede Freud d’un inconscient structure, actif, est-elle compatible avecles decouvertes faites soixante-dix ans plus tard sur la memoire ?Oui, sans aucun doute. Actuellement, on montre qu’il est possiblede retrouver une information d’une experience passee sans etreconscient de faire appel a sa memoire. On sait egalement qu’unsujet peut devenir amnesique, perdre le souvenir a la suite d’unevenement ayant une portee psychologique pour lui, ce quicorrespondrait a la notion de dissociation chez Janet. On observedepuis longtemps qu’une information ou qu’un pan selectifd’informations pris dans des conflits psychodynamiques peutechapper au controle de la conscience, ce qui correspondrait a lanotion de refoulement chez Freud.

On montre egalement experimentalement qu’il est possibled’etre influence dans sa conduite ou ses pensees sans avoirconscience de se souvenir.

Dans les annees 1970, Warrington et Weiskrantz mettent enevidence une memoire qui persiste chez les patients amnesiques.Les patients sont incapables de retrouver des mots presentesprecedemment, dans une liste comprenant certains de ces mots.Mais lorsqu’on leur donne les trois premieres lettres et qu’on leurdemande de trouver les mots qui commencent par ces trois lettres,alors les mots correspondants a la liste precedente sont rappelespresque aussi bien que le font des sujets normaux. La memoireinconsciente est mise en evidence experimentalement.

Ce qu’on appelle « amorcage », ou encore « apprentissage sanssouvenir », rend compte clairement chez les sujets non amnesiquesdu meme phenomene. On vous donne une liste de mots, vous laregardez, vous allez vaquer a vos occupations pendant une heureou meme une semaine. Vous revenez, on vous montre des motsavec des lettres manquantes, il faut retrouver les mots. Vousretrouvez alors, avec facilite, sans en avoir le souvenir, les mots vusprecedemment alors que vous avez plus de difficulte a completerles lettres des mots nouveaux.

La vie quotidienne, comme l’avait observe Freud, fourmille dephenomenes de ce genre. Le plagiat non intentionnel en estl’exemple le plus frappant : Freud lui-meme en fit les frais avecFliess. L’impression de « deja vu » rend compte du memephenomene. La prise en compte de l’effet de transformation, de

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rationalisation et de distorsion que peut faire la conscience pourrendre plausible ce qui peut apparaıtre comme une amnesie de lasource est commune au regard psychanalytique et psychologique.Bref, la decouverte de la memoire implicite s’accorde assez bienavec les observations de Freud sur la vie quotidienne, mais, il estvrai, moins bien avec les conceptions de l’inconscient freudien. Ilreste de nombreuses enigmes a resoudre, et je crois que dans ceprojet d’elucidation du fonctionnement de l’esprit, nous devonsaccroıtre les recherches sur le terrain clinique de la psychanalyse.

Je pense que c’est ce que vous avez fait dans votre livreMetapsychologie du sens. L’inconscient freudien, emergeant de laclinique psychanalytique, y apparaıt comme constitue de schemasd’action prives d’objet, prives de but, des fantomes d’actions. Il mesemble que, selon vous, cet inconscient procederait d’une memoireimplicite d’action constituee precocement. Et que votre ouvrageest une contribution au rapprochement de la psychanalyse et de lapsychologie de la memoire.

Il reste une serie d’obstacles pour favoriser l’interaction entreles deux demarches. En dehors des difficultes inherentes auxaffiliations groupales, deux obstacles me paraissent serieux : l’unest epistemologique, l’autre, est ontologique. L’un concerne lamethode et l’objet, l’autre plus difficile a resoudre, concerne lerelatif isolement mystique de la psychanalyse.

Tout d’abord, la methode et l’objet. Les etudes psychologiquessur la memoire et les observations cliniques construisent desconditions d’emergence de l’objet, differentes. En termes experi-mentaux, on pourrait ramener ca a des formes d’instructions ou deconsignes differentes. En fait, ce sont des demarches et desobjectifs qui different. Que dire d’autre que ce que vous avez ecrit a

ce sujet p. 228 dans votre article sur la psychologie clinique etpathologique ! « Le chercheur, dites-vous, isole les faits pour lescomparer entre eux, le clinicien degage un prototype, comme lenavigateur qui tient compte du plus grand nombre d’informations(le vent, les courants, etc.) pour en tirer le meilleur parti possible. »Un peu plus loin, vous dites : « L’esprit de recherche est ce qui siedle mieux au clinicien et ce qui lui importe le moins. » Tout est ditconcernant la difficulte du dialogue epistemologique entre lechercheur et le clinicien.

Mais, selon moi, l’obstacle majeur reste inherent a une certaineconception mystique de la demarche psychanalytique et de sesfondements. La cure est inaccessible a l’observateur qui enaltererait l’essence meme du deroulement. Et pourtant l’experi-ence de la cure fonde et valide le modele. C’est pourquoi, meme sinous developpons des recherches explicitables, il n’est pas surqu’elles permettent veritablement de modifier, remanier ouactualiser ce modele dont l’experience fondatrice echappe, parconstruction, a la connaissance scientifique.

Cette conception minoritaire de la psychanalyse qui ne peutetre ni la votre ni la mienne saura rendre grace aux arguments de laraison. Et, pour terminer, j’espere ne pas avoir contredit dans ceplaidoyer vos propres termes lorsque vous dites « qu’il faut fairetravailler la difference et non pas la noyer dans une generalisationsimplificatrice ».

Declaration d’interets

L’auteur n’a pas transmis de declaration de conflits d’interets.

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