GEORGE BERNARD SHAW PYGMALI N - La Comédie...

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G EO R G E B E R N A R D S H AW

P Y G M A L I NP Y G M A L I N

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE VOLUME 13, NUMÉRO 1 | AUTOMNE 2017 ET HIVER-PRINTEMPS 2018

CYAN MAGENTA

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ApprobationBien que tous les eff orts aient été mis en œuvre pour éviter toute erreur, S.V.P., bien vérifi er cette épreuve. Notre responsabilité se limite au remplacement des fichiers finaux.

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FINAL-LIVRÉ

Agence�: Graphiques M&HTitre�: HQ est heureuse de...

No d’annonce�: 2013-251

Format�: 8” x 2”

Couleur�: Noir et blanc

Publication�: Cahier pédagogique de la Comédie Humaine

Parution�: Édition 2013

Matériel requis le�: 11 septembre 2013

GRAPHIQUES M&H87, RUE PRINCE, BUREAU 310MONTRÉAL QC H3C 2M7T. 514 866-6736 | PRODUCTION@MH.CA

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Hydro-Québec est heureusede jouer un rôle dans

la promotion du théâtre.

L ’OE U V R E A L’O R I G I N E D E MY FA I R L A DY

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION2

NOTES IMPORTANTES :Les opinions exprimées dans les articles de cette publication n’engagent que leurs auteurs. Réaliser les différentes sections du cahier suppose la consultation de nombreuses sources d’information. Nous ne mentionnons pas ici les ouvrages essentiels auxquels nous avons eu recours et nous n’avons pas inclus de lexique non plus. Pour les consulter, veuillez en faire la demande au personnel de La Comédie Humaine.Selon la nouvelle norme orthographique, l’accent circonflexe disparait sur les « i » et les « u » dans la

grande majorité des cas. Donc, maître, naître, deviennent maitre et naitre. Pour le « û », goût, ragoût

deviennent gout, ragout. Bref... la seule exception est sur le mot sûr, au masculin singulier, où l’accent

demeure. Toutefois, nous ne sommes pas résolus à enlever l’accent circonflexe sur le « û ». Ça viendra.

© Copyright 2017 La Comédie Humaine

MOT DE LA DIRECTION SYLVIE LONGTIN ET MARTIN LAVIGNE

La Comédie Humaine se donne toujours comme objectif de vous présenter des œuvres de répertoire d’ici et d’ailleurs ainsi que des auteurs qui ont marqué le temps. Notre priorité est de vous faire vivre une expérience théâtrale unique qui ne vous laissera pas indifférents. En fait, notre but est de vous transporter bien au-delà du théâtre, car cet art est loin d’être une activité passive. Au contraire, en vous faisant découvrir une œuvre, une époque, un auteur et son message, nous désirons piquer votre curio-sité, stimuler votre imagination, optimiser vos connaissances générales, vous aider à réaliser vos ambitions, vous encourager à persévérer et à réfléchir.

Pygmalion contient tous les éléments pour vous faire rire et vous émouvoir. C’est une pièce de théâtre qui soulève beaucoup de questions, de réflexions et qui dénonce l’injustice sociale. Même si elle trace un tableau des années 30, elle met encore en perspective notre manière de vivre en société. Elle porte un regard, entre autres, sur les personnes pauvres et défavorisées et sur les personnes riches et éduquées.

Nous espérons remplir, une fois de plus, notre mission auprès des adolescents et des enseignants. Nous croyons en votre potentiel et La Comédie Humaine est fière de travailler pour vous.

Bon spectacle !

ÉQUIPE DE LA COURTE PIÈCE PRÉPARATOIRE SHAW, C’EST SHAW !

ÉQUIPE DU CAHIER PÉDAGOGIQUERÉDACTRICE EN CHEF MARICHELLE LECLAIR

CORRECTEURS ET COLLABORATEURS (entre autres) ANNE-JULIE NADON, FRANCIS SASSEVILLE, MAUDE BOUCHARD, DELPHINE QUENNEVILLE, FANNY FENNEC, CHRISTIANE OUELLETTE, SUZIE MONETTE, NADINE OUELLETTE, JULIE DENIS, ISABELLE ROY ET KATHLEEN JOLLY.

CONCEPTION GRAPHIQUE ROXANE GARIÉPY

Diplômée de l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe en 2016, Roxane en est à sa deuxième collaboration avec La Comédie humaine. On a pu la voir à la télévision dans un épisode de Délateurs à Canal D. Passionnée de doublage, elle prête sa voix pour quelques pro-jets, notamment dans le film Girl in the Box en 2017. Dans ses temps libres, elle aime lire, écrire et nager.

Diplômé de l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe en 2016, Francis a participé à la websérie Papa. Il prête sa voix à plusieurs pro-jets de doublage. Improvisateur, il a évolué dans plusieurs ligues (Cravates, Limonade, Globale). Francis est aussi auteur. Il a remporté en 2016 le concours d’écriture dramatique de l’Égrégore avec sa pièce Manche ouverte. Sa pièce Last Call a été créée à l’UQAM. Il a aussi écrit, mis en scène et joué les pièces L’Horloge-machine, Les voleurs de temps et Les pas pires épopées des Imparfaits. Il est présentement en projet d’écriture pour une pièce qui verra le jour au printemps 2018, en plus d’être animateur pour le Cirque Éloize.

AUTEUR DE LA COURTE PIÈCE GILBERT DUPUIS

MISE EN SCÈNE MARTIN LAVIGNE

COMÉDIENS

ROXANE TREMBLAY-MARCOTTE

FRANCIS SASSEVILE

COORDONNÉES DE LA COMÉDIE HUMAINESi vous avez des questions à poser aux artisans de la production, n’hésitez pas à nous joindre via Internet ou par téléphone.2835, rue Mathys, Sainte-Marthe-sur-le-Lac (Québec) J0N 1P0 Téléphone : 450 623-3131 | Télécopieur : 450 623-6610info@lacomediehumaine.ca www.lacomediehumaine.ca | /lacomedie1

DIRECTRICE DES GROUPES SCOLAIRES : SYLVIE LONGTIN ASSISTANTES À LA DIRECTION : ANNE-JULIE NADON & KATHLEEN JOLLY

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION 3

Q D’abord, qu’est-ce qui t’a motivé à mettre en scène cette pièce de théâtre en particulier ?

R C’est une pièce captivante, drôle et pleine d’esprit. Shaw dénonce l’injustice sociale. Shaw encourage la persévérance scolaire. Shaw positionne la femme. Shaw se moque des riches. C’est un fin observa-teur de la nature humaine et des vices de société. Shaw met en scène une jeune fille pauvre et sans éducation qui réussit à s’instruire et à accéder à un autre rang social. Une jeune fille simple et sensible du dé-but du 20e siècle qui dépasse son maitre, un richissime égocentrique. C’est formidable !

Q Ton adaptation québécoise est particulièrement ingénieuse, puisqu’elle met bien en relief les différents niveaux de langue. Quelle a été ton inspiration pour une adaptation au Québec, et pourquoi en 1938 précisément ?

R Après la Première Guerre mondiale de 1914-1918, le pire était passé, croyait-on. Les années folles, soit les années 20, ont créé une effer-vescence culturelle et sociétale. Le krach de la bourse de New York, en 1929, a fragilisé les plus forts, et les plus faibles ont péri ou survécu de peine et de misère. 1938 m’a permis d’inclure des notes historiques et des personnages marquants comme Maurice Duplessis, Wilfrid Pelletier, Gratien Gélinas, Camillien Houde, etc. Il régnait également une urgence de vivre, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. De plus, les niveaux de langage du français dans cette pièce de théâtre sont passionnants à étudier. En effet, lorsqu’on apprend que le français parlé à Paris au 17e et au 18e siècle, dans la cour de Louis XIV, était le même qu’au Canada français en 1930, c’est surpre-nant. En travaillant à l’adaptation de Pygmalion, je voulais qu’on s’identifie à notre culture avant tout et qu’on développe encore plus notre senti-ment d’appartenance au Québec et à la langue française.

Quelle est ton interprétation des personnages d’Élisa et de Higgins ? Es-tu d’accord avec la vision que George Bernard Shaw avait d’eux ?

R Oui. Élisa et le professeur Higgins sont à l’opposé l’un de l’autre. Ils permettent d’illustrer deux classes sociales, deux entités profondé-ment différentes et nuancées. Higgins est centré sur lui-même. Il est un scientifique de la phonétique qui maitrise son art sans se soucier des sentiments des autres. Higgins n’a pas les qualités pour valoriser, encourager et soutenir son élève comme un enseignant dévoué, com-préhensif et attentionné. C’est une sommité qui profite de son pouvoir pour contrôler les autres. Il réussit dans la vie, mais il ne réussit pas sa vie. Élisa est une jeune fille déterminée et forte de caractère. Elle doit se battre pour survivre. Elle est près de ses émotions, c’est ce qui la rend si attachante. Shaw a milité pour le droit de vote des femmes. Par l’entremise de son œuvre mise sur scène pour la première fois au début du 20e siècle, il démontre que les femmes doivent prendre leur place dans la société. Sa pièce de théâtre scandalisa les bourgeois. Elle osait de surcroit révéler aux yeux de tous que les femmes avaient le droit d’être égales aux hommes. Heureusement, l’audace de Shaw lui a mérité le prix Nobel de la littérature en 1925. Dans l’adaptation de My fair lady, la fin de l’histoire a été romancée, ce qui horripilait Shaw. Pour ma part, je préfère le dénouement original de la pièce de théâtre.

Q Selon toi, si George Bernard Shaw écrivait cette pièce de nos jours, en 2017, que ferait-il de différent ? Quelles seraient les similitudes ?

R Il a écrit la pièce en 1912, l’année où le Titanic coulait en emportant davantage de personnes pauvres que de riches. Est-ce que cela l’a influencé ? Bonne question, car je ne crois pas qu’on permettrait en 2017 de laisser périr davantage de pauvres que de riches. Nous avons une meilleure justice sociale qu’à l’époque, malgré tout. Elle n’est pas parfaite, certes, mais au moins, elle laisse plus de place à la différence, à l’homosexualité, aux autres cultures, à l’équité salariale, etc. En 1938, quel avenir peut envisager Élisa ? Même une fois éduquée, elle demeure pauvre. Ses chances de réussite sont minces, car la femme est confinée aux rôles d’épouse et de mère. En 2017, cette pièce pose aussi l’interrogation : « Est-on autorisé à changer de cette manière, le cours de la vie d’une personne ? » Il faut bien plus que des bonnes manières et un bon vocabulaire pour pouvoir changer de classe. Cette transformation serait-elle une bonne chose pour une jeune fille ou pour un jeune garçon d’aujourd’hui ?

ENTREVUE AVEC LE METTEUR EN SCÈNE MARTIN LAVIGNE

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LES CONCEPTEURS DE PYGMALION

MATHIEU MARCIL, CONCEPTEUR DES ÉCLAIRAGESLe processus à la base de la conception d’éclairage est souvent semblable à celui des autres départements : nous lisons la pièce, nous y relevons des indices sur l’époque, sur les lieux, sur les moments de la journée et sur les relations entre les personnages. Ensuite, tous les concepteurs donnent leurs idées, que ce soit pour la mise en scène, la scénographie, les costumes, le son, l’éclairage, etc. Nous tentons ensemble de trouver quelles seront les lignes directrices du projet, puis chacun détermine et explique comment il compte se diriger vers ce but. Pour Pygmalion, il était nécessaire de représenter plusieurs lieux distincts, ayant chacun une atmosphère spécifique. Il fallait le faire sur une seule scène avec aucune possibilité de changement de décors. Nous avons donc décidé de morceler l’espace scénique en petites sections pouvant représenter les différents lieux. L’éclairage devient ainsi partie intégrante de la scénographie, puisque c’est par lui que les lieux sont révélés ou masqués. Le défi, pour ce type d’éclairage, est de réussir à unifier ces espaces conjoints, tout en conservant à chacun sa spécificité.

LOÏC LACROIX-HOY, CONCEPTEUR DU DÉCOR

La pièce a besoin de plusieurs décors pour être jouée et ainsi respecter l’idée de l’auteur. Nous devons trouver la meilleure scénographie possible afin de créer chaque lieu nécessaire. D’abord, l’auteur indique une rue (donc un lieu extérieur), le laboratoire du professeur Higgins, le salon de Mme Higgins et la chambre d’Élisa (au moins trois lieux intérieurs). Quatre espaces à imaginer pour que les répliques et l’action soient jouées et que les spectateurs y croient. En discutant avec le metteur en scène, on établit les lignes directrices du décor pour que l’idée de la mise en scène se développe au gré de notre imagination. Nous consultons des images de maisons bourgeoises de la Côte-Sainte-Catherine, à Montréal, dans les années 30, et nous prenons en note le design des murs, des portes, des fenêtres, en fait, tout ce qui nous rappelle cette époque. Ces images nous servent alors de sources d’inspiration. Dans ces années-là, les colonnes et les moulures sont à la mode.

De plus, nous nous assurons que la couleur des murs s’agencera avec les costumes et nous discutons du choix des meubles fournis par l’accessoiriste pour occuper l’espace.

Finalement, nous avons choisi que le prologue, qui a lieu à l’extérieur dans le centre-ville, se joue dans la salle, parmi les spectateurs, car le metteur en scène voulait une proximité avec le public. Sur scène, on retrouve un intérieur de maison d’une famille riche avec le bureau du professeur Higgins, le salon, une porte pour indiquer la chambre d’Élisa et derrière, en arrière-plan, trois fenêtres donnant sur le jardin des Higgins. On imagine l’en-trée de la maison, la cuisine, les appartements de Mme Higgins du côté jardin et du côté cour, reliés par une passerelle, on devine les appartements du professeur, la chambre de Mme Barrault, l’accès à la terrasse, à la salle d’eau, etc.

Après avoir considéré les salles de spectacle que nous visi-terons en tournée, nous définissons les dimensions du décor en tenant compte des limites afin de pouvoir monter le dispositif partout où notre troupe de théâtre se déplacera. Nous prévoyons même un plan B pour les petites salles. Ensuite, la maquette ter-minée, le chargé de projet, Mathieu Cardin, dessine les plans, cherche et trouve des solutions lorsqu’il y a un problème concer-nant la construction. Il évalue aussi les coûts et fait bâtir un décor solide, tout en respectant les limites du budget.

PIERRE-LUC BOUDREAU, ACCESSOIRISTELes accessoires sur scène ont plusieurs fonctions : ils peuvent servir à indiquer une époque précise, à démontrer le caractère d’un personnage par ses actions ou encore, à inspirer une réalité propre à la pièce. Ils révèlent donc, de façon plutôt subtile, des indices par rapport aux lieux et aux personnages.

Pour Pygmalion, il était important de séparer les divers endroits mentionnés dans la pièce de théâtre. Bien entendu, le décor y joue un rôle capital, mais les accessoires sur scène nous indiquent qui habite réellement le lieu au moment de l’action. Par exemple, le bureau du professeur Higgins est un peu chaotique avec ses livres, un gramophone, un crâne et plusieurs dossiers. On y perçoit la personnalité scientifique du professeur. Le somp-tueux salon de Mme Higgins est, quant à lui, bien rangé grâce à la gouvernante, Mme Barrault. Chaque accessoire a sa raison d’être; aucun n’est décoratif ou presque !

Nous devons également nous assurer que les accessoires et les meubles sont solides, de la bonne grandeur pour qu’ils oc-cupent bien l’espace et qu’ils soient crédibles pour le spectateur.

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PIERRE-GUY LAPOINTE, CONCEPTEUR DES COSTUMESCréer les costumes pour une œuvre comme Pygmalion, c’est d’abord trouver une ligne directrice et un caractère distinct à cette production. Pièce de théâtre maintes fois montée et inter-prétée, l’adaptation de La Comédie Humaine a ceci de particu-lier : elle s’adresse aussi à un public étudiant; c’est pourquoi la conception aura une nature jeune, colorée et dynamique. Nous nous sommes volontairement éloignés de la vérité historique. L’austérité de Montréal durant les années 30, en pleine crise économique et étouffée par l’église catholique, nous semblait peu propice à cette histoire légère et pétillante qu’est Pygmalion.Nous avons donc puisé généreusement dans les modes précé-dentes et à venir pour trouver des lignes, des couleurs et des détails. Nous désirions souligner le caractère et la personna-lité des personnages colorés. C’est pourquoi Mme Chamberlain devient une diva des années 20, alors qu’Élisa se rend au bal du lieutenant-gouverneur dans une robe contemporaine. Anachro-nismes et fantaisies sont au rendez-vous pour donner à Pygmalion une énergie et un caractère dignes d’une bande dessinée.

FRANÇOIS ROSSIGNOL, COMPOSITEUR DE LA MUSIQUE ET CONCEPTEUR DES EFFETS SONORES La musique est conçue pour représenter l’aspect et l’atmosphère de la pièce de théâtre et dans ce cas-ci, l’inspiration vient des films des années 30, ainsi que des années 40. À la fois sympa-thique et de culture classique, la musique nous fait penser à cette époque où Georges Gershwin s’amusait avec les thèmes popu-laires de son temps, qu’il disposait sur une musique orchestrée avec un fort goût pour les couleurs et les tournures formelles inu-sitées, parfois même disparates. C’était un compositeur à l’esprit libre, qui aimait la culture populaire, mais qui adorait s’accomplir au meilleur de lui-même par le biais de la culture classique.

Quoi de mieux, alors, pour convenir à une convergence – ou plutôt à un choc ! – des classes, qu’un compositeur si solidement outillé et, de surcroit, aux goûts éclectiques ? Thèmes populaires, traitement classique coloré, rythmique de danse : voilà ce à quoi ressemble le climat musical de Pygmalion au goût des années du Lindy hop et de Gershwin.

ASSISTANTE À LA MISE EN SCÈNE ET RÉGIE / MANIPULATION DU SON : DELPHINE QUENNEVILLE

DIRECTEUR TECHNIQUE ET RÉGIE / MANIPULATION DES ÉCLAIRAGES : JULIEN BROUSSEAU

COIFFURE ET MAQUILLAGE : PIERRE LAFONTAINE

CONSEILLÈRE PHONÉTIQUE : MAUDE BOUCHARD

CHARGÉ DE PROJET : MATHIEU CARDINESQUISSES DES COSTUMES

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PYGMALION EST UN RÉCIT INITIATIQUE OÙ LE PUBLIC EST TÉMOIN DE L’ÉVOLUTION DE LA JEUNE ÉLISA ET DE SA MONTÉE DANS LES CLASSES SOCIALES.

Si l’intrigue de la pièce originale se déroule à Londres au dé-but du 20e siècle, celle de La Comédie Humaine prend place dans le Montréal de l’entre-deux-guerres. En effet, il y a alors une effer-vescence dans la métropole francophone qui se prête bien aux conflits entre les classes sociales et au désir de mobilité sociale des classes ouvrières. Pour découvrir le contexte historique du Québec de 1938, consultez la page 11.

La pièce de théâtre débute sur une rencontre inusitée : à la sor-tie d’un concert de l’orchestre symphonique, la haute société croise le petit peuple. Élisa, fleuriste itinérante au langage vulgaire, ren-contre le professeur Higgins, dont le talent particulier est d’iden-tifier l’origine de ses interlocuteurs grâce à la phonétique. S’adres-sant au Colonel Le Berre, un linguiste chevronné, Higgins déclare

alors qu’il pourrait faire passer Élisa pour une femme de la haute société en quelques mois seulement. Comme Élisa rêve de se sortir de la rue et d’obtenir un emploi dans une boutique de fleurs, elle saisit cette occasion et se présente à son domicile pour y recevoir des leçons de phonétique.

Cette pièce, de George Bernard Shaw, jette un regard impi-toyable sur les systèmes des classes sociales, en plus d’émettre un commentaire puissant sur l’indépendance des femmes.

PYGMALION : LA PIÈCE

TOILE DE JEAN-LÉON GÉRÔME, 1890, DÉPEIGNANT LE MOMENT OÙ LA STATUE D’IVOIRE CRÉÉE PAR PYGMALION PREND VIE.

LE MYTHE DE PYGMALION ET GALATÉE

L’histoire de Pygmalion et Galatée trouve son origine dans la mythologie gréco-romaine. Elle a d’abord été racontée dans le dixième livre de l’œuvre Les Méta-morphoses d’Ovide, un long poème s’étendant sur 15 livres et complété en l’an 8 de notre ère.

Pygmalion, un jeune homme de l’île de Chypre, était bien malchanceux en amour. Ses mésa-ventures étaient telles qu’il en vint à jurer qu’il n’épouserait jamais une femme. Il décida plutôt de se consacrer à la sculpture, discipline dans laquelle il se découvrit un talent certain. À partir d’un bloc d’ivoire, il sculpta une statue d’un charme, d’une grâce et d’une beauté inégalables. Il tomba éperdument amoureux de son œuvre d’art et la nomma Galatée. Il implora alors Aphrodite, déesse de l’amour, de lui envoyer une femme aussi parfaite que la statue qu’il avait créée. Quand il retourna à son atelier afin de faire ses adieux à Galatée, et alors qu’il s’apprêtait à l’embrasser une dernière fois, la statue prit vie et lui rendit son baiser. Aphrodite avait exaucé son souhait.

ADAPTATION LIBRE

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION 7LES PERSONNAGES À TRAVERSLES QUARTIERS MONTRÉALAISÀ l’exception du centre-ville de Montréal, les divers quartiers montréalais sont fort typés à l’époque où se déroule la pièce de théâtre, soit à la fin des années 30. Classes sociales et quartiers sont intimement liés. Cette adaptation de la pièce Pygmalion présente des archétypes des résidents de chacun des quartiers. Visitons-les un à un, pour voir ce que nous pour-rons y découvrir.

AU FAUBOURG À M’LASSELe Faubourg à m’lasse est un quartier aujourd’hui disparu, situé sous le pont Jacques-Cartier, entre le Vieux-Montréal et le quartier Hochelaga. Ce secteur est majoritairement habité par la classe ouvrière canadienne-française. Il doit son surnom à l’odeur omniprésente de la mélasse déchargée sur les quais du port avoisinant.

Le quartier est rasé par le maire Jean Drapeau en 1963 pour faire place à la tour de Radio-Canada et à un complexe média-tique. Cinq mille personnes sont alors déplacées ainsi qu’une douzaine d’épiceries, de restaurants et une vingtaine d’usines. Si Radio-Canada y a bel et bien eu pied à terre pendant plus de 50 ans, le complexe médiatique ne s’est jamais réalisé et a plutôt donné lieu à un immense stationnement.

Les Laviolette. On dit d’Élisa Laviolette qu’elle n’est pas du tout une figure romantique. En effet, Élisa est une fille débrouil-larde, vive et insolente qui défie toutes les conventions de l’hé-roïne classique. Peu éduquée mais fière, cette fleuriste itinérante, qui se précipite à la sortie des grands concerts classiques pour faire de bonnes affaires, incarne parfaitement la résidente du Faubourg à m’lasse des années de l’entre-deux-guerres. Son père, Alfred, est, quant à lui, un éboueur sans éducation.

À LA CITÉ D’OUTREMONTOutremont, ainsi que sa principale artère, la Côte-Sainte-Catherine, a un riche héritage bourgeois. Le secteur se développe subi- tement au début du 20e siècle grâce à cinq principaux architectes qui dessinent parfois même des segments entiers de quartiers, ce qui donne une impression de cohérence et d’homogénéité. Si ce sont d’abord des anglophones qui s’y installent, les Canadiens français qui y emménagent sont toujours plus nombreux. Habiter à Outremont est un signe de réussite sociale, dont l’emblème est notamment l’Université de Montréal ainsi que le Collège Jean-de-Brébeuf. La ville de Westmount, quant à elle, légèrement plus à l’ouest, était plus ou moins l’équivalent anglophone d’Outremont.

Les Higgins. Le professeur Henri Higgins incarne l’élite canadienne-française de l’entre-deux-guerres. Bien éduqué mais un peu bourru, il est passionné par la phonétique. Il habite avec sa mère dans une résidence bourgeoise de la Côte-Sainte-Catherine, menée de main de maitre par leur gouvernante, Mme Barrault.

À NOTRE-DAME-DE-GRÂCENotre-Dame-de-Grâce, familièrement appelé NDG, est un quar-tier situé dans la partie ouest de la ville de Montréal. Après la Première Guerre mondiale, la communauté anglophone de Notre-Dame-de-Grâce se développe, réunissant principalement la classe moyenne. Au fil des années, le quartier devient de plus en plus multiethnique.

Les Chamberlain. Héritières de plus de dettes que de biens, Mme Chamberlain et sa fille Claire tentent de maintenir leur sta-tut en entretenant de bonnes relations avec la classe bourgeoise.

DANS LE GOLDEN SQUARE MILELe Golden Square Mile est un riche quartier fondé au 19e siècle par l’élite montréalaise d’origine écossaise et bordé par le boulevard René-Lévesque (autrefois nommé rue Dorchester) au sud, par le parc du Mont-Royal au nord, par le chemin de la Côte-des-Neiges à l’ouest et par la rue University/Université (récemment renom-mée Robert-Bourassa) à l’est. Dans les années 30, les jeunes familles riches désertent toutefois le quartier vers Westmount. La majorité des établissements patrimoniaux seront détruits dans les décennies suivantes, et les manoirs qui survivront seront achetés par l’Université McGill, qui en fera des salles de classe et des bureaux pour les professeurs.

Le Colonel Le Berre. Incroyablement poli et sophistiqué, le Co-lonel Le Berre a voyagé partout dans le monde et est un spécialiste des dialectes indiens. Il est donc tout naturel qu’un homme de la haute société comme lui, à cette époque, réside au Ritz, un chic hôtel au cœur du Golden Square Mile, lors de ses visites à Montréal.

LE FAUBOURG À M’LASSE, LE 9 JUILLET 1963.

CONSTRUCTION DU PONT JACQUES-CARTIER

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION8

RÉCEPTION DE LA PIÈCE DE THÉÂTRELORS DE SA CRÉATION EN EUROPEGeorge Bernard Shaw écrit la pièce en 1912 et la présente pour la première fois sur scène le 16 octobre 1913 dans une traduction allemande, à Vienne, puis en mars de l’année suivante à New York. Il faudra attendre le 11 avril 1914 pour que la pièce soit présentée à Londres. Le metteur en scène londonien, Herbert Beerbohm Tree et Shaw, ne pourraient être davantage aux antipodes. Les répétitions sont si houleuses que Shaw envoie à Tree de longues lettres l’accusant de tomber dans le mélodrame. Tree écrira ceci à l’endroit de Shaw : « Je n’irai pas jusqu’à dire que tous ceux qui écrivent des lettres de plus de huit pages sont fous, mais il est cu-rieux que tous les fous écrivent des lettres de plus de huit pages. »

La première ne se déroule pas sans tension non plus. Lorsque l’actrice principale prononce une ligne célèbre contenant un juron qu’il était alors peu courant d’entendre dans les hautes sphères (« Not bloody likely !* »), le public s’esclaffe, et le fou rire dure plus d’une minute, ce qui fait rager Shaw, qui quitte la salle. Il est vrai que la pièce fit scandale, car à cette époque, il était mal vu de prouver que les gens pauvres pouvaient s’éduquer et accéder à un meilleur rang social. Les critiques ont toutefois souligné qu’il s’agissait d’une formidable comédie et de l’une des pièces les plus enjouées jamais montées au théâtre. Amadoué, Shaw assistera à la 100e représentation, mais il sera saisi d’horreur lorsqu’il réalisera que Tree a modifié la fin pour la rendre plus sirupeuse, avec une allusion de mariage. « Ma fin fait de l’argent, vous devriez être reconnaissant ! », lui écrit Tree. « Votre fin est damnable, vous devriez être exécuté. », de répondre Shaw.

PYGMALION : LES ADAPTATIONSLa fin romantique d’Herbert Beerbohm Tree, le premier metteur en scène de la pièce de théâtre, a beau avoir été inventée, elle reste celle qui a été la plus souvent reproduite dans les adaptations libres de Pygmalion. Les plus célèbres d’entre-elles sont, entre autres, la comédie musicale et le film My Fair Lady, mettant respectivement en scène Julie Andrews et Audrey Hepburn, ainsi que Pretty Woman, avec Julia Roberts et Richard Gere.

LA PREMIÈRE MISE EN SCÈNE DE PYGMALION AVAIT DÉPLU À GEORGE BERNARD SHAW.

PRETTY WOMAN EST UNE ADAPTATION LIBRE DU PYGMALION AUX TEMPS MODERNES.

MY FAIR LADY EST ADAPTÉE LIBREMENT DE PYGMALION. ELLE CONTIENT LA FIN ROMANTIQUE QUI AVAIT ÉTÉ VIVEMENT CRITIQUÉE PAR GEORGE BERNARD SHAW.

* Dans notre adaptation de la pièce, un équivalent pourrait être « Bordel de merde ! »

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION 9GEORGE BERNARD SHAW : UN HOMME D’EXCEPTION

UNE ENFANCE MARQUÉE PAR LE DÉSIR D’ASCENSION SOCIALE

George Bernard Shaw voit le jour le 26 juil-let 1856 à Dublin, en Irlande. Les Shaw font partie de la Protestant Ascendancy, c’est-à-dire l’élite intellectuelle, politique, sociale et économique de l’Irlande – en théorie. Le père de Shaw est un marchand de maïs qui souffre d’alcoolisme. Le petit Bernard (il déteste le prénom George et ne l’utili-

sera pratiquement jamais) reçoit donc une éducation désor-ganisée et grandit dans un milieu intellectuellement pauvre. Il trouve néanmoins un baume dans la musique, qui emplit la maison depuis que Vandaleur Lee, professeur de chant et amant de sa mère, vit avec eux. Quelques années plus tard, sa mère et son amant quittent Dublin pour Londres. Alors âgé de 15 ans, Ber-nard décide de rester chez son père pour terminer ses études et travailler comme commis dans un bureau immobilier. Il déteste profondément ces deux activités et part rejoindre sa mère à Londres à l’âge de 20 ans.

À Londres, il ramasse quelques sous en tant qu’accompagna-teur au piano, mais c’est grâce au soutien financier de sa mère et de sa sœur aînée qu’il peut se consacrer à l’écriture et au journa- lisme. Il publie quelques articles anonymes dans le Pall Mall Gazette et quelques romans dans des revues socialistes. Auto-didacte, il poursuit son éducation de façon indépendante en étudiant plusieurs heures quotidiennement à la bibliothèque du célèbre British Museum. Il est alors remarqué par William Archer, un critique bien établi qui lui permet de décrocher plu-sieurs contrats d’écriture en tant que critique de théâtre. Shaw a déjà ce caractère passionné et intransigeant qu’on lui connait : ses articles attirent à la fois de nombreux fidèles et la colère des gérants de théâtre. Il sera même banni de quelques endroits.

GEORGE BERNARD SHAW ÉTAIT UN MILITANT SOCIALISTE ACTIF, UN VÉGÉTARIEN CONVAINCU ET UN AUTEUR À LA PLUME INCISIVE.

LONDRES À CETTE ÉPOQUE

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UNE IMPLICATION POLITIQUE MARQUANTEEn 1884, George Bernard Shaw se joint à la Fabian Society, un club politique si nouveau qu’il participe presque à sa fondation en écrivant de nombreux pamphlets et essais. Cette société cherche à transformer la Grande-Bretagne en état socialiste à travers l’éducation de masse en créant de nouvelles législations progres-sistes. Il vainc son anxiété et son bégaiement pour s’adresser aux foules lors des rallyes politiques. La Fabian Society existe encore aujourd’hui et a grandement influencé la fondation de la célèbre London School of Economics et du parti travailliste, le principal parti de gauche en Grande-Bretagne.

CARRIÈRE THÉÂTRALEEn 1891, le directeur d’un théâtre privé progressiste l’invite à écrire des pièces de théâtre. Shaw écrira près d’une douzaine de pièces au cours des 12 années suivantes dont Widowers’ Houses, The Philanderer, Mrs Warren’s Profession qui cherchent toutes à renver-ser les conventions théâtrales contemporaines et offrent plutôt des fins non résolues ou créent des attentes qui ne trouveront jamais écho. Ses pièces sont toutefois jouées à l’extérieur, comme à New York. En 1898, Shaw décide de se consacrer à l’écriture de théâtre et abandonne son emploi comme critique. Il quitte la maison de sa mère et épouse Charlotte Payne-Townshend. Ils développe-ront une grande amitié et un grand respect professionnel mais, d’un commun accord, le mariage ne sera pas consommé.

La plupart des pièces de Shaw précédant Pygmalion seront jouées dans un théâtre expérimental se spécialisant dans les drames progressistes. Les royautés issues de ses pièces ainsi que de Pygmalion assurent au dramaturge une grande richesse, ce qui ne l’empêche pas de rester actif au sein de la Fabian Society, du gouvernement civil et de comités dont la mission consiste à mettre fin à la censure au théâtre. La Première Guerre mondiale incite Shaw à rédiger plusieurs essais qui mettent de l’avant l’idée que la guerre représente en quelque sorte la faillite du sys-tème capitaliste. Ses essais, publiés sous le titre Common Sense About the War, ne lui attirent pas la faveur du public, loin de là. Ils consolident plutôt sa position d’exclu de la société – on parle même de l’accuser de trahison. Dans ces circonstances, on com-prend que Shaw n’a pas la tête à produire du théâtre. En effet, une seule de ses pièces majeures, Heartbreak House, sera écrite pendant ces années. Il projette dans cette pièce toute l’amertume et tout le désespoir qu’il ressent vis-à-vis de la politique et de la société britannique.

Après la guerre, Shaw retrouve son inspiration et rédige de nombreuses pièces, dont son autre succès, Saint Joan, en 1923. Il n’en faut pas plus pour qu’on lui accorde le prix Nobel de litté-rature en 1925, notamment pour sa grande capacité à observer et à critiquer la nature humaine, comme à souligner ses vices. Il accepte le prix, mais donne le montant d’argent qui y est associé pour produire une édition anglaise d’un auteur de théâtre sué-dois, August Strindberg, qu’il admire profondément.

Ce n’est qu’après avoir reçu ce prix que Shaw voit finalement ses pièces produites par des théâtres grand public à Londres ainsi qu’aux États-Unis, si bien qu’un festival à son nom est établi à la fin des années 1920 en Angleterre. George Bernard Shaw est désormais une célébrité internationale.

En 1950, à l’âge vénérable de 94 ans, Shaw tombe d’une échelle en essayant de couper un arbre sur sa propriété, près de Londres. Il décède quelques jours plus tard.

GEORGE BERNARD SHAW AVEC DES MEMBRES DE LA FABIAN SOCIETY (INCLUANT CHARLOTTE PAYNE-TOWNSHEND ET SIDNEY WEBB).

CHARLOTTE PAYNE-TOWNSHEND, MILITANTE SOCIALISTE ET ÉPOUSE DE GEORGE BERNARD SHAWCharlotte Payne-Townshend est une riche héritière irlandaise qui se joint à la Fabian Society peu après George Bernard Shaw. Elle en devient, elle aussi, l’une des têtes pensantes. Ses amies la décrivent comme une anarchiste dans l’âme, sans aucune prétention et sans considération pour les conventions sociales. Elle est passionnée par la justice sociale. Elle jouera un rôle-clé dans la fondation de la London School of Economics et donnera généreusement temps et argent jusqu’à son décès.

CHARLOTTE PAYNE-TOWNSHEND

GEORGE BERNARD SHAW AVEC SON OSCAR ET SA MÉDAILLE DU PRIX NOBEL.

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION 11À QUOI RESSEMBLE LE QUÉBEC EN 1938 ?

CONTEXTE HISTORIQUE : UN TERRITOIREMARQUÉ PAR LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE ET LA CRISE BOURSIÈRE DE 1929 Lorsqu’une guerre éclate entre les pays de la Triple-Entente (la France, la Russie et le Royaume-Uni) et ceux de la Triple-Alliance (l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie) en 1914, le Canada, membre de l’Empire britannique, se retrouve immédiatement impliqué.

Les hommes sont alors encouragés à aller au front. La situa-tion entraine une pénurie de travailleurs dans les usines d’arme-ment canadiennes, qui doivent au même moment augmenter leur production afin de répondre aux besoins du Royaume-Uni. Ainsi, des dizaines de milliers de femmes se mettent à travailler à l’extérieur du foyer, tant dans les usines que dans les bureaux. En 1917, du nombre des 300 000 travailleurs embauchés dans la production de guerre, un huitième est composé de femmes. Il s’agit d’une proportion considérable si nous prenons en compte la situation des femmes dans la société de l’époque.

Alors que la guerre s’éternise, les volontaires commencent à se faire plus rares. Le premier ministre canadien, Robert Borden, annonce, en 1917, la conscription (l’enrôlement obligatoire dans l’armée) pour tous les hommes en âge de se battre. Une divergence de mentalité émerge entre les francophones et les anglophones. Alors que les Canadiens français considèrent qu’ils participent déjà suffisamment à la guerre en fournissant les

munitions, les Canadiens anglais s’identifient à la Couronne bri-tannique et défendent la conscription. Malgré les émeutes et les manifestations, la conscription entre en vigueur le 1er janvier 1918. Jusqu’à la dernière bataille à laquelle les troupes canadiennes participeront le 11 novembre 1918, plus de 60 000 soldats cana-diens sacrifieront leur vie sur les champs de bataille en Europe.

La guerre laisse donc derrière elle un pays foncièrement divi-sé, mais le soulagement que sa fin provoque chez tout un chacun entraine les années folles (1920-1929). Cette période suscite une effervescence culturelle et intellectuelle jamais connue aupara-vant, où l’économie roule à plein régime grâce à la production et à la consommation de masse.

Les mœurs se libéralisent alors un tant soit peu. Les jeunes hommes et les jeunes femmes se réunissent dans des night-clubs, où jazz, charleston et cocktails sont à l’honneur. Les femmes acquièrent aussi davantage de droits. En 1903, le mou-vement des suffragettes voit le jour au Royaume-Uni. Ce regrou-pement féminin milite pour le droit de vote des femmes. Ce droit est accordé en 1918 au Canada, en 1919 aux États-Unis et en 1928 en Grande-Bretagne. Au Québec, ce droit ne sera accordé aux femmes qu’en 1940, le clergé catholique exerçant une grande influence conservatrice.

La mode se transforme. Les femmes adoptent le style à la garçonne. Elles marient pantalon, cigarette et cheveux courts à un maquillage prononcé. Les robes de soirée sont toujours popu-laires. Elles sont décorées de paillettes et de plumes et elles sont considérablement plus courtes.

La période effervescente des années folles s’arrête brusque-ment lors de la crise boursière de 1929, qui a lieu à la Bourse de New York, mais dont les répercussions se font sentir partout dans le monde occidental. Au Québec, le taux de chômage augmente rapidement, passant de 7,7 %, à la veille du krach à 26,4 % en 1932. Simultanément, le revenu moyen diminue de 44 %. Cette période sombre et historique s’étendra sur une décennie entière. C’est durant la fin de cette période que se déroule l’intrigue de notre adaptation théâtrale de Pygmalion.

LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE A AMENÉ DES DIZAINES DE MILLIERS DE FEMMES À INTÉGRER LE MARCHÉ DU TRAVAIL AFIN DE FOURNIR LE ROYAUME-UNI EN ARMEMENT.

DES CHÔMEURS FONT LA FILE DEVANT UN REFUGE À MONTRÉAL LORS DE LA CRISE ÉCONOMIQUE DE 1929-1939.

CAMILLIEN HOUDE, SURNOMMÉ « MONSIEUR MONTRÉAL ».

VUE DU MONT-ROYAL, 1938.

DES FIGURES EMBLÉMATIQUES À LA MAIRIE DEMONTRÉAL ET À QUÉBECEn 1937, Camillien Houde et Adhémar Raynault se partagent suc-cessivement la mairie de Montréal. Duplessis est premier ministre du Québec et Mackenzie King, premier ministre du Canada.

CAMILLIEN HOUDE, UN MAIRE MARQUANT

Camillien Houde nait en 1889 dans le quartier Saint-Henri, un héritage qui fera de lui un maire populaire alors que son premier mandat se déroule dans la misère engendrée par le krach bour-sier de 1929 et la crise économique qui s’ensuit. Sous sa garde, la ville distribue des sommes astronomiques aux personnes les plus pauvres, tout en démarrant de vastes projets de construction afin de créer des emplois. C’est à ce moment-là que les chantiers du Jardin botanique, des chalets du Mont-Royal et du Parc Lafon-taine, grands symboles de Montréal, seront mis en branle. Cette compassion pour le peuple lui vaudra la réputation d’être le héros des plus petits et des sans-voix.

En 1940, peu après le début de la Seconde Guerre mondiale, le maire Houde prend fermement position contre la conscription. Cette opposition entraine son arrestation par la police fédérale, et il est détenu sans procès pendant quatre ans. Sa libération, en 1944, signifie un retour triomphal rapide. L’appui populaire est tel qu’il restera maire de Montréal pendant 10 ans sans interruption. On le surnommera « Monsieur Montréal ».

Le règne de Camillien Houde à la mairie de Montréal est interrompu à de brefs moments, soit entre 1936 et 1938, puis pendant son incarcération entre 1940 et 1944. Durant ces deux périodes, c’est Adhémar Raynault qui le remplace. Bien qu’il soit son adversaire, Raynault poursuit tout de même les projets déjà mis en branle, dont l’aménagement du Jardin botanique. C’est aussi durant le premier mandat de Raynault que sera construit le pont Pie-IX et que sera acquise l’île Sainte-Hélène par la ville de Montréal.

DUPLESSIS IMPOSE SA SUPRÉMATIE SUR LE QUÉBECEn parallèle, le Québec est gouverné par Maurice Duplessis de 1936 à 1939, puis de 1944 à 1959.

En août 1936, Maurice Duplessis et l’Union nationale, parti po-litique dont il est le fondateur, remportent une victoire écrasante. Le premier mandat de Duplessis n’est marqué par aucun projet d’envergure. Il met tout de même sur pied un crédit agricole ainsi que des mesures pour porter assistance aux mères nécessiteuses et aux aveugles. En 1939, lors du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il annonce une élection surprise portant sur la participation québécoise à l’effort de guerre. Son gouvernement est alors renversé par l’équipe d’Adélard Godbout du Parti libéral. En 1944, Duplessis est réélu et restera à la tête du gouvernement pendant 15 ans. Sous son gouvernement, l’Église catholique a le beau rôle. Elle est responsable de la santé, de l’éducation et des services sociaux. C’est notamment ce qui fait dire à Lucia Ferretti, dans Brève histoire de l’Église catholique au Québec (1999), que « de la Première Guerre mondiale jusqu’à la Révolution tranquille, l’Église se déploie pleinement comme organisatrice principale de la société québécoise ».

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION12

CONSTRUCTION DES LACS DU JARDIN BOTANIQUE

FEMMES AU TRAVAIL

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION 13

LES FEMMES, MOTEUR DE CHANGEMENT SOCIALL’entre-deux-guerres est une période importante pour les femmes québécoises puisqu’elles occupent de plus en plus de place sur le marché du travail. En 1940, une femme sur quatre exerce un métier. Leur présence accrue dans la sphère publique déplait à plusieurs qui voient ces occupations comme étant in-compatibles avec les rôles traditionnels attribués aux femmes, soit ceux d’épouse et de mère.

Même si la présence féminine s’impose dans le marché du travail, il ne faut pas croire que les femmes soient d’ores et déjà les égales des hommes. En fait, les structures sociales font qu’elles sont constamment poussées à des situations d’infério-rité qui se traduisent par des métiers dits « féminins » (industrie du textile, enseignement, secteur de la santé), par des salaires inférieurs à ceux des hommes (le salaire des femmes constitue environ la moitié de celui des hommes) et par l’embauche prati-quement exclusive de femmes célibataires (les femmes mariées devaient se vouer aux tâches domestiques).

Parallèlement à leur accession au marché du travail, les femmes demandent aussi davantage de droits civils : droit à l’édu-cation postsecondaire, droit de vote et droits juridiques égaux. Elles ont obtenu le droit de vote au fédéral en 1918, mais la ba-taille sur le terrain provincial s’annonce difficile. Les suffragettes, menées par Idola Saint-Jean et Thérèse Casgrain, ne remportent la victoire qu’en 1940. Les femmes autochtones, elles, n’obtien-dront le droit de vote qu’en 1969, en même temps que leurs com-parses masculins.

HENRI BOURASSA, « LE DROIT DE VOTER – LA LUTTE DES SEXES – LAISSERONS-NOUS AVILIR NOS FEMMES ? », LE DEVOIR, 30 MARS 1918. « La principale fonction de la femme est et restera — quoi

que disent et quoi que fassent, ou ne fassent pas, les suffra-gettes — la maternité, la sainte et féconde maternité, qui fait véritablement de la femme l’égale de l’homme et, à maints égards, sa supérieure. Or la maternité exclut forcément les charges trop lourdes — le service militaire, par exemple, — et les fonctions publiques. Si l’on persiste à parler de « droits », de « privilèges », je dirai que la maternité vaut à la femme le « droit » et le « privilège » de n’être ni soldate, ni électrice. »

THÉRÈSE CASGRAIN (1896-1981)

Thérèse Casgrain a marqué la lutte en faveur du droit de vote des femmes au Québec, et a aussi contribué par son engage-ment politique, à d’importantes réformes sociales et juridiques. Elle est la toute première femme de l’histoire canadienne à diriger un parti politique, le Parti social démocratique du Québec, de 1951 à 1957. L’engagement politique de Thérèse Casgrain a mené à plusieurs réformes en matière d’emploi, de soins de santé, d’éducation et de logement.

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION14

DATES IMPORTANTES POUR L’HISTOIREDES FEMMES AU QUÉBEC (PREMIÈRE MOITIÉ DU 20E SIÈCLE)

1902 Marie Lacoste-Gérin-Lajoie publie un ouvrage de vulgarisation des droits civils et constitutionnels des femmes afin de favoriser leur prise de pouvoir.

1903 Irma Levasseur milite avec ferveur pour que le rôle des femmes sur le marché du travail s’étende au-delà des métiers d’enseignante et d’infirmière. Comme elle dé-sire étudier la médecine et que les facultés canadiennes sont alors fermées aux femmes, elle fait ses études aux États-Unis avant de revenir en territoire québécois. Jusqu’en 1903, elle ne peut toutefois pas pratiquer la médecine puisque le Collège des médecins n’admet pas les femmes. Lorsqu’une loi spéciale renverse cette situation, elle devient la toute première femme médecin au Québec et fonde quelques années plus tard, l’Hôpital Sainte-Justine avec sa collègue Justine Lacoste- Beaubien.

1910 Maude Abbott, curatrice du musée de médecine de McGill, obtient un doctorat honoris causa en médecine de McGill, alors que l’université n’accepte pas encore les femmes. Elle devient professeure en 1925 et est ainsi la toute première femme à enseigner la médecine à Montréal.

1911 223 suffragettes sont arrêtées alors qu’elles tentent de s’introduire au Parlement d’Ottawa pour manifester en faveur du droit de vote pour les femmes.

1916 Eva Circé-Côté utilise des pseudonymes masculins pour dénoncer les injustices économiques et sociales que vivent les femmes. Elle revendique un salaire égal pour un travail égal, une idée nouvelle à l’époque, qui provoquera rapidement un scandale.

1918 Les femmes canadiennes obtiennent le droit de vote aux élections fédérales. Un an auparavant, les femmes ayant un lien de parenté avec un militaire avaient déjà obtenu le droit de vote.

1929 Le Conseil privé à Londres s’oppose à une décision de la Cour suprême du Canada et déclare que les femmes sont des « personnes » au sens du droit et qu’elles doivent ainsi avoir les mêmes droits civils que les hommes.

1930 Idola Saint-Jean est la première Québécoise à se présenter lors d’élections fédérales après avoir milité pendant de longues années pour les droits politiques et juridiques des femmes. Professeure de français à McGill, elle baigne dans le monde littéraire et est, par ailleurs, une grande amie d’Émile Nelligan. Ses talents d’oratrice et son énergie rassembleuse ont joué un grand rôle dans la mobilisation des femmes.

1931 Les femmes mariées peuvent dorénavant disposer de leur salaire et de leurs biens. L’incapacité juridique (absence de droits civils) demeure toutefois. L’âge légal du mariage passe de 12 à 14 ans pour les filles.

1936 Laure Gaudreault fonde la Fédération catholique des institutrices rurales, ce qui fait d’elle la première syndica-liste de carrière du Québec. Elle négocie, quatre ans plus tard, un salaire minimum annuel pour les institutrices.

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION 15

UNIVERS MUSICALMUSIQUE CLASSIQUEL’Orchestre symphonique de Montréal est fondé en 1934 sous le nom de Société des concerts symphoniques de Montréal. Wilfrid Pelletier, alors fort impliqué auprès du célèbre Metropolitan Opera à New York, appuie le projet et devient le premier directeur artis-tique de l’orchestre. Bien qu’il se désiste quelques années plus tard pour se consacrer à sa carrière new-yorkaise, il reste gran-dement impliqué dans l’évolution de l’Orchestre, si bien que la salle où l’Orchestre brillera pendant des décennies, portera son nom. L’Orchestre symphonique de Montréal est aujourd’hui dirigé par Kent Nagano.

En 1940, Ethel Stark et Madge Bowen fondent la Symphonie féminine de Montréal, un orchestre symphonique composé uni-quement de musiciennes. Cet orchestre, sous la direction de Stark, sera le tout premier orchestre canadien à se produire au prestigieux Carnegie Hall, à New York. La Symphonie féminine de Montréal met fin à ses activités en 1960.

CHANSON POPULAIRE

Née dans une famille pauvre, sans éducation musicale, Mary Travers Bolduc (La Bolduc) devient du jour au lendemain, la « Reine des chanteurs folkloriques canadiens ». Elle met en pa-roles et en musique la vie des ouvriers canadiens. Dans son plus grand succès, Ça va venir découragez-vous pas, elle décrit avec humour le quotidien des chômeurs en pleine crise économique.

ÇA VA VENIR DÉCOURAGEZ-VOUS PAS, LA BOLDUC (1930, EXTRAIT) Mes amis, je vous assureQue le temps est bien durIl faut pas s’découragerÇa va bien vite commencerDe l’ouvrage, y va en avoirPour tout le monde, cet hiverIl faut bien donner le tempsAu nouveau gouvernement

Ça va v’nir puis ça va v’nir mais décourageons-nous pasMoi, j’ai toujours le cœur gai pis je continue à turluter

En 1936, Alys Robi, alors âgée d’à peine 13 ans, se fait connaitre à travers les concours de chant et devient rapidement la coqueluche du Québec. Elle se produit alors au Monument-National. Elle aura un succès foudroyant pendant la Deuxième Guerre mondiale grâce à son style latino-américain.

UNIVERS LITTÉRAIREÉMILE NELLIGANL’une des premières figures de proue de la littérature canadienne-française est Émile Nelligan, un remarquable poète d’inspira-tion romantique et symboliste. Pendant son adolescence, il se consacre avec ardeur à la poésie et publie son premier poème à 16 ans, Rêve fantasque, sous le pseudonyme d’Émile Kovar. À l’âge de 19 ans, il connait un grand succès alors qu’il récite en public son poème La Romance du vin. Malheureusement, quelques mois plus tard, le 9 août 1899, il est hospitalisé pour troubles psychia-triques. Il le restera jusqu’à sa mort en 1941.

Émile Nelligan explore, à travers la symbolique du langage, le « moi ». Dans ses textes, les thèmes liés à la solitude, à la douleur psychologique, à la folie et à l’échec du destin de l’être humain, sont privilégiés. La poésie de Nelligan évoque ainsi le travail des poètes français Charles Baudelaire, Paul Verlaine et Arthur Rimbaud.

UN UNIVERS CULTUREL EN PLEINE EXPANSION

WILFRID PELLETIER, PÈRE DE LA MUSIQUE CLASSIQUE À MONTRÉAL.

ALYS ROBI, PREMIÈRE STAR INTERNATIONALE QUÉBÉCOISE.LA BOLDUC,

PREMIÈRE CHANSONNIÈRE DU QUÉBEC.

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION16

SOIR D’HIVER, ÉMILE NELLIGAN (1898)Ah ! comme la neige a neigé !Ma vitre est un jardin de givre.Ah ! comme la neige a neigé !Qu’est-ce que le spasme de vivreÀ la douleur que j’ai, que j’ai !

Tous les étangs gisent gelés,Mon âme est noire : Où vis-je ? où vais-je ?Tous ses espoirs gisent gelés :Je suis la nouvelle NorvègeD’où les blonds ciels s’en sont allés.

Pleurez, oiseaux de févrierAu sinistre frisson des choses,Pleurez, oiseaux de février,Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,Aux branches du genévrier.

Ah ! comme la neige a neigé !Ma vitre est un jardin de givre.Ah ! comme la neige a neigé !Qu’est-ce que le spasme de vivreÀ tout l’ennui que j’ai, que j’ai !...

HECTOR DE SAINT-DENYS GARNEAUPas très loin de la figure de Nelligan, un autre jeune poète participe à la fondation de la littérature québécoise. Hector de Saint-Denys Garneau (1912- 1943) publie une plaquette de poèmes en 1937, Re-gards et jeux dans l’espace. Sa poésie est marquée par un dépouillement linguis-tique qui lui donne toute son originalité. Il est lui aussi destiné à une fin tragique : il meurt à 31 ans dans des circonstances énigmatiques.

C’EST LÀ SANS APPUI, HECTOR DE SAINT-DENYS GARNEAU (1937)Je ne suis pas bien du tout assis sur cette chaiseEt mon pire malaise est un fauteuil où l’on resteImmanquablement je m’endors et j’y meurs.Mais laissez-moi traverser le torrent sur les rochesPar bonds quitter cette chose pour celle-làJe trouve l’équilibre impondérable entre les deuxC’est là sans appui que je me repose.

GRATIEN GÉLINASGratien Gélinas est rendu célèbre par son personnage de Fridolin, créé pour la radio en 1938. Fridolin est l’archétype du Canadien français issu du milieu ouvrier populaire. Vêtu d’un chandail du Canadien de Montréal et muni d’un slingshot, il

commente l’actualité avec humour. Les Fridolinades, revues d’actualité présentées au Monument National de 1938 à 1946, rencontrent un grand succès.

Des Fridolinades, Gratien Gélinas tire la matière pour écrire et mettre en scène un drame social : Tit-Coq en 1948.

Cette œuvre dramatique raconte l’histoire d’un orphelin né hors des liens du mariage (un scandale dans la société catholique de l’époque) qui s’éprend d’une jolie jeune fille et s’attache à sa famille. Lorsqu’il revient de la guerre, celle-ci est mariée à un autre homme. Afin qu’ils puissent s’aimer, la jeune femme devrait divorcer – ils auraient ainsi, à leur tour, des enfants illégitimes. Refusant de condamner ses propres enfants à ce destin qu’il ne connait que trop bien, Tit-Coq se résout à vivre en solitaire.

GABRIELLE ROYNée au Manitoba, Gabrielle Roy s’installe à Montréal où elle deviendra une figure importante de la littérature québécoise. Sa première et plus célèbre œuvre, Bonheur d’occasion (1945), est considé-rée comme étant le plus grand roman de la ville. Elle y dénonce les conditions des ouvriers du quartier Saint-Henri au début de la Deuxième Guerre mondiale en dé-

crivant, avec ironie et talent, la perte des illusions d’une famille qui voit en la guerre la délivrance du chômage qui les ronge. Bonheur d’occasion a eu un immense succès critique et populaire, gagnant notamment le prestigieux prix Femina en France. Il sera traduit dans une douzaine de langues.

Gabrielle Roy est l’une des premières écrivaines québécoises à obtenir un succès aussi marqué sur une aussi longue période. Son exploration de la condition humaine se poursuivra avec, notamment, Alexandre Chenevert (1954) et La détresse et l’enchantement (1984), son autobiographie posthume.

ANNE HÉBERTAnne Hébert a, elle aussi, vu ses œuvres publiées sur près d’un demi-siècle. Au contraire de Gabrielle Roy, qui appréciait particulièrement le roman, Hébert a flirté avec tous les genres ou presque, que ce soit le théâtre, la poésie, le roman ou le conte. Elle se distingue par une grande pudeur de la langue, qui crée une division inté-

ressante avec ses thèmes favoris, dont l’exploration des pulsions sexuelles. Ses œuvres les plus connues sont Le Torrent (1945), Kamouraska (1970) et Les Fous de Bassan (1982). Les Fous de Bassan, raconté du point de vue de plusieurs villa-geois, trace le portrait d’une société que le patriarcat et la miso-gynie ambiante détruisent à petit feu.

ÉMILE NELLIGAN EST UN POÈTE DONT L’ŒUVRE EST FONDATRICE DE LA LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE.

L’ŒUVRE D’HECTOR DE SAINT-DENYS GARNEAU EST UNE ŒUVRE PHARE DE LA MODERNITÉ.

GRATIEN GÉLINAS, DANS LES FRIDOLINADES.

GABRIELLE ROY

ANNE HÉBERT

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION 17LA LANGUE FRANÇAISE AU QUÉBECLe français parlé aujourd’hui au Québec est sensiblement dif-férent de celui parlé à Paris. Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas : « l’accent québécois » du 20e siècle est en tout point similaire à celui qu’on entendait dans les hautes sociétés pari-siennes jusqu’au début du 19e siècle !

Le français prend racine en Nouvelle-France lorsque les Français colonisent l’Amérique du Nord à partir du 16e siècle. En France, à cette époque, le français tel qu’on le connait aujourd’hui est très peu usité. Les Français parlent plutôt une trentaine de patois différents, c’est-à-dire des langues spécifiques à chaque région. En France, ces patois étaient regardés de haut par l’élite aristo-cratique et intellectuelle, qui définissait dans le dictionnaire de l’Académie française le patois comme un « langage rustique, grossier comme est celuy d’un païsan, ou du bas peuple » (1694). Les historiens croient que cette « tour de Babel » française a été transportée en Nouvelle-France lorsque les colons s’y sont installés, en particulier les patois provenant de Normandie, de Picardie, de Saintonge, d’Aunis et de Poitou. La langue officielle est toutefois le français, qui est utilisé pour l’administration civile et religieuse de la colonie. Les Filles du roi, de jeunes femmes orphelines éduquées et dotées par le pouvoir royal puis envoyées en Nouvelle-France pour qu’elles y fondent une famille, parlent toutefois un français impeccable. Cela signe l’arrêt de mort des patois sur ce territoire et favorise l’étendue du français chez tous les colons. Par ailleurs, les Français en visite sur notre territoire soulignent la qualité de la langue. Voici un exemple de ce qu’on pouvait entendre, autant chez les gens du peuple que chez l’élite : « La couvarte de la barline éta trop légearte pour aller à Montrial. On a resté cheu nous. »

Lorsque les autorités britanniques prennent possession du territoire en 1760, l’élite française quitte les lieux pour la France. Comme les Français, ou Canadiens français, qui restent ont, pour la plupart, peu de moyens, le niveau de scolarité est très bas, ce qui explique l’analphabétisme de la majorité de la population. C’est cette coupure des liens entre la France et la Nouvelle-France qui a fait en sorte que le français parlé dans ces deux régions, en matière de lexique et de prononciation, a évolué si différemment : en Nouvelle-France (au Canada), il est resté sensiblement le même jusqu’à l’époque moderne, alors qu’il s’est grandement modifié en France. En effet, la Révolution française (1789) suit de peu la prise de possession du Canada par la Grande-Bretagne. La turbulence politique et le triomphe de la bourgeoisie sur l’aristocratie sont soutenus par une transition vers le français contemporain. La langue est maintenant affaire d’État et doit refléter une République « unie et indivisible ». Dans ce contexte, les multiples patois, que l’on décrit comme des « idiomes grossiers qui ne peuvent plus servir que les fanatiques et les contre-révolutionnaires » (Bertrand Babère, 1794), ne sont plus tolérés. Des décrets rigoureux sont mis en place afin de favoriser l’enseignement du français et de pourchasser les patois locaux. Cette « terreur linguistique », ne tenant pas compte des implications pratiques dans les villages et les écoles, ne réussit pas à détruire la « tour de Babel » qu’est la France, mais contribue sensiblement à sa chute.

AU QUÉBEC, LE JOUALCoupé de la mère patrie, le Québec n’est d’abord pas témoin de ces changements linguistiques. Avec le temps, une élite cana-dienne se forme et celle-ci entre de plus en plus en contact avec Paris, ce qui lui fait réaliser que son accent est maintenant vieilli et fait sourciller l’élite française. Dire « França » pour Français, « mouchouér » pour mouchoir et « accrére » pour accroire, ceci diffère de la norme établie en France, à cette époque. En 1841, l’abbé Thomas Maguire publie un manuel de français et milite pour une nouvelle prononciation, dite « soignée », dans le discours public. Le nouvel accent implique une tension forte des organes de la parole, une articulation ferme de toutes les syllabes et de tous les sons du mot ainsi qu’une variation tonale expressive.

« Nulle part ailleurs on ne parle plus purement notre Langue. On ne remarque même ici aucun accent.

– PIERRE-FRANÇOIS-XAVIER DE CHARLEVOIX, 1720

« J’ai observé que les paysans canadiens parlent très bien le français.

– MARQUIS DE MONTCALM, 1756

EXEMPLES DES SIMILITUDES DANS LES SONS | LE TIMBRE DE CERTAINS SONS EST LE MÊME DES DEUX CÔTÉS DE L’OCÉAN :

Le (è) qui devient (é)… pére au lieu de père

Le (ch) qui devient (j)… ajeter au lieu d’acheter

Le (ui) qui devient (u)… cusine au lieu de cuisine

Le (oi) qui devient (è) ou (ouè) ou (oué)… étroite/étroète/étréte

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION18

Entre 1841 et 1960, les sphères publiques et privées s’expri-ment dans un français différent. Le discours public, présent dans les collèges, au théâtre, à la radio et à la télévision, utilise un fran-çais dit « soigné », alors qu’en privé, les normes traditionnelles sont conservées. Toutefois, vers 1960, la norme soignée gagne du terrain dans les deux sphères, et on donne au français typique-ment canadien-français, toujours présent dans le milieu ouvrier, l’appellation de joual. Ce dernier est aussi marqué par quelques anglicismes, emprunts des ouvriers au lexique de leurs patrons, souvent unilingues anglophones.

Si le terme « joual » peut être péjoratif, il a aussi été revendiqué par de grandes figures littéraires et culturelles lors de la Révolu-tion tranquille. Les auteurs de théâtre, étant préoccupés par le souci de réalisme social de leurs pièces, sont tout particulière-ment ouverts à rédiger leurs pièces dans un français populaire. Michel Tremblay, par exemple, met en scène la pièce culte Les belles-sœurs (1968), toute première pièce de théâtre à employer le joual.

ON PARLE « JOUAL » !Au Québec, le joual a, à un certain moment, pris une grande place dans le monde culturel. Par exemple, Robert Charlebois l’a chanté dans ses chansons et Yvon Deschamps l’a exprimé dans ses monologues. Plusieurs auteurs québécois ont transporté le joual sur la scène. Il y a bien sûr eu Michel Tremblay mais aussi Roch Carrier, Michel Garneau et Jean-Claude Germain.

Voici quelques extraits de Mamours et Conjugat de Jean-Claude Germain, et de Pygmalion. Amusez-vous à les lire à voix haute… . ce n’est pas si facile de lire du « joual », vous verrez :

DALILAÇa doué pas être ça ! Cé ça ! Ça fait djà anne smaine qulé poules sroulent dans Isabbe, qulé-z-oiseaux volent bas, qulé dindes sont juquées sus é toits, qulé chats pis é chiens mangent du chiendent pis qulé cochons spromènent avec un bàton dans la yueule ! Avec toute ça, y a sûrement quette chose qui sbrasse dans l’air !

DALILAYé pas manchotte pour sonner é cloches mais yé-t-in peu trop fluette dla glotte pour épeurer é marmottes pis é fifollettes ! St’in peu normal, rmarque yévnu au monde de peûr ! Quand sa mère le portrait, a s’est rtrouvée fasse-à-fasse avec un oursse dans porte du caveau ! Pis a l’a mis bas, drette là, dans un carré drutabagas! St’encore beau, après ça, qu’y ait pus lréchapper pour en faire un curé !

ALFRED LAVIOLETTEVoyons, j’vous d’mande de que cé que chus ? Chus in pauve qui doué rester pauve ? Comme toué chômeurs Canayens-França ? J’ai pas a chance de travailler dans anne indistrie du papier ou d’aluminium ou bedon dans anne mine pour être riche. J’ai besoin de m’amuser in brin parce que chus in gars qui pense. Voyons, qué-cé que cé la morale de la « classe bourgeoise » ? Simplement anne excuse pour jama rien donné aux pauves ? Allez-vous profiter d’la bonne nature d’in homme pour y voler sa fille, qu’y a élevée, nourrie et habillée à sueur de son front ? Dix piasses, c’est-y pas raisonnable ?

ALFRED LAVIOLETTEAh ben, j’ara jama cru qu’anne fois nèttèyée, a l’ara été aussi jolie. A fa honneur à son pére !

ÉLISAJ’te dis que c’est facile de s’nèttèyer icitte. De l’eau chaude, de l’eau frèt, tant qu’tu veux. Pis des grosses sarviettes épaisses de même. Pis des brosses douces pour s’frotter, pis plein de savon qui sent pareil comme la lavande. J’sais maintenant pourquoé les dames riches y sont si propres ! S’laver, c’est l’fun.

QUIZ Les phrases qui suivent sont écrites en « joual ». Prenez le temps de transposer les phrases dans un registre soutenu.

• Attâtion, n’ajimbe pas le bin, tu vas timber.

• Y a coulorié son dissin ave son créion nouère écléré ave un boutte de ciarge.

• Asteur, le siau de creume est milleur depuis que la cheuvre broutte de l’harbe et du treufle.

• À médi, le menusier a pas dégèré la nourréture emprêté à son infint.

• Tu as nettèyé la clouéson, c’est pas créiable.

eÉTÉ

Réponse du Quiz à la page 23

DANS LES DEUX RÉGIONS, ON LAISSE TOMBER DES CONSONNES DANS LES MOTS.

PRONONCIATION CORRECTE PRONONCIATION DIFFÉRENTE

Leur Leu

Fenêtre Fenète

Il Y

Neuf Neu

Sur la Su a

PLUSIEURS MOTS SONT PRONONCÉS DE LA MÈME MANIÈRE EN FRANCE ET AU QUÉBEC. LA LISTE EST LONGUE MAIS VOICI QUELQUES EXEMPLES :

Dépleumer (déplumer), corosse (carosse), frèt (froid), espécial (spécial), espatule (spatule), fatiquer (fatiguer)

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION 19Pour arriver à modifier sa façon de parler, Élisa suit des cours de diction avec le professeur Higgins. Voici quelques exemples bien connus d’exercices de diction… . vous essayez ? Attention de PRO-NON-CER chaque syllabe !

• Les chemises de l’archiduchesse sont-elles sèches ou archi sèches, chère archiduchesse.

• Petitpot de beurre, quand te dépetipotdebeurreriseras-tu ? Je me dépetipotdebeurreriserai quand tous les petitspots de beurre, se seront dépetitpotdebeurreriserés. Donc, petitpot de beurre, ne se dépetitpotdebeurrerisera jamais.

• Il a tant plu qu’on ne sait plus dans quel pays il a le plus plu, mais au surplus, ça m’eût plus plu, s’il eut moins plu.

• Ton thé t’a-t-il ôté ta toux tenace tante Thérèse ?

L’ADAPTATION DE PYGMALION MET EN RELIEF LES DIFFÉRENTS REGISTRES DE LANGUE PARLÉS AU QUÉBEC EN 1938.Au tout début de la pièce, Élisa s’exprime dans un français typiquement joual : « J’veux z’être damoiselle dans in maga-sin d’fleurisse, au lieu d’vend des fleurs dans’rue. Mais on veut pas m’prendre si j’parle pas plusse mieux. Y a dit qu’y pourra m’apprendre. J’demande pas d’faveur, pis y m’traite comme si j’éta d’la crotte. »

Puis, après deux mois de formation linguistique, son vocabulaire s’élargit et ses « erreurs » de grammaire se font plus rares. Cela dit, on remarque toujours des expressions familières et des traits de prononciation tenant du joual : « Voir si une femme de cette force-là s’en irait mourir de la grippe ? Et qu’est-cé qu’est devenu son chapeau de paille neu qui aura dû me r’venir ? »

« Pourquoa a s’rait-elle morte de la grippe ? L’année d’avant, a s’était réchappée du cholérâ. Jel l’ai vue, de mes propres yeux vus. Elle en était toute bleue. Toute le monde croya qu’a l’était morte. Mais mon pére, pour lui sauver la vie, y a pas arrêté d’y verser du gros gin dans le fond du gor-goton, jusqu’à tant qu’a revienne à elle d’un coup sec, après avoir cassé le bout de la bouteille avec ses dents. Est-ce que j’ai dit queque chose que je n’ara pas dû dire ? »

Au bout de cinq mois de formation, Élisa s’exprime dans un français dit soigné. Toutes les traces d’un français plus populaire sont disparues :

ÉLISA (Hors d’elle-même)J’ai gagné votre pari pour vous ! Ça vous suffit. Et moi, je ne vaux rien !

HIGGINSVous avez gagné mon pari ? Prétentieuse ! C’est moi qui l’ai gagné.

ÉLISA (En colère)Je voudrais vous défigurer, espèce de brute égoïste. Pourquoi ne pas m’avoir laissée où vous m’avez trouvée… dans la rue ? Vous remerciez Dieu que tout soit enfin fini et bien fini. Mais moi, qu’est-ce que je vais devenir ?

ÉLISA (Avec émotion et force)Oh, vous êtes cruel. Je ne peux pas vous parler : vous retournez tout contre moi. J’ai toujours tort. Vous le savez que je ne pourrais pas supporter de vivre avec un homme grossier et vulgaire; et c’est méchant de votre part de m’insulter en affirmant que je le pourrais. Ne soyez pas trop certain de me tenir sous vos pieds et de pouvoir me piétiner et me réduire au silence. J’épouserai un homme bon, vous pouvez me croire.

ÉLISA (Dit d’un air moqueur)Vous ne pouvez pas m’enlever les connaissances que vous m’avez données. Vous avez dit que j’avais l’oreille plus fine que la vôtre. Et moi, je peux être polie et aimable avec les gens, ce dont vous êtes incapable.

LE FRANÇAIS QUÉBÉCOIS MODERNELe français employé aujourd’hui à la radio de Radio-Canada, par exemple, n’a rien du joual, mais un francophone d’ailleurs le reconnaitrait tout de même comme québécois. Qu’est-ce qui distingue ce français québécois moderne ? D’abord, on note l’uti-lisation d’expressions typiquement québécoises (québécismes), l’emploi courant des suffixes –age et –eux (niaisage, niaiseux, par exemple), le recours au –tu interrogatif (on va-tu là ?) et les diffé-rences de prononciation. Par exemple, le /t/ et le /d/ subissent une affrication (tulipe est prononcé tsulipe ; lundi est prononcé lundzi).

PARTICULARITÉS LEXICALES DU FRANÇAIS QUÉBÉCOIS MODERNE*

AmérindianismesLe français au Canada a toujours côtoyé les langues amérin-diennes et a fait plusieurs emprunts, surtout aux langues de la famille algonquienne. Plusieurs mots d’origine amérindienne et dont la prononciation a été francisée font donc désormais partie du vocabulaire (tout particulièrement en lien avec la faune et la flore) des Québécois : achigan, caribou, ouaouaron.

Québécismes (ou canadianismes)Parce qu’ils désignent une réalité typiquement québécoise ou parce qu’ils y ont été créés dans leur forme ou leur sens, les québécismes ne sont employés qu’ici et dans le reste du Canada francophone : motoneige, pourvoirie, dépanneur, espa-drille, doré (poisson).

ArchaïsmesUn archaïsme désigne une expression autrefois employée dans le français standard mais ayant été délaissée par les diction-naires modernes. Les termes « bâtisse », « blé d’Inde », « che-vreuil », « cordon », « prélart », « serrer (un objet) » et « piastre » sont donc désignés de la mention « vieilli » dans les diction-naires rédigés en France. Il y a aussi des archaïsmes de pronon-ciation, comme lorsque l’on prononce « froid » comme « frette » ou « ici » comme « icitte ». Les archaïsmes, contrairement aux amérindianismes et aux québécismes, sont souvent associés à la langue populaire.

Réponse du Quiz à la page 23 * Veuillez noter que ces particularités sont discutables et visent à donner un survol sur la matière.

ÉLISA

Élizabeth

DUPERRÉ

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION20

COMÉDIENS

Célibataire imbu de lui-même, égoïste et condescendant, il est obsédé par la perfection. Son travail passe avant sa vie personnelle. Incapable de gérer ses émotions, il explose de manière exagérée et manifeste ses sentiments dans la colère, le sarcasme et l’exigence. Il est dérangeant, mais malgré tout, on ne peut le détester. Fils d’un Anglais riche et autoritaire, mort depuis quelques années, il a hérité d’une grosse fortune administrée avec aplomb par sa mère, une Canadienne française. Il a reçu la meilleure éducation, ne fréquente pas les boites de nuit, ne cherche ni l’amour ni à bâtir une famille. Il se tient dans les salons bourgeois afin d’étendre son savoir et de briller au sommet de son art.

HIGGINS

MADAME HIGGINS

COLONEL LE BERRE

Pauvre fille sans avenir qui vit dans la rue, elle se bat pour survivre. Elle défend ses biens et ses idées; c’est une force de la nature. Intelligente, sensible, pleine d’humour et extravertie, elle fonce dans le milieu bourgeois avec un aveuglement naïf. Elle désire changer de vie et elle en prend les moyens. Elle est maladroite, mais c’est avec une détermination désar-mante et tout en son honneur qu’elle affronte son destin. Sa mère est morte, son père l’a abandonnée, elle vit dans le Faubourg à m’lasse, un quartier défavorisé en dessous du pont Jacques-Cartier. Elle sait à peine lire et écrire, mais fait preuve d’une force insoupçonnable et d’une répartie facile.

Homme haut gradé de l’Armée française ayant beaucoup tra-vaillé au Canada, il réside maintenant à Québec. Sans famille et sans enfant, il est un parfait solitaire retraité à la recherche d’expériences extraordinaires que la vie lui réserve. Il porte un regard critique sur les manières d’agir de son ami, le pro-fesseur Higgins. Il n’est pas toujours d’accord avec lui, mais le respect et l’amitié entre les deux hommes forgent leur relation. Il adopte Élisa comme si elle était sa fille. Au terme d’une longue carrière, il se consacre aux voyages et aux langues indiennes. Il réalise un grand projet en sortant Élisa de la rue et en veillant sur elle.

Veuve d’un riche Anglais qui gérait quelques manufactures et industries du textile à Montréal au début du 20e siècle. Femme joyeuse, forte et engagée dans les causes huma-nitaires, ses amies auraient pu être Idola Saint-Jean ou Thérèse Casgrain. Elle a mis sur pied une fondation qui vient en aide aux plus démunis. Elle aime voyager, se culti-ver et gère les finances de son défunt mari. Elle supporte les humeurs, les crises enfantines et dérisoires de son fils Henri, âgé de 47 ans, sans avoir réussi à lui trouver une épouse… sa grande désolation.

Jean-François

BEAUPRÉ

Christine

LAMER

Pierre

CHAGNON

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION 21

MADAME CHAMBERLAIN

ALFRED LAVIOLETTE

CLAIRE

Gouvernante des Higgins et nounou d’Henri, elle l’a bercé, nourri et cajolé. Si elle peut endurer ses humeurs, c’est grâce à son amour infini pour ce fils qu’elle n’a jamais eu. Patiente mais ferme, consciente mais influençable, Mme Barrault se laisse envahir par Henri sur qui elle n’a aucun contrôle. Toutefois, l’arrivée d’Élisa change son opinion sur Henri. Elle craint qu’il puisse commettre l’irréparable. Discrètement, elle surveillera l’évolution de la relation entre Élisa et Henri.

Fille déchue qui vit dans le déni de la situation financière de sa famille. Elle ne veut pas accepter l’appauvrissement de sa famille donc, elle vit dans le « paraitre » et le monde arti- ficiel qu’elle s’est créé. Elle a reçu une bonne éducation mais, voulant à tout prix se faire remarquer, elle est prête à tout pour accéder aux gens riches et célèbres. La vie de famille et l’amour ne sont pas au centre de ses préoccupations.

Veuve anciennement riche, fausse bourgeoise et parvenue, elle peine à subvenir aux besoins de sa fille Claire. Elle doit continuer à visiter les salons bourgeois afin de créer de nouvelles amitiés dans l’espérance de recevoir le soutien des fondations dont celle de Mme Higgins. Elle représente la classe moyenne en difficulté qui se fait accroire qu’elle a l’éducation et la prestance nécessaires pour vivre dans le grand monde. Certaines classes sociales et surtout, les reli-gieux de cette époque, roulaient les « r ». Vous remarquerez que le personnage de Mme Chamberlain roule ses « r ».

Père d’Élisa, éboueur de métier, homme franc, direct et pos-sédant un humour déconcertant. Il est issu d’une famille pauvre et est heureux de sa condition misérable. L’argent ne fait pas le bonheur, mais il a le culot de ces hommes qui sont prêts à vendre leur enfant pour faire une piastre. L’affection familiale n’est ni une corde sensible ni une priorité. C’est chacun pour soi. Il possède une telle façon d’argumenter et de convaincre qu’il pourrait « vendre un réfrigérateur à un Esquimau ». Sa grande éloquence lui permet d’affronter un intellectuel comme Henri Higgins.

MADAME BARRAULT

Élisabeth

CHOUVALIDZÉ

Carmen

SYLVESTRE

Marc-André

COALLIER

Maryève

ALARY

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION22

LE PYGMALION : THÈMES, VALEURS, PISTES DE RÉFLEXION

LANGUE ET STATUT SOCIALAvec Pygmalion, George Bernard Shaw suggère que ce qui dis-tingue principalement les classes sociales, ce sont la prononcia-tion, le vocabulaire et l’accent.

PISTES DE RÉFLEXION

• De quelle façon le personnage d’Élisa évolue-t-il et comment cette évolution est-elle symbolisée à travers les changements d’ordre linguistique ?

• Existe-t-il réellement une façon « correcte » de par-ler une langue ? Quelles classes sociales ont le privi-lège et le pouvoir de déclarer qu’une certaine forme linguistique est préférable à une autre ? De quelles façons ? Qui bénéficie de cette situation ?

• Juge-t-on encore aujourd’hui les gens selon leurs expressions linguistiques, leur maitrise écrite de la langue et leur accent ? Si oui, de quelle façon ?

• De quelle manière les idées mises de l’avant dans Pygmalion résonnent-elles avec les idées politiques de George Bernard Shaw ?

• Pour Élisa, quel est le prix à payer pour monter dans les classes sociales ? Est-elle aussi indépendante et libre lorsqu’elle habite avec Higgins qu’au tout début de la pièce ? Et à la toute fin de la pièce ?

CRÉATEUR & CRÉATURELa pièce est inspirée d’un célèbre mythe dans lequel un artiste sculpte son épouse idéale. De la même façon, Higgins et le Colo-nel Le Berre cherchent à modeler Élisa afin qu’elle corresponde à l’idée qu’ils se font d’une « véritable dame ».

PISTES DE RÉFLEXION

• Quelles sont les similitudes et les différences entre le mythe de Pygmalion et la pièce Pygmalion ?

• Qu’est-ce que suggère le rapport de force entre le créateur et la créature ? La créature peut-elle se libérer de l’emprise de son créateur ? Selon vous, pourquoi la littérature met-elle si souvent de l’avant ce mythe ? Pour nourrir votre réflexion, vous pouvez vous intéresser aux cas d’Adam et Ève et à celui de Frankenstein.

• Comment George Bernard Shaw renverse-t-il ce rapport de force ?

• Higgins traite-t-il Élisa comme un être humain ou comme un objet ?

• Pourquoi est-il si important pour George Bernard Shaw qu’il n’y ait aucun lien romantique entre Higgins et Élisa ? Comment cela changerait-il le sens et le message de la pièce ?

« Shaw croit avoir écrit une pièce qui porte, entre autres, sur une jeune femme qui s’émancipe finalement de la domination de son mentor masculin. Selon lui, ce n’était pas une pièce sur un amour qui nait entre un maitre et son élève, mais plutôt sur la lutte de l’élève pour retrouver son identité et son indépendance.

– A. M. GIBBS

CAHIER-THÉÂTRE LA COMÉDIE HUMAINE | PYGMALION 23L’EFFET PYGMALIONEn 1964, un chercheur annonce à une enseignante au primaire que certains élèves de sa classe ont un potentiel académique plus grand que les autres. C’est un mensonge – ces élèves promet-teurs ont été désignés au hasard. Malgré tout, un an plus tard, ces élèves sont effectivement les plus talentueux de la classe. Que s’est-il passé ? Ce n’était pas qu’un coup de chance : le simple fait de croire que certains élèves avaient un grand potentiel a modifié l’attitude de l’enseignante envers eux. « Si on s’attend à certains comportements de certaines personnes, on traite ces personnes différemment – et ce traitement affecte leurs com-portements », explique Robert Rosenthal, le chercheur qui est à l’origine de l’étude.

PISTES DE RÉFLEXION

• Selon vous, pourquoi a-t-on donné à ce phénomène le nom d’effet Pygmalion ? De quelle façon cela s’ap-plique-t-il à Élisa ? Et à Higgins ?

• Quelle importance prennent les fortes attentes envers Élisa dans sa montée fulgurante ? Comment cela a-t-il pu nourrir sa persévérance ?

LE BONHEUR ET LA PRISE EN MAIN DE SON DESTINUn œil inattentif pourrait croire qu’Higgins est responsable de l’évolution d’Élisa. En fait, selon George Bernard Shaw, il n’en est rien. Shaw croyait qu’Élisa était maitresse de son destin et que sa capacité à grandir et à devenir plus mature était largement supérieure à celle d’Higgins.

PISTES DE RÉFLEXION

• De quelles façons Élisa prend-elle directement en main son destin ? De quelle nature est son évolution la plus importante ?

• Selon vous, qui d’Élisa ou d’Higgins est le person-nage le plus complexe ? Higgins serait-il capable de la même transformation qu’a connue Élisa ?

• Dans l’un des encadrés, on trouve une citation de George Bernard Shaw sur son interprétation de la fin. Que veut-il dire par « rechute » et par « triomphe » ? Quel moment, dans la pièce, peut être relié précisé-ment à l’émancipation d’Élisa ?

LA PERTINENCE AUJOURD’HUIÀ partir des réflexions et des discussions qui ont été soulevées par ces questions, essayez d’identifier quelques points qui font que Pygmalion est toujours actuel. Comment la pièce évoque-t-elle votre propre expérience ou celle de vos amis ? Si vous trouvez que la pièce ne soulève pas d’enjeux contemporains, comment l’expliquez-vous ? Que modifieriez-vous à la pièce pour qu’elle vous semble plus actuelle ?

DIVERS• Il y a le Festival George Bernard Shaw à Niagara-on-

the-Lake, Ontario, depuis 1962. Christine Lamer l’a visité.

• La Milliardaire, comédie satirique de Shaw, écrite en 1935, en quatre actes, se déroule dans la haute société et les bas-fonds de Londres dans les années 30.

• Il existe un musée et un Irish Pub au nom de Shaw en Irlande et des expositions sur lui à travers le monde.

• Végétarien pendant la plus grande partie de sa vie, Shaw s’est également battu contre la vivisection et les jeux cruels envers les animaux.

• Passionné par la politique, Shaw s’inspire des idées de Karl Marx et devient socialiste en 1882.

• Le dramaturge George Bernard Shaw envoya un télé-gramme à Winston Churchill pour la première d’une de ses pièces : «Vous ai réservé deux places pour la première. Amenez un ami, si vous en avez un. » Réplique télégraphique du Vieux Lion : « Présence impossible pour la première. Viendrai à la deuxième, s’il y en a une. » Winston Churchill

« La pièce Pygmalion de Shaw, une parodie de la romance, refuse délibérément à son audience le désir d’une fin romantique heureuse dans laquelle Higgins serait réuni avec sa « création ». Une telle fin serait en contradiction avec la logique de Shaw dans Pygmalion, principalement parce que son Élisa dépasse le rôle auquel est confinée Galatée dans le mythe.

– LISA S. STARKS

« Lorsqu’Élisa s’émancipe – lorsque Galatée prend vie – elle ne doit pas rechuter. Elle doit conserver sa fierté et triompher jusqu’à la toute fin.

– GEORGE BERNARD SHAW

CORRIGÉ du Quiz à la page 18Attention, n’enjambe pas le bain, tu vas tomber.Il a colorié son dessin avec son crayon noir éclairé avec un bout de cierge.À cette heure, le seau de crème est meilleur depuis que la chèvre broute de l’herbe et du trèfle.À midi, le menuisier n’a pas digéré la nourriture empruntée à son enfant.Tu as nettoyé la cloison, ce n’est pas croyable.

Les longues heures. Les muscles endoloris. Le trac de la première. La réalisation des moments qui comptent exige beaucoup plus que le simple talent.

® / MC Marque(s) de commerce de la Banque Royale du Canada. VPS96490 39787A (03/2015)

Par leurs efforts, leur détermination et leur vision, les artistes démontrent l’importance

d’avoir – et de réaliser – un moment qui compte. Avec des productions comme LA COMÉDIE

HUMAINE, le théâtre de répertoire accessible à tous, nous appuyons des artistes canadiens

de divers domaines partout au pays par l’intermédiaire du projet Artistes émergents RBC.

Réalisons les moments qui comptent pour vous.MC

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