View
93
Download
0
Category
Preview:
Citation preview
1
La campagne présidentielle française de 2012 s’est-elle jouée sur le web ? Présenté par
Astrid THINS
Travail encadré par Monsieur Paquot
en vue de l’obtention du grade de
Bachelier en Communication
Tournai - Année académique 2011 - 2012
2
Table des matières : Introduction : ....................................................................................................................................... 1 Avant-‐propos : Les Etats-‐Unis à l’avant garde du numérique ........................................ 5
I) LES INNOVATIONS DES MEDIAS EN LIGNE ................................................................. 8 A. LA COUVERTURE WEB DE LA CAMPAGNE PRESIDENTIELLE FRANÇAISE PAR LE MONDE ET FRANCE TELEVISIONS ............................................................................................................................................ 8 1) La newsroom bi-‐média du Monde ......................................................................................... 8 2) Les dispositifs numériques chez France Télévisions ................................................... 13
B. LE PARI DU JOURNALISME LOCAL .................................................................................................. 16 1) « Une année en France » : un projet bi-‐média stagnant au long cours ............. 17 2) « La campagne à vélo » : Le web documentaire itinérant 100% réseaux sociaux 19 3) Course de fond Versus sprint ................................................................................................ 21
C. LE VERITOMETRE D’OWNI ............................................................................................................. 22 1) Le pure player de pointe Owni ............................................................................................. 22 2) Le fact-‐checking : définition .................................................................................................. 25 3) Le Véritomètre ............................................................................................................................ 26 4) La collaboration entre Owni et i>TELE ........................................................................... 29
II) LA CAMPAGNE PRESIDENTIELLE SUR LES RESEAUX SOCIAUX ....................... 31 A. TWITTER : LA NOUVELLE ARME DES CANDIDATS ....................................................................... 31 1) Le comportement des candidats sur Twitter ................................................................. 31 2) La guerre des hashtags de ralliement .............................................................................. 33
B. LE DEBAT D’ENTRE-‐DEUX TOURS SUR TWITTER ........................................................................ 35 1) Live fact-‐checking du débat .................................................................................................. 35
C. LE CONTOURNEMENT DU CODE ELECTORAL ................................................................................ 37 1) La loi de l’embargo de 20 heures ........................................................................................ 37 2. Un usage remis en cause par le numérique ..................................................................... 39 3. Le langage codé de Twitter .................................................................................................... 41
III) ECHECS ET VICTOIRES DE LA CAMPAGNE NUMERIQUE DE 2012 ................. 44 A. LES FAILLES NUMERIQUES DES CANDIDATS ................................................................................ 44 1) Une campagne d’affichage sur le web et un maigre budget ................................... 44 2) Le flop des sites de campagne .............................................................................................. 47 3. L’absence d’un débat 2.0 ......................................................................................................... 49
B. UNE OPPORTUNITE POUR LES MEDIAS EN LIGNE ........................................................................ 50 1) Forte fréquentation les jours de scrutin .......................................................................... 50 2. Un regain de confiance du citoyen ...................................................................................... 52 Bibliographie : .................................................................................................................................. 58
1
Introduction :
Nombreux sont les journalistes et les professionnels de la communication qui
ont pronostiqué que le web allait jouer un rôle déterminant dans la campagne
présidentielle française. Un souhait en partie alimenté par l’élection américaine
de 2008, dont la facette numérique sera exposée dans un avant-propos. Barack
Obama a incarné le candidat 2.0 grâce à une stratégie numérique bien rodée.
En 2012, les candidats à la présidence de la France ne pouvaient plus faire
abstraction du web et de ses internautes, celui-ci étant un terrain d’échange
important avec les électeurs potentiels.
Dès lors, il convient de se demander si le web fut l’un des champs de bataille de
la campagne présidentielle française. L’Internet est doué d’une mémoire
collective ; toutes les dérives de langages y sont permises. Le citoyen lambda
peut y interpeller l’homme politique et il est aisé de contourner les règles strictes
du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel1 .
Les médias en ligne ont, quant à eux, dégainé leurs dernières innovations pour
impliquer davantage les internautes dans cette campagne, susciter chez eux le
débat, leur faire vivre la campagne différemment. Ont-ils pu tirer leur épingle du
jeu et se poser en réels rivaux des médias traditionnels ?
Exaltée par l’échéance présidentielle et curieuse d’oberver toute cette agitation
en ligne, je décide de me lancer dans un sujet de Travail de Fin d’Étude on ne
peut plus brûlant d’actualité.
La problématique à laquelle il tentera de répondre est celle-ci: la campagne
présidentielle française s’est-elle jouée sur le web ? Mes recherches ne se
sont donc pas basées sur des ouvrages, mais sur mon investigation associée à
l’observation de journalistes web et de consultants. L’impartialité et l’objectivité
ont été les mots d’ordre que je me suis efforcée de respecter tout au long de ce
Travail de Fin d’Étude.
Je me suis ainsi positionnée du côté de l’électeur internaute, davantage
intéressée par ce qui allait m’aider à comprendre la campagne, les programmes
1 telles que l’égalité du temps de parole des candidats entre les deux scrutins.
2
et, in fine à faire mon choix. J’ai donc procédé à une veille éditoriale de longue
haleine, scrutant les innovations des sites d’information, les réseaux sociaux et
les sites de campagne. J’ai délibéremment attribué moins d’importance à
l’aspect visualisation des candidats, aux coûts de la campagne en ligne et à la
stratégie web qui relèvent plutôt de la communication politique.
Dans un premier temps, j’ai souhaité faire état du paysage web français, porté à
vive ébullition par l’approche de l’élection présidentielle. Ainsi, une partie sera
consacrée aux innovations et aux forces engagées par trois médias en ligne –
Le Monde, France Télévision et Owni – dans le but de rendre compte de cette
campagne, d’aider à la comprendre et de dynamiser le débat citoyen. Trois
phénomènes émergents seront mis en évidence : les applications interactives
comme « le comparateur de programmes » ; le prisme local adopté par le
Monde avec « Une année en France » et France Télévisions avec « La
campagne à vélo » ; et enfin le fact-checking développé par le pure player Owni
et mis à l’antenne par i>TELE.
Une seconde partie portera sur les réseaux sociaux, l’implication des candidats
à la présidentielle et, en parallèle, la réactivité des internautes. Twitter a-t-il été
un outil de mobilisation, de conviction ? Les réseaux sociaux ont-ils modifié les
usages, brisé l’embargo de vingt heures 2 ? Ont-ils été des lieux de
débats cruciaux ou alternatifs ? Nous verrons que les familles politiques se sont
livrées à une véritable guerre de hashtags3. Ensuite, nous revivrons le moment
du débat de l’entre-deux tours sur Twitter. Enfin, nous analyserons comment les
réseaux sociaux ont permis de contourner le code électoral et l’embargo,
notamment grâce au langage codé des internautes.
La dernière partie résoudra la problématique et permettra de savoir dans quelle
mesure la campagne s’est jouée ou ne s’est pas jouée sur le web. Pour ce faire,
nous étudierons les failles des candidats comme le manque d’interaction avec
les citoyens, le maigre budget consacré au numérique, le flop des sites de
campagne et le débat 2.0 avorté. A contrario, nous verrons également certaines
2 L’embargo a été instauré en 1977, il oblige les journalistes à ne pas divulguer les résultats partiels ou finaux du scrutin présidentiel avant 20 heures sous peine d’amende. 3 Hashtag signifie « mot clé » sur Twitter.
3
enquêtes et sondages pointent un regain de confiance des citoyens pour le web
et les journalistes.
4
J’adresse mes remerciements au promoteur de ce Travail de fin d’Etude,
Monsieur Pacquot, pour le temps et l’aide qu’il m’a consacré ainsi que
pour m’avoir aiguillé dans mes recherches. Je remercie également les
journalistes qui se sont montrés disponibles pour répondre à mes
questions, malgré leur cadence de travail durant cette campagne
présidentielle. Je n’oublie pas non plus les personnes qui ont pu me
guider dans ce travail grâce à leur regard critique.
5
Avant-‐propos : Les Etats-‐Unis à l’avant garde du numérique 2008 demeurera une année clé, l’année où la campagne présidentielle
américaine a basculé vers le numérique. L’artisan de cette petite révolution est
Barack Obama, à l’époque candidat du parti démocrate. La campagne
présidentielle américaine s’est ainsi déplacée et axée vers le web. Barack
Obama s’est emparé des outils web pour élargir son spectre électoral, paraître
plus humanisé dans sa relation avec l’électorat, récolter plus de dons et au final
remporter l’élection. Ce fut une prise de conscience du potentiel mobilisateur et
conversationnel du web. On considère aujourd’hui que cet investissement de la
Toile a contribué à son élection. Ce modèle a fait des émules en France. Le
think tank Terra Nova a par exemple rédigé un rapport édifiant sur la campagne
présidentielle américaine de 2008 sur la stratégie web déployée par Barack
Obama intitulé « Moderniser la vie politique : innovations américaines, leçons
pour la France »4.
On y apprend notamment que cette campagne de 2008 fut la première à faire
fusionner l’Internet et le terrain. La campagne de Barack Obama a marqué une
rupture avec les campagnes plus classiques, faites de spots télévisés, d’affiches
et de meetings. L’enjeu présidentiel s’est déplacé sur la Toile pour démultiplier
les résultats des actions de terrain. La campagne du candidat démocrate a ainsi
gagné en efficacité et en organisation. Elle a permis de mettre à profit les
diverses interactions rendues possibles par le web, notamment grâce aux
plateformes comme Facebook, Myspace, ou Twitter. Les réseaux sociaux sont
devenus des terrains de recrutement. La stratégie d’Obama a bouleversé la
démarche classique, en démontrant qu’ il ne fallait pas attendre que les
supporters viennent à la campagne mais aller directement vers eux,
spécialement au moyen des réseaux sociaux. Il a fallu trouver un terrain unique
pour fédérer tous les militants en faveur de Barack Obama ; leur activité a donc
été organisée et coordonnée par un réseau social interne, directement mis à
disposition de chacun par le parti démocrate.
Le site de campagne mybarackobama.com est ainsi devenu un outil 4 http://www.tnova.fr/essai/moderniser-la-vie-politique-innovations-am-ricaines-le-ons-pour-la-france, consulté le 15/05/12
6
incontournable, conçu comme un réseau social propre et fédérant la
communauté Obama. Sylvain Lapoix, journaliste politique pour Marianne 2 en
2008 a observé les raisons de ce succès numérique :
Le militantisme de terrain s’est structuré autour d’outils web déployés par le parti Démocrate et MoveOn.org. Le site Mybarackobama.com a été un véritable succès en permettant une organisation optimum des activités militantes. La méthodologie de terrain était mise à disposition sur le site avec des argumentaires prédéfinis, des objectifs de porte-à-porte à remplir suivant la géolocalisation des militants, ce qui permettait de quadriller l’immense territoire américain. (…) « Utiliser les outils du XXIe siècle pour appliquer les méthodes politiques du XIXe siècle. », voilà comment le think tank en vogue « terra nova » a synthétisé la campagne 2.0 d’Obama dans un rapport5.
Le candidat démocrate a utilisé la technique du micro-targetting : il s’agit
d’étoffer les bases de données existantes (bases électorales, commerciales,
politiques) pour obtenir des données individuelles sur les électeurs. Cette
technique a permis d’affiner les informations et d’organiser plus efficacement le
porte-à-porte, par exemple. Grâce aux militants, le candidat a pu acheter des
fichiers et collecter des informations. Une immense base de données a été
créée, Catalist, qui a permis de répertorier près de 220 millions d’Américains,
avec parfois jusqu’à 600 informations par personne.
Cette campagne numérique a été largement scrutée et commentée en France
où il fut communément admis qu’Obama fut capable de remporter la
présidence, partiellement grâce à sa présence sur la Toile. Sa force de
conviction sur les Américains a séduit les candidats français, qui se sont alors
investis pour l’électeur sensible au 2.0. L’un des premiers indicateurs de cette
émulation en France est fut la création par le Parti Socialiste, peu après, d’un
réseau social nommé LaCoolPol
Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP en charge du projet web, énonçait
déjà ses ambitions en 2009, en vue de l’élection de 2012 :
En 2007, les gens étaient massivement sur Google, donc nous avons acheté des mots clés, rappelle le porte-parole. Désormais, nous faisons de la publicité sur Facebook et nous allons consolider notre présence sur ce réseau car les Français y sont aujourd’hui massivement. Nous
5 Extrait de l’entretien avec Sylvain Lapoix disponible en annexe
7
connaissons les autres communautés (Twitter, Seesmic…) mais, tant que les internautes n’y sont pas, ça ne sert à rien d’y investir6.
Le Monde.fr a analysé l’implication des citoyens Américains dans la campagne
présidentielle de 2008 au moyen d’une étude de l’institut non partisan Pew
Internet and American Life Project :
46 % des Américains ont utilisé le Web ou la fonction SMS de leur téléphone portable pour s'informer sur la campagne présidentielle 2008(… ). Malgré l'augmentation du pourcentage d'Américains impliqués dans la campagne Web, les internautes restent ambivalents quant au rôle du nouveau média : 28 % des internautes américains se sentent plus impliqués personnellement dans la campagne grâce au média, et 22 % affirment qu'ils ne se seraient pas autant impliqués dans la campagne sans Internet. Mais 60 % des interrogés estiment qu'Internet est un espace plein de propagande que trop d'électeurs prennent pour argent comptant7.
6 http://www.marianne2.fr/Sur-le-web-Sarkozy-prepare-2012-en-copiant-
Obama_a174441.html, consulté le 20/04/12
7 http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2008/06/16/internet-l-incontournable-outil-de-
la-campagne-americaine_1058963_3222.html, consulté le 21/04/12
8
I) Les innovations des médias en ligne
A. La couverture web de la campagne présidentielle française par Le Monde et France Télévisions
1) La newsroom bi-‐média du Monde
1.1 Newsroom : terme indéfinissable
La newsroom est un terme anglophone se traduisant simplement par « salle de
rédaction », mais recouvrant divers modes de gestion qui diffèrent suivant la
rédaction. Chaque rédaction de presse a sa propre conception d’une newsroom
ainsi qu’une organisation propre. Le magazine suisse online EDITO est peut-
être celui qui en apporte la définition la plus précise :
Contactés par EDITO, plusieurs spécialistes des médias avouent sécher sur ce concept. Pourtant, tout le monde a sa newsroom: 10 Downing Street, l’Elysée, Roche, Novartis, Nestlé, etc. „Newsroom” désigne ici l’espace dévolu à la communication des groupes ou des instances politiques. Terme anglais, forcément à la mode, „newsroom” fait des émules… et se vide de son sens. (…) En fait, le concept a énormément évolué au cours de ces dernières années comme l’explique Jean-Christophe Liechti8: „On parle d’abord de Newsroom 1.0 pour désigner les rédactions dans lesquelles le web et le papier sont clairement séparés. Vient ensuite la Newsroom 2.0 que nous expérimentons actuellement. Différentes plate-formes comme le web, le papier et les services d’application pour les téléphones portables se concertent et collaborent pour essayer de respecter l’image du journal. Dans le futur, on parlera de 3.0., une newsroom au sein de laquelle on travaillera indépendamment des types de support.9
Le 18 mai 2011, Erik Izraelewicz, le directeur de publication du journal Le
Monde expose ses nouveaux projets éditoriaux pour le papier et le web dans un
article10. L’un d’eux concerne le rapprochement des rédactions du Monde et du
8 Jean-Christophe Liechti est une grande personnalité des médias suisse, aujourd’hui propriétaire de quotidiens en ligne. 9 http://www.edito-online.ch/archiv/edito0110/edito0110f/newsroomjetaimemoinonplus.html, consulté le 04/03/12 10 http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2011/05/15/le-monde-lance-une-redaction-bi-media-pour-la-presidentielle_1522354_3236.html, consulté le 04/03/12
9
Monde.fr. Dès la mi-juin, le quotidien Le Monde a mis en place un dispositif bi-
média de regroupement des journalistes papier et web au sein d’un large
service politique appelé « newsroom » pour couvrir la campagne présidentielle
française. Antonin Sabot, journaliste au Monde.fr explique la structure complexe
de la newsroom :
La newsroom était divisée en différentes sections pour une couverture optimale de la campagne présidentielle. Un desk, principalement occupé par les anciens du web, devait traiter rapidement le tout venant et les dépêches. Parmi eux, s’est créé un dispositif particulier de live permanent politique : les journalistes commentent l’actualité politique en temps réel et doivent gérer l’interaction avec les internautes susceptibles de les interpeller et les interroger à tout moment. Les « rubricarts » fonctionnaient comme dans une rédaction papier, ils assuraient chacun le suivi d’un parti politique… Une équipe s’occupait du décryptage, du fact-checking qui consistait à traiter le journalisme de données, la vérification des discours politiques… Quelques applications étaient proposées aux lecteurs pour les aider à comprendre la campagne. (…) Nous voulions aussi montrer une autre vision de la campagne présidentielle, une vision à hauteur d’hommes. Nous avons pris le pouls des Français dans huit villes de France pour connaître leurs modes de vie et la façon dont ils avaient vécu cette élection11.
Le Monde a pensé la couverture des élections autour de trois axes, explique
Alexandre Piquard, chef adjoint du service politique du Monde et Monde.fr, dans
les ateliers des médias de RFI12. Le premier axe s’est organisé autour des lieux
de pouvoir en utilisant l’expertise du titre. Mais, celui-ci a été complété par un
pôle décryptage en utilisant les outils de fact-checking et le décodeur13. Le fact-
checking a été utilisé lors des couvertures télévisuelles en direct des débats,
afin de stimuler la réactivité. Le dernier axe fut le reportage au long cours avec
le projet « Une année en France ». Le Monde a posé ses valises dans huit villes
de France ; cette délocalisation et cette proximité avec le Français lambda a
permis aux journalistes de connaître le terrain et de mieux ressentir ce qui se
déroule au dehors, en parallèle de l’agenda médiatique, et des meetings.
11 Extrait de l’entretien avec Antonin Sabot disponible en annexe. 12 http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/presidentielle-2012, consulté le 04/03/12 13 Blog affilié au Monde.fr chargé du fact-checking soit à la vérification des données et déclarations des personnalités publiques.
10
1.2 Le comparateur de programmes
Le Monde.fr a mis en place un module permettant aux citoyens de consulter et
de comparer les programmes des candidats à la présidentielle14. Il s’agit d’un
outil pédagogique et personnalisable qui permet d’isoler facilement les choses
qui nous intéressent, de les déplacer ou d’aller en profondeur sur un sujet. Les
thématiques proposées telle que le chômage, l’éducation sont réparties en
quatre sujets majeurs : Economie, Société, Institutions et Planète. Un mode
d’emploi apparaît avant l’utilisation du module. Le pictogramme de la loupe
permet de rechercher une mesure sur un sujet précis et la croix permet
d’éliminer un candidat ou une mesure de sa recherche. Il est ainsi possible de
comparer des mesures de deux candidats en vis-à-vis, voire des dix candidats
sur le sujet ou sur la thématique précise souhaitée. Ce comparateur a
l’avantage de représenter les dix candidats et s’adresse donc à tous les
électeurs potentiels. Mis en ligne pour la première fois le 20 mars 2012, il a été
sans cesse réactualisé car les mesures des candidats s’additionnent à
l’approche de l’échéance. La dernière actualisation date du 19 avril, 11 473
personnes ont recommandé ce module sur leur mur Facebook à ce jour15.
© http://programmes.lemonde.fr/
14 http://programmes.lemonde.fr/, consulté 14/04/12 15 Nombre de recommandations le 15/08/12
11
Le Monde.fr a renouvelé son module en vue du second tour en comparant les
programmes de François Hollande et Nicolas Sarkozy suivant les mêmes sujets
et thématiques que précédemment.
1.3 Le simulateur de report de voix
Le 23 avril, au lendemain du 1er tour, le Monde.fr proposait une nouvelle
interface. Le simulateur de report de voix16 entre les deux tours permettait à
chacun d’estimer le taux de report des voix en faveur de François Hollande ou
de Nicolas Sarkozy. Le fonctionnement était simple, il suffisait de déplacer le
curseur vers l’un des deux candidats, arborant leurs couleurs emblématiques, le
bleu pour Nicolas Sarkozy, le rose pour François Hollande. Chacun pouvait
ainsi imaginer le pourcentage de l’électorat de François Bayrou qui allait se
reporter vers Nicolas Sarkozy ou François Hollande. Le Monde.fr prenait aussi
des abstentionnistes en compte dans l’estimation pour l’électorat de chaque
candidat au 1er tour. Après avoir encodé les pronostics pour tous les candidats,
le simulateur effectuait les calculs, et faisait apparaître le nom du prochain
président ainsi que son pourcentage au second tour, selon vos estimations
calculées.
©http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/04/23/simulez-le-
report-de-voix-au-second-tour_1689349_1471069.html
1.4 Le pôle décryptage et « les décodeurs »
Le pôle décryptage du Monde.fr fait la part belle au fact-checking qui est à
l’origine une tradition du journalisme anglo-saxon. Le fact-checking consiste en
la vérification de discours d’hommes politiques en fonction de leurs déclarations
antérieures, pour voir s’ils sont cohérents ou ont tenu leurs promesses. La 16 http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/04/23/simulez-le-report-de-voix-au-second-tour_1689349_1471069.html, consulté le 14/04/12
12
vérification des arguments de campagne est aussi permise par la diffusion en
ligne de chiffres publics émanant d’institutions comme l’INSEE17, l’OCDE18, etc.
Tous les grands médias en ligne ont développé leur rubrique de fact-checking
durant cette présidentielle, où des journalistes souvent spécialisés veillaient à
détecter les contre-vérités dans les discours publics, à les analyser avec l’aide
des internautes parfois, pour rétablir la vérité. Ce pôle créé spécifiquement pour
l’échéance présidentielle renforce « les décodeurs », un blog dédié au fact-
checking crée en 2008 déjà. Seuls le Monde.fr et Libération.fr avec sa rubrique
Désintox disposaient d’un service de fact-checking en France avant la
présidentielle. Le 23 octobre 2011, les Inrock.com évoquent les expériences des
deux précurseurs :
Pour s’y retrouver, l’arsenal journalistique dispose d’une arme encore
relativement méconnue en France : le fact checking. Politi Fact, le site
de référence du genre a même reçu un Pulitzer pour sa couverture
attentive de l’élection présidentielle de 2008. En France c’est avec plus
de confidentialité que Le Monde et Libération se sont lancés (depuis
2008) dans l’aventure de vérification labellisée fact-checking de la parole
politique19.
Le blog des « Décodeurs »20 sollicite dans son mode d’emploi la participation
des citoyens au processus de vérification, en envoyant des questions sur les
discours publics voire en proposant un fact-checking par email ou sur le Twitter
du blog. Dans une publication datée du 12 avril intitulée « IVG : Quand Marine
Le Pen noircit le tableau », le chapô salue l’intervention d’un internaute :
Les Décodeurs retrouvent leur dimension participative avec l’envoi de
Rémy Demichelis, un internaute qui s’est intéressé de près aux
17 Institut National des Statistiques d’Etudes Economiques 18 Organisation Mondiale de la Santé 19 http://www.lesinrocks.com/2011/10/23/medias/internet/avec-le-fact-checking-les-mensonges-des-politiques-demasques-117980, consulté le 11/04/12. 20 Les blogs du Monde sont alimentés par des journalistes.
13
déclarations de Marine Le Pen sur l’IVG, mercredi sur France 221. Nous
avons vérifié et validé son décryptage que nous reproduisons ici22.
Le fact-checking porte sur cette déclaration : « Il y a une explosion de l’IVG chez
les mineures. » Celle-ci vient appuyer le bien-fondé d’une de ses propositions :
« Début mars, sur le plateau de TF1, la candidate du Front national déclare tout
de go que, présidente, elle prendrait la décision de dérembourser l'avortement
en cas de besoins budgétaires. 23»
« Les décodeurs » apposent dessous leur verdict illustré par le cachet : « plutôt
faux ». Ces chiffres énoncés sont repris dans un graphique permettant de
visualiser l’augmentation avec des courbes. Cette vérification tend à prouver
que l’on n’a pas affaire à une explosion des IVG sur les mineures mais à une
« hausse limitée », selon l’auteur de l’article.
2) Les dispositifs numériques chez France Télévisions
2.1 francetv.fr/2012 Le site francetv.fr/2012 a été mis en ligne en septembre 2011 pour la couverture
de toute l’actualité électorale de 2011 et 2012, de la primaire socialiste aux
législatives.
« Nous avons (…) eu le plaisir d'avoir le fil Twitter consacré à la présidentielle le
plus suivi en France24 », se targue Erwann Gaucher qui a participé à l’évolution
du site.
Le site francetv.fr/2012 n’est aujourd’hui plus alimenté, ce qui relève du choix
d’en faire un site éphémère uniquement dédié aux échéances électorales que
sont la primaire socialiste, la présidentielle et les législatives.
21 Marine Le Pen était invitée à l’émission « Des paroles et des actes » le mercredi 11 avril 2012 22decodeurs.blog.lemonde.fr/2012/04/12/ivg-quand-marine-le-pen-noircit-le-tableau/, consulté le 16/04/12 23 http://www.liberation.fr/societe/2012/04/17/marine-le-pen-et-livg-les-feministes-lui-
disent-merci_812258, consulté le 16/04/12 24 Extrait de l’entretien avec Erwann Gaucher disponible en annexe.
14
Le 17 juillet, Hervé Brusini, directeur de l’information en ligne de France
Télévisions publiait ses adieux aux internautes :
Le site politique francetv.fr/2012 de France Télévisions qui a "couvert"
les élections présidentielles et législatives ferme "son fil d'infos" après 10
mois de "bons et loyaux services". Des millions de visites et de pages
vues. Contrat rempli. Adieu25.
2.2 « Mots croisés » et Facebook
Le 16 avril, France Télévisions propose un dernier rendez-vous télévisé avec
les candidats à la présidentielle ou leurs représentants avant le premier tour du
22 avril. Une spéciale « Mots croisés » se tient exceptionnellement en
partenariat avec le réseau social Facebook, une première en Europe. Il s’agit
d’une expérience de télévision connectée. L’action des internautes sur le web
bondit dans votre téléviseur.
Le 10 avril, une application Facebook à la fois disponible sur le web et sur
mobile a été créée spécifiquement pour l’émission afin que les internautes
puissent poser leurs questions aux candidats26. Dix questions ont été choisies et
posées à l’antenne par Yves Calvi, le présentateur de l’émission ; donc une par
candidat, à laquelle le principal intéressé a dû répondre en direct. L’émission
était visionnable également sur Facebook et les internautes pouvaient réagir au
débat en direct, les meilleurs commentaires étant retransmis à l’antenne27.
Erwann Gaucher, qui a participé à la mise en place de cette émission, explique :
Lorsque je vois qu’une émission comme Mots croisés en partenariat
avec Facebook qui n’a pas pu convier les grands candidats sur le
plateau, suscite 8 000 réactions sur la page Facebook dans la soirée,
entre 22h et 00h30, je me dis que visiblement les citoyens débattent et
25 http://www.francetv.fr/2012/maintenant-cest-lheure-de-vous-remerci-e-r-159889, consulté le 1/08/12 26 L’application a été développée par « Brainsonic », une agence labellisée Facebook Preferred Developper Consultant. 27 http://www.erwanngaucher.com/12042012France-Televisions-et-Facebook-organisent-le-debat-des-candidats-agrave-la-presidentielle.media?a=864, consulté le 20/04/12
15
c’est très encourageant28.
2.3 France TV Info
Le 15 novembre 2011, soit un mois après la primaire socialiste, France
Télévisions lance une nouvelle plateforme d’information sous la houlette de
Bruno Patino, rédacteur en chef qui a mis en place le pôle numérique et
Thibaud Vuitton, rédacteur en chef adjoint. On peut qualifier France TV Info de
site précurseur et innovant au vu de l’ancien site à la technologie datée. France
TV Info offre une information généraliste mais peut profiter de la présidentielle
comme rampe de lancement. Le service public est innovant et prend des
risques avec la sortie de son application iPhone avant même celle du site, lancé
le lendemain. La plateforme est composée de divers ingrédients journalistiques
qui font son originalité : du direct, de la curation et des réseaux. Une rubrique du
site est consacrée au direct où à chaque minute des sujets - sous forme de
dépêches -tombent, ainsi que les questions des internautes pouvant porter sur
n’importe quel sujet. Des journalistes se relaient pour alimenter ce direct et
répondre au plus vite aux internautes, en analysant, contextualisant et en
indiquant un lien hypertexte29 pour en savoir plus sur l’information demandée.
France TV Info pratique également la curation. Thibaud Vuitton, rédacteur en
chef adjoint de France TV Info, voit en cette pratique un rôle du service public :
La curation consiste à faire le tri, montrer l’information intéressante qui se trouve ailleurs, remettre du contexte. Le média revient vers son rôle essentiel de médiateur, de filtre pour le citoyen. C’est une mission journalistique qui reprend du contenu. Une revue de presse avancée est plus intéressante que Google Actu pour les personnes non habilitées à trier les bonnes sources. Avec la curation, on entre dans notre rôle de service public30.
Le site de France TV Info s’adapte sur tous les supports indifféremment, en
appréhendant l’explosion de la vente de smartphones 31 et tablettes 32 qui
28 Extrait de l’entretien avec Erwann Gaucher disponible en annexe 29 Un lien HTML qui lorsqu’on clique renvoie vers une autre page 30 Extrait d’un entretien réalisé avec Thibaut Vuitton, non disponible en annexe 31 Téléphone mobile intelligent qui a des fonctions d’assistant numérique personnel
16
devance déjà celle des ordinateurs33, selon Bruno Patino, le rédacteur en chef.
Placer la mobilité au premier plan et respecter les usages des gens pour leur
apporter l’information, sont les priorités de France TV Info. Le site apporte une
grande variété d’informations en format court, que l’on peut partager, twitter à
volonté. La prise en main par l’internaute est facile, respecte ses modes de
discussion sur le web, de consultation sur tout support, où que l’on soit. Pour
ceux qui ne s’accommodent pas du direct, on peut facilement retrouver les
grands titres dans une autre rubrique. La navigation sur le site se fait sur cinq
flux à sélectionner à gauche de l’écran : en direct, les titres, les tops, les
régions, les images.
Une autre grande révolution technologique en cette année présidentielle a été le
widget de France Télévisions. En véritable outil de service public vous pouviez
facilement installer ce module sur votre site pour connaître les résultats de la
présidentielle et des législatives en direct. Le widget se présentait comme une
petite carte de France interactive. En l’installant, vos visiteurs pouvaient
connaître les résultats en direct par région, par département et même par
commune. France Télévisions a même pensé à inclure les résultats de la
présidentielle de 2007 pour établir des comparaisons. Pour installer ce widget, il
fallait se rendre sur : http://www.francetv.fr/info/elections/widget. Puis, il était
possible le configurer selon nos envies en choisissant la taille sur l’écran, la
traduction proposée en six langues, etc. Ensuite le code HTLM devait être
embeddé 34 pour apparaître sur votre site. France Télévisions a conclu un
partenariat avec l’institut de sondage Ipsos, et son flux de résultats émanait du
ministère de l’Intérieur. Le widget affichait également les données sur la
participation, les estimations et les résultats au fur et à mesure du dépouillement
dans toutes les communes de France35.
B. Le pari du journalisme local
32 Une tablette est mobile, tactile et a les compétences d’un ordinateur comme la lecture de mails, etc 33 http://www.erwanngaucher.com/16112011Bruno-Patino--Aujourd39hui--personne-n39informe-comme-cela-dans-le-monde.media?a=751, consulté 20/04/12 34 Embedded se traduit littéralement en français par « encastrer » mais le terme relève d’avantage d’une manipulation informatique qui permet de reproduire un widget, une vidéo… à l’aide d’un code HTML sur votre propre site ou blog. 35 http://www.erwanngaucher.com/16112011Bruno-Patino--Aujourd39hui--personne-n39informe-comme-cela-dans-le-monde.media?a=751, consulté 20/04/12
17
Des mastodontes de la presse nationale sont allés à contre-courant de leurs
habitudes éditoriales et ont choisi la formule de l’immersion locale, au plus près
des Français. On ne les imaginait pas sur ce terrain, Le Monde, France
Télévisions, Radio France sont allés là où on ne les attendait pas, en
campagne, dans la banlieue, chez l’habitant. Sentir le pouls des Français,
cerner leurs préoccupations en dehors des QG de campagne, voilà une
nouvelle manière d’aborder cette campagne présidentielle sur la Toile.
1) « Une année en France » : un projet bi-‐média stagnant au long cours
Le reportage d’immersion dans les villes et villages de France a été
expérimenté dès l’été 2010 au Monde. La série d’été axée sur la thématique de
la frontière a conduit deux journalistes36 de la rédaction à créer ensemble une
frontière entre la réalité d’une banlieue de la Courneuve et celle d’un village de
Mézères. Un an plus tard, ils ont relancé la machine et ont repris leurs blogs
respectifs, bien plus que pour une durée estivale, cette fois c’était pour une
année. Antonin Sabot, responsable du blog de Mézères depuis l’été 2010 nous
explique ce choix éditorial pour la campagne présidentielle :
Le directeur adjoint des rédactions en charge du rapprochement des rédactions web et papier récemment nommé, Serge Michel, était attiré par les blogs de proximité. Boris Razon, rédacteur en chef du Monde.fr cherchait une manière de traiter la campagne de manière inhabituelle37.
Le Monde a choisi la tactique du blogging en envoyant des journalistes-
bloggeurs se poster confortablement dans huit villes de France durant une
année entière. Les journalistes du Monde devaient faire face aux réalités du
métier de localier38, puisque demeurant dans la ville ils devaient rendre des
comptes aux habitants s’ils commettaient des erreurs. C’est la première fois
qu’un journal national français se penchait autant sur des réalités locales pour
un enjeu national d’envergure tel que l’élection présidentielle française. Les
blogueurs ont tenté aussi de souligner les ressemblances et dissemblances
entre leurs différents points de mire en France, pour fixer le portrait d’une
France mouvante. Ce dispositif bi-média a nécessité une collaboration entre
36 Antonin Sabot et Aline Leclerc 37 Extrait de l’entretien avec Antonin Sabot disponible en annexe 38 Journaliste à l’échele locale d’une commune
18
journalistes affiliés au papier et les journalistes web. Conjuguer les supports et
les compétences a également été le pari de la rédaction du Monde. Le
reportage photographique a aussi eu une place de choix dans ce projet puisque
deux photographes ont sillonné les huit villes pour rendre compte de la réalité
de terrain. Antonin Sabot nous expose les fruits de cette initiative bi-média :
Le projet d’« Une année en France » a créé une véritable dynamique de travail entre les journalistes web et papier. Le contenu rédactionnel des blogs allait être transposé, ajusté, compilé pour figurer aussi dans le journal papier. Cela a contribué à apporter de la crédibilité aux sujets locaux et au support Internet. On est entré dans un processus de création différent et la liberté d’écriture sur le blog a pu transparaître sur le papier. Le fait que certaines plumes du journal soient des auteurs de billets de blogs a permis de s’ouvrir à des articles qui, habituellement, n’ont pas leur place dans le journal39.
En revanche, Le Monde ne se contentait pas de copier-coller du site vers le
papier. Un travail à posteriori a parfois été nécessaire pour publier de longues
enquêtes. L’avantage était que les observations des journalistes du Monde aux
huit coins de la France pouvaient refléter une situation nationale avec des
nuances diverses. Les journalistes-blogueurs pouvaient également faire
remonter des thématiques grâce aux constats locaux.
Le travail d’immersion nécessite du temps, un rapport de confiance avec les
habitants et de ne pas être intrusif afin qu’à force de persévérance, ceux-ci
confient leurs opinions politiques. C’est cette approche qu’a expérimenté
Antonin Sabot, journaliste-bloggeur à Mézères dans la Loire :
Ce n’est pas tant les candidats qui les intéressent que les thématiques. L’objectif premier du blog est que les gens nous parlent de leur quotidien, même si la finalité est d’éclairer la facette politique, mais pas forcément de manière politicienne avec des partis derrière. Je parle avec des personnes que je connais déjà, que le lecteur connaît peut-être à travers d’autres articles, dans un contexte différent. Il faut d’abord s’ancrer dans le local, discuter des intérêts personnels et ensuite extrapoler avec la politique.
Antonin Sabot, lui, est resté une année entière à Mézères, un village de 140
habitants. Sa prestigieuse carte de presse du Monde n’a pas été un laissez-
passer et aurait pu être un handicap pour se faire accepter, comme ça a été le
39 Extrait de l’entretien avec Antonin Sabot disponible en annexe
19
cas dans d’autres villes françaises méfiantes à l’égard des journalistes. Dans un
article rédigé collectivement à la fin de l’expérience, les bloggeurs expriment
leurs difficultés quant à l’accueil reçu :
Il faut d'ailleurs s'arrêter un instant sur la question de l'accueil que nous
avons reçu. Notre carte de visite du Monde est d'ordinaire un précieux
sésame. (…)"Le Monde? C'est un journal imprimé ? Comme La Tribune-
Le Progrès ?", s'étonnait-on à Mézères. Il était autrement plus efficace
de dire "je suis le fils Sabot, de Vioches", l'un des hameaux du village,
pour s'asseoir autour de la table et recueillir les confidences d'un paysan
sur la précarité financière dans laquelle se trouve son exploitation40.
2) « La campagne à vélo » : Le web documentaire itinérant 100% réseaux sociaux
Du 6 février au 6 mai, deux reporters ont enfourché leur vélo, parcourant 4058
kilomètres à travers la France en 90 jours, équipés de 50 kilos de bagages et de
cinq caméras pour aller à la rencontre des Français. Leurs tribulations étaient
relatées sur France TV info, Rue 89, Radio France, et France Télévisions en
partenariat, sans oublier les réseaux sociaux. Les journalistes Alexis Monchovet
et Raphaël Krafft se sont lancés dans cette aventure après s’être rencontrés au
Moyen-Orient. Alexis Monchauvet est l’auteur d’un documentaire sur Gaza qui a
reçu le prix Albert Londres41 en 2008. Raphaël Krafft, quant à lui avait déjà deux
tours de France au compteur en 2002 et 2007 pour France Culture. Leur road
movie compte 17 épisodes que l’on peut retrouver sur France TV Info et Rue
89. Le choix du vélo comme mode de locomotion n’est pas dû au hasard, il
s’avère même être un faiseur de rencontres inopinées. D’ailleurs, les deux
baroudeurs n’ont pas respecté le parcours prévu initialement pour provoquer le
hasard, nous explique le community manager 42de la « campagne à vélo » Marc
Pédeau :
40 http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2012/08/07/les-francais-derriere-le-cliche_1742905_3208.html?fb_action_ids=3698678541413&fb_action_types=og.recommends&fb_source=aggregation&fb_aggregation_id=288381481237582, consulté le 09/04/12 41 Le prix Albert Londres descerne le plus grand prix du reportage en presse audiovisuelle et écrite en France. 42 Gestionnaire de communauté dont le rôle est expliqué plus bas.
20
Les journalistes n’avaient pas d’impératifs de temps, étaient accessibles aux gens, ce qui a favorisé les rencontres fortuites. La spontanéité était un ingrédient important pour cette « campagne à vélo ». D’ailleurs, le plan que nous avions établi au préalable avec des étapes a été chamboulé, et nous avons été ravis que cela change en cours de route. Cela évitait les contraintes et nous avions confiance en l’instinct de nos journalistes. En fin de compte, « La campagne à vélo » c’est une somme de portraits glanés au hasard des rencontres43.
Ils ont fait escale aussi bien dans les grandes villes comme Nice ou Lyon que
dans des lieux ruraux comme Hénin-Beaumont ou Sarrebruck. Les deux cyclo-
journalistes cherchaient l’hospitalité au gré du hasard et ont abordé le sujet de
la présidentielle une fois le seuil franchi. Marc Pédeau affirme que :
Ces témoignages accumulés ont constitué une sorte de panel représentatif par pur hasard, mais pas dans le sens où l’entendent les instituts de sondage. Nos reporters à vélo ont par exemple pu rencontrer des rastafaris, un conspirationniste…44
Pour ce road movie 100% réseaux sociaux, Marc Pédeau, un community
manager était chargé de faire vivre ce projet sur la Toile et les réseaux. Son rôle
était de modérer, gérer, animer les discussions sur les réseaux sociaux d’une
communauté d’internautes et d’utiliser tout le potentiel du web pour faire parler
de « la campagne à vélo ». Celle-ci s’est propagée sur Twitter, Facebook,
Instagram, Dailymotion, France TV info, Rue 89 et encore bien d’autres sites et
blogs. L’objectif du community manager est de susciter le débat, de parler de
l’aventure humaine que vivent les reporters et aussi de faire s’intéresser les
communautés aux thématiques de campagne. Les observations et
constatations d’Alexis Monchovet et Raphaël Krafft faisaient écho à des
situations nationales. Alors pour chaque thématique, le community manager
tentait d’extrapoler en postant un article d’analyse pour en savoir plus. Or, selon
Marc Pédeau ce fut un réel challenge :
La première difficulté à laquelle je me suis heurté a été que nos premiers fans et followers étaient des inconditionnels du vélo, davantage intéressés par l’aventure humaine que par l’enjeu présidentiel. Je postais des articles en commentaire mais ça n’ouvrait pas au débat. A force de persévérance, en continuant à poster des articles d’analyse pour aller plus loin sur des thématiques, nos fans de vélos se sont pris au jeu de la
43 Extrait de l’entretien avec Marc Pédeau disponible en annexe. 44 Extrait de l’entretien avec Marc Pédeau disponible en annexe
21
politique et réclamaient même parfois des liens hypertexte, des clarifications45.
Cette « campagne à vélo » a apporté beaucoup de concret à la campagne
présidentielle et en a donné une vision plus humaine. Des thématiques sous-
développées par les candidats et les médias se sont avérées préoccupantes
pour des Français. L’environnement, par exemple, a été perçu comme la grande
thématique absente de cette campagne, ce qu’explique Marc Pédeau :
Beaucoup de personnes se sont indignées que l’environnement soit la grande thématique absente de cette campagne présidentielle. Les habitants de la commune de Bure dans la Meuse se disaient par exemple, très préoccupés par le projet d’un site d’enfouissement de déchets nucléaires46.
Des interrogations largement diffusées dans les médias ont également trouvé une part de réponse grâce à ces rencontres inopinées à vélo. On se demandait par exemple s’il était possible que des sympathisants du Front National, se rangent du côté de l’extrême gauche et pourquoi.
Dans le Nord de la France, des personnes nous disaient : « j’ai voté Le Pen en 2002, en 2007 et cette année, je vais voter Mélenchon ». Cela fait ressortir cette réalité ouvrière du Nord de la France ancrée dans le communisme pendant très longtemps. Ces personnes ont été séduites par le vote extrême-droite et ont vu cette année une autre alternative avec Mélenchon.
France 2 a réalisé un documentaire retraçant cette « campagne à vélo » qui a
été diffusé dans « Infrarouge » le 8 mai à 23 heures 30.
3) Course de fond Versus sprint
« Une année en France » et « La campagne à vélo » ont pour point commun ce
prisme local permettant de connaître des bribes de vie, d’apporter des
témoignages, de connaître les intentions et surtout les motivations de vote des
citoyens en cette année présidentielle. Le rapport de confiance entre
journalistes et citoyens a été mis à l’épreuve et parfois consolidé par le fait que
les citoyens pouvaient enfin faire entendre leurs voix ailleurs que dans les
journaux locaux. Chacune de ces opérations a été un succès, salué par des
45 Extrait de l’entretien avec Marc Pédeau disponible en annexe 46 Extrait de l’entretien avec Marc Pédeau disponible en annexe
22
commentaires de reconnaissance. Toutefois, ce qui différencie ces deux
expériences, c’est la durée, les moyens et la mobilité. Le Monde a privilégié la
course de fond et la stagnation des journalistes dans une ville pendant toute
une année. A l’inverse, pour « la campagne à vélo » on a préféré le sprint de
trois mois et la mobilité dans de nombreuses villes avec 4058 kilomètres au
compteur. Le nombre de personnes affectées à chaque opération diffère aussi.
Le Monde n’a pas fait de partenariat et a envoyé huit journalistes sur le terrain
ainsi que deux photographes. Dans les locaux, d’autres journalistes de la
newsroom bi-média se sont chargés de transposer et modifier les articles pour
la parution dans le quotidien. A l’inverse, « la campagne à vélo » a été le fruit
d’une collaboration entre plusieurs médias. Seuls deux journalistes se rendaient
sur le terrain mais un community manager était chargé de la présence sur le
web et de l’interactivité sur les réseaux sociaux. Les équipes de France TV Info
et Rue 89 devaient également publier les billets.
C. Le Véritomètre d’Owni
1) Le pure player de pointe Owni
1.1 Qu’est-‐ce qu’un pure player ? On distingue deux grands types de sites d’information dans le grand paysage
web. A côté des sites d’information traditionnels main stream adossés au
support papier, reprenant le même nom comme le Monde.fr, Libération.fr et
appartenant à de grands groupes de presse, un autre type d’information est né
en proposant un autre modèle. Autrefois appelés webzines, ces sites adoptent
aujourd’hui le qualificatif de pure players. Leur nombre a littéralement explosé
peu de temps avant la présidentielle, y voyant l’opportunité de se faire
connaître. Le panel de possibilités offertes aux journalistes s’est
considérablement élargi avec l’arrivée de ces pure players et leur explosion
stratégique en 2011 pour couvrir l’élection présidentielle. Les pure players sont
nés sur la toile et n’ont pas d’équivalent papier. Pour se démarquer, beaucoup
ont surfé sur la vague du participatif en engageant le dialogue avec l’internaute
ou en l’associant directement à la recherche de l’information. Les pure players
sont des sites d’information indépendants qui peuvent avoir une lecture
spécifique de l’actualité. Réputés innovants et à la pointe, ils ont des
spécialisations, des créneaux, un positionnement pour séduire leur lectorat. Ils
23
revendiquent une liberté éditoriale et sont libres sur le fond comme dans la
forme. Leur modèle de rentabilité demeure à l’heure actuelle instable. La
montée en puissance des réseaux sociaux est à mettre en lien avec la création
des sites participatifs47.
1.2 Owni et la religion du datajournalisme
Owni est donc un pure player qui entend livrer une « information augmentée » à
ses lecteurs. Pour cela, les journalistes de la rédaction ont tous une
spécialisation, une expertise dans un domaine. L’information délivrée sur le site
n’est pas généraliste, Owni s’intéresse en priorité aux thématiques liées à la
culture numérique, à la liberté numérique. Owni s’est d’ailleurs érigé contre la loi
Hadopi48 adoptée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy. Les thématiques
environnementales sont également beaucoup traitées avec des enquêtes de
longue haleine sur les centrales nucléaires, les gaz de schiste, les partis
politiques, etc. Damien Van Achter, développeur éditorial chez Owni nous
éclaire sur la ligne éditoriale puis sur sa profession :
Owni signifie Objet Web Non Identifié. Le nom de notre média est à l’image des personnes qui composent cette soucoupe, et de notre état d’esprit. Dans le paysage médiatique, nous sommes un ovni. Dans notre formule, on ne traite pas avec les annonceurs, on cherche à avoir un site et des articles esthétiques, on ne craint pas de proposer des dossiers et des articles longs. On n'avait pas envie de se laisser enfermer dans des logiques qui ne nous semblaient pas être porteuses de sens. Sur le plan du financement, en revanche, c’est assez compliqué de financer un média qui ne gagne pas d’argent. Tout ce qui est en périphérie du média a vocation à générer des profits.
Développeur éditorial, c'est un mot valise que j'ai été contraint de porter, faute de mieux pour qualifier mon métier. C'est une manière de dire qu'on est à la frontière entre le développement informatique et la stratégie éditoriale. Un média en ligne doit développer à un moment donné une stratégie éditoriale. On a besoin d'outils informatiques, de codes pour réussir à la transcrire visuellement, avec des fonctionnalités précises. (…) Je fais aussi de la stratégie éditoriale dans divers médias. Je savais pertinemment
47 http://www.telerama.fr/medias/les-pure-players-ou-le-pari-de-la-presse-en-ligne,74902.php, consulté le 20/03/12 48 La loi Hadopi renvoie à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet. L’Hadopi contrôle et punit le téléchargement illégal.
24
que pour financer le mien, j'allais devoir former dans d'autres médias et travailler pour d'autres entreprises qui ne sont pas médias mais qui voudraient le devenir. On a fait du laboratoire.49.
Le pure player Owni voue un culte au data-journalisme. Il porte le data-journalisme en opposition à la presse d’opinion :
À l’opposé des intentions de la presse d’opinion, celle qui dicte une
manière de penser le monde, une nouvelle presse émerge, désireuse de
transmettre toutes les données susceptibles de lire le monde
différemment, de nourrir toutes les pensées critiques, sans tenter d’en
imposer une. Pour cette presse là, le journalisme de données (ou Data
Journalism à l’anglo-saxonne) s’apparente à une nouvelle profession de
foi50.
Le data-journalisme se traduit littéralement par journalisme de données mais est
plus souvent employé en anglais. Il est remis au goût du jour grâce aux vertus
du numérique. Le data-journalisme consiste à investiguer dans des bases de
données, des listings, des fichiers Excel, parfois accessibles en ligne, et d’en
extraire la moelle pour informer autrement. L’essentiel de ces données est
rendu accessible en ligne par les institutions gouvernementales comme l’Open
Data 51 (www.data.gouv.fr) ou les organismes comme l’INSEE, l’OCDE. Les
journalistes ou graphistes réalisent une infographie qui peut prendre la forme
d’un graphique, d’une carte souvent interactive. L’internaute y pêche les
informations qu’il souhaite en observant l’infographie ou en jouant avec elle.
L’internaute doit être actif, sélectionner des éléments ou en encoder. L’intérêt
final est de comprendre l’information par le visuel et de donner les clés de
lecture aux citoyens qui peuvent ensuite avoir leur propre interprétation des
données, des courbes, de l’infographie réalisée par le journaliste. Damien Van
Achter expose l’intérêt du data-journalisme.
A l'autre bout de la chaîne du data-journalisme, il y a la visualisation des données. Un fichier Excel n'est pas sexy à voir. Pour que le public s'intéresse à l'enquête, il faut pouvoir montrer les données de manière interactive et avec une certaine esthétique. Il est aussi important de donner la possibilité aux gens de changer des variables. Par exemple dans une
49 Extrait de l’entretien avec Damien Van Achter disponible en annexe 50 http://owni.fr/2011/08/30/le-datajournalisme-notre-religion/, consulté le 14/04/12 51 Plateforme d’ouverture des données publiques en France sous licence libre.
25
présentation, pouvoir voir des courbes qui bougent, voir l’effet direct de son action sur la présentation. Le data-journalisme chez Owni, c'est un accouplement de métiers pour en créer un nouveau. Les journalistes qui côtoient des développeurs, des graphistes, des designers et qui se créent un métier particulier. Pour vous donner un exemple, Owni a réalisé un datajournalisme sur les migrants en Europe reconduits à la frontière de leur pays et décédés lors de leur rapatriement. L’OCDE nous a permis d’élaborer une base de données de ces décès. Nous avons transposé ces données sur une carte avec la possibilité de choisir le pays, de choisir la date et surtout de voir la cause du décès. L’expérience ouverte aux utilisateurs était de choisir le pays, d’avoir une ligne du temps et de lire le résumé des circonstances dans lesquelles un migrant avait trouvé la mort. Le datajournalisme est souvent à vocation pédagogique52.
2) Le fact-‐checking : définition
La campagne présidentielle de 2007 a vu naître la mode du storytelling qui
s’appuie sur une narration. Le storytelling permet de se pencher sur un cas isolé
pour qu’il rejaillisse sur le plan émotionnel. Aujourd’hui les chiffres se substituent
au storytelling. Nous ne sommes plus dans des dynamiques de récit mais dans
l’argumentation chiffrée. Selon Damien Van Achter, développeur éditorial53
d’Owni, le fact-checking c’est :
Utiliser les archives, les données pour confronter en temps réel les paroles d’un homme politique à la réalité des faits et à l’antériorité de ses propres propos. (…) Fact-checker, cela fait partie des basics pour un journaliste à part que l’on utilise aujourd’hui les outils du web pour être collaboratif avec les audiences qui nous aident à contrôler, à fact-checker les politiques. Le fact-checking a un bel avenir devant lui, à condition de le crowd-sourcer avec les gens, le faire seul n’a aucun sens. Le crowd-sourcing54 avant tout c’est faire confiance aux gens, avoir une attitude bienveillante par rapport aux individus interconnectés qui, qu’on le veuille ou non quand on est journaliste, critiquent notre travail55.
52 Extrait de l’entretien avec Damien Van Achter disponible en annexe 53 Métier qui fait le lien entre le développement informatique et la stratégie éditoriale 54 Le crowd-sourcing c’est mettre à disposition des internautes la source d’information pour qu’ils puissent à leur tour vérifier et peut-être interpeler le journaliste sur ses éventuelles erreurs. 55 Extrait de l’entretien avec Damien Van Achter disponible en annexe
26
Dans le cadre de mon stage au Vif.be, j’ai rédigé un article sur l’intérêt du fact-checking combiné au web :
Le web graisse les rouages du fact-checking en usant de ses principaux
atouts : l’instantanéité et le participatif. C’est peut-être cette pratique qui
donnera ses lettres de noblesse au web journalisme. L’internet,
généralement accusé de propager des rumeurs, aurait là le pouvoir
d’arrêter l’hémorragie mensongère des politiques grâce à une utilisation
plus responsable. Et pour cela, nul besoin d’être un statisticien. Chaque
internaute peut contribuer à la vérification des faits. Il suffit qu’il ait
quelques outils à sa disposition. Pour le Véritomètre par exemple : une
base de données publiques bien fournie (INSEE 56 , OMS… 57 ), un
journaliste – médiateur et un espace pour s’exprimer suffisent58.
Le fact-checking c’est le journalisme d’antan réappliqué avec les méthodes du
XXIème siècle : l’Open Data59, le datajournalisme utilisé par exemple pour le
Véritomètre. »
3) Le Véritomètre
Le 17 février, la plateforme interactive d’Owni et i>TELE nommée le
Véritomètre, voit le jour. Sylvain Lapoix, fact-checkeur pour le Véritomètre
d’Owni, nous explique son objectif :
Le Véritomètre est un outil de fact-checking, de vérification des discours publics issus d’une collaboration entre Owni et i>TELE, dans le cadre de la campagne présidentielle française. Durant trois mois, des journalistiques ont vérifié les déclarations, interviews où se trouvaient des données chiffrées, des déclarations chiffrables. Nous nous sommes concentrés sur les six principaux candidats que sont François Hollande, Eva Joly, François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy. Puis, nous avons donné au fact-checking une dimension sociale en impliquant les citoyens dans le processus de vérification. Ils peuvent ainsi améliorer ou critiquer notre travail60.
56 Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques 57 L’Organisation Mondiale de la Santé 58 http://www.levif.be/info/actualite/technologie/le-fact-checking-un-bouclier-contre-les-mensonges-des-politiques/article-4000047971084.htm, consulté le 27/04/12 59 Plateforme d’ouverture des données publiques en France sous licence libre. 60 Extrait de l’entretien avec Sylvain Lapoix disponible en annexe
27
Le Véritomètre est une combinaison du fact-checking pour le fond et du
datajournalisme pour la forme qu’il arbore. Les avantages du Véritomètre sont la
transparence absolue sur la méthodologie et la possibilité pour le lectorat de
recalculer la totalité des chiffres et rectifier, si maladresse il y a. Le Véritomètre
se base sur des bilans donc des chiffres finaux et non pas sur des spéculations.
Il fournit des éléments d’objectivation des discours politiques.
En sélectionnant le nom d’un candidat, nous avons accès à tous ses discours
publics. Ensuite, chacun est invité à revisionner ou à réécouter les discours ; à
en extraire les déclarations chiffrables ou les données chiffrées, les vérifier et
publier directement notre fact-checking sur le site. Celui-ci est soumis à la
contre-vérification d’Owni qui appose son verdict à côté de la vérification, en
écrivant : correct, incorrect, imprécis.
Régulièrement, à partir de ces vérifications, un classement de la crédibilité des
candidats est établi. Là est l’une des failles du Véritomètre car parfois, peu
d’internautes se sont prêtés à la vérification. S’il n’y en a qu’une pour un
discours, indiquant un mensonge, elle pèse sur la balance de la crédibilité.
Les données chiffrées et les sources pour se prêter au jeu de la vérification sont
disponibles sur le site d’Owni. Les données sont classifiées selon des
thématiques pour aider les citoyens à vérifier eux-mêmes les discours
politiques. Par exemple, en cliquant sur « immigration », le Véritomètre nous
propose sept sous-thématiques, en choisissant « naturalisation » on peut
sélectionner soit « acquisition de la nationalité française », soit « acquisition de
la nationalité française par mariage ».
© http://itele.owni.fr/#!/donnees-de-verification-par-themes
28
En choisissant « acquisition de la nationalité française », on peut voir ce
graphique. Ce graphique est aussi un exemple de data-journalisme où
l’internaute doit être actif et sélectionner les informations qu’il souhaite :
© http://itele.owni.fr/#!/fiche/nombre-de-personnes-ayant-acquis-la-nationalite-francaise/
Suivi d’une description et de l’indication de la source de l’information avec un
lien vers celui-ci, invitant à revérifier l’information :
Il y a "acquisition" de la nationalité française lorsque l'on devient français
après la naissance. L'acquisition de la nationalité française s'opère dans
des conditions fixées par la loi. On distingue deux modes d'acquisition
de la nationalité française : - par déclaration à la suite d'évènements
personnels (essentiellement en raison du mariage avec un ressortissant
Français et l'acquisition anticipée pour les jeunes étrangers nés et
résidant en France) ; - par décision de l'autorité publique
(naturalisation). Source : Rapport au Parlement du ministère de
l'Intérieur, mars 201161.
Crowd-sourcez vous même cette information en consultant :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/104000087/index.shtml
61 http://itele.owni.fr/#!/fiche/nombre-de-personnes-ayant-acquis-la-nationalite-
francaise/, consulté le 14/04/12
29
Le Véritomètre est un détecteur de mensonges à vertu pédagogique pour
l’internaute et le candidat. En période électorale, nous sommes confrontés à
une nuée de chiffres, le fact-checking fait donc office de bouclier contre les
mensonges des candidats. Le Véritomètre et par le même biais les initiatives de
fact-checking pour couvrir cette campagne présidentielle ont eu pour but
d’assainir les propos des politiques, de rectifier de graves erreurs qui pouvaient
être intégrées et constituer un argumentaire politique. A ceux qui croient que le
fact-checking prône une religion des chiffres, Sylvain Lapoix d’Owni rétorque
lors d’une conférence post-élection :
Notre but est à l’inverse que les débats politiques ne soient pas pollués de chiffres, qu’ils ne constituent pas des argumentaires où chacun s’y perd. Etre conscient que les erreurs chiffrables sont épinglées et vérifiées pourrait permettre aux politiques d’assainir le débat et d’avoir un réel débat de fond sur leurs mesures. Concrètement, ça a un intérêt politique d’avoir des journalistes qui soient capable de dire : « Non, Monsieur Hollande, la dette a augmenté de 505 milliards sur l’exercice clos et projette à 600 milliards à la fin 2012 mais l’année n’est pas encore finie donc n’extrapolez pas »62.
4) La collaboration entre Owni et i>TELE
Ce qui rend cette innovation spectaculaire est aussi qu’une chaîne de télévision
s’y soit associée en mettant le Véritomètre à l’écran le temps d’une
présidentielle. La chaîne de télévision i>TELE a consacré une chronique au
Véritomètre chaque mercredi à 22h45, deux ou trois déclarations phares et
chiffrables y étaient disséquées et la crédibilité des candidats était mesurée en
pourcentage. Un classement de la crédibilité des candidats était régulièrement
mis à jour. Une entreprise périlleuse de télévision connectée qui a porté ses
fruits puisque les deux médias ont été satisfaits de l’audience et de la notoriété
glanées avec le Véritomètre. Le nom du site associe d’ailleurs les noms des
deux médias. Sylvain Lapoix, notre fact-checkeur d’Owni a été désigné pour
être chroniqueur du Véritomètre. Une chronique hebdomadaire où les dernières
vérifications de déclarations de candidats étaient expliquées, avec iPad et
graphique à l’appui. Sylvain Lapoix nous explique les termes du contrat liant
Owni à i>TELE.
62 Conférence sur le rôle du fact-checking dans le débat de l’entre-deux tours, la Lunette à Bruxelles, le 8 mai à 19 H, Sylvain Lapoix, Damien Van Achter, etc.
30
Le partenariat avec I>TELE a été le pari d’associer un pure player innovant à la pointe avec une audience de niche, à une chaîne de la TNT63 grand public. J’ai été choisi comme lien entre les deux médias et comme chroniqueur pour la chaîne car je suis le journaliste politique maison chez Owni et j’avais déjà des expériences télé et radio. Par chronique, je fact-checkais en moyenne 2 à 3 éléments et je mettais à jour le classement des candidats du moins crédible au plus crédible64.
63 Télévision Numérique Terrestre 64 Extrait de l’entretien avec Sylvain Lapoix
31
II) La campagne présidentielle sur les réseaux sociaux
A. Twitter : la nouvelle arme des candidats
1) Le comportement des candidats sur Twitter
La présence sur les réseaux sociaux est devenue presque une nécessité des
candidats à la présidentielle. Twitter, toujours numéro deux en France, prend
peu à peu de l’importance et se peuple de curieux. Twitter est avant tout un
réseau d’influence puisque les « influenceurs » y sont présents en nombre : les
journalistes, les personnalités politiques, les universitaires… La communauté de
Twitter surnommés les Twittos sont en majorité jeunes constate Louis-Serge
Real Del Sarte : « Twitter rassemble 70% d’utilisateurs âgés de moins de 45
ans et touche une majorité élective plutôt masculine ainsi qu’une population plus
urbaine puisque 30% sont localisés en Île-de-France.65 »
La caractéristique principale d’un réseau social est l’interactivité, l’échange et la
désintermédiation. Sur Twitter, le politicien doit distinguer sphère
professionnelle et sphère privée car chacun de ses messages est un buzz en
devenir et il est en tous cas commenté. Un tweet est un message très court, de
140 caractères qui peut être repris. Plus, il est retweeté66, plus il a d’impact, de
raisonnance et peut faire surface dans les médias. Les frasques, les intimités,
les polémiques, les clashs sur Twitter ont l’effet d’une déflagration et ont un
impact sur la sympathie des personnalités politiques. A côté de ça, il y a l’aspect
affichage, propagande, image lisse que certains cherchent à véhiculer. Ce
deuxième aspect passe par l’exhibition de l’agenda politique, des interventions
médiatiques, des meetings, etc. L’objectif sous-jacent des candidats est aussi
d’accumuler le plus grand nombre de followers, terme qui signifie « abonnés ».
C’est un indice d’influence, de sympathie du politicien. La question qui taraude
les internautes est de savoir qui se cache derrière les messages. Est-ce que le
politique délègue l’administration de son compte Twitter à ses communicants ou
prend-il le temps d’écrire lui-même ses tweets ? Owni a demandé l’intérêt d’un
investissement sur Twitter à Edouard Gassin, directeur de l’agence de
communication politique Mille Watts. 65 http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/01/twitter-‐gadget-‐electoral-‐ou-‐outil-‐de-‐democratie-‐numerique_1650057_3232.html#xtor=AL-‐32280258, consulté le 20/05/12 66 Faire suivre le message de quelqu’un d’autre sur Twitter en l’état.
32
Est-ce qu’il faut vraiment être sur Twitter quand on est un homme politique ? Nous, la réflexion que l’on a, c’est de savoir si c’est pertinent de déployer [le politique NDLR] sur Twitter. C’est un outil très chronophage qui nécessite un investissement important. Si l’on parle des campagnes présidentielles de Hollande et Sarkozy, des dizaines de personnes travaillent dessus. Mais c’est une évidence, les résultats sont bien meilleurs en terme d’audience quand ce sont les vrais élus qui s’investissent personnellement67.
Le 1er juin 2011, alors qu’il est encore candidat à la primaire socialiste, François
Hollande est le premier invité sur la plateforme You Tube/élections 2012.
Elections 2012 est un des forums de l’élection présidentielle où les internautes
sont invités à interpeler, questionner les hommes politiques. L’initiative est
signée You Tube, AFP, Twitter, et le centre de formation des journalistes (CFJ)
de Paris. François Hollande se fait interroger par un élève du CFJ, Benoît
Toussaint.
[Benoît Toussaint :] J’ai lu que vous étiez très présent sur les réseaux sociaux, sur Twitter ça doit être contraignant à gérer avec votre emploi du temps. Comment vous vous organisez pour gérer tweets, les réactions sur les réseaux sociaux ? [François Hollande :] J’ai des amis qui m’aident et puis je peux le faire lorsque j’ai un moment. Mais c’est vrai que c’est très demandeur de temps, il faut l’admettre, si on s’engage dans ce processus, on risque d’y passer toute sa journée de campagne. Donc, il faut un moment se retenir, il faut donner des informations, il faut donner des impressions mais il ne faut pas imaginer que l’on va pouvoir dialoguer avec le pays simplement avec l’usage de l’Internet ou des réseaux sociaux68.
La tactique de Nicolas Sarkozy a été de faire coïncider les moments phares de
sa candidature avec son activité sur les réseaux sociaux. Ainsi, son arrivée sur
Twitter s’est fait le jour de son passage sur TF1 pour annoncer sa candidature
officielle à l’élection présidentielle. Cet effet d’annonce a été relaté dans tous les
médias. Sa Timeline Facebook a également été restructurée par l’agence
Emakina et n’est même pas ouverte aux commentaires, contrairement à celle
de son rival socialiste. Celle-ci a fait office de vitrine parfaite où Nicolas Sarkozy
67 http://owni.fr/2012/03/29/twitter-change-le-marketing-politique/, consulté le 06/06/12
68 http://www.youtube.com/watch?v=h4t5YsljYAY, consultée le 23/05/12
33
exposait les grands succès de sa mandature, publiait ses photos de meetings,
de rencontre en tant que chef de l’Etat, etc.
François Bayrou se distingue des autres candidats et se prête à une véritable
« twitt-interview » avec les citoyens le 6 décembre. Ainsi, juste après s’être
déclaré officiellement candidat, il se met à nu face aux internautes, préférant
cette confontation à une banale conférence de presse. La semaine précédente,
François Bayrou confiait à des journalistes que « la campagne se joue à la
télévision et sur Internet », apprend-t-on sur lejdd.fr69.
2) La guerre des hashtags de ralliement Le terme hashtag est associé à la sphère Twitter et signifie « mot-clé ». Twitter
est un réseau social d’influence, très codifié. Le hashtag peut être utilisé comme
un symbole de ralliement, de solidarité, de soutien. Sur Twitter, un hashtag est
reconnaissable car il est toujours précédé d’un dièse (#). Les équipes
numériques des candidats se sont imprégnées de cette logique de ralliement
pour décupler la force et l’impact sur le réseau social. Les soutiens des
candidats doivent donc écrire leur message personnel suivi du hashtag de
référence qui sera de ce fait visible en tapant le mot clé (hashtag) dans la barre
de recherche et pour être comptabilisé dans les études réalisées par Topsy ou
encore la Sofres et Semiocast. Cette nouvelle mode s’est rapidement muée en
véritable rivalité entre candidats à coups de hashtags. Ce ralliement est aussi
encadré et orchestré par les équipes web qui se chargent de diffuser le nouveau
mot de clan qu’il faut diffuser pour soutenir son candidat. Ce hashtag est
véhiculé par mailing, sur les sites de campagne des candidats. Le but recherché
était d’être en tête des sujets les plus discutés du moment, dans les trending
topic, dans le langage de Twitter.
Voici à titre d’exemple, l’email adressé aux abonnés de la newsletter de
François Hollande et rédigé par son responsable de campagne numérique,
Vincent Feltesse, le 26 avril :
69 http://www.lejdd.fr/Election-presidentielle-2012/Actualite/Les-twitt-interview-de-Francois-Bayrou-une-image-de-modernite-435025, consulté le 10/07/12
34
Cher-e-s activistes, Ce soir, à partir de 20h35, François Hollande est l’invité de l’émission de France 2, Des Paroles et Des Actes. Le candidat-président prendra ensuite la parole. Nous comptons donc sur vous pour diffuser largement les propos de notre candidat sur la Toile. Suivez et commentez l’intervention de François Hollande sur France 2 à partir de 20h35 et invitez vos amis à faire de même en diffusant ce lien sur les réseaux sociaux, par mails et sur les forums : http://francoishollande.fr/actualites/des-20h35-suivez-francois-hollande-sur-france/. Sur Twitter, ajoutez le hashtag #HollandeDPDA à vos messages. Désintox : répondez aux mensonges de nos adversaires sur le web ! Dans cette dernière ligne droite avant le second tour, nos adversaires multiplient l’envoi de mails mensongers concernant notre candidat. Voici les arguments pour leur répondre si vous y êtes confrontés. http://toushollande.fr/desintox-repondez-au-spam-mensonger-sur-francois-hollande.70
La tendance du live-tweet des émissions politiques a favorisé la guerre des
hashtags. En effet, commenter une émission se déroulant à la télévision en
direct, pendant sa diffusion, a été une tendance très en vogue. L’émission la
plus emblématique de ce phénomène a été « Des paroles et des actes ». Le
hashtag #dpda a été l’un des plus utilisés au monde pendant la campagne.
Dans ce cas-ci, il s’agissait d’un hashtag de reconnaissance permettant de
réunir les conversations sur l’émission. En tapant #dpda dans la barre de
recherche de Twitter, vous pouviez suivre tous les commentaires associés à
l’émission.
Interviewé par Owni, Arnaud Mercier71 évoque le phénomène du live-tweet:
Le commentaire en live tweet des émissions politiques deviendra probablement un phénomène social. Il permet de nourrir un regard critique sur les stratégies de communication politique à grands coups de hashtag. Vous avez, en direct-live, de la contre communication politique72.
70 Expéditeur : campagne@francoishollande.fr, obj : ACTION J-10 : Mobilisation générale : François Hollande est l'invité de Des Paroles et Des Actes à partir de 20h35 !, le 26/04/12, Vincent Feltesse 71 Chercheur associé au Laboratoire Communication et Politique (LCP) du CNRS et professeur en sciences de l’information et communication à l’Université Paul Verlaine de Metz. 72 http://owni.fr/2012/03/29/twitter-change-le-marketing-politique/, consulté le 06/06/12
35
Le point culminant de cette guerre de hashtags s’est déroulé bien évidemment
lors du débat de l’entre-deux tours. « Pendant le débat de l’entre-deux tours, on
a ainsi enregistré 2 000 tweets par minutes ! 73», peut-on lire sur le blog
d’Erwann Gaucher.
B. Le débat d’entre-‐deux tours sur Twitter
1) Live fact-‐checking du débat Au vu de son expansion dans les médias, il était normal que le fact-checking
soit invité au débat de l’entre-deux tours mais là encore uniquement sur le web.
Il n’a pas eu sa place sur les chaînes de télévision refusant l’intervention des
journalistes du débat et même d’un bandeau écrit avec des propos vérifiés au
bas de votre téléviseur. Alors les médias en ligne se sont émancipés des
grandes chaînes et ont compté sur les réseaux sociaux pour faire venir à eux
les citoyens demandeurs de fact-checking dans un débat riche en chiffres. Pas
moins de 137 chiffres ont été brandis par les deux candidats réunis à l’antenne,
tantôt pour défendre ou critiquer le mandat précédent, tantôt pour arguer en
faveur de leurs mesures. Le média Owni a été surpris de cette inflation de
chiffres dans un débat d’entre-deux tours :
Confiants, nous croyions être soumis à de maigres escarmouches statistiques entre François Hollande et Nicolas Sarkozy. Mais le face-à-face des candidats UMP et PS a été un déluge de données sous lequel Laurence Ferrari et David Pujadas sont restés cois. (…) Durant leur temps de parole de 72 minutes et 12 secondes, les candidats ont livré une quantité considérable de chiffres : 92 pour le Président sortant et 45 pour son challenger socialiste, soit un chiffre toutes les 47 secondes pour Nicolas Sarkozy et un toutes les 1 minute et 36 secondes pour François Hollande74.
Nombre de médias ont alimenté leur fil Twitter de déclarations fact-checkées,
beaucoup étaient préparées à l’avance, sachant les habitudes de chacun et les
thèmes présentés. Or, certains médias ne nous ont pas facilité la tâche en
mettant une forme de teasing en 140 caractères ne débouchant pas sur la
réponse que l’on attendait, et il fallait se rendre sur leur site pour enfin en
73 http://www.erwanngaucher.com/09052012La-presidentielle-s39est-elle-jouee-en-ligne--vrai-ou-faux-,.media?a=897, consulté le 16/05/12 74 http://owni.fr/2012/05/03/veritometre-debat-hollande-sarkozy/, consulté le 10/05/12
36
découdre. Les journalistes du Véritomètre étaient eux parés depuis trois mois à
cet exercice ultime et difficile en direct. Sylvain Lapoix était l’un d’eux, il explique
dans une conférence post-élection l’orchestration du débat avec le
Véritomètre et les difficultés auxquelles ils ont été confrontés :
Il y eut la mise en place d’un live fact-checké minute par minute. Il était techniquement possible de le faire en direct à l’antenne. Ça consistait en un live-checking et un flux dans un bandeau. Cette expérience inédite n’a pas été acceptée par les chaînes qui produisaient l’image. TF1 et France Télévisions, les détenteurs des droits d’antenne de l’entre-deux tours, ont refusé l’altération du flux d’images avec du fact-checking à 19h57. Puis, il y eût la proposition d'un site avec le live streaming75 d'i>TELE d'un côté et le fact-checking sur Twitter de l'autre. TF1 et France 2 ont interdit la retransmission en streaming76.
La seconde proposition avait l’avantage de tout rassembler sur une même
interface et que le citoyen n’ait pas à avoir les yeux rivés sur deux écrans. Or,
c’est ce qui a dû se produire.
Laurence Ferrari, qui a animé le débat aux côtés de David Pujadas s’est vu
interrogée par le site du Journal du Dimanche sur ce refus d’altération du flux
d’images avec du fact-checking :
Je trouve préférable que le fact-checking se fasse après, avec un peu de recul et de distance. Je ne suis pas pour introduire de l'interactivité dans cet exercice. Il y a d'autres émissions pour cela. Le débat, c'est la rencontre entre deux candidats et les Français." Avoir une oreillette reliée à une équipe qui travaille derrière vous à vérifier les faits, est-ce imaginable? A ce niveau là d'une campagne électorale, je pars du principe que les candidats s'appuient sur des chiffres dont ils sont sûrs l'un et l'autre, même s'il y a toujours une zone grise entre les deux estimations77.
Le Twitter du Véritomètre a explosé le soir du débat de l’entre deux tours avec
un très grand nombre de retweets et de followers. Le Tweeter du Véritomètre
comptait 2 300 followers au commencement du débat et a atteint 15 000 à sa
75 Diffusion en direct du débat sur le site d’i>TELE 76 Conférence sur le rôle du fact-checking dans le débat de l’entre-deux tours, la Lunette à Bruxelles, le 8 mai à 19 H, Sylvain Lapoix, Damien Van Achter, etc. 77 http://www.lejdd.fr/Medias/Television/Actualite/Laurence-Ferrari-revient-sur-le-debat-entre-Sarkozy-et-Hollande-interview-508117?from=cover, consulté le 12/05/12
37
fin, donc en quatre heures ! Ces résultats fructueux ont littéralement fait
exploser le trafic d’Owni, le site a même été inaccessible un temps car les
tweets renvoyaient vers des graphiques préétablis. Les tweets reprenaient ce
modèle : hashtag du candidat, déclaration coupée, verdict : correct-incorrect-
imprécis, lien avec la source d’information. Cela a permis d’établir un
classement de la crédibilité.
© Capture d’écran du fil Twitter “LeVeritometre”
© Capture d’écran du fil Twitter “LeVeritometre”
C. Le contournement du code électoral Le 22 avril et le 6 mai à 20 heures, c’est l’heure des plus grandes messes
médiatiques du pays où la France est scotchée devant son téléviseur ou son
poste de radio et retient sa respiration pour connaître le nom de son président.
Pourtant, en 2012 beaucoup de citoyens n’ont pas eu autant de patience et se
sont rués sur le web.
1) La loi de l’embargo de 20 heures
L’embargo de 20 heures renvoie à l’article L.52-2 du Code électoral qui prévoit
qu’«aucun résultat d'élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au
public […] avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire
38
métropolitain78». Il oblige les journalistes à ne pas divulguer les résultats partiels
ou finaux du scrutin présidentiel avant 20 heures sous peine d’amende. La
presse française est tenue baillonnée jusqu’à l’heure fatidique de 20 heures où
le visage du nouveau Président est dévoilé au journal télévisé. Cette loi veille à
garantir l’égalité des citoyens, de préserver des rumeurs et de ne pas fausser
l’issue du scrutin. Le fait est que l’horaire de fermeture des bureaux de vote
diffère selon les villes. Les habitants des métropoles disposent de deux heures
de plus que les autres villes pour voter, soit jusque 20 heures. Pour les autres
villes, les bureaux ferment à 18 heures.
Or, divers obstacles viennent compromettre le respect de l’embargo. En premier
lieu, la presse étrangère qui n’est, en théorie, pas tenue de respecter la loi
française peut révéler les résultats des scrutins bien avant 20 heures. Bien que
n’ayant pas les résultats définitifs, les premiers sondages et estimations
permettent de connaître le nom du Président vers 18 heures - 18 heures 30,
même s’il y a bien sûr une marge d’erreur. Le deuxième obstacle vient de
l’Internet, de sa liberté prônée et de la difficulté de le réguler.
Pour cette élection présidentielle qui a fait un bond dans le numérique, pas de
compromis de l’Etat qui a réitéré ses menaces dissuasives et a réaffirmé le
bien-fondé de cette loi. Un dispositif de la Commission des sondages a été
adopté pour empêcher les fuites :
Neuf instituts de sondages79 se sont engagés à ne pas réaliser de
sondage "sortie des urnes" le 22 avril et à respecter un embargo sur les
premières estimations jusqu'à 20 heures. Ils se sont également engagés
à ne pas fournir d'estimations aux médias étrangers. "80
L’amende est de 75 000 euros et peut s’élever jusqu’à l’astronomique somme
de 375 000 euros si la divulgation émane d’entreprises ou de médias. Les
Belges ou les Suisses se trouvant et diffusant depuis le territoire français seront
logés à la même enseigne, apprend-t-on de la part de la Commission des
78 http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/election-presidentielle-2012/textes-applicables/code-electoral.104274.html, consulté le 12/05/12 79 BVA, CSA, Harris interactive, Ifop, Ipsos, LH2, OpinionWay, TNS Sofres et Via-voice 80 http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/resultats-avant-20h-black-out-des-sondeurs-et-fuites-sur-facebook_291952.html, consulté le 12/05/12
39
sondages, dans un article du Point.fr : « À partir du moment où l'information est
diffusée sur le territoire français, l'infraction est constituée. Les médias belges et
suisses sont susceptibles de poursuites. 81»
2. Un usage remis en cause par le numérique
A l’heure du numérique et des réseaux sociaux, on peut s’interroger sur la
légitimité d’une telle législation qualifiée d’archaïque, d’anachronique par de
nombreux médias. Concrètement, comment en effet contrer la force des
réseaux sociaux et de ses millions d’utilisateurs. Me Sabine Lipovetsky, avocate
spécialisée en nouvelles technologies, ne croit pas en une distribution massive
de sanctions :
La menace de la diffusion anticipée des résultats des élections provient (…) principalement des médias étrangers et des utilisateurs de réseaux sociaux. Les internautes sont à cet égard moins menacés de poursuites pénales que les médias. En effet, l’explosion des réseaux sociaux rend la sanction de l’ensemble des actes de diffusion des internautes théorique et démontre que la loi n’est plus adaptée aux nouveaux modes de communication82.
Nicolas Sarkozy a affirmé jeudi 19 avril sur Europe 1 qu’il ne serait pas choqué
par une publication des résultats du 1er tour de l’élection présidentielle,
dimanche avant 20 heures. « On ne va quand même pas faire une frontière
numérique entre la France et tous les autres pays du monde pour interdire les
autres de communiquer avec la France 83», a-t-il déclaré.
De nombreux journalistes se sont insurgés contre cette loi archaïque et désuète
à l’heure du numérique. Une France mise sous cloche le jour des résultats alors
que ses voisins européens peuvent connaître le nom du chef de l’Etat Français
81 http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/sondage-les-medias-suisses-et-belges-menaces-de-poursuite-16-04-2012-1451956_52.php, consulté le 12/05/12 82 http://www.journaldunet.com/ebusiness/expert/51443/elections-presidentielles---les-medias-etrangers-et-les-utilisateurs-de-reseaux-sociaux-vont-ils-etre-condamnes.shtml, consulté le 12/05/12
83 http://www.europe1.fr/Politique/Sarkozy-pas-choque-par-des-fuites-avant-20h-1044053/, consulté le 13/05/12
40
avant eux, semble absurde pour de nombreux médias. Libération.fr a été le
premier média audacieux à afficher sa volonté de défier la loi et « se réserve le
droit » de publier les estimations dès 18 heures 30 mais à plusieurs conditions :
« si l'écart est net et les sources fiables 84», a déclaré Nicolas Demorand, le
directeur de la rédaction.
Erwann Gaucher, consultant chez France Télévisions et fin observateur des
évolutions du numérique en France, explique que les réseaux sociaux
pourraient influer sur le résultat final :
Personne n’a anticipé que les réseaux sociaux pourraient avoir une quelconque influence sur le vote et c’est potentiellement grave. Imaginez ce cas de figure : nous sommes dimanche, il est 18 heures et nous apprenons que Marine Le Pen est devant Nicolas Sarkozy, de quelques dizaines de milliers de voix. Cette information se répandrait comme une trainée de poudre auprès de millions d’internautes en quelques minutes et il resterait deux heures pour aller voter dans les grandes villes. Les sondeurs répondent à cet argument que ça ne toucherait pas suffisamment de monde n’ayant pas encore voté pour changer l’issue du vote. Je rappelle qu’en 2002, l’écart de voix entre Jean-Marie Le Pen et Lionel Jospin était de 198 000 voix. Il y a 28 millions de comptes Facebook en France et 5 millions de comptes Twitter. Je pense qu’aujourd’hui, en deux heures, la puissance des réseaux est telle qu’elle peut mobiliser 200 000 personnes. Si nous étions cette année dans la configuration de 2002, et le sociologue Dominique Caron le pointait aussi dans Libération, cela pourrait fausser le scrutin85.
Me Sabine Lipovetsky, avocate spécialisée en nouvelles technologies évoque
même dans un article du NouvelObs.com, une possible annulation de l’élection
en cas de plainte d’un candidat :
Si les internautes diffusent en masse les résultats avant 20h, on peut imaginer des sympathisants se ruant dans les bureaux de vote pour tenter d'inverser une tendance. D'où une crainte des autorités que "la sincérité du scrutin soit altérée". Un candidat mal placé pourrait ainsi déposer plainte, voire saisir le Conseil constitutionnel pour réclamer l'annulation de l'élection, en particulier si les résultats s'avéraient serrés. « Il faudra toutefois prouver le véritable effet des messages postés, ce
84 http://www.liberation.fr/depeches/2012/04/21/premieres-estimations-l-interdit-tiendra-t-il-jusqu-a-20h00_813338, consulté le 21/04/12 85 Extrait de l’entretien avec Erwann Gaucher disponible en annexe
41
qui sera compliqué... Mais c'est possible"86.
3. Le langage codé de Twitter
« Le flan est au four, je répète le flan est au four »87. Radio Londres ressuscite
sur Twitter pour fuiter les résultats du scrutin présidentiel en messages codés.
Une ruse savamment orchestrée pour échapper aux sanctions de la
Commission des sondages. La twittosphère a vu fleurir les jours de scrutins
d’innombrables tweets comportant le hashtag #Radio Londres. Les Twittos ont
donc rivalisé d’imagination pour transformer les candidats en couleurs,
symboles et objets divers ; et livrer les pourcentages. #Radio Londres a inondé
Twitter dès 15 heures où les résultats des Dom-Tom filtraient déjà.
A 18 heures, alors que les chaînes de télévisions nous montraient les
personnalités politiques votant dans les bureaux de votes et ne parlaient que du
taux d’abstention, les comptes Twitter livraient déjà les estimations et sondages
de sortie d’urne.
Par « le nain chausse du 26 », vous deviez interpréter : Nicolas Sarkozy obtient
26 % des votes. «Le pédalo avance à 27 nœuds » signifiait que François
Hollande en obtenait, quant à lui, 27%. Ou encore ce joli langage alimentaire ou
ce bulletin météorologique :
© capture d’écran du fil Tweeter de Stéphane Berthelot
86 http://tempsreel.nouvelobs.com/election-presidentielle-2012/20120413.OBS6093/et-si-la-presidentielle-etait-annulee-a-cause-de-twitter-et-facebook.html, consulté 18/05/12 87 Exemple maintes fois tweeté par les internautes
42
© capture d’écran du fil Twitter de Justin Bridou
Les chaînes belges et suisses entonnaient dès 16 heures leurs émissions, dont
une grande part d’audience sera évidemment française :
A partir de 16h sur Internet, les médias belges et suisses se faisaient l'échos de ces rumeurs, en y apportant leur crédibilité journalistique. A 17h, la RTBF commençait son émission spéciale, en direct depuis l'ambassade de Belgique à Paris. Malgré la promesse faite par les chaînes de télévision et les instituts de sondage de ne pas communiquer de résultats, ces médias étrangers ont eu accès à des enquêtes datées d'aujourd'hui88.
Quant au site de Libération.fr, il a fait volte-face et n’a pas honoré son rendez-
vous à 18 heures 30 pour l’annonce précoce des résultats. Le quotidien a
néanmoins livré une justification liée à l’amende encourue trop disuasive. A
18h47, Nicolas Demorand, abrège le suspens :
Le risque encouru est au minimum de 375 000 euros pour une entreprise de presse, sans parler d'autres conséquences économiques, réelles et sérieuses, qui fragiliseraient Libération. L'ensemble de ces sommes nous semble disproportionné par rapport à l'intérêt d'une information rendue publique à 20h89.
En revanche, il en est une qui a brisé l’embargo, c’est l’Agence France Presse
(AFP) qui, à 18 heures 17, a envoyé les estimations à ses abonnés. Précisant,
par ailleurs, qu’elle endossait la responsabilité de la diffusion de ces chiffres. Le
PDG de l’Agence France Presse, Emmanuel Hoog en a expliqué les raisons,
relatées dans le Figaro.fr :
88 http://archives.lesechos.fr/archives/2012/lesechos.fr/04/22/0202024491823.htm, consulté le 16/05/12 89 http://www.liberation.fr/politiques/2012/04/22/nous-vous-avions-donne-rendez-vous-a-18h30_813475, consulté le 23/04/12
43
L'AFP est internationale et française. Comment imaginer que nos clients puissent recevoir de nos concurrents internationaux des informations sur l'élection présidentielle française avant d'être informés par l'AFP (...) faire autrement serait un non-sens journalistique90.
Quelques sanctions exemplaires sont tombées à la suite de la propagation des
résultats. Un bien mince filet comparativement au tsunami de fuites :
A 19h46, la Commission des sondages annonce que le parquet a été saisi de la publication anticipée des résultats. 'Des médias et des particuliers' sont concernés explique-t-elle laconiquement aux Echos. Il s'agit de l'AFP, de deux médias belges, d'un média suisse, d'un journaliste belge qui aurait donné les résultats sur Twitter et du blog Résultats201291.
90 http://elections.lefigaro.fr/flash-presidentielle/2012/04/23/97006-20120423FILWWW00419-enquetesur-la-diffusion-des-resultats.php, consulté le 10/05/12 91 http://archives.lesechos.fr/archives/2012/lesechos.fr/04/22/0202024491823.htm, consulté le 14/05/12
44
III) Echecs et victoires de la campagne numérique de 2012
A. Les failles numériques des candidats
Malgré leurs efforts de présence et de visibilité tous azimuts sur les sites de
campagne, les web TV et web Radio personnelles, les réseaux sociaux… les
candidats à la présidentielle n’affichent pas grand succès. D’ailleurs, le
responsable de la campagne numérique de François Hollande et le
communicant en chef de Nicolas Sarkozy ne se faisaient guère d’illusions : le
premier a déclaré : « Ce n'est pas en consultant le web que les Français vont
changer leur intention de vote », le second n’est pas plus optimiste : « la vraie
révolution, ce n'est pas Internet, mais la TNT ». A qui la faute ? Peut-être au
maigre budget consacré au numérique, à la campagne d’affichage et sans
interaction sur le web, aux sites trop partisans, à la non-maîtrise des codes de
l’Internet ou encore à l’absence d’un débat 2.0…
1) Une campagne d’affichage sur le web et un maigre budget
Interactive, la campagne web des candidats ne l’est assurément pas. Nous
avons assisté à l’étalage de leurs succès, de leurs agendas, de leurs meetings
sans pouvoir leur glisser une question. Pas même sur les réseaux sociaux
pourtant calibrés pour l’interaction. Ceux-ci leur ont surtout servi à l’observation
de l’opinion : combien de followers sur Twitter, de fans sur Facebook les
suivent ; combien de comptes et de pages les plagient ; comment s’organisent
leurs adversaires ; qui a gagné la guerre des hashtags pour telle émission...
Des indicateurs, certes intéressants pour les candidats, mais l’internaute peut
se sentir frustré de se voir adresser des messages à sens unique. Erwann
Gaucher voit dans les activités numériques des candidats, un simple
changement de terrain :
Il y a trente ans, les équipes de campagne se battaient lors de la
distribution de tracts, du collage d’affiches et à la sortie des meetings.
Maintenant, ils se chambrent sur le web. Je ne pense pas que qui que
ce soit ait changé d’avis ou d’intention de vote en fonction de ce que les
équipes de campagne ont fait sur le web. Par contre, c’est un très bon
outil de mobilisation des militants et partisans, pour faire passer un
message dans la journée partout en France.
45
Dans un article intitulé « Twitter : gadget électoral ou outil de démocratie
numérique », Le Monde.fr observe une communication verticale des élus vers le
peuple déniant l’égalité supposée sur les réseaux sociaux :
Habitués qu'ils sont de décennies de media training 92 et de communication télévisuelle, leur conception du Web est encore très "1.0", dans une logique "top-down"93 qui passe par la délivrance d'un message en faisant l'impasse sur toute interaction avec les autres. Autrement dit, leur communication demeure très verticale sur un outil horizontal94.
Cette communication verticale et hiérarchique s’explique aussi par une non-
maîtrise des codes de l’Internet. Ceci amène les candidats à se tourner vers les
médias traditionnels qu’ils maîtrisent à merveille. Erwann Gaucher analyse ce
choix :
François Hollande et Marine Le Pen ne connaissent pas les codes du web et ne savent pas comment se comporter face à ce média. Par contre, ils connaissent par cœur les codes des médias traditionnels et restent sur du rapport investissement/rentabilité. Il vaut mieux se rendre dans les médias où l’on est à l’aise et où l’on touche encore la masse de la population plutôt que de se mettre en danger dans un média que l’on connaît peu95.
Le 1er août, le dossier des dépenses pour la campagne présidentielle paraît et
permet de mettre en évidence la part du budget dédiée au numérique.
Nicolas Sarkozy s’est avéré être le plus dépensier en ayant consacré la somme
de 1 331 846 aux « sites internet et services télématiques ». Petit passage en
revue relevés par Erwann Gaucher des contenus web investis par Nicolas
Sarkozy et son équipe de campagne : les deux réseaux sociaux mondiaux
Facebook et Twitter ; les communautés vidéo Dailymotion et You Tube, les sites
d’écoute Deezer et SoudCloud; les sites de partage de photos Flick’r et
92 Le media training sont des cours pour apprendre comment communiquer avec les médias. 93 La communication « top down » fait écho à une hiérarchie supposée entre un élu et le citoyen. Elle s’oppose à la communication horizontale où tout le monde s’exprime sur un même pied d’égalité. 94 http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/01/twitter-gadget-electoral-ou-outil-de-democratie-numerique_1650057_3232.html#xtor=AL-32280258, consulté le 14/05/12 95 Extrait d’entretien avec Erwann Gaucher disponible en annexe
46
Instagram, et enfin le site de géolocalisation Foursquare96. La gestion de ces
contenus est évidemment déléguée à des administrateurs chargés de poster
des photos, répondre aux messages… Même si pour tout internaute,
l’inscription à Facebook est gratuite, Nicolas Sarkozy a confié la mise en ligne
de sa parfaite timeline -constituant une mini biographie- à l’agence de
renommée mondiale Emakina, spécialisée dans le marketing et le numérique.
François Hollande se classe, quant à lui, à la 4ème position devancé par Jean-
Luc Mélenchon et François Bayrou.
Pour avoir une vision juste de l’ampleur du poste de dépense numérique, il faut
ramener cette somme au budget total de campagne de chaque candidat. Ainsi,
François Bayrou a été celui qui a le plus cru en la force du numérique, au vu du
pourcentage de son budget (8,6 %) de campagne consacré au numérique.
François Hollande affiche un taux très bas de 2,5% et Nicolas Sarkozy, 6,2 %.
© http://www.flickr.com/photos/78900399@N08/7690098056/
96 http://www.erwanngaucher.com/26022012Nicolas-Sarkozy-20.media?a=824, consulté le 18/04/12
47
© http://www.flickr.com/photos/78900399@N08/7689800622/
Les dix candidats à la Présidence ont donc, au total, dépensé 3 557 349 euros
pour la facette numérique de leur campagne. Ce qui représente globalement
4,79 % de ce qu’a coûté l’élection présidentielle ; 74 158 256 euros au total.
Un journaliste de Télérama endosse le temps d’un article le rôle d’un candidat et
évoque les sommes affectées au numérique. Il ose une comparaison avec
Barack Obama : « Tous mes adversaires veulent faire comme Barack Obama.
Mais face à son milliard de dollars de fonds de campagne, dont un tiers pour le
numérique, on a tous l'air de Minitel face à un supercalculateur de la Nasa97 ».
2) Le flop des sites de campagne
Chacun des candidats a évidemment créé un site de campagne, voire plusieurs,
affichant leurs mesures, leurs promesses, leurs agendas. Les chiffres de
fréquentation montre le manque d’attrait pour les internautes de ces sites de
campagne, ce que pointe LeNouvelObs.com:
Rien d'étonnant aux chiffres médiocres des sites de campagne des candidats : environ 650.000 visiteurs uniques par mois pour francoishollande.fr, 330.000 pour lafranceforte.fr, site de Nicolas
97 http://www.telerama.fr/medias/tweetez-pour-moi-ma-campagne-sur-le-net,78654.php, consulté le 05/07/12
48
Sarkozy, 220.000 pour bayrou.fr, 18.000 pour marinelepen2012.fr98.
Encadrés par des professionnels de la communication et des médias, François
Hollande et Nicolas Sarkozy, ont créé leur propre programme à un moment clé
de la campagne. Alors que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel obligeait les
médias traditionnels à une stricte répartition et égalité du temps de parole dès le
19 mars, les deux principaux candidats se sont tournés vers l’Internet libre qui
échappe au CSA. Une opportunité pour eux de lancer leur programme
divulguant leurs bonnes paroles, mais là encore ils ont fait un flop car ils ont été
vite catégorisés comme partisans et ne laissaient pas assez la parole aux
citoyens.
La Web radio baptisée Radio Hollande a été diffusée durant une heure et demi
quotidiennement et en direct sur le site de François Hollande. Conçue comme
une émission classique, Radio Hollande est présentée par un ancien d’Europe 1
et un animateur de Skyrock. Une originalité à noter : la séquence « Allo
François » dans laquelle ont été diffusées des questions d’internautes
enregistrées sur un répondeur, auxquelles ont répondu des experts, des
socialistes… « La critique du bilan de Nicolas Sarkozy est omniprésente »,
selon le Figaro.fr99 . « Pour son premier numéro, la Webradio de François
Hollande n’a pas dépassé le cap symbolique des 1 000 auditeurs », toujours
d’après le quotidien.
L’UMP a donc riposté avec un petit programme appelé « les Experts »
retransmise sur son site Lafranceforte.fr. Quotidiennement, un élu –expert dans
un domaine- de la famille UMP analysait un thème de campagne et parlait
autour des propositions du président-candidat. Avec deux minutes par thème, le
format s’exportait aisément sur les réseaux sociaux.
Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, a rivalisé d’imagination en lançant une Web-
série ambitieuse. « Le dernier épisode, consacré à la « prise la Bastille » du 18
mars, a été visionné plus de 20.000 fois sur Dailymotion en deux jours. Un
98 http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-la-bataille-du-web/20120504.OBS4713/la-campagne-web-2012-n-a-pas-tenu-ses-promesses.html, consulté le 18/05/12 99 http://elections.lefigaro.fr/presidentielle-2012/2012/03/28/01039-20120328ARTFIG00576-le-web-astuce-des-politiques-pour-plus-de-temps-de-parole.php, consulté le 08/06/12
49
score élevé par rapport aux vidéos des autres candidats », rapporte Le
Figaro.fr.
3. L’absence d’un débat 2.0
Le 5 avril 2012, un agrégat100 de médias se réveillait enfin en proposant un
débat sur le web aux dix candidats autour d’un même plateau. Le rendez-vous
devait être diffusé en direct et même en vidéo. Les candidats auraient pu ainsi
se livrer à des matchs virtuels sans contrainte de durée. Les questions devaient
être posées à la fois par les journalistes et les citoyens connectés qui, grâce à
un dispositif spécial sur les réseaux sociaux, pouvaient interroger leurs
candidats. Le jour même de l’annonce sur leurs sites, Dailymotion, Le Lab101
d’Europe 1, Yahoo, LeNouvelObs.com et LeParisien.fr lançaient l’assaut pour
convaincre les candidats de débattre non seulement à dix, mais également avec
les internautes. Un vrai débat participatif avec des politiques seuls face à leur
clavier. Une initiative d’autant plus intéressante qu’elle fut lancée quand le CSA
a contraint les médias traditionnels à une stricte égalité du temps de parole.
« Des paroles et des actes » avaient dû renoncer à convier les dix candidats
pour une même émission, mais sur le web, un tel dispositif semble plus facile à
réaliser et plus libre.
Cependant, l’exercice est périlleux puisque le hors-sujet et la langue de bois
n’auraient pas leur place et seraient vite repérés par un citoyen qui ne
manquerait pas d’interpeller le politique. Les candidats auraient l’exigence
d’abréger leurs longues tirades audibles uniquement à la télévision ou à la
radio.
L’agrégat de médias a reçu six « oui » et un « non » des candidats en réponse à
leurs interpellations. Ils diffusaient le jour-même –le 5 avril- leurs invitations
directement. La plupart d’entre eux s’enthousiasmait de l’organisation de ce
débat. François Bayrou, Nicolas Dupont Aignan et Jacques Cheminade ont
répondu « Oui » sur Twitter. Philippe Poutou, Eva Joly et Marine Le Pen,
interrogés sur Europe 1 sur leurs intentions de participer au débat sur le web,
disaient un grand « Oui » à leur tour. Seul Nicolas Sarkozy a décliné l’invitation
le 8 avril dans une interview au Journal du Dimanche, déclarant ne pas
souhaiter débattre avant le premier tour. « Le président de la République pointe 100 Un ensemble de médias 101 Pure player crée par la radio Europe 1
50
la difficile organisation d’un tel débat et le fait que ce n’est pas d’usage en
France 102», indique lelab.europe1.fr.
L’initiative proposée d’un débat de dix candidats sur le web a donc été avortée.
François Hollande et Jean-Luc Mélenchon ne semblaient pas avoir daigné
répondre puisqu’ils ne sont pas mentionnés dans l’article du Lab.
B. Une opportunité pour les médias en ligne
1) Forte fréquentation les jours de scrutin
L'OJD Numérique, en charge de la publication de la fréquentation des sites
Internet et Applications Mobile, a publié un classement des 20 premiers sites
Internet d’actualité et information ayant enregistré une fréquentation record lors
du second tour de l’élection présidentielle, le 6 mai103. A titre comparatif, l’OJD
Numérique nous indique la progression du taux de fréquentation par rapport au
29 avril.
102 http://lelab.europe1.fr/t/candidats-que-diriez-vous-d-organiser-ledebat-1722/6807, consulté le 16/04/12 103 http://www.lesblogsmedias.fr/wp-content/uploads/2012/05/CP-OJD-SPECIAL-PRESIDENTIELLE-2012.pdf, consulté le 08/06/12
51
© http://www.lesblogsmedias.fr/wp-content/uploads/2012/05/CP-OJD-SPECIAL-PRESIDENTIELLE-2012.pdf
On peut observer que les deux seuls pure players ayant leur place dans ce
classement sont Rue 89 et le Huffingtonpost.
En 2007, l’OJD Numérique publiait un classement de « 12 sites majeurs
d’information qu’il cerficie ». Dans ce tableau, on peut observer la progression
de la fréquentation du 6 mai mise en parallèle avec celle du 29 avril.
52
© http://www.ojd-internet.com/article/actualites,elections-presidentielles-frequentation-exceptionnelle-des-sites-internet-d-information
D’après ces deux tableaux, on peut remarquer que l’OJD Numérique a élargi le
nombre de sites d’information et que le nombre de visites a augmenté,
probablement parce que l’usage d’Internet s’est démocratisé et parce que les
sites d’information sont devenus une source d’information importante pour les
Français et se crédibilisent.
2. Un regain de confiance du citoyen
A travers les projets entrepris et les évolutions journalistes qu’a vu naître la
campagne présidentielle, les médias ont cherché à être au plus près des
citoyens et à se crédibiliser à leurs yeux. La volonté de montrer la campagne
autrement, à travers les bribes de vie rencontrées par le plus pur hasard à la
campagne ou en ville, le prouve. Il y a eu une place importante attribuée aux
réseaux sociaux, au direct et au débat dans les dispositifs numériques de
campagne.
L’ère du fact-checking étroitement mêlée au crowd-sourcing a aussi permis au
citoyen d’avoir un regard et même des critiques, qu’il pouvait faire prévaloir
auprès des journalistes. Le lien renoué entre citoyens et médias a peut-être été
l’une des victoires de cette campagne présidentielle. Même s’ils n’ont pas eu la
53
proximité escomptée avec les candidats, les médias leur ont parfois cédé le
micro. Marianne 2 a décelé dans un article cette tentative de reconquête de la
légitimité journalistique :
A l’heure où le public se méfie des journalistes et des politiques, les émissions doivent renouveler le format plan-plan des débats façon Elkabbach contre Marchais. Ayant perdu son prestige intellectuel, le journaliste doit chercher ailleurs sa légitimité en se faisant le porte-parole du « Français lambda ». Le Web a accéléré et facilité cette interaction avec le public. Mais surtout il n’aide pas seulement au débat lui-même mais crée aussi un débat sur le débat, une caisse de résonnance pour l’émission. Chacun derrière son écran ou son smartphone commente l’émission, discute avec ses amis virtuels, corrige les déclarations des politiques, tacle les mauvaises questions des journalistes104.
Peu avant la présidentielle, Newsring a fait son apparition sur la Toile. Il s’agit
d’un pure player exclusivement réservé aux débats auxquels tout le monde peut
prendre part sous réserve de décliner son identité. Les internautes ayant un
compte sur Newsring peuvent voter pour donner leur avis sur un débat, ainsi
que poster leurs arguments ou réactions sur le site. Ils peuvent également
indiquer s’ils sont d’accord ou non avec les arguments déployés. Des extraits
d’opinions de quelques internautes nous éclairerons sur ce sujet qui les
concerne directement : le fact-checking peut-il restaurer la crédibilité des
médias105 ?
© http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias
104 http://www.marianne2.fr/Web-les-candidats-veulent-debattre-sauf-Sarkozy-et-Hollande_a216882.html, consulté le 18/05/12 105 http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias, consulté le 22/05/12
54
© http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias/3722-le-fact-checking-est-aussi-outil-citoyen-pour-checker-les-medias
Le fact-checking, ce n'est pas juste une nouvelle technique journalistique ! Son aspect le plus intéressant, et le plus disruptif, est son appropriation directe par les citoyens. Citons par exemple FactCheck.org, très lié à l'université de Pennsylvanie. On y trouve de nombreux anciens journalistes, mais le projet dépend d'une fondation, pas d'un journal. Plus près d'ici, la Vigie 2012 regroupe une cinquantaine de bénévoles qui décryptent les propos européens de tous les candidats à la présidentielle [disclaimer : je suis président de l'association gérant le projet]. Et analyse la couverture des journaux sur les sujets européens, avec des classements mensuels des quotidiens traitant le plus les sujets européens. Ainsi, le fact-checking peut 'checker' les médias, et pas simplement les politiques106.
© http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias/4057-le-fact-checking-comme-volet-necessaire-du-role-de-contre-pouvoir-des-medias
Le fact-checking est l'une des composantes du rôle de contre-pouvoir des médias en démocratie. Il était logique qu'il émerge dans les contextes anglo-saxons où cette notion de contre-pouvoir est inscrite historiquement et culturellement comme composante nécessaire de la démocratie (1er amendement), Il s'impose à un moment précis où l'évolution des modèles économiques met sous tension les rédactions dont les effectifs vont décroissant. (…) En politique, le Fact checking c'est la réponse nécessaire à une communication dévorante qui voit un candidat socialiste vouloir produire lui-même ses images de télévision, comme l'avait fait en 2007 l'actuel président de la République. Il paraît logique que dans son évolution le fact checking fasse contribuer le
106 http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias, consulté le 22/05/12
55
public, celui qui peut apporter expertise ou témoignage, sachant qu'en dernier ressort la main reste à la rédaction, en l'occurrence son équipe de fact-checkers107.
107 http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias, consulté le 22/05/12
56
Conclusion : A travers ce Travail de fin d’Etude, nous avons tenté de savoir si la
campagne présidentielle française de 2012 s’était jouée sur le web. Une
interrogation qui n’aura pas de réponse figée étant donné que l’échéance
présidentielle est à peine franchie et que les spécialistes du web continuent de
débattre sur le sujet. De nombreux journalistes se sont livrés à des essais
d’articles en concluant que cette campagne était une désillusion du point de vue
numérique car l’Internet n’avait pas modifié les intentions de vote et que les
candidats ne se sont pas impliqués à la manière de Barack Obama, le prodige
du web. Néanmoins, il faut souligner les avancées numériques, car il y en a eu
depuis la campagne de 2007, où la place du web était quasi-inexistante. J’ai
ainsi choisi de scinder ce Travail de Fin d’Etude en trois grands chapitres.
Le premier était consacré aux innovations dont les médias en ligne ont fait
preuve pour couvrir la présidentielle. Deux évolutions journalistiques étaient
mises en évidence : le prisme local adopté par deux poids lourds du paysage
médiatique français et le fact-checking. Ceux-ci mettent en évidence
l’implication et le regard des citoyens auxquels les journalistes prêtent de plus
en plus attention. Avoir un prisme local permet donc d’être concret, de palper
les préoccupations des citoyens ; alors qu’ils prennent leur destin en main en
élisant un nouveau président.
Les réseaux sociaux ont également eu une place de choix dans cette
campagne. La seconde partie était donc consacrée à leur rôle. Twitter s’est
illustré dans la campagne présidentielle comme un terrain de militance active où
l’on soutien son candidat à coup de hashtags. Il devenait un lieu de débat lors
des émissions télévisées où les internautes commentaient en temps réel les
arguments de chacun. Le web a également brillé dans l’analyse des discours
des candidats La démonstration s’est faite avec le Véritomètre dont le but était
de corriger les contre-vérités des hommes politiques. Une vérification secondée
par le citoyen appelé à manier lui-même l’outil.
Un troisième chapitre venait amorcer une réponse à la problématique posée.
Sans vouloir être dichotomique, il semble que les candidats aient une part de
responsabilité dans l’échec de cette campagne numérique. J’ai donc choisi de
pointer ce qui fait défaut à cette campagne. Je me suis largement inspirée des
réponses des entretiens réalisés. Elles pointaient unanimement les failles des
57
candidats telles que le manque de connaissance des codes numériques,
l’absence d’un débat sur la Toile, la campagne d’affichage privilégiée au
dialogue avec les internautes. Au contraire, côté médias j’ai décelé une timide
victoire : quelques indicateur objectifs permettaient d’observer un regain de
confiance entre les journalistes et les citoyens, ou du moins une quête de
légitimité de la part des médias. Difficile d’estimer la satisfaction ou
l’insatisfaction des citoyens pour la couverture de cette campagne, alors j’ai
décidé de recourir à des chiffres de fréquentation et arguments de débat.
58
Bibliographie : Sites Internet : Site de TERRA NOVA http://www.tnova.fr/essai/moderniser-la-vie-politique-innovations-am-ricaines-le-ons-pour-la-france, consulté le 15/05/12, consulté le 15/05/12
Site de MARIANNE 2 http://www.marianne2.fr/Sur-le-web-Sarkozy-prepare-2012-en-copiant-Obama_a174441.html, consulté le 20/04/12, consulté le 20/04/12
Site du MONDE http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2008/06/16/internet-l-incontournable-outil-de-la-campagne-americaine_1058963_3222.html, consulté le 21/04/12
Site de EDITO http://www.edito-online.ch/archiv/edito0110/edito0110f/newsroomjetaimemoinonplus.html, consulté le 04/03/12
Site du MONDE http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2011/05/15/le-monde-lance-une-redaction-bi-media-pour-la-presidentielle_1522354_3236.html, consulté le 04/03/12
Site de RFI http://atelier.rfi.fr/profiles/blogs/presidentielle-2012, consulté le
04/03/12
Site du MONDE http://programmes.lemonde.fr/, consulté 14/04/12
Site du MONDE http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/04/23/simulez-le-report-de-voix-au-second-tour_1689349_1471069.html, consulté le 14/04/12
Site du MONDE http://www.lesinrocks.com/2011/10/23/medias/internet/avec-le-fact-checking-les-mensonges-des-politiques-demasques-117980, consulté le 11/04/12
Site du MONDE decodeurs.blog.lemonde.fr/2012/04/12/ivg-quand-marine-le-pen-noircit-le-tableau/, consulté le 16/04/12
Site de LIBERATION http://www.liberation.fr/societe/2012/04/17/marine-le-pen-et-livg-les-feministes-lui-disent-merci_812258, consulté le 16/04/12
59
Site de FRANCE TV http://www.francetv.fr/2012/maintenant-cest-lheure-de-vous-remerci-e-r-159889, consulté le 1/08/12
Blog d’Erwann Gaucher http://www.erwanngaucher.com/12042012France-Televisions-et-Facebook-organisent-le-debat-des-candidats-agrave-la-presidentielle.media?a=864, consulté le 20/04/12
Blog d’Erwann Gaucher http://www.erwanngaucher.com/16112011Bruno-Patino--Aujourd39hui--personne-n39informe-comme-cela-dans-le-monde.media?a=751, consulté 20/04/12
Blog d’Erwann Gaucher http://www.erwanngaucher.com/16112011Bruno-Patino--Aujourd39hui--personne-n39informe-comme-cela-dans-le-monde.media?a=751, consulté 20/04/12
Site du MONDE http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2012/08/07/les-francais-derriere-le-cliche_1742905_3208.html?fb_action_ids=3698678541413&fb_action_types=og.recommends&fb_source=aggregation&fb_aggregation_id=288381481237582, consulté le 09/04/12
Site de TELERAMA http://www.telerama.fr/medias/les-pure-players-ou-le-pari-de-la-presse-en-ligne,74902.php, consulté le 20/03/12
Site de OWNI http://owni.fr/2011/08/30/le-datajournalisme-notre-religion/, consulté le 14/04/12
Site du VIF http://www.levif.be/info/actualite/technologie/le-fact-checking-un-bouclier-contre-les-mensonges-des-politiques/article-4000047971084.htm, consulté le 27/04/12 Site de OWNI http://itele.owni.fr/#!/fiche/nombre-de-personnes-ayant-acquis-la-nationalite-francaise/, consulté le 14/04/12
Site du JOURNAL DU DIMANCHE http://www.lejdd.fr/Election-presidentielle-
2012/Actualite/Les-twitt-interview-de-Francois-Bayrou-une-image-de-modernite-
435025, consulté le 10/07/12
Site de OWNI http://owni.fr/2012/03/29/twitter-change-le-marketing-politique/,
consulté le 06/06/12
Site de OWNI http://owni.fr/2012/05/03/veritometre-debat-hollande-sarkozy/, consulté le 10/05/12
60
Site du JOURNAL DU DIMANCHE http://www.lejdd.fr/Medias/Television/Actualite/Laurence-Ferrari-revient-sur-le-debat-entre-Sarkozy-et-Hollande-interview-508117?from=cover, consulté le 12/05/12
Site du CONSEIL CONSTITIONNEL http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/election-presidentielle-2012/textes-applicables/code-electoral.104274.html, consulté le 12/05/12
Site de l’EXPANSION http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/resultats-avant-20h-black-out-des-sondeurs-et-fuites-sur-facebook_291952.html, consulté le 12/05/12
Site du POINT http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/emmanuel-berretta/sondage-les-medias-suisses-et-belges-menaces-de-poursuite-16-04-2012-1451956_52.php, consulté le 12/05/12
Site LE FIGARO http://elections.lefigaro.fr/flash-presidentielle/2012/04/23/97006-20120423FILWWW00419-enquetesur-la-diffusion-des-resultats.php, consulté le 10/05/12
Site du JOURNAL DU NET http://www.journaldunet.com/ebusiness/expert/51443/elections-presidentielles---les-medias-etrangers-et-les-utilisateurs-de-reseaux-sociaux-vont-ils-etre-condamnes.shtml, consulté le 12/05/12
Site de EUROPE 1 http://www.europe1.fr/Politique/Sarkozy-pas-choque-par-des-fuites-avant-20h-1044053/, consulté le 13/05/12
Site de LIBERATION http://www.liberation.fr/depeches/2012/04/21/premieres-estimations-l-interdit-tiendra-t-il-jusqu-a-20h00_813338, consulté le 21/04/12
Site du NOUVEL OBSERVATEUR http://tempsreel.nouvelobs.com/election-presidentielle-2012/20120413.OBS6093/et-si-la-presidentielle-etait-annulee-a-cause-de-twitter-et-facebook.html, consulté 18/05/12
Site des ECHOS http://archives.lesechos.fr/archives/2012/lesechos.fr/04/22/0202024491823.htm, consulté le 16/05/12
Site de LIBERATION http://www.liberation.fr/politiques/2012/04/22/nous-vous-avions-donne-rendez-vous-a-18h30_813475, consulté le 23/04/12
61
Site des ECHOS http://archives.lesechos.fr/archives/2012/lesechos.fr/04/22/0202024491823.htm, consulté le 14/05/12
Site du MONDE http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/01/twitter-gadget-electoral-ou-outil-de-democratie-numerique_1650057_3232.html#xtor=AL-32280258, consulté le 14/05/12
Blog d’Erwann Gaucher http://www.erwanngaucher.com/26022012Nicolas-Sarkozy-20.media?a=824, consulté le 18/04/12
Site de TELERAMA http://www.telerama.fr/medias/tweetez-pour-moi-ma-campagne-sur-le-net,78654.php, consulté le 05/07/12
Site du NOUVEL OBSERVATEUR http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-la-bataille-du-web/20120504.OBS4713/la-campagne-web-2012-n-a-pas-tenu-ses-promesses.html, consulté le 18/05/12
Site du FIGARO http://elections.lefigaro.fr/presidentielle-2012/2012/03/28/01039-20120328ARTFIG00576-le-web-astuce-des-politiques-pour-plus-de-temps-de-parole.php, consulté le 08/06/12
Site de OJD Numérique http://www.lesblogsmedias.fr/wp-content/uploads/2012/05/CP-OJD-SPECIAL-PRESIDENTIELLE-2012.pdf Site de OJD Numérique http://www.ojd-internet.com/article/actualites,elections-presidentielles-frequentation-exceptionnelle-des-sites-internet-d-information, consulté le 03/07/12
Site de NEWSRING http://www.newsring.fr/medias-tech/276-le-fact-checking-peut-il-restaurer-la-credibilite-des-medias, consulté le 22/05/1 Conférence : Conférence sur le rôle du fact-checking dans le débat de l’entre-deux tours, la Lunette à Bruxelles, le 8 mai à 19 H, Sylvain Lapoix, Damien Van Achter, etc.
Vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=h4t5YsljYAY, consultée le 23/05/12
Email : Expéditeur : campagne@francoishollande.fr, obj : ACTION J-10 :
Mobilisation générale : François Hollande est l'invité de Des Paroles et Des
Actes à partir de 20h35 !, le 26/04/12, Vincent Feltesse
62
63
Dimanche 8 avril 2012, via Skype
Antonin Sabot est journaliste au Monde.fr depuis 2009. Dans le cadre de cette
année présidentielle, il a quitté Paris pour Mézères en Auvergne afin de
travailler sur le projet « Une année en France ».
De quels dispositifs s’est doté Le Monde pour la couverture de cette
campagne présidentielle ? Quelles innovations numériques ont été mises
en place ?
La rumeur affirmant que la campagne présidentielle française allait peut-être se
jouer sur Internet ou du moins en temps réel s’est répandue très rapidement. Le
Monde s’est donc mis en ordre de bataille dès juin 2011. Les services politiques
des supports papier et web, auparavant distincts, ont été fusionnés pour créer
une newsroom bi-média regroupant des journalistes web et papier. La
newsroom était divisée en différentes sections pour une couverture optimale de
la campagne présidentielle. Un desk, principalement occupé par les anciens du
web, devait traiter rapidement le tout venant et les dépêches. Parmi eux, s’est
créé un dispositif particulier de live permanent politique : les journalistes
commentent l’actualité politique en temps réel et doivent gérer l’interaction avec
les internautes susceptibles de les interpeller et les interroger à tout moment.
Les « rubricarts » fonctionnaient comme dans une rédaction papier, ils
assuraient chacun le suivi d’un parti politique… Une équipe s’occupait du
décryptage, du fact-checking qui consistait à traiter le journalisme de données,
la vérification des discours politiques... Quelques applications étaient proposées
aux lecteurs pour les aider à comprendre la campagne : le comparateur de
programmes pour les dix candidats, l’explorateur de discours, le comparateur de
sondages. Le Monde.fr proposait encore un quizz par thématique pour voir quel
candidat proposait les idées les plus proches de vos réponses. Nous voulions
aussi montrer une autre vision de la campagne présidentielle, une vision à
hauteur d’hommes. Nous avons pris le pouls des Français dans huit villes de
France pour connaître leurs modes de vie et la façon dont ils avaient vécu cette
élection. J’ai pris part au projet « une année en France » avec sept autres
journalistes en gérant un blog sur le village de Mézères appelé « la récolte
d’après » pour une période d’un an.
64
Comment a germé le projet « une année en France » qui vous occupe en
ce moment ? Qui est à l’initiative du projet et en quoi consiste-t-il ? Le projet de reportage d’immersion qui m’occupe aujourd’hui a germé à l’été
2010. Il n’a pas été conçu en prévision de cette échéance présidentielle de
prime abord mais pour occuper la période estivale. Chaque été, les journalistes
présents dans les rédactions web et papier du Monde doivent trouver des idées
pour égayer une période pauvre en actualité avec des séries d’été et des sujets
légers. Pour l’été de 2010, l’idée était de mobiliser des journalistes pour des
blogs de reportage axés sur la thématique de la frontière. Quand il y a eu cet
appel d’offre, j’ai proposé de passer trois semaines en été dans un village à la
campagne pour parler des agriculteurs et de la vie du village. Après quelques
péripéties, mon idée a été acceptée à la condition de la lier à la thématique de
la frontière sélectionnée cette année-là pour les blogs. Une autre journaliste
souhaitait s’installer à la Courneuve, en banlieue parisienne. Notre idée
commune était de parler d’un quotidien dont on ne parle pas d’habitude et qui
subit des clichés. Nous avons donc créé la frontière ville/campagne. J’ai passé
tout l’été dans le village de Mézères en Auvergne et j’y suis retourné en hiver
pour continuer mon travail de reporter local. Puis, mon CDI s’est terminé et j’ai
quitté un temps Le Monde. Pendant mon absence on a proposé l’idée de
prolonger le projet et de l’élargir. Le directeur adjoint des rédactions en charge
du rapprochement des rédactions web et papier récemment nommé, Serge
Michel, était attiré par les blogs de proximité. Des conjonctions ont fait que le
projet « Une année en France » était mûr. Deux blogs locaux existaient déjà,
Serge Michel croyait en cette initiative de blog local et Boris Razon, rédacteur
en chef du Monde.fr cherchait une manière de traiter la campagne de manière
inhabituelle. Le Monde allait poser ses valises pendant un an dans huit villes et
villages. Après deux saisons à Mézères, l’aventure a recommencé pour moi dès
la fin juin et se prolongera jusqu’aux législatives.
Comment les contenus des blogs ont-ils été intégrés dans la rédaction bi-
média rassemblant le web et le papier ? Combien de personnes ont été
mobilisées pour le projet « une année en France »?
Le projet a mobilisé huit journalistes, deux photographes permanents et trois
photographes qui ont été recrutés pour le dernier mois de la campagne et
jusqu’aux législatives. Le projet d’« Une année en France » a créé une véritable
65
dynamique de travail entre les journalistes web et papier. Le contenu
rédactionnel des blogs allait être transposé, ajusté, compilé pour figurer aussi
dans le journal papier. Cela a contribué à apporter de la crédibilité aux sujets
locaux et au support Internet. On est entré dans un processus de création
différent et la liberté d’écriture sur le blog a pu transparaître sur le papier. Le fait
que certaines plumes du journal soient des auteurs de billets de blogs a permis
de s’ouvrir à des articles qui, habituellement, n’ont pas leur place dans le
journal. De fait, ils en sont venus à faire la même chose pour les articles rédigés
par des journalistes web qui leur étaient inconnus. Les articles de blogs sont
apparus sur le papier dans différentes formes. Certains étaient publiés in
extenso. Je suis parvenu à faire passer un article sous forme de dialogue sur la
reconversion professionnelle, démontrant qu’il était possible de se passer de
chiffres. Les auteurs des blogs ont aussi fait remonter des thématiques à traiter
dans le journal sous la forme d’une longue enquête par exemple. Lorsque l’on
observait les mêmes phénomènes depuis nos huit points de mire en France, on
rédigeait des articles généraux. Chacun de nous a rédigé un article sur la police
municipale par exemple pour réaliser au final une grande enquête. Il y avait
enfin des articles de commande où le journal était demandeur de nos
observations de terrain. Cela permettait d’éclairer une situation nationale perçue
même à Paris avec nos observations de terrain, comme le chômage ou la
sécheresse.
Quel intérêt les habitants de Mézères manifestent-ils pour la campagne
présidentielle ?
Il y a eu une bascule au mois de mars, les habitants de Mézères ont commencé
à parler de la campagne présidentielle. D'abord en s'interrogeant si Nicolas
Sarkozy allait encore rester à la présidence. Il faut savoir que les gens parlent
d’abord de leurs problèmes quotidiens et quelques-uns font le lien avec la
politique, mais ce n'est pas leur premier réflexe. Beaucoup parlent du système
ou de l’Etat responsable de leur situation. L’étape suivante, c’est de parler
politique. Quand on les interroge en revanche, c’est différent car ils s’expriment
plus mais avant cela il faut gagner leur confiance, nous ne voulions pas être
intrusifs. Ce sont plutôt les thèmes qui intéressent en premier lieu. Les gens
vont parler du chômage, du pouvoir d’achat, de sécurité. Ce n’est pas tant les
candidats qui les intéressent que les thématiques. L’objectif premier du blog est
que les gens nous parlent de leur quotidien, même si la finalité est d’éclairer la
66
facette politique, mais pas forcément de manière politicienne avec des partis
derrière. Je parle avec des personnes que je connais déjà, que le lecteur
connaît peut-être à travers d’autres articles, dans un contexte différent. Il faut
d’abord s’ancrer dans le local, discuter des intérêts personnels et ensuite
extrapoler avec la politique.
Jouer la carte du journalisme local sur des blogs pour un quotidien
national est une entreprise risquée. Est-ce que l’audience a suivi ce choix
éditorial ?
L’audience varie beaucoup d'un blog à l'autre, d'une journée à l'autre. Elle
dépend beaucoup de l'exposition en Une du site. Si le papier n’est pas en Une
du site, les audiences sont faibles. Le site du Monde.fr se structure de la façon
suivante : il y a le gros titre, quatre ou cinq titres intermédiaires et, une dizaine
de petits titres dans la Une du Monde. Quand on était dans cette dizaine de
titres on atteignait souvent de 6 000 à 8 000 vues. Quand un sujet est assez
intéressant pour être dans la zone titre, on atteint facilement 20 000 vues. Les
sujets les plus attractifs pouvaient atteindre les 40 000, 60 000 vues. Les sujets
qui attirent le plus de visiteurs sont : le RER, l’agriculture, le quotidien d’une
famille nombreuse. La Une du Monde est une véritable machine, un rouleau-
compresseur.
De votre point de vue, la campagne présidentielle va-t-elle se jouer sur le
web ?
Avant que la campagne ne commence, beaucoup de personnes influentes
disaient que le web allait tirer son épingle du jeu grâce aux petites phrases, aux
dérapages, aux vidéos qui ne pouvaient pas passer à la télévision. En pleine
campagne, cet aspect a été relativisé car nous n’avons pas assisté à de
véritables révélations qui ont chamboulé la donne. Selon moi, la couverture en
continu des télévisions a joué un rôle bien plus important car le moindre
déplacement des candidats a été filmé par les chaînes de télévision en continu.
Ces chaînes influencent l’action directe, les politiciens font beaucoup plus
attention à ce qu’ils font à l’antenne car la moindre gaffe est passée au crible.
Twitter aide aussi à détecter les faux pas en temps réel, on a vu beaucoup de
« off » être propulsés dans la minute sur Twitter. Par contre, on remarque
clairement que les politiques ne twittent pas, du moins ils délèguent cette
67
fonction à leurs communicants. J’ai une anecdote édifiante à ce sujet. Les
journalistes d’ « une année en France » ont été invités sur le plateau de la
Matinale de Canal + et Ségolène Royal suivait notre chronique. En sortant, nous
croisons sa chargée de communication qui l’interpelle en lui demandant quelle
était sa pensée du jour pour que quelqu’un du bureau de la permanence le
tweete. C’est un effet de mode pour les politiciens et nous savons pertinemment
qu’en adressant un message à Ségolène Royal sur Tweeter, elle ne nous
répondra jamais alors que Tweeter sert beaucoup à la conversation. Aux yeux
des journalistes parisiens branchés 24 heures sur 24, la campagne doit sembler
importante sur Internet mais cela concerne peu de monde. Les gens visionnent
principalement le journal télévisé pour écouter les propositions des candidats.
68
Marc Pédeau, gestionnaire de communautés pour « La campagne à vélo »,
assure la visibilité, l’interaction, le débat sur les réseaux sociaux.
Comment a germé le projet « Une campagne à vélo » ? Qui est à l’initiative
du projet et en quoi est-ce qu’il consiste ? Alexis Monchovet et Raphaël Krafft, qui allaient devenir les journalistes-cyclistes
de cette campagne à vélo se sont d’abord rencontrés au Moyen-Orient. Tous
deux avaient des parcours atypiques, Alexis avait obtenu en 2008 un prix
Albert-Londres pour un documentaire sur Gaza. Raphaël a quant à lui déjà fait
le tour de France pour les élections présidentielles à deux reprises, en 2002 et
2007. Au lieu de le rendre compte de ce tour sur les ondes France Culture, les
deux acolytes ont décidé de le faire sur le web avec la boîte de production
PlayProd. Les partenaires étaient multiples, France TV info, France Bleu,
France Télévisions, Radio France et Rue 89 ont pris part à ce
webdocumentaire. Cette aventure allait durer trois mois, du 6 février au 6 mai,
jusqu’à ce que l’on découvre le visage du nouveau Président.
Pourquoi avoir choisi le vélo comme moyen de transport et non pas la
voiture ? Est-ce pour gagner un peu de la notoriété du Tour de France
sportif ? Nous avons constaté sur le terrain que le vélo est un moyen de rencontre qui
attire la sympathie des habitants. C’est un moyen de locomotion qui interpelle,
donne envie aux gens de discuter. Et puis, les habitants sont intrigués par les
énormes sacoches avec le matériel transporté. A l’inverse, quand on est en
voiture, cela instaure une barrière qui empêche de se faire alpaguer. En vélo, on
est attentif à tout ce qui se passe autour de soi, on peut s’arrêter à tout moment.
Les journalistes n’avaient pas d’impératifs de temps, étaient accessibles aux
gens, ce qui a favorisé les rencontres fortuites. La spontanéité était un
ingrédient important pour cette « campagne à vélo ». D’ailleurs, le plan que
nous avions établi au préalable avec des étapes a été chamboulé, et nous
avons été ravis que cela change en cours de route. Cela évitait les contraintes
et nous avions confiance en l’instinct de nos journalistes. En fin de compte, « La
campagne à vélo » c’est une somme de portraits au hasard des rencontres. Ces
témoignages accumulés ont constitué une sorte de panel représentatif par pur
hasard, mais pas dans le sens où l’entendent les instituts de sondage. Nos
69
reporters à vélo ont par exemple pu rencontrer des rastafaris, un
conspirationniste…
Quel a été votre rôle au sein de ce projet ? On a fait appel à moi en tant que community manager pour la partie web qui
était très importante puisque l’on présente « la campagne à vélo » comme un
road-movie 100% réseaux sociaux. Quand on m’a proposé ce projet, je me suis
d’emblée dit que ça allait être passionnant. Mon travail a consisté à gérer les
communautés d’internautes, à organiser notre présence sur le web. Il fallait
gérer les différentes plateformes, faire des passerelles entre elles, utiliser toutes
les potentialités du web. Notre présence s’organisait sur Facebook, Twitter,
Dailymotion, Instangramme, France TV Info et Rue 89 où l’on renvoyait vers les
billets et vidéos. La mission la plus importante était de susciter l’interactivité, le
débat, de répondre aux questions concernant à la fois l’aventure humaine et la
campagne présidentielle. Pour engager le débat, amener les internautes sur des
thématiques, je cherchais des articles d’analyse chez les médias partenaires
pour extrapoler sur des situations locales vécues par nos reporters à vélo. Dès
qu’il y avait un post sur Facebook concernant une vidéo ; j’essayais de réagir,
d’entretenir le débat en postant des constats locaux renvoyaient ou avaient des
répercussions à l’échelle nationale. La première difficulté à laquelle je me suis
heurté a été que nos premiers fans et followers étaient des inconditionnels du
vélo, davantage intéressés par l’aventure humaine que par l’enjeu présidentiel.
Je postais des articles en commentaire mais ça n’ouvrait pas au débat. A force
de persévérance, en continuant à poster des articles d’analyse pour aller plus
loin sur des thématiques, nos fans de vélos se sont pris au jeu de la politique et
réclamaient même parfois des liens hypertexte, des clarifications. Ils nous ont à
plusieurs reprises remercié de les avoir fait découvrir la campagne autrement.
Le ton léger adopté a permis aussi une familiarité, une proximité. Nous
souhaitions réellement nous émanciper des grands médias institutionnels et de
leur façon de traiter la campagne présidentielle.
Quel est l’intérêt d’avoir un prisme aussi local de la
campagne présidentielle?
Nous avons apporté du concret à cette campagne. Pour vous illustrer l’intérêt
d’un prisme local par un exemple concret, on a pu percevoir le revirement de
70
l’électorat du Front National vers l’extrême-gauche et les motivations de cette
frange électorale. Dans le Nord de la France, des personnes nous disaient :
« j’ai voté Le Pen en 2002, en 2007 et cette année, je vais voter Mélenchon ».
Cela fait ressortir cette réalité ouvrière du Nord de la France ancrée dans le
communisme pendant très longtemps. Ces personnes ont été séduites par le
vote extrême-droite et ont vu cette année une autre alternative avec Mélenchon.
Cette approche locale a amené du concret, du vécu, des témoignages qui
éclairent des questions générales que tout le monde se pose. Mon travail en
tant que Community Manager était de faire ressortir une situation locale. Tous
les jours, il y avait une thématique ressortant d’une situation vécue localement.
Je tentais d’extrapoler un peu en me disant que cette commune-ci du Nord de la
France pour qui le score du FN était assez élevé en 2007 risque de répercuter
ses votes sur le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon. J’avais trouvé le bon
article d’analyse montrant que Le Pen et Mélenchon draguaient tous deux le
vote populiste.
Y a-t-il eu des préoccupations, des avis prégnants qui se sont manifestés
lors de ce tour à vélo et dont on n’a pas beaucoup entendu parler dans les
médias ? Beaucoup de personnes se sont indignées que l’environnement soit la grande
thématique absente de cette campagne présidentielle. Les habitants de la
commune de Bure dans la Meuse se disaient par exemple, très préoccupés par
le projet d’un site d’enfouissement de déchets nucléaires. Une maison de la
résistance à la poubelle nucléaire y a été créée. Même son de cloche chez les
personnes à proximité des centrales nucléaires ou encore en Bretagne où les
algues vertes pullulent à côté des éoliennes.
Quelle différence y a-t-il entre cette campagne et celle de 2007 ? Je pense que pour cette campagne on a voulu sortir du schéma de 2007 très
basé sur la personne politique. La personne de Nicolas Sarkozy a aussi amené
cela, il a beaucoup usé du storytelling et les journalistes s’y sont conformés. Le
couple Hollande-Royal atypique mis en avant. La personnalité des candidats a
joué. Mélenchon cette année on l’a vu dans Paris Match. La politique rénovée
par Nicolas Sarkozy fait qu’aujourd’hui les gens attendaient plus de pudeur dans
la vie politique. Durant la campagne à vélo, des gens nous ont interpellés en
disant : « moi, j’aurai voté Strauss-Khan. Je me fiche de ce qu’il fait à côté. Bon
71
je vais voter Hollande mais un peu par défaut. » C’est relativement nouveau, il
me semble que cette campagne s’est faite sur les idées.
Quels sont les dispositifs numériques dont s'est doté France Télévisions
pour couvrir la campagne ?
France Télévisions a voulu multiplier les portes d’entrée à cette campagne à
travers divers angles, prismes.... Tout ceci dans un souci de complémentarité.
Pour le site France TV info amorcé en octobre, en pleine primaire socialiste, la
campagne présidentielle a été une rampe de lancement et un moteur. Ce site
généraliste à l’architecture innovante a lancé un outil phare : un widget avec la
carte de la France. Ce widget permet de cerner l’importance de l’échelle locale,
la diversité et les problématiques du territoire. Les gens étaient curieux de
savoir comment on votait chez eux, dans leur département, région, commune…
Et puis, il était possible de l’importer sur n’importe quel site ou blog. Elections
2012 a été un site dédié uniquement à la campagne et aux législatives et voué à
disparaître de la Toile ensuite. France Télévisions a mis en avant le côté
participatif, en incluant vraiment les citoyens. Quels sont les liens que France Télévisions a tissé entre la télévision et le
web ?
France Télévisions a intégré la complémentarité de ces deux médias en
proposant dans le cadre de ses émissions de ne plus être passif devant la
télévision. Les messages, twitts et questions pouvaient apparaître à l’écran. On
a vu aussi cette tentative de télévision connectée avec une émission spéciale
de Mots Croisés avec Facebook où les internautes pouvaient poster leurs
questions aux invités politiques qui débattaient. Puis, beaucoup de citoyens,
notamment les jeunes avaient un regard sur deux écrans, celui de leur
télévision et celui de leur ordinateur. Débattre sur les réseaux sociaux d’une
émission en train de se dérouler, cela a été également la nouveauté de cette
campagne.
72
16 février 2012, interview de Damien van Achter
Moi qui suis une de vos followers sur Twitter, j'ai trouvé votre petite
biographie originale. Comment avez-vous résumé votre vie en 140
caractères?
Développeur éditorial chez OWNI, 22 mars, professeur invité à l’IHECS, young
advisor Commission Européenne, digital agenda, ex-Belga, ex-RTBF, papa 3
fois.
Vous avez travaillé pour la RTBF et Belga avant de vous lancer chez Owni.
Pourquoi avoir quitté les médias traditionnels pour les nouveaux médias?
Quelle a été la transition?
A mon sens, je n'ai pas quitté quoi que ce soit. Même si j'ai changé plusieurs
fois de métier, cela a toujours été dans une forme naturelle de transition vers de
nouvelles manières de faire mon métier. J'ai voulu me tester et voir jusqu'où je
pouvais aller dans ce métier. Mais, il faut croire que je ne suis pas fait pour
entrer dans des cases, je n'aime pas que l'on me colle des étiquettes. J'ai
toujours pris beaucoup de plaisir à innover, à tester, à expérimenter. Cela
suppose de prendre des grandes claques à un moment donné aussi, d'aller
dans le mur. C'est peut-être mon côté un peu anarchiste qui fait que je n'ai pas
tellement peur de bousculer l'ordre établi. Mais à un moment donné il faut en
vivre. J'ai donc essayé de trouver la meilleure manière de concilier ma passion
pour l'expérimentation, les nouvelles technologies et travailler avec des
structures qui ont des moyens pour pouvoir me donner la possibilité d'en vivre.
J'ai commencé par la radio, la télévision, puis le web ; et maintenant je fais tout
en même temps.
Vous êtes développeur éditorial chez Owni. En quoi consiste votre métier?
D'où vient le nom Owni et quelle est sa ligne éditoriale?
Développeur éditorial, c'est un mot valise que j'ai été contraint de porter, faute
de mieux pour qualifier mon métier. C'est une manière de dire qu'on est à la
frontière entre le développement informatique et la stratégie éditoriale. Un
média en ligne doit développer à un moment donné une stratégie éditoriale. On
a besoin d'outils informatiques, de codes pour réussir à la transcrire
73
visuellement, avec des fonctionnalités précises. Je ne suis pas développeur, je
ne suis pas éditorialiste, je suis entre les deux. Pour le moment, c'est le meilleur
mot valise que j'ai trouvé pour décrire ce que je faisais au quotidien. Je participe
à l'effort de guerre du financement du média. Je suis employé par 22 Mars qui
est la société mère, qui est celle qui finance le média Owni qui ne génère pas
de profit jusqu'à présent. Owni signifie Objet Web Non Identifié. Le nom de notre
média est à l’image des personnes qui composent cette soucoupe, et de notre
état d’esprit. Dans le paysage médiatique, nous sommes un ovni. Dans notre
formule, on ne traite pas avec les annonceurs, on cherche à avoir un site et des
articles esthétiques, on ne craint pas de proposer des dossiers et des articles
longs. On n'avait pas envie de se laisser enfermer dans des logiques qui ne
nous semblaient pas être porteuses de sens. Sur le plan du financement, en
revanche, c’est assez compliqué de financer un média qui ne gagne pas
d’argent. Tout ce qui est en périphérie du média a vocation à générer des
profits. Nous vendons des objets dérivés comme des e-books par exemple. Je
fais aussi de la stratégie éditoriale dans divers médias. Je savais pertinemment
que pour financer le mien, j'allais devoir former dans d'autres médias et
travailler pour d'autres entreprises qui ne sont pas médias mais qui voudraient
le devenir. On a fait du laboratoire.
A en croire l’un de vos billets parus, le data-journalisme est une religion
pour Owni. Qu'est-ce que le data-journalisme et quelles sont ses forces?
Le data-journalisme n'est pas fondamentalement neuf. C'est une technique
d'investigation remise au goût du jour grâce au numérique. Aller fouiller dans
des données, des listings, des fichiers remplis de chiffres qui, à première vue
sont imbuvables, n’est pas neuf. Tous les journalistes d'investigation ont
l'habitude d'aller dans des bibliothèques, dans les salles obscures pendant des
heures pour trouver le chiffre qui fait dire qu'à un moment donné, il y a eu un
dysfonctionnement dans un service public, dans une entreprise ou même dans
le système. Le data-journalisme tel qu'on le comprend à l'heure actuelle se fait
essentiellement dans de l'investigation dans des bases de données qui sont
rendues accessibles en ligne. Il y a un grand mouvement naturel de remise à
disposition des citoyens des données publiques de la part des institutions. Mais
c'est aussi le fait de considérer que le web est un terrain à part entière sur
lequel on peut trouver de l'information en scrapant des bases de données. Le
scraping, c'est le fait d'aspirer des pages entières pour analyser son contenu et
74
faire en sorte de récolter des données permettant de recouper des sources. A
l'autre bout de la chaîne du data-journalisme, il y a la visualisation des données.
Un fichier Excel n'est pas sexy à voir. Pour que le public s'intéresse à l'enquête,
il faut pouvoir montrer les données de manière interactive et avec une certaine
esthétique. Il est aussi important de donner la possibilité aux gens de changer
des variables. Par exemple dans une présentation, pouvoir voir des courbes qui
bougent, voir l’effet direct de son action sur la présentation. Le data-journalisme
chez Owni, c'est un accouplement de métiers pour en créer un nouveau. Les
journalistes qui côtoient des développeurs, des graphistes, des designers et qui
se créent un métier particulier. Le data-journalisme fonctionne bien parce qu'on
se rend compte que le public apprécie.
Pour vous donner un exemple, Owni a réalisé un data-journalisme sur les
migrants en Europe reconduits à la frontière de leur pays et décédés lors de leur
rapatriement. L’OCDE nous a permis d’élaborer une base de données de ces
décès. Nous avons transposé ces données sur une carte avec la possibilité de
choisir le pays, de choisir la date et surtout de voir la cause du décès.
L’expérience ouverte aux utilisateurs était de choisir le pays, d’avoir une ligne
du temps et de lire le résumé des circonstances dans lesquelles un migrant
avait trouvé la mort. Le data-journalisme est souvent à vocation pédagogique.
Ça vous étonne de savoir que selon une étude de la Croix, les français
font de plus en plus confiance aux médias en ligne et sont quasiment à
même hauteur que la presse écrite?
Ce n’est pas le support qui est important, c’est la dynamique. Le web est
sûrement un des supports qui recueille un indice de confiance plus élevé parce
que justement on est dans l’échange, dans la conversation. On n’est pas dans
des processus « top down » où il y a les savants et les ignorants. Le web a
tendance à mettre à plat les structures hiérarchiques traditionnelles. Les
journalistes capables de faire cette transition regagnent de la confiance auprès
des gens. Ça ne me surprend pas du tout que le web soit redevenu un support
de confiance, cela me réjouis plutôt d’ailleurs. Ce que l'on peut apprendre des
logiques conversationnelles sur le web, c'est qu'il n'y a jamais rien d'acquis.
C'est peut-être un des grands défauts des journalistes de la télévision
notamment, qui s'adressent à des caméras et non pas à des êtres humains
lorsqu’ils sont à l'antenne. On n'a plus conscience qu'on s'adresse à des gens
75
et, à contrario, en se mettant face au web on entre facilement en contact avec
eux. S'ils n'aiment pas ce qu'on raconte, ils nous le font sentir tout de suite.
C'est une forme d'humilité qu'il faut peut-être réapprendre de la part des
journalistes. Quand on assume ses erreurs, ses ignorances ça permet de jouir
de manière beaucoup plus décontractée de ses succès, et de les assumer eux
aussi pleinement pour ce qu'ils sont.
OWNI s’apprête à sortir son Véritomètre en partenariat avec i<TELE. En
quoi est-ce que ça consiste le fact-checking ?
Le fact-checking est un peu dans la même veine que le data-journalisme. C’est
utiliser les archives, les données pour confronter en temps réel les paroles d’un
homme politique à la réalité des faits et à l’antériorité de ses propres propos.
Techniquement parlant, c’est difficile à agencer, surtout d’accéder en temps réel
à des bases de données en fonction de ce qui vient d’être dit. Le fact-checking a
plus de chances de se mettre au rythme de croisière quand on sera dans une
durée un peu plus longue et qu’on sera dans une actualité plus froide que
l’élection qui se vit en temps réel. Fact-checker, ça fait partie des basics pour un
journaliste à part que l’on utilise aujourd’hui les outils du web pour être
collaboratif avec les audiences qui nous aident à contrôler, à fact-checker les
politiques. Le fact-checking a un bel avenir devant lui, à condition de le crowd-
sourcer avec les gens, le faire seul n’a aucun sens. Le crowd-sourcing avant
tout c’est faire confiance aux gens, avoir une attitude bienveillante par rapport
aux individus interconnectés qui, qu’on le veuille ou non quand on est
journaliste, critiquent notre travail. Quitte à être critiqué, autant être attentif à la
critique. Plutôt que de nier la critique négative, écoutons-la, elle peut enrichir
notre travail. Pour que les critiques soient constructives, le meilleur moyen est
d’impliquer les citoyens dans la recherche d’information.
Comment voyez-vous l’avenir du web journalisme, en terme d’objectif de
rentabilité, de nouveau modèle économique qui pour le moment a du mal à
émerger ?
La seule chose dont je suis profondément convaincu c’est que l’on a besoin de
journalistes. Le numérique n’a jamais rendu ce travail aussi facile que
maintenant dans le sens où l’on peut faire circuler l’information à la vitesse VV’,
où la parole est libre, où les systèmes s’ouvrent les uns après les autres. Si les
76
systèmes se ferment sur eux-mêmes, ils s’asphyxient et s’ils tendent de faire en
sorte que l’information ne circule pas, ces systèmes meurent. L’entropie de nos
systèmes, qu’ils soient économiques, politiques, sociaux vient du fait que l’on
cherche à ce que l’information ne circule pas. La nature même du réseau fait
que l’information circule et que tôt ou tard, il y a de la valeur ajoutée apportée à
la circulation de l’information. Cette valeur ajoutée a un prix à un moment
donné. Que ce soit via la publicité, les abonnements, le non-profit, la
philanthropie, on trouvera toujours les moyens de rémunérer des
professionnels. Ce qui veut dire qu’il y aura peut-être des morts. Quand on
regarde aux Etats-Unis, le cimetière des journaux et des journalistes laissés sur
le carreau l’année dernière, c’est considérable. Peut-être y aura-t-il la même
chose en Europe, je ne le souhaite pas. Mais je constate juste qu’il n’y a peut-
être pas la place pour tous les groupes médias, pour autant de journalistes.
Pourtant, plus que jamais on en a besoin. Il suffira de trouver des adéquations
entre les impératifs économiques et les impératifs démocratiques.
Est-ce que la campagne présidentielle française se fera sur le web?
Je pense que ce serait un leurre de penser que la campagne va se décider en
ligne. Par contre, les communicants des candidats ont déjà minutieusement
préparé le terrain. Nicolas Sarkozy débarque sur Twitter le jour où il annonce
sur TF1 qu'il est candidat, le lendemain son site de campagne est lancé, sa
timeline Facebook est ré-agencée avant qu'il ne se déclare candidat. L'agence
Emakina est derrière ces actions de communication et elle sait très bien ce
qu'elle fait en agissant de cette manière-là. J'ai la faiblesse de croire que le web
va avoir, dans les années à venir, un rôle de plus en plus important dans les
campagnes. Mais, à la limite on ne l'appellera même plus campagne parce
qu’elle va être permanente, et que les candidats ou élus vont être de plus en
plus présents en ligne, en dehors même des périodes électorales. Et ce, parce
qu'ils auront compris l'intérêt d'entretenir des conversations avec les gens en
dehors des périodes d'opportunisme crasse où on les voit arriver comme des
éléphants dans un couloir avec leurs équipes de communicants quinze jours
avant une élection. Puis le lendemain de l'élection, disparaître de la circulation
de la Toile. C'est ce qui se passe encore dans beaucoup de cas. Étant donné
que les médias commencent à être de plus en plus actifs et présents sur le web,
les candidats perçoivent ça aussi comme des opportunités supplémentaires de
briller, d'avoir de l'attention médiatique. Mais indéniablement, le fait qu'il y ait de
77
plus en plus d'internautes, que les gens soient de plus en plus quotidiennement
connectés en mobilité, risque de changer beaucoup de choses dans les années
à venir. Là où le web pourrait jouer un rôle conséquent dans la campagne
actuelle, c'est dans les dérapages, dans les saillies verbales des uns et des
autres, dans les cassages de figure, dans les petites phrases assassines que
l’on peut désormais dérober par image grâce aux GSM. On ne pourra plus
empêcher les gens de prendre des photos, des vidéos dans un meeting d'un
candidat qui fait une syncope, tombe ou injurie. Au vu de l'exposition médiatique
et de l'utilisation des nouvelles technologies à l'heure actuelle, les hommes
politiques doivent faire de plus en plus attention à leurs faits et gestes en public.
78
Le jeudi 19 avril 2012, via Skype
Doit-on définir votre site Erwanngaucher.com comme un pure player ou
comme un blog ? Vous êtes à la fois journaliste et consultant, quelle est
votre activité principale ?
Je suis le rédacteur d’un blog sans modèle économique et qui a une existence
propre. Vous pouvez y trouver des revues de web hebdomadaires, l’actualité
numérique des médias, des billets d’humeur et des reportages. Depuis juin
2011, je suis consultant à quasi temps plein chez France Télévisions. J’ai mis
en place le plan de formation numérique du groupe. Il a pour but de former les
journalistes dans toutes les antennes régionales de France Télévision, en
Outre-Mer et dans certaines rédactions nationales aux pratiques du journalisme
numérique. Je les ai également accompagnés sur la mise en place et le
développement du site consacré à la présidentielle et aux législatives. Il a été
mis en ligne en septembre 2011. C’est le site de toute l'actualité électorale
2011-2012 : les primaires socialistes, la présidentielle et les législatives. J'ai
accompagné l'équipe en travaillant à la fois sur la mise en place et l'évolution du
site et de ses fonctionnalités, la ligne éditoriale et le développement des
réseaux. Nous avons ainsi eu le plaisir d'avoir le fil Twitter consacré à la
présidentielle le plus suivi en France. Je les ai assisté également pour quelques
émissions dont la spéciale de « Mots croisés » du lundi 16 avril qui était la
première émission de télévision en Europe à se tenir en partenariat avec
Facebook.
Quel regard portez-vous sur les moyens déployés par les rédactions web
pour décrypter la campagne ?
Beaucoup de moyens ont été alloués aux rédactions web pour travailler et
essayer d’inventer de nouveaux formats pour cette campagne. Nous avons
assisté à la confirmation de l’explosion du format live dans l’information web qui
s’est aussi bien appliqué à la présidentielle, qu’aux autres informations. On a pu
observer la mise en place, dans quasiment tous les médias en ligne,
d’opérations de fact-checking très intéressantes. C’est aussi la première
présidentielle où l’on voit émerger la tyrannie de la cohérence, théorisée
intelligemment par Thomas Legrand dans un édito sur France Inter et sur
Slate.fr. Aujourd’hui, un candidat à la présidentielle se doit d’être extrêmement
79
cohérent parce que la mémoire collective d’Internet permettra de retrouver
toutes ses prises de parole et de déceler toutes ses contradictions. La réactivité
est très importante. Elle l’était déjà de par les utilisateurs du web, mais elle a
pris de l’ampleur au vu du renforcement des rédactions web et de la rapidité de
la recherche. C’est sans doute une des influences du journalisme web les moins
visibles de prime abord mais aussi l’une des plus profondes pour le traitement
d’une élection présidentielle.
Vous avez écrit sur votre blog que le fact-checking pouvait redonner ses
lettres de noblesse au journalisme en ligne. Comment définissez-vous le
fact-checking et dans quelle mesure le web peut-il en tirer parti ?
Le concept de fact-checking est une tradition du journalisme anglo-saxon. C’est
la vérification systématique des faits et surtout des propos que tiennent les
hommes politiques, chose que les journalistes français négligeaient
contrairement à leurs confrères d’outre-Atlantique. A partir du moment où une
personnalité politique lance un chiffre ou une affirmation, ils sont vérifiés et
recoupés. Le fact-checking existe depuis assez longtemps aux Etats-Unis. En
France, Le Monde.fr le fait depuis 2008, Libération.fr le fait dans « Libé
Désintox » depuis 2009 ; ce n’est donc pas totalement récent. Mais évidemment
en période électorale, c’est d’autant plus lu et le web permet d’avoir une
temporalité beaucoup plus rapide entre le moment de l’affirmation et celui de la
vérification. Les personnalités politiques, pour certaines, en sont tout à fait
conscientes lorsqu’elles disent une contre-vérité ou lorsqu’elles citent un chiffre
qui est faux et qui les arrange. Jusqu’ici le système était fait de sorte que :
quand vous dites dans une émission politique à 21 heures 30 que le coût du
travail est deux fois plus important en France qu’en Allemagne, vous êtes
écouté par trois millions de personnes ; et vous serez peut-être contredits le
lendemain dans un journal comme Libération par exemple, vendu environ à 120
000 exemplaires. Le gain entre le fait de citer sciemment une fausse donnée
entendue par des millions de personnes et la contradiction révélée en différé qui
sera lue et intégrée par beaucoup moins de personnes est évident. En revanche
avec le web, je pense réellement qu’il y a quelque chose à jouer pour les
médias parce que la contradiction peut arriver dans la même journée que
l’énonciation de l’erreur. Elle peut être énormément et très rapidement reprise et
elle aura donc beaucoup de poids, au moins davantage que dans un quotidien.
80
Le fact-checking est-il conciliable avec la télévision et les conditions de
l’antenne ? Pourrait-on imaginer un journaliste muni d’une oreillette dans
laquelle on lui détecterait l’erreur d’un invité et une rectification immédiate
?
C’est une chose sur laquelle je me suis penché. J’étais de prime abord
convaincu qu’il n’était pas particulièrement compliqué de mettre du fact-
checking en place à la télévision. Mais c’est beaucoup plus compliqué qu’il n’y
paraît à mettre en œuvre. En effet, on se dit qu’il suffirait d’avoir une équipe de
journalistes aguerris, capables de recouper très rapidement une information sur
le web. Ce qui n’est pas forcément évident, parce qu’il y a des données difficiles
à obtenir. Les données du chômage sont symptomatiques de cela parce qu’il
existe beaucoup de chiffres comparatifs, il faut connaître les catégories de
chômeurs par exemple. La grande complication est qu’il ne suffit pas d’avoir une
oreillette pour leur donner les informations parce que quand les personnalités
politiques font une contre-vérité, ils ne font pas, à quelques exceptions près, de
grosses erreurs. Ils orientent, ils manipulent les chiffres en leur faveur. Il faut
donc pouvoir argumenter. Or, il est totalement impossible de mener une
interview tout en écoutant les explications parvenues dans les oreillettes. Si le
journaliste devait juste trancher entre vrai ou faux, ce serait possible mais
souvent on n’est pas dans ce cas de figure. Il faudrait qu’il y ait la possibilité que
des journalistes interrompent le cours de l’émission, interviennent en plateau et
reviennent en profondeur sur un point. Ce n’est pas impossible mais ce n’est
surtout pas l’habitude de la télévision, qui a des moyens de production lourds.
Pour autant, je pense que c’est faisable et c’est une direction dans laquelle il
faut absolument travailler. Concrètement, il faudrait trouver une autre formule
sur laquelle nous sommes quelques uns à réfléchir actuellement.
Est-ce que les pure players sont parvenus à se faire une place importante
dans la campagne présidentielle ?
J’ai été un peu déçu. Je pensais qu’ils seraient plus à la pointe, qu’ils se
démarqueraient plus des médias traditionnels. C’est évidemment plus difficile de
se démarquer quand la concurrence s’organise, met beaucoup de moyens et
tire des leçons de ce que les pure players faisaient avant la présidentielle. Le
paysage des pure players a aussi bougé avant la présidentielle. Je pense
évidemment au rachat de Rue 89 par le Nouvel Obs, au lancement du Huffigton
81
Post... Pour la plupart des pure players c’est la première campagne
présidentielle qu’ils traitaient, mis à part Rue 89. C’est un contexte et une façon
de travailler particulière, cela a sans doute pu relativiser l’innovation qu’ils
pouvaient proposer dans cette campagne. Il y a eu tout de même de beaux
exemples, je suis assez enthousiasmé par l’expérimentation d’Europe 1 avec le
LaB, un pure player qui m’a séduit pendant la campagne. Ils ont fait de la
curation108, et puis ils ont cette habitude d’aller rechercher dans les archives du
web, d’aller comparer. C’est la première présidentielle pour laquelle on met
autant de moyens pour la couverture sur le web en tous cas.
Pensez-vous que le web a aidé les citoyens à davantage s’impliquer dans
la campagne ? Soit en termes de militantisme ou d’intéressement à l’enjeu
présidentiel ?
Globalement, oui. Il y a eu un fort investissement de la part des équipes
militantes des partis sur le web. Leur efficacité est totalement approuvée
aujourd’hui parce que ça n’a été que le déplacement sur un nouveau terrain de
l’opposition habituelle des équipes et des supporters de chacun des candidats.
Il y a trente ans, les équipes de campagne se battaient lors de la distribution de
tracts, du collage d’affiches et à la sortie des meetings. Maintenant, ils se
chambrent sur le web. Je ne pense pas que qui que ce soit ait changé d’avis ou
d’intention de vote en fonction de ce que les équipes de campagne ont fait sur
le web. Par contre, c’est un très bon outil de mobilisation des militants et
partisans, pour faire passer un message dans la journée partout en France.
Quand Nicolas Sarkozy dévoile son affiche de campagne, une heure après les
jeunes socialistes ont mis en place un site qui permet de caricaturer cette image
à volonté. On a une réactivité beaucoup plus importante de la part des
supporters. Il me semble que leur action a une influence très marginale sur les
intentions de vote des internautes. En revanche, ce que beaucoup de médias
traditionnels et hommes politiques n’ont pas pris en compte, c’est que les gens
se sont beaucoup saisis du débat en en parlant, sur les réseaux notamment. Il
n’y a qu’à observer les bons scores des vidéos des meetings retransmis en
direct sur Dailymotion ou le nombre de conversations sur les réseaux qu’ont
provoquées les émissions politiques de télévision, comme Des paroles et des
actes ou Mots croisés. Lorsque je vois qu’une émission comme Mots croisés en
82
partenariat avec Facebook qui n’a pas pu convier les grands candidats sur le
plateau, suscite 8 000 réactions sur la page Facebook dans la soirée, entre 22h
et 00h30, je me dis que visiblement les citoyens débattent et c’est très
encourageant. Le web et les réseaux ont redonné une nouvelle vitalité à la
discussion politique dans cette présidentielle. Les réseaux sociaux sont des
lieux de conversation simples qui correspondent aux usages des gens.
Selon vous, cette campagne va-t-elle se jouer sur le web ?
Nombre de confrères disaient que l’impulsion de vote se ferait en fonction de ce
que les partis politiques allaient faire sur Internet. Ils reviennent petit à petit sur
leurs déclarations car nous n’avons pas vu de gros candidats s’exposer sur le
web. Prenons les trois candidats qui ont le plus de chances d’être au second
tour : Nicolas Sarkozy, François Hollande et Marine Le Pen ne connaissent pas
les codes du web et ne savent pas comment se comporter face à ce média. Par
contre, ils connaissent par cœur les codes des médias traditionnels et restent
sur du rapport investissement/rentabilité. Il vaut mieux se rendre dans les
médias où l’on est à l’aise et où l’on touche encore la masse de la population
plutôt que de se mettre en danger dans un média que l’on connaît peu.
Cependant, il y a eu un fort investissement des partis sur le web : les budgets
de l’UMP et du PS tournent autour de 2 millions d’euros chacun cette année.
Mais cela reste de l’affichage. La page Facebook de Nicolas Sarkozy est une
belle vitrine bien lisse mais ce n’est pas une page sur laquelle on peut interagir.
Par rapport à la campagne de 2007 il y a beaucoup moins d’amateurisme ; les
équipes sont plus performantes, elles savent être sur tous les réseaux. On a dit
que ce que les candidats feraient sur Internet et sur les réseaux ferait basculer
une part des intentions de votes. Mais c’était une erreur. Cela provient de la
comparaison avec la campagne présidentielle de Barack Obama en 2008 qui
est pour moi un péché originel. On s’est dit, cette fois-ci, en France, on va avoir
la même campagne qu’Obama, il va se passer la même chose sur la Toile…
Sauf qu’il y a eu un oubli de taille, outre qu’Obama et ses équipes ont une
culture numérique plus développée que nos hommes politiques : Les candidats
américains ont besoin d’argent pour financer leurs campagnes, ce qui n’est pas
le cas en France. Pour récolter de l’argent vous êtes beaucoup plus inventifs et
vous investissez tous les terrains possibles. C’est moins la préoccupation de
nos politiciens qui ne passent pas par ce prisme de financement. En France,
nous avons eu une belle campagne d’affichage. Le pressentiment que j’avais en
83
écrivant un billet à ce sujet en septembre 2011 dans mon blog s’est confirmé. Il
ne s’est rien passé sur le web qui ait fait basculer une part significative des
intentions de vote.
Quels sont les ingrédients qui ont manqués ?
Il a manqué la présence des candidats sur la Toile. On n’a pas vu de format
spécifique sur le web avec les gros candidats. Nous n’avons pas pu assister à
des lives avec les candidats comme invités pour répondre aux questions des
internautes en direct. Enfin, le thème du numérique n’a quasiment pas été
abordé pendant la campagne. Ce thème, pourtant fondamental aujourd’hui
puisque l’économie numérique en France commence à peser réellement, n’a
pas été abordé mis à part un peu sous le prisme d’Hadopi.
Un agrégat de médias a proposé un débat rassemblant les dix candidats
sur le web, trois jours avant le premier tour. Quelle aurait été la plus-value
d’un tel débat? Qu’est-ce qui pourrait faire la différence par rapport à un
débat télévisé ?
La plus value aurait été l’interaction avec les internautes, le fait que les gens
puissent interroger et interpeler directement les candidats. Ce qui n’est pas le
cas à la télévision, ou en tous cas n’était pas le cas avant l’émission « Mots
croisés ». Nous avons pu poser dix questions d’internautes et donner leurs
commentaires, mais c’est une exception. Le web n’est pas concerné par la loi
d’égalité du temps de parole. Il serait donc très intéressant de passer par le
web, qui n’est pas assujetti aux lois du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et a la
possibilité simple de permettre l’interaction avec les internautes. On aurait été
sur un format beaucoup plus libre. Qu’un internaute puisse intervenir en quasi
direct via Twitter pour poser une question à laquelle un journaliste n’a pas
pensé, ce serait un apport. Les interpellations des internautes passent sur
Twitter, puis elles sont filtrées par un journaliste qui anime et sélectionne les
tweets. C’est précisément ce dispositif que proposent le Lab, Dailymotion, le
Nouvel Obs pour ce débat à dix candidats. Cette mise en relation aussi proche
n’a jamais pu être réalisée, même lors d’émissions comme « Parole de
candidat » sur TF1 où le dispositif est très scénarisé avec un casting de
personnes représentatives.
84
Que pensez-vous de l’embargo imposé aux médias français qui les oblige
à ne pas divulguer les résultats des deux tours de la présidentielle avant
20 heures ?
Je suis d’abord atterré que voir que personne n’a pris en compte la nouvelle
réalité du web et des réseaux sociaux. Tout le monde sait pertinemment que les
tendances et les sondages sous embargo vont filtrer sur les réseaux sociaux
avant l’heure. Je trouve que l’on a cette détestable habitude en France, pour
tout ce qui concerne les usages numériques, d’attendre qu’une loi soit rendue
inapplicable par les usages numériques pour commencer à faire autrement.
Personne n’a anticipé que les réseaux sociaux pourraient avoir une quelconque
influence sur le vote et c’est potentiellement grave. Imaginez ce cas de figure :
nous sommes dimanche, il est 18 heures et nous apprenons que Marine Le Pen
est devant Nicolas Sarkozy, de quelques dizaines de milliers de voix. Cette
information se répandrait comme une trainée de poudre auprès de millions
d’internautes en quelques minutes et il resterait deux heures pour aller voter
dans les grandes villes. Les sondeurs répondent à cet argument que ça ne
toucherait pas suffisamment de monde n’ayant pas encore voté pour changer
l’issue du vote. Je rappelle qu’en 2002, l’écart de voix entre Jean-Marie Le Pen
et Lionel Jospin était de 198 000 voix. Il y a 28 millions de comptes Facebook
en France et 5 millions de comptes Twitter. Je pense qu’aujourd’hui, en deux
heures, la puissance des réseaux est telle qu’elle peut mobiliser 200 000
personnes. Si nous étions cette année dans la configuration de 2002, et le
sociologue Dominique Caron le pointait aussi dans Libération, cela pourrait
fausser le scrutin. De la part de la France, c’est une non prise en compte des
usages ; on se reporte à 2007. On se dit qu’en 2007 déjà on pouvait consulter
les journaux belges ou suisses pour connaître les résultats à l’avance. Mais il
fallait avoir la démarche d’aller se connecter sur leurs sites pour le voir.
Aujourd’hui il y a deux phénomènes, les réseaux sociaux et les smartphones. Je
peux ne pas chercher à avoir cette information, elle viendra vers moi via les
réseaux sociaux, sur mon smartphone, que je le veuille ou non. D’autant plus
que cette année, les DOM TOM votent le samedi et il est évident que les
résultats de ces votes filtreront. S’il devait y avoir une grosse surprise, on
l’apprendrait. Un dispositif est en cours d’élaboration. Le gouvernement a pris
contact avec Tweeter pour filtrer les messages. Est-ce que Twitter va censurer
quelqu’un qui va twitter par métaphore du genre : « attention, le pédalo est en
retard » ? Non, assurément. Pour préserver cet embargo de 20 heures, il y a
85
des solutions plus simples. Il faudrait fermer tous les bureaux de votes à la
même heure pour ne pas plus avoir d’estimations des votes, ou alors interdire
les sondages du samedi sous embargo. Ou encore faudrait-il qu’on interdise
aux instituts de sondage de faire des tendances de sorties d’urnes qui ne
servent qu’à une chose, permettre aux télévisions de préparer à l’avance leurs
soirées électorales. Peut-on prendre le risque infime de fausser une élection
parce qu’il faut permettre aux médias et aux éditorialistes de préparer leur
plateau de 20 heures ? Evidemment non. L’argument de l’égalité face au
scrutin est une hypocrisie. Ce n’est pas égalitaire puisque des milliers de
personnes connaissent le nom du Président de la République à 18 heures alors
que le vote n’est pas encore clos. Faisons donc une véritable égalité afin que
personne ne puisse savoir quel sera le résultat avant 20 heures.
86
Interview réalisée le 15 mai 2012
Sylvain Lapoix a été journaliste politique pour Marianne2.fr de 2006 à 2009 en
se spécialisant pour les questions numériques et le suivi du parti du Front
National. Il est l’auteur d’articles sur la campagne américaine de 2008. En 2010,
il intègre le pure player Owni et devient fact-checkeur pour la campagne
présidentielle française à la fois pour OWNI et la chaîne i>TELE.
Alors journaliste politique à Marianne 2 au moment de la campagne
présidentielle américaine de 2008, comment avez-vous vu l’enjeu
présidentiel se déplacer sur le web ?
En marge des actions du candidat Barack Obama, je pense que le lobbying a
contribué à l’essor d’une campagne numérique. Après l’explosion de la bulle
Internet, on a assisté au retour en grâce des entrepreneurs du web avec le e-
commerce, les réseaux sociaux… Pour avoir un développement technologique
intégré à un événement d’ampleur, il faut que les influenceurs aient un rapport
de proximité avec les décideurs. Quand Facebook, Amazone, Google vous
informe que négliger les nouvelles cultures web est une erreur, vous assimilez
ces conseils pour mettre les chances de votre côté. Il y a également les
communicants qui, dans leur veille technologique, ont pris conscience du poids
de la discussion sur le web. L’enjeu a été de savoir comment entrer dans la
conversation des citoyens, les interpeller dans leurs échanges sur le web.
Barack Obama visait en 2008 un électorat jeune et démocrate. Son cœur de
cible s’intéressait déjà au numérique, aux réseaux sociaux. C’est aussi une
question de clientèle car chaque démarche de communication politique a pour
but de cibler un électorat.
Quelles ont été les actions phares menées par Barack Obama sur la
Toile ?
Le militantisme de terrain s’est structuré autour d’outils web déployés par le parti
Démocrate et MoveOn.org. Le site Mybarackobama.com a été un véritable
succès en permettant une organisation optimum des activités militantes. La
méthodologie de terrain était mise à disposition sur le site avec des
argumentaires prédéfinis, des objectifs de porte-à-porte à remplir suivant la
géolocalisation des militants, ce qui permettait de quadriller l’immense territoire
87
américain. Le site donnait par exemple accès à des listes de téléphone de
sympathisants recueillis pendant la primaire démocrate notamment. « Utiliser
les outils du XXIè siècle pour appliquer les méthodes politiques du XIXè siècle.
», voilà comment le think tank en vogue « terra nova » a synthétisé la
campagne 2.0 d’Obama dans un rapport.
Y a-t-il des similitudes avec la campagne web menée par le nouveau
Président de la République François Hollande ?
Des membres du Parti Socialiste ont été en observation de la stratégie
d’Obama. Certains sont allés voir MoveOn dans son QG à New York. Ils en ont
tiré quelques enseignements. A travers les sites de campagne mis en ligne par
le parti Socialiste on peut observer des points communs avec celui du parti
Démocrate. La façon dont le parti Socialiste a mis en avant le porte-à-porte
avec un compteur de portes frappées et leur objectif d’ailleurs atteint de 5
millions, c’était totalement Obamesque. Le Parti Socialiste a mis en place des
outils numériques servant à organiser des meetings, réunions d’information, du
phoning, du porte-à-porte. Les militants PS ont aussi bénéficié d’outils web de
mobilisation et de coaching du même type que ceux mis à disposition des
militants démocrates. Au final, le Parti Socialiste s’est beaucoup inspiré du
rapport du think tank « terra nova » pour se moderniser et investir le web.
La comparaison peut-elle aussi se faire du côté des médias en ligne
français et américains ?
Le Véritomètre d’Owni pour lequel j’officie comme fact-checker s’inspire de
façon transparente du Truth-or-Meter de Politifact développé en 2008 pour faire
du fact-checking. Mais hormis notre expérimentation, ce n’est pas évident de
voir se dégager des tendances dans la couverture web. Il me semble que les
médias français se sont inspirés de sites comme America blog, Dailykos,
Politico, Huffigton Post… En France, le problème est que le poids du web est
celui d’un média de complément, à part pour les moins de trente ans. Ce n’est
pas encore un média d’information primaire que sont la télévision, la radio et la
presse écrite. Le web est le lieu de la discussion, du commentaire, du
complément. Le débat et l’éditorial y ont une grande place. On suit un chemin
classique qui est celui des pays occidentaux sur le web. Je pense que de part et
88
d’autre de l’Atlantique, on n’a pas vu grand-chose de très original proposé par
les médias en ligne en période de campagne. On est restés conformes aux
médias en ligne américains, nous n’étions pas dans une innovation folle.
Qui a véhiculé le mythe d’une campagne présidentielle 2.0 selon vous ?
Ce sont les groupes de communication comme Publicis Consultant, Euro RSCG
qui apportent à n’importe quel candidat un package communication institutionnel
et un bagage d’outils d’utilisation web. Ce sont ceux qui investissent de l’argent
sur le web. Les jeunes aussi ont pu y croire du fait de leur consommation du
web qui leur sert de cinéma, de média, de console de jeu…Ce sont les lobbyiste
naturels. C’était aussi une illusion journalistique émanant de ceux qui avaient un
micro système dans la tête. Il est exagéré de dire que tout le monde a pensé
que le web allait être un élément clé. Les télévisions détenaient un rôle crucial,
on a retardé ou avancé des meetings en fonction de certaines diffusions sur le
web, c’est dire leur importance.
Dans le cadre de la campagne présidentielle, le média Owni pour lequel
vous travaillez a lancé outil de fact-checking appelé le Véritomètre.
Expliquez-nous son fonctionnement.
Le Véritomètre est un outil de fact-checking, de vérification des discours
publiques issus d’une collaboration entre Owni et i>TELE, dans le cadre de la
campagne présidentielle française. Durant trois mois, des journalistiques ont
vérifié les déclarations, interviews où se trouvaient des données chiffrées, des
déclarations chiffrables. Nous nous sommes concentrés sur les six principaux
candidats que sont François Hollande, Eva Joly, François Bayrou, Jean-Luc
Mélenchon, Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy. Nous avons donné au fact-
checking une dimension sociale en impliquant les citoyens dans le processus de
vérification. Ils peuvent ainsi améliorer ou critiquer notre travail.
Cette année, vous avez à la fois été journaliste fact-checkeur pour le pure
player Owni et dirigé une chronique sur i>TELE. Comment cette
collaboration a-t-elle pu voir le jour et comment s’est faite votre
désignation en tant que chroniqueur?
89
Guillaume Dasquié, directeur de la rédaction d'Owni, avait déjà travaillé avec un
des directeurs de la rédaction de i>TELE. Au départ, nous voulions proposer
quelque chose d'innovant pour la présidentielle. Un brainstorming a eu lieu chez
Owni où ont été envisagées différentes hypothèses sur le coeur de métier
(datajournalisme, crowdsourcing, etc.). Le factchecking s'est imposé comme
l'hypothèse la plus viable et la plus intéressante pour apporter au débat. Et pour
une chaîne comme i>TELE également. Avant le Véritomètre, il n’y avait pas
d’initiative de fact-checking de cette ampleur et avec une telle régularité. Il s’agit
d’une déclinaison améliorée du Truth-or-Meter de Politifact mis en place lors de
la campagne présidentielle américaine de 2008. Depuis un an, OWNI réfléchit à
un laboratoire d’outils web, de géolocalisation et de crowd-sourcing. Le
Véritomètre se veut être un outil viable et ambitieux. Le partenariat avec I>TELE
a été le pari d’associer un pure player innovant à la pointe avec une audience
de niche, à une chaîne de la TNT grand public. J’ai été choisi comme lien entre
les deux médias et comme chroniqueur pour la chaîne car je suis le journaliste
politique maison chez Owni et j’avais déjà des expériences télé et radio. Par
chronique, je fact-checkais en moyenne 2 à 3 éléments et je mettais à jour le
classement des candidats du moins crédible au plus crédible.
Quelles relations ont noué la télévision et le web dans cette campagne ? Le web a eu un rôle de catalyseur pour les journalistes. Nous entendions en
boucle les expressions : « ça fait la polémique sur le web », « ça s’est dit sur la
Toile ». Il semble que dans l’univers mental des journalistes grand public, le web
est un lieu indépendant de la réalité, un pays étranger où ont lieu des débats
marginaux ou originaux. Or, les internautes sont des citoyens comme les autres
qui ont accès à un navigateur ou un téléphone portable. L’émergence d’un
débat sur Internet est traité comme un événement par les médias traditionnels.
Le web n’est qu’un miroir grossissant où les phénomènes de viralité, de
propagation d’une information ou d’une polémique sont démultipliés par rapport
à la vie réelle par des moyens techniques. La seule chose qui change est le
support. On abordait les internautes comme une autre sorte d’individu. Alors
que le web est une caisse de résonnance où le citoyen est prescripteur de
débat, est libre.
Cet autre terrain s’avère gênant pour les journalistes traditionnels car il ne fait
que souligner et révéler leur manque de veille, d’exhaustivité. L’avantage du
web est de développer des thématiques considérées comme mineures. Les
90
médias traditionnels arbitrent froidement sur le traitement de l’info et la
hiérarchie de l’information. Pour évoquer la « planète web », on invite des
chroniqueurs qui dirigent une chronique, de même qu’il y a le correspondant de
Kaboul ou le journal des sports. On oublie que l’internaute est par ailleurs un
électeur, un consommateur.
Quelles ont été les forces et les faiblesses des réseaux sociaux dans cette
campagne ? Quels ont été les comportements des candidats sur ces
réseaux ?
Twitter est encore à l’heure actuelle un média de niche. En France, Twitter n’est
pas aussi important qu’aux Etats-Unis où ce réseau de micro-blogging est une
béquille, voire un concurrent à Facebook. Encore une fois, les échanges entre
les politiques étaient traités comme des événements de la planète Internet. La
faiblesse de Twitter est que ses utilisateurs en font un média de niche avec
leurs private jokes, une mythologie interne. Alors que Facebook est un média
ultra grand public. En dehors des militants, la campagne a été très
déconnectée. Les gens qui s’exprimaient étaient des personnes déjà
convaincues. Les internautes se sont comportés comme des électeurs
normaux, ils ont soutenu leur candidat. Facebook a été le royaume de
l’indécision, ceux qui parlaient le plus étaient les convaincus et Twitter, le
royaume des influenceurs essentiellement peuplé par les journalistes et
communicants. Selon moi, les candidats qui ont réellement fait parler d’eux sur
les réseaux sociaux ont été François Bayrou et surtout Jean-Luc Mélenchon. Il y
a eu beaucoup de commentaires sur les meetings, les apparitions télévisuelles
sur Internet et des systèmes de riposte de hashtags sur Twitter. Les partis se
concurrençaient pour le plus grand nombre de hashtags associés à leur
candidat. Le citoyen internaute n’aime pas qu’on lui impose un débat, il préfère
être prescripteur de débat sur les réseaux sociaux. Il est arraché aux mains des
journalistes, car le citoyen peut choisir son terrain de débat dont notamment les
réseaux sociaux. En revanche, la tentative d’appropriation des réseaux par les
candidats a été un flop. Chacun a des conditions très strictes, les candidats
détestent perdre le contrôle des images, des paroles. Ils ne connaissent pas les
codes communicationnels du web et ne se sont pas confrontés directement au
débat avec les internautes.
91
Le fact-checking est-il conciliable avec la télévision et les conditions de
l’antenne ? Pourquoi ne s'est-il pas invité cette année sur les plateaux
télévisés quand il y avait des débats?
C'est techniquement parfaitement possible mais la limite est psychologique. Le
blocage est davantage corporatiste que technique car cela induit une nouvelle
vision du journalisme, plus dans la confrontation, dans la contradiction de la
parole politique. Le fact-checking s’est fait en dehors des débats avec des
personnalités politiques parce que ça remettrait en cause l'autorité des
journalistes. Beaucoup d'animateurs vedettes sont attachés au « storytelling »
de l'antenne. L'idée de critiquer les politiques ouvertement remettrait en cause
le rapport entre certains journalistes et certains hommes politiques. Or, je pense
qu’il est nécessaire pour un journaliste de maîtriser les éléments techniques qui
sous-tendent un débat, de développer une forme d’expertise sans faire appel
nécessairement à des experts extérieurs.
Recommended