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Le conte de Samuel Moustache
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Le conte de Samuel Moustache
Beatrix Potter
Adaptation et traductionMarie-Line Périllat
pour «Le Cartable Fantastique»
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Il était une fois une vieille chatte appelée Mme
Tabitha Twitchit.
C’était une maman inquiète.
Elle perdait sans cesse ses chatons et quand
ils étaient perdus, ils faisaient toujours des
bêtises !
Un jour où elle faisait la cuisine, elle décida de
les enfermer dans un placard.
Elle attrapa Moppet et Mitaines, mais elle ne
parvint pas à trouver Tom.
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Mme Tabitha parcourut tous les étages de la
maison en miaulant pour appeler Tom Chaton.
Elle regarda dans le garde-manger sous
l’escalier, et elle fouilla la chambre d’amis, non
occupée et pleine de poussière.
Elle monta tout en haut et regarda dans le
grenier mais elle ne le trouva nulle part.
C’était une vieille, vieille maison, pleine de
placards et de recoins.
Certains murs étaient très épais, et il y avait
des bruits étranges dedans, comme s’il y avait
un escalier secret à l’intérieur.
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Certes il y avait d’étranges portes dans la
boiserie, et des choses disparaissaient la nuit,
surtout le fromage et le bacon.
Mme Tabitha, de plus en plus inquiète, miaulait
désespérément.
Alors que leur mère fouillait la maison, Moppet
et Mitaines faisaient des bêtises.
La porte de placard n’étant pas verrouillée, les
deux chatons l’avaient ouverte en poussant et
étaient sortis.
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Ils étaient allés directement vers une boule de
pâte qui reposait dans un plat avant d’être mise
au four.
Ils se mirent à la pétrir avec leurs petites pattes
douces.
« Et si nous faisions des petits muffins ? » dit
Mitaines à Moppet.
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Mais juste à ce moment-là quelqu’un frappa
à la porte d’entrée, et Moppet paniquée sauta
dans le tonneau de farine.
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Mitaines s’enfuit à la laiterie et se cacha dans
une jarre vide sur l’étagère de pierre où l’on
stockait le lait.
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Le visiteur était une voisine, Mme Ribby, elle
venait emprunter un peu de levure.
Mme Tabitha descendit en miaulant
désespérément :
« Entrez donc, cousine Ribby, entrez, et
asseyez-vous, je suis dans un triste embarras,
cousine Ribby », dit Tabitha, en versant des
larmes.
« J’ai perdu mon cher fils Thomas, je crains que
les rats ne l’aient pris. »
Elle essuya ses yeux avec son tablier.
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« C’est un vilain petit chat, cousine Tabitha, il
a pris mon meilleur chapeau pour y dormir la
dernière fois que je suis venue prendre le thé.
Où l’avez-vous cherché ? »
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« Partout dans la maison ! Les rats sont trop
nombreux pour moi. C’est terrible d’avoir une
famille indisciplinée ! » déclara Mme Tabitha
Twitchit.
« Je n’ai pas peur des rats. Je vais vous aider
à le trouver… et à lui donner une fessée ! Mais
qu’est-ce toute cette suie dans la cheminée ? »
« Oh, la cheminée a besoin d’être nettoyée.
Mon Dieu, cousine Ribby ! Maintenant Moppet
et Mitaines sont partis ! »
« Ils sont tous les deux sortis du placard ! »
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Ribby et Tabitha fouillèrent à nouveau la
maison de fond en comble : sous les lits avec le
parapluie de Ribby et dans les placards.
Elles prirent même une bougie pour regarder
dans une malle à vêtements dans un des
greniers.
Elles ne trouvèrent rien mais à un moment elles
entendirent une porte claquer et des pas qui
dévalaient l’escalier.
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« Oui, c’est infesté de rats » dit Tabitha, les
larmes aux yeux.
« J’ai attrapé sept jeunes rats près d’un trou
dans l’arrière-cuisine, et nous les avons mangé
au dîner de samedi dernier. Et une fois, cousine
Ribby, j’ai vu le père rat, un énorme vieux rat.
J’allais sauter sur lui quand il m’a montré ses
dents jaunes et a disparu dans le trou. »
« Les rats me tapent sur les nerfs, cousine
Ribby » dit Tabitha.
Ribby et Tabitha continuèrent à chercher et à
chercher encore.
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Elles entendirent toutes deux un curieux bruit
de roulement sous le plancher du grenier.
Mais il n’y avait rien de visible.
Elles retournèrent à la cuisine.
« Voici au moins l’un de vos chatons », dit
Ribby, en extirpant Moppet du tonneau de
farine.
Elles époussetèrent la farine de son poil et la
posèrent sur le sol de la cuisine.
Elle avait l’air paniquée.
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« Maman, Maman ! », dit Moppet, « il y avait
une vieille femelle rat dans la cuisine, et elle a
volé une partie de la pâte ! »
Les deux chattes se précipitèrent pour vérifier
la boule de pâte.
Manifestement il y avait des traces de griffures
et un morceau de pâte avait disparu !
« De quel côté est-elle allée, Moppet ? »
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Mais Moppet avait trop peur pour retourner
vérifier dans le tonneau de farine.
Ribby et Tabitha la prirent avec elles pour
l’avoir à l’œil tandis qu’elles continuaient à
chercher.
Elles entrèrent dans la laiterie.
La première chose qu’elles trouvèrent fut
Mitaines qui se cachait dans une jarre vide.
Elles inclinèrent la jarre, et Mitaines en sortit.
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« Maman, Maman ! » dit Mitaines.
« Maman, Maman ! Il y avait un vieux rat dans
la laiterie, un horrible rat, Maman ! Énorme !
Et il a volé une noix de beurre et le rouleau à
pâtisserie. »
Ribby et Tabitha se regardèrent.
« Un rouleau à pâtisserie et le beurre ! Oh, mon
pauvre petit Thomas ! » s’écria Tabitha, en se
tordant les pattes.
« Un rouleau à pâtisserie ? » dit Ribby.
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« N’avons-nous pas entendu un bruit de
roulement dans le grenier quand nous étions en
train de fouiller la malle ? »
Ribby et Tabitha retournèrent à l’étage à toute
allure.
Effectivement, on entendait encore nettement le
bruit de roulement sous le plancher du grenier.
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« C’est grave, cousine Tabitha », dit Ribby.
« Nous devons aller chercher John Joiner tout
de suite, qu’il vienne avec une scie. »
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Or, voici ce qui était arrivé à Tom Chaton,
et cela montre à quel point il n’est pas bien
astucieux de grimper dans un conduit de
cheminée dans une maison très ancienne,
quand on ne connaît pas son chemin, et quand
il y a d’énormes rats.
Tom Chaton ne voulait pas être enfermé dans
le placard.
Quand il vit que sa mère allait faire de la
cuisine, il décida de se cacher.
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Il chercha un bon endroit et repéra la cheminée.
Le feu venait d’être allumé, et il n’était pas
encore chaud, il y avait juste une fumée
blanche qui montait du petit bois encore vert.
Tom Chaton monta sur le pare-feu et leva les
yeux.
C’était une grande cheminée à l’ancienne.
Le foyer lui-même était assez grand à l’intérieur
pour qu’un homme y tienne debout.
Il y avait donc beaucoup de place pour un petit
chat.
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Tom Chaton sauta dans la cheminée, se
balançant sur la barre de fer où l’on accroche la
bouilloire.
Puis il fit un autre grand saut en s’appuyant
sur la barre de fer, et atterrit sur une corniche
dans le conduit de cheminée, faisant tomber au
passage de la suie sur le pare-feu.
Tom Chaton toussa, étouffé par la fumée, et il
put entendre le bois qui commençait à crépiter
et à brûler dans la cheminée, plus bas.
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Il se décida à grimper tout en haut, et à
sortir sur le toit pour essayer d’attraper des
moineaux.
« Je ne peux pas revenir en arrière. Si je
glissais, je pourrais tomber dans le feu, je
grillerais le bout de ma queue et ma petite
veste bleue. »
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Sur le toit, la cheminée était une très grande
cheminée à l’ancienne.
Elle avait été construite à l’époque où les gens
brûlaient de grosses bûches dans l’âtre.
La cheminée se dressait sur le toit comme
une petite tour de pierre, et la lumière du jour
descendait du toit, passant sous les ardoises
obliques qui arrêtaient la pluie.
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Tom Chaton commençait à avoir très peur !
Il monta, encore et encore.
Il traversa des couches de suie, tel un petit
ramoneur.
Il était tout désorienté, dans l’obscurité.
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Un conduit semblait mener à un autre.
Il y avait moins de fumée, mais Tom Chaton se
sentait perdu.
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Il se hissa de plus et plus haut, mais avant
d’avoir atteint le sommet de la cheminée, il
arriva à un endroit où quelqu’un avait descellé
une pierre du mur.
Il y avait dessus quelques os de mouton.
« C’est bizarre ! » dit Tom Chaton.
« Qui a bien pu ronger des os à ici dans la
cheminée ? Je voudrais n’être jamais venu ici !
Et puis quelle drôle d’odeur ! Ça sent un peu
la souris. En beaucoup plus fort. Ça me donne
envie d’éternuer. » dit Tom Chaton.
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Il se faufila au travers du trou dans le mur, et
se glissa dans un passage étroit et malaisé où il
n’y avait presque pas de lumière.
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Il chercha prudemment son chemin à tâtons sur
plusieurs mètres.
Il était derrière la plinthe dans le grenier, où il y
a une petite marque dans l’image.
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Tout à coup, il tomba à la renverse dans
l’obscurité, finit dans un trou, et atterrit sur un
tas de chiffons très sales.
Quand Tom Chaton se releva et regarda autour
de lui, il se trouvait dans un endroit qu’il n’avait
jamais vu auparavant, alors qu’il avait vécu
toute sa vie dans la maison.
C’était un réduit étouffant, plein de planches, de
chevrons, de toiles d’araignée, de lattes de bois
et de plâtre.
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En face de lui, aussi loin qu’il avait pu s’asseoir,
se trouvait un énorme rat.
« Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Tu tombes
comme ça, dans mon lit, tout couvert de
suie ? » dit le rat, en grinçant des dents.
« S’il vous plaît, monsieur, c’est la cheminée qui
a besoin d’être nettoyée ! » dit le pauvre Tom
Chaton.
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« Anna Maria ! Anna Maria ! » couina le rat.
Il y eu un crépitement et une vieille femelle rat
passa sa tête à côté d’un chevron.
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En moins d’une minute, elle se précipita sur
Tom Chaton, et avant qu’il ait pu comprendre
ce qui se passait, on lui avait retiré sa veste, et
on l’avait empaqueté et ficelé avec des nœuds
bien serrés.
C’est Anna Maria qui s’occupa de
l’empaquetage.
Le vieux rat, lui, regardait en prisant du tabac.
Quand elle eut fini, ils restèrent tous les deux
assis à le regarder la bouche ouverte.
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« Anna Maria, » dit le vieux rat (qui s’appelait
Samuel Moustache), « Anna Maria, fais-moi
donc un dessert fourré au chaton pour mon
dîner. »
« Il faut de la pâte et une noix de beurre et un
rouleau à pâtisserie, » répondit Anna Maria, en
inclinant la tête pour regarder Tom Chaton.
« Non, non. » dit Samuel Moustache,
« Fais-le comme il faut, Anna Maria, avec de la
chapelure. »
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« Mais non ! Avec du beurre et de la pâte ! »
insista Anna Maria.
Les deux rats discutèrent pendant quelques
minutes, puis s’en allèrent.
Samuel Moustache passa au travers d’un trou
dans la boiserie, et prit effrontément l’escalier
principal pour se rendre dans la laiterie pour
chercher le beurre.
Il ne rencontra personne.
Il fit un second voyage pour le rouleau à
pâtisserie.
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Il le fit rouler devant lui avec ses pattes, comme
un brasseur fait rouler un tonneau.
Il put entendre parler Ribby et Tabitha, mais
elles étaient occupées à allumer la bougie pour
fouiller la malle.
Elles ne le virent pas.
Anna Maria passa par la plinthe et un volet de
la fenêtre de la cuisine pour aller voler la pâte.
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Elle emprunta une petite soucoupe et ramassa
la pâte avec ses pattes.
Elle ne vit pas Moppet.
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Tom Chaton se retrouva seul sous le plancher
du grenier, aussi il se tortilla et essaya de
miauler pour appeler à l’aide.
Mais comme il avait la bouche pleine de suie
et de toiles d’araignée et qu’il était ligoté très
serré, il ne réussit pas à se faire entendre.
Sauf par une araignée qui sortit d’une fente
dans le plafond et examina les nœuds d’un œil
critique tout en gardant ses distances.
C’était une experte en nœuds, car elle avait
l’habitude de ligoter de malheureuses mouches
bleues.
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Elle ne proposa pas à Tom de l’aider.
Tom Chaton continua à se tortiller jusqu’à ce
qu’il soit complètement épuisé.
Sur ce, les rats revinrent et se mirent à en faire
leur dessert.
D’abord, ils l’enduisirent de beurre, puis ils le
roulèrent dans la pâte.
« Ne crois-tu pas que la ficelle sera indigeste,
Anna Maria ? » demanda Samuel Moustache.
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Anna Maria répondit qu’elle pensait que c’était
sans importance.
Elle aurait bien aimé que Tom Chaton arrête de
bouger la tête, car il défaisait la pâte.
Elle lui attrapa les oreilles.
Tom Chaton mordit, cracha, miaula et se
tortilla.
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Le rouleau à pâtisserie faisait des allers retours,
les deux rats tenant chacun un bout.
« Sa queue dépasse ! Tu n’as pas récupéré
assez de pâte, Anna Maria ! »
« J’en ai pris autant que je pouvais en
porter ! »répondit Anna Maria.
« À mon avis », dit Samuel Moustache,
s’arrêtant pour jeter un coup d’œil sur Tom
Chaton, « à mon avis, ça ne va pas faire un bon
dessert. Ça sent la suie. »
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Anna Maria était sur le point de discuter quand
tout à coup ils entendirent des bruits au-dessus
d’eux : le bruit grinçant d’une scie et aussi le
bruit d’un petit chien qui grattait et jappait.
Les rats laissèrent tomber le rouleau à
pâtisserie et écoutèrent attentivement.
« Nous sommes repérés, Anna Maria, et nous
devons arrêter Allez, ramassons nos affaires,
et celles des autres aussi, et partons tout de
suite ! »
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« Je crains bien que nous ne soyons obligés de
laisser notre dessert ici. Mais je maintiens que
la ficelle aurait été indigeste, même si tu dis le
contraire. Viens donc m’aider à mettre quelques
os de mouton dans un balluchon ! » dit Anna
Maria.
« J’ai un demi-jambon fumé caché dans la
cheminée. »
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Le temps que John Joiner réussisse à défaire
la planche, il n’y avait plus rien sous le plancher
sauf le rouleau à pâtisserie et Tom Chaton dans
une boulette de pâte toute sale !
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Mais il y avait quand même une forte odeur de
rat et John Joiner passa le reste de la matinée
à renifler, à gémir, à remuer la queue et à
passer le museau dans le trou en tournant en
rond comme une vrille.
Puis il recloua la planche, remit ses outils dans
son sac et descendit.
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La famille chat ayant tout à fait retrouvé ses
esprits, on l’invita à dîner.
On avait retiré la pâte autour de Tom Chaton et
on en avait fait un chausson à la groseille pour
atténuer le goût de suie.
Ils avaient été obligés de donner un bain chaud
à Tom Chaton pour retirer le beurre dans ses
poils.
John Joiner sentit la bonne odeur du pudding
mais il s’excusa de ne pas avoir le temps de
rester à dîner.
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Il venait de finir de fabriquer une brouette pour
Melle Potter, mais elle avait aussi commandé
deux cages à poules.
Quand je suis allée à la poste en fin d’après-
midi, j’ai regardé dans la rue et j’ai aperçu
M. Samuel Moustache et sa femme qui
s’enfuyaient avec de gros baluchons dans une
petite brouette qui ressemblait beaucoup à la
mienne.
Ils étaient juste au niveau de la barrière devant
la grange du Fermier Patate.
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Samuel Moustache soufflait, il était hors
d’haleine.
Anna Maria discutait encore avec sa voix aigüe.
Elle avait l’air de connaître son chemin, et elle
semblait avoir beaucoup de bagages.
Je suis certaine de ne pas lui avoir donné la
permission d’emprunter ma brouette !
Ils sont entrés dans la grange et ont tiré leurs
paquets jusqu’au grenier à foin à l’aide d’une
ficelle.
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Après cela, il n’y eut plus de rats pendant
longtemps chez Tabitha Twitchit.
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Quant au Fermier Patate, il devient fou.
Il y a des rats, des rats, des rats partout dans
sa grange !
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Ils mangent la nourriture des poulets, ils volent
les flocons d’avoine et le son, et ils percent les
sacs de farine.
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Ce sont tous les descendants de M. et Mme
Samuel Moustache : les enfants, petits-enfants
et arrière-arrière petits-enfants.
Et ça continue !
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Moppet et Mitaines sont devenus de très bons
chasseurs de rats.
Ils vont en attraper dans le village et ne
manquent pas de travail.
Ils sont payés au forfait à la douzaine et
gagnent très bien leur vie.
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Ils accrochent la queue des rats en rang sur la
porte de la grange, pour montrer combien ils en
ont attrapé (des dizaines et des dizaines).
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Mais Tom Chaton a toujours peur des rats,
il n’ose plus attaquer quelque chose de plus
gros… qu’une souris.
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Mots difficiles
muffin : petit gâteau britannique qui ressemble
aux madeleines
âtre : partie de la cheminée où l’on met les
bûches
obliques : en biais
réduit : une toute petite pièce
chevron : petite poutre
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priser du tabac : aspirer du tabac par le nez
brasseur : fabricant de bière
vrille : outil pour creuser le bois en tournant
atténuer : diminuer, réduire
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