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Mémoire de DEA, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2004-2005
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Uni versité Paris 1 Panthéon - Sorbonne
UFR Science politique
DEA Etudes Africaines (option science politique)
Réforme de l'action publique et transformations politiques à Ouagadougou:
Organiser la gestion des déchets pour amener le développement.
par
Simon MAS
Année universitaire 2004-2005
Directeurs de recherche MM. Richard Banégas et Yves Viltard
"L'université n'entend donner aucune approbation ou improbation aux
opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur".
2
Résumé
La politique de gestion des déchets à Ouagadougou constitue un exemple type de politique de développement à l'interface du global, du national et du local. Les acteurs de la communauté du développement y exercent une influence prépondérante et affichent leur volonté d'impulser le changement. Leur intervention est guidée par un ensemble de discours et de pratiques assimilés à la "bonne gouvernance" et qui prennent leur cohérence dans ce que nous appelons le dispositif de l'aide internationale. L'appui à la politique de gestion des déchets vise le "développement", et donc certains changements sociaux, politiques et économiques. Or, nous remarquons que des changements découlent bien de l'aide internationale, mais qu'ils se produisent selon des schémas éloignés de ceux qui justifient l'effort de développement. Il est alors nécessaire d'étudier comment se produit le changement au Burkina Faso et quel type de lien il entretient avec l'aide internationale au développement. Nous analysons d'abord les normes et les valeurs qui préludent à l'organisation de la gestion des déchets. Ensuite, nous montrons comment elles sont reçues par les acteurs locaux, et nous avançons l'idée que la réforme défendue par les bailleurs de fonds est l'otage de rapports économiques et politiques locaux. Enfin, nous évaluons l'étendue des transformations politiques induites et visibles lors de la réforme de cette politique publique. Notre thèse est alors que l'aide au développement est un facteur majeur qui contribue à la structuration de nouveaux rapports politiques à Ouagadougou, mais que le changement est de nature largement plus complexe et ambivalente que le laissent à penser les discours communément avancés par les acteurs qui forment la communauté du développement.
3
Dans le quartier de Boulmiougou, cette
décharge non contrôlée fait partie du paysage. Les habitants l'appellent "le grand trou", et chacun y dépose ses déchets, en personne ou par l'intermédiaire de groupements de collecte. Des habitants du quartier la traversent en permanence, on aperçoit aussi au centre deux enfants à la recherche de déchets à "recycler".
4
Remerciements
L'auteur tient à adresser ses remerciements les plus sincères à tous ceux qui ont contribué – de près ou de loin – à l'avancée de sa réflexion. Ils vont en tout premier lieu aux ouagalais et notamment à Issaka Kabore, Wendpouire Kalenzaga, Marcelline Salya et Omar Ilboudo. Que soient aussi remerciés les deux co-directeurs de ce mémoire, MM. Richard Banégas et Yves Viltard, pour leurs nombreux commentaires tout au long de ce travail.
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6
Sommaire
RÉSUMÉ ................................................................................................................................................................ 4
REMERCIEMENTS ............................................................................................................................................. 6
SOMMAIRE ........................................................................................................................................................... 7
INTRODUCTION ................................................................................................................................................ 10
Le développement comme impulsion du changement ................................................................................... 12 La bonne gouvernance pour réformer l'action publique .............................................................................. 15 Gestion des déchets et transformations politiques ....................................................................................... 18 La démarche ................................................................................................................................................. 21 L'argument .................................................................................................................................................... 24
PREMIÈRE PARTIE LA GESTION DES DÉCHETS : L'ANCRAGE D'UNE RÉFORME DANS LE DISPOSITIF DE L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT. .................................................................................................................................... 27
CHAPITRE 1: LA RÉFORME DANS LE CONTEXTE DES CONDITIONNALITÉS EXTÉRIEURES. ................................... 28 L'ajustement structurel et la lutte contre la pauvreté ................................................................................... 29 L'application du discours des bailleurs de fonds. ........................................................................................ 32 Revoir le rôle de l'Etat. ................................................................................................................................ 34
CHAPITRE 2: RÉORGANISER LA GESTION DES DÉCHETS. .................................................................................... 36 L'organisation du secteur ............................................................................................................................. 37 Le rôle des différents acteurs ........................................................................................................................ 41 Une politique publique atypique .................................................................................................................. 44
SECONDE PARTIE LES ACTEURS LOCAUX FACE À LA NOUVELLE GESTION DES DÉCHETS. .................................... 48
CHAPITRE 3: LES ACTEURS PRIVÉS ET LEURS LOGIQUES D'ACTION. ................................................................... 50 Les entreprises et les associations ................................................................................................................ 51 L'attitude des ménages .................................................................................................................................. 54 Entreprises, associations et citadins face aux pouvoirs publics ................................................................... 57
CHAPITRE 4: L'ETAT, UN ACTEUR COMME LES AUTRES ? ................................................................................... 60 Dépolitisation et repolitisation de la gestion des déchets ............................................................................ 61 Détournement et contournement d'une réforme de politique publique ......................................................... 64 La dialectique de l'éducation et de la répression. ........................................................................................ 67
TROISIÈME PARTIE FINALEMENT QU'EST-CE QUI CHANGE ? L'ORDRE POLITIQUE ENTRE RUPTURES ET CONTINUITÉS. ................................................................................................................................................... 70
L'historicité des politiques urbaines ............................................................................................................. 72 La collusion entre les politiques de développement des bailleurs et celles de l'Etat. ................................... 75 La constitution d'un nouveau bloc historique ............................................................................................... 78 Espace public physique, espace public politique. ........................................................................................ 82 Les économies morales de la gestion des déchets. ...................................................................................... 84 Réflexions sur une citoyenneté émergente .................................................................................................... 87
CONCLUSION..................................................................................................................................................... 91
Retour sur une démarche et ses apports ....................................................................................................... 92 Limites de l'entreprise et nouvelles perspectives de recherche .................................................................... 95
BIBLIOGRAPHIE THÉMATIQUE .................................................................................................................. 99
ANNEXES .......................................................................................................................................................... 112
Liste des annexes
ANNEXE 1 LES INNOVATIONS APPORTÉES PAR LES DOCUMENTS STRATÉGIQUES DE RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ. ............................................................................................................................................... 113
ANNEXE 2 UNE GRILLE DE LECTURE DES NOUVELLES STRATÉGIES DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ. ...................................................................................................................................................... 114
ANNEXE 3 PROGRAMME DU SÉMINAIRE DE FORMATION DES ACTEURS DE LA PRÉ-COLLECTE DES DÉCHETS QUI S'EST TENU À OUAGADOUGOU DU 11 AU 21 AVRIL 2005. ...................................... 115
ANNEXE 4 ANNEXES TIRÉS DU RAPPORT FINAL DU SDGD DE OUAGADOUGOU. ......................................... 116
- REPRÉSENTATION GRAPHIQUE DE LA FILIÈRE................................................................................................. 116 - COMPÉTENCES, OBLIGATIONS ET COMPÉTENCES SPÉCIFIQUES DES COMMUNES EN CE QUI CONCERNE LA COLLECTE ET LE TRAITEMENT DES DÉCHETS URBAINS. .................................................................................... 119
ANNEXE 5 RÉCÉPISSÉ RECONNAISSANT L'EXISTENCE OFFICIELLE DE L'ASSOCIATION AJSEPES. ..... 121
ANNEXE 6 CORRESPONDANCE AUTOUR DE LA RECHERCHE D'APPUIS PAR L'ASSOCIATION AJSEPES.122
- 24 AVRIL 1998 : AVIS FAVORABLE POUR UN APPUI TRANSMIS PAR LA MAIRIE DE BOULMIOUGOU À LA MAIRIE CENTRALE DE OUAGADOUGOU. ....................................................................................................................... 122 - 20 DÉCEMBRE 1999 : NOUVEL AVIS FAVORABLE POUR UN APPUI TRANSMIS PAR LA MAIRIE DE BOULMIOUGOU À LA MAIRIE CENTRALE DE OUAGADOUGOU, QUI SE SOLDERA CETTE FOIS PAR UNE RÉPONSE NÉGATIVE. ....... 124 05 JUIN 2000 : RÉPONSE NÉGATIVE DU CREPA À UNE DEMANDE D'APPUI DE L'AJSEPES. .............................. 125
ANNEXE 7 CONTRAT D'ENLÈVEMENT D'ORDURES DE L'UFDB. ........................................................................ 126
ANNEXE 8 PAROLES DE LA CHANSON DE CHRISTY B, "LA VIE. ........................................................................ 127
ANNEXE 9 PHOTOS PRISES DURANT L'ENQUÊTE DE TERRAIN. ........................................................................ 128
ANNEXE 10 LISTE DES ENTRETIENS RÉALISÉS : ...................................................................................................... 130
7
8
Pierre: "Le développement bon, c'est faire comprendre la population qu'est-ce que c'est la vie… Développement ça veut dire beaucoup de choses. Développement ça veut dire beaucoup de choses. C'est à chacun comprendre ce qu'il doit faire dans la vie. Développement ça veut dire beaucoup de choses." Mme Yélémou: "Le nouveau système du Schéma directeur, y'a un avantage à gagner pour tout le monde. Que ce soit les opérateurs privés, les ménages de même que la mairie et tout le monde. Parce que d'abord y'a des entreprises et des associations, c'est comme je viens de le dire : on a moins d'effort à fournir, parce que chacun est sur place. Et c'est encore plus rentable parce que c'est un système organisé, y'a des communiqués qui sont passés."
9
Introduction
1
Les déplacements dans Ouagadougou sont curieusement conditionnés par l'omniprésence
des déchets. Touristes comme habitants s'y habituent et adoptent assez naturellement une
1
démarche faite de contournement de sacs plastiques, de franchissement de caniveaux et
d'évitement de détritus en tous genres. Les décharges à ciel ouvert ne sont pas rares, les tas
d'ordures sont partout. La Mairie a beau évoquer sa "réputation internationale de propreté" 1,
la capitale burkinabé est une ville sale. Elle l'est à tel point que ceux qui la sillonnent ne s'en
rendent plus compte, les déchets font partie de la ville comme ces mobylettes qui rappellent
Shanghai ou encore Ho Chi Min Ville. Le nouvel arrivant cherche des explications. Il pense à
la désorganisation de l'administration, à l'augmentation du niveau de vie ou encore au manque
de sensibilisation … Puis, il oublie. En une semaine ou deux il n'y pense plus et se laisse
même prendre à se délester des résidus divers de ce qu'il consomme dans la rue (sachets d'eau
ou de Zom Koom2, pelures de fruits, bâtons de brochettes …). La situation empire en
hivernage – de juin à septembre – lorsque les fortes pluies multiplient les flaques et charrient
les déchets. Là, l'odeur vient rappeler à tous leur présence, et de nombreuses maladies se
développent. La périphérie de la ville ne dispose d'aucun système d'évacuation des eaux de
pluie et où le ramassage des déchets est encore plus hypothétique que dans le centre. Cela
devrait changer pourtant. A en croire les autorités et leurs partenaires étrangers, Ouagadougou
ne sera bientôt plus une ville couverte de déchets. Ce sera peut-être même une ville propre. Le
promeneur informé aura sûrement entendu parler du troisième Plan de Développement Urbain
et de son volet "assainissement solide". Il saura alors qu'il inclut un schéma directeur de
gestion des déchets (SDGD) et que celui-ci est officiellement entré en application le 7 février
2005. Mettons de côté l'épineuse question de la saleté persistante de la ville et laissons pour
l'instant le bénéfice du doute aux optimistes. Bien qu'elle peine à se mettre en place, la
politique de gestion des déchets est depuis quelques années l'objet d'attentions de la part du
gouvernement et des institutions internationales. Elle constitue donc un bon exemple des
politiques publiques au Burkina Faso, qui sont marquées par l'implication croissante des
bailleurs de fonds dans la réforme de l'action publique. L'étude de la politique de gestion des
déchets permet alors de présenter les effets qu'engendre, sur le terrain, l'aide au
développement. Notre thèse est que les changements dans l'action publique comme dans les
rapports politiques entretiennent un rapport avec ces influences extérieures bien plus
complexe que ne le laisse à penser le discours de ces institutions. Il s'agit alors de comprendre
comment se produit le changement, au-delà des idées réductrices sur le "développement".
1 Site Web de la mairie. www.mairie-ouaga.bf 2 Boisson traditionnelle à base de farine de petit mil.
1
Le développement comme impulsion du changement
Le "développement" est un terme très employé, mais quelle(s) réalité(s) recouvre-t-il ? Au
Nord comme au Sud, il représente l'objectif à atteindre, il est le premier d'une série de
buzzwords couramment utilisés par des acteurs qui – des deux côtés de la planète – affirment
œuvrer pour l'amélioration des conditions de vie des habitants des pays pauvres. D'autres
suivent comme "participation", société civile" ou encore "bonne gouvernance" ; mais plus que
tous les autres il présente cette incroyable propriété de mettre tout le monde d'accord, d'être un
concept assez vague pour que chacun puisse lui donner une signification particulière. Depuis
la mise en place du premier Plan d'ajustement structurel (PAS) à la fin des années 1970, on
note que pour les Institutions Financières Internationales (IFI)3, le développement passe par
une réduction du rôle de l'Etat (To roll the state back). Comme le reconnaît un expert de la
Banque mondiale (BM) : "[e]n fait, nous n'avons pas confiance dans les institutions
nationales."4 Les Etats africains sont largement perçus comme un obstacle sur la voie du
développement, d'où les Plans d'ajustement structurel, les conditionnalités et l'appui aux
sociétés civiles. Partant d'un constat général d'échec des Etats postcoloniaux africains à se
démocratiser et même à assurer leur développement économique, les PAS ont engagé un large
processus de privatisation des activités étatiques et imposé des principes de "bonne gestion"
économique à travers le continent. A la fin des années 1980 et au cours de la dernière
décennie, la "bonne gouvernance" est devenue la norme qui implique bonne gestion
économique mais aussi politique. Elle constitue la "gestion consciente des structures
politiques et administratives en vue d'élargir la légitimité du domaine public." Pour atteindre
un tel objectif, il faut s'efforcer d' "établir une nouvelle relation organique entre gouvernement
et société civile".5 L'accent est alors mis sur le renforcement de la société civile, l'objectif
étant de faire "émerger" un contre-pouvoir à des Etats autoritaires et corrompus.
Il nous semble que ce discours ne permet pas d'appréhender les changements sur le
continent africain et est étroitement conditionné par une vision libérale du développement.6 Il
a tendance à essentialiser la séparation entre le public et le privé et à considérer l'Etat et la
société civile comme deux blocs homogènes et irréductibles. Michel Foucault propose :
3 Nous entendons par là principalement le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM). 4 Cité in NEBIE Gustave, "Nouveaux rapports entre acteurs, nouveaux modèles de croissance. Réflexion sur les pistes novatrices de stratégies et politiques de lutte contre la pauvreté et les inégalités", in Afrique contemporaine, Hiver 2003, p. 23. 5 Citations de Hyden et Bratton, 1992 in Le BRIS Emile, "Les villes à la merci d'un rapport entre le global et le local. Réflexions à partir du cas de l'Afrique au Sud du Sahara", in OSMONT et GOLDBLUM, Villes et citadins dans la mondialisation, 2003, Paris : Karthala/ GEMDEV, 2003, p. 115. 6 HIBOU Béatrice, "Banque mondiale: les méfaits du catéchisme économique. L'exemple de l'Afrique subsaharienne", Politique africaine, N° 71, décembre 1998, pp. 58-74.
1
"Plutôt que de faire la distinction Etat-société civile un universel historique et politique qui peut permettre d'interroger tous les systèmes concrets, on peut essayer d'y voir une forme de schématisation propre à une technologie particulière de gouvernement [le libéralisme]." 7
Nous nous appuyons sur cette idée pour construire une explication alternative des
changements observables à Ouagadougou. Nous analysons alors le discours sur la bonne
gouvernance comme un ensemble de "modèles" importés constituant :
"des constructions normatives, constituées d'abstraction opératoires en partie réductrices puisque visant à gommer les nuances du réel pour en conserver quelques grands traits qui, agencés entre eux, introduisent un ordre dans la lecture du monde et dans les rapports que l'on entretient avec lui." 8
Cet "ordre dans la lecture du monde" est à la base des interventions de développement, il
les oriente et les rend légitimes. Il constitue en cela un paradigme dont les effets concrets se
font ressentir au Burkina Faso, en Afrique et ailleurs :
"Car le paradigme, nous dit Stengers, “ n’est pas une simple manière de voir les choses, de poser des questions ou d’interpréter des résultats. Un paradigme n’est pas une vision d’un monde, mais une manière de faire, une manière non seulement de juger les phénomènes (...) mais aussi d’intervenir, de les soumettre à des mises en scène inédites ”." 9 Le contexte d'apparition de ce paradigme est bien sûr l'échec du communisme illustré par
l'éclatement de l'Union soviétique en 1989. Il a ouvert la voie à une formidable diffusion des
thèses libérales, qui mettent l'accent sur l'efficacité économique et la libéralisation des
régimes. Bien entendu, les Etats et les sociétés ont fait preuve "d'indocilité"10, une disjonction
est ainsi apparue entre les discours et les pratiques des bailleurs et ceux des acteurs locaux :
"En Afrique subsaharienne ou dans l’espace musulman, la disjonction … paraît d’autant plus forte que l’injonction semblait très puissante puisque, face aux bailleurs de fonds étrangers, ce sont “ logiquement ” les plus démunis qui disposent de la marge de manœuvre la plus étroite. On peut dire que la disjonction est à la mesure de l’injonction, même si le travail de disjonction s’effectue en définitive plus par les sociétés que par les Etats." 11 Cette disjonction est très visible dans le cas de la gestion des déchets à Ouagadougou. Elle
a trait au décalage entre les discours optimistes des acteurs principaux de la politique
publique, et l'immobilisme apparent sur le terrain. Elle est aussi illustrée par les stratégies
d'instrumentalisation de la réforme par des acteurs locaux. Les bailleurs de fonds ont un projet
relativement cohérent pour modifier l'action publique, mais aussi changer la société. Cette 7 FOUCAULT Michel, "Naissance de la biopolitique", in Dits et écrits, Paris : Gallimard, 1978, tome III, p. 821. 8 GOBATTO Isabelle (dir), Les pratiques de santé dans un monde globalisé : circulation de modèles et expériences locales dans les Afriques contemporaines, Paris : Karthala ; Pessac : MSHA, Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine, 2003, p. 14. 9 Isabelle Stengers citée in LAÏDI Zaki, "Le temps mondial. Enchaînements, disjonctions et médiations", Les cahiers du CERI, N° 14, 1996, pp. 22-23. 10 MBEMBE Achille, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et Etat en société postcoloniale, Paris : Karthala, 1988, 222 p. 11 LAÏDI Zaki, "Le temps mondial. Enchaînements, disjonctions et médiations", op.cit., p. 26.
1
entreprise a beau remporter des succès incontestables, il reste que les acteurs locaux arrivent
toujours à se ménager une marge de manœuvre par rapport aux prescriptions étrangères.
Notre étude de la gestion des déchets vise à découvrir comment l'agenda de réforme des
politiques (policies) véhiculé par la communauté du développement produit des changements
dans le politique (politics). Le parti pris est de la considérer comme une forme de projet de
développement, et en particulier dans ses deux dimensions d'impulsion extérieure et
d'adaptation au contexte local. Nous suivons pour l'instant Olivier de Sardan qui propose de :
"définir le 'développement', dans une perspective fondamentalement méthodologique, comme l'ensemble des processus sociaux induits par les opérations volontaristes de transformation d'un milieu social, entreprises par le biais d'institutions ou d'acteurs extérieurs à ce milieu mais cherchant à mobiliser ce milieu, et reposant sur une tentative de greffe de ressources et/ou techniques et/ou savoirs" 12
Pourtant, nous mettrons rapidement l'accent sur le fait que la "mobilisation" est aussi le
fait d'acteurs locaux, et qu'il existe une certaine continuité entre les logiques de ces acteurs et
celle d'acteurs extérieurs, d'où un phénomène important que nous qualifierons de "collusion".
A l'image de Bako-Arifari et Le Meur, nous souhaitons :
"(a) réinsérer le développement dans l'ensemble des processus d'accès aux (et de contrôle des) ressources, d'accumulation, d'investissements et de redistribution ; (b) aborder le développement comme un mode de gouvernance spécifique, visant par différentes techniques à un contrôle politique et administratif des populations." 13 Cela implique donc de montrer en quoi certains acteurs tirent parti de ce nouveau
contexte, mais aussi que sa nouveauté est toute relative. Nous verrons également que ce mode
de gouvernement a des implications parfois peu avouables. Comme toute tentative d'impulser
le changement, il comporte une part d'autoritarisme qui n'est bien sûr pas revendiquée par ses
promoteurs. En somme, notre intention est de démontrer que le dispositif du développement
possède une logique interne – qualifiée de "régime discursif du développement" 14 par James
Ferguson – qui fonctionne de manière largement autonome mais engendre des effets notables
sur la réalité. Ces effets sont loin de correspondre aux discours des bailleurs de fonds mais
doivent néanmoins être compris en relation avec eux. Leur intervention est l'un des facteurs
de leur apparition.
12 Cité in BAKO-ARIFARI Nassirou et Le MEUR Pierre-Yves, "Une anthropologie sociale des dispositifs du développement", in BARE Jean-François, L'évaluation des politiques de développement. Approches pluridisciplinaires, Paris : L'Harmattan, 2001, p. 121. 13 BAKO-ARIFARI Nassirou et Le MEUR Pierre-Yves, "Une anthropologie sociale des dispositifs du développement", op. cit., p. 138. 14 Cité in BAKO-ARIFARI Nassirou et Le MEUR Pierre-Yves, "Une anthropologie sociale des dispositifs du développement", op. cit., p. 140.
1
La bonne gouvernance pour réformer l'action publique
Du fait de l'importante immixtion de la communauté du développement au Burkina Faso,
certains auteurs ont qualifié ce pays d' "ONG land".15 A titre d'exemple, en 1997, l'aide
extérieure assurait 88 % des frais d'investissement de l'Etat.16 Cette aide participe du mode de
gouvernement de ce pays et nous tentons d'en révéler les implications. Le Burkina Faso fait
partie des 18 pays pauvres très endettés (PPTE) qui ont bénéficié en juin 2005 d'une
annulation totale de leur dette auprès des institutions multilatérales.17 Cette initiative du G8
sanctionne une décennie d'efforts et de coopération avec les bailleurs de fonds de la part des
autorités burkinabè. Certains critiques ont souligné qu'elle cache la persistance de termes de
l'échange défavorables aux pays pauvres ou insistent sur la nécessité non seulement d'annuler
la dette pour l'ensemble de ces pays mais aussi d'augmenter les flux d'aide afin de leur
permettre de "sortir du sous-développement". La polémique se produit entre des institutions
internationales soucieuses d'améliorer leur image tout en conservant une part d'influence ; et
un ensemble d'acteurs, africains ou du monde des ONG ayant intérêt à une augmentation de
l'aide. Si nous la dépassons pour observer concrètement les effets de la mesure du G8, il est
alors possible de dire qu'elle représente un véritable ballon d'oxygène pour le gouvernement.
En 2004, le Burkina possédait une dette extérieure de 1, 4 milliards d'Euros, en presque
totalité publique et dont 90 % était multilatérale. Selon certaines sources, ce pays consacrait
alors environ 1,5 point de son PIB pour y faire face. L'annulation décidée concerne bien la
majorité de la dette burkinabè mais ses effets seront progressifs. Le Burkina dépensera
beaucoup moins chaque année pour le service de la dette, et les dépenses du gouvernement
pour le "développement" devraient augmenter d'autant, c'est-à-dire d'environ 5 %. Mais
attention, chaque année l'aide extérieure équilibre le budget burkinabé, et le G8 a promis de
verser aux institutions multilatérales ce que les pays "graciés" ne devront pas rembourser. On
peut alors se demander s'ils contribueront toujours autant à l'équilibrage des comptes du pays,
et la perspective de milliards investis dans le développement est à confirmer. Concrètement, la
presque totalité des coûts de la réforme de la politique publique de gestion des déchets a été
financée par la Banque mondiale, sous la forme de prêts qui ne doivent désormais plus être
remboursés.
15 DUBRESSON Alain, RAISON Jean-Pierre, L'Afrique subsaharienne : une géographie du changement, Paris : Armand Colin, 2003, 2e ed., 245 p. 16 Donnée de LEREBOURS PIGEONNIERE Anne, MENAGER Marie Thérèse (dirs.), Atlas du Burkina Faso, Paris : Jeune Afrique, 3e ed., 1998, p. 42. 17 C'est-à-dire le Fonds Monétaire International, la Banque mondiale et la Banque Africaine de Développement.
1
Mais le fait que le Burkina ait, par cette décision, été placé parmi les pays qui respectent
les prescriptions des institutions internationales n'est pas anodin. La bonne gouvernance vise à
responsabiliser les dirigeants africains, à instaurer l'information et la transparence autour des
prises de décision, à instaurer des Etats de droit ainsi qu'à améliorer la gestion du secteur
public. Derrière ces orientations générales, on note que la rhétorique de la gouvernance sert
surtout à justifier des politiques de déréglementation et à dépolitiser ce qui reste d'action
publique.18 La politique de gestion des déchets n'échappe pas à la règle, on y relève une
immixtion forte de normes de la communauté du développement et un pouvoir discrétionnaire
très influent de la part de la Banque mondiale. Ainsi, le schéma directeur de gestion des
déchets a été produit dans le cadre du "modèle" que constitue la bonne gouvernance c'est-à-
dire "une entité structurée autour de savoirs, de normes, de valeurs." 19 Il importe toutefois de
ne pas surestimer la part de l'influence extérieure dans l'importation de ce modèle. C'est
pourquoi nous avons recours au vocable de "communauté du développement", qui désigne
selon nous l'ensemble des acteurs, locaux et internationaux, étatiques ou non, qui y
participent. Cette notion se rapproche de celle des "communautés épistémiques" développée
par Peter Haas :
"An epistemic community is a network of professionals with recognized expertise and competence in a particular domain and an authoritative claim to policy-relevant knowledge within that domain or issue-area."20
Selon cet auteur, les membres d'une communauté épistémique sont rassemblés par des
principes et des références normatives et des critères de validité communs. Ils partagent une
manière d'identifier les problèmes et d'essayer de les résoudre.21 Mais elle s'en distingue en
cela qu'elle fait aussi référence aux intérêts matériels et symboliques que certains acteurs
entendent faire dériver de leur adhésion au modèle de la bonne gouvernance. A l'image de la
"gouvernance dépolitisée" de Bruno Jobert, elle est portée :
"par une coalition discursive hétéroclite où les prêches du marché sont mis à profit par des factions politiques pour donner un tour irréversible à leur ascension sociale." 22
18 JOBERT Bruno, "Le mythe de la gouvernance dépolitisée", in FAVRE Pierre, HAYWARD Jacques, SCHEMEIL Yves (dirs.), Etre gouverné. Etudes en l'honneur de Jean Leca, Paris: Presses de Sciences Po, 2003, p. 273-285. 19 GOBATTO Isabelle (dir.), Les pratiques de santé dans un monde globalisé : circulation de modèles et expériences locales dans les Afriques contemporaines, op. cit., p.14. 20 HAAS Peter M., "Introduction: epistemic communities and international policy coordination", International Organization, Vol. 46, N° 1, hiver 1992, p. 3. 21 Idem. 22 JOBERT Bruno, "Le mythe de la gouvernance dépolitisée", in FAVRE Pierre, HAYWARD Jacques, SCHEMEIL Yves (ed.), Etre gouverné. Etudes en l'honneur de Jean Leca, Paris: Presses de Sciences Po, 2003, p. 284.
1
La politique de gestion des déchets doit donc se penser en relation avec l'intervention des
acteurs de la communauté du développement qui contribuent à sa formulation mais aussi à sa
mise en place. Le fait qu'elle soit qualifiée de "filière" par ses promoteurs est important à cet
égard. Ces derniers mettent par là l'accent sur l'aspect intégré de la solution proposée et la
tentative d'agir à de multiples niveaux, de la sensibilisation des usagers au compostage en
passant par une réforme du cadre législatif et réglementaire, et une réorganisation des
compétences administratives. Pourtant, la réforme présente finalement peu d'innovations si
l'on excepte l'une de ses caractéristiques principales qui tient au partenariat avec des acteurs
privés – une certaine forme de privatisation, donc – censée pallier le manque de ressources de
la municipalité. Malgré l'appellation proposée, la réforme du secteur illustre ainsi l' "encodage
libéral" des politiques publiques en Afrique subsaharienne.23 C'est autour de cette question de
la réforme de l'action publique que se construit notre réflexion sur la structure du changement
politique à Ouagadougou.
On peut se demander en effet si les mutations qui se produisent avec la greffe du modèle
de la bonne gouvernance conduisent à un renforcement ou à un affaiblissement de la
puissance publique. Le désinvestissement de l'Etat de nombreux secteurs – comme l'éducation
ou la santé – et les nouvelles modalités de l'action publique n'entraînent-elles pas une perte de
légitimité ? Est-ce que la désétatisation en quelque sorte ne bride pas la capacité de l'Etat de
mettre en œuvre des politiques publiques et de réguler le fonctionnement de la société ?
L'exemple de la politique de gestion des déchets montre qu'il n'y a pas de réponse univoque à
ces questions. L'Etat est obligé de suivre des prescriptions extérieures mais il reçoit en
échange des fonds qui lui sont indispensables. De nombreux acteurs participent désormais à la
prise de décision politique et se substituent à lui sur le terrain, mais l'efficacité globale des
politiques publiques est généralement renforcée et les bénéfices s'en font sentir pour les
citoyens. Ainsi, la gestion des déchets doit être appréhendée dans son hybridité, comme :
"le produit des dynamiques sociales locales et des contingentements internationaux imposés par les agences de normalisation et de standardisation des modes de gestion sociale relayés par les jeux d'acteurs africains et non africains." 24
C'est à cette condition qu'il est possible d'en analyser les conséquences, et donc d'exposer
l'articulation entre intervention de développement et changement politique et social au
Burkina Faso.
23 LOADA Augustin, "Où en est l'administration publique ?", in L'Afrique politique, 2001, pp. 23-46. 24 DARBON Dominique, "Pour une socio-anthropologie de l’administration en Afrique II. Retour méthodologique à propos d’un article de Jean-Pierre Olivier de Sardan", in Politique africaine, N° 96, décembre 2004, p. 167.
1
Gestion des déchets et transformations politiques
Le sens commun veut que le développement ne soit pas politique et nombreux sont les
auteurs qui relèvent le côté "antipolitique" ou dépolitisant des réformes associées à la bonne
gouvernance.25 Il est vrai qu'elle tend à promouvoir une conception technicienne du
développement et de l'action publique dans sa tentative de rationaliser l'intervention étatique.
Au Sénégal, Giorgio Blundo note dans les représentations locales une opposition entre les
termes "développement" et "politique", la politique relevant du registre du discours, de la
parole, de la manipulation ou du mensonge tandis que le développement est plutôt associé à
l'action, la bonne gestion et à l'influence de l'extérieur.26 De même, les ouagalais ont tendance
à utiliser l'expression "faire de la politique" de manière for dépréciative tandis que le vocable
développement est toujours utilisé dans un sens positif. De notre côté, nous souhaitons
dépasser cette opposition que nous jugeons superficielle et considérer à la fois que le
développement ne peut échapper à sa politisation et que les autorités ont recours à l'aide au
développement comme ressource financière et d'expertise, et à la terminologie du
développement à des fins de légitimation.
Ainsi, la réforme de la gestion des déchets, dans sa formulation, son financement ou sa
mise en oeuvre, est liée au dispositif du développement. Mais, comme toute politique
publique, elle engage une relation politique entre l'administration et les citoyens-bénéficiaires.
La politique urbaine étant, selon Alain Marie :
"Arène de la compétition sociale, de la lutte pour la richesse, le pouvoir et la maîtrise idéologique où s'accusent les lignes de force d'une société, où se cristallisent les rapports de sens et de puissance, où s'aiguisent clivages et contradictions, où se révèlent, en fin de compte, par effet de grossissement et de condensation, les processus de décomposition-recomposition sociales, où se confrontent et s'affrontent et s'affrontent tradition et modernité, logiques 'populaires' et logiques étatiques, appareils d'Etat et sociétés civiles, ville 'légale' et ville 'réelle', stratégies de la domination et stratégies de la ruse." 27 C'est donc aussi un objet hautement politique, et qui nous permet d'aborder les rapports
entre l'administration et ce que nous appellerons la "société civile" – dans un sens qui diffère
sensiblement de celui qui est habituellement proposé par ceux qui mettent l'accent sur son
opposition à l'Etat. La société civile n'est pas nécessairement un défenseur de l'intérêt général
voire, en l'absence de régulation, dégénère en de nombreuses pratiques inciviles, de la 25 En particulier FERGUSON James, The Anti-Politics Machine. "Development", Depoliticization, and Bureaucratic Power in Lesotho, Minneapolis: University Press of Minnesota, 1994, 320 p. ; HIBOU Béatrice, "Banque mondiale: les méfaits du catéchisme économique. L'exemple de l'Afrique subsaharienne", in Politique africaine, N° 71, décembre 1998, pp. 58-74. 26 BLUNDO Giorgio, "Elus locaux et courtiers en développement au Sénégal", in BIERSCHENK Thomas, CHAUVEAU Jean-pierre, OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre (dir.), Courtiers en développement. Les villages africains en quête de projets, Mayence: APAD ; Paris: Karthala, 2000, pp. 95-97. 27 MARIE Alain, "Politique urbaine : une révolution au service de l'Etat", Politique africaine – Retour au Burkina, N° 33, mars 1989, p. 27.
1
corruption à la violence en passant par l'exploitation des enfants. Quant à ceux qui insistent
sur son engagement politique et son degré d'institutionnalisation,28 nous craignons que leur
approche par trop normative et limitée empêche de penser la plus grande partie des actions de
ce que nous appelons la société civile. Nous en adoptons une définition plus large, après Jean-
François Bayart :
"Le concept de société civile a donc trait à une relation dynamique, complexe et ambivalente (c’est-à-dire pas seulement conflictuelle) entre 1’Etat et la société, et non forcément à un champ distinct, repérable en tant que tel, entretenant des rapports de pure extériorité avec un pouvoir territorialisé ailleurs" 29 Bien que cette conception de la société civile soit très proche d'une définition de la
société, nous employons ce terme car ce sont plus précisément la relation de cette société avec
l'Etat qui font l'objet de cette recherche. Pour ce qui est de l'Afrique en général, les auteurs ont
tendance à considérer l'Etat en négatif par rapport aux Etats-nations occidentaux et à insister
sur l'absence de contrôle de la "société civile" sur le gouvernement. L'Etat africain est
assimilé à l'Etat "importé" que décrit Bertrand Badie30, c'est-à-dire à une structure "plaquée"
sur le continent, qui n'est pas ancrée dans le développement historique des sociétés. Cette
particularité éclairerait alors nombre des dysfonctionnements des Etats africains, de la
dictature au tribalisme en passant par le clientélisme et la prédation des ressources. Une telle
vision se rapproche de ce que nous appellerons la conception "hégémonique" – car largement
défendue – de l'Etat et de la société civile. Le système social a ici trois composantes : l'Etat, la
société civile et le marché. L'Etat et la société civile forment des ensembles cohérents qui
entrent en relation mais se distinguent nettement. L'Etat est synonyme d'oppression31 et la
société civile constitue un contrepoids à son entreprise de domination. En réalité, les
chevauchements (le phénomène de straddling) sont nombreux et la séparation entre l'Etat et la
société civile floue. L'ancrage de cette forme d'organisation est bien réel et il peut être saisi
grâce à une analyse en termes de sociologie politique. Notre acception de l'Etat est donc
double, elle comporte à la fois une dimension "physique et symbolique, externe et
intériorisée".32 Nous considérons en effet avec Patrick Quantin que :
28 Voir par exemple LOADA Augustin, "Réflexions sur la société civile en Afrique : le Burkina de l'après-Zongo" in Politique africaine, n° 76, décembre 1999, pp. 136-152 et Maxime Haubert in HAUBERT Maxime et REY Pierre-Philippe (dirs.), Les sociétés civiles face au marché. Le changement social dans le monde post-colonial, Paris: Karthala, 2000, 300 p. 29 BAYART Jean-François, "La revanche des sociétés africaines", in Politique africaine, N°11, septembre 1983, p. 99. 30 BADIE Bertrand, L'Etat importé : essai sur l'occidentalisation de l'ordre politique, Paris : Fayard, 1992, 334p. 31 On trouve ici une idée populaire depuis le Léviathan de Hobbes. 32 QUANTIN Patrick, Gouverner les sociétés africaines : jeux d'acteurs et dynamiques d'institutionnalisation, document de travail, CEAN – IEP de Bordeaux, juin 2000, p. 6.
2
"Les usages et les pratiques spontanées d'un côté, les pratiques institutionnalisées, les systèmes de représentations et les contraintes de l'autre, ne sont que les différents moments d'un même processus d'institutionnalisation." 33
Pour notre recherche, cela implique d'une part l'étude des modalités concrètes de la mise
en place d'une politique de gestion des déchets, et de l'autre des normes et des représentations
qui émergent des rapports entre les différents acteurs. A l'image de Jean-François Bayart,
nous adoptons la formulation "commode" de Bruce Berman et John Lonsdale qui
différencient :
"la 'construction du politique', en tant que création délibérée d'un appareil de pouvoir, et sa 'formation', en tant que processus historique, conflictuel, involontaire et largement inconscient, conduit dans le désordre des affrontements, des compromis et de l'imaginaire par la masse des citoyens anonymes." 34 L'ensemble nous permet d'aborder la question de la formation d'un espace public. Selon
Etienne Tassin :
"Il est le lieu institué d'un agir concerté qui lie la pluralité des communautés particulières, qui fait accéder les mondes vécus à une visibilité politique et qui, maintenant les lieux communs dans leurs intervalles et leurs connexions, donne existence à un monde commun." 35
Il s'agit alors de faire émerger la structuration (patterns) "des manières d'être et d'agir dans
les espaces politiques et économiques"36 ou encore le processus de "métabolisme social"37 à
l'échelle locale, celle des quartiers ouagalais. L'espace public est envisagé comme un espace
"d'interaction, de négociation et d'ajustements"38 entre diverses rationalités et diverses
logiques. Nous tentons d'envisager le changement dans les logiques d'actions et les systèmes
de représentations des acteurs à travers la réforme de l'action étatique, et notre démarche a
pour point de départ un type spécifique d'analyse des politiques publiques.
33 QUANTIN Patrick, Gouverner les sociétés africaines : jeux d'acteurs et dynamiques d'institutionnalisation, op. cit., p. 3. 34 BAYART Jean-François, Le gouvernement du monde : une critique politique de la mondialisation, Paris : Fayard, 2004, p. 10. 35 TASSIN Etienne, "Espace commun ou espace public? L'antagonisme de la communauté et de la publicité" in Hermès, Espaces publics, Traditions et Communautés, N° 10, 1991, p. 37. 36 HIBOU Béatrice, "La 'décharge', nouvel interventionnisme", Dossier : L'Etat en voie de privatisation, introduction au thème, Politique africaine, N° 73, mars 1999, p. 12. 37 MBEMBE Achille, "Les logiques de transformations sociales et la recomposition des espaces de pouvoir en Afrique de l'Ouest", in DAMON Jacqueline et IGUE John O. (dirs.), L'Afrique de l'Ouest dans la compétition mondiale : quels atouts possibles ?, Paris : Karthala-CSAO, 2004, p. 201. 38 MICHAUD Yves, "Critique et espace public chez Habermas : de la démocratie éclairée à la démocratie radicale", Revue philosophique, N° 2, 1999, p. 221.
2
La démarche
Cette étude entend présenter les transformations induites par l'effort de développement, à
travers l'observation d'une situation concrète. Notre point d'entrée est la réforme du secteur de
gestion des déchets, ce qui implique une analyse en termes de politiques publiques :
"Etudier les politiques publiques, c'est traiter de l'action gouvernementale. Quelles facettes de la gestion du collectif sont prises en charge par quelles autorités, politiques ou administratives, locales ou nationales, de quelle manière, en réponse à quels problèmes, à travers quelles modalités concrètes, et en suscitant quelles conséquences pour qui ?" 39
Par conséquent, une présentation de la réforme sera faite. Nous insisterons sur les logiques
et les acteurs qui ont accompagné sa création. Il a été dit plus haut que ces derniers constituent
ce que nous avons nommé la "communauté du développement". Ils ont contribué à sa
formulation en imposant leur référentiel c'est-à-dire un ensemble de normes et de valeurs qui
contribuent à la construction du problème et à la définition de l'action à mener. Dans la
perspective d'une analyse cognitive des politiques publiques, telle qu'élaborée entre autres par
Pierre Muller, le référentiel sert à :
"Opérer un décodage du réel grâce à l'invention d'opérateurs, intellectuels qui permettent de diminuer l'opacité du monde en définissant de nouveaux points d'appui pour agir ; opérer un recodage du réel à travers la définition de modes opératoires susceptibles de définir un programme d'action politique." 40
L'argument développé ici est que le référentiel de la politique de gestion des déchets
entretien une connexion étroite avec le discours hégémonique du développement. En d'autres
termes, les représentations rassemblées sous le vocable de bonne gouvernance ont largement
donné sa forme actuelle à cette politique. Elle constitue en cela un "modèle dissonant de
politique publique", puisque la mise sur agenda politique résulte plus d'une sollicitation
externe que de tractations internes à l'Etat.41 L'ambition est alors d'examiner les effets de
l'intervention de développement sur les modes de gouvernement locaux en considérant :
"non plus comment 'politics induces policy' mais au contraire comment 'policies structure politics'." 42
Nombre d'auteurs, appartenant autant au camp libéral qu'à celui de ses critiques, décrivent
ces effets en termes de "retrait" de l'Etat et de dérégulation.43 Qu'ils constatent ce retrait pour
39 THOENIG Jean-Claude, ""Présentation", in GRAWITZ Madeleine et LECA Jean, Traité de science politique, Tome IV, "Les politiques publiques", Paris : Presses Universitaires de France, 1985, p. IX. 40 MULLER Pierre, Les politiques publiques, Paris : PUF, 5e ed., 2004, p. 44. 41 EBOKO Fred, Pouvoirs, jeunesses et sida au Cameroun. Politique publique, dynamiques sociales et constructions des Sujets, Thèse de doctorat sous la direction de Jean-François MEDARD, Université Bordeaux-Montesquieu IV/ IEP-Pessac, soutenue en décembre 2002, pp. 18-19. 42 THOENIG Jean-Claude, "L'usage analytique du concept de régulation", in COMMAILLE Jacques et JOBERT Bruno (dirs.), Les métamorphoses de la régulation politique, Paris : LGDJ, 1999, p. 43.
2
s'en féliciter ou au contraire pour mettre en garde contre ses conséquences, ces auteurs
adoptent des visions substantialistes et normatives de l'Etat.44 Or, pour évaluer les
renégociations des rapports sociaux et politiques qui s'opèrent à travers l'enjeu de la politique
de gestion des déchets, il importe d'adopter une approche alternative. En empruntant le
chemin ouvert par Béatrice Hibou lors de sa réflexion sur la "privatisation des Etats", nous
envisageons l'Etat à partir de ses points d'intervention et des modes de régulation dans une
perspective qui ne définit pas l'Etat ou le politique a priori :
"si l'on considère que les points d'intervention de l'Etat peuvent s'étendre au-delà des institutions et que la question de la souveraineté est distincte de celle du pouvoir étatique, l'apparition [des acteurs, des flux et des pouvoirs] apparemment concurrents de l'Etat peuvent alors être compris comme des points, nouveaux ou non, de son intervention." 45
Ce renversement de perspective permet alors d'observer les processus de
"reterritorialisation" en cours plutôt que de conclure à la "déterritorialisation" des espaces
publics locaux.46 La notion de "territorialités enchevêtrées" formulée par Michèle Leclerc-
Olive présente alors l'avantage d'insister sur le fait que cette reterritorialisation se produit en
articulant différents niveaux. Il faut s'éloigner des perspectives monistes de l'Etat pour
examiner les modes de régulation dans leur diversité et leur complexité. Une approche de type
néo-institutionnaliste a le mérite de fournir des outils conceptuels appropriés :
"Le nouvel institutionnalisme se rapproche de l’ancien (et diffère du behaviorisme) par l’utilisation des institutions comme variables explicatives autonomes, mais il s’en distingue par une acception plus complexe de l’institution, donc par un champ d’investigation plus vaste que la démocratie et ses institutions formelles qui étaient au coeur de l’ancienne version." 47
Elle implique d'adopter :
"une conception de l'ordre social qui ne serait ni un effet de composition des relations individuelles ni le résultat de processus structurels de domination mais plutôt le produit d'un ensemble d'arrangements institutionnels." 48
En rupture avec des conceptions relevant de l'individualisme méthodologique ou au
contraire d'une approche wébérienne des relations sociales et politiques, il s'agit de mettre
l'accent sur l'intégration et la négociation des normes dans un contexte de pluralisme normatif.
Ce que nous entendons démontrer, c'est que cette situation de pluralisme normatif sur le
terrain ne produit pas une situation d'anarchie où tous les comportements seraient permis. Les 43 Pour une analyse non libérale mais typique du retrait de l'Etat hors du contexte des pays en développement, voir : STRANGE Susan, The retreat of the state : the diffusion of power in the world economy, Cambridge: Cambridge University Press, 1996, 218 p 44 HIBOU Béatrice, "La 'décharge'. Nouvel interventionnisme", op. cit., p. 8. 45 Ibid, p. 9. 46 Ce qui est une constante chez des auteurs comme Bierschenk, Olivier de Sardan et Le Bris. 47 GAZIBO Mamadou, "Le néo-institutionnalisme dans l'analyse comparée des processus de démocratisation", in Politique et Sociétés, Vol. 21, N° 3, 2002, p. 140. 48 COMMAILLE Jacques et JOBERT Bruno (dirs.), Les métamorphoses de la régulation politique, op. cit, p. 12.
2
acteurs bénéficient d'une certaine marge de manœuvre puisque aucun système normatif ne
supplante définitivement les autres – que ce soit le système traditionnel, celui des
développeurs ou un autre.49 Mais leurs comportements sont régulés, leurs représentations sont
organisées selon des économies morales du pouvoir, ce que John Lonsdale qualifie d'
"architecture intérieure de la vertu civique".50 Ces économies morales sont renégociées lors
des conflits qui émergent autour de la mise en place de la réforme, l'avantage de son analyse
étant qu'elle est un site de lutte symbolique, économique et politique pour l'accès à des
ressources diverses. En analysant les interactions qui se produisent autour de cette politique
publique, nous souhaitons :
"comprendre à la fois comment la différenciation des scènes, des forums et des arènes héritées du passé peut déterminer des processus différents d'apprentissage institutionnel et comment le redéploiement simultané de ces scènes s'articule sur de nouvelles orientations de la régulation politique." 51
Il s'agit alors d'étudier les continuités et les ruptures dans les modes de gouvernement. Les
transformations de l'action publique – aussi importantes qu'elles soient – n'induisant pas une
reconfiguration complète des arènes de pouvoirs et des styles de négociation, le changement
n'est jamais radical. Toutefois, il accompagne l'évolution de processus de régulation politique
entendus comme "la manière dont se créent, se transforment ou se suppriment les règles."52
Cette réflexion sur les règles nous amène à poser le problème en termes foucaldiens, c'est-à-
dire en termes de gouvernementalité :
"Par gouvernementalité, j'entends l'ensemble constitué par les institutions, les procédures analyses et réflexions, les calculs et les tactiques qui permettent d'exercer cette forme bien spécifique, bien que complexe, de pouvoir, qui a pour cible principale la population" 53
L'horizon de l'analyse est alors la compréhension des modalités d'intermédiation entre
diverses arènes sociales et la négociation et l'intégration de règles par les différents acteurs.
L'argument défendu ici fait du développement une partie intégrante d'un mode particulier de
gouvernement et cherche à découvrir en quoi il contribue à un renouveau du contrôle
politique au Burkina Faso, en plus d'une manière nouvelle de se comporter dans l'espace
public.
49 BIERSCHENK Thomas, CHAUVEAU Jean-Pierre, OLIVIER DE SARDAN Jean Pierre (dirs.), Courtiers en développement. Les villages africains en quête de projets, Mayence: APAD, Paris: Karthala, 2000, p. 14. 50 John Lonsdale cité in BANEGAS Richard, "Marchandisation du vote, citoyenneté et consolidation démocratique au Bénin", in Politique africaine, N° 69, mars 1998, p. 81. 51 JOBERT Bruno, "La régulation politique : le point de vue d'un politiste" in COMMAILLE Jacques et JOBERT Bruno (dirs.), Les métamorphoses de la régulation politique, op. cit., p. 140. 52 THOENIG Jean-Claude, "L'usage analytique du concept de régulation", op. cit., p. 39. 53 FOUCAULT Michel, "La 'gouvernementalité' ", in Dits et écrits, Paris : Gallimard, 1978, Tome III, p. 655.
2
L'argument
Il nous faut maintenant en venir à l'hypothèse qui structure la réflexion à suivre. A l'heure
où l'on parle de référentiel global et où les conditionnalités des bailleurs de fonds occidentaux
semblent réduire la marge de manœuvre des Etats du Sud, on peut se demander si leurs
gouvernements ne sont pas affaiblis en cela qu'il sont à la fois montrés du doigt pour leur
"mauvaise" gestion et littéralement mis sous tutelle. En fait, nous essayons de démontrer dans
les pages qui suivent que la situation est largement plus complexe. On assiste selon nous à
une recomposition des modes de gouvernement en phase avec les changements sur le plan
international, le "temps mondial" en quelque sorte.54 Et l'omniprésence des idées et des
interventions des bailleurs de fonds occidentaux ne fait pas que délégitimer l'Etat, elle
renforce aussi ses capacités.55 Surtout, l'effort de développement contribue à remodeler
profondément les modes d'action et les représentations des acteurs et génère de nouveaux
signifiants. Les relations entre l'administration et les citadins sont en train de se recomposer,
et la politique de gestion des déchets est un lieu où se négocient ces recompositions.
A l'interface du local, du national et du global, cette politique publique constitue un site
d'intermédiation entre diverses rationalités, entre des séries de normes concurrentes. Elle
donne à voir le "développement" en action, derrière les consensus de façade. Notre thèse est
alors que l'aide au développement – publique comme privée – contribue à la structuration d'un
nouveau rapport politique. Ainsi, la recomposition de l'action publique, les évolutions dans les
modèles d'action collective et les trajectoires d'ascension sociale, ou encore l'arrivée de
nouveaux acteurs à des postes de pouvoir, sont quelques uns des traits principaux d'une
gouvernementalité locale révisée, le développement constituant à la fois l'impulsion, le
contexte et le répertoire d'énonciation de ces changements. Mais il s'agit d'être prudent : d'une
part, le discours hégémonique du développement ne permet pas de saisir les mutations en
cours, sa fonction d'autolégitimation imposant une modélisation de la réalité en rupture avec
les dynamiques sociales qu'il contribue à produire. De l'autre, la diffusion de normes
prétendument universelles par ses apôtres masque les stratégies d'appropriation locales, et en
particulier la "politisation" du développement. Chercher à savoir comment est mise en place
la politique de gestion des déchets fournit alors une amorce de réponse aux questions
suivantes : comment les normes et valeurs de la communauté internationale s'articulent avec
les dynamiques sociales et politiques au niveau local ? Comment, dans ce contexte, évolue
l'action publique au Burkina Faso ? Comment se produisent le changement institutionnel et le
54 LAÏDI Zaki, "Le temps mondial. Enchaînements, disjonctions et médiations", op. cit. 55 Pour utiliser une leitmotiv de la communauté du développement.
2
changement politique ? Et finalement, quelle est la structuration de la gouvernementalité
locale et comment est-elle rendue visible dans l'espace public ? 56
Nous en venons maintenant à l'organisation de notre démonstration. La première partie
traite de la politique de gestion des déchets et de son ancrage dans le dispositif du
développement. Une approche "en entonnoir" nous est apparue judicieuse et nous traitons
d'abord du modèle de la bonne gouvernance qui a impulsé et orienté sa formulation avant de
l'examiner en tant que telle dans un second temps, en mettant l'accent sur les choix politiques
implicites à son organisation. Nous en venons dans une deuxième partie aux stratégies locales
de réception de cette réforme en commençant par celles des acteurs privés avant d'aborder
celles des acteurs institutionnels. Mais c'est le changement politique qui constitue notre point
d'arrivée. Dans la troisième partie donc, nous nous livrons à une mise en perspective
historique de la gouvernementalité observée avant de l'analyser plus en détail en engageant
une réflexion sur la gestation d'un espace public démocratique.
56 L'ordre politique, l'ordre social sont nos objets, mais nous avons dû laisser de côté des pans entiers de la recherche. En particulier, des travaux ont étés effectués sur l'espace public à Ouagadougou qui abordent des questions que nous n'avons pas pu approfondir, il s'agit de ceux de René Otayek et de Pierre-Joseph Laurent sur les dynamiques religieuses et la "crise sorcière". Voir : LAURENT Pierre Joseph, "Effervescence religieuse et gouvernance" in Politique africaine, n° 87, octobre 2002, pp. 95-116, OTAYEK René (dir.), "Dieu dans la cité. Dynamiques religieuses en milieu urbain ouagalais", Bordeaux : CNRS/ CEAN, 1999, 172 p.
2
2
Première partie La gestion des déchets : l'ancrage d'une réforme dans le dispositif de l'aide au
développement.
2
Chapitre 1: La réforme dans le contexte des conditionnalités extérieures.
Comme la majorité des politiques publiques dans les pays en voie de développement, la
gestion des déchets à Ouagadougou est fortement dépendante de l'appui extérieur. C'est une
condition sine qua non de succès et le principal déterminant d'une politique que la ville n'a ni
les moyens matériels ni l'expertise de prendre en charge seule. La gestion des déchets se situe
donc au carrefour du local, du national et du global, elle constitue ce que Fred Eboko nomme
un "modèle dissonant de politique publique", dans la mesure où l'intervention massive et à
tous les niveaux de la communauté du développement est sa principale caractéristique. C'est
pourquoi nous entendons étudier la relation entre les dispositifs du développement et cette
politique publique, en d'autres termes : comment le "régime discursif du développement" 57
influe sur la formulation et la mise en pratique de la politique de gestion des déchets à
Ouagadougou. Pourtant, les jeux d'acteurs qui ont modelé le processus de la réforme sont
éminemment complexes, et il est impératif de ne pas considérer que la nouvelle gestion des
déchets a été décidée depuis l'extérieur. Ce serait en effet sous-estimer les processus
d'adaptation au contexte ouagalais reposant sur la participation d'un certain nombre d'acteurs
locaux. Ce serait aussi réduire à néant la marge de manœuvre du gouvernement burkinabé.
Sans tomber dans ces excès, il est utile de replacer cette réforme dans un contexte qui est celui
des discours et des pratiques des bailleurs de fonds depuis quelques années. L'influence
étrangère est si marquée dans cette réforme en particulier et sur l'action du gouvernement
burkinabé en général qu'il nous faut tenter d'en déterminer la portée exacte. La communauté
du développement dispose de puissants leviers sur l'action gouvernementale puisque les
financements qu'elle octroie lui sont indispensables. Nous formulons l'hypothèse que les
conditionnalités économiques puis politiques imposées par les IBW ont engendré une sérieuse
réorganisation des modes d'action du gouvernement, et ont influé sur ses objectifs. La Banque
mondiale est aujourd'hui la principale source de discours théoriques sur le développement, les
stratégies de développement de cette institution et l'expertise accumulée au cours des années
ont, selon nous, profondément contribué à la structuraton de la politique des déchets de
Ouagadougou. Ce premier chapitre s'attache donc à analyser la relation entre cette influence
extérieure et les partis pris quant aux méthodes et aux buts de la politique publique qui nous
intéresse.
57 James Ferguson cité in BAKO-ARIFARI Nassirou et Le MEUR Pierre-Yves, "Une anthropologie sociale des dispositifs du développement", op. cit., p. 140.
2
L'ajustement structurel et la lutte contre la pauvreté
Les décennies 1980 mais aussi 1990 ont été marquées par l'application des Plans
d'ajustement structurel (PAS) à la majorité des pays du Sud, et en particulier aux pays
africains. Ces programmes de réforme avaient pour objectif principal la libéralisation des
économies et la réduction du rôle des Etats, présentées comme une forme de rationalisation de
l'action publique dans des pays marqués par la corruption et l'inefficience de l'administration.
La remise en cause des Etats atteint son apogée dans les années 1990. Basée sur le postulat
"que l'intérêt général résulte de l'agrégation des intérêts particuliers et de leur arbitrage par le
marché"58, la théorie néo-libérale qui sert de référence à la réforme des Etats conteste leur rôle
dans nombre de domaines et initie un large mouvement de privatisation des entreprises ainsi
que des services publics (éducation, santé, transport, …). L'équation libéralisation égale
croissance économique et donc amélioration des conditions de vie sert à justifier les
conditionnalités de l'aide. Au Burkina Faso comme ailleurs, l'obtention de nouveaux
financements internationaux et le rééchelonnement des dettes publiques sont liés à
l'application des Plans d'ajustement structurel. Le premier PAS est signé en 1991 par le
gouvernement burinabé. Durant la décennie suivante l'effet des conditionnalités économiques
engendre une réduction des dépenses publiques bien que ce pays soit moins touché que
d'autres – on remarque par exemple que la SONABEL et l'ONEA59 restent propriété de l'Etat.
Parallèlement, les bailleurs de fonds exigent une réduction des tarifs douaniers et des autres
barrières commerciales, ce qui provoque une crise du secteur "moderne". Alors que les Plans
d'ajustement structurel avaient justement pour objectif de rendre les économies des pays les
moins avancés plus compétitives, on constate dans de nombreux pays un déclin industriel et
dans les services. Il se produit alors un retour vers le secteur agricole qui consacre l'échec des
politiques de diversification économique des précédentes décennies. Ce repli n'est pas sans
poser de problème. Les cours de la plupart des produits agricoles sont en baisse depuis les
années 1980 et les pays voient leurs revenus chuter rapidement. La remise en cause des
systèmes de stabilisation des prix ou de subventions consacre l'insécurité des revenus des
agriculteurs. Derrière les pressions réformistes des bailleurs de fonds transparaît une vision
radicalement limitatrice du pouvoir des Etats. Outre le fait que leur souveraineté est bafouée
par l'imposition de l'ajustement depuis l'extérieur, ils sont contraints d'accepter de cesser
d'exercer une grande partie de leurs prérogatives et de les déléguer à des entreprises ou à la
58 COMELIAU Christian, "Privilégier la lutte contre les inégalités", in Esprit, juin 2000, p. 131. 59 Société Nationale Burkinabè d'Electricité et Office National de l'Eau et de l'Assainissement.
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"société civile".60 Les réformes qui ont eu lieu au cours des années 1990 ont tendance à
réduire le rôle de l'Etat au maximum en arguant de l'inefficience de l'administration. Elles
s'inscrivent dans un courrant de pensée qui conteste l'action publique d'une manière générale,
lui préférant l'élargissement de la place des marchés. Cette méfiance à l'égard des Etats
entraîne la promotion de nouveaux acteurs, regroupés sous le terme générique de "société
civile". Pendant deux décennies, les réformes soutenues par les bailleurs de fonds ont remis en
cause la capacité des Etats à faire des choix politiques, à mettre en œuvre de véritables
politiques publiques. Les mécanismes du marché étant censés, dans les pays du Sud, résoudre
les problèmes les plus saillants. Le plus étonnant tient peut-être au défaut de prise en compte
des situations locales, des contextes politiques, sociaux, ou institutionnels. Ainsi, les Plans
d'ajustement structurel ont clairement préconisé des réformes de même ordre dans une variété
de pays aux contextes sociaux et politiques très contrastés. La libéralisation et la
déréglementation ont été présentées comme des solutions uniques à un grand nombre de
problèmes totalement différents. Il ne s'agit pas de nier l'ampleur des dysfonctionnements qui
ont justifié l'ajustement, mais plutôt de mettre en doute l'efficacité des "solutions" apportées.
Le manque de connaissance des dynamiques locales ainsi qu'un désir incontrôlable de la part
des bailleurs de fonds de simplifier les réalités61, ont créé les conditions pour le "placage"
d'une série de mesures décidemment peu adaptées. La logique de l'aide-projet aux dépens de
l'aide budgétaire a aussi engendré un phénomène d'agencification, c'est-à-dire de
multiplication de structures administratives parallèles en charge de la gestion d'un projet
précis. Cela a eu pour effet de renforcer la concurrence entre les différents bureaux cherchant
à capter des ressources, et a favorisé la dispersion de l'information, de l'autorité, mais aussi de
la responsabilité. A la fin des années 1990, c'est globalement un constat d'échec qui est fait au
sujet des PAS et ce constat est aussi fait par la Banque mondiale elle-même :
"les décennies de l'ajustement ont aussi donné lieu à une détérioration substantielle de la qualité des institutions publiques, à la démoralisation des fonctionnaires et à la baisse de l'efficacité des prestations des services dans beaucoup de pays. Avec des revenus à la baisse, ces effets – qu'il est impossible d'inverser rapidement – se sont traduits par des indicateurs sociaux et des capacités médiocres dans de nombreux pays, et par des pertes de capital humain, surtout (mais pas exclusivement) dans la fonction publique." 62 L'année 1999 marque une sorte de rupture dans l'action des IBW. On parle désormais de
lutte contre la pauvreté et non plus d'ajustement structurel et les méthodes de financement 60 A ce sujet, il convient d'introduire une certaine nuance, une partie des gouvernants des pays du Sud étant convaincue du bien-fondé des réformes à mettre en place. 61 HIBOU Béatrice, "Banque mondiale : les méfaits du catéchisme économique. L'exemple de l'Afrique subsaharienne", op. cit.. 62 Banque mondiale, 2000, cité in CLING Jean-Pierre, RAZAFINDRAKOTO Mireille et ROUBAUD François, "Un processus participatif pour établir de nouvelles relations entre les acteurs", in CLING Jean-Pierre, RAZAFINDRAKOTO Mireille et ROUBAUD François (dirs.), Les nouvelles stratégies internationales de lutte contre la pauvreté, Paris : Economica/ IRD éd., 2e éd., 2003, p. 192.
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changent.63 Dans le cadre de l'initiative PPTE64 - dont le Burkina a été l'un des premiers à
bénéficier – les financements se font plus souvent sous forme de dons que de prêts et la part
de l'aide budgétaire sur l'aide totale va croissant. Les pays doivent présenter un document
d'orientation appelé Cadre Stratégique de Réduction de la Pauvreté (CSLP) sur la base duquel
les financements internationaux leur sont désormais attribués. L'accent est alors mis sur le
renforcement des capacités institutionnelles et l'adaptation au contexte national. Alors que
dans le cadre des PAS les réformes étaient décidées d'en haut par les IBW, elles sont
désormais sensées partir de la population par le biais de la participation. C'est l'adhésion de la
population aux réformes qui est considérée comme la clef de leur succès, ce qui implique plus
de transparence dans les processus de prise de décision. La lutte contre la pauvreté ambitionne
une croissance fondée sur l'équité, l'accès des pauvres aux services sociaux de base,
l'élargissement des opportunités qui leur sont offertes, notamment en termes d'emploi et enfin
la promotion de la gouvernance. Dans le document modèle développé par la Banque
mondiale, dans l'axe numéro deux, c'est-à-dire l'accès des pauvres aux services sociaux de
base, nous trouvons la préoccupation de l'amélioration des conditions de vie des pauvres, ce
qui concerne entre autres la gestion des déchets. On retrouve cette préoccupation aussi dans
l'Agenda du Millénaire qui est étroitement articulé aux stratégies de réduction de la pauvreté.
En fait, la formulation de ces stratégies consacre l'adoption par la communauté du
développement d'une définition de la pauvreté définie comme absence de capacités sous
l'influence des travaux d'Amartya Sen.65 Il s'agit alors de renforcer les capacités à la fois de
l'Etat, des secteurs défavorisés de la population et du secteur privé. La lutte contre la pauvreté
induit de nouvelles méthodes de coopération et l'appui à de nouveaux secteurs de la
population. Elle est par exemple principalement orientée vers les pauvres et les femmes. Cette
rhétorique de la communauté du développement sert sans conteste de référent à l'action sur le
terrain, et en particulier dans le cas de la gestion des déchets. Les idées de bonne gouvernance
économique et politique constituent la pièce centrale des discours autour de l'aide au
développement, même si nous verrons par la suite qu'il existe un certain décalage entre ces
discours et les pratiques.
63 Voir Annexes 1 et 2, "Les innovations apportées par les Documents Stratégiques de réduction de la pauvreté" et "Une grille de lecture des nouvelles stratégies de lutte contre la pauvreté", pp. I-II. 64 Pays Pauvres Très Endettés. 65 Voir par exemple SEN Amartya, Un nouveau modèle économique : développement, justice, liberté, Paris : Odile Jacob, 2000, 356 p.
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L'application du discours des bailleurs de fonds.
Le discours des bailleurs de fonds structure la réflexion sur le développement et sert de
critère quasi exclusif pour l'attribution de financements. Ce serait pourtant se méprendre que
de croire que le Schéma directeur de gestion des déchets (SDGD) a été "parachuté" depuis
Washington ou l'un des bureaux africains de la Banque mondiale. La réorganisation de la
filière s'est globalement faite sur le terrain mais selon un agenda largement internationalisé et
articulé aux concepts en vogue dans la communauté du développement. Ainsi, les auteurs du
SDGDG notent que :
"l'adhésion des usagers au nouveau système de gestion des déchets est un enjeu majeur pour l'atteinte des objectifs financiers et des objectifs environnementaux du projet." 66 Le terme d'adhésion fait implicitement référence à l'exigence de participation qui est
censée selon les bailleurs de fonds garantir l'appropriation d'un projet (ownership) par les
populations. La participation prend diverses formes dans le projet de réforme de la gestion des
déchets à la fois tel qu'il a été conçu et tel qu'il est actuellement mis en place. Tout d'abord, le
document propose de renforcer les Comités sectoriels de salubrité (CSS). Ces derniers,
présents dans chaque arrondissement, incluent différents secteurs de la population et ont pour
rôle la sensibilisation et le suivi de la gestion des déchets. Lors de notre visite sur le terrain en
mars et avril 2005, ces comités ne bénéficiaient pas d'une large visibilité. Ensuite, il est
explicitement fait référence à la participation des ONG. Sur le terrain, on observe une
implication très forte de deux ONG étrangères depuis une dizaine d'années, le CREPA et
l'ONG EAST.67 Toutes deux ont appuyé des associations de collecte des déchets et ont même
fourni un appui institutionnel, le CREPA s'occupant surtout de l'appui technique à la pré-
collecte et EAST au compostage. Pour ce qui est des ONG locales, la situation est beaucoup
plus ambiguë. On note que celles qui ont été inclues au processus participatif se sont
aujourd'hui transformées en entreprises ou peuvent être considérées comme telles. En fait, le
renforcement des capacités du secteur privé est bien l'un des objectifs de la réforme comme le
montrent un rapport d'évaluation de la Banque mondiale et une lecture attentive du SDGD.68 Il
est alors frappant de constater que dans la phase actuelle de mise en place du programme,
c'est la participation de ces acteurs là – les ONG étrangères et les entreprises de pré-collecte –
66 DESSAU-SOPRIN, Projet d'amélioration des conditions de vie urbaine (PACVU), Schéma directeur de gestion des déchets – ville de Ouagadougou, Burkina Faso. Rapport final du SDGD de Ouagadougou, novembre 2000, p. 201. 67 Le CREPA est souvent comparé à une ONG mais c'est en fait une structure hybride de coopération régionale. 68 BANQUE MONDIALE, Division infrastructures, Département de l'Afrique du Centre-Ouest, Région Afrique, Rapport d'évaluation Burkina Faso sur le Projet d'Amélioration des conditions de vie Urbaines, Rapport n°13802, s.d., 23 p. ; Dessau-Soprin, Rapport final du SDGD de Ouagadougou, op. cit., p. 58.
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qui est mise en avant. Pour ce qui est des populations (les usagers dans la terminologie de la
Banque mondiale), la participation prend une forme atypique. Elle implique presque
exclusivement des campagnes de sensibilisation menées par des animateurs publics ou les
entreprises de pré-collecte.69 La sensibilisation se fait selon une stratégie de communication
développée dans le SDGD et qui préconise entre autres l'information/ consultation des
autorités traditionnelles et religieuses.
Un des autres concepts clef de la lutte contre la pauvreté est le renforcement des capacités.
La réforme est basée sur le postulat qu'une meilleure gestion des déchets améliore les
conditions de vie et donc les capacités des ouagalais. Mais le renforcement des capacités
comporte d'autres dimensions et pour commencer celle de l'appui au secteur privé. Il s'agit ici
d'assistance technique comme pour les laboratoires d'analyse ou les entreprises-associations
de pré-collecte mais aussi et surtout de subventions déguisées par l'attribution de contrats de
concession.70 Il y a aussi le renforcement institutionnel, qui demande un examen un peu plus
poussé. Déjà, on peut considérer que selon le discours de la lutte contre la pauvreté,
l'ensemble de l'intervention extérieure contribue à la mise en place d'une politique publique et
va donc dans le sens d'un renforcement institutionnel. Plus directement, les financements de la
Banque mondiale se font sous la forme d'aide budgétaire à la commune qui doit cependant les
dépenser selon les priorités définies par le SDGD et en concertation avec le PACVU71 ; et
surtout effectuer les remboursements selon l'échéancier prévu.72 Mais le renforcement
institutionnel se fait surtout selon deux axes considérés comme prioritaires par les bailleurs de
fonds. Il y a d'une part la recherche d'une meilleure mobilisation des ressources au niveau
local. Il s'agit certes d'améliorer le système de taxation mais cette mobilisation des ressources
coïncide avec la facturation du service aux usagers plutôt qu'à la collectivité. Le deuxième axe
majeur est celui de la révision du cadre juridique et normatif, qui doit servir à un meilleur
encadrement de la part de l'Etat. Des programmes existent aussi pour former les
fonctionnaires bien que ceux-ci se sentent largement marginalisés.73 En somme, la lutte contre
la pauvreté fixe un nouveau modèle de gouvernement qu'il s'agit d'étudier plus avant.
69 Les commerciaux des entreprises privées sont appelés « animateurs ». En ce qui concerne les animateurs de l'ONEA, ils sont en fait des contractuels embauchés par AC3E, un bureau d'étude attributaire d'un contrat signé après appel d'offre de l'institution. Je remercie Mme Kabore Rasmata de me l'avoir signalé. 70 Pour un exemple de renforcement des capacités du secteur privé, voir le programme d'un séminaire de formation du CREPA, annexe 2, pp. III et IV. 71 Projet d'Amélioration des Conditions de Vie Urbaine, dépendant de la Banque mondiale. Le PACVU est né en 1995 suite à un accord de crédit entre le Gouvernement burkinabé et la Banque Mondiale (IDA) et un accord de subvention avec le PNUD. 72 Dessau-Soprin, Rapport final du SDGD de Ouagadougou, op. cit., p. 133. 73 Entretien avec M. Ilboudo Omar, fonctionnaire à la mairie de Boulmiougou, en date du 7 avril 2005.
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Revoir le rôle de l'Etat.
Le concept de gouvernance – que l'on retrouve fréquemment dans les injonctions des
bailleurs de fonds dans des expressions comme "renforcer la bonne gouvernance" ou encore
"améliorer la gouvernance économique" – possède des significations variables et multiples. Il
nous permet cependant d'aborder un ensemble d'orientations données par les institutions aux
politiques publiques des pays du Sud dont on peut repérer l'influence sur la réforme de la
gestion des déchets à Ouagadougou. La communauté du développement est a priori réticente
à s'immiscer dans les affaires publiques des Etats du Sud. Son principal représentant, la
Banque mondiale, s'est longuement abstenu de le faire, l'ingérence politique allant d'ailleurs
contre ses statuts.74 Pourtant, à partir d'un rapport daté de 1997 – dont la première partie est
intitulée : "Repenser l'Etat partout dans le monde" – la Banque change d'attitude. Jusqu'alors,
les PAS avaient plutôt pour objet de réduire le rôle de l'Etat en se concentrant sur la réduction
des dépenses publiques. A la fin des années 1990, on a paradoxalement une reconnaissance du
"besoin d'Etat"75 par les institutions financières internationales mais qui semble
s'accompagner d'une mise sous tutelle encore plus forte. L'expression est mauvaise, certes, car
le contrôle n'est pas toujours direct et tient plus de l'influence que de l'imposition de normes.
Dans son rapport de 1997, la Banque propose une stratégie en deux points, d'abord recentrer
l'action de l'Etat sur l'essentiel afin de ne pas diluer ses ressources et ensuite accroître ses
capacités en "revivifiant ses institutions".76 Et c'est là que s'affirme la volonté de réformer
l'Etat en profondeur puisqu'il s'agit en fait d'introduire des principes du management privé
dans la gestion publique comme le confirme le rapport :
"il faut adopter des règles et garde-fous efficaces pour endiguer l’arbitraire et extirper la corruption. Il faut que les institutions soient davantage exposées à la concurrence pour être plus performantes. Il faut aussi améliorer la rémunération et les incitations. Il faut enfin que l’État se mette davantage à l’écoute des citoyens et se rapproche d’eux en élargissant la participation et la décentralisation." 77 Cette citation illustre bien ce que la Banque mondiale entend par bonne gouvernance. En
fait, celle-ci est déjà définie dans le rapport de 1992, elle implique alors une meilleure gestion
des services publics, meilleure responsabilité des dirigeants, un renforcement du cadre légal et
institutionnel et une amélioration de l'information et de la transparence.78 Au-delà de ces
74 CAMPBELL Bonnie, "La gouvernance, une notion éminemment politique", Haut Conseil à la Coopération Internationale, Les non-dits de la bonne gouvernance : pour un débat politique sur la pauvreté et la gouvernance, actes, Paris : Karthala, 2001, p. 141. 75 Titre du numéro 61 de la revue Politique africaine, mars 1996. 76 BANQUE MONDIALE, Repenser l'Etat partout dans le monde, 1997. 77 Idem. 78 BANQUE MONDIALE, 1992, in HAUBERT Maxime et REY Pierre-Philippe (dirs.), Les sociétés civiles face au marché. Le changement social dans le monde post-colonial, op. cit., p. 57.
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orientations générales, le modèle de la gouvernance consacre la participation de multiples
acteurs à l'action publique et l'effacement des frontières entre public et privé, entre national et
international. La gouvernance, c'est donc la politique en réseau mais c'est aussi la
contractualisation et la monétarisation des rapports de pouvoir. Selon Maurice Enguéléguélé,
la régulation se fait alors "de manière conjointe par un jeu itératif d'échanges, de conflits, de
négociations, d'ajustements mutuels." 79 L'adoption de cette notion représente à la fois une
nouvelle manière de concevoir l'Etat et une tentative de remodeler profondément l'action
publique dans les pays du Sud. Bonnie Campbell affirme qu'elle marque l'avènement d'une :
"conceptualisation du champ du politique avant tout comme lieu de gestion des ressources […] et non pas comme lieu d'accès au pouvoir et aux processus de décision collective en vue d'élaborer un projet de société"80
Le schéma directeur est un exemple frappant du degré de planification d'une politique, qui
traduit une volonté de rationalisation et même de scientifisation de l'action publique, on peut
le relier à l'importance prise par l'évaluation au cours de la dernière décennie. On tente de
déléguer les responsabilités aux acteurs perçus comme les plus efficaces tout en instituant des
mécanismes de suivi. Il y a dans un premier temps identification et catégorisation des
différents acteurs en présence et de leur contribution à la mise en place du projet. Ce premier
travail permet par la suite d'évaluer l'action de chacun en fonction de critères relativement
précis. L'ensemble de la réforme semble reposer sur l'idée qu'il n'y a pas de choix politique à
faire, d'arbitrage entre des intérêts divers voire opposés. En fait, pour ses concepteurs, la
réforme est pensée en termes de solution à un problème. Le corollaire de cette vision
fonctionnelle est alors sa dépolitisation. Sa légitimité est de nature essentiellement
technocratique dans le sens où l'expertise qui a contribué à son élaboration prime sur la
réflexion autour la redistribution ainsi sanctionnée. Les critères d'évaluation sont ceux qui
figurent dans le schéma directeur – participation des ONG et de la société civile (entreprises
privées de pré-collecte en tête), renforcement du secteur privé et appui institutionnel – et ils
répondent étroitement aux préoccupations des bailleurs de fonds. Nous retenons deux aspects
du type de gouvernance qui caractérise la gestion des déchets à Ouagadougou : c'est une
gouvernance à visée purement fonctionnelle et surtout évaluée selon des critères largement
définis à l'extérieur de la société dans laquelle elle s'applique. Les acteurs qui y participent
sont choisis pour leurs compétences techniques, leur capacité à apporter une part d'expertise
au projet. En ce sens, la gestion des déchets constitue un projet largement technocratique qui a
79 ENGUELEGUELE Maurice, "L'analyse des politiques publiques dans les pays d'Afrique subsaharienne. Les apports de la notion de "référentiel" et du concept de "médiation" ", in L'Afrique politique, 2002, p. 234. 80 CAMPBELL Bonnie, "La gouvernance, une notion éminemment politique", op. cit., p.147.
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tendance à être mené au détriment d'une légitimité proprement démocratique. Le paradoxe de
la rhétorique de la lutte contre la pauvreté est alors patent : elle prône l'adaptation des
réformes aux contextes locaux et établit des critères d'adhésion des populations mais en réalité
les empêche d'exercer une influence autre que marginale sur ces réformes.
En fait, la gestion des déchets est sous-tendue par un référentiel global81 étroitement
articulé aux discours de la communauté du développement et en décalage avec les réalités de
terrain. A aucun moment dans le schéma directeur de gestion des déchets, il n'est fait mention
de possible négociations ou divergences de points de vue quand à l'organisation du secteur de
la gestion des déchets une fois réformé. Cela peut paraître surprenant alors que nos recherches
montrent que ce rapport élaboré par un bureau d'étude constitue l'essentiel du travail de
planification de la réforme jusqu'à présent. Deux des décisions les plus importantes contenues
dans ce document renvoient par exemple à la pré-collecte. Il s'agit de la facturation du service
aux usagers et de l'attribution de monopoles à des entreprises et associations. Par deux fois, le
document invoque une supposée participation populaire avec la formule "il est reconnu" pour
justifier les solutions proposées.82 Selon nous, l'absence presque totale de démonstration des
avantages du projet tient à l'ancrage fort d'un référentiel parmi les acteurs principaux de la
politique publique, (ONG, administrations, opérateurs privés, PACVU, bailleurs de fonds,
etc.). La politique de gestion des déchets fait émerger certains éléments de ce référentiel, qui
ont tous leur source dans le discours du développement, c'est l'accent mis sur : l'amélioration
du cadre de vie, le renforcement du secteur privé, la participation, etc. Mais ce qui doit être
retenu c'est que ce référentiel laisse apparaître une conception bien particulière de l'Etat : il
doit se contenter d'encadrer les politiques publiques, notamment au niveau juridique, et
déléguer leur mise en place à une série d'acteurs privés. Ce référentiel largement inspiré par la
réflexion menée dans des institutions internationales comme la Banque mondiale est défendu
par une série d'acteurs sur le terrain qui forment un groupe relativement homogène. C'est une
communauté épistémique dans le sens où même s'ils n'ont pas forcément les mêmes intérêts,
ils s'accordent sur un certain nombre de valeurs, de normes et de modes d'action.
Chapitre 2: Réorganiser la gestion des déchets.
En 2005, à l'heure où la réforme est en train de se mettre en place sur le terrain, on
constate qu'un document, le "Schéma directeur de gestion des déchets" a une importance
81 "Il faut souligner que le "référentiel global" n'est pas seulement constitué de normes ou de valeurs concernant la société dans son ensemble, mais aussi de modes opératoires fixant les relations entre l'Etat et les groupes d'intérêt et donc une certaine conception du rôle de l'Etat dans la société". ENGUELEGUELE Maurice, Op., cit., p. 245. 82 Dessau-Soprin, op. cit., p. 61.
3
stratégique. Bien que produit en l'an 2000, il détaille précisément la réforme à mettre en
œuvre. Comme le remarque un fonctionnaire du PACVU, le schéma directeur : "c'est notre
Bible".83 En dépit de quelques arrangements mineurs, c'est bien ce qui a été décidé pendant
l'élaboration de ce document qui sert aujourd'hui de modèle à la réorganisation de la filière
déchets. Ce fait est d'autant plus marquant – car c'est là que nous voulons en venir – que la
mairie est loin d'avoir eu le rôle d'acteur principal dans son élaboration. Le SDGD est une
étude qui a été menée par un bureau d'étude canadien, Dessau-Soprin, suite à un appel d'offre
dont les termes de référence ont été tirés d'une étude antérieure nommée Plan d'action pour la
gestion des déchets ménagers et industriels à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso. Ce plan
d'action a été lui-même élaboré par un autre bureau d'étude étranger, HORIZONS-
SOCREGE, en 1996. Il s'inscrivait alors dans le cadre du 3e Projet de Développement Urbain
– toujours actif – sous l'autorité du PACVU et donc de la Banque mondiale. On peut de la
sorte retracer les origines du SDGD – et par là de la réforme actuelle – dans cette étude de
1996, qui fixait déjà certains axes d'amélioration de la politique de gestion des déchets.84 La
mairie de Ouagadougou est toujours officiellement le maître d'œuvre des reformes et donc
l'initiateur des appels d'offre. Pourtant, les rapports de consultants sont aussi remis à d'autres
administrations et notamment au PACVU. Plus généralement, on constate que le "projet" a
une grande influence dans la définition des politiques urbaines et particulièrement dans le cas
de celle qui nous intéresse. Bien qu'elle soit essentielle aux yeux de l'administration, la marge
de manœuvre de cette dernière est réduite par son manque de ressources. Dépendant
étroitement des financements extérieurs, la réforme de la gestion des déchets répond depuis
son origine aux orientations du PACVU qui sont aussi celles de la Banque mondiale. Les
normes de la communauté du développement s'imposent par le biais des conditionnalités des
Institutions de Bretton Woods (IBW)85 mais aussi d'autres institutions. Leur influence joue un
rôle clef dans l'organisation du secteur de la gestion des déchets.
L'organisation du secteur86
Le SDGD décrit en détail l'organisation du système de gestion des déchets à venir. Pour
l'instant ce qui nous intéresse a justement trait aux conceptions qui sous-tendent ce projet.
Plutôt que sur l'application qui en est faite, nous nous concentrons donc ici sur le document et
ce qu'il prévoit. La situation est globalement la même aujourd'hui qu'à la date d'écriture du
83 Entretien non enregistré du 11 avril 2005. 84 Par exemple la fermeture des décharges non contrôlées, le renforcement des capacités municipales et de laboratoires. Voir DESSAU-SOPRIN, Rapport final du SDGD de Ouagadougou, op. cit, p.i-ii. 85 En particulier la Banque mondiale et le FMI. 86 Voir Annexe 4, Documents extraits du SDGD, "Représentation graphique de la filière", p. V.
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document. La capitale est divisée en cinq arrondissement communaux dont Baskuy,
l'arrondissement central, et Bogodogo, Boulmiougou, Nongrmasson et Signonghin qui
l'entourent. A Baskuy, la mairie prend en charge le ramassage des ordures ménagères et
l'entretien plus général des espaces publics. Elle dispose de matériel fourni notamment par la
coopération décentralisée lyonnaise et compte sur la "Brigade verte" qui regroupe environ
mille balayeuses chargées de la propreté du centre ville et des grands axes. Pour ce qui est des
autres arrondissements, la situation est bien plus critique. A titre d'exemple, Boulmiougou ne
dispose à l'heure actuelle que de deux bennes à ordures que les véhicules de la Direction de la
propreté de la mairie centrale viennent enlever périodiquement. Dans cet arrondissement
périphérique comme dans les trois autres, les services municipaux n'interviennent que très
ponctuellement en organisant des opérations de nettoyage ou en réduisant des dépotoirs
sauvages. La pré-collecte87 des déchets est de fait déléguée à de très nombreuses entreprises et
associations. Ces dernières facturent une redevance mensuelle aux ménages et passent dans
les cours en moyenne une fois par semaine.88 Cette activité s'avère assez rentable pour ces
entreprises et associations, mais leur action ne contribue que marginalement à l'assainissement
des quartiers périphériques. Deux raisons principales permettent d'expliquer cela : d'une part
très peu de ménages sont abonnés, la majorité d'entre eux préférant disposer seuls leurs
ordures plutôt que de s'acquitter de la redevance. De l'autre, les ramasseurs se contentent
souvent de jeter les ordures un peu plus loin en l'absence de décharges organisées, tandis que,
si elles existent, elles débordent souvent. Le SDGD a justement pour objet de :
"proposer une organisation intégrée de toutes les activités reliées à la gestion des déchets et des aménagements appropriés. Il doit également définir les cadres financier, institutionnel et réglementaire propres à assurer la gestion efficace des déchets".89 Le système proposé articule trois phases principales qui font intervenir des acteurs
différents. Il y a d'abord la pré-collecte (1) qui est assurée par des entreprises ou des
associations. Elles s'occupent de ramasser les ordures dans la rue et surtout chez les ménages.
Elles les transportent ensuite au moyen de charrettes à traction asine ou de tracteurs dans des
centre de collecte (CC) ; il y en a au moins un par quartier. De là, les déchets sont transportés
(2) à l'extérieur de la ville dans un centre d'enfouissement technique (CET), où les déchets
sont traités (3).
La pré-collecte :
87 Selon la dénomination du SDGD, la collecte désignant un autre niveau de l'enlèvement des ordures. 88 L'habitat ouagalais est très étendu et généralement divisés en cours où cohabitent souvent plusieurs ménages. 89 DESSAU-SOPRIN, Rapport final du SDGD de Ouagadougou, op. cit., p. iii.
3
Au vu de son manque d'efficacité en général et à la périphérie en particulier, le schéma
entend réorganiser l'activité de pré-collecte. Les propositions sont étroitement conditionnées
par le manque de financements disponibles. Les auteurs remarquent que la mairie a beaucoup
de mal dans le centre à prélever une taxe pour assurer l'enlèvement des ordures. En 1997, elle
obtenait un taux de recouvrement d'environ 20 % représentant 13 000 000 Fcfa de revenus
tandis qu'au total, les opérateurs privés atteignaient dans le reste de la ville presque 95 000
000 Fcfa de revenus et un taux de recouvrement compris entre 70 et 80 %. Ce différentiel
important justifie pour les auteurs une délégation de cette activité au secteur privé, qui est
donc justifiée dans le document. Il est prévu que la ville soit divisée en zones sur lesquelles un
seul opérateur ou groupe d'opérateurs sera autorisé à collecter les déchets. Des appels d'offres
devront être effectués pour attribuer ces zones qui seront de faible dimension pour que les
attributaires puissent en assurer l'entretien sans trop de difficultés. Cette solution doit
permettre une amélioration de la pré-collecte pour deux raisons essentielles. Tout d'abord,
l'attribution de monopoles pour une longue durée90 leur procure une sécurité financière. Ils
sont débarrassés de la concurrence d'autres opérateurs pour ramasser les ordures des ménages
solvables pendant la durée du contrat. Ensuite, l'amélioration des finances des opérateurs de
pré-collecte devrait leur permettre de réaliser des investissements. La taille réduite des zones
est censée limiter les déplacements des employés et optimiser leur travail. Le schéma
directeur ambitionne donc une gestion pérenne et plus efficace de la pré-collecte en
s'appuyant sur des opérateurs privés soutenus par des mesures d'accompagnement.
La collecte :
Dans chaque zone de pré-collecte, le SDGD préconise la construction d'une ou plusieurs
décharges contrôlées, appelées centres de collecte (CC). C'est là que les attributaires de
chaque zone seront chargés de déposer les déchets et qu'un système de transport doit être mis
en place pour faire transiter les déchets jusqu'au CET. Le bureau d'étude ne donne pas de
solution toute faite sur ce point. Il note que la mairie possède des camions mais en fin de vie
et en nombre insuffisant. L'important est d'assurer de nouveaux investissements, pour financer
l'achat du matériel roulant nécessaire au transport. Ils peuvent provenir de la commune, du
secteur privé ou des bailleurs de fonds.91 Bien que le rapport ne se prononce pas clairement en
faveur d'une gestion publique ou privée du transport, l'objectif est aujourd'hui de concéder
l'ensemble de ce "bloc" au secteur privé. Pour ce faire, la ville de Ouagadougou a été divisée
90 10 à 20 ans selon le schéma. 91 DESSAU-SOPRIN, Rapport final du SDGD de Ouagadougou, op. cit, p. 95.
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en trois zones qui ont fait l'objet d'appels d'offres. Au vu des propositions faites, la commune
n'a cependant signé de contrat avec un transporteur privé que pour l'une de ces zones. Il est
prévu que les services municipaux prennent le transport en charge dans les deux autres
pendant une période intermédiaire.
Le centre d'enfouissement technique :
Le montant important des investissements à réaliser pour construire un centre
d'enfouissement technique aux normes internationales à la périphérie de la ville a rendu
nécessaire l'attribution d'un financement spécial de la part de la Banque mondiale. Dans le
SDGD, les auteurs recommandent la signature d'un contrat de concession pour une période
minimale de 20 ans à un gestionnaire privé. C'est la solution qui a été finalement retenue. Le
schéma directeur démontre l'intérêt de ne construire qu'un centre de grande taille plutôt que
deux plus réduits et donne des indications sur le lieu d'implantation. Il rassemble aussi des
données techniques sur le traitement des déchets et en particulier les méthodes
d'enfouissement, le compostage et la valorisation des huiles usagées.
4
Le rôle des différents acteurs
La variété d'acteurs qui sont impliqués dans la gestion des déchets ont des rôles et
responsabilités bien définis. Ils font d'ailleurs l'objet d'un tableau qu'il est intéressant
d'analyser. 92 En effet, c'est bien là le cœur de l'analyse de cette politique publique puisque de
cette répartition des rôles nous pouvons faire émerger une manière de concevoir à la fois le
problème à traiter et les rapports entre l'Etat et les autres acteurs. Le document distingue huit
catégories d'acteurs93 que nous avons choisi de regrouper en résidents, opérateurs privés et
administration.
Les résidents :
Malgré la rhétorique participationniste qui traverse les discours des bailleurs de fonds, on
observe que les populations n'ont pas un rôle de première importance dans cette réforme. Le
système de communication mis en place est limité, on se contente de les "éduquer", de les
"sensibiliser" à la problématique des déchets. Il s'agit donc de s'assurer qu'ils ne jettent plus
les déchets n'importe où et qu'ils se comportent en bons citoyens, c'est-à-dire qu'ils se
munissent de bacs à ordures et s'acquittent des frais de service auprès des pré-collecteurs. Il
est toutefois reconnu que :
"l'adhésion des usagers au nouveau système de gestion des déchets est un enjeu majeur pour l'atteinte des objectifs financiers et des objectifs environnementaux du projet. Il s'agit notamment de leur faire connaître le nouveau mode de fonctionnement qui part de la pré-collecte des déchets jusqu'à leur traitement dans le centre d'enfouissement technique et qui débouche sur un système viable et continu."94 Une stratégie de communication est donc élaborée afin d'informer les populations et
d'assurer le succès du projet. A l'heure actuelle une partie importante de la population utilise
des dépôts d'ordures non contrôlés95 et il faut faire en sorte que cela cesse. Le projet repose
aussi sur la contribution des ménages de sorte que leur adhésion est une pièce maîtresse du
projet. Les résidents sont donc un "enjeu" mais le document ne développe aucune stratégie
cohérente de prise en compte de leurs attentes. Pour les rédacteurs, il est évident que le
ramassage des ordures doit être rendu plus efficace pour le bien-être des usagers. La politique
publique est donc réduite à son aspect technique et ces derniers ne sont pas intégrés à la prise
92 Voir Annexe 4, Documents extraits du SDGD, "Rôle et responsabilités des différents intervenants dans la filière déchets", pp. VI-VIII. 93 Résidents, industries et centres de santé, concessionnaires des zones de pré-collecte, gestionnaire du CET, Commune, Direction des services techniques municipaux, comités de la DGD et Ministères. 94 DESSAU-SOPRIN, Rapport final du SDGD de Ouagadougou, op. cit, p. 201. 95 Environ la moitié en 1998 selon une étude cité par le SDGD. Voir DESSAU-SOPRIN, Rapport final du SDGD de Ouagadougou, op. cit, p. 8. Cette part est bien plus importante à la périphérie.
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de décision. Par contre, une contribution financière leur est demandée qui finance la totalité
des coûts de pré-collecte.
Les opérateurs privés :
Par l'expression "opérateurs privés" nous désignons les entreprises ou associations qui
sont partie intégrante de la nouvelle filière de gestion des déchets : les associations et
entreprises de pré-collecte en font bien sûr partie de même que l'entreprise de transport et
celle qui gère le CET. Concrètement, ce sont elles qui ont en charge l'essentiel du travail de
terrain dans ce qui est qualifié par les auteurs du schéma directeur de "partenariat public-
privé".96 L'investissement qu'on pourrait qualifier de léger est à leur charge et elles doivent
aussi participer aux réunions de sensibilisation. Mais ce sont plus particulièrement les
concessionnaires des zones de pré-collecte qui interviennent dans le plus grand nombre de
domaines. Par l'intermédiaire de leurs commerciaux, ils sont censés démarcher les ménages
pour les convaincre de s'abonner à leurs services. Il s'agit bien là de sensibilisation et les
agents commerciaux sont souvent appelés "animateurs".97 Il y a donc mimétisme avec des
acteurs de divers organismes, comme par exemple les nombreux animateurs de l'Office
National de l'Environnement et de l'Assainissement (ONEA) qui s'occupent plus
particulièrement d'assainissement liquide. En plus de ce rôle de sensibilisation, il y a bien sûr
le ramassage des déchets pour lequel ils doivent se faire payer directement par la population.
Ce qui est plus surprenant peut-être, c'est qu'ils doivent prélever dans cette redevance le
montant nécessaire au paiement des frais de traitement et de transport des déchets auprès du
CET et du concessionnaire. Ils doivent aussi "payer une royauté à la ville pour les services
d'appui qu'elle fournit."98 La conception de ce partenariat public-privé est donc très étendue
puisque les opérateurs privés prennent en charge l'essentiel de la politique publique et font
même office de percepteur de taxes puisque celle perçue par la mairie est loin d'être
suffisante.
L'administration :
Plusieurs niveaux d'administration participent à la gestion des déchets, ils ont des
compétences et des intérêts divers. Les plus impliqués sont sans conteste la commune et les
deux Ministères de l'Environnement et des Infrastructures et de l'Habitat. Les ministères 96 DESSAU-SOPRIN, Rapport final du SDGD de Ouagadougou, op. cit. 97 Par exemple dans l'entreprise SILO, comme le confirme sa directrice. Entretien avec Mme Yélémou Rachel. 98 DESSAU-SOPRIN, Rapport final du SDGD de Ouagadougou, op. cit, p. 66.
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interviennent principalement au niveau de la modification du cadre réglementaire, de la
politique d'éducation environnementale et du suivi-évaluation. La commune intervient plus
directement, elle lance les appels d'offre, suit l'évolution des travaux et contrôle les activités
des concessionnaires. Elle est aussi chargée de la gestion financière et particulièrement du
remboursement des prêts auprès des bailleurs et participe à l'effort de sensibilisation. Le
système en élaboration attribue à la commune un rôle d'encadrement. Elle est chargée
"d'implanter et de gérer" la filière, de "veiller au respect de la réglementation" ainsi
qu'éventuellement d' "imposer des pénalités" aux usagers ou aux opérateurs.99 En résumé,
l'avantage du SDGD est que :
"la ville n'a pas à financer quoi que ce soit et conserve sa responsabilité d'établir les règles de la mise en œuvre du concept de quartier propre et salubre ainsi que de voir à la gestion des contrats et au suivi de leur bonne exécution." 100 Le schéma directeur définissait de manière très précise en 2000 les compétences et les
obligations de chacun. Globalement, c'est sur cette base qu'est en train de se mettre en place la
réforme. Seules quelques décisions mineures ont été prises comme celle de diviser la capitale
en trois zones puis, après les appels d'offres, de n'en privatiser qu'une. Il y a aussi eu celle de
créer une Direction de la Propreté à la mairie afin de décharger la Direction des Services
Techniques Municipaux (DSTM) de la gestion des déchets qui prend une importance
croissante pour la ville. Le domaine où le document laissait le plus de responsabilités à
l'administration reste cependant l'attribution des concessions après les appels d'offres, ce qui a
été fait pour un lot de transport (sur trois) ; mais pose problème pour les lots de pré-collecte.
99 Ibid, p. 203. 100 Ibid, p. 97.
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Une politique publique atypique
L'ancrage de la politique de gestion des déchets dans le dispositif international du
développement est assurément sa caractéristique principale, et l' "inversion du schéma
conceptuel" 101 de cette politique publique est la piste que nous avons choisi de suivre pour en
illustrer à la fois la forme et les effets. Dans une perspective cognitive, Pierre Muller propose
d'analyser les politiques publiques comme "des processus à travers lesquels vont être
élaborées les représentations qu'une société se donne pour comprendre et agir sur le réel tel
qu'il est perçu."102 Ce qui est frappant dans notre exemple est que ces processus répondent très
largement à une impulsion extérieure et que le diagnostic comme les "remèdes" proposés ont
leur origine dans des tractations externes. A ce sujet, deux points déterminent
fondamentalement la gestion des déchets telle qu'elle est envisagée. Il y a d'abord la
reconnaissance même du caractère problématique de la présence des déchets qui – nous
aurons l'occasion d'en discuter plus longuement – ne va pas de soi ; et l'incapacité putative de
la mairie à prendre en charge ce problème. Ces postulats implicites de la réflexion contribuent
à déterminer le mode de gestion proposé, et expliquent l'accent mis sur la sensibilisation du
public, sur la délégation au secteur privé et sur le renforcement des capacités de la commune.
Du statut de simples préoccupations des bailleurs, ils sont passés à celui de déterminants
principaux d'une politique publique par le biais des conditionnalités des financements
extérieurs. A la fin des années 1990, l'IDA conditionne l'entrée en vigueur d'un crédit à la
ville de Ouagadougou à l'élaboration d'un Plan d'action pour la gestion des déchets solides et
déclenche donc les travaux préparatoires à la rédaction du SDGD.103 Passé ce stade
préliminaire, les IFI gardent un rôle clef dans le financement de la gestion des déchets. La
Banque mondiale accorde d'importants crédits qui se répartissent en trois blocs de
financement. Le premier concerne les investissements lourds qui rentrent dans le cadre de
l'Aide publique au Développement. Les crédits de la Banque mondiale dans le cadre du 3e
projet de Développement Urbain (PDU) financent par exemple la construction du CET et des
centres de collecte. Le deuxième bloc intègre les "infrastructures fixes complémentaires" ainsi
que des prêts non prévus à l'heure de l'écriture du SDGD qui ont été consentis pour le
programme de sensibilisation et un nettoyage général de la ville pour la somme de 30 millions
de Fcfa (45 000 €). Enfin, le troisième bloc inclut le matériel roulant et l'outillage nécessaires
au transport et au traitement des déchets – il est de la responsabilité des entreprises 101 EBOKO Fred, Pouvoirs, jeunesses et sida au Cameroun. Politique publique, dynamiques sociales et constructions des Sujets, op. cit., p. 11. 102 MULLER P., Les politiques publiques, op. cit., p. 59. 103 BANQUE MONDIALE, Rapport d'évaluation Burkina Faso sur le Projet d'Amélioration des conditions de vie Urbaines, op. cit.
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attributaires. La mairie ayant conservé deux lots de transport, elle doit se livrer à certains
investissements, pour cela, elle est appuyée par la communauté de communes du Grand Lyon.
En ce qui concerne la précollecte, l'ensemble des investissements – considérés comme peu
importants – sont laissés à la charge des opérateurs privés.
La majeure partie des coûts de la réforme est ainsi financée par le biais de crédits de la
Banque mondiale. Toutefois, l'accord de financement est conditionné à une participation de la
mairie. En 2005, la gestion des déchets représente 800 millions (1,2 millions) à prélever sur le
budget municipal de 6, 8 milliards de Fcfa (10,5 millions €) soit quasiment un dixième, cela
représente donc un certain défi. La mairie de Ouagadougou fait déjà des efforts dans le sens
d'un renforcement de la taxation, avec des initiatives pour améliorer le recouvrement de la
taxe foncière et percevoir des taxes sur le commerce informel – notamment avec la délivrance
de patentes et la multiplication des droits. Dans le schéma directeur, une solution originale est
proposée pour résoudre le problème de financement de la réforme. Il est recommandé de faire
reposer l'essentiel des coûts sur les ménages en exigeant des opérateurs de pré-collecte qu'ils
versent aux autres entreprises de la filière des sommes en rapport avec les coûts de transport
et de traitement des déchets. Plus surprenant, il est aussi prévu qu'ils rémunèrent
l'administration pour l'appui fourni, ce qui constitue une véritable négation du service public
en même temps qu'une délégation de la perception des taxes à des opérateurs privés. Cette
solution a finalement été repoussée par la Banque mondiale, mais l'épisode est important pour
comprendre comment a été élaborée la réforme. Dans un premier temps, une impulsion
extérieure et la perspective de financements rassemblent les autorités, des associations et des
entreprises autour de la politique publique de gestion des déchets. Ils sont unis autour d'un
référentiel global et surtout par le fait qu'ils ont intérêt à ce que la réforme aille de l'avant.
Pour ces acteurs publics comme privés, les gains symboliques (en terme de légitimation) et
surtout économiques (légaux ou non) ne sont pas négligeables, alors que les coûts de cette
politique publique reposent de toutes façons sur les ménages. La tentative de financer la pré-
collecte mais aussi le transport, le traitement et la gestion administrative est un exemple
externe d'externalisation des coûts de la réforme. L'administration cherche par là à se
légitimer grâce à la réforme sans y consacrer une part importante de son budget et en évitant
ainsi d'avoir à augmenter les taxes ou à réduire ses activités. Sans en arriver là, le système de
financement retenu tend à limiter les charges de la municipalité au transport et au traitement.
La presque totalité des coûts de pré-collecte repose alors sur les ménages par le biais des
abonnements mensuels aux opérateurs privés. Certains acteurs administratifs auraient
sûrement préféré le mode de financement prévu dans le SDGD mais il n'en reste pas moins
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qu'ils forment avec diverses associations et entreprises un groupe dont les intérêts sont
favorisés par la réforme. Ces intérêts qui les unissent les mettent cependant en porte à faux
avec les ménages, qui devront assurer une part importante des coûts de la réforme.
Le rôle attribué aux différents acteurs, la méthode même de conception de la réforme ou
encore son financement sont liés à une réflexion et à des procédures développées au sein des
institutions financières internationales. Elle constitue le cadre général de la politique publique
de gestion des déchets et explique deux décisions majeures que sont l'option pour une
délégation conséquente à des opérateurs privés et le choix d'une contribution directe des
ménages plutôt que la révision du système de taxation. Les acteurs locaux de la politique
publique peuvent pour leur part influer à la marge sa formulation comme son application. Ils
ne peuvent aller contre les orientations des bailleurs de fonds mais disposent toujours d'une
certaine marge de manœuvre qu'ils utilisent notamment pour tenter de capter les bénéfices
matériels et symboliques de la réforme :
"le travail d'interprétation, d'adaptation, et de contournement qu'opèrent les différents acteurs locaux sur les mesures élaborées par la Banque est d'autant plus important que le discours de celle-ci refuse de prendre en compte le politique et le complexe" 104
En somme, le recours systématique à la rhétorique participationniste par les bailleurs de
fonds voile le fait que les transactions qui ont mené à l'élaboration de la politique publique ont
lieu entre ceux-ci, les autorités burkinabè et quelques acteurs privés. La grande majorité de la
population est exclue des négociations au profit de quelques privilégiés qui – nous le verront
de manière plus détaillée – font preuve d'habileté à l'heure d'en détourner les bénéfices. Cette
mise à l'écart est problématique puisque le succès de la réforme repose sur l'adoption de
comportements respectueux de l'environnement de la part des ouagalais et sur l'acquittement
par les ménages d'abonnements au service de précollecte. Il semble y avoir une césure entre
les acteurs de la politique publique qui sont en phase avec les bailleurs de fonds et les
populations qui se sentent déconnectées changements en cours. Le mode de conception de la
réforme hypothèque grandement ses chances de succès et la greffe au terrain ouagalais se fait
d'une manière paradoxale et imprévue. La complexité de la réalité et des logiques d'acteurs
révèle alors les limites des discours et des prévisions des bailleurs. Pourtant, des changements
sont à l'œuvre, et ils résultent de la dialectique entre influences extérieures et réponses locales.
104 HIBOU Béatrice, "Banque mondiale: les méfaits du catéchisme économique. L'exemple de l'Afrique subsaharienne", op. cit., p. 68.
4
4
Seconde partie Les acteurs locaux face à la nouvelle gestion
des déchets.
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Le modèle de gestion des déchets retenu pour la ville de Ouagadougou est étroitement
déterminé par les recettes et les dispositifs de l'aide au développement. De fait, la réforme
5
s'intègre aux stratégies de lutte contre la pauvreté qui constituent un ensemble de principes
visant à favoriser le développement et conçus pour s'appliquer à la fois à l'aide étrangère et
aux politiques publiques dans les pays en voie de développement. Les modalités de
l'intervention étatique sont le résultat d'une négociation d'acteurs locaux dominants avec des
bailleurs de fonds qui ont leur propre vision de ce que doit être la réforme des administrations
africaines. La mise sur agenda est largement impulsée de l'extérieur, bien qu'elle réponde à
des besoins locaux et renforce la position de certains acteurs aux niveaux national et local.
Pour autant, cette réforme n'est pas juste le placage de conceptions extérieures sur une réalité
locale. L'intérêt de son étude est double : d'une part elle est selon nous significative de la
manière dont sont actuellement conçues et élaborées les politiques publiques au Burkina Faso
– à l'interface du local, du national et du global, du privé et du public – et d'autre part elle sert
de révélateur aux transformations politiques en cours et notamment l'articulation qui s'opère
entre différents types d'acteurs présents dans différentes arènes. La planification qui précède
la mise en place de cette réforme peut être assimilée selon nous à une planifiction dans la
mesure où il existe un certain écart entre la réalité concrète d'une politique publique à ses
débuts et le discours qui l'entoure. Il ne s'agit certainement pas d'affirmer que ce dernier
fonctionne pour lui-même ou de nier les efforts des experts pour prendre en compte les
réalités du terrain. Nous constatons plutôt que le rapport entre ce discours et ces réalités
s'établit sur le mode de la prophétie auto-réalisatrice. Les effets du discours et des
interventions qu'il légitime sont indéniables – et nous le verrons plus avant – mais l'arsenal
théorique et les recettes techniques développés voilent les mécanismes réels d'ancrage de la
réforme sur le terrain. Nous nous attachons donc ici à analyser ces mécanismes, qui sont
mieux mis à jour à partir des questions suivantes : En quoi la politique publique de gestion
des déchets représente-t-elle un enjeu pour chacune des catégories d'acteurs considérées ?
Quelles sont leurs logiques d'action et quels référents et quels intérêts leur donnent leur
cohérence ? Nous commençons par les stratégies des acteurs privés que sont les associations,
les entreprises et les ménages, avant d'étudier les enjeux politiques de la réforme. Que ce soit
du côté des acteurs privés ou publics, nous avançons l'argument que la gestion des déchets est
en quelque sorte l'otage de stratégies et de rapports de pouvoir locaux, ce qui limite
potentiellement son efficacité.
Chapitre 3: Les acteurs privés et leurs logiques d'action.
Le calendrier officiel prévoyait un lancement des opérations de collecte début février 2005
mais on constate qu'à la fin du mois de juin, malgré une certaine effervescence chez les
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principaux acteurs du secteur, sur le terrain rien – ou presque – n'a changé. Alors que le
démarrage est imminent de source officielle105, le secteur peine à se mettre en place. Ce retard
est en partie dû à des problèmes techniques au niveau de l'organisation du transport et surtout
du CET, les derniers travaux étant en phase finale de réalisation. Une fois ces problèmes
réglés, les installations ne fonctionneront pas à plein rendement pour autant. C'est du côté de
la pré-collecte qu'il faut s'attendre aux principaux obstacles, qui seront longs à être surmontés.
Il est vrai que le schéma directeur lui-même prévoit une mise en place progressive sur une
période de dix ans, mais la configuration des acteurs sur le terrain laisse présager des
difficultés persistantes. L'étude de la précollecte présente un intérêt fondamental, c'est à ce
niveau que les stratégies d'acteurs sont rendues visibles par l'enjeu que constitue la gestion des
déchets ; mais c'est aussi là que les différentes logiques d'action qui ont cours peuvent
hypothéquer les chances de succès de la politique de gestion des déchets. Deux problèmes de
taille se posent avec la réorganisation des entreprises et associations de précollecte et surtout
l'inconnue principale de l'attitude de la population. En ce qui concerne cette dernière, il est
clair que la réforme ne peut porter ses fruits si perdurent des comportements qualifiés d'
"incivils", ou si la population refuse – pour quelque raison que ce soit – de payer pour la
collecte des déchets. Les exemples développés dans les pages suivantes sont en grande partie
tirés de la situation en mars et avril 2005 dans l'arrondissement de Boulmiougou et en
particulier le quartier de Pissy. Cet ancien village intégré à l'agglomération se situe à la
périphérie de la ville, sur la route de Bobo-Dioulasso, au Sud-est de la capitale. Comme tout
quartier excentré, il ne possède que peu d'entreprises formelles et d'infrastructures et abrite de
nombreux quartiers non lotis. Les jeux d'acteurs qui y ont été observés donnent une idée assez
précise des dynamiques entourant la politique de gestion des déchets. Ils montrent que le
secteur représente un enjeu économique pour les entreprises et les associations impliquées.
Quant aux ménages, leur volonté et leur capacité de payer sont difficilement calculables et ne
peuvent être comprises qu'en relation avec les conceptions locales de salubrité et en tenant
compte des rapports qu'ils entretiennent avec l'autorité publique.
Les entreprises et les associations
Selon le schéma directeur de gestion des déchets la pré-collecte se fait par l'intermédiaire
d'opérateurs privés. Dans l'arrondissement de Boulmiougou comme dans tous les
arrondissements périphériques, le texte ne fait qu'avaliser un état de fait déjà relativement
105 Voir Entretien enregistré avec M. Cissé Mahamadou, Responsable Traitement Valorisation des Déchets à la Direction de la propreté de Ouagadougou en date du 14 avril 2005 et Entretien non enregistré avec M. Tapsoba Dieudonné, Responsable du suivi-évaluation au PACVU en date du 11 avril 2005.
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ancien puisqu'en l'absence d'intervention de la commune, des entreprises et des associations se
sont mobilisées pour le ramassage des déchets. Dans le quartier de Boulmiougou, on ne
comptait au printemps 2005 que deux bennes (couramment appelés "bacs") installés et
irrégulièrement vidés par la Direction de la propreté sur demande de la mairie
d'arrondissement. Les ordures sont donc soit déversées par les ménages (les femmes ou les
jeunes en particulier) dans des décharges incontrôlées, soit prises en charges par des acteurs
privés. Ils sont organisés en groupements qui peuvent avoir le statut d'entreprise,
d'association, ou pas de statut du tout. En fait, nous appelons ces opérateurs entreprises–
associations pour souligner leur caractère hybride, pour mettre l'accent sur l'absence de
frontière claire entre les entreprises et les associations de collecte des déchets. La Loi
N°10/92/ADP du 15 décembre 1992 portant Liberté d'association stipule dans son Article 1 :
"Est Association, au sens de la présente Loi, tout groupe de personnes physiques ou morales, nationales ou étrangères, à vocation permanente, à but non lucratif et ayant pour objet la réalisation d'objectifs communs, notamment dans les domaines culturel, sportif, spirituel, religieux scientifiques professionnel ou socio-économique." La Loi burkinabé fait donc sien le critère traditionnel de l'aspect non lucratif des activités
pour attribuer la statut d'association. En pratique, la situation est bien plus complexe, et en
particulier en ce qui concerne les associations de collecte des déchets. L'attitude même des
autorités est ambivalente comme l'illustre ce commentaire d'un fonctionnaire de la direction
de la propreté :
"Vous êtes des associations, vous travaillez à but non lucratif. Et comme le travail de collecte ne peut pas se faire de manière gratuite, comme les ménages doivent obligatoirement vous payer votre service pour que vous puissiez enlever les déchets, les ordures, il faudrait vous regrouper en associations. Comme ça, vous enlevez les ordures et en retour les ménages vous payent quelque chose par mois." 106 Il semble que sur le terrain, la séparation entre association et entreprise n'ait que peu
d'importance. L'entreprise Silo, l'un des membres du Groupement d'intérêt économique (GIE)
Clean Environment, le nouvel attributaire du monopole de pré-collecte dans l'arrondissement
en est un exemple typique. Sa directrice, Mme Yélémou Rachel, crée en 1994 une association
de collecte des déchets qu'elle transforme par la suite en entreprise. En 2000, Silo est classée
dans les associations par le schéma directeur et sa présidente occupe la fonction de présidente
de la CAVAD107, la fédération des associations de pré-collecte. A l'heure actuelle, alors qu'il
ne fait aucun doute sur le statut d'entreprise de Silo, sa directrice est restée présidente de la
CAVAD. Lorsqu'on l'interroge sur la différence entre une association et une entreprise, elle
paraît donner à l'entreprise un caractère plus moderne et mieux organisé sans pour autant
106 Entretien enregistré avec M. Cissé Mahamadou, déjà cité. 107 Coordination des Associations pour l'Assainissement et la Valorisation des Déchets.
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donner un sens précis à l'aspect non lucratif des associations. Globalement, ce critère semble
ne pas être décisif dans le contexte ouagalais : les entreprises de collecte des déchets sont
appuyées comme des associations par le biais de formations et de don de matériel et les
associations représentent une opportunité d'enrichissement pour leurs membres. Prenons
l'exemple de l'Union des femmes pour le développement de l'arrondissement de Boulmiougou
(UFDB) dont la principale activité est la collecte des ordures bien qu'elle s'investisse dans
nombre d'autres activités.108 (Elle est d'ailleurs l'un des acteurs principaux de la pré-collecte
dans l'arrondissement de Boulmiougou et à Pissy tout spécialement.) Environ 55 femmes sont
chargées de ramasser les déchets pour le compte de l'UFDB et une dizaine de "recenseuses"
démarchent les ménages pour trouver de nouveaux clients et percevoir les sommes dues par
les actuels "abonnés". De nombreuses femmes, et surtout celles qui sont déjà impliquées dans
des associations voudraient faire partie de l'équipe de pré-collecte de l'UFDB. Les
perspectives d'emploi fixe dans l'association et le salaire mensuel associé – environ 12 000
Fcfa (environ 18 €) pour une ramasseuse – ne sont pas négligeables pour certaines femmes en
situation difficile. Les divers avantages accordés aux salariés comme l'achat de céréales ou de
vélos à crédit sont aussi bien connus dans le voisinage. Mais c'est surtout la position de
recenseuse – rémunérée en fonction des clients trouvés – qui est attrayante pour les femmes
un tant soit peu éduquées, comme par exemple Bernadette Traoré de l'association Badenya
Benkady.109
Dans les représentations locales, les associations renvoient à ce que nous traduisons par
"l'entente", taaba en Moore.110 Une partie significative d'entre elles adopte d'ailleurs des noms
comme Zemes taaba ou Song taaba.111 La notion d'entente se rapporte à des mécanismes
traditionnels de gestion des conflits chez les Mossi :
"L'entente réside donc dans un arrangement entre les lignages pour juguler les inévitables conflits inhérents à la vie collective sans pour autant vider la querelle." 112 Aujourd'hui, elle sert surtout à désigner l'entraide et la création de lien social qui prennent
place dans les associations. Lors d'une discussion avec des femmes de l'association Badenya
Benkady, il est ressorti que l'intérêt d'une telle organisation était essentiellement d'ordre
108 La plupart des associations rencontrées sur le terrain exerçaient de multiples activités. L'UFDB possède un système de tontine et est en train de se lancer dans le séchage de fruits et légumes et le fumage de poisson. Elle participe aussi à la vulgarisation de cuiseurs solaires en partenariat avec des organismes burkinabé (IRSAT) et étranger (APS). L'IRSAT est l'Institut pour la Recherche Scientifique et l'Amélioration des Techniques et l'APS est une association allemande de vulgarisation de la technologie solaire. 109 Entretien informel du 5 avril 2005. 110 Langue de l'ethnie Mossi, la plus importante au Burkina Faso. Ouagadougou est située en "pays Mossi" et la majorité de ses habitants font partie de cette ethnie. 111 Zemes taaba traduisant plutôt l'entente et Song taaba l'entraide. 112 LAURENT Pierre Joseph, "Effervescence religieuse et gouvernance", op. cit., p. 99.
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social. Les femmes affirmaient alors : "Y'a l'entente, on est comme des sœurs."113 Cette
association de petite taille qui revendique 45 membres et bénéficie de ressources très limitées
s'investit dans de nombreuses activités. C'est en particulier la vente de bois ou la couture et la
teinture pour le compte de l'association. Les femmes estiment que ces activités leur rapportent
environ 200 000 Fcfa par an (300 €) qui sont investis dans un système de tontine. En fait, la
tontine est surtout financée par les cotisations mensuelles des membres (200 Fcfa = 30 cts), ce
qui est un signe évident de l'intérêt qu'elles portent à leur union. Le système de tontine permet
aux femmes d'investir dans leurs petites activités du secteur informel, et d'accéder à un crédit
inaccessible autrement. Les femmes de l'association se voient très régulièrement – elles vivent
souvent très proche du lieu de réunion – et organisent des "causeries", des visites aux malades
de leurs familles respectives ou encore participent à des cérémonies comme des mariages, des
baptêmes ou des funérailles. Cette association qui ne bénéficie d'aucun soutien extérieur mais
d'une reconnaissance officielle, est donc orientée vers l'amélioration globale des conditions de
vie de ses membres. Ce qui est important avant tout c'est "d'aller de l'avant" et de "maintenir
le groupe".
Certes, le caractère "social" est plus mis en avant dans les associations que dans les
entreprises mais, en fin de compte, dans ces deux types d'organisation on est à la recherche de
bénéfices matériels pour soi et pour ses proches. Par conséquent, l'intense mobilisation autour
de la collecte des déchets répond plus à un "effet de manne" qu'à une véritable préoccupation
des acteurs locaux pour la propreté de la ville. Les acteurs s'attachent à capter la rente du
développement suscitée par la réforme, et leurs formes d'organisation ne sont pas sans faire
penser à une sorte de mise en scène destinée à plaire aux partenaires étrangers.114
113 Entretien avec les femmes de l'association Badenya Benkady du 5 avril 2005. 114 Voir LAURENT Pierre-Joseph, Une association de développement en pays Mossi. Le don comme ruse, Paris : Karthala, 1998, 294 p.
5
L'attitude des ménages
La réaction des ménages devant le rôle qui leur est attribué par la réforme représente une
incertitude majeure pour l'évolution de gestion des déchets. L'ensemble du coût de la pré-
collecte repose sur ceux-ci par le biais de l'abonnement mensuel versé aux GIE et la propreté
de la ville est étroitement corrélée à ce que la mairie appelle leur "civisme" :
"Or au Burkina Faso, nous trouvons une population urbaine composée d’une forte proportion de gens pauvres, souvent analphabètes, disposant de très faibles revenus et adoptant des conduites obéissant à des traditions d’origine rurale." 115 Dans un quartier périphérique comme celui de Pissy, nous pouvons relever trois
déterminants principaux de l'adhésion des ménages à la nouvelle politique de gestion des
déchets. Pour commencer il y a la capacité financière de ces ménages. L'extrême pauvreté qui
sévit dans la capitale burkinabé rend peu probable une éventuelle contribution généralisée des
ménages. Il y a aussi des conceptions locales de la saleté qui orientent les pratiques actuelles
et peuvent présenter un obstacle pour n'avoir pas assez été prises en compte durant
l'élaboration de la réforme. Enfin, son succès paraît étroitement déterminé par les rapports de
méfiance et de défiance que les citadins entretiennent avec les pouvoirs publics. L'attitude des
ménages est donc déterminante, c'est ce que l'on nomme "l'adhésion" des populations dans le
jargon du développement.
La capacité de payer.
Plusieurs études ont été réalisées sur la capacité de payer pour un ramassage des ordures et
le schéma directeur de gestion des déchets tente d'en tirer des enseignements. Il estime à
environ 1000 Fcfa (1,5€) le montant mensuel moyen par ménage qui devrait servir à financer
la filière. Il ne règle pour autant pas la question du barème à appliquer, d'autant plus que les
ménages tirent souvent l'essentiel de leurs revenus du secteur informel et qu'il est donc délicat
d'estimer avec précision les revenus dont ils disposent. Toutefois, il donne comme piste le
barème de la taxe de résidence qui est évalué à partir de critères objectifs de confort des
habitations (consommation d'eau courante et d'électricité).116 Devant la complexité de la
question, les autorités ont préféré laisser aux attributaires de chaque zone le soin de négocier
(marchander) avec les ménages le montant de la redevance mensuelle, en tenant compte de
leurs revenus et du nombre de passages. La directrice de l'entreprise Silo, opératrice du
115 SHADYC-Marseille / GRIL-Ouagadougou, Une anthropologie politique de la fange. Conceptions culturelles, pratiques sociales et enjeux institutionnels de la propreté urbaine à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), Rapport final, Programme du Ministère des Affaires Etrangères français piloté par le pS-Eau et le PDM, "Gestion durable des déchets et de l'assainissement urbain", septembre 2002, p. 7. 116 DESSAU-SOPRIN, Rapport final du SDGD de Ouagadougou, op. cit, p. 115.
5
secteur 17, parle elle aussi d'un prix moyen de 1000 Fcfa (1,5€).117 Mais ce prix semble loin
d'être un "bon prix" pour la plupart des ménages. La famille Salou, d'environ 14 personnes,
habite dans le quartier de Pissy (rue 17.340) et paye 500 Fcfa par mois (0, 77 €) à l'UFDB
pour la collecte des ordures. Plutôt privilégiés selon certains critères118, les membres de la
famille semblent réticents à payer plus :
"Mille francs, c'est cher. Nous sommes habitués à payer 400 ou 500 francs. Si l'association est toujours vivante, on va la garder. On peut payer quelque chose avec ça [la différence], du savon même." 119 Dans une famille habitant la même rue, la famille Bagayoko, les fils affirment résolument
que : "Mille francs c'est trop !" La famille paye pour l'instant 600 Fcfa (90cts) par mois à M.
Ouédraogo Idrissa et – selon le principe du marchandage qui veut que l'on "fasse la moitié du
chemin" – le fils affirme être prêt à payer 800 Fcfa (1,20€). Il ajoute cependant que ce serait
plus acceptable si c'était un tracteur qui venait ramasser. Du côté des ménages qui ne sont pas
abonnés, les arguments qui reviennent le plus souvent sont ceux du manque de moyen.
Personne ne semble alors être en mesure de trouver 1000 Fcfa – ou même 500 – pour la
collecte des ordures. Par ailleurs, nombreux sont ceux qui savent qu'une redevance pour
l'enlèvement des ordures est déjà prélevée sur le salaire des fonctionnaires et qui affirment
que la mairie devrait prendre en charge les frais de collecte des déchets.120 Rasmata Kabore,
animatrice dans une agence conseil pour l'environnement, affirme cependant que le "bon prix"
est compris entre 500 et 700 Fcfa (0,76/ 1,10€) par mois.
La fixation d'un prix acceptable pour tous paraît assez improbable et le système de
négociation entre les opérateurs et les ménages paraît convenir à l'idée locale que le "bon
prix" est celui sur lequel on s'accorde.121 Comme le note le schéma directeur, la volonté de
payer dépend de l'organisation de la filière (présence de tracteurs, par exemple) et de la
sensibilisation menée par les autorités. 122 Reste le problème des ménages les plus défavorisés
qui n'ont tout simplement pas les moyens de payer. M. Paul Bayili les estime à 20 % des
ménages de la ville. Le schéma directeur prévoyait la possibilité d'apporter soi-même ses
ordures dans des décharges contrôlées mais cette solution a été écartée de peur que des
entreprises non autorisées se servent de ces décharges pour continuer leurs activités en
117 Entretien avec Mme Yélémou Rachel, directrice de l'entreprise SILO, en date du 13 avril 2005. 118 Ces critères sont : présence de fonctionnaires, maîtrise du français, cour familiale, etc. 119 Entretien avec la famille (élargie) Salou. Entretien collectif non enregistré en date du 18 avril 2005. 120 Certains mentionnent encore la taxe de balayage qui a été supprimée en 1995 et remplacée par la redevance pour l'enlèvement des ordures. 121 Entretien informel avec M. Wendpouire Kalenzaga. 122 DESSAU-SOPRIN, Rapport final du SDGD de Ouagadougou, op. cit, 116.
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concurrence avec les "officiels".123 La réforme condamne donc une partie de la population à se
débarrasser seule de ses déchets et ne garantit pas que ceux qui veulent effectivement
s'abonner le feront avec les nouveaux attributaires qui sont (au secteur 17 tout du moins)
globalement plus chers que les anciens.
Les conceptions locales de la salubrité.
En dehors de la capacité des citadins à payer pour une politique d'assainissement, leurs
conceptions de la propreté peuvent représenter un obstacle à l’application du schéma
directeur. La plupart des habitants seraient satisfaits si l'on venait enlever gratuitement à leur
domicile leurs ordures ménagères. S'ils sont prêts à payer, c'est plutôt parce qu'ils n'ont "pas le
choix" et pour s'éviter le souci d'avoir à disposer eux-mêmes de leurs ordures, ce qui est assez
honteux. Des études dirigées par Jacky Bouju tendent à montrer qu'a Bobo Dioulasso et
Ouagadougou, les comportements de salubrité sont étroitement conditionnés par les pratiques
rurales traditionnelles.124 A la campagne, le tas d'ordure – lu – est généralement composé de
matières organiques qui attendent d'être étalées dans les champs familiaux sous forme de
compost, le lu représente donc une sorte de richesse. Pour ce qui est des objets, il est
difficilement concevable qu'ils puissent n'avoir aucune valeur. Quand on ne peut plus s'en
servir, on les place dans un endroit en attendant de leur trouver une utilité. Ils sont désormais
presque invisibles aux yeux des habitants. L’attitude typique serait alors l'éparpillement :
"il est intéressant de remarquer que rien, dans les gestes et dans les habitudes, n'est prévu pour l'évacuation définitive. Un objet posé qui devient inutile ne bougera jamais s'il ne se trouve pas à un endroit où il dérange. Il restera posé." 125 On ne considère pas que la saleté puisse rester dans le sol ou qu'elle puisse transmettre des
maladies. D'ordinaire, on juge que les ordures se dispersent sous l'action du vent et des fortes
pluies d'hivernage, et que si la saleté n'est plus visible, c'est qu'elle a disparu. Ces aspects
anthropologiques éclairent donc les pratiques actuelles et annoncent des difficultés à l’heure
de constituer l'assainissement en enjeu de santé publique. Les rapports que les citadins
entretiennent avec l'autorité publique constituent toutefois un obstacle plus sérieux au succès
de la réforme.
123 Entretien téléphonique du 9 juin avec M. Paul Bayili, spécialiste burkinabé de l'assainissement. 124 SHADYC-Marseille / GRIL-Ouagadougou, Une anthropologie politique de la fange, op. cit. et BOUJU Jacky (dir.), "Les incivilités de la société civile". Espace public urbain, société civile et gouvernance communale à Bobo-Dioulasso et Bamako (Communes 1 et 2), Programme de Recherche Urbaine pour le Développement – GEMDEV-ISTED, Axe 2 : Analyse des logiques et des stratégies d'acteurs – équipe n° 9, 2004, 169 p. 125 WYNGAERDEN François, "La gestion des déchets dans une ville émergente", in LAURENT Pierre Joseph, NYAMBA André, DASSETTO Felice et al., (dirs.), Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso. Le cas de Ziniaré, Paris : L'harmattan, 2004, p. 416.
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Entreprises, associations et citadins face aux pouvoirs publics
Dans les périphéries, les autorités manquent continuellement de répondre aux attentes des
citadins. A Pissy, les routes ne sont pas goudronnées, il n'y a pas de système d'égouts ni de
collecte des ordures par la mairie. Souvent, les habitants disent qu'ils vont "en ville" quand ils
vont au centre de Ouagadougou. Ils se sentent à la marge et il faut bien le dire un peu oubliés
par le développement. Cette sensation est encore renforcée par un sentiment d'impuissance
politique en face du CDP de Blaise Compaoré qui constitue un parti unique de fait. Les
pratiques clientélistes, largement répandues, aliènent les citadins exclus de la redistribution
ainsi opérée. La souillure de l'espace public prend alors une dimension politique, même si elle
ne peut être assimilée à une "résistance des ordures" 126 comme le fait Jacky Bouju :
"La salissure de l’espace public apparaît à la fois, comme le moyen le plus économique qu’ont trouvé les pauvres et les déclassés de la ville pour dire que leur marginalisation socio-économique est devenue insupportable" 127
Plutôt que d'en faire un acte politique en soi, nous considérons le geste de se débarrasser
de ses ordures dans la rue ou dans des décharges improvisées comme un symptôme. Ce geste
traduit le désintérêt profond des citadins pour l'espace public physique et donc pour l'espace
public politique. Personne ne se sent concerné et l'on invoque tant du côté des autorités que
des citadins le "manque de moyens" qui justifie d'un côté comme de l'autre que l'on ne prenne
pas ses responsabilités. Les différents acteurs se rejettent la faute, certains habitants estiment
que la mairie devrait faire plus pour la propreté – d'autant plus qu'il existe une taxe de
balayage prélevée sur le salaire des fonctionnaires – pendant que les autorités qualifient les
comportements des ouagalais d' "incivils", comme le rapporte un journaliste de L'Observateur
Paalga :
"Pour le maire, la pauvreté est souvent utilisée comme soupape pour cultiver l'incivisme. Qu'à cela ne tienne. Le patron de la ville [M. Simon Compaoré] fera dans la sensibilisation, pour mettre tout le monde au pas et participer à faire de Ouaga ce qu'on souhaite qu'elle soit." 128 Ces "manquements réciproques" dont parle Jacky Bouju 129 sont une manifestation de la
crise urbaine et signalent le manque de confiance qui existe entre les citoyens-administrés et
les autorités municipales et qui constitue un obstacle à l'assainissement de la ville de
Ouagadougou. Pourtant, la mise en place de la réforme et l'importance prise par les
associations contribuent à modifier les rapports politiques locaux. 126 D'après LESBET Djaffar, "La résistance des ordures à Alger", in SEGAUD MARION (dir.), Le propre de la ville: pratiques et symboles, La Garenne Colombes: Editions de l'Espace Européen, 1992, pp. 207-219 cité in SHADYC-Marseille / GRIL-Ouagadougou, Une anthropologie politique de la fange, op. cit., 2002, p. 136. 127 SHADYC-Marseille / GRIL-Ouagadougou, Une anthropologie politique de la fange, op. cit., 2002, p. 143. 128 OUEDRAOGO D. Evariste, "Simon veut recycler ses déchets", L'Observateur Paalga, s. d. 129 SHADYC-Marseille / GRIL-Ouagadougou, Une anthropologie politique de la fange, op. cit.
5
Le fait d'être organisées en association permet aux femmes de participer à des activités de
l'administration ou des programmes animés par des ONG étrangères. A titre d'exemple, depuis
2000, des membres de l'association Badenya Benkady ont participé à deux journées de
propreté organisées par la mairie et à trois journées de reboisement dans le cadre d'un
programme national. Elles ont aussi été invitées à des réunions de sensibilisation sur le VIH et
la tuberculose. L'association répond à des logiques sociales et matérielles – elle permet
d'assurer une solidarité pour des femmes souvent très démunies qui veulent "aider [leurs]
maris" – mais elle permet aussi d'engager une nouvelle relation avec les pouvoirs publics en
donnant un poids politique à ses membres. Badenya Benkady a fait une demande de parcelle
auprès de la mairie et espère des "encouragements" de ce côté-là. En retour, l'administration –
et ici la mairie d'arrondissement – s'appuie sur elle pour mettre en place ses programmes de
sensibilisation ou des actions ponctuelles (reboisement, propreté). Les associations constituent
un échelon intermédiaire entre la population et l'administration et elles sont un des sites
d'intermédiation entre les deux. Souvent, elles servent de canal aux relations clientélistes,
même si elles ne peuvent jamais être réduites à cela.
L'exemple de l'Union des Femmes pour le Développement de Boulmiougou (UFDB) est
éloquent à cet égard. Cette fédération d'associations a pour vocation de ressembler les
nombreuses associations de l'arrondissement et comporte environ mille membres adhérents et
31 membres exécutifs. Elle a été créée en 2001 et est reconnue par le Ministère de
l'administration territoriale et de la décentralisation depuis 2002.130 L'UFDB a été en mesure
de s'imposer rapidement dans la collecte des déchets du fait des soutiens particulièrement
importants dont elle dispose. Le maire de l'arrondissement de Boulmiougou, Mme Séraphine
Ouédraogo, a elle-même impulsé la création de l'association et des relations très étroites
existent entre la mairie et l'association. Sa présidente, Mme Ouédraogo Abzèta (née Nana) est
une "sœur" de M. Mathieu Nana, responsable des affaires sociales et du jumelage à la mairie.
La trésorière, Mme Bambara Julienne, est conseillère municipale et dispose d'un important
réseau de relations à la mairie. Ces relations ont permis l'attribution par cette dernière d'une
dizaine de charrettes à traction asine ainsi que de gants, brouettes et autre petit matériel pour
la pré-collecte des ordures. Par l'intermédiaire de la mairie, l'association a aussi pu bénéficier
du soutien de l'ONG tiers-monde, une association belge regroupant des femmes
fonctionnaires. En fait, l'osmose est si complète entre cette association et la mairie que
nombre des habitants du quartier considèrent que les charrettes bleues qui parcourent les rues
130 Cette reconnaissance qui donne lieu à l'attribution d'un "récépissé" est souvent source d'une grande fierté et d'espérances tout aussi grandes. Voir Annexe 4, Récépissé reconnaissant l'existence officielle de l'association AJSEPES, p. XI.
6
sont celles de la mairie. Elles portent d'ailleurs son enseigne sur un côté. Cet amalgame n'est
pas anodin et comporte même parfois des effets négatifs. Ainsi, Mme Salya, ancienne
secrétaire de l'UFDB de se rappeler les difficultés à trouver des abonnés :
"Nous avons eu pas mal de problèmes. Parce que pour convaincre les gens c'était un peu compliqué. Et y'a d'autres qui nous disaient que avec le travail de la mairie, on voit que la mairie n'avance jamais. Y'a eu ce cas. Le problème d'ordures ménagères qui n'avait pas abouti à grand-chose. Et maintenant ils ont peur de se lancer encore avec la mairie. Et comme c'est un don de la mairie, ça veut dire que nous travaillons en collaboration avec la mairie. Donc en tous cas, le problème de la mairie là, eux ils ne peuvent pas rentrer dedans. Ca n'a pas été facile au début." 131
En dépit de ces malentendus, l'UFDB représente surtout une organisation intermédiaire
entre la mairie d'arrondissement et les associations de femmes voire les ménages et en cela un
instrument de légitimation de l'équipe municipale. Les associations membres de l'UFDB
bénéficient parfois de dons de matériel et leurs membres dirigeants peuvent être invités à faire
partie du comité de direction de l'UFDB, ce qui facilite considérablement les relations avec la
mairie d'arrondissement et est perçu comme une possibilité d'accéder à de nouveaux
financements. La plupart des opérateurs privés qui oeuvrent dans les quartiers de
Ouagadougou n'ont ni la taille ni les soutiens de l'UFDB. Ce sont souvent des groupements de
femmes ou de jeunes défavorisés – et ils opèrent en général avec des moyens extrêmement
rudimentaires – mais leur activité de collecte leur permet d'engager une relation avec les
autorités municipales. L'AJSEPES132 et son président Pierre Yabré en sont un exemple.
M.Yabré a pu obtenir des contrats temporaires pour lui-même et ses membres pour la propreté
de la mairie, mais ses relations au niveau de la mairie d'arrondissement ont aussi été mises à
profit pour contacter d'autres partenaires en vue de financements. En 1998, une lettre du maire
de l'arrondissement de Boulmiougou lui a permis de recevoir une subvention de 100 000 Fcfa
(150 €) de la part de la mairie centrale. En 2000, une autre lettre du même maire appuyait une
nouvelle demande – auprès du CREPA – qui n'a pas débouché sur un financement cette
fois
estion des déchets car c'est dans ce contexte que la
réforme fait sens pour les acteurs locaux.
.133
La politique de gestion des déchets est un révélateur des relations entre l'administration et
les acteurs privés, qu'ils soient entreprises, associations ou simples ménages. Il apparaît que
les logiques d'actions de ces acteurs sont étroitement déterminées par la quête de ressources et
par un sentiment de méfiance vis-à-vis des autorités. Il est indispensable d'en tenir compte
dans l'analyse de la politique publique de g
131 Entretien avec Mme Salya, ex secrétaire de l'UFDB, en date du 19 avril 2005. 132 Association des jeunes et des sans-emploi pour la promotion de l'emploi et de la salubrité. 133 Pour une copie de différents documents liés à ces deux demandes, voir annexe 6, pp. XII-XV.
6
Chapitre 4: L'Etat, un acteur comme les autres ?
Le schéma directeur de gestion des déchets recommande et justifie une forme de
privatisation de la filière, par le biais de la délégation de certaines activités et d'un partenariat
avec le secteur privé. Toutefois, il laisse la porte ouverte à un rôle de la mairie dans le
transport et dans la gestion du CET, et juge même bon qu'elle continue ses activités de pré-
collecte dans les deux zones centrales en raison de la densité supérieure de population et de la
nécessité d'utiliser un matériel plus perfectionné.134 Pour l'attribution de nouveaux prêts
nécessaires à la mise en place de la filière, la Banque mondiale a néanmoins imposé une
privatisation totale qui est difficilement comprise à la Direction de la propreté :
"Y'a un seul lot [de transport] seulement qu'on a confié à une entreprise privée. Les deux autres lots c'est la mairie, c'est la direction de la propreté qui va continuer à s'occuper du transport jusqu'à un certain moment. Parce que ça coûte excessivement cher."
"Donc nous on a dit à la Banque mondiale : "Pour le moment nous on a pas les moyens de tout privatiser. Donc pour le moment nous on va pouvoir payer l'enfouissement et le transport. Donc, comme nous avons toujours nos camions, on va toujours encore utiliser nos camions pour ramasser pendant un, deux ou trois ans en attendant d'avoir les moyens nécessaires pour privatiser toute la filière. Tous les deux autres lots." 135 Le paradoxe est de taille, l'administration a dû négocier les conditionnalités de la Banque
mondiale et prouver que la concession de zones de transport à des entreprises privées coûtait
en réalité plus cher que leur gestion par la mairie. La privatisation est perçue comme une
imposition extérieure et non comme une manière d'améliorer l'efficacité du secteur, ce qui
nous ramène à l'idée que les privatisations représentent plus un dogme qu'une solution aux
problèmes de Etats africains. Les arguments les justifiant sont parfois faiblement fondés.
L'Etat n'est donc plus qu'un acteur parmi d'autres, il perd son monopole de l'action publique et
est de plus en plus dépendant d'un savoir qui se construit en dehors de lui. Pourtant, les
acteurs institutionnels conservent une certaine latitude d'action dans un contexte de réforme
de l'Etat et de décentralisation administrative. Ils franchissent souvent les limites de la légalité
dans leur quête de ressources politiques et économiques mais parviennent à sauvegarder leur
prééminence sur les arènes politiques locales. S'ils contrôlent de moins en moins étroitement
les flux de l'aide au développement, ils savent se placer en intermédiaires incontournables
entre les populations et la communauté du développement, et ils adoptent une
gouvernementalité complexe, qui parfois s’inscrit dans la stratégie des bailleurs de fonds mais
souvent la dépasse et la contourne.
134 DESSAU-SOPRIN, Rapport final du SDGD de Ouagadougou, op. cit. 135 Entretien du 14 avril 2005 avec M. Cissé Mahamadou, responsable d'exploitation du CET et Traitement et valorisation des déchets.
6
Dépolitisation et repolitisation de la gestion des déchets
Bruno Jobert relève deux dimensions du programme de ce qu'il appelle la "gouvernance
dépolitisée".136 Il y a la dimension instrumentale, qui est très claire dans l'exemple qui nous
concerne. L'Etat n'intervient plus dans la pré-collecte, est en sursis dans le transport et délègue
à une entreprise privée pour ce qui est du traitement des déchets. Il conserve seulement un
rôle de superviseur qu'il a même du mal à assumer :
"Nous on joue le rôle de régulateur. Nous on coordonne. C'est vrai que c'est les premières années mais nous on va essayer de réguler les choses. On va coordonner." 137 Mais il y a aussi la dimension cognitive du processus de dépolitisation, qui s'exprime par
la promotion de nouveaux acteurs que sont les consultants, les analystes financiers, les ONG,
les agences spécialisées et les institutions internationales. Ensemble, selon Bruno Jobert, ils
forment une sorte de communauté épistémique, fortement internationalisée, et participent à
"la construction d’un même langage, d’un même référentiel".138 Une des caractéristiques de la
réforme actuelle est en effet qu'elle a principalement été pensée en dehors de l'administration,
que ce soit par le CREPA, l'ONG EAST, des consultants nationaux ou internationaux. Paul
Bayili pilotait certes un projet de recherche au sein de la mairie, mais celui-ci était financé par
le Fonds National pour la Recherche Scientifique Suisse (FNRS). Un commentaire de M.
Cissé Mahamadou éclaire la relation qui existe entre la mairie et les activités du CREPA :
Mahamadou Cissé : "Les formateurs, je les connais pas tous. Ils sont venus nous louer la salle. Simon Mas : Et ils forment vos animateurs aussi le CREPA ? Mahamadou Cissé: Oh nonnonnon. Mais souvent s'ils organisent des séminaires, des ateliers, ils nous envoient une lettre d'invitation et nous on désigne un cadre pour aller assister." 139
La rationalité derrière la réforme de la politique de gestion des déchets est d'ordre
purement économique et entrepreuneurial. Il s'agit d'organiser la filière de manière à optimiser
le rapport coûts-bénéfices. Le renforcement des capacités ou la participation, loin d'être des
objectifs en soi, constituent des "fluidifiants" pour assurer le succès de l'entreprise. Cette
approche dite "intégrée" bute sur les réalités sociales, économiques et politiques de la ville. Il
y a un manque d'intermédiation entre les normes implicites à l'élaboration de la réforme et
celles des acteurs de terrain :
"L'efficacité recherchée par la Banque mondiale est essentiellement une efficacité économique de moyen ou long terme ; l'efficacité opératoire pour la plupart des acteurs africains est une efficacité de court terme et, surtout, une efficacité relationnelle et clientéliste." 140
136 JOBERT Bruno, "Le mythe de la gouvernance dépolitisée", op. cit., p. 276. 137 Entretien du 14 avril 2005 avec M. Cissé Mahamadou, responsable d'exploitation du CET et Traitement et valorisation des déchets. 138 JOBERT Bruno, "Le mythe de la gouvernance dépolitisée", op. cit., p. 276. 139 Entretien du 14 avril 2005 avec M. Cissé Mahamadou, responsable d'exploitation du CET et Traitement et valorisation des déchets.
6
Cette contradiction est particulièrement visible au niveau local, celui des quartiers de
Ouagadougou. Il apparaît que la réforme ne peut s'abstraire de la complexité de la situation
sociale et de la concurrence pour l'accès aux ressources. En ce sens, la politique publique de
gestion des déchets constitue bien un site d'observation privilégié des transformations de
l'espace public en cours à ouagadougou. Bien que présentée comme une réforme technique,
elle touche aux fondamentaux de l'organisation de la société burkinabé et plus
particulièrement des rapports avec l'administration. Son étude dévoile les jeux d'acteurs aux
niveaux local, national et international et donne une idée du contexte dans lequel doit se
penser le développement. Avec les discours sur la bonne gouvernance, le renforcement des
capacités et la participation, la communauté du développement entend en fait réformer en
profondeur la société et le politique au Burkina Faso. Mais l'exemple de la gestion des déchets
montre bien que les tentatives d'impulser le changement se heurtent aux enjeux locaux, qu'ils
soient de nature politique ou économique. Des recompositions importantes des modes de
gouvernement sont en cours, orientés par les discours sur la bonne gouvernance. On note une
complexification de l'action publique avec l'intégration aux processus décisionnels d'une
variété d'acteurs publics et privés provenant de divers champs locaux, nationaux ou
internationaux. Les rapports entre les acteurs mais aussi avec l'Etat et à l'intérieur de
l'administration elle-même sont de plus en plus contractualisés, de même que les rapports
avec les citoyens. L'administration et en particulier les mairies évolue désormais dans un
milieu où sont présents de nombreux organismes qui oeuvrent pour l'amélioration des
conditions de vie des citadins, elle n'a plus le monopole du développement légitime.
Dépendante de ressources externes et forcée à coopérer avec de multiples acteurs, elle
démontre toutefois sa formidable capacité d'adaptation puisqu'elle parvient à s'imposer malgré
son manque de ressources en termes financiers et d'expertise. Au sujet des pays européens,
Bruno Jobert note que:
"le modèle de la gouvernance semble conduire à un évidement de la capacité d’apprentissage et d’intervention normative des autorités publiques." 141
C'est un point de vue sensiblement différent que nous souhaitons défendre ici et s'agissant
de notre exemple de la politique publique de gestion des déchets, il est possible de distinguer
entre une politique publique formelle et informelle, et entre les discours et les pratiques. Il ne
fait aucun doute que l'administration et singulièrement les élus locaux ont tout intérêt à ce que
la réforme débouche sur une gestion efficace des déchets solides. Dans ce cadre, il leur faut 140 BANEGAS Richard et HIBOU Beatrice, "Société civile et espace public en Afrique", Bulletin du CODESRIA, N° 1, 2000, note 6, p. 45. 141 JOBERT Bruno, "Le mythe de la gouvernance dépolitisée", op. cit., p. 284.
6
coopérer avec les bailleurs de fonds pour obtenir des financements, ce qui signifie revoir leurs
méthodes d'intervention. Mais les pouvoirs publics locaux ont d'autres intérêts qui tiennent à
l'entretien d'une clientèle à des fins de contrôle politique. Dans ce cadre ils s'efforcent de
capter les ressources générées par le secteur de l'assainissement, c'est-à-dire les abonnements
des ménages et l'aide étrangère. La politique publique informelle, ce sont toutes ces pratiques
inavouables qui contribuent à faire de la gestion des déchets ce qu'elle est mais s'intègrent
dans des stratégies plus larges et plus complexes que le simple rôle technique dévolu aux
autorités par les concepteurs de la réforme. Les autorités sont constituées d'un ensemble
d'acteurs aux pratiques variables et aux intérêts divergents qui choisissent parfois de se saisir
de l'opportunité de la mise en place du secteur de la gestion des déchets pour renforcer leurs
positions. Ces pratiques, parce qu'elles concourent au modelage de la politique publique et
parce que, en fin de compte, elles contribueront à son succès ou à son échec, en font partie
intégrante. L'Etat est un acteur parmi d'autres, en cela qu'il n'est pas le seul à s'investir dans le
développement local. Les contraintes de l'ajustement et les cadres de lutte contre la pauvreté
ont contribué à une réforme de l'action publique qui implique une grande part de privatisation
mais il ne faut pas assimiler celle-ci à un quelconque "retrait de l'Etat" :
La privatisation n'est pas, malgré le discours libéral, un phénomène d'autonomisation des acteurs privés, d'autonomisation mutuelle du politique et de l'économique, mais bien un phénomène de restructuration des manières d'être et d'agir dans des espaces politiques et économiques." 142 L'exemple de la politique de gestion des déchets montre que l'Etat dépend d'acteurs privés
mais parvient à entrer avec eux dans un jeu complexe de négociation. C'est ce jeu qu'il est
intéressant d'examiner pour deux raisons : d'une part il nous permettra d'éclairer les futurs
développements de la réforme, de l'autre il constitue un point d'observation privilégié des
recompositions de l'espace public en cours à Ouagadougou. Les stratégies locales qui
entourent cette politique publique confirment l'importance de considérer l'enchâssement du
politique et du technique dans toute stratégie de développement. Certes, le succès de la
réforme dépend de la compétence des acteurs et de son financement, mais il est surtout
tributaire du mode de gouvernement qui caractérise la ville de Ouagadougou.
142 HIBOU Béatrice, "La 'décharge'. Nouvel interventionnisme", op. cit., p. 12.
6
Détournement et contournement d'une réforme de politique publique
Les compétences en matière de gestion des déchets sont réparties entre le Ministère de
l'environnement – qui intervient essentiellement au niveau de la révision du cadre législatif et
réglementaire et de l'orientation générale de la politique environnementale – et la commune
qui regroupe l'essentiel des compétences dans le domaine de l'assainissement solide. Au sein
de cette dernière, trois services interviennent. La mairie centrale vote le budget et négocie
avec les bailleurs de fonds, elle s'occupe aussi de l'attribution des lots de pré-collecte, de
transport et de traitement après appels d'offre. La Direction de la propreté, créée dans le
sillage de la réforme s'est autonomisée de la direction des services municipaux, c'est elle qui
est chargée de la mise en place technique de celle-ci et qui assure pour l'instant le transport
d'une partie des déchets et le nettoyage du centre ville. Enfin, les mairies d'arrondissements ne
jouent qu'un rôle mineur, en particulier d'interface avec les associations et les usagers et donc
de sensibilisation. En dépit de certains mouvements vers plus de décentralisation depuis
l'indépendance du pays, ce n'est qu'à partir de 1993 que le pays se lance dans un véritable
processus de décentralisation. En 1998, le Burkina Faso se dote d'un texte d'orientation sur la
décentralisation (TOD) dont la mise en œuvre est en cours. Les communes de Ouagadougou
et de Bobo Dioulasso sont régies par des statuts particuliers mais concrètement on note que
sur l'ensemble du pays, la décentralisation est encore peu avancée malgré les ambitions
affichées.143 Les mairies d'arrondissement à Ouagadougou ont des moyens très limités qui
rendent difficile l'amélioration du cadre de vie de leurs administrés. A titre d'exemple, la
mairie de l'arrondissement de Boulmiougou couvre à peine ses frais de fonctionnement avec
la dotation globale effectuée chaque année par la mairie centrale. M. Ilboudo, l'unique
fonctionnaire de la section voirie affirme gérer ce domaine de façon "anarchique"144, du fait du
manque de moyens. Cette situation rend possible la pénétration d'une logique de projet dans le
fonctionnement de l'administration qui illustre la tendance à la contractualisation dans les
administrations africaines. Ainsi, lorsqu'il met en place une opération de nettoyage dans son
arrondissement, M. Ilboudo fait appel à la mairie centrale pour obtenir des financements
exceptionnels et le prêt de matériel de la part de la direction de la propreté. Il relève que
certains collègues sont privilégiés car ils travaillent avec des ONG internationales (il cite les
mairies de Signonghin et de Nongrmasson) et d'ajouter que tout cela dépend de la "politique" 143 Pour un traitement récent de la question de la décentralisation au Burkina Faso, voir SAWADOGO Raogo Antoine et SEBAHARA Pamphile, "Historique de la décentralisation au Burkina Faso", in LAURENT Pierre Joseph, NYAMBA André, DASSETTO Felice, et al., (dirs.), Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso. Le cas de Ziniaré, Paris : L'harmattan, 2004, pp. 59-78 et Partenariat pour le Développement Municipal, Etat de la Décentralisation au Burkina Faso, mai 2000, 9 p. 144 Entretien avec M. Ilboudo Omar, de la section voirie de la mairie de Boulmiougou, en date du 7 avril 2005.
6
du maire de Ouagadougou : il y aurait donc des arrondissements privilégiés. Ce manque
d'autonomie et cette dépendance d'autres acteurs pour financer des actions qui relèvent de la
compétence de la mairie d'arrondissement font dire à Omar Ilboudo que "la mairie est une
association à part." 145 On le voit, les autorités municipales n'ont plus le monopole des projets
de développement urbain et dépendent même des ONG pour mener certaines actions. Leur
fonctionnement a tendance à se calquer sur celui de ces dernières, la mairie n'est plus qu'un
acteur du développement parmi d'autres.
Ce manque de ressources qui caractérise la mairie de Boulmiougou explique l'aspect
stratégique que revêt l'association de femmes UFDB qui s'occupe essentiellement de collecte
des déchets et dont nous avons parlé plus haut.146 Mme Séraphine Ouédraogo, le maire de
Boulmiougou a réservé à l'occasion de ses vœux aux associations pour l'année 2005, une
mention spéciale à l’UFDB qui l’a accompagnée dans la "mobilisation" et la
"conscientisation" des femmes. Elle leur a à cette occasion remis du matériel.147 Cette
association, nous l'avons déjà relevé, est un instrument précieux de légitimation de l'équipe
municipale, et ce d'autant plus que l'on se trouve en période électorale.148 Le fait que l'UFDB
n'ait pas été retenue lors de l'attribution de monopoles de pré-collecte par la mairie centrale est
donc à l'origine d'un conflit, comme dans la plupart des 12 lots que compte la ville de
Ouagadougou. L'arrondissement de Boulmiougou a été séparé en deux lots : le lot numéro
huit (secteurs 18 et 19) et le lot numéro neuf (16 et 17), tous deux attribués à un GIE appelé
Clean Environment et composé de trois associations – l'AJSC149, Delwende et Lagem Yam –
et d'une entreprise, Silo. De ces quatre opérateurs, seule Silo bénéficie déjà d'abonnés dans la
zone, les autres étant pour l'instant installés dans d'autres quartiers. Le GIE n'a pas encore
dépassé le stade du repérage mais il y a déjà des conflits avec les "anciens occupants" – et en
premier lieu l'UFDB – qui ne veulent pas laisser la place aux "nouveaux attributaires". Ce
problème est récurrent dans toute la ville, et il hypothèque le succès de la réforme. Des
présidents d'associations ou d'entreprises ont même été menacés de mort.150 En général, ce
sont les associations soutenues par des hommes politiques locaux qui sont les plus
145 Idem. 146 Voir chapitre précédent. 147 KINJDO Enok, "Arrondissement de Boulmiougou : des séchoirs solaires et autocuiseurs à l’UFDB", Sidwaya, lundi 31 janvier 2005. 148 Les élections municipales sont prévues pour les mois suivant l'élection présidentielle programmée pour le mois de novembre 2005. 149 Association des jeunes pour la Salubrité de la Commune. 150 Entendu au cours d'un séminaire de formation animé par le CREPA pour renforcer les capacités des acteurs de GIE et PME attributaires de zones de pré-collecte, il s'est déroulé dans les locaux de la Direction de la Propreté le 19 avril 2005.
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virulentes.151 Des appels sont régulièrement publiés dans les journaux ou diffusés à la radio
depuis le début du mois de mai. La mairie centrale entend ainsi informer les ménages du
changement d'opérateurs privés sur le terrain. La plupart des associations de collecte non
attributaires ont déjà été sommées de partir et ont été prévenues des sanctions qu'elles
encourent. Toutefois, la mairie semble pour l'instant réticente à l'idée de "déguerpir" ces
associations et entreprises en période préélectorale. Un signe évident du manque de volonté
politique pour forcer les associations non attributaires à cesser leurs activités est que le conseil
municipal a choisi les attributaires pour chacun des 12 lots de pré-collecte mais les contrats de
concession attendent d'être signés depuis plusieurs mois.152 Certains dirigeants des nouvelles
entreprises attributaires ont beau croire que le maire de Ouagadougou, réputé intransigeant
pour avoir maintes fois accompagné les forces de police sur les marchés pour "déguerpir des
commerçants, intimera en personne l'ordre à ces associations de "déguerpir" 153, celles-ci sont
pour l'instant toujours actives. Le climat de concurrence exacerbée qui existe depuis quelques
années persiste et met en difficulté les adjudicataires de zones qui ne peuvent compter sur un
marché stabilisé afin de pouvoir se concentrer sur la gestion et réaliser les investissements
nécessaires à une collecte efficace. La réforme de la gestion des déchets butte en fait sur le
lien entre les associations de collecte et certains fonctionnaires ou hommes politiques. Il
semble que la collecte des déchets en tant qu'activité génératrice de revenus, ait
immédiatement été investie par des fonctionnaires ou des hommes politiques ; ou du moins
que les dirigeants des associations qui ont eu du succès dans cette branche se soient très vite
vus cooptés par les pouvoirs locaux.
L'objectif affiché de la bonne gouvernance est de permettre aux sociétés civiles de
responsabiliser les gouvernements et de contrôler le fonctionnement de l'administration. En
pratique, cela signifie souvent – nous l'avons vu – déléguer certaines activités étatiques à des
entreprises ou des associations qui sont censées en assurer une meilleure gestion. L'étude de la
politique publique de gestion des déchets montre cependant que les acteurs de l'administration
ne perdent pas de vue les enjeux économiques et politiques liés à ce secteur. Ils parviennent à
la détourner dans une certaine mesure en l'insérant dans les jeux politiques locaux. Cette
logique de détournement est complétée par une autre logique, d'impulsion. Pour amener le
changement, les autorités ont recours à un savant dosage d'éducation et de répression.
151 Entretien téléphonique du 9 juin avec M. Bayili Pierre. Consultant local spécialisé dans la gestion des déchets. 152 Idem. 153 Commentaire fait par l'un des participants à un séminaire de formation du CREPA qui s'est déroulé à la direction de la propreté le 19 avril 2005.
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La dialectique de l'éducation et de la répression.
Les qualificatifs ne manquent pas pour distinguer les entreprises et associations qui ont été
attributaires de zones de pré-collecte de celles qui ne le sont pas. Pour les premières on parle
de "nouveaux attributaires" ou de "légaux", pour les autres "d'anciens occupants". Mme
Bouda Léocadie pour sa part, distingue les "organisés" des "associations informelles". Ce
langage sert à mettre l'accent sur la plus grande efficacité de ceux qui ont été choisi par
rapport à ceux qui doivent "quitter" le plus vite possible. Mais si l'on s'y intéresse de plus
près, ceux qui sont sortis victorieux des appels d'offres lancés par la mairie ne sont pas
apparus de nulle part. Ce sont en fait les acteurs qui sont appuyés depuis des années par le
CREPA ou d'autres organismes et qui travaillent depuis longtemps en lien avec la mairie. De
toutes les associations et entreprises retenues, seules trois entreprises ne faisaient pas partie au
préalable de la CEGED154, quand au second regroupement, la CAVAD155, toutes les
associations qui en sont membres font maintenant partie de GIE attributaires de zones. La
CAVAD et la CEGED existent depuis plus de dix ans et ont été créés sous l'impulsion du
CREPA régional qui entendait renforcer ainsi les échanges entre les divers acteurs de terrain
et fournir des interlocuteurs aux pouvoirs publics et aux bailleurs de fonds. La première
association à voir le jour est l'association féminine Lagem Yam en 1994, dans le cadre d'un
projet pilote sur l'assainissement mis en place par le CREPA.156 Par la suite, de nombreuses
autres suivent, appuyées par des partenaires étrangers ou simplement attirées par les bénéfices
financiers réalisables dans le secteur de la pré-collecte. Selon Mme Bouda Léocadie, cette
situation a amené à un "foisonnement" associatif qu'il est nécessaire de réguler.157 C'est le but
de la concession de monopoles de collecte. On voit que la stratégie participative sert à former
des acteurs locaux de collecte des déchets. Ils sont appuyés matériellement par des partenaires
et sont consultés par l'administration. Ce sont eux les véritables bénéficiaires de la politique
de renforcement de la société civile, qui leur a permis d'acquérir une position dominante dans
le secteur. A l'image de Rachel Yélémou de l'entreprise Silo, de nouvelles élites émergent,
qu'elles s'investissent dans des associations, des entreprises ou les deux à la fois. La rentabilité
du secteur de l'assainissement ainsi que leurs relations avec les ONG étrangères et les
autorités municipales leur ont permis d'acquérir des positions de pouvoir importantes. Ils
154 Coordination des entreprises privées pour la gestion des déchets. 155 Coordination des associations pour l'assainissement et la valorisation des déchets. 156 TALL Kadidia, "Une association féminine entreprend la gestion de l'environnement dans un quartier de Ouagadougou", in HAINARD François et VERSCHUUR Christine (dirs.), Femmes dans les crises urbaines. Relations de genre et environnements précaires, Paris : Karthala, 2001, p. 151. 157 Entretien avec Mme Bouda Léocadie, Formatrice du CREPA chargée de l'appui-conseil aux organisations de base, en date du 8 avril 2005.
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représentent des nouvelles figures de la réussite158, leurs trajectoires sociales sont
conditionnées par leur engagement associatif et leur habileté à mobiliser des réseaux de
membres.
Il a été relevé plus haut que la participation s'est réduite dans le projet de réforme à une
"information" de différents segments de la population et à la mise en place de Comités
sectoriels de salubrité (CSS) qui ont largement échoué.159 L'approche "par le bas" qui est
censée maintenant caractériser la coopération internationale, n'a pas (ou peu) servi à laisser
s'exprimer les attentes des ouagalais. Au contraire, on note une volonté presque autoritaire de
faire coopérer les habitants à tout prix. Cela implique un effort de communication qui est clair
dans le schéma directeur et qui se traduit au printemps 2005 par de nombreux communiqués à
la radio et dans la presse en général. D'ailleurs, l'accent mis sur la communication est une
caractéristique des nouvelles politiques publiques mises en œuvre par le gouvernement
burkinabé, comme l'indique Alexandra Biehler au sujet du projet ZACA. Ce projet ambitieux
de réhabilitation d'une partie du centre ville de Ouagadougou impliquait le relogement des
habitants de tout un quartier. L'investissement d'une compagnie privée, l'agence de
communication Synergie, a favorisé l'acceptation du projet par les habitants.160 Pour le secteur
de la gestion des déchets cependant, la communication se réduit largement à la présence
d'animateurs employés par les entreprises de pré-collecte ou de l'administration par
l'intermédiaire de l'agence de conseil AC3E.
Mais cet effort de communication pourrait ne pas suffire, et il faudrait alors avoir recours
à plus de fermeté. Au PACVU, M. Dieudonné Tapsoba prévient : "Il ne faut pas s'attendre à
ce que les gens s'abonnent de bon gré."161 Si l'utilité de l'intervention étatique est jusqu'à
présent largement contestée, ce n'est pas le cas au niveau de la répression. Les Ministères et la
commune sont censés, selon le schéma directeur, revoir la législation relative à la gestion des
déchets avant de se charger de sa mise en application. Sur le terrain, cela signifie que l'Etat
pourrait bien avoir à imposer par la force le paiement des abonnements et l'arrêt des activités
des "anciens occupants", c'est-à-dire les entreprises et associations non attributaires de zones
de pré-collecte :
Simon Mas: Et est-ce qu'à terme il va y avoir des opérations de répression pour s'assurer que tout le monde soit bien … [abonné]
158 Voir BANEGAS Richard et WARNIER Jean-pierre, "Nouvelles figures de la réussite et du pouvoir", in Politique africaine, N° 82, juin 2001, pp. 5-23. 159 Entretien avec Mme Bouda Léocadie du CREPA régional en date du 8 avril 2005. 160 BIEHLER Alexandra et Le BRIS Emile, "Etude de cas: jeux d'acteurs pour la modernisation de la ville. Le projet ZACA à Ouagadougou (Burkina Faso)", in Emile Le BRIS (dir.), Les municipalités dans le champ politique local. Les effets des modèles exportés de décentralisation sur la gestion des villes en Afrique et au Moyen-Orient, PRUD, Equipe 27, janvier 2004, p. 308. 161 Entretien avec M. Tapsoba, déjà cité.
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Mahamadou Cissé: Oh oui, en tous cas on va … Mais pas pour l'instant. Peut être il faut attendre trois quatre années à venir.
Simon Mas: Donc pour l'instant vous allez fonctionner avec la sensibilisation pour convaincre les gens.
Mahamadou Cissé: Oui pour les convaincre du bien fondé. Mais une fois que les GIE, les PME, les légaux là, qui sont légalement attributaires commencent, personne d'autre ne doit venir enlever les ordures chez vous. C'est eux seulement. On a passé le communiqué ils doivent quitter un par un. Sinon là vraiment on sera obligés de réprimer les gens. On envoie la police municipale si on trouve une association, quelqu'un qui n'est pas attributaire et qui soit dans la zone en train de collecter, nous on va … Si c'est un tracteur nous on va le retirer l'envoyer à la fourrière. Si c'est une charrette c'est pareil.162
Dans le cadre de la politique ouagalaise de gestion des déchets, les deux critères de
développement sont le paiement des abonnements aux groupements d'intérêt économique et
l'adoption de comportements plus "civiques" par les citadins. La réalisation de ces objectifs
implique la sensibilisation des populations mais aussi la répression par l'intermédiaire de
l'administration. Malgré les efforts mis en place, on constate que la sensibilisation n'a pour
l'instant produit que peu d'effets visibles. Dans le quartier de Boulmiougou, l'immense
majorité des habitants n'est même pas au courrant qu'une refonte du secteur de la gestion des
déchets est en cours. La répression viendra-t-elle pallier les échecs de l'éducation dans un
proche avenir ?
La formation d"associations et d'entreprises compétentes avec l'aide des bailleurs de fonds
et la sensibilisation des citadins, d'une part, et la (menace de) répression, de l'autre, sont deux
modalités de la relation entre administration et administrés. Elles correspondent à la tentative
des autorités de précipiter le changement, mais nous avons vu que le changement n'est pas
toujours la priorité des acteurs politiques et administratifs comme en témoigne l'actuelle
inertie dont ils font preuve. Leur réticence à soutenir les nouveaux attributaires des monopoles
de pré-collecte donne l'indice des luttes pour les ressources politiques et économiques qui se
produisent autour de la réforme. Celle-ci est donc profondément déterminée par les modes de
régulation qui existent dans cette ville, mais nous faisons maintenant l'hypothèse qu'elle est
aussi l'occasion d'une renégociation de ceux-ci. La partie qui suit s'attache donc à donner des
éléments sur un ordre politique en mouvement du fait des réformes en cours.
162 Entretien avec M. Cissé Mahamadou, déjà cité.
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Troisième partie Finalement qu'est-ce qui change ? L'ordre
politique entre ruptures et continuités.
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Chapitre 5: Des évolutions dans la gouvernementalité locale.
Troisième partie Finalement qu'est-ce qui change ? L'ordre
politique entre ruptures et continuités.
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Chapitre 5: Des évolutions dans la gouvernementalité locale.
L'administration est prompte à dénoncer l'incivisme des populations, ce qui lui permet de
ne pas affronter les critiques qui tiennent aux faiblesses de sa gestion des déchets et à son
incapacité à répondre aux attentes des citadins. Le clientélisme reste l'un des vecteurs
principaux de la communication entre les différentes arènes sociales et politiques et cela
traduit selon de nombreux auteurs l'incapacité des systèmes politiques africains à se
démocratiser.163 Le régime de Blaise Compaoré est loin d'être démocratique même si
incontestablement un processus de libéralisation politique a eu lieu. Il apparaît toutefois
comme un bon élève des institutions de Bretton Woods et l'annulation de la dette du Burkina
Faso à leur égard décidée en juin 2005 par le G8 en est l'illustration. Si son caractère
autoritaire s'étale parfois au grand jour164, le régime a su faire les concessions nécessaires pour
s'assurer une aide massive, sans toutefois jouer pleinement le jeu de la démocratie.165 La
permanence d'anciens modes de régulation et l'enracinement étatique sur le modèle de l'Etat-
rhizome166 ne doivent pas cacher des changements significatifs qui sont étroitement liés selon
nous à la réception locale des normes et des pratiques de la communauté du développement –
ou tout du moins aux effets sur les arènes locales de l'intervention de développement. La
réforme de l'action publique et l'investissement du champ politique par de nouveaux acteurs 163 BOUJU Jacky, "Clientélisme, corruption et gouvernance locale à Mopti", in Autrepart, N° 14, 2000, pp. 143-163. 164 On peut penser ici à l'assassinat du journaliste Norbert Zongo le 13 décembre 1998 ou encore à l'interprétation de la Constitution qui permet à Blaise Compaoré de se présenter pour deux nouveaux mandats de 5 ans alors qu'il est au pouvoir depuis 1987. Voir : ZIDA GEORGE, "Compaoré comme Chirac", Le pays, 19 août 2005. 165 Voir. LOADA Augustin, "Burkina Faso : les rentes de la légitimation démocratique", in L'Afrique politique, Paris/ Bordeaux-Talence : Karthala/ CEAN, 1995, pp. 217-233. 166 BAYART Jean-François, L'Etat en Afrique. La politique du ventre, Paris : Fayard, 1989, 439 p.
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issus du milieu associatif sont deux indices qui tendent à montrer qu'en dépit des continuités
apparentes, de nouveaux modes de médiations émergent sous l'influence de l'aide
internationale. La médiation selon Maurice Enguéléguélé revient :
"à produire du global au-delà du sectoriel : dans une société qui a tendance à partir en morceaux … on parviendra à produire à travers la médiation une représentation globale du monde qui tente de définir un rôle et une place aux différents secteurs et à réguler les relations." 167 Pour évaluer les évolutions dans la gouvernementalité locale, nous montrons comment les
pratiques et les discours des acteurs du développement se sont greffés aux modes de gestion
publique mais aussi en quoi l'émergence de nouveaux acteurs et de nouvelles pratiques
politiques ont pu modifier le champ politique local.
167 ENGUELEGUELE Maurice, "L'analyse des politiques publiques dans les pays d'Afrique subsaharienne.", op. cit., p. 244.
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L'historicité des politiques urbaines
Après l'indépendance, de multiples tentatives de gérer l'évacuation et l'entreposage des
déchets voient le jour. Jusqu'en 1985, la mairie en a la responsabilité et alterne entre des
périodes où elle s'en charge elle-même et d'autres où elle sous-traite cette activité à des
entreprises privées. Le manque de moyens empêche à chaque fois le bon fonctionnement du
secteur.168 Des changements radicaux se produisent avec le régime révolutionnaire de Thomas
Sankara, de 1983 à 1987, on passe alors "d'une politique de laisser-faire à un volontarisme
sans précédent dans le domaine urbain." 169 De vastes actions sont entreprises pour changer la
société et la ville capitale. Les populations sont mises à contribution lors d'opérations de
salubrité appelées "opérations mana mana" et un organisme de gestion des déchets appelé
ONASENE170 est créé en 1985 – il fonctionnera jusqu'en 1990 – la mairie étant alors
déchargée de ses compétences en matière d'assainissement. Il y a une volonté de la part du
régime d'ordonner la société au moyen par exemple de grands projets d'infrastructures et
d'urbanisme. Un léger détour par la politique de lotissements nous permet d'éclairer quelque
peu la nature des politiques urbaines durant la révolution. De 1984 à 1990, plus de 30 000
logements ont été construits, selon une méthode musclée. A chaque fois, c'est le même
scénario, des quartiers d'habitat spontané sont entièrement rasés en échange de faibles
indemnisations, puis lotis en blocs de parcelles rectangulaires coupés de routes à intervalles
réguliers. Cet "urbanisme de la table rase" est d'inspiration clairement haussmannienne, il
témoigne selon Alain Marie "d'une sorte de passion rationalisatrice et utopique jusqu'au-
boutiste"171, l'objectif final de cette politique étant la "recomposition totale de la société
urbaine et de son espace".172 Yveline Déverin-Kouanda montre bien que cette politique traduit
une volonté de faire rentrer la réalité dans le cadre trop étroit d'une planification rigoureuse :
"On a réalisé des opérations de lotissement avec attribution de parcelles. En fait, cela consiste à tracer sur le papier les parcelles en laissant des espaces vides entre les îlots. Lors de la confrontation du papier avec la réalité, on retire les parcelles qui sont absolument inconstructibles (fond de marigot…) et on attribue le reste." 173 Du fait de la résistance populaire et des pressions exercées par les puissances étrangères,
la période révolutionnaire s'achève en 1987. Blaise Compaoré, alors numéro deux du régime,
168 SHADYC-Marseille / GRIL-Ouagadougou, Une anthropologie politique de la fange, op. cit., p. 168. 169 JAGLIN Sylvie, Le BRIS Emile, MARIE Alain et al., Les enjeux des extensions urbaines à Ouagadougou (Burkina Faso) 1984-1990, Compte rendu de fin d'étude d'une recherche financée par le Ministère de la Recherche et de la Technologie, ORSTOM, janvier 1992, p. 357. 170 Office national des services d'entretien, de nettoyage et d'embellissement. 171 MARIE Alain, "Politique urbaine : une révolution au service de l'Etat", op. cit., p.36. 172 Ibid., p.28. 173 DEVERIN-KOUANDA Yveline, "Gestion des espaces collectifs: pratiques ouagalaises", in Espaces et sociétés, N° 62-63, 1990, p. 95.
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fait assassiner Thomas Sankara et lance immédiatement une "campagne de rectification" qui
implique entre autres un réajustement de la politique économique et une attitude plus tolérante
vis-à-vis des "ennemis de la révolution", c'est-à-dire de la bourgeoisie et des chefs coutumiers
et religieux en particulier. Elle est selon René Otayek "l'expression de l'abandon, de la
stratégie sankariste de confrontation avec la société 'civile' pour la contraindre au
changement".174 Les transformations se situent donc au niveau des méthodes de gouvernement
bien plus que dans le remplacement de la classe politique, Céline Thiriot note :
"Le changement de régime au Burkina Faso a peu de points communs avec les transitions démocratiques qui ont eu lieu par exemple au Mali ou au Bénin. L'équipe dirigeante est restée en place, sans changement notable. Il s'est agi essentiellement de la constitutionnalisation du régime précédent." 175 Au niveau des politiques publiques urbaines, pourtant, le changement de stratégie est clair.
Le nouveau régime met progressivement un terme à l'ambitieuse politique de construction
d'habitations, une fois la cité des "1200 logements" achevée. Désormais, il se contente
d'attribuer des parcelles. La politique de gestion des déchets revient, elle, à la mairie (par le
biais de la Direction des services techniques municipaux), l'ONASENE étant supprimé en
1990. Surtout, les bailleurs de fonds multilatéraux, après la signature du premier Plan
d'ajustement structurel en 1991, commencent à s'immiscer dans la gestion urbaine et dans les
politiques publiques en général. Jean-Pierre olivier de Sardan décrit cette imbrication des
logiques locales et internationales dans les administrations africaines :
"Les dynamiques administratives ont en effet ces caractéristiques d'être à la fois le produit des dynamiques sociales locales et des contingentements internationaux imposés par les agences de normalisation et de standardisation des modes de gestion sociale relayés par les jeux d'acteurs africains et non africains." 176 Le régime de Blaise Compaoré affiche une attitude plus conciliante à l'égard à la fois des
burkinabés et des institutions financières internationales, mais la volonté de contrôler la
société n'a pas disparu pour autant. A travers la politique publique de gestion des déchets,
l'Etat lutte pour assurer son hégémonie sur des populations dont les "mille pratiques
minuscules"177 traduisent à la fois l'inventivité et la résistance à un ordre politique dont la
légitimité est souvent contestée. On reste donc dans la problématique des "paysanneries non
174 OTAYEK René, "Rectification", in Politique africaine, N° 33, mars 1989, p. 6. 175 THIRIOT Céline, "La transition en cercle fermé au Burkina Faso", in DALOZ Jean-Pascal (dir.), Le (non-) renouvellement des élites en Afrique subsaharienne, Talence : CEAN, 1999, p. 156. 176 DARBON Dominique, "Pour une socio-anthropologie de l'administration en Afrique II", op. cit., p. 167. 177 Achille Mbembe cité in BANEGAS Richard, Insoumissions populaires et révolution au Burkina Faso, Bordeaux : CEAN, 1993, p. 12.
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captives" décrite par Goran Hyden, dont les "choix d'évasion" constituent un obstacle au
développement.178 Aujourd'hui comme sous la révolution :
"force est de constater que la ville, et plus spécialement Ouagadougou, est assez vite devenue le lieu théâtral et pédagogique où le nouveau pouvoir a cherché à transmettre les nouvelles disciplines civiques, morales et corporelles collectives." 179 La thèse élaborée par Mahmood Mamdani se vérifie donc ici, la gouvernementalité
ouagalaise a son origine dans le despotisme centralisé exercé sur les villes dès la période
coloniale. Les deux vagues de réforme – l'une "conservatrice" et l'autre "radicale" – qui ont eu
lieu après l'indépendance n'ont pu modifier fondamentalement l'héritage des régimes
coloniaux.180 Trois continuités majeures sont relevées par Jean-Pierre Olivier de Sardan, ce
sont le despotisme, le privilégisme et le rôle des intermédiaires.181 La "mission civilisatrice"
des régimes coloniaux – qui allait toujours de pair avec la politique de "mise en valeur"
coloniale – s'incarne désormais dans l'effort d'éducation et de sensibilisation des autorités. La
participation des populations aux politiques de développement et le récent effort de
décentralisation, censé rapprocher le pouvoir des citoyens, tempèrent mais ne font pas
disparaître le caractère despotique du gouvernement. Quant au privilégisme – observable à
travers l'instrumentalisation souvent efficace de réseaux de copinage, de parentèle,
d'appartenance ethnique et souvent clientélistes – il pénètre les rapports sociaux et surtout les
relations avec l'administration.182 Enfin, le rôle des intermédiaires – de ces "courtiers" comme
les nomment Thomas Bierschenk, Jean-Pierre Chauveau et Jean-Pierre Olivier de Sardan183 –
est illustré par la place prise par les membres dirigeants des associations de pré-collecte. Ils
sont censés faire passer les normes d'organisation inhérentes à la réforme aux membres de
leurs associations puis par effet de domino aux ouagalais dans leur ensemble. Sous des formes
quelque peu modifiées certes, certains traits des régimes coloniaux ont ainsi pu se perpétrer en
cette période d'interventionnisme renforcé de la communauté du développement.
178 Voir HYDEN Goran, No shortcuts to progress. African development management in perspective, Los Angeles: University of California Press, 1983, 223 p. 179 JAGLIN Sylvie, Le BRIS Emile, MARIE Alain et al., Les enjeux des extensions urbaines à Ouagadougou, op. cit.., p. 358 (Surlignage des auteurs). 180 MAMDANI Mahmood, Citizen and Subject. Contemporary Africa and the Legacy of Late Colonialism, Princeton: Princeton University Press, 1996, 253 p. 181 OLIVIER de SARDAN Jean-Pierre, "Etat, bureaucratie et gouvernance en Afrique de l'Ouest francophone. Un diagnostic empirique, une perspective historique", in Politique africaine, N° 96, décembre 2004, p. 156. 182 OLIVIER de SARDAN Jean-Pierre, "La sage-femme et le douanier. Cultures professionnelles locales et culture bureaucratique privatisée en Afrique de l'Ouest", in Autrepart – Fonctionnaires du Sud, N° 20, 2001, pp. 61-73. 183 BIERSCHENK Thomas, CHAUVEAU Jean-pierre, OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre (dir.), Courtiers en développement. op. cit.
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La collusion entre les politiques de développement des bailleurs et celles de l'Etat.
Les conditionnalités politiques et économiques des bailleurs de fonds ont entraîné des
évolutions dans la gouvernementalité locale, mais le défi des autorités burkinabés reste le
même : impulser le changement, par la voie autoritaire ou non. Une équipe de l'ORSTOM
relevait en 1990 "la similitude entre les thèmes du discours révolutionnaire et ceux des
discours modernistes de toutes origines et de tous âges."184 Il est donc logique que nous
relevions plus d'une décennie plus tard des similitudes entre ce discours révolutionnaire et les
discours contemporains sur le développement, qu'ils émanent des autorités burkinabés,
d'acteurs associatifs ou des organismes multilatéraux d'aide au développement. Au temps de
la révolution comme aujourd'hui, les acteurs de politiques publiques stigmatisent le "sous-
développement" et tentent de mettre en place des actions pour y remédier. La participation des
populations sert alors de point d'appui au gouvernement. Que ce soit dans le cadre des
Comités de défense de la révolution (CDR) ou des Comités sectoriels de salubrité (CSS)
aujourd'hui185, l'objectif reste d'encadrer et de mobiliser la population pour mieux changer les
mentalités, et d'assurer l'interface entre les citoyens et l'administration. Ainsi, les CSS sont
chargés du "suivi de l'implication des résidents" et de la "surveillance et du suivi de la pré-
collecte", mais aussi de préparer des "rapports de suivi incluant les plaintes et commentaires
de chaque intervenant".186 Paradoxalement, et malgré l'insistance des bailleurs de fonds sur
l'aspect participatif de la réforme, ces comités n'ont presque aucune existence concrète sur le
terrain. Si une catégorie de jeunes gens pas forcément éduqués a pu accéder à la participation
politique grâce aux CDR, les Comités Sectoriels de Salubrité semblent au contraire incapables
de tenir leur promesse de servir l'ascension sociale des actuels cadets sociaux. Quand elle
fonctionne, la participation défendue par les bailleurs de fonds sert en fait à améliorer
l'efficacité de la gestion étatique et à promouvoir l'adhésion des populations et on relève une
certaine "méfiance vis-à-vis des jeux de la démocratie majoritaire"187. L'aide étrangère a
souvent pour effet de renforcer le pouvoir de la bureaucratie au détriment du système
politique par le biais de la création de structures administratives liées à la mise en place d'un
projet précis (phénomène d'agencification)188 ; tandis que l'intervention d'ONG contribue
184 JAGLIN Sylvie, Le BRIS Emile, MARIE Alain et al., Les enjeux des extensions urbaines à Ouagadougou, op. cit., p. 359 (Surlignage des auteurs). 185 Des Comités sectoriels de salubrité sont présents dans chaque commune, ils sont composés d'élus locaux, de représentants des autorités coutumières et religieuses, de jeunes, de femmes, de personnes âgées et de responsables de marchés de tous types. 186 Voir Annexe 3, pp. V-X. 187 Voir BANQUE MONDIALE, The World Bank Participation Source Book, 1996, et JOBERT Bruno, "Le mythe de la gouvernance dépolitisée", op. cit., p. 273. 188 FJELDSTADT Odd-Helge, "Taxation, coercion and donors: local government and tax enforcement in Tanzania", in Journal of Modern African Studies, N° 39, vol. 2, 2001, p. 301 ; d'après BATLEY Richard, "The
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parfois à "disqualifier les modes locaux de fonctionnement du politique (…) au profit d'une
conception technicienne des problèmes à résoudre et de pratiques clientélistes." 189 Par
conséquent, les effets de l'aide étrangère des méthodes participatives sont profondément
ambivalents :
"unless participatory processes take into account the relative bargaining power of so-called stakeholders they are in danger of merely providing opportunities for the more powerful." 190
Avec les conditionnalités de bonne gouvernance, il est indéniable que les pratiques
politiques ont changé, mais le despotisme reste vivace. Alexandra Biehler et Emile Le Bris
affirment que le récent projet d'urbanisme ZACA dans le centre ville de Ouagadougou a
suscité un débat jamais vu jusqu'alors :
"il est aujourd'hui permis à la population de discuter les conditions de départ et de réinstallation dans les nouveaux quartiers, ce qui n'était pas le cas pour leurs compatriotes, il y a 15 ans." 191
En ce qui concerne la gestion des déchets, nous avons vu qu'une partie non négligeable de
la décision comme du travail de terrain sont transférés à la "société civile". Il n'empêche que
le traçage des zones de pré-collecte montre que l'administration a toujours autant de mal à
s'accommoder de la réalité du terrain :
Mahamadou Cissé: Et quand nous on a subdivisé on a pas tenu compte de leur ancien zonage [des associations de collecte]. 192
De ce fait, un mouvement de cession d'abonnés est donc en cours193, et un conflit entre
certains GIE attributaires se superpose à celui qui oppose l'ensemble de ceux-ci aux "anciens
occupants". La continuité entre les pratiques révolutionnaires et actuelles est visible en la
personne de M. Simon Compaoré, maire de Ouagadougou. Occupant des postes importants
depuis la période de la révolution194, il est la figure type de ces élites recyclées par la IVe
république. Il bénéficie à Ouagadougou d'une réputation d'homme à poigne, en particulier du
fait de son attitude à l'égard des commerçants du secteur informel qu'il vient souvent
"déguerpir" en personne. Les bailleurs de fonds ne condamnent pas toujours ces pratiques,
comme le montre un rapport d'évaluation du PACVU :
new public management in developing countries", in Journal of International Development, N° 11, 1999, pp. 755-765. 189 LECLERC-OLIVE Michèle, "Les effets d'un projet de développement urbain sur l'arène politique locale" in Economies et sociétés, Série "développement, croissance et progrès", F, N° 42, juillet 2004, p. 1213. 190 COOKE Bill, KOTHARI Uma (eds.), Participation: the new tyranny? , London: Zed Books, 2001, p. 9. 191 BIEHLER Alexandra, Le BRIS Emile, "Etude de cas: jeux d'acteurs pour la modernisation de la ville. Le projet ZACA à Ouagadougou", op. cit., p. 318. 192 Entretien avec M. Cissé Mahamadou, déjà cité. 193 Mais les GIE attributaires sont très réticents à céder leurs abonnés, même à d'autres GIE attributaires. Le conflit entre deux GIE était bien visible lors du séminaire de formation du CREPA du 19 avril, déjà cité. 194 Et en particulier celui de ministre de la Justice sous le CNR.
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"La rigidité du régime politique durant la période 1983-90 a permis à ce système de planification de fonctionner. Malgré ses effets négatifs sur le processus démocratique, cette attitude autoritaire a permis aux autorités de restructurer les zones urbanisées d’alors et de bien maîtriser le développement des deux villes [Ouagadougou et Bobo Dioulasso]" 195
Ce commentaire traduit une certaine nostalgie de la période où une planification
imparfaite était compensée par un volontarisme politique sans bornes et quand le
gouvernement savait "maîtriser le développement" urbain. Les autorités municipales font
aujourd'hui une utilisation intensive des différents moyens de communications et limitent de
ce fait le recours à la force. Les méthodes changent mais la volonté de refondre la société
urbaine et son espace reste la même, et les populations n'ont qu'à obtempérer :
"Mais nul n'est censé ignorer comment dirai-je, si on dit que l'Etat ou bien la commune décide de faire quelque chose et qu'après vous dites que vous n'êtes pas informés alors que ça passait dans toutes les radios, dans toute la presse privée, vraiment vous n'êtes pas excusable. Vous êtes obligés seulement de quitter, de libérer les lieux pour que d'autres personnes puissent intervenir." On retrouve ainsi l'oscillation relevée par René Otayek entre l'"Etat mou" et l'"Etat total",
"entre deux attitudes opposées visant le même objectif : inscrire la société dans son
développement".196 Le régime de Thomas Sankara est celui qui s'est le plus approché de cette
figure de l'Etat total, celui de la quatrième république est certainement plus proche de l'Etat
mou. Pourtant les politiques urbaines de ces deux périodes entretiennent un rapport de
filiation évident. Les fonctionnaires et les élus politiques se considèrent toujours comme des
modernisateurs de la société burkinabé. Et de cette modernité ils sont prêts à en faire
accoucher la société au forceps. La réforme de l'action publique défendue par les institutions
financières internationale n'a donc pas fondamentalement remis en cause les pratiques
autoritaires de l'administration burkinabè. Bien au contraire, leurs ambitions modernisatrices
s'accommodent fort bien de ces pratiques et, dans leur quête du développement, l'Etat et les
bailleurs s'accordent parfois sur les objectifs comme sur les méthodes.
195 BANQUE MONDIALE, Rapport d'évaluation Burkina Faso sur le Projet d'Amélioration des conditions de vie Urbaines, op. cit. 196 Cité in BANEGAS Richard, Insoumissions populaires et révolution au Burkina Faso, op. cit., p. 4.
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La constitution d'un nouveau bloc historique
Les modes de gestion publique introduits par les bailleurs de fonds n'ont pas radicalement
bouleversé la structuration du jeu politique local, et les élites en place ont démontré leur
habileté et leur ingéniosité à l'heure de consolider leurs positions de pouvoir dans une période
de mutations sociopolitiques et économiques. Pourtant, l'apparition sur les scènes locales
d'acteurs issus du mouvement associatif et l'importance de cette nouvelle forme d'extraversion
que constitue la captation des financements extérieurs pour le développement entraînent un
processus de reconstitution des blocs historiques. Selon le modèle de la révolution passive de
Gramsci reprise par Jean-François Bayart dans L'Etat en Afrique197 , des acteurs appartenant à
la classe des dominés, des cadets sociaux, sont en train d'être cooptés par les élites politiques
ou du moins de gagner en visibilité. Comme le font Richard Banégas et Béatrice Hibou, nous
pouvons alors affirmer que :
"le mouvement associatif s'est structuré comme une interface entre l'Etat et la société civile, mais aussi comme un site charnière de l'assimilation réciproque des élites." 198
Des transactions collusives se produisent avec ces acteurs émergents qui entraînent une
inflexion dans les trajectoires d'ascension sociale. Cela nous amène alors à préciser notre
pensée : les conditionnalités extérieures entraînent une renégociation des rapports de pouvoir
car elles influent sur le contexte de la captation de la rente du développement. De nouveaux
acteurs intègrent la catégorie élite et leurs pratiques et représentations influent désormais sur
la gouvernementalité locale. La grande majorité des associations qui prolifèrent actuellement
sont des associations de jeunes et de femmes. Si l'on se fixe sur la composition du comité de
direction de l'UFDB, on remarque qu'il regroupe des femmes de classe moyenne.199 Ces
femmes-là ont désormais leur mot à dire sur la gestion municipale et formulent même des
doléances, pour leur association mais aussi pour les habitants du quartier :
"L’Union des femmes pour le développement de Boulmiougou présente comme doléances pour l’année 2005, la construction de la Maison de la femme, la réalisation de forages et l’acquisition de moulins à grain, l’équipement en tables et bancs pour assurer la formation, l’acquisition de moules à savon et de matériel de teinture et enfin, l’aménagement des berges du barrage de Boulmiougou." 200
197 BAYART Jean-François, L'Etat en Afrique. op. cit. 198 BANEGAS Richard, HIBOU Béatrice, "Société civile et espace public en Afrique", op. cit., note 6, p. 42. 199 Présidente : Ouedraogo Abzéta (Agente commerciale d'une entreprise financière, la SOBECA) ; Secrétaire générale : Ouattara Bibatta (Enseignante primaire) ; Secrétaire aux relations extérieures : Kangouébou Awa (Infirmière) ; Secrétaire projets : Seni Colette (Enseignante préscolaire) ; Trésorière : Bambara Julienne (Juriste). 200 KINJDO Enok, "Arrondissement de Boulmiougou : des séchoirs solaires et autocuiseurs à l’UFDB", Sidwaya, lundi 31 janvier 2004, déjà cité.
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La trésorière de l'association, Mme Bambara Julienne, exerce en tant que juriste au
Tribunal municipal. A l'aise à la mairie comme dans le milieu associatif, elle illustre ces
logiques de chevauchement (straddling) entre associations et administrations, entre public et
privé. Pour les membres dirigeants des associations du quartier, la mairie de Boulmiougou est
un endroit stratégique. On les y retrouve souvent et certains s'y rendent plusieurs fois par
semaine.201 M. Nana Mathieu, du Service des affaires économiques et sociales, est leur
interlocuteur principal. Leur coopération est étroite, pour recenser les associations de
l'arrondissement, il compte sur la bonne volonté de Mme Salya qui l'aide à compléter sa liste.
Mais c'est surtout au niveau de l'allocation des ressources que les associations jouent
désormais un rôle pivot. La mairie a beaucoup de mal à dégager des ressources pour financer
des initiatives à caractère social. Tout au plus est-elle en mesure d'attribuer des parcelles à
certaines associations, de distribuer ponctuellement du matériel grâce à l'octroi d'un
financement de la part de la mairie centrale ou d'un don d'ONG. Elle ne constitue pas un
maillon dans une chaîne de redistribution de ressources, les associations s'adressent pour cela
à des ONG ou des organismes étrangers. Elle peut en revanche leur servir de point d'appui
pour entrer en contact avec ces partenaires :
"C'est l'appui seulement, [la mairie] nous aide dans la visibilité." 202 Les dirigeants d'associations constituent des courtiers en développement en cela qu'ils
contribuent à "drainer des ressources extérieures relevant de l'aide au développement." 203 Ils
sont un élément clef du processus de révolution passive à l'œuvre à Ouagadougou car, comme
le note Olivier Legros au sujet de Yeumbeul dans la banlieue dakaroise, les associations :
"se sont substituées aux cellules de base du parti au pouvoir comme structures d'intermédiation sociale et de captation des ressources extérieures. 204 Il convient d'être prudents ici et de ne pas en déduire trop rapidement que les élites
politiques administratives et politiques sont dépassées par ce phénomène et perdent de ce fait
le contrôle des arènes locales. Le courtage en développement peut aussi bien constituer une
"ruse de l'Etat" face aux contraintes de l'aide internationale.205 De même, la délégation à des
201 M. Pierre Yabré, Mme Salya Marcelline et Mme Ouédraogo Abzèta avaient donné ce lieu de rendez-vous le jour de leur premier entretien. 202 Entretien non enregistré avec Mme Ouédraogo Abzèta et Mme Kangouebou, respectivement Présidente et Secrétaire aux relations extérieures de l'UFDB. L'entretien se déroule au siège de l'association en date du 8 avril. 203 BIERSCHENK Thomas, CHAUVEAU Jean-Pierre, OLIVIER DE SARDAN Jean Pierre (dirs.), Courtiers en développement, op. cit., p. 7. 204 LEGROS Olivier, "Les tendances du jeu politique à Yeumbeul (banlieue est de Dakar) depuis l' 'alternance' ", in Politique africaine, N°96, décembre 2004, p. 76. 205 Bako-Arifari in BIERSCHENK Thomas, CHAUVEAU Jean-Pierre, OLIVIER DE SARDAN Jean Pierre (dirs.), Courtiers en développement, op. cit., p. 70.
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opérateurs privés dans le secteur de la gestion des déchets a été instrumentalisée par certaines
catégories d'acteurs locaux. En particulier, le processus de privatisation a pu donner lieu à une
entreprise de reconversion du capital politique en capital économique de la part des élites. Les
conflits politiques autour de l'attribution des monopoles de pré-collecte et le flou qui a entouré
la passation (de gré à gré!) des concessions de transport et d'exploitation du CET en sont un
indice.206 La recomposition des arènes locales s'opère donc principalement autour d'enjeux
financiers et politiques. Les associations en sont la pièce maîtresse du fait de leur capacité à
récolter des financements et à mobiliser les citoyens, en particulier les femmes et les jeunes.
Dans les semaines précédant l'entrée (tardive) en campagne de Blaise Compaoré, la
mobilisation qui a pu être orchestrée grâce aux associations de jeunes et de femmes a
démontré leur rôle politique crucial. A une semaine d'intervalle, des milliers de jeunes puis de
femmes ont défilé dans les rues de la capitale pour appeler de leurs vœux la candidature du
président.207 Mais ces acteurs peuvent également démontrer leur poids politique en organisant
des mouvements de résistance. Alors que depuis plusieurs mois l'insatisfaction gronde autour
de la mauvaise gestion des lotissements à Boulmiougou, un groupe de jeunes organise une
marche – le 5 juillet 2005 – qui remporte un franc succès. Cette initiative est aussitôt mise à
profit par certains conseillers municipaux pour tenter de destituer le maire, Mme Séraphine
Ouédraogo. Les organisateurs répliquent alors en détaillant leurs revendications à la presse et
en dénonçant les "manœuvres politiciennes" de certains conseiller municipaux "véreux".208
Il y a fort à parier que d'autres événements de campagne des présidentielles de novembre
2005 et municipales de début 2006 viendront rappeler l'importance des jeunes et des femmes
dans le jeu politique. A Boulmiougou comme à Yeumbeul, les cadets sociaux sont un élément
à prendre en compte pour les factions politiques qui s'affrontent.209 Ces recompositions
pourront déboucher sur de nouvelles formes de résistance ou au contraire la cooptation de ces
forces sociales. Dans le chapitre qui suit, nous tenterons de démontrer que ces stratégies
d'alliance et de captation des ressources entraînent des évolutions dans les économies morales
du pouvoir.210 Faut-il alors y voir l’indice de la gestation d'un espace public démocratique ?
206 Le 29 janvier 2004, le Conseil municipal de la commune de Ouagadougou s'est réuni pour autoriser la passation de ces marchés publics de gré à gré. Voir : Conseil Municipal de la Commune de Ouagadougou, Compte-rendu de séance, 29 janvier 2004. 207 Observations de terrain, les Week-end du 3 et du 10 avril 2005. 208 Voir : OUEDRAOGO Privat, "Nos parcelles ou notre argent!", Sidwaya, 6 juillet 2005 et Communiqué de MM. KINDA Prosper, DERRA Zakaria, KABORE Sambo, KABRE Adama, "Nous ne voulons pas être responsables de la chute du maire", Sidwaya, 12 juillet 2005. 209 LEGROS Olivier, "Les tendances du jeu politique à Yeumbeul depuis l' 'alternance' ", op. cit. 210 Voir : ROITMAN Janet, "Economie morale, subjectivité et politique", in Critique internationale, N° 6, hiver 2000, pp. 48-56.
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Chapitre 6: La difficile gestation d'un espace public démocratique.
Le terme de "développement" est l'un des plus utilisés dans le langage politique sur
l'Afrique et en Afrique, il prend des significations variables suivant les contextes. Nous avons
essayé, à travers notre exemple de la gestion des déchets à Ouagadougou, de faire émerger la
réalité qu'il recouvre. La forme d'action publique ainsi dévoilée a la caractéristique d'être
profondément imprégnée par la logique de projet et d'être – peut être plus que dans les pays
développés – étroitement connectée au global du fait de l'influence de l'aide au
développement. Mais cette connexion, ces influences entretiennent un rapport complexe avec
le changement social et politique au Burkina Faso. Ceux qui tentent de mobiliser cette société
de l'extérieur sont confrontés à l'omniprésence du politique et à la complexité des jeux
d'acteurs sur le terrain, qui rendent difficilement prévisible le résultat de l'effort de
développement. L'aide internationale modifie l'environnement des acteurs mais n'a pas pour
effet univoque, comme tend à l'affirmer le discours des institutions de Bretton Woods, de
soutenir une société civile vertueuse dans sa tentative de promouvoir la bonne gouvernance en
rendant responsables les dirigeants. En fait, le vocable de "société civile" recouvre une réalité
ambiguë sur le terrain : les acteurs ainsi "appuyés" ont leurs propres objectifs et tentent le plus
souvent de favoriser leur ascension sociale en se laissant coopter par les élites en place. Quant
aux ressources apportées par l'aide au développement, elles garantissent la survie ou la
meilleure qualité de vie de bien des burkinabés, mais sont aussi indispensables à la
perpétuation du régime en place qui en a fait un puissant instrument de légitimation. En
somme, le paradoxe de l'aide au développement est qu'elle est censée engendrer le
changement mais s'intègre à des modes de gouvernement relativement anciens. Toutefois, il
semble que l'apparente continuité dans les modes de gouvernement que nous avons relevée
cache des évolutions sensibles dans les régimes de citoyenneté définis – à la suite de Jane
Jenson – comme "une configuration particulière de modes de légitimation".211 Les interactions
autour de la politique publique de gestion des déchets contribuent à la diffusion de rôles
politiques et à l'acceptation de compromis relatifs aux comportements légitimes dans l'espace
public. Dans les différentes arènes qui sont établies à l'occasion de cette réforme, les acteurs
sont amenés à revoir leurs conceptions de l'ordre public et de la justice sociale, de qui doit
participer à l'espace public et de ce qui constitue une intervention légitime du politique dans la
société.
211 Cité in JOBERT Bruno, "La régulation politique : le point de vue d'un politiste", op. cit., p. 131.
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Espace public physique, espace public politique.
La réforme de la gestion des déchets est caractérisée par la tentative de responsabilisation
des citadins quant à la nécessité d'adopter des comportements dits "civiques" pour garantir la
propreté de la ville. Les ouagalais sont enjoints de ne plus jeter leurs déchets dans les rues ni
même dans des décharges non contrôlées ; ils doivent les placer dans des récipients pour être
ramassés par les collecteurs. Il leur est aussi demandé de payer pour ce ramassage, ce qui
provoque immanquablement une intense négociation du prix. Enfin, les groupements qui
s'occupent de la collecte sont confrontés aux comportements des ménages et à l'action de la
mairie. L'ensemble de ces interactions autour de l'enjeu de la propreté de la ville contribue à
remodeler les représentations des acteurs. Cette dynamique est d'autant plus forte que l'espace
public (physique) concret renvoie immanquablement à l'espace politique abstrait.212 Réfléchir
à la propreté de la ville c'est se poser la question de : "C'est à qui de faire ?", ce qui revient à
s'interroger sur la nature de l'intervention publique légitime. Les structures traditionnelles
voient leur influence s'éroder et la faiblesse du sentiment d'identité partagée est souvent un
obstacle à la prise en charge collective de l'espace public, d'où le contraste marqué entre la
propreté des espaces privés et publics.213 Mais l'étude de l'action collective nous montre
qu'une série d'appartenances peuvent être mobilisées pour assurer la cohésion des groupes de
collecte des déchets, que ce soit l'origine ethnique, le genre, la pratique d'une religion ou la
résidence dans un quartier donné. Il n'y a pas une rupture nette avec les formes d'organisation
du passé mais une révision de celles-ci dont l'étendue gagnerait à être approfondie. En effet, le
boom associatif au Burkina Faso répond à la fois à des pratiques anciennes de coopération –
l'entraide villageoise en particulier214 – et à des modèles récents – l'ONG – qui procurent des
bénéfices collectifs mais surtout individuels. Il semble alors que l'intérêt particulier conduise
largement à la participation associative. L'aide au développement encourage les groupes
sociaux intermédiaires dans leur tentative d'appropriation de l'espace public et de
"construction – non idéalisée – d'un "bien commun"", ce qui est un signe de transformation
politique.215 Il nous faut maintenant nous interroger sur la "privatisation de l'espace politique"
:
publique”, ne faut-il pas alors considérer que l’apprentissage de la parole citoyenne et la
"Contre l’image hirschmanienne d’une relation inversée entre “bonheur privé” et “action
212 NEVEU Catherine, "Anthropologie de la citoyenneté", in ABELES Marc et JEUDY Henri-Pierre (dirs.), Anthropologie du politique, Paris : Armand Colin, 1997, p. 87. 213 DEVERIN-KOUANDA Yveline, "Gestion des espaces collectifs: pratiques ouagalaises", op. cit. 214 LAURENT Pierre-Joseph, "Stratégies populaires dans une ville émergente et système des valeurs partagées", in LAURENT Pierre Joseph, NYAMBA André, DASSETTO Felice et al., (dirs.), Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso. Le cas de Ziniaré, Paris : L'harmattan, 2004, pp. 423-448. 215 MORVAN Alexia, "Les ambivalences du recours au milieu associatif ", in Esprit, juin 2000, p. 151.
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“formation” d’un espace civique s’opèrent prioritairement par un « repli » des individus sur leurs intérêts privés et l’affirmation d’une allégeance prioritaire à la sphère “domestique” " 216
L'observation des dynamiques de terrain semble en effet confirmer que les opinions sont
étroitement déterminées par la place dans le jeu social et donc par les intérêts particuliers. Les
ménages ont donc souvent tendance à utiliser les arguments de la perception de taxes ou de la
corruption des autorités pour justifier qu'elles assument les frais de l'enlèvement des ordures,
ces dernières rejetant pour leur part la faute sur l'"incivisme" des citadins. Quant aux
dirigeants d'entreprises et d'associations de collecte attributaires, ils sont les plus convaincus
du bien-fondé de la réforme, à l'image de la directrice de l'entreprise Silo:
"Le nouveau système du Schéma directeur, y'a un avantage à gagner pour tout le monde. Que ce soit les opérateurs privés, les ménages de même que la mairie et tout le monde." 217
Le plus frappant est cependant que les membres d'associations de collecte ont totalement
intégré le discours sur les bénéfices de l'hygiène publique – en particulier l'aspect sanitaire –
mais trouvent légitime que la mairie laisse les associations se charger de la collecte. Mme
Salya, ancienne secrétaire de l'UFDB tient un tel discours quand elle évoque l'action de cette
association, elle insiste sur les maladies et l'invasion de moustiques à la saison pluvieuse du
fait de la présence d'ordures dans les rues. Pourtant, quelques instants plus tard, lorsqu'on lui
parle de payer 1000 FCFA à un GIE attributaire pour l'enlèvement de ses ordures contre 500
auparavant, elle se sent menacée en tant que ménagère et menace d'adopter un comportement
"incivique" : "Ah non on veut pas à 1000 f ! Si c'est comme ça nous allons ramasser nos
ordures et aller jeter dans les rues." 218 Ce paradoxe tient aux intérêts divergents qu'elle peut
avoir entre sa position associative et son statut de ménagère. Cette contradiction nous instruit
sur le mode d'apprentissage du civisme, les ouagalais sont prêts changer leurs comportements
si ils en retirent certains avantages. Si tous les ménages souhaiteraient que l'on ramasse leurs
déchets219, c'est plus parce que cela procure un confort appréciable que par souci d'hygiène.
Pourtant, quand on les interroge sur la propreté de leur quartier, les citadins se sentent plutôt
concernés. Il reste que la salubrité donne un aspect concret à la citoyenneté car :
"La citoyenneté est avant tout un ensemble de pratiques. Les discours et les théories sur la citoyenneté ne servent pas à grand-chose et sonnent creux si ne se mettent pas en œuvre les conditions pratiques du vivre ensemble." 220
216 BANEGAS Richard, MARSCHALL-FRATANI Ruth, "Modes de régulation politique et reconfiguration des espaces publics", in DAMON Jacqueline et IGUE John O. (dirs.), L'Afrique de l'Ouest dans la compétition mondiale : quels atouts possibles ?, Paris : Karthala-CSAO, 2004, 503 p. 217 Entretien avec Mme Yélémou Rachel, déjà cité. 218 Entretien enregistré avec Mme Salya Marcelline, ancienne secrétaire de l'UFDB et présidente de l'ABEFAB en date du 15 avril 2005. 219 Entretien collectif avec des ramasseuses de l'UFDB en date du 17 avril 2005. 220 LAURENT Pierre-Joseph, NYAMBA André, DASSETTO Felice, et al., (dirs.), Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso, op. cit., p. 456-7.
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Les économies morales de la gestion des déchets.
La gestion des déchets pose un problème concret, celui des modalités de leur enlèvement.
Mais d'intenses négociations se produisent aussi à cette occasion sur une série de questions
d'ordre plus vaste et qui contribuent à établir "les règles implicites du jeu social", c'est-à-dire
les limites à l'intérieur desquelles se cantonnent les comportements des acteurs. 221 Ces règles
font sens dans la mesure où elles s'inscrivent dans une configuration de valeurs que l'on
qualifiera d' "économie morale", c'est-à-dire un ensemble de conceptions "de justice, de juste
travail ou, en termes philosophiques, de "vie bonne"." 222 Il ne s'agit pas d'affirmer que tous les
acteurs possèdent alors des conceptions identiques mais plutôt que celles-ci leur permettent
d'entrer en communication, qu'un ensemble d' "attentes réciproques stabilisées"223
conditionnent l'apparition d'un ordre social légitime. Sans prétendre à l'exhaustivité, nous
tentons dans les pages qui suivent de montrer comment s'organisent ces conceptions autour de
trois axes principaux : l'accumulation légitime dans les associations, le rôle des autorités
municipales et la participation à l'espace public.
La constitution d'associations de collecte des déchets répond à un certain nombre
d'attentes de la part des membres et l'intérêt matériel est un critère important, le caractère non
lucratif est loin d'être un trait commun de ce type d'associations. Pour autant, le bénéfice n'est
légitime que si l'on a "grouillé" pour l'obtenir. Ce terme couramment employé par les
ouagalais signifie faire le possible avec peu de moyens pour parvenir à ses fins. Même dans
l'UFDB qui est parrainée par la mairie d'arrondissement, les femmes se responsabilisent :
"Mais je pense, moi je pense que la mairie a fait ce qu'il devait faire. Ils nous ont donné ces charrettes là, de travailler avec. Parce que nous ne devons rien à la mairie. Ils nous ont donné du travail. C'est pour aider les femmes, qu'ils [elles] s'en sortent. Donc je pense que le travail maintenant qui devrait se passer là, même si y'avait eu l'appel d'offre là, c'est à nous les femmes là maintenant de grouiller et avoir l'appel d'offre. C'est pas à la mairie encore de bon …" 224
Bien qu'il existe une relation clientéliste entre cette association et la mairie, les femmes
sont conscientes qu'elles doivent avant tout compter sur leur propres ressources. Mme Salya
explique : "Nous on a des idées, on veut travailler." 225 Les liens clientélistes sont un atout
mais ils sont loin d'être le seul ou même le principal mode de régulation dans l'espace
public.226 Par contre, les personnes et les groupes méritants sont en droit d'espérer une certaine
rétribution pour leurs efforts. C'est alors à la mairie de les "encourager" :
221 THOENIG Jean-Claude, "L'usage analytique du concept de régulation", op. cit., p. 40. 222 ROITMAN Janet, "Economie morale, subjectivité et politique", op. cit., p. 49. 223 BOUJU Jacky, "Clientélisme, corruption et gouvernance locale à Mopti", op. cit., p. 161. 224 Entretien avec Mme Salya Marcelline du 15 avril 2005, déjà cité. 225 Idem. 226 Comme l'affirme Jacky Bouju dans Clientélisme, corruption et gouvernance locale à Mopti, op. cit.
8
"C'est-à-dire dans la vie, il faut donner courage à quelqu'un pour pouvoir le faire travailler. Si mairie avait les moyens, ça c'est un rôle de mairie." 227 Et ici, les répertoires de l'aide au développement et du clientélisme s'articulent
parfaitement puisque si la mairie manque de moyens, elle peut toujours "demander de l'aide"
(à des ONG, à la mairie centrale, etc.).228 Quant aux rapports entre les diverses unités
productives (et ici les associations de collecte), elles doivent pouvoir fonctionner de manière
parallèle et éviter les conflits. Jusqu'à présent, les associations coexistent en général sans
chercher à prendre la place de quiconque.229 Mme Bambara – Trésorière de l'UFDB – ne fait à
cet égard preuve d'aucune animosité contre les associations du GIE attributaire dans la zone :
"Bon, ils ont la même fonction. Je crois que c'est la même fonction que nous ce que nous faisons. Mieux vaut nous laisser continuer aussi et eux aussi ils vont faire leur chose aussi. Ils vont aussi suivre leur activité." 230 C'est quand on parle de "déguerpissement" des associations non attributaires que les
réactions sont les plus vives. Mme Salya interprète cet acte en termes de rapports de genre :
"On se disait que la collecte était une activité de femmes. Les hommes viennent nous arracher ce travail encore." 231 M. Yabré, pour sa part, y voit un signe d'autoritarisme du régime :
"Mais avec le politique, un jour, le manière que vous avez souffert là, on peut vous sauter un jour vous jeter loin. Et puis remettre à quelqu'un d'autre." 232
L'intelligence de l'intervention municipale est donc complexe et variable mais la valeur
qui paraît la structurer est le respect de l'accumulation de chacun dans un contexte
économique difficile. La plupart des ouagalais, à l'image des membres de la famille Salou
reconnaissent que le "déguerpissement" est une manière d'améliorer la propreté de la ville
mais s'empressent d'exprimer leur préoccupation pour l'avenir des "déguerpis".233 L'important
est alors que chacun puisse "manger", le chanteur Ivoirien Christy B exprime dans une
chanson ce qui est une valeur morale essentielle de l'accumulation :
"Laissez les pauvres manger, laissez-les réussir" 234
227 Entretien enregistré avec M. Yabré Pierre, Président de l'AJSEPES en date du 12 avril 2005. 228 Idem. 229 A l'UFDB, la Présidente conseille de ne pas démarcher les abonnés d'autres associations et les ramasseuses affirment que leurs relations avec les autres charretiers sont courtoises. Informations récoltées lors de la réunion mensuelle de l'UFDB. 230 Entretien avec Mme Bambara Julienne, trésorière de l'UFDB, en date du 22 avril 2005. 231 Entretien avec Mme Salya daté du 15 avril, déjà cité. 232 Entretien avec M. Yabré Pierre daté du 12 avril, déjà cité. 233 Dans cette famille, on s'inquiète : "Quelle activité vont-elles [les femmes de l'UFDB] exercer ?" Ou encore : "Comment les associations que vous allez éliminer vont avoir à manger ? C'est leur emploi." Entretien avec la Famille Salou en date du 18 avril 2005. 234 CHRISTY B, "La vie", in Champion d'Afrique, 2004. Paroles en annexe 8, p. XVII.
9
Les enjeux économiques entourant la gestion des déchets sont l'occasion de négocier les
modalités d'une accumulation légitime qui a pour signifiants les vocables de "grouiller",
"encourager" et "manger"235 et à travers lesquelles se construisent des critères de légitimité
politique. Les valeurs morales liées à l'accumulation et au pouvoir politique sont
indissociables, et les attentes des citadins à l'égard des autorités se précisent : leur manque de
moyens est reconnu et on attend d'elles qu'elles encouragent ceux qui sont méritants ; en tous
cas qu'elles laissent à chacun l'opportunité d'assurer sa subsistance.
La participation à la gestion de l'espace public est aussi négociée, et nous touchons à
l'apprentissage de la citoyenneté à travers la participation aux associations de collecte :
Yabré Pierre : Quand je dis la mairie c'est qui ? C'est la population qui sont la mairie. (Ce) que eux n'arrivent pas à faire, si nous on pouvait faire quelque chose pour eux, ça allait l'arranger. Simon: Comment ça c'est la population qui est la mairie ? Pierre: Ouais euh, c'est la mairie parce que… C'est pour dire aux populations, faut pas on met baser sur la mairie. Simon: Faut pas trop compter sur la mairie. Pierre: Voilà. Et pourquoi je dis ça ? C'est pour que dans les quartiers quand, on voit quelque chose qui n'est pas bien, si on pouvait arranger, vous arrangez. Quand c'est bien, c'est pour nous tous. C'est pour dire que quand on dit la mairie c'est qui. Ce sont des hommes qui sont à la mairie. C'est pour dire que ça nous fait partie tous. 236 Les matrices morales du pouvoir légitime sont observables dans les arènes politiques
constituées à l'occasion de la réforme de la gestion des déchets à Ouagadougou. Et les groupes
intermédiaires que constituent les associations de collecte sont l'un des lieux d'apprentissage
politique. Les objectifs techniques de la réforme s'enchâssent avec les normes locales et
aboutissent à une réévaluation du rôle de chacun dans l'espace public démontrant ainsi
l'étroite connexion entre l'espace public physique et l'espace public politique. C'est dans ce
contexte que peut s'analyser l'émergence d'une citoyenneté à Ouagadougou.
235 Ce dernier terme est alors employé comme synonyme de "assurer sa subsistance" et non de "bouffer" dont les connotations morales sont plus ambiguës. Voir : BANEGAS Richard, " 'Bouffer l’argent.' Politique du ventre, démocratie et clientélisme au Bénin", in SAWICKI Frédéric et Briquet Jean-Louis (dirs.), Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, Paris : PUF, 1998, pp. 75-110. 236 Entretien avec M. Pierre Yabré et daté du 12 avril, déjà cité, nos italiques.
9
Réflexions sur une citoyenneté émergente
Pour appréhender le changement et illustrer les transformations dans l'espace public, nous
avons choisi de prêter attention aux mutations dans les économies morales sous l'impulsion de
la réforme de l'action publique. La gestion des déchets nous amène à interroger la notion
d'espace public, telle que définie par Etienne Tassin :
"l'espace public n'est ni le lieu ni le mode de façonnement d'un être en commun, [il] n'est pas le principe d'une identification communautaire. Il est le lieu institué d'un vivre-ensemble qui lie la pluralité des communautés particulières, qui fait accéder les mondes vécus à une visibilité politique et qui, maintenant les lieux communs dans leurs intervalles et leurs connexions, donne existence à un monde commun." 237
En ville, l'adoption de nouveaux styles de vie rend inapplicables les modes traditionnels
de gestion des déchets caractérisés par l'entreposage dans un coin ou à l'entrée de la cour puis
l'épandage dans les cultures.238 La densité des habitations et l'apparition de déchets non
putrescibles implique une prise en charge collective des déchets. Mais les migrations et les
recompositions sociales empêchent le fonctionnement traditionnel des institutions
communautaires. L'action collective ne peut avoir pour base l' "être en commun" de
l'appartenance communautaire et s'appuie nécessairement sur les règles du "vivre ensemble"
qui sous-tendent les rapports sociaux dans l'espace public. Ces relations sont rendues visibles
car concrètement vécues par les citadins. Le problème des déchets donne un sens à l'espace
public et leur donne l'occasion d'en interroger la portée, et l'utilité. C'est dans le cadre de cet
espace public qu'apparaît l'idée de citoyenneté.
Si nous réfléchissons à l'idée de citoyenneté, c'est en termes non normatifs et non
finalistes. Il ne s'agit par exemple pas de la lier trop étroitement à l'individualisme ou
d'affirmer que le clientélisme constitue pour elle un obstacle mais plutôt de :
"considérer la citoyenneté comme processus social et politique, base et source de représentations et de légitimations individuelles et collectives. Cela signifie prendre en compte le fait que la citoyenneté est aussi un ensemble de rôles, et présente à ce titre un caractère ‘éminemment projectif’." 239
La conceptualisation des "régimes de citoyenneté" par Jane Jenson et reprise par Bruno
Jobert nous donne alors des pistes pour l'analyse de la démocratisation puisque :
- "Elle définit un rapport d'inclusion et d'exclusion de la scène publique (…) Les régimes de citoyenneté définissent un ensemble de droits et tracent les limites à l'intervention du politique dans la société. Ils doivent être compatibles avec les modes de gouvernance et les règles de l'ordre politique.
237 TASSIN Etienne, "Espace commun ou espace public? L'antagonisme de la communauté et de la publicité", op. cit., p. 37. 238 Voir : SHADYC-Marseille / GRIL-Ouagadougou, Une anthropologie politique de la fange, op. cit. 239 NEVEU Catherine, "Anthropologie de la citoyenneté", op. cit., p. 75.
9
- Ce rapport d'inclusion et d'exclusion, les droits qui en résultent se fondent l'un et l'autre sur des représentations particulières de l'ordre politique et de la justice sociale." 240
Concernant tout d'abord le "rapport d'inclusion et d'exclusion de la scène publique", on
note que la réforme de l'action publique selon les modalités que nous avons décrites
précédemment a pour effet d'élargir la participation politique. La privatisation de certaines
activités et leur délégation à des organisations de la société civile renforce la position des
"cadets sociaux" dans le jeu politique. Le cas des associations de collecte l'illustre assez bien :
le mépris qui est voué aux déchets implique que leurs membres sont souvent soit pauvres,
jeunes ou de sexe féminin, ou une quelconque combinaison de ces trois statuts. Ces catégories
d'acteurs sont amenées à négocier leurs droits dans le cadre de leur activité, ce qui débouche
progressivement à l'endossement d'un rôle nouveau dans l'espace public. Les représentations
de l'ordre politique et de la justice sociale évoluent et les citadins n'ont pas une perception du
pouvoir politique comme simplement despotique :
Yabré Pierre: Parce que dans les mairies y'a … c'est comme le poste de M. Nana [chargé des relations avec les associations]. Eux ils sont à l'administratif. Ils sont à l'administratif. Mas Simon: Eux ils font quoi alors ? Yabré Pierre: C'est-à-dire quand on a quelque chose, il peut nous appeler. Quand y'a des informations ou bien quand y'a réunion. Ils sont là pour faire passer les informations pour les associations. Voilààà. 241 Mais le pouvoir politique apparaît aussi moins distant à leurs yeux puisqu'ils sont
confrontés à son exercice quotidien et assimilent les difficultés des autorités aux leurs. Le
terme de "manque de moyens" s'applique autant aux mairies et à l'Etat en général qu'aux
habitants de la ville. Et la mairie d'arrondissement comme le groupement de quartier sont
perçus comme deux formes d'associations qui partagent deux caractéristiques : la défense
collective d'intérêts et la tentative de captation de ressources extérieures. L'Etat n'est alors
plus simplement cette "affaire de Blancs" comme le pensent les protagonistes de L'étrange
destin de Wangrin de Hamadou Hampatê Bâ242, il gagne en intelligibilité et son utilité peut
alors être plus largement reconnue. Le développement dans sa symbolique et dans les actions
concrètes qui sont mises en œuvre façonne l'espace public et rend possible l'émergence d'une
forme de citoyenneté. Pierre-Joseph Laurent note qu'en moore la phrase tônd maoodame d
tenga taoor kênd yïnga exprime bien l'idée de développement. Elle signifie : nous luttons pour
que sur la terre les choses marchent pour le corps [pour moi]. Selon cet auteur, "cette
240 JOBERT Bruno, "La régulation politique : le point de vue d'un politiste" op. cit., p. 131. 241 Entretien avec M. Yabré Pierre daté du 12 avril, déjà cité. 242 BA Hamadou Hampâté, L'étrange destin de Wangrin ou les roueries d'un interprète africain, Paris : Bourgeois, nv. éd., 1992, 453 p.
9
traduction littérale évoque clairement l'idée d'un collectif qui favorise l'individu." 243 Elle nous
ramène à l'idée d' "entente" qui guide la formation d'associations mais aussi les relations
sociales quotidiennes. En reconnaissant comme Numa Murard que :
"la citoyenneté se joue aussi dans le civisme, donc dans les relations entre les individus et les institutions, et dans la civilité, c'est-à-dire les relations entre les individus entre eux" 244
nous remarquons que la civilité et le civisme subissent tous deux des mutations du fait des
réformes de l'action publique impulsées par les bailleurs de fonds. Le civisme se transforme
dans les associations ou dans les ménages quand les questions concrètes posées par la gestion
des déchets et l'intérêt des divers groupes engendrent une renégociation du rôle de chacun. En
ce qui concerne la civilité, les relations sociales se structurent largement autour de la notion d'
"entente" et les appartenances communautaires se voient subsumées à un groupe
d'appartenance plus vaste. Les gens du quartier ou de la ville ont le sentiment de partager un
même monde où les associations et les projets sont omniprésents, et où chacun "grouille" et
tente de "se débrouiller".
Ainsi, les réformes de la gestion publique influent sur les représentations et les
comportements politiques dans l'espace public ouagalais. L'aide au développement contribue
à la structuration d'un nouveau rapport politique puisqu'elle est l'un des vecteurs
d'institutionnalisation de nouveaux modes de régulation et de nouvelles médiations dans
l'espace public. La politique publique de gestion des déchets, dans sa réorganisation, engendre
des transformations politiques. L'agenda qui a orienté son élaboration, c'est-à-dire la "bonne
gouvernance" des bailleurs de fonds, induit donc bien des changements concrets sur le terrain.
C'est autour des enjeux qu'elle renferme et à partir des langages et des pratiques qu'elle
propage que se produit une renégociation des droits et des devoirs de chacun, des économies
morales qui définissent les modalités d'exercice d'une citoyenneté en gestation.
243 LAURENT Pierre-Joseph, Une association de développement en pays Mossi, op. cit, p. 205. 244 Murard et alii, 1995 cités in NEVEU Catherine, "Anthropologie de la citoyenneté", op. cit., p. 75.
9
9
Conclusion
9
Retour sur une démarche et ses apports
Amener le développement à Ouagadougou, faire sortir la capitale burkinabè du sous-
développement chronique qui la caractérise, voici un programme qui met d'accord les
ouagalais, leurs dirigeants et la communauté du développement, bailleurs de fonds en tête.
Dans un même élan, tous appellent de leurs voeux le changement, l'amélioration des
conditions de vie des habitants. Cette unanimité autour de la recherche du développement –
qu'il soit économique ou politique ou les deux à la fois – rassemble les acteurs et constitue la
base de la coopération au développement. Mais attention, le constat initial d'un accord de
principe sur la nécessité du développement est finalement bien peu de chose. Il ne donne
aucun élément de réponse à la question de savoir quelle signification concrète donne chacun
des acteurs au terme de "développement" ? Il n'éclaire pas non plus l'ensemble des processus
sociaux, économiques et politiques dont est constitué le changement. Enfin, on ne peut en
déduire des manières de le provoquer, de l'accélérer ou encore de l'orienter. Il s'agissait donc
de dépasser le stade des discours abstraits et de trouver un objet d'analyse qui nous mette face
au développement en action, à sa pratique quotidienne. La gestion des déchets convient tout à
fait à l'entreprise, elle constitue un exemple type des politiques de développement négociées
entre acteurs locaux et internationaux du développement, et les changements qu'elle entraîne
nous renseignent sur les effets de l'aide internationale en Afrique.
Nous avons d'abord voulu établir la nature de l'implication des bailleurs de fonds (et de la
communauté du développement plus généralement) dans l'élaboration de cette politique
publique. En effet, il était critique pour la suite de la démonstration de signaler que l'aide
internationale est un facteur explicatif majeur de la forme de cette politique publique, et donc
des effets qu'elle engendre. Cela a été rendu possible par une présentation de la vision du
développement défendue par les bailleurs de fonds et des liens qu'elle entretien avec la
réforme en cours. C'est autour de la conception de l'action publique que l'on peut clairement
mettre ces liens en évidence : la bonne gouvernance constitue un ensemble cohérent de
normes et de prescriptions dont l'influence joue un rôle critique sur la politique de gestion des
déchets. Elle justifie l'introduction dans la gestion publique de techniques empruntées au
management privé et la délégation de l'essentiel des activités opérationnelles à des opérateurs
privés. Une fois achevée cette présentation de la bonne gouvernance, nous avons poursuivi en
détaillant les caractéristiques de la politique publique de gestion des déchets qui s'intègrent à
cette vision du développement. L'articulation est étroite et elle a sa source dans la particularité
de cette politique publique (et de la plupart des politiques de développement), qui est qu'elle
répond à une impulsion extérieure. Notre première partie a ainsi mis l'accent sur l'influence
9
l'injonction extérieure dans l'organisation de la gestion des déchets, et elle a illustré le lien
entre l'aide internationale et l'élaboration d'une politique publique africaine.
Lorsque l'on délaisse quelque peu l'élaboration de la gestion des déchets et que l'on
observe son application, on est immédiatement frappé par le décalage qui existe entre le
discours qui entoure cette politique publique – celui de la bonne gouvernance – et les
modalités réelles de son ancrage sur le terrain. Celle-ci s'inscrit dans un contexte social où les
conceptions de la propreté et de l'espace public sont capitales. Un contexte politique, aussi,
des relations particulières entre la puissance publique et les citadins dont elle ne peut
s'affranchir totalement. Un contexte économique, enfin, le "manque de moyens" généralisé
qui handicape l'administration, éloigne la perspective d'une contribution généralisée des
ménages et intensifie la concurrence autour de toutes les activités génératrices de revenus.
L'objectif de notre seconde partie a donc été d'analyser les stratégies locales de réception de la
réforme et le fossé entre les jeux d'acteurs locaux et la planification de cette politique
publique. En étudiant d'abord les logiques d'action des acteurs privés puis celles des acteurs
politiques et administratifs, nous avons souhaité montrer en quoi elle révèle des relations
sociales, économiques et politiques et constitue un enjeu bien au-delà de la simple propreté de
la ville. Il apparaît alors qu'elle entraîne effectivement des changements importants dans les
comportements des différents acteurs, mais qu'ils ne se produisent pas selon les schémas de la
bonne gouvernance. Nous avons donc eu recours au terme de planifiction pour marquer la
faible connexion entre les discours qui ont mené à l'élaboration de cette réforme et la nature
des changements qu'elle entraîne.
L'apparente dépolitisation et les simplifications qui caractérisent le discours sur la bonne
gouvernance le rendent bien inopérant à l'heure d'analyser la mise en place de la gestion des
déchets. Pour autant, cela ne signifie pas que l'aide internationale – à travers cette politique
publique – n'a pas contribué au changement politique à Ouagadougou. Au contraire, dans
notre troisième partie nous avons fait ressortir les évolutions dans la gouvernementalité locale
qu'elle a inspirées. Nous avons certes relevé de nombreuses continuités avec les périodes
précédentes de même que des similitudes entre les manières d’impulser le changement
utilisées par les régimes despotiques et les bailleurs de fonds. Nous avons aussi signalé la
formation de nouvelles alliances politiques du fait de l'importance prise par les acteurs du
mouvement associatif, et en particulier les jeunes et les femmes. C'est alors que nous avons pu
aborder la question de la gestation d'un espace public démocratique. L'examen des
représentations des acteurs associatifs en particulier témoigne de l'influence cruciale qu'a la
mise en place de la gestion des déchets sur l'apprentissage politique et la renégociation des
9
rôles politiques à Ouagadougou. Cette réforme est à la fois l'occasion de dire et de remettre en
cause les rapports sociaux et politiques, et participe donc de modifications significatives dans
les économies morales et les formes de civilité des acteurs locaux. A ce titre, elle conditionne
l'apparition d'un processus complexe de redéfinition de la citoyenneté ouagalaise.
Cette étude de la gestion des déchets a pour but d'illustrer le lien entre la réforme de
l'action publique et les transformations politiques dans les contextes africains. Plus encore,
elle contribue à démontrer que l'aide au développement – publique comme privée – en
ouvrant sur des formes nouvelles de régulation et d'intermédiation, contribue à la structuration
d'un nouveau rapport politique. Les évolutions qu'elle entraîne, et la pénétration des relations
sociales et politiques burkinabé par ses logiques, produisent des transformations considérables
qu'il était utile d'éclairer, et les enseignements que l'on peut en tirer sur les processus divers
que recouvre le terme de "développement" sont loin d'être négligeables. Au niveau de la
réforme de l'action publique d'abord, il apparaît que l'agenda des bailleurs de fonds se heurte à
des processus complexes de détournement et de contournement à l'intérieur des
administrations africaines. L'adoption apparente des langages et des méthodes de la
communauté du développement dissimule souvent des pratiques souterraines qui peuvent
mettre en péril le succès des politiques publiques en construction. En ce qui concerne la mise
en place des politiques de développement, nous pouvons affirmer qu'elle est déterminée par
des représentations culturelles, certes, mais aussi et surtout qu'elle est l'otage des rapports
politiques et économiques locaux. Quant à l'influence de l'aide internationale sur le
changement politique local, elle est ambivalente : elle peut servir la légitimation d'anciens
modes de gouvernement – en remplaçant la répression par la communication par exemple, ou
en apportant des ressources indispensables aux régimes en place – mais elle favorise aussi
l'émergence de nouvelles pratiques et le renforcement de certains acteurs qui peuvent
participer d'un processus de démocratisation. En tout état de cause, l'aide au développement
pénètre en profondeur la vie économique, sociale et politique burkinabè ; elle introduit de
nouvelles pratiques mais aussi de nouveaux signifiants qui sont à la base de modes de
régulation inédits dans les espaces publics locaux.
9
Limites de l'entreprise et nouvelles perspectives de recherche
Ce travail constitue l'aboutissement d'une recherche ayant pour objet l'étude du lien entre
intervention de développement et changements politiques en Afrique. Certaines de ses limites
principales relèvent de la nature même de la problématique choisie ; elle implique en effet de
s'attaquer de front à trois domaines largement distincts que sont : l'étude des dispositifs du
développement, la réforme des administrations africaines et les changements dans les rôles et
les représentations politiques. Chacun de ces domaines fait l'objet d'une littérature abondante
qu'il a été impossible de compiler dans le cadre de ce mémoire de DEA, et tous auraient bien
sûr mérité de plus larges investigations empiriques. Souvent, nous avons regretté de rester à
un niveau de généralité trop élevé, qui ne rendait pas justice à la richesse du sujet abordé. Si
nous avons tenté de montrer son évolution au cours de la dernière décennie, il nous a par
exemple été impossible de traiter de la spécificité de l'intervention de développement au
Burkina Faso. En insistant sur sa cohérence pour les besoins de l'analyse, nous avons dû
gommer l'hétérogénéité des pratiques ainsi que les conflits qui existent au sein de la catégorie
des intervenants du développement et des bailleurs de fonds. De même, au sujet de la réforme
des administrations, nous n'avons pu en préciser ni la portée exacte ni les variations entre les
différentes administrations burkinabés, afin de faire ressortir certains traits dominants dont il a
par la suite été plus aisé d'évaluer les effets. Enfin, au sujet des transformations politiques,
nous avons fait le choix de nous concentrer plus particulièrement sur l'étude des
représentations d'une catégorie d'acteurs intermédiaires que sont les membres d'associations
de collecte des déchets. Sans totalement laisser de côté d'autres catégories d'acteurs – comme
les ménages ou les fonctionnaires – il a bien fallu accepter de les étudier de manière moins
approfondie. Connaître, revient à rendre intelligible et il est toujours impossible de rendre la
réalité dans son infinie complexité. Il s'agit alors d'en grossir les traits pour faciliter son
interprétation, mais en prêtant attention à ce que ces simplifications ne ruinent pas l'effort
d'interprétation en le déconnectant de son objet. Une analyse en termes de politiques
publiques a alors été notre meilleur atout, puisqu'elle constitue un outil efficace pour faire le
lien entre les trois domaines que nous avons cités : en partant du référentiel qui a amené à
formuler la politique de gestion des déchets, nous avons pu aborder la réforme dans sa
complexité et ses ambivalences, cela nous a alors fourni des pistes de recherche pour montrer
en quoi elle a pu contribuer à la structuration de nouveaux rapports politiques.
1
La généralité du propos s'est parfois faite au détriment de la nuance, mais une seconde
limite de notre entreprise tient à la difficulté de tirer des conclusions générales à partir d'un
secteur très restreint de l'intervention étatique, qui plus est circonscrit de manière très étroite
dans l'espace et dans le temps. Certaines spécificités de notre sujet d’étude ont en effet pu
orienter nos conclusions et il convient donc d'en relativiser la portée. Par exemple, la collecte
des déchets fait particulièrement appel à des cadets sociaux – les jeunes, les pauvres, les
femmes – du fait de la répugnance pour les ordures qui existe dans la société burkinabè
comme dans les autres sociétés. Lorsque l'on déduit un certain renforcement de leurs positions
dans le champ politique local du fait que ces cadets sociaux s'organisent, il ne faut surtout pas
oublier que leur participation à cette politique publique reste liée à leur statut de dominés. De
même, si nous avions traité de la politique publique du SIDA, nos conclusions auraient pu
être différentes comme le sont celles d'un groupe de recherche qui travaille sur ce thème au
CEAN.245 La dépendance de l'expertise et des financements étrangers de la gestion des déchets
à Ouagadougou est sans commune mesure avec celle que suppose une lutte efficace contre la
pandémie. Pour la première, le déterminant principal de succès tient à la mobilisation des
acteurs locaux pour financer le secteur et faire évoluer les comportements ; dans le cas de la
seconde, si l'on ne peut nier l'importance cruciale de la réduction des comportements à risque,
l'accès au soins est incontestablement un facteur essentiel qui dépend largement des soutiens
étrangers et de la mise à disposition de traitements génériques. Certaines divergences dans les
analyses tiennent donc à ces différences dans les objets d'étude. Fred Eboko affirme qu'au
Cameroun les acteurs institutionnels de la politique publique du SIDA se sont déconnectés
des enjeux locaux pour s'inscrire dans des réseaux transnationaux.246 Ce phénomène est
assurément moins marqué dans le cas qui nous intéresse, et l'importance des enjeux
internationaux n'a pas détourné les acteurs institutionnels aussi clairement des arènes
politiques locales, ce qui a favorisé l'intermédiation entre acteurs locaux. Nous nous
attarderons moins sur une autre limite de notre travail qui tient à son contexte spatiotemporel.
Nous n'avons pas eu recours à une comparaison entre différents moments de l'aide
internationale pour en illustrer les différents effets et nous n'avons pas non plus pu comparer
les effets de cette intervention entre différents pays. Qui plus est, cette étude a bien sûr été
réalisée dans un milieu urbain, et il apparaît difficile d'en généraliser les conclusions au
monde rural.
245 Centre d'Etudes de l'Afrique Noire de l'Université Montesquieu IV à Bordeaux. 246 EBOKO Fred, Pouvoirs, jeunesses et sida au Cameroun, op. cit.
1
Mais notre étude porte avant tout sur le changement, et il est clair que son évaluation doit
se faire avec précaution. La portée du changement se mesure relativement à un point de
départ, et nous avons utilisé la comparaison diachronique avec les périodes précédentes, en
particulier celle de la révolution sankariste. Nous nous sommes donc basés sur les analyses
d'auteurs ayant travaillé sur ces périodes sans pouvoir mener une étude empirique, ce qui
constitue une première limite. Nous en avons déduit des évolutions dans la gouvernementalité
locale, et par exemple de nouvelles formes de négociation avec les pouvoirs publics, une
meilleure participation politique des femmes et une certaine responsabilisation des pouvoirs
publics. Ces transformations politiques sont importantes, certes, mais leur démonstration
pourrait être appuyée par une étude plus approfondie des anciennes pratiques et
représentations politiques. Il reste que ce type de preuve scientifique reste soumis à une
carence tenace. A ce sujet, Jacques Commaille et Bruno Jobert affirment que le chercheur doit
toujours garder :
"un doute entre ce qui concerne la part de ce qui relève (…) des changements de la réalité sociale d'une part, du registre de la réalité ou du régime du savoir, c'est-à-dire de la faculté des sciences sociales à lire autrement, avec ces nouveaux dispositifs théoriques, une réalité sociale dont on pourrait se demander, à la limite, dans quelle mesure elle a changé et dans quelle mesure ce sont les façons de l'appréhender qui ont changé." 247
Ayant repéré quelques unes des limites les plus saillantes de notre analyse, il importe de
rester modeste et de réfréner la tentation d'extrapoler trop grossièrement notre propos ou de
tirer des conclusions définitives sur le changement au Burkina Faso, ou plus risqué encore, en
Afrique.
Prendre du recul sur une démarche de recherche et les apports d'une réflexion – et en
particulier en reconnaître les limites et le caractère inabouti – est une manière d'en tirer des
enseignements décisifs. Ce travail vise à ouvrir des perspectives sur l'analyse des politiques
publiques au Burkina Faso et en Afrique, qui selon nous méritent d'être poussées plus avant. Il
a aussi pour objet d'informer les auteurs de futures recherches sur ce sujet des erreurs à éviter
et des obstacles qu'ils pourront rencontrer. Il nous semble que nous avons assez insisté plus
haut sur les difficultés rencontrées et les erreurs à ne pas faire, nous insisterons donc sur les
perspectives qu'ouvre notre réflexion, elles révèlent tout l'intérêt d'une analyse en termes de
politique publique. Nous avons signalé la spécificité des politiques publiques africaines qui
tient à l'immixtion de normes et d'acteurs étrangers. Cette caractéristique explique que l'on
relève souvent un écart entre leur réalité et ce qu'elles disent être. L'analyse de ces écarts et
247 COMMAILLE Jacques et JOBERT Bruno, "Introduction : La régulation politique : l'émergence d'un nouveau régime de connaissance", in COMMAILLE Jacques et JOBERT Bruno (dirs.), Les métamorphoses de la régulation politique, Paris : LGDJ, 1999, p. 30.
1
leur interprétation est assurément une manière tout à fait judicieuse de commencer une
recherche en politique africaine. La seconde perspective est critique pour les praticiens du
développement car elle tient à l'impulsion du changement. L'intervention de développement
influe sur l'institutionnalisation de nouvelles arènes de négociation. Pour que cette
institutionnalisation débouche sur un renforcement des capacités des acteurs défavorisés, il
faut que ces derniers soient en mesure d'acquérir des ressources – financières et de savoir-
faire – significatives dans l'arène en question. Les mutations dans les rapports politiques et
dans les économies du pouvoir semblent dépendrent de la captation de ce type de ressources.
L'aide au développement peut donc entraîner des effets très divers et une aide massive tend
généralement à favoriser une classe d'intermédiaires. Il s'agit donc d'imaginer des méthodes
pour que l'aide atteigne les plus pauvres sans les placer en situation de dépendance par rapport
à d'autres acteurs, et cela passe certainement par la génération de ressources au niveau local.
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1
Bibliographie thématique
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Ouvrages et articles généraux
Bibliographie thématique
1
Ouvrages et articles généraux
BAYART Jean-François, Le gouvernement du monde : une critique politique de la
mondialisation, Paris : Fayard, 2004, 448 p.
FOUCAULT Michel, "La 'gouvernementalité' ", in Dits et écrits, Paris : Gallimard, 1978, Tome III, pp. 635-657.
FOUCAULT Michel, "Naissance de la biopolitique", in Dits et écrits, Paris :
Gallimard, 1978, Tome III, pp. 818-825.
GAZIBO Mamadou, "Le néo-institutionnalisme dans l'analyse comparée des processus de démocratisation", in Politique et Sociétés, Vol. 21, N° 3, 2002, pp. 139-160.
LAÏDI Zaki, "Le temps mondial. Enchaînements, disjonctions et médiations", Les
cahiers du CERI, N° 14, 1996, 38 p.
STRANGE Susan, The retreat of the state: the diffusion of power in the world economy, Cambridge: Cambridge University Press, 1996, 218 p.
L'espace public et la citoyenneté
HABERMAS Jürgen, L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension
constitutive de la société bourgeoise, Paris : Payot, 1993, 324 p.
MICHAUD Yves, "Critique et espace public chez Habermas : de la démocratie éclairée à la démocratie radicale", in Revue philosophique, N° 2, 1999, pp. 211-222.
1
NEVEU Catherine, "Anthropologie de la citoyenneté", in ABELES Marc et JEUDY Henri-Pierre (dirs.), Anthropologie du politique, Paris : Armand Colin, 1997, pp. 69-90.
TASSIN Etienne, "Espace commun ou espace public? L'antagonisme de la
communauté et de la publicité", in Hermès – Espaces publics, Traditions et Communautés, N° 10, 1991, pp. 21-37.
1
L'Afrique et la politique africaine
Ouvrages :
BA Hamadou Hampâté, L'étrange destin de Wangrin ou les roueries d'un interprète africain, Paris : Bourgeois, nv. éd., 1992, 453 p.
BADIE Bertrand, L'Etat importé : essai sur l'occidentalisation de l'ordre politique,
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DUBRESSON Alain, RAISON Jean-Pierre, L'Afrique subsaharienne : une géographie du changement, Paris : Armand Colin, 2003, 2e éd., 245 p.
LEIMDORFER François et MARIE Alain (dirs.), L'Afrique des citadins : sociétés
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Sur les thématiques de développement
Ouvrages:
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CLING Jean-Pierre, RAZAFINDRAKOTO Mireille et ROUBAUD François (dirs.),
Les nouvelles stratégies internationales de lutte contre la pauvreté, Paris : Economica/ IRD éd., 2e éd., 2003, 463 p.
COOKE Bill, KOTHARI Uma (eds.), Participation: the new tyranny? , London: Zed
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FERGUSON James, The Anti-Politics Machine. "Development", Depoliticization, and Bureaucratic Power in Lesotho, Minneapolis: University Press of Minnesota, 1994, 320 p.
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HYDEN Goran, No shortcuts to progress. African development management in
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SEN Amartya, Un nouveau modèle économique : développement, justice, liberté, Paris
: Odile Jacob, 2000, 356 p.
Articles de revues et chapitres d'ouvrages collectifs :
BAKO-ARIFARI Nassirou et Le MEUR Pierre-Yves, "Une anthropologie sociale des dispositifs du développement", in BARE Jean-François (dir.), L'évaluation des politiques de développement. Approches pluridisciplinaires, Paris : L'Harmattan, 2001, p. 121-170.
BATLEY Richard, "The new public management in developing countries", in Journal
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BLUNDO Giorgio, "Elus locaux et courtiers en développement au Sénégal", in BIERSCHENK Thomas, CHAUVEAU Jean-pierre, OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre (dirs.), Courtiers en développement. Les villages africains en quête de projets, Mayence : APAD ; Paris : Karthala, 2000, pp. 95-97.
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un débat politique sur la pauvreté et la gouvernance, actes, Paris : Karthala, 2001, pp. 119-148.
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BOUJU Jacky (dir.), "Les incivilités de la société civile". Espace public urbain,
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BOUJU Jacky, "Clientélisme, corruption et gouvernance locale à Mopti", in
Autrepart, N° 14, 2000, pp. 143-163.
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LEGROS Olivier, "Les tendances du jeu politique à Yeumbeul (banlieue est de Dakar)
depuis l' 'alternance' ", in Politique africaine, N°96, décembre 2004, pp. 59-77.
1
Sur le Burkina Faso
Ouvrages :
BANEGAS Richard, Insoumissions populaires et révolution au Burkina Faso, Bordeaux : CEAN, 1993, 148 p.
LAURENT Pierre-Joseph, Une association de développement en pays Mossi. Le don
comme ruse, Paris : Karthala, 1998, 294 p.
LAURENT Pierre Joseph, NYAMBA André, DASSETTO Felice et al., (dirs.), Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso. Le cas de Ziniaré, Paris : L'harmattan, 2004, 472 p.
LEREBOURS PIGEONNIERE Anne, MENAGER Marie Thérèse (dirs.), Atlas du
Burkina Faso, Paris : Jeune Afrique, 3e ed., 1998, 62 p. Articles de revues et chapitres d'ouvrages collectifs :
LAURENT Pierre-Joseph, "Stratégies populaires dans une ville émergente et système des valeurs partagées", in LAURENT Pierre Joseph, NYAMBA André, DASSETTO Felice et al., (dirs.), Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso. Le cas de Ziniaré, Paris : L'harmattan, 2004, pp. 423-448.
LOADA Augustin, "Burkina Faso : les rentes de la légitimation démocratique", in
L'Afrique politique, Paris/ Bordeaux-Talence : Karthala/ CEAN, 1995, pp. 217-233.
LOADA Augustin, "Réflexions sur la société civile en Afrique : le Burkina de l'après-Zongo" in Politique africaine, n° 76, décembre 1999, pp. 136-152.
LOADA Augustin, "Où en est l'administration publique ?", in L'Afrique politique,
2001, pp. 23-46.
Partenariat pour le Développement Municipal, Etat de la Décentralisation au Burkina Faso, mai 2000, 9 p. Disponible sur :
http://www.pdm-net.org/Newsite/french/pdm/programmes/poldec/etat_dec.htm
SAWADOGO Raogo Antoine et SEBAHARA Pamphile, "Historique de la décentralisation au Burkina Faso", in LAURENT Pierre Joseph, NYAMBA André, DASSETTO Felice, et al., (dirs.), Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso. Le cas de Ziniaré, Paris : L'harmattan, 2004, pp. 59-78.
THIRIOT Céline, "La transition en cercle fermé au Burkina Faso", in DALOZ Jean-
Pascal (dir.), Le (non-) renouvellement des élites en Afrique subsaharienne, Talence : CEAN, 1999, pp. 155-174.
1
Sur Ouagadougou
BIEHLER Alexandra et Le BRIS Emile, "Etude de cas: jeux d'acteurs pour la modernisation de la ville. Le projet ZACA à Ouagadougou", in Emile Le BRIS (dir.), Les municipalités dans le champ politique local. Les effets des modèles exportés de décentralisation sur la gestion des villes en Afrique et au Moyen-Orient, PRUD, Equipe 27, janvier 2004, pp. 299-331.
DEVERIN-KOUANDA Yveline, "Gestion des espaces collectifs: pratiques
ouagalaises", in Espaces et sociétés, N° 62-63, 1990, pp. 93-105.
JAGLIN Sylvie, Le BRIS Emile, MARIE Alain et al., Les enjeux des extensions urbaines à Ouagadougou (Burkina Faso) 1984-1990, Compte rendu de fin d'étude d'une recherche financée par le Ministère de la Recherche et de la Technologie, ORSTOM, janvier 1992, 365 p.
LAURENT Pierre Joseph, "Effervescence religieuse et gouvernance" in Politique
africaine, n° 87, octobre 2002, pp. 95-116.
MARIE Alain, "Politique urbaine : une révolution au service de l'Etat", in Politique africaine – Retour au Burkina, N° 33, mars 1989, pp. 27-38.
OTAYEK René, "Rectification", in Politique africaine, N° 33, mars 1989, pp. 2-10.
OTAYEK René (dir.), "Dieu dans la cité. Dynamiques religieuses en milieu urbain
ouagalais", Bordeaux : CNRS/ CEAN, 1999, 172 p.
1
Sur les politiques publiques
COMMAILLE Jacques et JOBERT Bruno (dirs.), Les métamorphoses de la régulation politique, Paris : LGDJ, 1999, 381 p.
COMMAILLE Jacques et JOBERT Bruno, "Introduction : La régulation politique :
l'émergence d'un nouveau régime de connaissance", in COMMAILLE Jacques et JOBERT Bruno (dirs.), Les métamorphoses de la régulation politique, Paris : LGDJ, 1999, pp. 11-32.
GRAWITZ Madeleine et LECA Jean, Traité de science politique, Tome IV, "Les
politiques publiques", Paris : Presses Universitaires de France, 1985, 558 p.
JOBERT Bruno, "Le mythe de la gouvernance dépolitisée", in FAVRE Pierre, HAYWARD Jacques, SCHEMEIL Yves (dirs.), Etre gouverné. Etudes en l'honneur de Jean Leca, Paris: Presses de Sciences Po, 2003, p. 273-285.
JOBERT Bruno, "La régulation politique : le point de vue d'un politiste" in
COMMAILLE Jacques et JOBERT Bruno (dirs.), Les métamorphoses de la régulation politique, Paris : LGDJ, 1999, pp. 119-144.
HAAS Peter M., "Introduction: epistemic communities and international policy
coordination", in International Organization, Vol. 46, N° 1, hiver 1992, pp. 1-35.
MULLER Pierre, Les politiques publiques, Paris : PUF, 5e éd., 2004, 127p.
THOENIG Jean-Claude, "L'usage analytique du concept de régulation", in COMMAILLE Jacques et JOBERT Bruno (dirs.), Les métamorphoses de la régulation politique, Paris : LGDJ, 1999, pp. 35-53.
THOENIG Jean-Claude, ""L'analyse des politiques publiques", in GRAWITZ
Madeleine et LECA Jean, Traité de science politique, Tome IV, "Les politiques publiques", 1985, pp. 1-53.
Sur les politiques publiques dans un contexte africain
EBOKO Fred, Pouvoirs, jeunesses et sida au Cameroun. Politique publique, dynamiques sociales et constructions des Sujets, Thèse de doctorat sous la direction de Jean-François MEDARD, Université Bordeaux-Montesquieu IV/ IEP-Pessac, soutenue en décembre 2002. (version non publiée)
ENGUELEGUELE Maurice, "L'analyse des politiques publiques dans les pays
d'Afrique subsaharienne. Les apports de la notion de "référentiel" et du concept de "médiation" ", in L'Afrique politique, 2002, pp. 233-253.
GOBATTO Isabelle (dir.), Les pratiques de santé dans un monde globalisé :
circulation de modèles et expériences locales dans les Afriques contemporaines, Paris : Karthala ; Pessac : MSHA, Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine, 2003, 234 p.
1
Sur l'assainissement solide
DESSAU-SOPRIN, Projet d'amélioration des conditions de vie urbaine (PACVU), Schéma directeur de gestion des déchets – ville de Ouagadougou, Burkina Faso. Rapport final du SDGD de Ouagadougou, novembre 2000, 217 p. + Annexes.
LESBET Djaffar, "La résistance des ordures à Alger", in SEGAUD MARION (dir.),
Le propre de la ville: pratiques et symboles, La Garenne Colombes : Editions de l'Espace Européen, 1992, pp. 207-219.
Programme Solidarité Eau, Eau potable et assainissement dans les quartiers
périurbains et les petits centres, Paris : pS-Eau, 1998, 158 p.
Programme Solidarité Eau - Partenariat pour le Développement Municipal, Gestion durable des déchets et de l'assainissement urbain, Paris : pS-Eau, 2004, 191 p.
SHADYC-Marseille / GRIL-Ouagadougou, Une anthropologie politique de la fange.
Conceptions culturelles, pratiques sociales et enjeux institutionnels de la propreté urbaine à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), Rapport final, Programme du Ministère des Affaires Etrangères français piloté par le pS-Eau et le PDM, "Gestion durable des déchets et de l'assainissement urbain", septembre 2002, 223 p.
TALL Kadidia, "Une association féminine entreprend la gestion de l'environnement
dans un quartier de Ouagadougou", in HAINARD François et VERSCHUUR Christine (dirs.), Femmes dans les crises urbaines. Relations de genre et environnements précaires, Paris : Karthala, 2001, pp. 135-167.
WYNGAERDEN François, "La gestion des déchets dans une ville émergente", in
LAURENT Pierre Joseph, NYAMBA André, DASSETTO Felice et al., (dirs.), Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso. Le cas de Ziniaré, Paris : L'harmattan, 2004, pp. 399-422.
1
Rapports de la Banque mondiale
BANQUE MONDIALE, Division infrastructures, Département de l'Afrique du
Centre-Ouest, Région Afrique, Rapport d'évaluation Burkina Faso sur le Projet d'Amélioration des conditions de vie Urbaines, Rapport n°13802, s.d., 23 p. Disponible sur : www.mith.gov.bf/Ministere/Projets/pacvu.doc
BANQUE MONDIALE, The World Bank Participation Source Book, 1996.
Disponible sur : http://www.worldbank.org/wbi/sourcebook/sbhome.htm
BANQUE MONDIALE, Repenser l'Etat partout dans le monde, 1997. Disponible sur: http://www.worldbank.org/html/extpb/wdr97/french/wdr97con.htm
Textes officiels
Conseil Municipal de la Commune de Ouagadougou, Compte-rendu de séance, 29
janvier 2004. Disponible sur : http://www.mairie-ouaga.bf/detailpv.asp?Numero=76
Assemblée nationale, Loi portant Liberté d'association, N°10/92/ADP, 14 décembre 1992. Disponible sur :
http://www.culture.gov.bf/Site_Ministere/textes/reglementation/loi_associations.htm
Articles de presse
Communiqué de MM. KINDA Prosper, DERRA Zakaria, KABORE Sambo, KABRE
Adama, "Nous ne voulons pas être responsables de la chute du maire", Sidwaya, 12 juillet 2005. Disponible sur :
http://www.sidwaya.bf/sitesidwaya/sidwaya_quotidiens/sid2005_12_07/ouaga-arrond_1.htm
KINJDO Enok, "Arrondissement de Boulmiougou : des séchoirs solaires et autocuiseurs à l’UFDB", Sidwaya, lundi 31 janvier 2005. Disponible sur : http://www.lefaso.net/article.php3?id_article=5757
OUEDRAOGO D. Evariste, "Simon veut recycler ses déchets", L'Observateur
Paalga, s. d. Disponible sur : http://www.lobservateur.bf/article.php3?id_article=2357&var_recherche=d%E9chets?&sq=Oarticle
OUEDRAOGO Privat, "Nos parcelles ou notre argent!", Sidwaya, 6 juillet 2005. Disponible sur : http://www.sidwaya.bf/sitesidwaya/sidwaya_quotidiens/sid2005_06_07/soc-cult_8.htm
ZIDA GEORGE, "Compaoré comme Chirac", Le pays, 19 août 2005. Disponible sur :
http://www.lefaso.net/article.php3?id_article=9106
1
1
Annexes
1
Annexe 1 Les innovations apportées par les Documents Stratégiques de réduction de la
pauvreté. 248
248 In CLING Jean-Pierre, RAZAFINDRAKOTO Mireille et ROUBAUD François, "Un processus participatif pour établir de nouvelles relations entre les acteurs", in CLING Jean-Pierre, RAZAFINDRAKOTO Mireille et ROUBAUD François (dirs.), Les nouvelles stratégies internationales de lutte contre la pauvreté, Paris : Economica/ IRD éd., 2e éd., 2003, p. 176.
1
Annexe 2 Une grille de lecture des nouvelles stratégies de lutte contre la pauvreté. 249
249 In CLING Jean-Pierre, RAZAFINDRAKOTO Mireille et ROUBAUD François, "Un processus participatif pour établir de nouvelles relations entre les acteurs", in CLING Jean-Pierre, RAZAFINDRAKOTO Mireille et ROUBAUD François (dirs.), Les nouvelles stratégies internationales de lutte contre la pauvreté, Paris : Economica/ IRD éd., 2e éd., 2003, p. 177.
1
Annexe 3 Programme du séminaire de formation des acteurs de la pré-collecte des déchets
qui s'est tenu à Ouagadougou du 11 au 21 avril 2005.
1
Annexe 4 Annexes tirés du Rapport final du SDGD de Ouagadougou.
- Représentation graphique de la filière.
1
1
1
- Compétences, obligations et compétences spécifiques des communes en ce qui concerne la collecte et le traitement des déchets urbains.
1
- Compétences, obligations et compétences spécifiques des communes en ce qui concerne la collecte et le traitement des déchets urbains. (suite)
1
Annexe 5 Récépissé reconnaissant l'existence officielle de l'association AJSEPES.
1
Annexe 6 Correspondance autour de la recherche d'appuis par l'association AJSEPES.
- 24 avril 1998 : Avis favorable pour un appui transmis par la mairie de Boulmiougou à la mairie centrale de Ouagadougou.
1
- 2 juin 1998 : Décision du Maire de la Commune de débloquer une somme de 100 000 Fcfa au profit de l'AJSEPES.
1
- 20 décembre 1999 : Nouvel avis favorable pour un appui transmis par la mairie de Boulmiougou à la mairie centrale de Ouagadougou, qui se soldera cette fois par une réponse négative.
1
- 5 juin 2000 : Réponse négative du CREPA à une demande d'appui de l'AJSEPES.
1
Annexe 7 Contrat d'enlèvement d'ordures de l'UFDB.
1
Annexe 8 Paroles de la chanson de Christy B, "La vie. 250
Le succès dans la vie mon pote c'est le don de Dieu, Le succès dans la vie mon pote c'est le don de Dieu. Laissez les pauvres manger, laissez-les réussir, Laissez les pauvres manger, laissez-les réussir. Quand je cherchais du boulot, c'est toi qui m'as reçu Tu as effacé ma pauvreté, quand j'étais à tes côtés. Tu rendais tous les services au profit de ta vie, J'ai décidé de me faire une vie et vivre ma vie, Comme je l'entends, comme je la sens (2x) Laissez les pauvres manger laissez-les réussir, Laissez les pauvres manger laissez-les réussir. Le succès dans la vie mon frère c'est le don de dieu, Le succès dans la vie mon frère c'est le don de dieu. Privé de ton soutien, j'ose aller plus loin, Quand tu fais ceci, et quand tu dis cela (2x) Personne ne va t'encourager parce qu'on veut que tu restes, A la queue le le, le lèche-bottes, le porte-bagages Le jour où le bon Dieu te donnera pour toi Ils viendront te dire qu'ils sont toujours à tes côtés, Et qu'ils t'ont soutenu jusqu'à la fin de ta prière là. Laissez les pauvres manger laissez-les réussir, Laissez les pauvres manger laissez-les réussir. Oh, oh, oh que c'est merveille, de pouvoir vivre sa vie (2x) Un jour nouveau, vient de s'inscrire, Sur la terre, un jour nouveau, Le passé n'existe plus, il reste inconnu. Viens mon frère, pour ma mère Viens ma sœur, pour ma mère. La haine ne résout jamais les problèmes, Enterrons la hache de guerre (…) A tout ceux qui n'aiment pas le bien des autres, Ecoutez la voix du ciel, Christy B vous parle : REFRAIN
250 CHRISTY B, "La vie", in Champion d'Afrique, Label : Mélodie, 2004.
1
Annexe 9 Photos prises durant l'enquête de terrain.
Au centre ville de Ouagadougou, de grandes pancartes sont censées servir à rendre les habitants plus sensibles aux enjeux de l'assainissement urbain.
1
Les ramasseuses de l'UFDB sont à l'œuvre malgré l'heure matinale. Elles déposent les déchets au "grand trou", presque sur la voie car il serait très pénible d'avoir à amener la charrette sur le tas d'ordures.
1
Annexe 10 Liste des entretiens réalisés : 251
- 4 avril : Réunion d'alphabétisation à l'ABEFAB. - 5 avril : Entretien collectif avec les femmes de l'association Badenya Benkady, sur le
terrain où elles se réunissent. - 5 avril : Entretien non enregistré avec M. Nana Mathieu, fonctionnaire au Service des
Affaires Economiques et sociales de la Mairie de Boulmiougou. L'entretien se déroule dans son bureau.
- 7 avril : Entretien non enregistré avec M. Ilboudo Omar, fonctionnaire chargé de la
voirie à la mairie de Boulmiougou, dans son bureau. - 7 avril : Entretien non enregistré avec deux membres de l'association de femmes
Zemes Taaba dans la cour de Mme Salya où se déroulent les cours d'alphabétisation de l'ABEFAB.
- 7 avril : Entretien non enregistré puis enregistré avec Mme Salya Marcelline,
présidente de l'ABEFAB et ancienne secrétaire de l'UFDB. - 8 avril : Entretien non enregistré avec Mme Bouda Léocadie, Formatrice du CREPA
chargée de l'appui-conseil aux organisations de base. L'entretien se déroule au siège du CREPA régional.
- 8 avril : Entretien non enregistré avec Mme Ouédraogo Abzèta et Mme Kangouebou,
respectivement Présidente et Secrétaire aux relations extérieures de l'UFDB. L'entretien se déroule au siège de l'association.
- 11 avril : Entretien non enregistré avec M. Tapsoba Dieudonné, Responsable du suivi-
évaluation au PACVU. L'entretien se tient au siège du PACVU. - 12 avril : Entretien enregistré avec M. Yabré Pierre, Président de L'association des
Jeunes Sans Emploi pour la Promotion de l'Emploi et de la Salubrité (AJSEPES). L'entretien se déroule dans un "maquis" (bar-restaurant) à proximité de la mairie de Boulmiougou.
- 13 avril : Entretien enregistré avec Mme Yélémou Rachel, directrice de l'entreprise
SILO. L'entretien se déroule à son domicile, près de l'Hôtel Yampoutin, à l'extrême Ouest du quartier de Pissy.
- 14 avril : Entretien enregistré avec M. Cissé Mahamadou, Responsable Traitement
Valorisation des Déchets à la Direction de la propreté de Ouagadougou, dans son bureau.
251 Entretiens individuels, collectifs, téléphoniques, enregistrés, non enregistrés, ou réunions. Réalisés en 2005.
1
- 15 avril : Entretien enregistré avec Mme Salya Marcelline, ancienne secrétaire de
l'UFDB et présidente de l'Association pour le Bien-être des Enfants et des Femmes de l'Arrondissement de Boulmiougou. Il se déroule dans la cours de Mme Salya, qui abrite aussi le local de l'association.
- 17 avril : Assistance à la réunion mensuelle de l'association UFDB et entretiens
collectifs non enregistrés et traduits par un interprète de ramasseuses et de recenseuses. La séance se déroule sur la parcelle de l'UFDB.
- 18 avril: Entretien avec la famille (élargie) Salou. Entretien collectif non enregistré
avec environ 8 personnes sur 14 que compte la cour (rue 17.340). - 18 avril : Entretien non enregistré avec deux des fils de la famille Bagayoko devant le
domicile familial. - 19 avril : Assistance à un séminaire de formation animé par le CREPA pour renforcer
les capacités des acteurs de GIE et PME attributaires de zones de pré-collecte, il se déroule dans les locaux de la Direction de la Propreté.
- 22 avril: Entretien informel avec Mme. Kabore Rasmata, animatrice à l'ONEA.
L'entretien se déroule dans les locaux de la mairie de Boulmiougou. - 22 avril: Entretien enregistré avec Mme Bambara Julienne, Trésorière de l'UFDB.
L'entretien se déroule sur le parvis de la mairie de Boulmiougou. - 9 juin : Entretien téléphonique avec M. Bayili Pierre. Consultant burkinabé sur les
thématiques de l'assainissement.
1
1
Contact :
Simon MAS « Le grand chemin » Pont de Boyon 07000 PRANLES. FRANCE. Courrier électronique: masfr2001@yahoo.fr
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