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Enseigner à l’ère numérique Serge TISSERON

Psychiatre, docteur en psychologie habilité à

diriger des recherches en Sciences Humaines

cliniques, psychanalyste, chercheur associé

à l’Université Paris VII Denis Diderot, membre de

l'Académie des technologies

www.sergetisseron.com

La révolution numérique est bien plus qu’une révolution technologique. Elle implique un changement radical de nos

usages, de nos modes de communication, de notre culture

L’être humain a inventé l’écriture, puis le livre, pour prendre en relais et amplifier certaines de ses capacités mentales et sociales

il a aussi inventé les écrans, pour prendre en relais et amplifier ce que la culture du livre imprimé laissait de côté

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PLAN

• Ce que le numérique modifie dans la manière d’être au monde des élèves

• Etre enseignant à l’ère numérique: proposer de nouvelles occasions d’apprendre, avec ou sans outils numériques

• Ce que le numérique apporte de spécifique à l’enseignement

Le numérique modifie la manière d’être au monde

des élèves

Le numérique modifie: 1. la relation aux savoirs 2. la relation aux apprentissages 3. le fonctionnement psychique 4. la construction des liens et de la sociabilité

Les enseignants doivent connaître et comprendre la culture des jeunes pour en partir et les amener aux savoirs académiques

1. Le numérique modifie la relation aux savoirs

La culture du livre : une culture de l’Un • Un seul livre à la fois • Un seul lecteur • Un seul auteur • Un seule tâche réalisée à la fois • Chaque tâche est réalisée

avec le souci qu’elle soit «unique»

• La relation aux savoirs s’exerce dans un seul sens : vertical

La culture des écrans : une culture du multiple • Plusieurs écrans simultanés • Plusieurs spectateurs • Plusieurs créateurs (créations

collectives) • Plusieurs tâches sont

menées en parallèle • Les tâches sont toujours

inachevées et provisoires • La relation aux savoirs se

déploie dans des directions horizontales multiples (sur le modèle Wikipédia)

2. Le numérique modifie la relation aux apprentissages

La culture du livre : centrée sur la temporalité et la mémoire Elle favorise : • Une pensée linéaire sur le modèle du langage La mémoire événementielle L’attention profonde (Deep Attention.

Katherine Hayles) • Les apprentissages par pratiques

répétitives • La construction narrative fondée sur

la temporalité Katherine Hayles, Hyper and Deep Attention: the Generational

Divide in Cognitive Modes, 2007, www.nlajournab.org

La culture des écrans : centrée sur la spatialité et l’innovation Elle favorise : • Une pensée spatialisée, La mémoire de travail L’Hyper Attention (Katherine Hayles) ou

attention distribuée, ou dispersée, correspondant au multitaches

• Les apprentissages par changement de stratégie et inhibition des apprentissages antérieurs:

• La construction narrative par analogies et contiguïtés

3. Le numérique modifie la relation à l’identité

La culture du livre • Identité unique, stable, unifiée

(« individus ») • Conflit prévalent entre désir et

interdit :« névrose » • Mécanisme de défense privilégié

: le refoulement des désirs (modèle thermodynamique)

• Donne un statut d’exception aux formes verbales de la symbolisation : parole et écriture (le mot de symbolisation leur a d’ailleurs longtemps été réservé)

La culture des écrans • Identités multiples, en référence à

l’espace social (« dividus »). L’individu est « hétéronome » • Conflit entre dépendance et

séparation (réseaux sociaux): « états limites »

• Mécanisme de défense privilégié : le clivage entre diverses parties de la personnalité (modèle «Windows» :)

• Valorise les formes non verbales, imagées et sensori-motrices, de la symbolisation et de la communication (réseaux sociaux, tutos, Dubsmash)

4. Le numérique modifie les liens et la sociabilité

et permet l’évolution vers une société du partage, qu’il s’agisse des connaissances ou de l’usage partagé des biens, devenus des services.

La culture du livre Les liens privilégiés sont de

proximité physique et/ou généalogiques (famille).

• Désir d’extimité réduit aux proches (famille et amis)

• L’autorité est assurée par la reconnaissance que donne le pouvoir centralisé. La régulation repose sur une instance qui pointe la culpabilité et punit.

• L’expression des expériences intimes s’oppose à l’appartenance de groupe et elle est mise en sourdine

La culture des écrans Les liens privilégiés sont organisés

par le fait de partager un intérêt. Le réseau social est « glocal » (global et local).

• Désir d’extimité élargi à la planète entière (selfies, sexties…)

• L’autorité est fondée sur la reconnaissance des pairs : projets bottom up. La régulation repose sur tous les participants (culture de la honte capable de détruire la e-réputation).

• L’expression des expériences intimes renforce l’appartenance de groupe (égocratie Participative)

Parce que la culture des écrans est en train d’intégrer les acquis de la culture du livre: métissage (exemple: la time line sur facebook): distinguer entre culture « du numérique » et culture « par le numérique » Parce que ces deux cultures sont complémentaires: chacune a ses dangers et ses avantages

Mais le numérique ne tue pas la culture du livre

AVANTAGES

La culture du livre Permet de s’approprier sa propre histoire en s’en faisant le narrateur

La culture des écrans Favorise la capacité de faire face à l’imprévisible

DANGERS

La culture du livre

Réduction des compétences

aux apprentissages

par cœur

La culture des écrans

Dispersion (pensée zapping) Personnalité immergée dans

chaque situation nouvelle, sans recul cognitif ni temporel,

et donc sans conscience de soi

CONSEQUENCE

Avoir intériorisé les repères temporels de la culture du livre est indispensable pour bénéficier du rapport aux écrans

L’adolescent immergé sans recul dans les technologies numériques est moins « coupable d’abus » que victime d’une

immersion trop précoce et trop massive dans les écrans (TV)

L’éducation au numérique implique tous les partenaires

• Les parents: les balises 3/6/9/12 • Les partenaires institutionnels

(mairies, associations): semaine pour apprendre à voir autrement, festivals de création numérique des jeunes

• Les enseignants

Etre enseignant à l’ère numérique

c’est créer de nouvelles occasions d’apprendre

Et apprendre aux élèves à s’adapter ensemble

Les métiers les plus demandés aujourd’hui n’existaient pas il y a 10 ans. Personne ne sait quels seront les métiers dans

10 ans : il ne faut pas former les jeunes à pratiquer un métier mais à pouvoir construire leur propre métier demain

Et pour cela, leur apprendre • à coopérer • à être créatif • à communiquer avec les autres • À être capable de faire des critiques constructives • à penser complexe

Prendre en compte la nouvelle relation aux savoirs, c’est:

• Encourager le travail collaboratif, avec ou sans écran

• Pratiquer la classe inversée • Favoriser le tutorat : l’apprentissage passe par la reformulation des savoirs Pédagogie de projets

Prendre en compte la nouvelle relation aux apprentissages, c’est:

• Favoriser le passage du visuel au narratif et du narratif au visuel (faire raconter les expériences d’écran, encourager les créations visuelles)

• Encourager la fabrication d’objets multimédias associant textes, images fixes ou animées, mise en page, etc.

• Apprendre le langage de programmation Pédagogie de projet

Prendre en compte la nouvelle relation à l’identité, c’est:

• Encourager les débats et les controverses entre 2 élèves qui défendent chacun leur point de vue

• Favoriser l’utilisation scolaire des outils personnels des enfants avec lesquels ils ont une relation intime (mobile)

• Encourager le jeu théatral, de la maternelle au collège (Jeu des 3 figures)

Pédagogie de projet

Prendre en compte les nouvelles formes de sociabilité, c’est:

• Encourager les débats et controverses entre 2 élèves qui argumentent le point de vue de leur groupe

• Apprendre à partager l’information sans la dénaturer • Valoriser les productions numériques des jeunes : « Une école, un site, des jeunes pour l’alimenter » Pédagogie de projet

Ce que le numérique apporte de spécifique

à l’enseignement

1. Le numérique permet de compenser/réduire certains handicaps

Handicaps sensori-moteurs Par exemple, taper sur un clavier les réponses aux questions posées, utiliser

un logiciel de traitement vocal. Handicaps cognitifs L’écran permet de faire travailler des formes non verbales de l’intelligence. Permet de soulager l’effort cognitif en s’appuyant sur la perception visuelle

(utilisation de couleurs, de schémas, de présentations simplifiées) Handicaps relationnels « Jestimule », un serious game qui favorise chez les enfants autistes la

reconnaissance et l’apprentissage de la signification émotionnelle des mimiques et des postures et l’identification des situations émotionnelles (S. Serret, Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, centre ressources autisme, hôpitaux pédiatriques de Nice, CHU Lenval, Nice, France

2. Le numérique à l’école permet d’apprendre à utiliser le numérique (cycles 2 et 3)

En cycles 2 et 3 • Apprendre à se familiariser avec les différentes

sources documentaires, • Apprendre à chercher des informations • Apprendre à interroger l’origine et la pertinence de

ces informations dans l’univers du numérique. • Apprendre à programmer les déplacements d’un

personnage sur un écran (Scratch) ou ceux d’un robot. Applications possibles en arts plastiques

• Apprendre à produire une activité d’enregistrement à l’oral pour s’écouter et apprendre à s’exprimer

Mais il faut aussi leur apprendre à comprendre ce qui se passe dans le cerveau quand ils utilisent ces outils

c’est le but de la brochure réalisée par la main à la pâte à destination des enseignants de cycle trois : « le cerveau, les écrans et l’enfant » (Ed. Le Pommier)

3. Le numérique favorise la motivation intrinsèque (peut re-motiver certains élèves):

motivation d’innovation et motivation de sécurisation

1) Le numérique favorise la motivation d’innovation.

• L’élève peut travailler à son rythme, aux moments où il le souhaite, en trouvant dans chaque discipline un niveau de difficultés adapté à ses capacités.

• Il peut construire sa propre « feuille de route »: décider de l’ordre dans lequel il réalise les diverses tâches mises à sa disposition (interactions de consultation et les interactions de navigation)

2) Le numérique favorise la motivation de sécurisation

Les logiciels ne jugent pas, ne condamnent pas, Ils visualisent la progression à chaque étape Favoriser les logiciels qui mesurent et figurent en permanence 4 paramètres et pas seulement un • l’évolution des connaissances (figurations spatiales) • la variété des stratégies utilisées (nos habitudes mentales) • le nombre et la richesse des bases de données consultées sur Internet • le nombre d’interlocuteurs réels contactés (camarades ou inconnus)

4. Le numérique encourage le travail collaboratif

• Favoriser les intelligences multiples • Introduire l’écran comme un espace d’échanges et de

création en réseau, dans une logique de communauté et non de compétition

Organiser des travaux collaboratifs, et pas seulement coopératifs

• Apprendre à développer la solidarité • Apprendre à développer la compréhension de l’autre Et finalement apprendre à mieux vivre ensemble

CONCLUSION

La culture du livre et celle des écrans sont complémentaires: l’avenir appartient aux enfants qui seront à leur aise à la fois avec la pensée visuo-spatiale et rapide des écrans et la pensée linéaire et narrative du livre, avec l’immersion et la prise de recul MAIS AVOIR ACQUIS LES REPERES DE LA CULTURE DU LIVRE PERMET DE MIEUX PROFITER DES ECRANS

Et bienvenue sur mon blog: www.sergetisseron.com

Merci de votre attention

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