La marque des histones dans l’insuffisance rénale aiguë

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ÉCHO DE LA RECHERCHE

La marque des histones dans l’insuffisance rénale aiguë

David Legouis a, Alexandre Hertig a,*,b

a Inserm U702, hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, Franceb Université Pierre-et-Marie-Curie, Sorbonne universités, 75005 Paris, FranceReçu le 16 juillet 2013 ; accepté le 21 juillet 2013

Néphrologie & Thérapeutique 9 (2013) 518–520

1. INTRODUCTION

L’insuffisance rénale aiguë (acute kidney injury [AKI]) estaujourd’hui définie par l’augmentation brutale d’au moins 25 %de la créatininémie [1]. Elle touche 1,9 % des patientshospitalisés, tous services confondus [2]. Cette proportionmonte jusqu’à 65 % dans les unités de réanimation [3]. En 2013,l’arsenal thérapeutique reste limité à des mesures prophylacti-ques (optimisation hémodynamique et évitement des néphro-toxiques) ou supplétives (épuration extrarénale) [4] auxquellesvient évidemment s’ajouter le traitement étiologique. Il estétabli que l’insuffisance rénale aiguë augmente la mortalité àcourt terme [5], ce qui est compréhensible puisqu’elle reflètesouvent la sévérité de la défaillance hémodynamique, et qu’iln’existe aucun traitement spécifique efficace. L’observation– plus récente – qu’une insuffisance rénale aiguë transitoiregrève aussi le pronostic à long terme (et triple le risqued’évolution vers l’insuffisance rénale terminale dans les troisannées qui suivent, indépendamment de l’âge des patients) estbeaucoup moins bien comprise [6]. Pourquoi un évènementaigu, à l’origine de lésions réversibles (au maximum une nécrosetubulaire aiguë, mais parfois des lésions moins sévères [7]),accélère-t-elle autant la perte de la fonction rénale ?

En biologie, la mémoire d’un évènement est souvent portéepar des modifications dites épigénétiques. Les histones sont depetites billes octamériques autours desquelles s’enroule l’ADN.Leurs queues sont la cible de modifications biochimiques, quiinfluencent fortement l’accessibilité des gènes aux facteurs detranscription ou même à la machinerie de transcription. Parexemple, l’acétylation du résidu lysine de certaines histonesmodifie leur charge électrique et donc détache en quelque sortel’ADN, ouvrant un accès à l’ARN polymérase ou à d’autres

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : alexandre.hertig@tnn.aphp.fr (A. Hertig).

1769-7255/$ see front matter � 2013 Association Societe de nephrologie. Publie

http://dx.doi.org/10.1016/j.nephro.2013.07.367

protéines régulatrices. L’acétylation est un processus dynamiquerégi par deux enzymes antagonistes : l’histone acétyl-transférase(HAT) et l’histone déacétylase (HDAC). Il est possible d’inhiberl’action enzymatique des HDAC à l’aide de médicamentslargement utilisés en pratique courante ou en recherche clinique[8,9]. L’effet des HDAC inhibiteurs (HDACi) est d’empêcher ladéacétylation des histones. Ils augmentent ainsi la transcriptionde certains gènes.

2. CE QUE MONTRE L’ARTICLE DE HUKRIEDEET AL. (J AM SOC NEPHROL, FÉVRIER 2013)

En 2010, Hukriede et al. avaient démontré que l’acideméthyl-4-(phénylthio) butanoïque (m4PTB), un HDACi, étaitcapable de réactiver l’expression de gènes présents lors del’embryogenèse et impliqués dans la réparation tubulaire [10].Dans l’article dont nous faisons ici l’écho, il teste l’effet dum4PTB dans deux modèles d’insuffisance rénale aiguë (l’un chezla souris, l’autre chez le poisson zèbre). Il s’avère que le m4PTBaccélère la récupération fonctionnelle rénale, réduit l’atrophietubulaire et aussi la fibrose interstitielle secondaires [11]. C’estprobablement en libérant le cycle cellulaire des cellulesépithéliales tubulaires qui ont en charge de réparer l’épithélium,mais qui sont souvent bloquées en phase G2/M après uneagression [12], que cet HDACi exerce son effet protecteur.

3. DESCRIPTION DU TRAVAIL EXPÉRIMENTAL

3.1. Effet du m4PTB sur la survie rénale du poissonzèbre dans un modèle d’insuffisance rénale aiguëtoxique

Les auteurs ont utilisé un modèle d’insuffisance rénale aiguëtoxique chez le poisson zèbre, qui consiste en l’injection d’une

par Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

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dose de gentamicine deux jours après la fécondation. Chez leslarves la sévérité clinique de l’atteinte rénale était gradée, lestade I correspondant à un épanchement péricardique avec unemortalité faible et le stade II à un anasarque avec une mortalitéélevée. L’analyse comportait aussi une quantification de lanécrose tubulaire aiguë par histologie et de l’apoptose tubulairepar la méthode TUNEL. La morphologie et la polarité cellulaire(localisation de la pompe Na/K ATPase) des cellules survivantesétaient également étudiées. Administré pendant 24 heures dansles suites immédiates de l’agression rénale, le m4PTB était :� dépourvu d’effets toxiques (en tout cas sur le critère de

mortalité des larves saines) ;� capable comme attendu d’augmenter l’acétylation des

histones (ici de l’histone 4) ;� surtout, capable d’augmenter la survie rénale des poissons

soumis à l’injection de gentamicine, dès les cinquième etsixième jours après fécondation, par rapport aux zebrafishn’ayant pas reçu de m4PTB (58 % vs 79 %, p < 0.005, et 55 %vs 74 %, p < 0.05).Cet effet est probablement expliqué par sa capacité à

stimuler ou faciliter la prolifération des cellules épithélialessurvivantes.

3.2. Effet du m4PTB au cours d’un modèled’ischémie/reperfusion rénale chez la souris

Le travail a été étendu à un modèle murin d’insuffisancerénale aiguë, ischémique cette fois par néphrectomie controla-térale puis clampage de l’artère rénale pendant 26 minutes.L’administration de m4PTB dès j1 et pendant une durée de sixjours au total accélérait la récupération fonctionnelle du rein(diminution des concentrations de créatinine et d’uréeplasmatiques) dès j3, avec un effet bénéfique sur la fonctionpersistant jusqu’à j14. Invisible histologiquement, l’effetbénéfique du m4PTB était objectivé par la réductionsignificative de deux transcrits, Kim-1 et Col-1, utilisés icicomme biomarqueurs de la souffrance épithéliale aiguë.

En décalant la néphrectomie controlatérale à j8 (et doncl’insuffisance rénale aiguë), les auteurs ont ensuite réussi àmettre en évidence que le m4PTB, à la posologie de 100 mg/kg,et administré de j1 à j7, a permis non seulement de réduire lasévérité de l’insuffisance rénale aiguë, et la sévérité des lésionstubulaires aiguës observées à j28 mais aussi et surtout, lasévérité des lésions chroniques de fibrose interstitielle. Là aussile m4PTB réduisait la transcription de plusieurs gènes utiliséscomme biomarqueurs de souffrance ou de fibrogenèse rénale(Kim-1, alpha-SMA, Lox, LoxL2, Col-1). Toutes les expériencesont bien sûr été menées en comparant le m4PTB à son placebo(le soluté de dilution).

3.3. Effet du m4PTB sur le blocage post-ischémique en phase G2/M des cellules épithélialestubulaires

Soixante douze heures après l’ischémie/reperfusion rénale,les cellules épithéliales tubulaires sont en pleine prolifération,mais dans le groupe de souris chez lequel le m4PTB était

administré dès j1, l’analyse par immunofluorescence des cyclescellulaires a fait apparaître une augmentation significative dunombre de cellules en phase G1 et S, par rapport au groupeplacebo. Une analyse du profil d’expression des gènes adémontré que le cycle cellulaire était bel et bien activé par letraitement HDACi.

4. CONCLUSION ET PERSPECTIVES

En libérant la prolifération des cellules tubulaires, empêchéepar un blocage à la phase G2/M, au moment où une réparationépithéliale est nécessaire, les HDACi permettent, au cours dedeux modèles d’insuffisance rénale aiguë, d’atténuer les lésionstoxiques ou ischémiques du rein, chez le poisson zèbre commechez la souris. Enfin et surtout, ils diminuent la fibrogenèseconsécutive à l’agression primaire. Ces travaux importants sontdans la lignée de ceux du groupe pionnier de Peter Gruber quile premier avait démontré, dans un modèle murin d’ischémiemyocardique, que l’administration précoce d’un HDACiréduisait la taille de l’infarctus [13]. Des bénéfices similairespour le myocarde post-ischémique ont été rapportés par lasuite par deux équipes indépendantes [14,15]. Même utilisés enpré-conditionnement, les HDACi ont atténué les lésionsd’autres organes comme le cerveau ou la rétine [16,17]. Ensomme, les HDACi administrés à la phase aiguë d’unesouffrance ischémique (et peut-être toxique) d’organe sem-blent une option thérapeutique extrêmement prometteuse,dans un domaine où les médicaments spécifiques manquentencore cruellement. La démonstration qu’ils exercent égale-ment une influence bénéfique à long terme, en prévenant, dansle rein en tout cas, une réparation pathologique qui est souventsynonyme de fibrogenèse accélérée et de perte rapide defonction, en feront peut-être un médicament incontournable àl’avenir. L’efficacité du vorinostat, un autre HDACi, pouratténuer la glomérulosclérose dans un modèle murin denéphropathie associée au virus VIH, a récemment consolidécette nouvelle piste thérapeutique [18].

DÉCLARATION D’INTÉRÊTS

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

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