Le conte de Samuel Moustache - Cartable Fantastique · Samuel Moustache), « Anna Maria, fais-moi...

Preview:

Citation preview

Le conte de Samuel Moustache

2 3

Le conte de Samuel Moustache

Beatrix Potter

Adaptation et traductionMarie-Line Périllat

pour «Le Cartable Fantastique»

4 5

Il était une fois une vieille chatte appelée Mme

Tabitha Twitchit.

C’était une maman inquiète.

Elle perdait sans cesse ses chatons et quand

ils étaient perdus, ils faisaient toujours des

bêtises !

Un jour où elle faisait la cuisine, elle décida de

les enfermer dans un placard.

Elle attrapa Moppet et Mitaines, mais elle ne

parvint pas à trouver Tom.

6 7

Mme Tabitha parcourut tous les étages de la

maison en miaulant pour appeler Tom Chaton.

Elle regarda dans le garde-manger sous

l’escalier, et elle fouilla la chambre d’amis, non

occupée et pleine de poussière.

Elle monta tout en haut et regarda dans le

grenier mais elle ne le trouva nulle part.

C’était une vieille, vieille maison, pleine de

placards et de recoins.

Certains murs étaient très épais, et il y avait

des bruits étranges dedans, comme s’il y avait

un escalier secret à l’intérieur.

8 9

Certes il y avait d’étranges portes dans la

boiserie, et des choses disparaissaient la nuit,

surtout le fromage et le bacon.

Mme Tabitha, de plus en plus inquiète, miaulait

désespérément.

Alors que leur mère fouillait la maison, Moppet

et Mitaines faisaient des bêtises.

La porte de placard n’étant pas verrouillée, les

deux chatons l’avaient ouverte en poussant et

étaient sortis.

10 11

Ils étaient allés directement vers une boule de

pâte qui reposait dans un plat avant d’être mise

au four.

Ils se mirent à la pétrir avec leurs petites pattes

douces.

« Et si nous faisions des petits muffins ? » dit

Mitaines à Moppet.

12 13

Mais juste à ce moment-là quelqu’un frappa

à la porte d’entrée, et Moppet paniquée sauta

dans le tonneau de farine.

14 15

Mitaines s’enfuit à la laiterie et se cacha dans

une jarre vide sur l’étagère de pierre où l’on

stockait le lait.

16 17

Le visiteur était une voisine, Mme Ribby, elle

venait emprunter un peu de levure.

Mme Tabitha descendit en miaulant

désespérément :

« Entrez donc, cousine Ribby, entrez, et

asseyez-vous, je suis dans un triste embarras,

cousine Ribby », dit Tabitha, en versant des

larmes.

« J’ai perdu mon cher fils Thomas, je crains que

les rats ne l’aient pris. »

Elle essuya ses yeux avec son tablier.

18 19

« C’est un vilain petit chat, cousine Tabitha, il

a pris mon meilleur chapeau pour y dormir la

dernière fois que je suis venue prendre le thé.

Où l’avez-vous cherché ? »

20 21

« Partout dans la maison ! Les rats sont trop

nombreux pour moi. C’est terrible d’avoir une

famille indisciplinée ! » déclara Mme Tabitha

Twitchit.

« Je n’ai pas peur des rats. Je vais vous aider

à le trouver… et à lui donner une fessée ! Mais

qu’est-ce toute cette suie dans la cheminée ? »

« Oh, la cheminée a besoin d’être nettoyée.

Mon Dieu, cousine Ribby ! Maintenant Moppet

et Mitaines sont partis ! »

« Ils sont tous les deux sortis du placard ! »

22 23

Ribby et Tabitha fouillèrent à nouveau la

maison de fond en comble : sous les lits avec le

parapluie de Ribby et dans les placards.

Elles prirent même une bougie pour regarder

dans une malle à vêtements dans un des

greniers.

Elles ne trouvèrent rien mais à un moment elles

entendirent une porte claquer et des pas qui

dévalaient l’escalier.

24 25

« Oui, c’est infesté de rats » dit Tabitha, les

larmes aux yeux.

« J’ai attrapé sept jeunes rats près d’un trou

dans l’arrière-cuisine, et nous les avons mangé

au dîner de samedi dernier. Et une fois, cousine

Ribby, j’ai vu le père rat, un énorme vieux rat.

J’allais sauter sur lui quand il m’a montré ses

dents jaunes et a disparu dans le trou. »

« Les rats me tapent sur les nerfs, cousine

Ribby » dit Tabitha.

Ribby et Tabitha continuèrent à chercher et à

chercher encore.

26 27

Elles entendirent toutes deux un curieux bruit

de roulement sous le plancher du grenier.

Mais il n’y avait rien de visible.

Elles retournèrent à la cuisine.

« Voici au moins l’un de vos chatons », dit

Ribby, en extirpant Moppet du tonneau de

farine.

Elles époussetèrent la farine de son poil et la

posèrent sur le sol de la cuisine.

Elle avait l’air paniquée.

28 29

« Maman, Maman ! », dit Moppet, « il y avait

une vieille femelle rat dans la cuisine, et elle a

volé une partie de la pâte ! »

Les deux chattes se précipitèrent pour vérifier

la boule de pâte.

Manifestement il y avait des traces de griffures

et un morceau de pâte avait disparu !

« De quel côté est-elle allée, Moppet ? »

30 31

Mais Moppet avait trop peur pour retourner

vérifier dans le tonneau de farine.

Ribby et Tabitha la prirent avec elles pour

l’avoir à l’œil tandis qu’elles continuaient à

chercher.

Elles entrèrent dans la laiterie.

La première chose qu’elles trouvèrent fut

Mitaines qui se cachait dans une jarre vide.

Elles inclinèrent la jarre, et Mitaines en sortit.

32 33

« Maman, Maman ! » dit Mitaines.

« Maman, Maman ! Il y avait un vieux rat dans

la laiterie, un horrible rat, Maman ! Énorme !

Et il a volé une noix de beurre et le rouleau à

pâtisserie. »

Ribby et Tabitha se regardèrent.

« Un rouleau à pâtisserie et le beurre ! Oh, mon

pauvre petit Thomas ! » s’écria Tabitha, en se

tordant les pattes.

« Un rouleau à pâtisserie ? » dit Ribby.

34 35

« N’avons-nous pas entendu un bruit de

roulement dans le grenier quand nous étions en

train de fouiller la malle ? »

Ribby et Tabitha retournèrent à l’étage à toute

allure.

Effectivement, on entendait encore nettement le

bruit de roulement sous le plancher du grenier.

36 37

« C’est grave, cousine Tabitha », dit Ribby.

« Nous devons aller chercher John Joiner tout

de suite, qu’il vienne avec une scie. »

38 39

Or, voici ce qui était arrivé à Tom Chaton,

et cela montre à quel point il n’est pas bien

astucieux de grimper dans un conduit de

cheminée dans une maison très ancienne,

quand on ne connaît pas son chemin, et quand

il y a d’énormes rats.

Tom Chaton ne voulait pas être enfermé dans

le placard.

Quand il vit que sa mère allait faire de la

cuisine, il décida de se cacher.

40 41

Il chercha un bon endroit et repéra la cheminée.

Le feu venait d’être allumé, et il n’était pas

encore chaud, il y avait juste une fumée

blanche qui montait du petit bois encore vert.

Tom Chaton monta sur le pare-feu et leva les

yeux.

C’était une grande cheminée à l’ancienne.

Le foyer lui-même était assez grand à l’intérieur

pour qu’un homme y tienne debout.

Il y avait donc beaucoup de place pour un petit

chat.

42 43

Tom Chaton sauta dans la cheminée, se

balançant sur la barre de fer où l’on accroche la

bouilloire.

Puis il fit un autre grand saut en s’appuyant

sur la barre de fer, et atterrit sur une corniche

dans le conduit de cheminée, faisant tomber au

passage de la suie sur le pare-feu.

Tom Chaton toussa, étouffé par la fumée, et il

put entendre le bois qui commençait à crépiter

et à brûler dans la cheminée, plus bas.

44 45

Il se décida à grimper tout en haut, et à

sortir sur le toit pour essayer d’attraper des

moineaux.

« Je ne peux pas revenir en arrière. Si je

glissais, je pourrais tomber dans le feu, je

grillerais le bout de ma queue et ma petite

veste bleue. »

46 47

Sur le toit, la cheminée était une très grande

cheminée à l’ancienne.

Elle avait été construite à l’époque où les gens

brûlaient de grosses bûches dans l’âtre.

La cheminée se dressait sur le toit comme

une petite tour de pierre, et la lumière du jour

descendait du toit, passant sous les ardoises

obliques qui arrêtaient la pluie.

48 49

Tom Chaton commençait à avoir très peur !

Il monta, encore et encore.

Il traversa des couches de suie, tel un petit

ramoneur.

Il était tout désorienté, dans l’obscurité.

50 51

Un conduit semblait mener à un autre.

Il y avait moins de fumée, mais Tom Chaton se

sentait perdu.

52 53

Il se hissa de plus et plus haut, mais avant

d’avoir atteint le sommet de la cheminée, il

arriva à un endroit où quelqu’un avait descellé

une pierre du mur.

Il y avait dessus quelques os de mouton.

« C’est bizarre ! » dit Tom Chaton.

« Qui a bien pu ronger des os à ici dans la

cheminée ? Je voudrais n’être jamais venu ici !

Et puis quelle drôle d’odeur ! Ça sent un peu

la souris. En beaucoup plus fort. Ça me donne

envie d’éternuer. » dit Tom Chaton.

54 55

Il se faufila au travers du trou dans le mur, et

se glissa dans un passage étroit et malaisé où il

n’y avait presque pas de lumière.

56 57

Il chercha prudemment son chemin à tâtons sur

plusieurs mètres.

Il était derrière la plinthe dans le grenier, où il y

a une petite marque dans l’image.

58 59

Tout à coup, il tomba à la renverse dans

l’obscurité, finit dans un trou, et atterrit sur un

tas de chiffons très sales.

Quand Tom Chaton se releva et regarda autour

de lui, il se trouvait dans un endroit qu’il n’avait

jamais vu auparavant, alors qu’il avait vécu

toute sa vie dans la maison.

C’était un réduit étouffant, plein de planches, de

chevrons, de toiles d’araignée, de lattes de bois

et de plâtre.

60 61

En face de lui, aussi loin qu’il avait pu s’asseoir,

se trouvait un énorme rat.

« Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Tu tombes

comme ça, dans mon lit, tout couvert de

suie ? » dit le rat, en grinçant des dents.

« S’il vous plaît, monsieur, c’est la cheminée qui

a besoin d’être nettoyée ! » dit le pauvre Tom

Chaton.

62 63

« Anna Maria ! Anna Maria ! » couina le rat.

Il y eu un crépitement et une vieille femelle rat

passa sa tête à côté d’un chevron.

64 65

En moins d’une minute, elle se précipita sur

Tom Chaton, et avant qu’il ait pu comprendre

ce qui se passait, on lui avait retiré sa veste, et

on l’avait empaqueté et ficelé avec des nœuds

bien serrés.

C’est Anna Maria qui s’occupa de

l’empaquetage.

Le vieux rat, lui, regardait en prisant du tabac.

Quand elle eut fini, ils restèrent tous les deux

assis à le regarder la bouche ouverte.

66 67

« Anna Maria, » dit le vieux rat (qui s’appelait

Samuel Moustache), « Anna Maria, fais-moi

donc un dessert fourré au chaton pour mon

dîner. »

« Il faut de la pâte et une noix de beurre et un

rouleau à pâtisserie, » répondit Anna Maria, en

inclinant la tête pour regarder Tom Chaton.

« Non, non. » dit Samuel Moustache,

« Fais-le comme il faut, Anna Maria, avec de la

chapelure. »

68 69

« Mais non ! Avec du beurre et de la pâte ! »

insista Anna Maria.

Les deux rats discutèrent pendant quelques

minutes, puis s’en allèrent.

Samuel Moustache passa au travers d’un trou

dans la boiserie, et prit effrontément l’escalier

principal pour se rendre dans la laiterie pour

chercher le beurre.

Il ne rencontra personne.

Il fit un second voyage pour le rouleau à

pâtisserie.

70 71

Il le fit rouler devant lui avec ses pattes, comme

un brasseur fait rouler un tonneau.

Il put entendre parler Ribby et Tabitha, mais

elles étaient occupées à allumer la bougie pour

fouiller la malle.

Elles ne le virent pas.

Anna Maria passa par la plinthe et un volet de

la fenêtre de la cuisine pour aller voler la pâte.

72 73

Elle emprunta une petite soucoupe et ramassa

la pâte avec ses pattes.

Elle ne vit pas Moppet.

74 75

Tom Chaton se retrouva seul sous le plancher

du grenier, aussi il se tortilla et essaya de

miauler pour appeler à l’aide.

Mais comme il avait la bouche pleine de suie

et de toiles d’araignée et qu’il était ligoté très

serré, il ne réussit pas à se faire entendre.

Sauf par une araignée qui sortit d’une fente

dans le plafond et examina les nœuds d’un œil

critique tout en gardant ses distances.

C’était une experte en nœuds, car elle avait

l’habitude de ligoter de malheureuses mouches

bleues.

76 77

Elle ne proposa pas à Tom de l’aider.

Tom Chaton continua à se tortiller jusqu’à ce

qu’il soit complètement épuisé.

Sur ce, les rats revinrent et se mirent à en faire

leur dessert.

D’abord, ils l’enduisirent de beurre, puis ils le

roulèrent dans la pâte.

« Ne crois-tu pas que la ficelle sera indigeste,

Anna Maria ? » demanda Samuel Moustache.

78 79

Anna Maria répondit qu’elle pensait que c’était

sans importance.

Elle aurait bien aimé que Tom Chaton arrête de

bouger la tête, car il défaisait la pâte.

Elle lui attrapa les oreilles.

Tom Chaton mordit, cracha, miaula et se

tortilla.

80 81

Le rouleau à pâtisserie faisait des allers retours,

les deux rats tenant chacun un bout.

« Sa queue dépasse ! Tu n’as pas récupéré

assez de pâte, Anna Maria ! »

« J’en ai pris autant que je pouvais en

porter ! »répondit Anna Maria.

« À mon avis », dit Samuel Moustache,

s’arrêtant pour jeter un coup d’œil sur Tom

Chaton, « à mon avis, ça ne va pas faire un bon

dessert. Ça sent la suie. »

82 83

Anna Maria était sur le point de discuter quand

tout à coup ils entendirent des bruits au-dessus

d’eux : le bruit grinçant d’une scie et aussi le

bruit d’un petit chien qui grattait et jappait.

Les rats laissèrent tomber le rouleau à

pâtisserie et écoutèrent attentivement.

« Nous sommes repérés, Anna Maria, et nous

devons arrêter Allez, ramassons nos affaires,

et celles des autres aussi, et partons tout de

suite ! »

84 85

« Je crains bien que nous ne soyons obligés de

laisser notre dessert ici. Mais je maintiens que

la ficelle aurait été indigeste, même si tu dis le

contraire. Viens donc m’aider à mettre quelques

os de mouton dans un balluchon ! » dit Anna

Maria.

« J’ai un demi-jambon fumé caché dans la

cheminée. »

86 87

Le temps que John Joiner réussisse à défaire

la planche, il n’y avait plus rien sous le plancher

sauf le rouleau à pâtisserie et Tom Chaton dans

une boulette de pâte toute sale !

88 89

Mais il y avait quand même une forte odeur de

rat et John Joiner passa le reste de la matinée

à renifler, à gémir, à remuer la queue et à

passer le museau dans le trou en tournant en

rond comme une vrille.

Puis il recloua la planche, remit ses outils dans

son sac et descendit.

90 91

La famille chat ayant tout à fait retrouvé ses

esprits, on l’invita à dîner.

On avait retiré la pâte autour de Tom Chaton et

on en avait fait un chausson à la groseille pour

atténuer le goût de suie.

Ils avaient été obligés de donner un bain chaud

à Tom Chaton pour retirer le beurre dans ses

poils.

John Joiner sentit la bonne odeur du pudding

mais il s’excusa de ne pas avoir le temps de

rester à dîner.

92 93

Il venait de finir de fabriquer une brouette pour

Melle Potter, mais elle avait aussi commandé

deux cages à poules.

Quand je suis allée à la poste en fin d’après-

midi, j’ai regardé dans la rue et j’ai aperçu

M. Samuel Moustache et sa femme qui

s’enfuyaient avec de gros baluchons dans une

petite brouette qui ressemblait beaucoup à la

mienne.

Ils étaient juste au niveau de la barrière devant

la grange du Fermier Patate.

94 95

Samuel Moustache soufflait, il était hors

d’haleine.

Anna Maria discutait encore avec sa voix aigüe.

Elle avait l’air de connaître son chemin, et elle

semblait avoir beaucoup de bagages.

Je suis certaine de ne pas lui avoir donné la

permission d’emprunter ma brouette !

Ils sont entrés dans la grange et ont tiré leurs

paquets jusqu’au grenier à foin à l’aide d’une

ficelle.

96 97

Après cela, il n’y eut plus de rats pendant

longtemps chez Tabitha Twitchit.

98 99

Quant au Fermier Patate, il devient fou.

Il y a des rats, des rats, des rats partout dans

sa grange !

100 101

Ils mangent la nourriture des poulets, ils volent

les flocons d’avoine et le son, et ils percent les

sacs de farine.

102 103

Ce sont tous les descendants de M. et Mme

Samuel Moustache : les enfants, petits-enfants

et arrière-arrière petits-enfants.

Et ça continue !

104 105

Moppet et Mitaines sont devenus de très bons

chasseurs de rats.

Ils vont en attraper dans le village et ne

manquent pas de travail.

Ils sont payés au forfait à la douzaine et

gagnent très bien leur vie.

106 107

Ils accrochent la queue des rats en rang sur la

porte de la grange, pour montrer combien ils en

ont attrapé (des dizaines et des dizaines).

108 109

Mais Tom Chaton a toujours peur des rats,

il n’ose plus attaquer quelque chose de plus

gros… qu’une souris.

110 111

Mots difficiles

muffin : petit gâteau britannique qui ressemble

aux madeleines

âtre : partie de la cheminée où l’on met les

bûches

obliques : en biais

réduit : une toute petite pièce

chevron : petite poutre

112 113

priser du tabac : aspirer du tabac par le nez

brasseur : fabricant de bière

vrille : outil pour creuser le bois en tournant

atténuer : diminuer, réduire