L'Arbitrabilité « Relative » de l'Action en Nullité d'Un Brevet – Eric Loquin – RTD Com....

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arbitrage international, nullité, propriété industrielle, droit francais.

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  • RTD Com.

    RTD Com. 2008 p. 516

    L'arbitrabilit relative de l'action en nullit d'un brevet(Paris, 1re ch. C, 28 fvr. 2008, n 05/10577, St Liv Hidravlika Doo c/ St Diebolt, D. 2008. Jur. 1325, note R.Meese )

    Eric Loquin, Professeur l'Universit de Bourgogne, Doyen honoraire de la Facult de droit de Dijon

    Cet arrt rpond une question jusqu' prsent non encore juge : celle de l'arbitrabilit de l'action en nullit d'unbrevet. Certes, la promulgation de la loi n 78-742 du 13 juillet 1978, qui a complt l'article 68 de la loi de 1968, devenul'article L. 615-17 du code de la proprit intellectuelle, en prcisant que la comptence attribue aux tribunaux degrande instance ne fait pas obstacle au recours l'arbitrage, dans les conditions prvues aux articles 2059 et 2060 ducode civil , a eu comme consquence que l'arbitrage n'est plus exclu du seul fait que le litige porte sur un brevetd'invention (sur cette loi, V. B. Oppetit, L'arbitrage en matire de brevets d'invention aprs la loi du 13 juillet 1978, inArbitrage et transfert de techniques, Rev. arb. 1979. 83 s. ; sur les solutions antrieures, cf. P. Ancel, J.-Cl. Procdurecivile, Fasc. 1024, n 59). Ainsi, il a t jug que les litiges portant sur la titularit des brevets, ou seuls des intrtsprivs sont en cause, taient arbitrables (Paris, 31 oct. 2001, Propr. ind. 2001, n 76, p. 20, note J. Raynard), de mmeque tout le contentieux de l'exploitation du brevet. Il s'agit d'un contentieux purement contractuel (redevances, obligationde garantie la charge du brevet, obligation de communiquer les perfectionnements du brevet concd, etc.), danslequel l'intrt public n'est pas en cause (Paris, 18 juin 1981, Rev. arb. 1983. 89, note A. Franon ; Paris, 3 fvr. 1992,cette Revue 1993. 293, obs. Dubarry et Loquin ; 24 mars 1994, D. 1996. Somm. 21, obs. J.-M. Mousseron et J. Schmidt-Szalewski ; Rev. arb. 1994. 515).

    En revanche, le contentieux de la nullit du brevet a toujours t considr comme non arbitrable, par une doctrineunanime, en raison de l'article 50 bis de la loi sur les brevets, introduit par la loi de 1978, qui dispose que la dcisiond'annulation d'un brevet d'invention a un effet absolu sous rserve de la tierce opposition (art. L. 613-27 CPI). Or, onne concevrait pas que l'arbitre puisse prendre une dcision qui nuirait ainsi aux droits des tiers (dans ce sens Oppetit, op.cit., p. 90 ; Chavanne et Azma, Le nouveau rgime des brevets d'invention, Commentaire de la loi du 13 juillet 1978, Sirey,1979, n 171 ; Chavanne et Burst, Droit de la proprit industrielle, 2e d., 1980, n 275 ; M. Vivant, J.-Cl. CommercialAnnexes Brevets, Fasc. 140 ; Fouchard, Gaillard et Goldman, Trait de l'arbitrage commercial international, Litec, 1996, n 58; J.-B. Racine, L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999, n 148 ; Chiarini-Daudet, Le rglementjudiciaire et arbitral des contentieux internationaux sur brevet d'invention, Prf. de J. Raynard, Litec, Bibl. dr. entr., 2006, n682 s. ; M. Josselin-Galle, Arbitrage et proprits intellectuelles, Dr. et patr. juin 2002, n 105, p. 63).

    La solution n'est pas sans inconvnient. Elle offre un excellent moyen dilatoire au dfendeur une action en contrefaonen lui permettant de soulever la nullit du brevet pour chapper une condamnation, ce qui conduira suspendrel'arbitrage jusqu'au moment o la juridiction tatique aura statu sur l'exception de non validit du brevet ou alors craindre une contrarit de dcision. La cour d'appel de Paris avait, il est vrai, en partie paralys cette stratgie, dansune affaire o, pour s'opposer une demande en paiement des redevances dues par le licenci, celui-ci soutenait devantla cour, l'imprieuse ncessit de centraliser l'ensemble du contentieux devant le juge tatique . La cour juge que lesactions soutenues devant le tribunal arbitral et devant le tribunal de grande instance ont des objets diffrents : d'unepart, l'excution du contrat et, d'autre part, la validit des brevets ; que si la nullit desdits brevets est prononce, il n'enreste pas moins qu'une situation contractuelle aura exist entre les parties et que la juridiction ayant apprcierl'excution du contrat peut tre distincte de celle qui se prononce sur la validit du brevet (24 mars 1994, D. 1996.Somm. 21, obs. J.-M. Mousseron et J. Schmidt ). Il n'empche que si les arbitres condamnent le licenci payer desredevances alors qu'ensuite le tribunal constate la nullit du brevet une incohrence grave est cre dans l'ordrejuridique. Le sursis statuer s'impose donc. Pour carter les manoeuvres dilatoires, Jean Robert avait soutenu que, cequi serait interdit l'arbitre serait de prononcer la nullit du brevet ; en revanche, rien n'interdirait l'arbitre, saisi titreprincipal ou incident d'une demande en nullit du brevet, de se prononcer sur cette demande sur le fondement de l'article1466 du code de procdure, aux fins de vrifier sa comptence : si l'arbitre concluait la validit du brevet, il pourraitstatuer sur le fond ; en revanche s'il constatait la nullit, il ne pourrait la prononcer et devrait se dclarer incomptent(L'arbitrage, droit interne, droit international priv, Dalloz, 5e d., n 43). J. Robert applique la matire la jurisprudencedveloppe en matire contractuelle lorsque le contrat est argu de contrarit l'ordre public, l'poque o l'arbitre nepouvait prononcer cette nullit. Cette opinion se heurte l'ide que le contentieux de la validit du brevet doit tre excluen bloc de l'arbitrage, l'arbitre n'ayant pas ds le dpart, comptence pour juger de la validit ou de la nullit du brevet ;et cette exclusion a priori pourrait paratre prfrable dans la mesure o comme l'crivent MM. Chavanne et Azma (op.cit., n 171) la validit ou la nullit d'un brevet limite ou tend le domaine public et c'est la libert du commerce et del'industrie qui est indirectement en cause .

    Les ides de Jean Robert ont inspir l'arrt comment, qui les a mme dpasses. Par un motif, certes surabondant, lacour d'appel de Paris juge qu'au surplus, la question de la validit du brevet dbattue de manire incidente l'occasiond'un litige de nature contractuelle peut, ainsi que le relve l'arbitre, lui tre soumise, l'invalidit ventuellement constaten'ayant, pas plus, que s'il s'agissait de la dcision d'un juge, d'autorit de la chose juge, car elle ne figure notammentpas au dispositif, qu'elle n'a d'effet qu' l'gard des parties, de mme d'ailleurs qu'une dcision en faveur de la validit,les tiers pouvant toujours demander la nullit du brevet pour les mmes causes . L'arrt est particulirementintressant. D'une part, il confirme que l'arbitre ne peut tre saisi titre principal d'une demande de nullit d'un brevet.Cette action doit ncessairement tre porte devant le juge tatique comptent spcialement. Mais, d'autre part, letribunal arbitral peut valablement connatre titre incident d'un argument fond sur l'invalidit d'un brevet, cet argumenttant un moyen de dfense visant rejeter une demande fonde sur l'existence d'une obligation contractuelle, parexemple la demande de paiement de redevances. Mais, la cour d'appel de Paris prolonge le raisonnement, en permettantau tribunal arbitral de juger de la validit ou de la nullit du brevet pour recevoir ou rejeter l'argument. Une telle dcisionn'a pas d'effet absolu. Elle n'a pas l'autorit de la chose juge ds lors que le dispositif de la sentence ne portera que surle paiement des redevances. Les tiers pourront toujours saisir le juge tatique afin d'obtenir la nullit du brevet, mme si,dans la sentence, le tribunal arbitral en a reconnu la validit et le titulaire du brevet pourra continuer de l'opposer auxtiers l'arbitrage (comp. Chiariny-Daudet, op. cit., n 699 s., qui soutient que le tribunal arbitral peut rendre une sentencede non-opposition , lorsqu'il existe de fortes probabilits d'annulation du brevet par le juge judiciaire).

    Cette dcision marque une nouvelle avance de l'arbitrabilit du droit des brevets. Restent inarbitrables l'action principaleen nullit du brevet et le contentieux portant sur les licences imposes (art. L. 613-10 s. CPI : licence obligatoire pourdfaut d'exploitation d'un brevet ou pour cause de dpendance, licence d'office dans l'intrt de la sant publique oupour les besoins de la dfense nationale). Toutes ces procdures d'octroi de licences sont commandes par l'intrt publicet elles sont rgles par la loi d'une manire qui exclut l'intervention d'un juge priv. La loi exige, en effet, tantt

  • l'intervention du ministre public, tantt une approbation ministrielle, tantt l'intervention du ministre de la Dfensenationale, et dans le cas de licence pour dfaut d'exploitation les diffrentes phases de la procdure devant le tribunalsont soigneusement rglementes. Sans doute faut-il distinguer le contentieux portant sur la formation de la licenceimpose, lequel est non arbitrable et celui ayant pour objet son excution, en particulier le montant des redevances. Onpeut concevoir que ce type de litige reste arbitrable (Vivant, Juge et loi du brevet, Litec, colloque CEIPI, 1977, n 66 s. ; J.-M. Mousseron, Trait des brevets, Litec, 1981, n 99 ; Chiariny-Daudet, op. cit., n 626).

    Mots cls :ARBITRAGE * Arbitrage international * Arbitre * Dsignation * Comptence PROPRIETE INDUSTRIELLE * Brevet d'invention * Contentieux * Arbitrage * Exception de nullit

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