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LETTRES DU MAROC
m (i)
LA SUPPRESSION DES CAPITULATIONS
I e r août 1913.
I l me revient qu'une personnalité allemande a exprimé l'avis
que « les Puissances européennes ne considéreront en fait le P r o
tectorat comme établi et leur donnant des garanties qu'elles
peuvent nous demander que lorsqu' i l y aura non seulement une
organisation judiciaire française mais aussi une organisation admi
nistrative au moins embryonnaire ».
L ' o p i n i o n formulée par cette personnalité dénote de sa part
une ignorance complète de l'œuvre de réorganisation politique
et administrative accomplie ic i depuis l 'instauration de notre
Protectorat. Cette opinion n'a pas cours seulement en Allemagne,
et lorsque j 'en trouve l'expression sur les lèvres d'une personnalité
étrangère, je ne puis pas ne pas y répondre. L a laisser s'accréditer
chez nos adversaires nous mènerait à leur permettre, de gaîté de
cœur, de justifier l 'obstruction constante qu'ils opposent à nos
demandes de suppression de certains des privilèges qu'ils détien
nent, ou plus exactement, puisque à cela s'est bornée jusqu'à
présent notre ambition, de l'abus qu'ils en font.
Quiconque se prétend informé des choses d u M a r o c français ne
peut ignorer cependant qu'à mesure que s'étend notre occupation
et avec cette présence, mon premier soin est d'organiser l ' a d m i
nistration locale en plaçant les chefs indigènes sous le contrôle
des agents français.
Dans les territoires militaires le contrôle est assuré sous l'auto-
(1) Voyez La Revue des 1" et 15 Juillet.
LETTRES DU MAROC 397
rite supérieure des commandants de régions et la direction des
commandants de cercles (14 dans le M a r o c occidental et 7 dans
le M a r o c oriental) par les bureaux de renseignements (47 dans le
M a r o c occidental et 17 dans le M a r o c oriental). Chaque bureau
de renseignements comporte un ou plusieurs officiers, suivant
l'importance d u territoire de son ressort, et des interprètes.
L e chef de bureau contrôle tous les détails d u fonctionnement
de l 'administration des caïds indigènes, notamment le prononcé
des peines et amendes, la perception de l'impôt, les corvées,
les fournitures de mouna, etc. . I l contrôle également l 'adminis
tration de la justice indigène, examinant en particulier toutes
les plaintes des plaideurs contre les magistrats.
Les questions les plus importantes sont soumises au comman
dant de la région par l'intermédiaire d u commandant du cercle et
ces différents organes ressortissent eux-mêmes pour toutes les
questions administratives au secrétariat général du gouvernement
chérifien.
Dans la région civile de la Chaouïa le contrôle politique et
administratif des autorités indigènes est assuré dans des con
ditions analogues par u n contrôleur en chef et les contrôleurs
placés sous ses ordres et i l en est de même de la circonscription
civile créée dans la région de Rabat (Gharb et B e n i Hassen).
Ces deux régions civiles, soit dit en passant, sont reliées entre
elles par la circonscription administrative constituée par le terri
toire de Rabat-Banlieue qui est administré sous la direction civile
du Consul de France à Rabat.
D e même que celle des caïds, l 'administration des pachas ou
gouverneurs des villes est contrôlée par nos agents, qui sont en
l'espèce les chefs des Services municipaux, lesquels sont à Rabat,
Casablanca et Mogador adjoints au Consul de France qui visent
notamment toute la correspondance des pachas. L 'act ion des
Services municipaux est aidée à Casablanca, Rabat, Fez et le sera
prochainement à Meknès par des Commissions municipales.
Pour terminer cette rapide revue de l 'administration locale, je
rappellerai qu'en ce qui concerne la justice indigène une circu
laire d u G r a n d V i z i r en date d u 25 décembre 1912 a limité les
pouvoirs répressifs des pachas et des caïds, et en soumet l'exercice
au contrôle d u délégué à l'autorité administrative locale. Sans
attendre la mise en vigueur d u projet de réorganisation de la justice
musulmane actuellement soumis au Département un contrôle
398' LA R E V U E
des plus sévères est donc exercé, d'ores et déjà, sur la gestion
des magistrats indigènes. E n outre, les caïds de la Chaouïa et des
régions du G h a r b et des B e n i Hassen ont dû subir u n examen
portant sur leurs aptitudes professionnelles auquel sont progressi
vement soumis leurs collègues des autres régions. D'autre part,
en attendant l 'application d 'un règlement qui doit entrer en vigueur,
le m a x i m u m de garanties a été accordé aux transactions i m m o b i -
/ Hères par l 'application de la circulaire d u G r a n d V i z i r d u
I e r novembre 1912, qui permet aux étrangers se conformant à
ses dispositions d'effectuer des achats et ventes d'immeubles avec
une sécurité inconnue jusque là au M a r o c . Quant à l 'administration
centrale, sa réorganisation et son contrôle ont été également l'objet
des efforts du secrétaire général du gouvernement chérifien. L e
G r a n d V i z i r est contrôlé dans ses rapports avec les autorités
locales et leurs administrés par le bureau de l 'administration
indigène, au moyen d u visa et de l'enregistrement de sa corres
pondance au départ et à l'arrivée.
L e viz ir de la justice est contrôlé de la même manière dans ses
rapports avec les cadis et leurs justiciables par le bureau de la justice
indigène, de même que le directeur des Habous est contrôlé,
par les mêmes moyens, par le bureau des Habous. Ces trois organes
de contrôle constituent la section d'Etat d u secrétariat général
du gouvernement chérifien.
Les Finances sont contrôlées par la direction générale des
Finances, de laquelle relève le Service des Domaines, grâce auquel
les biens d u domaine publ ic , objet ces dernières années des d i lap i
dations que l 'on sait, ont p u déjà être en grande partie reconstitués
e| sur certains points, comme à Marrakech et à K e n i f r a , être lotis
et mis en vente avec succès aux enchères publiques.
Ces résultats tangibles, faciles à vérifier sur place par tout
observateur de bonne foi , et auxquels les étrangers n'hésitent
pas i c i même à rendre hommage fréquemment, sont dus au tact, à
l'activité et au dévouement de mes collaborateurs de tout ordre,
civils et militaires. Ils me permettent d'affirmer l'existence d'une
organisation administrative plus qu'embryonnaire et qui n'attend
pour prendre son plein développement que la mise à la disposition
du gouvernement d u Protectorat des ressources financières
indispensables.
J'ose espérer que l 'on m'excusera de m'être étendu sur ce sujet
et d'avoir peut-être pris plus au sérieux q u ' i l ne convenait les
LETTRES DU MAROC 399
réflexions maussades d'une personnalité allemande. M a i s comme
à l'ambassadeur de la République à Ber l in , elles m'ont paru
cependant l ' indice chez nos adversaires d 'un parti pris d'ignorance
ou de dénigrement systématique de notre œuvre administrative
au Maroc . Cette attitude s'expliquerait d'ailleurs aisément par
le désir de rechercher des prétextes à se refuser, le moment venu,
à discuter la question de la suppression des capitulations.
LA JETÉE ET LE PORT DE CASABLANCA
L e 6 février 1913.
Les renseignements reçus à Bordeaux des compagnies de navi
gation, confirmés par le commandant du Versailles et confirmés
non moins nettement à Casablanca par le commandant de la division
navale, au sujet d u port de Casablanca, me préoccupent vivement,
car ils remettent son principe même en question. Ils concordent
en effet pour affirmer que l'expérience des deux mois, derniers
fait ressortir avec évidence l'impossibilité pratique de faire u n
grand port de Casablanca, où la grande jetée risquerait d'être
démolie à mesure de sa construction et où, en tous cas, les travaux
entraîneraient des dépenses et des délais impossibles à préciser,
mais qui dépasseraient de beaucoup toutes les prévisions faites.
Tous ces avis techniques sont nettement affirmatifs.
Casablanca, le 10 février 1913.
D e l ' information que je poursuis à Casablanca depuis trois
jours, i l résulte que les renseignements sont uniquement des
renseignements marins et représentent l 'optique de la marine.
Les renseignements des ingénieurs et des commandants de ports
en sont très différents et paraissent confirmer nos conclusions
primitives. I l ressort notamment, ainsi que je l 'a i constaté, que
tous les travaux faits dans le dernier exercice ont résisté malgré
la violence exceptionnelle du dernier hivernage. L a digue com
mencée n'a subi que peu de dommages et les remorqueurs sont
restés à l 'abr i , ce qui constitue u n progrès sensible sur les années
précédentes.
Ces constatations de fait semblent infirmer les pronostics pessi
mistes des marins et donner les éléments nécessaires pour main
tenir les projets en cours, sous la réserve d'être solidement couvert
par les avis conformes de la Commission des Ports. M a i s la nécessité
400 LA R E V U E
n'en persiste pas moins de décongestionner Casablanca pour
l'hivernage prochain et pendant la période des travaux, en trouvant
une formule qui permette d'utiliser Fédalah et Mazagan sans
engager l 'avenir et compromettre Casablanca, formule qui s'impose
d'urgence.
LE PORT DE FÉDALAH
Rabat, le 29 novembre 1913.
L a direction des Travaux publics de la Résidence générale
prépare u n projet de concession, à la Société Franco-Marocaine de
Fédalah, d u port du même nom.
Cette compagnie doit construire et exploiter ce port ; mais les
ouvrages d'aménagement, jetée, quai, wharf, bassin, e t c . , doivent
faire l'objet d'adjudications poursuivies dans les formes habituelles
devant la Commission des adjudications ou de marchés de gré à
gré approuvés par celle-ci.
Pour que les adjudicataires de ces travaux puissent le plus tôt
possible les commencer, i l a paru nécessaire de leur faciliter,
à Fédalah même, le débarquement de leur matériel par des dragages
effectués près d u futur port, sans qu'ils aient à passer par Casa
blanca où, d u reste, pendant la mauvaise saison, les débarquements
sont difficiles ; de cette manière et sans travaux préparatoires, ces
adjudicataires pourraient commencer les travaux qui leur seront
confiés.
I l semblait d'autant plus utile de procéder de suite à ces dra
gages, que l 'on utiliserait ainsi le temps nécessaire pour la conclu
sion de la convention et pour les adjudications des travaux.
C'est dans ce but que la direction des Travaux publics avait
demandé à la Commission générale des adjudications l'autorisation
d'exécuter ces travaux en régie.
L a Commission générale des adjudications ainsi saisie a autorisé
à la majorité des voix l'exécution en régie des travaux de dragage
en question. Les deux délégués d u corps diplomatique, u n A l l e
mand et u n Italien, ont voté contre, estimant que le règlement
sur les adjudications en général ne prévoyait pas l 'autorisation
par la Commission générale des Travaux en régie. Cependant,
ces deux délégués se sont bornés à u n vote défavorable, et n'ont
soulevé n i objection, n i protestation. N o u s ne nous trouvons donc
pas dans le cas prévu par le paragraphe 7 de l'article 4 d u règlement
sur les adjudications, ainsi libellé : « Dans le cas où les délégués
LETTRES DU MAROC 401
du Corps Diplomatique estimeraient que l 'adoption d'une propo
sition constituerait une violation des dispositions de l 'Acte d'Algé-
siras, ils formuleront leurs objections dans une déclaration faite
par écrit. L e président de la Commission, avant de passer au vote,
soumettra la question ainsi posée au Corps Diplomatique qui ,
dans u n délai ne dépassant pas quinze jours, fera connaître son
avis sur le" bien fondé de l'objection. »
L e vote de la Commission des adjudications est donc valable
ment acquis.
D u reste, le délégué allemand a déclaré au président de la
Commission que son vote n'a nullement la signification d'une
opposition systématique et le lendemain le chargé d'affaires
d'Allemagne a tenu à venir spontanément expliquer à M . de V a l -
drome l'attitude de son délégué, l u i renouvelant l'assurance q u ' i l
ne désirait créer aucune difficulté au Protectorat.
CONSERVATION DES SITES ET MONUMENTS
Rabat, le 23 avri l 1913.
Décision. — L a beauté et l'intérêt historique de l'architecture marocaine résidant non seulement dans ses monuments importants, mais encore et surtout dans l'ensemble des constructions qui forment les centres et dans leur perspective générale, i l est de la plus haute importance que toute modification faite dans l'intérieur ou à l'extérieur des enceintes de villes soit judicieusement étudiée.
E n conséquence, tout percement de murailles, transformation de portes de ville, agrandissement des rues, travaux d'alignement, même présentant u n caractère de nécessité immédiate, travaux d'embellissement tels que squares, jardins, dispositifs d'éclairage et d'une manière générale tout ce q u i peut modifier le caractère des villes indigènes, ne doit être entrepris qu'après avoir été soumis au préalable à l 'approbation d u service des Beaux-Arts de la Résidence générale.
ORGANISATION DE LA JUSTICE
Marrakech, le 19 mars 1913.
Elaboré dans des conditions rendues particulièrement difficiles
par l'absence des ouvrages de droit et de jurisprudence les plus
indispensables, ceux que j 'a i commandés en France ne m'étant
pas encore parvenus, ce projet contient sans doute bien des imper-
402 LA R E V U E
fections ; je me suis efforcé néanmoins d'établir, dès m o n retour au M a r o c , u n texte aussi complet que possible que je soumets aujourd'hui au gouvernement : une Commission de jurisconsultes pourra rapidement mettre au point notre projet et en combler les lacunes.
Je me permets d'attirer toute l'attention sur l'urgence de la réforme proposée : c'est à m o n sens la première que nous devions réaliser au M a r o c ; elle est en effet la condition nécessaire de l'abrogation du régime des capitulations et, par suite, la condition même de la réorganisation administrative au M a r o c dont le gouvernement m'a confié le soin et remis la responsabilité.
Je me suis efforcé dans l'élaboration de ce projet de réaliser u n organe judiciaire entièrement moderne. J 'a i tenu à écarter tout ce que le mécanisme judiciaire français a de suranné, toutes les complications d'une procédure justement critiquée par les meilleurs de nos jurisconsultes et par les politiques les plus avertis des choses d u D r o i t . E n revanche, pour des motifs tant diplomatiques que politiques, j ' a i voulu qu'aucune des règles proposées n'apparût comme innovation q u i n'aurait pas subi l'épreuve de l'expérience : les organismes et les procédures dont je demande l 'adoption, s'ils s'écartent parfois d u droit commun, sont exactement tirés de textes actuellement en vigueur en France, en Algérie, en Tunis ie ou aux autres colonies ; je me suis attaché, en outre, à mettre en œuvre dès aujourd'hui diverses réformes actuellement soumises aux Chambres par le gouvernement.
L e projet d'organisation judiciaire étant accompagné d 'un c o m mentaire par article d u texte proposé, je me bornerai i c i à en retracer les grandes lignes.
L a première question qui se pose est celle de savoir quelle est l'autorité compétente pour organiser les tribunaux français au M a r o c .
L'organisation des tribunaux français au M a r o c comporter* des justices de paix à compétence étendue, deux tribunaux de première instance, une C o u r d'appel.
Les juges de paix à compétence étendue siégeront dans les mêmes conditions et auront les mêmes attributions qu'en Algérie. Des juges de paix titulaires seront institués dans toutes les villes de quelque importance; dans ces mêmes villes des juges de paix suppléants pourront être nommés. E n outre, les fonctions de juge de paix pourront être confiées le cas échéant à des officiers.
LETTRES D U MAROC 403
D e u x tribunaux de première instance sont prévus, l ' u n à Casa
blanca, l'autre à Oudjda.
E n f i n une C o u r d'appel est instituée à Rabat. I l m'a paru
préférable de ne pas renvoyer à Alger ou à A i x l 'appel des décisions
de première instance prises par les juridictions d u M a r o c ; outre
qu'une telle solution eût eu pour conséquence de retarder
considérablement le règlement des affaires, elle eût nécessité
l ' intervention d'une lo i pour établir la compétence de l 'une de
ces Cours.
A u criminel les justices de paix et les tribunaux correctionnels
auront la même compétence qu'en Algérie. L e tr ibunal avec
l'adjonction d'assesseurs-jurés aura, comme en T u n i s i e , la compé
tence de la Cour d'assises. L e jury délibérera avec les magistrats
sur la culpabilité et sur l 'application de la peine. L a question
a été examinée de savoir s ' i l ne conviendrait pas de donner à la
C o u r de Rabat les pouvoirs d u juge de cassation. Cette solution
offrait l'avantage d'une grande rapidité dans le règlement définitif
des litiges ; elle s'inspirait d'autre part de l 'exemple de la juridiction
du Conseil d'Etat. I l m'a semblé par contre q u ' u n grand avantage
s'attacherait au contrôle suprême de la C o u r de Cassation sur les
décisions rendues par les juridictions marocaines ; les plaideurs
français et étrangers y trouveront une garantie q u i ne manquera
pas d'accroître le prestige de notre organisation judiciaire et qui
facilitera les négociations ouvertes en vue d u retrait des capi
tulations. Aucune disposition spéciale n'est nécessaire pour donner
compétence à la C o u r de Cassation qui trouve son droit de contrôle
dans le texte même d u Protectorat, et dans la l o i approbative
de ce traité. I l m'a paru toutefois que les tribunaux marocains
devant statuer au n o m de S. M . le Sultan, i l était nécessaire q u ' u n
accord intervînt entre les deux gouvernements pour soumettre
les décisions des juridictions nouvelles à la censure de la C o u r
suprême. Cet accord donnera en même temps force exécutoire,
en France, aux décisions et actes de procédure émanant des auto
rités judiciaires chérifiennes et réciproquement.
E n ce q u i concerne la composition des juridictions instituées,
je me suis attaché, d'une part, à réduire le nombre des magis-
> trats appelés à siéger, d'autre part, à faciliter les remplacements
en cas d'absence. A cet effet, la C o u r pourra siéger valablement
à trois membres, conformément aux projets déposés à la Chambre
par M . le Garde des Sceaux C r u p p i . E n outre, les juges de paix
404 LA R E V U E
pourront être appelés à monter au siège, conformément au projet
déposé par M . le Garde des Sceaux Briand.
Des dispositions sont prévues qui tendent à éviter les abus
auxquels ont parfois donné lieu les remplacements des magistrats
dans nos colonies.
L e personnel des tribunaux français au M a r o c , doit, dans ma
pensée, être celui des Cours et tribunaux de France et d'Algérie.
Seul u n cadre unique permet d'assurer u n jeu nécessaire au déve
loppement de carrières normales et à une bonne administration
de la justice.
M a i s une lo i serait, je crois, nécessaire pour autoriser les
magistrats français à siéger, en service régulier, au M a r o c , et
réciproquement. Devant l'urgence absolue qui s'attache au fonc
tionnement de nos tribunaux je sollicite l 'envoi provisoire de
magistrats français qui conserveraient leurs droits à la retraite
et seraient autorisés à remplir les fonctions judiciaires au M a r o c ,
conformément au précédent établi par M . Landry . U n projet
de l o i serait incessamment déposé qui réglementerait définitivement
la situation des magistrats français au M a r o c .
Je me suis donc borné dans le projet à préciser, pour donner
toute garantie aux justiciables, que pourront seuls siéger dans
les tribunaux marocains des magistrats français ou des personnes
légalement aptes à remplir les fonctions judiciaires en France.
U n statut réglant l'avancement et la discipline de ces magistrats
est en outre institué en conformité des textes français ou des
projets actuellement soumis aux Chambres.
L ' u n e des innovations les plus notables d u projet d'organisation
judiciaire est celle qui concerne les auxiliaires de la justice. I l m'a
paru désirable d'éviter au M a r o c l'établissement d'offices m i n i s
tériels q u i constituent une lourde charge pour les justiciables
et dont l ' institution en France prête à de nombreuses critiques.
A u x colonies et en Algérie, des plaintes se sont également élevées
relatives aux abus qu'occasionnent les offices d'avocats-défenseurs
les charges d'officiers publics ou ministériels. L e gouvernement
de l'Algérie a même récemment soumis à la Chancellerie u n projet
tendant à transformer les notaires en fonctionnaires et à les recruter
au concours. O n sait enfin quels regrettables scandales ont été
récemment soulevés en France par la gestion de certains liquidateurs
judiciaires.
Je n'hésite donc pas à proposer de confier l'ensemble des attri-
LETTRES DU MAROC 405
butions dévolues en France aux divers auxiliaires de la justice,
notaires, greffiers, avoués, liquidateurs judiciaires de sociétés,
syndics de faillite, curateurs, e t c . , à u n corps de fonctionnaires,
divisé en classes et recevant en principe u n traitement fixe. Ce
corps de fonctionnaires est d'ailleurs destiné à devenir ultérieure
ment l 'administration de l 'e n registrement.
Cette solution, au reste, n'est pas nouvelle ; elle est précisément
celle qui a été adoptée par le Parlement, à la suite des incidents
précités, et qui a consisté dans la remise à l 'administration de
l'enregistrement de la l iquidation des biens des congrégations
(loi d u 29 mars 1910).
Des dispositions spéciales tendent à réglementer le recrutement
et la discipline d u barreau. Celle-ci est confiée au tribunal ; solution
nécessaire dans u n pays où l 'intervention des avocats étrangers
pourra être ultérieurement envisagée.
E n f i n , en ce qui concerne le personnel des experts près les
tribunaux, je me suis inspiré pour les garanties à exiger des hommes
de l 'art, des dispositions d u projet déposé au Sénat par M . le Garde
des Sceaux Barthou.
Les tribunaux français au M a r o c seront compétents pour le
règlement des affaires entre Français, entre Européens, lorsque les
capitulations auront été abrogées, en matière immobilière ou
mobilière ; entre indigènes, en toutes matières lorsque les deux
parties accepteront cette juridiction ; en matière mobilière, dans
les affaires entre Européens et indigènes. Je n'ai pas cru devoir,
quant à présent, imposer la compétence de la juridiction française,
c'est-à-dire dessaisir le tribunal indigène, dans les causes i m m o b i
lières entre Européens et indigènes. D 'une part, le caractère spécial
des questions immobilières, au point de vue indigène, d'autre part,
l'absence d 'un régime foncier régulier m'ont amené à penser q u ' i l
est préférable de surseoir jusqu'à la promulgation d'une réglemen
tation immobilière pour étendre aux indigènes la compétence des
tribunaux français. Cette réglementation est, dès à présent, mise
à l'étude. A u cas où i l conviendrait de généraliser immédiatement
la compétence de nouvelles juridictions, i l me paraît nécessaire
d'adjoindre pour le jugement de ces affaires deux assesseurs
indigènes au tribunal et à la Cour.
Comme en Tunis ie , les tribunaux français seront juges des
affaires civiles, commerciales et administratives. L e contentieux
administratif est soumis à une réglementation spéciale qui s'inspire
406 LA R E V U E
des dispositions d u décret tunisien d u 29 novembre 1888. I l
m'est apparu, en effet, q u ' i l convient, dans l'état politique actuel .
d u M a r o c , de ne soumettre à la censure des tribunaux judiciaires
que le contentieux de pleine juridict ion, à l 'exclusion d u conten
tieux de l'excès d u pouvoir. Cette solution n'ayant pas à ma con
naissance soulevé de réclamations en Tunis ie , j 'a i proposé de
l'étendre au M a r o c , sous réserve toutefois de quelques modifications.
Désireux avant tout d'instaurer au M a r o c une justice rapide et
peu coûteuse, j'estime inopportun de promulguer le code de pro
cédure civile et le code d'instruction criminelle français. L e premier
de ces textes surtout a soulevé de nombreuses critiques à raison
des complications de procédure et des retards q u ' i l permet de
susciter dans le règlement des litiges. J 'a i pensé q u ' i l convient
plutôt de faire appel à une lo i de procédure q u i , expérimentée
depuis plus de vingt ans, est unanimement reconnue comme
excellente, la loi d u 22 juillet 1889 sur la procédure devant les
Conseils de préfecture.
C'est de ce texte que s-'inspire le code de procédure civile,
dont je propose l 'adoption. Je me suis attaché toutefois à y intro
duire toutes les procédures spéciales q u i , en raison de leur s i m p l i
cité, justifient la faveur dont elles sont l'objet de la part des, plaideurs
et des hommes de lo i ; c'est ainsi que la procédure des référés,
complétée conformément aux dispositions du projet de loi déposé
par M . le Garde des Sceaux C r u p p i , a été insérée dans le nouveau
code chérifien. Je me suis également efforcé de simplifier, tant au
c iv i l qu'au cr iminel , la procédure du recours en cassation, par les
dispositions q u i trouvent leur force exécutoire dans la lo i approba-
tive d u traité de Protectorat ou, le cas échéant, dans u n décret d u
Président de la République à intervenir. Les recours en cassation
sur les incidents seront joints au recours sur le fond, et, d'autre
part, l'arrêt de cassation ayant pour effet le renvoi de l'affaire
devant la C o u r de Rabat ou devant une juridict ion marocaine la
juridict ion de renvoi sera liée, sur l'interprétation d u droit, par
l'arrêt de la C o u r suprême, procédure conforme à celle qui est
suivie devant le Conseil d'Etat et q u i permettra de l imiter la durée
et les frais de recours en cassation.
A u cr iminel , la procédure suivie, qui-s ' inspirera de celle de
notre code d'instruction criminelle, se rapprochera sensiblement
néanmoins de celle q u i est pratiquée devant les tribunaux institués
en Algérie par le décret d u 9 août 1903. I l m'est apparu q u ' i l
LETTRES DU MAROC 407
importait tout d'abord, dans l'état d'insécurité du M a r o c , que la
justice criminelle fût rapide, tout en assurant les droits de la défense,
que l'exercice de l 'action publique ne fût pas entravé par des i n c i
dents de procédure. J 'a i estimé notamment que l ' instruction des
affaires devait pouvoir être conduite avec la plus grande célérité.
E n f i n , m'inspirant du décret du 16 septembre 1896 sur l 'organi
sation judiciaire en Indochine, j ' a i prévu la constitution d'une
Commission criminelle spéciale destinée à assurer la répression
des crimes et délits intéressant la sûreté du Protectorat et des
colonies européennes ; en cas de sédition, une action judiciaire
rapide peut devenir nécessaire et i l m'a paru préférable de prévoir
dès aujourd'hui, à toutes éventualités, une procédure légale offrant
un m i n i m u m de garanties, procédure dont i l a d'ailleurs été fait
usage en 1908 en Indochine.
J 'a i désiré en outre que les frais de justice fussent dans la
mesure du possible proportionnels à l 'importance d u litige. Cette
règle est, en effet, celle dont s'inspirait le tarif des avoués élaboré,
i l y a quelques années, par le Conseil d'Etat sur le désir qui en avait
été exprimé par le Parlement.
Ces frais sont perçus par suite de l'absence d'officiers minis
tériels au profit d u Trésor ; ils constituent, en fait, des taxes
destinées à compenser les charges du service judiciaire ; ils sont
payés, en principe, par le plaideur qui succombe ou répartis par
le tribunal entre les parties, selon les circonstances de l'affaire.
Les droits taxés pourront dans certains cas atteindre u n chiffre
assez élevé : l'assistance judiciaire, organisée comme en Algérie,
en dispensera les justiciables peu fortunés.
Les tribunaux français au M a r o c statueront au c iv i l conformé
ment aux règles du droit international privé. A u criminel , ils appl i
queront les dispositions du Code pénal français. Je me réserve
de constituer auprès du secrétariat général d u Protectorat u n service
d'études législatives qui mettra au point et adaptera aux besoins
locaux les lois et décrets q u ' i l y aura lieu par la suite de promulguer
au M a r o c .
Telles sont les grandes lignes d u projet que je soumets au
gouvernement avant d'en proposer l 'adoption à S. M . le Sultan.
A i n s i que je l 'a i indiqué au début, i l me paraît nécessaire de le faire
préalablement examiner par une Commission de jurisconsultes
qui en corrigerait utilement les imperfections. I l conviendrait
toutefois que cet examen fût conduit dans les conditions de la
408 LA R E V U E
plus grande célérité afin de ne pas retarder la constitution des
tribunaux français au M a r o c . A cet effet, j 'ai fait établir un projet
organique, des projets de codes, des tarifs, en nombre d'exemplaires
suffisant pour être immédiatement distribués aux membres de
la Commission.
Dès que la Commission sera constituée et les rapporteurs dési
gnés, je pourrai déléguer u n fonctionnaire d u Protectorat q u i
fournira à la Commission toutes les explications utiles et se mettra
d'accord avec le Département et avec les Chancelleries pour le
choix des magistrats appelés à composer les nouvelles juridications.
J'attache le plus grand prix à ce que celles-ci fonctionnent immé
diatement, dès leur constitution, pour la réalisation d'une des plus
importantes réformes que le gouvernement m'ait chargé de pour
suivre au M a r o c et qui est la base nécessaire de notre œuvre de
réorganisation.
OBSERVATIONS SUR LES ÉCOLES DE RABAT
U n effort considérable a été fourni et des résultats remarquables
déjà obtenus. L'année scolaire 1913-14 est dès maintenant assurée
pour la population enfantine européenne de Rabat dans des
conditions très satisfaisantes avec des locaux spacieux et propres,
u n matériel suffisant et u n bon recrutement d'instituteurs et
d'institutrices. M . le Directeur du Service de l 'Enseignement
doit être hautement félicité.
L e s trois écoles européennes, d u quartier de la Résidence, de
Bab E l A l o u et maternelle sont bâties sur le même modèle. Dans
chacune d'elles i l n'a été ouvert de fenêtres que sur u n côté, d'où
insuffisance de jour et d'aération. I l doit être pratiqué des fenêtres
de l'autre côté. L a chose est entendue. I l y a à en assurer l'exécution
L'Ecole de la Résidence. — I l est regrettable que la totalité
d u terrain habou n'ait p u être employée, ce qui aurait donné u n
emplacement particulièrement favorable pour installer u n petit
collège dont l'établissement s'imposera à bref délai. I l y a à voir
si cette acquisition ne pourrait être négociée, par exemple par
voie d'échange. L e propriétaire aurait dans ce cas à être
indemnisé des maisons, d'ailleurs en bois, q u ' i l y a édifiées, les
quelles pourraient être aussi achetées et seraient dès maintenant
utilisées par le Protectorat. S i n o n , i l y a l ieu d'étudier et de proposer
dès maintenant u n autre emplacement pour le collège.
LETTRES DU MAROC 409
Ecole maternelle. — Les ' services municipaux doivent faire
procéder le plus tôt possible au goudronnage d u boulevard, le long
de l'école, pour atténuer les poussières si préjudiciables à la santé
des enfants.
Ecole de Bab El Alou. — El le est établie provisoirement sur le
terrain prévu pour l 'Ecole de l 'Enseignement supérieur Aràbo-
Berbère, dont le plan et les devis sont faits et arrêtés et dont
la construction doit commencer aussitôt qu'on disposera des res
sources de l 'emprunt. J'aurais en conséquence préféré, qu'elle
ne fût pas à cet emplacement. I l faudrait donc immédiatement
négocier soit avec M . M . . . , soit avec M . B. . . pour qu'ils donnent
à titre gracieux, parmi ceux de leurs terrains q u i bornent au
nord la route de Casablanca, u n lot pour la construction d'une
école, ainsi d'ailleurs qu'ils l'avaient fait envisager. L e u r faire
remarquer que dans toutes les colonies les possesseurs d'aussi
vastes terrains ont toujours eu à cœur de réserver des lots pour les
services publics intéressant au premier chef la vie et le développe
ment d u quartier, tels qu'une école. U n e inscription sanctionnerait
du reste le don gracieux qu'ils auraient fait et ils pourraient être
proposés pour les palmes. L'exemple a d'ailleurs déjà été donné
à Casablanca.
Ecole provisoire Arabo-Berbère. — Installée aussi bien que pos
sible pour du provisoire dans les locaux annexes de l ' imprimerie
Mercier , mais i l y a intérêt à ce que ce provisoire ne se prolonge
pas. Cette école est appelée à tenir une grande place dans les
institutions du Protectorat et i l est nécessaire qu'elle ait u n rayonne
ment étendu. I l lu i faut de l'espace, une bibliothèque, des salles de
conférences, d'études qui ne pourront être réalisées que sur
l'emplacement définitif.
Ecole Franco-Arabe. — El le a réalisé les plus grands progrès
au point de vue de la propreté des locaux, de la bonne tenue
et de l 'ordre. L e directeur M . Sans s'y donne avec le plus grand
zèle, mais elle est beaucoup trop exiguë. I l est inadmissible que
l'enseignement ne soit donné à Rabat qu'à une centaine d'enfants
musulmans, alors q u ' i l est donné à plusieurs centaines d'enfants
européens. I l faut absolument que les dispositions des enfants
marocains pour l'étude reçoivent satisfaction et que la population
protégée se rende compte par des faits tangibles qu'elle tient la
première place dans nos préoccupations.
D'autre part, j 'a i constaté une fois de plus l'intérêt qu ' i l y
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avait à faire des écoles distinctes pour les diverses classes sociales
indigènes ; i l faut donc le plus vite possible une seconde école.
C o m m e elle ne peut être que dans la vil le arabe, c'est aux indigènes
q u ' i l faut s'adresser pour avoir soit une maison, soit u n terrain.
L a chose paraît possible. I l existe en face de la T . S. F . u n vaste
cimetière abandonné, dans une partie duquel on n'enterre plus
depuis les temps les plus reculés et où même i l n'y a jamais eu
de tombes. S i le respect des sentiments musulmans nous interdit
d'envisager ce terrain pour u n service public quelconque, en
revanche i l serait possible de provoquer de la part des notables
musulmans la proposition d'en affecter une partie à une école
destinée exclusivement à leurs enfants et dont la construction et
l 'installation seraient l'objet de nos soins particuliers. L e secrétaire
général chérifien, le chef du Service de l'Enseignement et le
chef des Services municipaux sont priés d'examiner cette question
et de faire tout le possible pour qu'elle aboutisse.
Ecoles de l'Alliance Israélite. — Elles sont au nombre de deux,
dans le M e l l a h . Elles sont bien exiguës, sans cour, sans aération,
la population enfantine y déborde ; ce sont des conditions bien
défectueuses, auxquelles i l faudrait trouver u n remède d'urgence.
L a question n'est pas facile à résoudre, car une nouvelle école
ne peut être que dans le M e l l a h , ou contiguë ; i l n'y a pas de terrain
disponible. I l n'y a donc qu'une solution, ce serait que de riches
Israélites se décident à donner ou à acheter le terrain ou les maisons ;
i l y a là à exercer une pression en faisant valoir qu'à cette bonne
volonté le Protectorat répondrait en contribuant'largement à la
construction, à l'aménagement et à l'entretien.
L Y A U T E Y .
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