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Roger, Alain. Court traité du paysage. Coll. « Bibliothèque des Sciences Humaines ». Paris: Gallimard, 1997, 199 p.
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Par Genevive Gravel-Renaud
Roger, Alain. Court trait du paysage. Coll. Bibliothque des Sciences
Humaines . Paris: Gallimard, 1997, 199 p.
Rsum
Le travail de l'artiste consiste prendre possession de la nature, la modeler pour en
faire un objet esthtique, donc culturel. Ainsi, selon Alain Roger, la notion de
paysage est fortement forge par le regard constamment esthtique et culturel que
nous portons sur la nature. Il propose donc de travailler partir de l'articulation
Pays/Paysage, le pays reprsentant le degr zro du paysage. C'est l'artisalisation de
la nature qui permet de passer du pays au paysage, et cela selon deux modalits, l'une
directe et l'autre indirecte. Le besoin humain de crer des jardins a constitu une
premire volont de contrler la nature, d'en faire une oeuvre d'art o les attributs de
celle-ci, parce que concentrs et circonscrits, atteindraient la quintessence de la
beaut. Selon Augustin Berque, pour qu'une socit soit considre paysagre ,
elle doit remplir quatre conditions : possder des mots pour dire le paysage , des
reprsentations littraires, des reprsentations picturales et des jardins. Cependant,
l'inverse de Berque, dont il interroge les conditions, Roger qualifie de proto-
paysagres les socits qui possdent une ou plusieurs de ces quatres
caractristiques. Il reconnat plusieurs socits comme tant proto-paysagres, et
questionne l'importance de la prsence de mots pour dire le paysage si toutes les
autres conditions sont remplies. D'ailleurs, ce n'est qu'au XVe sicle que l'Europe
occidentale acquiert la qualit de socit paysagre. Roger pose l'apparition de la
fentre comme le facteur la base de l'invention du paysage en Occident, celle-ci
permettant au pays, en l'encadrant, de devenir paysage. Mais c'est la runion de deux
conditions essentielles qui permettra au paysage de vritablement prendre forme : la
lacisation des lments naturels et l'organisation en un ensemble distinct de ces
lments. Roger s'attarde par la suite la naissance de certains paysages spcifiques,
tels que la montagne, la mer et le dsert, et remarque qu' travers ces paysages, la
sensibilit paysagre se transforme, passant du beau (la campagne belle et paisible) au
sublime (la mer sublime et monstrueuse). Aujourd'hui, la notion de paysage semble
de plus en plus automatiquement englobe par celle d'cologie, et nous nous
accrochons des paysages vieux de deux cents ans, mlangeant prservation de
l'environnement et respect des paysages contemporains. Roger souligne l'importance
fondamentale de distinguer paysage et environnement et de ne pas sacrifier l'origine
esthtique de l'un l'hgmonie scientifique de l'autre. Cela dit, il ne faudrait pas non
plus considrer, comme certains ont tent de le faire, la nature comme un sujet de
droit. C'est toujours dans leur propre intrt que les hommes protgent la nature, et
s'ils doivent continuer de le faire, c'est en signant un contrat entre eux. Certains
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soulignent une actuelle crise du paysage. Roger n'adhre pas sans rserves cette
ide, et soulve l'hypothse qu'il s'agit peut-tre simplement d'une crise du regard :
nous ne savons pas comment voir le paysage dans l'architecture contemporaine.
Finalement, l'auteur aborde l'rotisation du paysage, citant surtout des exemples
littraires, et terminant ainsi son exploration des aspects les plus significatifs du
paysage.
Citations choisies
L'artiste, quel qu'il soit, n'a pas rpter la nature quel ennui, quel gchis !, il a
pour vocation de la nier, de la neutraliser, en vue de produire les modles, qui nous
permettront, rebours, de la modeler. Je rature le vif , crivait Valry : il s'agit,
d'abord, de raturer la nature, de la dnaturer, pour mieux la matriser et nous rendre,
par le processus artistique aussi bien que le progrs scientifique, comme matres et
possesseurs de la nature . L'art, selon Lvi-Strauss, constitue au plus haut point
cette prise de possession de la nature par la culture, qui est le type mme des
phnomnes qu'tudient les ethnologues . (p. 12)
Nous sommes, notre insu, une intense forgerie artistique et nous serions stupfaits
si l'on nous rvlait tout ce qui, en nous, provient de l'art. Il en va ainsi du paysage,
l'un des lieux privilgis o l'on peut vrifier et mesurer cette puissance esthtique.
Tel est l'objet de ce livre. (p. 16)
l'instar de la nudit fminine, qui n'est juge belle qu' travers un Nu, variable
selon les cultures, un lieu naturel n'est esthtiquement peru qu' travers un Paysage,
qui exerce donc, en ce domaine, la fonction d'artialisation. la dualit Nudit Nu je
propose d'associer son homologue conceptuel, la dualit Pays Paysage [...]. (p. 17)
La nature est indtermine et ne reoit ses dterminations que de l'art : du pays ne
devient un paysage que sous la condition d'un paysage, et cela, selon les deux
modalits, mobile (in visu) et adhrente (in situ), de l'artialisation. (p. 17-18)
Le pays, c'est, en quelque sorte, le degr zro du paysage, ce qui prcde son
artialisation, qu'elle soit directe (in situ) ou indirecte (in visu). Voil ce que nous
enseigne l'histoire, mais nos paysages nous sont devenus si familiers, si naturels ,
que nous avons accoutum de croire que leur beaut allait de soi ; et c'est aux artistes
qu'il appartient de nous rappeler cette vrit premire, mais oublie : qu'un pays n'est
pas, d'emble, un paysage, et qu'il y a, de l'un l'autre, toute l'laboration de l'art.
(p. 18)
La perception d'un paysage, cette invention de citadins, comme on le verra bientt,
suppose la fois du recul et de la culture, une sorte de reculture en somme. Cela ne
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signifie pas que le paysan est dpourvu de tout rapport son pays et qu'il n'prouve
aucun attachement pour sa terre, bien au contraire ; mais cet attachement est d'autant
plus puissant qu'il est plus symbiotique. Il lui manque, ds lors, cette dimension
esthtique, qui se mesure, semble-t-il, la distance du regard, indispensable la
perception et la dlectation paysagre. (p. 27)
Avant d'inventer des paysages, par le truchement de la peinture et de la posie,
l'humanit a cr des jardins, qui correspondent ce que Pauline Cocheris, dcrivant
les techniques de tatouages et de scarification, appelait les parures primitives . Ils
sont les vtements, ornements et tourments que l'homme impose au pays , le
bariolant, le tatouant, le scarifiant en paysage, prouvant, ds les commencements, ce
plaisir superbe de forcer la nature , dont parle Saint-Simon propos de
Versailles. (p. 31)
Il s'agit, comme dans l'activit artistique, de dlimiter un espace sacr, une sorte de
templum, l'intrieur duquel se trouve concentr et exalt tout ce qui, hors de
l'enceinte, diffuse et se dilue, livr l'entropie naturelle. Le jardin, l'instar du
tableau, se veut monade, partie totale, lot de quintessence et de dlectation, paradis
paradigme. (p. 32)
Polysensorialit. L'ombre, la brise, le gazon et la philosophie... Il ne manque qu'un
mot, pour dire le paysage, mais tait-il indispensable ? (p. 54)
Sans doute la dnomination est-elle essentielle ; mais la sensibilit, paysagre en
l'occurence, peut se frayer d'autres voies, s'exprimer par d'autres signes, visuels ou
non, qui requirent, de l'interprte, une attention scrupuleuse : ni suspicion ni
superstition l'gard du langage. (p. 57)
Avec le recul, nous pouvons dire que l'invention du paysage occidental supposait la
runion de deux conditions. D'abord, la lacisation des lments naturels, arbres,
rochers, rivires, etc. Tant qu'ils restaient soumis la scne religieuse, ils n'taient
que des signes, distribus, ordonns dans un espace sacr, qui, seul, leur confrait une
unit. [...] Telle est la seconde condition : il faut dsormais que les lments naturels
s'organisent eux-mmes en un groupe autonome, au risque de nuire l'homognit
de l'ensemble, comme on peut le constater dans de nombreux tableaux du
Quattrocento italien, o le disparate entre la scne et le fond est manifeste. (p. 69-
70)
Car l'vnement dcisif, que les historiens ne me semblent pas avoir assez soulign,
est l'apparition de la fentre, cette veduta intrieure au tableau, mais qui l'ouvre sur
l'extrieur. Cette trouvaille est, tout simplement, l'invention du paysage occidental. La
fentre est en effet ce cadre qui, l'isolant, l'enchssant dans le tableau, institue le pays
en paysage. Une telle soustraction extraire le monde profane de la scne sacr est,
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en ralit, une addition : le age s'ajoutant au pays. (p. 73)
Ce que le XVIIe sicle apporte, c'est, pour l'essentiel, une autre vision de la mer,
violente, sauvage, grandiose, d'un mot : sublime. Elle suppose une autre modlisation,
o le peintre, en haute mer comme en haute montagne, dcouvre ses limites et doit
cder la place au pouvoir de l'criture et, plus tard, de la photographie et du film. (p.
99)
Chaque paysage a son langage. (p. 101)
C'est la conjonction de ces deux facteurs dtrioration in situ, drliction in visu
que procde la crise actuelle du paysage. Mais est-elle aussi grave ? Je crois qu'elle
trahit surtout la sclrose de notre regard, qui veut du vieux (rappelons-nous le beau
texte de Proust sur l'artiste oculiste), et le recours nostalgique des modles
bucoliques, plus ou moins prims, des paysges, des paysgs. Nous ne savons pas
encore voir nos complexes industriels, nos cits futuristes, la puissance paysagre
d'une autoroute. nous de forger les schmes de vision, qui nous les rendront
esthtiques. Pour l'heure, nous nous complaisons dans la crise, mais c'est peut-tre de
cette dlectation critique que sortiront les modles de demain. (p. 113)
La premire forme d'autisme est celle du dnuement. Nous esprions un paysage et
ne trouvons que du pays, c'est--dire l'ennuie, ou l'inquitude, sinon l'hostilit.
Dpayss ? Mieux vaudrait dire empayss , rduits ce pays, ce sale pays sans
paysage. Nous ne sommes pas dpayss, mais dpaysags. (p. 119)
Il existe une seconde forme d'autisme, plus complexe et plus irritante. Le regard
n'est pas vide, mais incongru, l'artialisation n'est pas dficiente, mais inadquate. Je
me suis dplac, mais, ironie, du voyage, tous mes modles sont... dplacs, en porte
faux, un malentendu, ou plutt un malvu incessant. (p. 120)
Il existe enfin une troisime forme d'autisme, non plus par dfaut, ni dplacement,
mais par excs, plthore, intemprance esthtique. Pourquoi partir, si je risque de ne
trouver, en Flandre, que de brunes ironies ? Pourquoi ne pas rester chez moi, o
l'art me prodigue l'envie et sans efforts les plaisirs les plus fins, sinon les plus
forts? (p. 123)
Il faut parfois beaucoup de courage et d'ascse pour rcuser ce no-colonialisme
touristique et revenir au pays , dans ce qu'il peut avoir de plus pauvre nos yeux :
se barbariser en quelque sorte et se purger le regard, au risque de la ccit, pour
essayer de voir ou, du moins, d'entrevoir un autre paysage, tout en sachant qu'il nous
faudra toujours quelque modle, exotique ou indigne, pour paysager ce pays-l.
(p. 123)
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strictement parler, le paysage ne fait pas partie de l'environnement. Ce dernier
est un concept rcent, d'origine cologique, et justiciable, ce titre, d'un traitement
scientifique. Le paysage, quant lui, est une notion plus ancienne, d'origine artistique
(voir plus haut), et relevant, comme telle, d'une analyse essentiellement esthtique.
(p. 126)
J'ignore, quant moi, ce que veut dire cologie du paysage , sinon ceci :
l'absorption du paysage dans sa ralit physique, la dissolution de ses valeurs dans les
variables cologiques, bref sa naturalisation, alors qu'un paysage n'est jamais naturel,
mais toujours culturel. (p. 128)
Voici ce que nous avons faire, chacun dans son rle et selon ses moyens : inventer
l'avenir, nourrir le regard de demain et, surtout, ne pas nous recroqueviller sur le
pass. Il en va de la pratique paysagre comme de toute cration artistique : elle ne
saurait se figer dans la lthargie des muses. (144)
On ne matrise et ne possde vraiment la nature qu'en la protgeant. Je souscris, sur
ce point, l'opinion de Serres : il faut dsormais chercher matriser notre
matrise . La vraie matrise est matrise de soi, pronominale, et la vraie possession
l'oppos de l'oppression : gestion ordonne d'un fonds prserver. [...] La nature n'est
pas une personne, ni mme une entit, que nous aurions vnrer pour elle-mme,
elle n'est qu'un rservoir, il est vrai colossal, de possibilits, que tous nos intrts,
conomiques, cologiques, esthtiques, etc., nous commandent d'exploiter, non
seulement rationnellement (nous le savons), mais raisonnablement (nous avons
l'apprendre), un patrimoine commun que nous nous devons de protger contre notre
propension au gaspillage, mais sans jamais cder ce pathos cologiste, qui n'est, le
plus souvent, qu'un margouillis de biologisme et de thologie. (p. 163-164)
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