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Réflexion sur la légende "ce qui doit être lu" et au delà : l'hyperlégende. Et comment ces notions viennent enrichir et élargir le processus de création/conception dans divers champs du graphisme. Auteur, Clément Marty www.clementmarty.eu
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L U XCulture de légendes
L U XCulture de légendes
Clément Marty
Remerciements,
À mes professeurs, Christine Dubech, Stéphane Mounica et Didier Marty, je leur suis reconnaissant pour le temps qu’il m’ont
accordé, leur qualités pédagogiques, leur franchise et leur sympathie. J’ai beaucoup appris à leur côtés
et je leur adresse ma gratitude.
Ainsi qu'à l'ensemble du corps enseignement en dsaa du lycée des Arènes, Marie-Pierre Charnet Roubinet, Isabelle
Jouanin, Antoine Lasseur, Hélène Templon et Denis Bernard.
Aux membres du jury, Benjamin Gomez, Quintin Leeds, Fabienne Dénoual et Thierry Delor.
Aux personnes m'ayant accordé leur attention, Philippe Semanaz Béatrice Pagès, David Varsi, Jean-François Barrau, Yvette
Melloul, Alain Bessettes, Pierre Vanni, je les remercie pour cela.
À mes camarades de classe, Marina Costanzo, Inès Longevial, Marie-Soleil Lépine, Jean-Maxime Magri, Sofi Azaïs, Dianne
Beaulieu, Lise Armand, Manola Lé, Simon Fouquet, à Camille Boileau.
À Noémie Santos, Thi My Linh Truong, Antoine Lemarchand et Maxime Vican que je remercie pour leur aide et leur bonne humeur.
À Florent Réfrégé.
À ma sœur Agathe Marty, ma mère Dominique Delbos et mon père Jacques Marty.
Substrat
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« Le rêve : connaître une langue étrangère (étrange) et cependant ne pas la comprendre : percevoir en elle la différence, sans que cette différence soit jamais récupé‑rée par la socialité superficielle du langage, communi‑cation ou vulgarité ; connaître, réfractées positivement dans une langue nouvelle, les impossibilités de la nôtre ; apprendre la systématique de l’inconcevable ; défaire notre « réel » sous l’effet d’autres découpages, d’autres syntaxes ; découvrir des positions inouïes du sujet dans l’énonciation, déplacer sa topologie ; en un mot, des‑cendre dans l’intraduisible, en éprouver la secousse sans jamais l’amortir, jusqu’à ce que vacillent les droits de la langue paternelle, celle qui nous vient de nos pères et qui nous fait à notre tour, pères et propriétaires d’une culture que précisément l’histoire transforme en « na‑ture ». Nous savons que les concepts principaux de la philosophie aristotélicienne ont été en quelque sorte contraints par les principales articulations de la langue grecque. Combien, inversement, il serait bienfaisant de se transporter dans une vision des différences irré‑ductibles que peut nous suggérer, par leurs lueurs, une langue très lointaine… »
(Barthes (Roland), « La langue inconnue », dans Em-pire des signes.)
Introduction
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Il est une lumière mystérieuse face à laquelle j'étais aveugle, une lumière dont je n'ai été à même d'entre‑voir les rayons que récemment. Pour me concentrer ici sur ma seule pratique, c'est en remontant mes souve‑nirs lointains que j'ai, pour ainsi dire, pris conscience que celle‑ci s'avérait étoiler mon travail, lequel pou‑vait être parfois un dessin de l'enfance au réalisme manqué. Ne saisissant à l'aube que quelques éclats, je l'ai d'abord assimilé à une légende ou plus précisé‑ment à l'acte de légender, c'est à dire « accompagner (un dessin, une image) d'indications explicatives ». Aussi mon étude s'amorcera‑t‑elle dans un désir de cir‑conscription signifiante et exhaustive de la « légende ». J'établirai ensuite une typologie exposant plusieurs cas de légende afin d'identifier les mécaniques récurrentes de leur fonctionnement, en vue d'une analyse plus ap‑profondie. Puis nous verrons comment l'art a permis de s'affranchir des usages communément admis de la légende, ceci me permettra d'en établir une nouvelle définition. Nous verrons alors comment cette nouvelle « légende » offre, à travers l'exploration de sphères di‑verses telles que la littérature, le multimédia, les mathé‑matiques, etc. des pistes fructueuses pour mes prospec‑tions graphiques. Enfin je conclurai par un recoupement de ma pratique développée tout au long de ce mémoire avec une des grandes tendeances émergeantes dans le graphisme actuel.
Contours de la légende
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Les définitions générale de la légende ¹
ÉtymologieDu latin legenda « ce qui doit être lu ».
tlfi 1. Dans la religion catholique
– Récit de la vie du saint du jour, lu au réfectoire et à l'église, en particulier à l'office de matines.
Vie de saint enjolivée de merveilleux par l'imagination et la piété populaire.
– Par métonymie, recueil, ouvrage contenant ces récits.
2. Par extension
– Récit à caractère merveilleux, ayant parfois pour thème des faits et des événements plus ou moins histo‑riques mais dont la réalité a été déformée et amplifiée par l'imagination populaire ou littéraire.
– Représentation d'un fait, d'un événement réel, histo‑rique, déformé et embelli par l'imagination.
3. Dans le numismatisme
– Inscription sur une médaille, une monnaie, un em‑blème ou un monument. Synon. âme, devise, exergue.
– Titre ou note explicative accompagnant une image, un dessin, une caricature. Légende d'un dessin, d'un
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croquis humoristique, d'une lithographie ; légende humoristique, lapidaire.
– Liste explicative des signes conventionnels d'un plan, d'une carte, en permettant l'intelligence et l'utilisation, et placée à côté ou au bas du schéma.
Légender, accompagner (un dessin, une image, une carte) d'indications explicatives.
Académie 9e édition 1. Récit héroïque, merveilleux, fabuleux.
– Dans la religion. Récit de la vie des saints et des martyrs qu'on devait lire à l'office de matines. Par métonymie. Ouvrage contenant le récit de la vie des saints et des martyrs.
– Récit fabuleux, souvent à caractère historique, qui s'est transmis par la tradition populaire ou par la littéra‑ture. Par extention. Tradition populaire qui perpétue le souvenir des personnages exemplaires, des grands héros et de leurs hauts faits.
– Présentation déformée ou amplifiée d'une réalité quelconque, et relevant principalement de l'imaginaire.
2. Inscription, texte explicatif placé au bord, à la marge.
– Dans le numismatisme. Inscription gravée circulai‑rement près des bords et parfois sur la tranche d'une pièce de monnaie, d'un jeton, d'une médaille. – Par extention. Inscription sur une pierre tombale, un cippe, un autel, un bouclier, etc.
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– Texte que l'on trouve inscrit dans un tableau, une estampe, et qui reproduit les paroles des personnages qui y sont représentés.
– Texte explicatif placé au‑dessous d'un tableau, d'un dessin, d'une caricature, d'une photographie.
– Notice, liste placée dans un coin ou aux marges d'une carte géographique, d'un plan, etc. et fournissant l'expli‑cation des signes conventionnels utilisés. Se reporter à la légende.
Académie 4e édition 1. On appelle ainsi le Livre de la Vie des Saints. Lire la Légende. Ce saint là n'est pas dans la Légende. On appelle Légende dorée, un ancien recueil des vies de plusieurs saints.
2. Légende, se dit aussi par dénigrement, d'une liste, d'une longue suite de choses, & signifie ordinairement une liste ennuyeuse.
3. Légende, se dit aussi de l'inscription gravée autour d'une pièce de monnoie, d'une médaille.
dmf 1300 – 1500 1. « Livre contenant la vie d'un saint »
2. « Énumération des griefs accumulés envers quelqu'un »
3. Par extention. « Récit, évocation détaillée ».
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Une « légende », du latin legenda, peut être définie selon son étymologie comme « ce qui doit être lu ». Cette défi‑nition présente la légende comme un élément spécifique d'information par rapport à une cosa ¹. Cette caractérisa‑tion de la légende est de première importance et mérite toute notre attention. En effet, que l'on réserve conven‑tionnellement ce terme de « légende » au texte explicatif venant suppléer un manque d'information, ou bien que l'on s'accorde le droit, par un élargissement signifiant, de désigner ainsi tout artefact qui, se plaçant entre l'être hu‑main et son environnement, fournit au premier un com‑plément d'information sur le second ; il n'en demeure pas moins, selon moi, que si l'on désire accéder au sens métaphysique dont est porteuse cette réalité que l'on nomme « légende » et qui entretient un rapport des plus étroit avec l'humain, il est nécessaire de nous fier avec confiance à l'indication essentielle que nous fournit son étymologie. C'est aussi à cette seule condition que nous pourrons mettre à jour le véritable caractère déviant de notre rapport contemporain à elle, et ainsi permettre un glissement vers de nouvelles perspectives.
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Typologie
L'idée‑force que contient la définition de la légende pro‑posée plus haut, idée sur laquelle nous fonderons notre propos et qui constituera le fil conducteur que nous ne devrons cesser de tenir et de suivre, est celle de rapport. Un rapport impliquant ici un renvoi au réel. Aussi la ty‑pologie des différents champs d'application de la légende que j'ai pu établir infra appuiera‑t‑elle mes propos.
Inscription sur une médaille, une monnaie, un em-blème, un monumentIl s'agit des inscriptions réalisées sur des matières non putrescibles telles que la pierre (on parle alors d’ « ins‑criptions lapidaires »), l’argile ou le métal. L'inscrip‑tion a pour rôle de renseigner sur la nature de l'objet, sur sa fonction, sa valeur, ou encore de renseigner d'un nom pourvu d'une certaine notoriété. La lé‑gende est ici intrinsèque au support qu'elle renseigne. Cette typologie met en relation différents acteurs tels que : référent — légende — individu par exemple ; ou : édifice — légende — peuple, pour un monument.
TitreIl existe plusieurs sortes de titre, aussi vais‑je restreindre mon examen aux cas suivants : titre d'une œuvre litté‑raire, cinématographique ou plastique, titre de pério‑dique.
Dans les exemples supra, le titre désigne une production et informe sur le contenu de cette production (parfois sur le type de support). Il guide, canalise, arrête, parmi
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toutes les significations possibles, empêchant l'interpré‑tation subjective ; il peut également, particulièrement pour le livre, contenir le nom de l'auteur. Le titre peut être un type de métadonnée, c'est à dire qu'il va appor‑ter des données à propos d'un contenu qui est lui même déjà de l'ordre de la donnée.
Dans l'œuvre littéraire, le titre est couramment associé à un visuel (couverture), auquel il n'est pas toujours explicitement lié. Ainsi dans la mécanique de lecture, le titre sera ce que l'on cherche à comprendre en premier. S'il côtoie un visuel / objet, le regard va brièvement aller vers celui‑ci, puis montera vers le titre afin d'un éclai‑rage pour ensuite retourner plus longuement sur le visuel / objet.
Note explicativeIci aussi la note est multiple. Une définition m'intéresse particulièrement, il s'agit d'une marque écrite, entendu également comme un commentaire imprimé figurant en marge, en bas de page ou à la fin d'un ouvrage pour faci‑liter sa compréhension. En ce sens, la note pointe préci‑sément un élément compris dans un tout et renseigne au cas par cas, de manière souvent concise pour faciliter la compréhension.
Visuellement moindre et discrète, elle est communé‑ment rattachée au référent par un signe graphique juxta‑posé à chaque partie. On arrête sa lecture sur l'élément, on identifie le signe qui s'y rattache (s'il y en a un), on recherche ensuite ce même signe dans la liste des notes.
Dans certains cas particuliers, la note peut être manus‑crite et acquiert par nature une valeur mnémonique.
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Liste explicative des signes conventionnels d'un plan, d'une carte…La carte (ou plan) est composée de deux éléments :
– Le code qui représente un espace schématisé avec des informations ponctuelles ou étendues.
– La légende, présente dans un cartouche qui rend intel‑ligible le code en l'expliquant textuellement.
On commence par regarder la carte dans son ensemble, puis on se focalise sur un élément du code pour chercher son sens dans la légende. La lecture d'une carte se fait au travers de ce mouvement d'oscillation entre code et légende du code.
Dépouillée de tout élément superflu ou décoratif, le rôle d'une carte est purement informatif. L'intention est de transmettre des informations de façon objective et claire. La légende met en relation un visuel et un texte pour créer un rapport cognitif.
Texte explicatifLe texte explicatif englobe tous les textes accompagnant les visuels ou les textes. Ils aident à leur compréhen‑sion en amenant des renseignements supplémentaires. Imprimés, ils sont juxtaposés au visuel ou au texte qu'ils accompagnent. Le texte explicatif n'a pas le premier rôle dans la composition, il est néanmoins plus présent que la note. De la même manière, l'image peut avoir un sta‑tut d'illustration du texte, par exemple littéraire, journa‑listique, didactique. Le document, dessin, photographie, donnent à voir ce que « dit » le texte. Redondante, ou complémentaire, l'image reste seconde, au service du texte.
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Texte inscrit dans un tableau, une estampe (paroles des personnages représentés) Généralement assimilé au phylactère, ici le texte fait par‑tie du visuel. Il est souvent déformé de manière à don‑ner l'illusion d'être prononcé par un des protagonistes de l'œuvre. Ceci n'est pas sans poser des questions sur la lisibilité, aussi fait‑il souvent l'objet de jeux de lecture, l'auteur ayant recours au boustrophédon par exemple.
Légende de photographieToute photo est présentée avec une légende, en prenant ce terme dans l'acception la plus générale, les mots qui accompagnent l'image, la situent, et qui doivent être lus pour que l'image soit interprétée sans erreur, ainsi un minimum de renseignements est toujours nécessaire « à la lecture » de la photographie. Dans certain cas, il est indispensable de savoir que le cliché représente telle per‑sonne ; il est utile de connaître cette personne et pour‑quoi elle a le droit d'être présentée à ce moment précis. Est‑ce son anniversaire ? est‑elle morte ou a‑t‑elle été arrêtée pour escroquerie ? La communication transmise par un cliché sans légende demeure vague, imprécise et l'information ou le message peut être reçu avec difficulté, voire avec des erreurs d'interprétation considérables. Nous avons donc besoin de légender, nous avons besoin de ces commentaires qui énoncent un contexte, pré‑cisent un lieu ou nomment une personne. On parle alors de fonction d'ancrage. Cet accompagnement linguis‑tique de l'image tend à réduire sa polysémie en répon‑dant à la question : qu'est‑ce que c'est ? La légende peut aussi apporter, ce qu'à elle seule l'image ne dit pas, un commentaire extérieur aux signes iconiques, elle a alors une fonction de relais ; mais la légende peut également introduire un certain jeu : elle peut se faire ironique, ou n’être que provocation, elle peut bien entendu mentir.
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La légende & le signe
Fort de cette première analyse, nous pouvons constater qu'il existe une proximité mécanique entre « légende » et ce que l'on appelle communément « signe » (linguistique ou iconique) étant donné que le deuxième se trouve être substance du premier. Pour Ferdinand De Saussure le signe est une réalité bi‑face définie comme l'union d'un signifiant et d'un signifié. Toutefois, le signe reste pour moi ambigu dès lors qu'il s'insère dans une série de termes analogues et dissemblables : signal, indice, icône, symbole ; et il me semble bienvenu de clarifier ce champ notionnel avant d'entreprendre un élargissement du couloir sémantique de la légende. Établi sur les ter‑minologies repensées par des philosophes comme Henri Wallon, Charles Sanders Peirce, Carl Gustav Jung, etc. Roland Barthes admet à ces termes un caractère com‑mun, tous renvoient à une relation entre deux relata. Il explique entre autre que s'agissant de fonctifs aux fonc‑tions différentes, « les mots du champ ne prennent leur sens que par opposition les uns aux autres et que si ces oppositions sont sauvegardées, le sens est sans ambiguï‑té ; […] On dira donc, avec Wallon, que le signal et l'in‑dice forment un groupe de relata dépourvus de repré‑sentation psychique, tandis que dans le groupe adverse, symbole et signe, cette représentation existe ; qu'en outre le signal est immédiat et existentiel, face à l'indice qui ne l'est pas (il n'est qu'une trace) ; qu'enfin, dans le symbole, la représentation est analogique et inadéquate (le chris‑tianisme ‹ déborde › la croix), face au signe, dans lequel la relation est immotivée et exacte (pas d'analogie entre le mot bœuf et l'image bœuf, qui est parfaitement recou‑verte par son relatum ) » ¹.
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On le voit il est plus qu'important de déterminer tous ces pôles qui surgissent autour du problème central de report au réel relatif à l'utilisation de la légende.
Prenons par exemple le « signifié », si sa nature a pu don‑ner lieu à des discussions portant sur son degré de « réa‑lité », toutes s'accordent maintenant sur le fait que le signifié n'est pas « une chose », mais une représentation mentale de la « chose ». Saussure, qui par ailleurs parlait de concept, disait : « Le signifié du mot bœuf n'est pas l'animal bœuf, mais son image psychique. » Mais ce qui suscite en moi un intérêt particulier c'est l'analyse des stoïciens ¹, en effet ici ni acte de conscience ni réalité, le signifié ne peut être défini qu'à l'intérieur du « procès de signification, d'une manière quasi‑tautologique : c'est ce ‹ quelque chose › que celui qui emploie le signe entend par lui ».
L'autre face du signe s'appelle le signifiant. Sa nature est semblable à celle du signifié, dans le sens où elle ne peut se définir en dehors du relatum signifiant / signifié, elle se différencie toutefois par sa substance qui est toujours matérielle, on parle de substance d'expression. En cela le signifiant est médiateur.
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Mémento / AtlasMémento / Atlas est un travail réalisé en 2010 dans le‑quel j'ai tenté de rendre compte d'une image mentale et collective du monde. Il s'agit donc d'une carte générée à partir d'informations récoltées auprès d'un ensemble de personnes, de la manière suivante :
Je leur ai proposé un exercice ayant pour simple consigne : Dessiner une carte du monde de tête. J'ai ensuite extrait de toutes ces représentations cartogra‑phiques une série de données que j'ai confrontées puis synthétisées en critères afin d'élaborer une ultime carte.
Ainsi les signes graphiques et les éléments de légende de cette carte ont été générés à partir d'un imaginaire et d'une mémoire collective. Cette construction partici‑pative met en jeu le partage d'une vision géographique et perceptive du monde, nécessitant une retranscription objective de ce code pour lisser ces visions empreintes de subjectivité, afin de les rendre les plus accessibles possible.
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La légende, système de signes, n'amène donc pas seu‑lement de l'information, mais devient, pour ainsi dire, véritable vecteur d'une réalité unique qui, par cette res‑triction sémique, pose problème et exige solution. Nous pouvons affirmer dans un premier temps, celui de l'évi‑dence première, objective et historique que si la légende existe, c'est à dire si elle fut inventée par l'être humain, c'est à la suite de la convergence et de l'enchaînement nécessaire d'un ensemble de causes bien précises, entre autres : l'homme à besoin de comprendre. En cela nous pouvons dire que la légende supplée à un manque d'information ; elle apporte effectivement des rensei‑gnements supplémentaires, transformant alors quelque chose d'encore diffus en évidence.
Cabinet de curiosités contemporainMon cabinet de curiosités contemporain est l'expo‑sition d'objets issus des règnes minéral, végétal, ani‑mal. Chaque sujet est donné à voir sous une forme de « patron », c'est à dire que l'aspect extérieur de l'objet en question a été déplié de manière à être mis à plat.
En représentant l'objet de cette manière, j'essaie d'expli‑quer par l'image ; en effet « expliquer » vient du latin explicare qui signifie « déployer » ou « déplier ». Ainsi pourrait‑on parler d'une tentative de légende autonome, où la représentation même de l'objet se veut explica‑tion ontologique. Mais paradoxalement celle‑ci devient curiosité et a besoin à son tour d'une légende pour être comprise.
Les mæstria(s) de la légende
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« Parfois la légende ne conduit pas à une restriction, mais à une extension », par exemple une image, grâce à sa légende, peut acquérir une valeur symbolique, deve‑nant ainsi infiniment plus large. Dans cette perspective ontologique, la légende reçoit alors une définition élar‑gie, nécessairement étendue à la mesure de l'ouverture et du chemin qui se révèlent à nous. Elle ne fait plus seu‑lement office d'objet d'information ou de complément renvoyant à une réalité déjà là, mais se présente à nous comme une excroissance d'un puissant et irréversible vouloir dire, tendu vers une présence non encore là, non encore déterminée et toujours en voie d'édification.
Perspectives
Il s'agit d'une affiche que j'ai réalisée pour la dix‑neu‑vième édition du concours « Étudiants, tous à Chau‑mont ! » dont le thème était : « Graphisme dans l’espace public, la forme qui agit. » Pour ce travail j'ai décidé de contester l'image lisse et facile, servie à la masse comme une soupe tiède et insipide contribuant à rendre cer‑taines institutions transparentes. Ceci aux seules fins de leur permettre de mieux s'immiscer dans notre quotidien et ainsi de faire du profit. J'ai alors choisi de m'emparer de leurs armes pour produire mon affiche, un visuel aseptisé, réduit à son plus petit dénominateur commun, c'est à dire signalé dans son activité minimum par des lignes molles et des couleurs neutres. J'ai décidé de représenter une grande icône populaire légèrement altérée par anamorphose ; mon idée était de proposer aux spectateurs un point de vue alternatif du visuel, une approche demandant un effort de lecture mais contre lequel il s'évaderait de la caverne. En effet, considérée frontalement, l'image présentée trouble plus qu'elle ne renseigne, sa légende oscille entre nos images mentales,
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c'est‑à‑dire entre mémoire visuelle et imaginaire. Mais au‑delà de cette premiere entrée, l'anamorphose invite le spectateur à réfléchir l'image transversalement, lui révé‑lant ainsi la vanité¹ de l'entreprise en question.
Ainsi le crâne anamorphosé se positionne comme une légende « flottante » qui par association avec la figure crée une extension symbolique².
Voyons alors comment il est possible de dépasser au‑trement les logiques usuelles de la légende par le biais de catalyseurs empruntés à l'art contemporain comme Marcel Duchamp, René Magritte ou encore Joseph Kosuth et à leur maîtrise de la légende.
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Démolir, établir, reconstruire
Le Miroir vivant, de René MagritteDans Le Miroir vivant, des bulles nuageuses, un peu comme on les emploie dans la bande dessinée, contiennent des mots ou des phrases : « personnage éclatant de rire », dans l'une ; dans les autres, les mots : « horizon », « armoire » « cris d'oiseaux ». Dans plusieurs de ses tableaux, se manifestent deux sortes d'approches des phénomènes que le peintre s'ingéniait à représenter, et deux sortes de perceptions qu'il sollicitait, de la part des spectateurs de ses œuvres.
En fait, dans Le Miroir vivant, les objets sont remplacés par des mots, qui définissent pourtant des objets, ou qui définissent des situations. Magritte confronte les specta‑teurs à un tableau véritablement conceptuel… En effet plus que de peinture, il s'agit chez Magritte de langage. Un mot pour un autre, un mot pour une autre image que celle à laquelle on s'attend, un mot ou plusieurs mots pour suggérer une image qui n'est pas représentée… En fait, en ne représentant que des mots et pas d'objet c'est la logique usuelle que Magritte met en question.
La deuxième approche consiste à montrer les objets accompagnés de mots qui semblent incongrus, et c'est un appel aux associations provoquées par l'imagination qui apparaît, par amalgame de l'objet et de sa définition. Des tableaux attestent cette volonté. Entre plusieurs, on peut citer : L'Espoir rapide et Le Musée d'une nuit de 1927, Le Masque vide de 1928, ou la version de 1930 de La Clef des songes.
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La Clef des Songes, de René MagritteAinsi, dans La Clef des songes, tableau divisé en quatre compartiments, une sacoche est sous‑titrée « le ciel », un canif est sous‑titré « l'oiseau », une feuille d'arbre est sous‑titrée « la table ». Mais la quatrième image, repré‑sentant une éponge, est sous‑titrée « l'éponge ».
La Clef des songes, des objets tout à fait reconnaissables sont opposés à une définition qui ne les concerne pas à priori ; dans le langage courant, un canif ne s'appelle pas oiseau. Un seul objet représenté porte son nom coutu‑mier : l'éponge. Il y a donc bien la volonté de désorienter, en images, par rapport au sens admis. Dans Le Miroir vivant, la volonté est différente, mais rejoint néanmoins l'autre.
La notion de la logique pratiquée par Lewis Carroll (de son vrai nom Charles Lutwidge Dodgson) enten‑dait apporter au vocabulaire des mots une réforme en trois temps successifs. Le premier temps consistait en une « démolition en règle de nos idées courantes sur les mots », via un effort « pour nous faire perdre notre confiance en eux ». Le deuxième temps consistait à établir « un vocabulaire aux définitions très sûres ». Le troisième avait enfin pour objectif d'émettre « des sug‑gestions pour la reconstruction d'un langage à l'abri de toutes ces faiblesses ».
Démolition des idées courantes : c'est très exactement le propos du tableau La Clef des songes, analysé plus haut, qui montre des objets définis par des mots qui ne s'y rapportent pas.
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Établir des définitions très sûres : la poésie véhiculée par les images doit remplacer une lecture littérale de celles‑ci. Ce n'est pas ce que le tableau montre qui im‑porte, c'est ce qu'il suggère.
Reconstruire un langage : la mise en proximité d'objets inattendus, auxquels s'ajoutent ou non des phrases écrites crée paradoxalement d'autres significations appli‑quées à des choses pourtant à priori les plus évidentes.
Jean‑Luc Godard disait que la vérité d’une image, c’est d’abord la vérité de la légende qu’on lui appose. Il s’agit alors de « dé‑légender » la légende, laquelle n’est ni plus ni moins qu’un agencement de mots nourrissant aussi bien l’œuvre que la réalité qu’elle présente.
En outre, la distance entre ces figures et les légendes qui les accompagnent et qui s'entrelacent à elles selon d'obs‑cures nomenclatures, la divergence enfin de l'emblème à sa devise, inaugure là aussi quelque art de l'impresa ¹ inédit et à tout jamais indéchiffrable. Aussi puisse‑t‑elle amener le spectateur à l'impression diffuse, d'un « signi‑fiant flottant », surchargé d'interprétations, figure indé‑cidable, innommable.
« Car Magritte voulait que son art des figures fût l'ap‑prentissage d'un art de vivre autrement. »
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Le monde, système de signes, formes mobiles & réversibles ?
« Le monde selon Marcel Duchamp est un système de signes et de formes mobiles, labiles, nullement irréver‑sibles. » Et il nous le montre une dernière fois avec la publication posthume de Étant donnés : 1°) la chute d'eau 2°) le gaz d'éclairage et sa mise en réflexion renversante avec Le Grand verre, aussi appelé : La Mariée mise à nue par ses célibataires, même ; deux colosses impénétrables de l'art dont je ne ferais qu'effleurer la complexité. Ces œuvres qui n'ont en apparence rien en commun, parti‑cipent l'une et l'autre d'un même système de figuration s'organisant autour de « la contemplation d'un corps et dans lequel, tour à tour, se révèle la nature et s'occulte l'autre réalité ».
La Mariée mise à nue par ses célibataires, même, de Marcel DuchampL'œuvre, inachevée en 1923 : La Mariée mise à nue par ses célibataires, même, comporte deux parties : la partie supérieure du verre, celle de la « Mariée », dans laquelle apparait une forme allongée presque indéfinissable, on pourrait parler de « Voie lactée innumérable, indicible ». Elle est marquée de trois écrans carrés vierges légère‑ment déformés. À gauche figure une mise en perspective du « pendu femelle » ¹ incarnant la femme artificielle. À cela viennent se heurter notes et calculs, ils appellent la rigueur refusée aux autres figures partageant la surface.
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La partie inférieure, la zone « célibataire » est comme un « autre espace, où régnerait une autre géométrie ». Hétérogène en ses parties, Duchamp y dépeint « la broyeuse de chocolat », le « cimetière des uniformes et des livrées », le « chariot ». Tant de figures stéréotypées et mécanisées proposant une réflexion critique sur le langage, la perspective et sur la logique, « qui se déplie et s'étend dans une dimension encore indéchiffrable ».
Étant donnés : 1°) la chute d'eau 2°) le gaz d'éclairage, de Marcel DuchampDans Étant donnés : 1°) la chute d'eau 2°) le gaz d'éclairage, les figures perçues comme des abstractions et autres « calculs déliant les choses de leurs apparences empi‑riques » pour La Mariée mise à nue par ses célibataires, même, apparaissent comme rendu à un éclairage com‑mun.
Une porte de grange à encadrement de briques est per‑cée de deux trous. Le spectateur, travesti alors en voyeur, découvre autant de figures que sont le corps d'une femme nue, glabre, le bec Auer et la chute d'eau. Un corps en trois dimensions dans une composition qui, on le sait, « repose sur le damier d'un linoléum ayant servi de matrice formelle pour la fabrication de cet environ‑nement. »
C'est donc là, la rencontre du motif du quadrillage et des figures : « la perspective rencontrant le merveilleux, et aussi le trouble de la rencontre du hasard, du contingent avec le système » André Breton parlait « d'un incendie lucide où la passion, l'imagination et la méthode la plus rigoureuse se confondent, ou se ‹ superposent ». Cette superposition est celle d'Étant donnés : 1°) la chute d'eau 2°) le gaz d'éclairage. Mais aussi celle du Grand verre,
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véritable « portillon de Dürer » ¹ figurant d'une réalité géométrique alors augmentée par ces formes de l'intra‑duisible présentes et cependant insoupçonnées.
Les deux propositions utilisent donc les instruments qui sont à l’origine des interrogations sur la perspective : la fenêtre de visée pour Le Grand verre et la chambre noire pour Étant donnés : 1°) la chute d'eau 2°) le gaz d'éclai-rage, questionnant une même notion : celle du point de vue. Il s'agit peut‑être en cela de l'apogée de l'œuvre de Duchamp compte tenu de la multiplicité des horizons visibles. En effet Le Grand verre seul, fait déjà l'objet d'au moins deux sens de lecture de par cette inversion natu‑relle incluse dans le caractère réversible (verre transpa‑rent) de l’objet. Le Grand verre retourné est l’image en miroir du Grand verre à l’endroit, un double. Il nous place tour à tour dans l’envers du décor, de sorte que nous devrions voir ce qui nous regarde depuis toujours. C'est également l'intention d'Étant donnés : 1°) la chute d'eau 2°) le gaz d'éclairage, le dehors est tourné vers le dedans, ce n’est pas nous qui regardons ce corps déchu faussement livré aux regards, « ce sont les ruines de nos Lumières qui nous tiennent dans l’obscurité ».
Les deux œuvres nous emportent dans un obsédant aller et retour vers l'infini des incertitudes. Car un même principe gouverne ces deux réfléxions plastiques : le principe de la « charnière ». Des portes s'ouvrent entre ses œuvres, créant maintes articulations et donc une unité profonde, « la poursuite d'un objet unique, insai‑sissable comme la vie même ». Son œuvre nous appa‑raît comme deux moments — deux apparences — de cette réalité. C'est à ce jeu de rencontres fragiles, « rien,
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peut‑être », disait Duchamp, passible de plusieurs lec‑tures, où se déclinent plusieurs ambitions, auquel je m'attache particulièrement.
Ainsi dans Étant donnés : 1°) la chute d'eau 2°) le gaz d'éclairage, cette Ève profane tenant la lumière après sa chute n'est autre que l’équivalent en chair de la Mariée prise entre les deux vitres du Grand verre. C'est l'image renversée d'une idée qui se résout dans l'uroboros ¹ en une femme nue : une présence. Car « c'est ‹ l'apparition › que vise Duchamp ».
One and three chair, de Joseph KosuthDans One and three chairs, un objet réel, une chaise quelconque, est choisi parmi les objets d’usage cou‑rant les plus anonymes. Il est placé contre une cimaise, entre sa photographie — son image reproduite par un procédé mécanique — et sa définition rapportée d’un dictionnaire anglais. L’ensemble est la triple représen‑tation d’une même chose sans qu’il y ait une répétition formelle. Ce qui est multiplié d’une partie à l’autre de l’œuvre, ce n’est pas la chaise réelle, encore trop parti‑culière malgré sa neutralité, ni la photographie qui ne représente que son image, ni enfin sa définition qui envisage tous les cas répertoriés de l’emploi du mot « chaise » mais néglige de fait celui de la chaise réelle et de son image. Il s’agit dans les trois cas d’un degré dis‑tinct de la réalité de l’objet. Tous trois désignent, par leur association, une quatrième chaise, idéale et invisible dont le concept se trouve ainsi suggéré, bien plus que défini. Là où défaille l’objet, intervient l’image, et là où celle‑ci à son tour défaille, apparaît le langage, lui‑même insuffisant mais déjà relayé par l’objet. Joseph Kosuth expose trois réalités d'un objet (chaise) dans un désir d'idéalisation.
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Dans ce rapport triangulaire, selon Kosuth, aucune des trois réalités, soit la forme tridimensionnelle, l'icône et la définition, ne se suffit à elle‑même, c'est à dire qu'aucune ne fonctionne de manière autonome et se voit par consé‑quent complétée par les deux autres. Par cette triangu‑lation Kosuth avance l'idée selon laquelle l'icône peut devenir la légende de l'objet au même titre que la défi‑nition, ou encore que la forme tridimensionnelle peut à son tour devenir légende des deux autres. Le rapport alors instauré entre chacune de ces réalités de l'objet et ses légendes engendre un espace d'interprétation qua‑si‑nul car dès qu'un flottement se crée entre une réalité et sa légende, un troisième élément vient compléter l'es‑pace amenant ainsi à la dimension idéale de l'objet. Avec ce dispositif Joseph Kosuth veut atteindre une représen‑tation parfaite de l'objet, une chaise en l'occurrence, et ce jusqu'à le figer de sa dimension conceptuelle.
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Cette dernière analyse confirme ce caractère labile que pointaient déjà finement ces artistes dans leur œuvre. Dans ce monde, système de signes réversibles, on peut avancer qu'une légende n'existe que dans son usage et sa relation avec ce qu'elle renseigne.
On parle alors d'un état ou encore d'un statut. Ainsi Jo‑seph Kosuth démontre‑t‑il comment le rôle de légende peut être assumé tour à tour par la réalité linguistique, iconique, physique de l'objet en question. De ce fait, une réalité, par exemple physique, envisagée au départ comme univoque à travers la légende qui lui est apposée, se voit dans un premier temps transposée au milieu de plusieurs autres réalités ; puis à nouveau déplacée dans un second plan pour devenir à son tour légende d'une réalité distincte. Toutefois, à la différence de Joseph Ko‑suth qui aspire à supprimer le flottement existant entre une réalité et sa légende, mon intention viserait plutôt à ouvrir sur ce que je qualifierais d'espace des possibles.
Les multiples réalités & légendes d'un objet
La « légende » en tant que fonctif élastique
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La légende est un système de signes en substance, de nature fonctive pouvant désigner tout objet de synthèse situé entre l'être humain et son environnement. C'est un système de signes et de formes labiles, réversibles, genèse d'une oscillation perpétuelle dans le procès dialectique du monde et de son reflet. De là, s'opposent deux qua‑lités, bénéfices de la légende : la réduction (compréhen‑sion) et l'extension (interprétation) respectivement assi‑gnées aux propositions théoriques que sont la logique usuelle et l'espace des possibles. La réduction, qui, à mon sens, rejoint très exactement le propos de One and three chairs de Joseph Kosuth tel que je l'ai analysé, va tendre, comme son nom l'indique, à réduire la « distance » entre la légende et ce à quoi elle renvoie. De ce rapport surgit le caractère d'évidence intrinsèque à la notion de com‑préhension. À L'inverse, de l'extension, qui réside dans la mise en divergence de relata, résulte un flottement. Autrement dit, plus la distance entre ces figures et les légendes qui les accompagnent sera distendue, plus se verra virtualisé ¹ cet espace des possibles.
Pour Pierre Vanni, tout travail de design graphique est un « travail de légende » qui entremêle le légendé et le légendaire. C'est un travail de réécriture et de réappro‑priation des évenements et des faits à communiquer : soit la mise en place solidaire d'un légendé — purement communicationnel — et d'un légendaire — propre à l'écriture graphique de son auteur, autant qu'à ses vi‑sions. Pour Pierre Vanni ce serait « structurel ».
C'est ici que je prends conscience que la légende, en ce qu'elle demeure clouée sur la lourde croix de ses défi‑nitions centenaires, s'est dessinée jusqu'en sa cime et de fait, a atteint la limite de ses entours. Paradoxalement elle devient, de la même manière, un tremplin sans mesure vers un désert évasté ¹ au maximum, substratum d'irréversibles vouloir dire, terre d'utopies encore non réalisées, fait de cet hypothétique æther ² dont émanera la lumière. Nous l'avons bien compris, il est nécessaire d'abandonner la légende en tant que telle, sans quoi elle s'en trouverait dénaturée, pour suivre les perspectives de son caractère déviant dans la recherche d'un « au delà » de la légende.
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L'espace des possibles
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« La vastitude dont on s'effraie, ou sur quoi l'on s'extasie, serait‑elle toujours le résidu d'une ‹ dévastation ›, subie ou choisie ? Nombre des déserts où vivent les nomades — ceux de sable tout au moins — ne sont, on le sait, tels que pour avoir été eux aussi ‹ dévastés ›, rendus vides par l'érosion naturelle et les changements climatiques trans‑formant des contrées fertiles en terres arides et stériles. Mais c'est surtout la vie nomade en tant que telle qui fait au regard du sédentaire figure de radicale soustraction, d'évacuation de tout le superflu pour que brille d'un éclat nouveau le strict nécessaire, auréolé d'une gloire comparable à celle des saints retirés au désert. C'est de ce retrait que cette vie tiendrait sa vastitude propre en faisant de chaque nomade évoluant dans tels espaces un homme qui librement respire, et si amplement même qu'il en devient à son tour souffleur de ce verre trans‑lucide et parfois tranchant qu'est l'air dans ces grands espaces où plus rien, plus aucun obstacle n'en freine la libre circulation. Quand l'être ainsi se déplie, se défripe, c'est l'espace qu'il respire à plein poumons, à gorge dé‑ployée comme on le dit d'un rire ; et c'est gorgé, ivre par‑fois d'espace qu'il redécouvre les vertus de l'espacement, de ces ponctuations sans quoi l'espace ne serait qu'un grand vide atone et muet : ‹ Ce qui est beau en Afrique, ce sont les espaces vides, l'air qu'il y a entre les gens ›, notait Morand (Paris – Tombouctou). »
(Bonardel (Françoise), « Petit dictionnaire de la vie nomade », Médicis, Entrelacs, 2006, p. 77 – 80.)
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Journey
Journey est un jeu vidéo d'action‑aventure développé par Thatgamecompany. Le jeu met en scène un étrange personnage, sorte de nomade, dans de vastes plaines dé‑sertiques. Jenova Chen, le concepteur du jeu souhaitait jouer sur la petitesse du personnage (et par là celle du joueur) dans son environnement ainsi que sur le senti‑ment de solitude, trop rare selon lui dans la production actuelle. Le studio est en effet réputé pour mettre l'émo‑tion au cœur de son processus créatif et, par conséquent, de ses œuvres, privilégiant ainsi la singularité émotion‑nelle de l'expérience vidéoludique (poétique, mélanco‑lique, envoûtante ou déroutante… ) à la difficulté.
« Journey est une bulle de cristal délicate, qui semble avoir été soufflée avec l’air de son propre mystère et dans laquelle pulsent les impénétrables lumières de l’art. »
Journey est une invitation à user de nos intuitions, notre imaginaire, notre grâce : Journey, qui signifie « voyage » en anglais, prend la forme d’un périple grandiose parmi des paysages de déserts, de palais dorés, de villes englou‑ties, avec pour unique objectif une montagne au sommet scintillant. Ce pic physique autant que mental, « se grave aussi fort sur l’horizon […] que dans notre âme », c'est une odyssée initiatique, faisant glisser en nous des sen‑sations enfouies, avec lesquelles nous avions perdu tout contact. « Entre lui et nous, l’espace n’est pas que géogra‑phique : il est spirituel, atemporel, sensoriel, hédoniste. »
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« Journey joue avec nos sens mais aussi avec tous les sens du mot réflexion. Il offre au joueur à la fois un reflet de lui‑même, le place devant un motif de sa solitude, l’incite à en jouir et le porte avec un tact inouï à toujours mieux (se) réfléchir. »
Journey valorise les enjeux affectifs de la rencontre, en dessinant autant les vides que les liens par lesquels nous nous trouvons tout à coup unis dans ce voyage avec cet autre nomade solitaire et anonyme à jamais ¹. Les pay‑sages vastes, les textures plates, fragments d'un monde ancien, favorisent le sentiment de solitude et renforcent la sympathie et l'attachement ressenti envers l'autre être partageant l'expérience. Dans ce désert évidé, dévasté, il n'y a aucun mot ni même aucun dialogue sophistiqué, c'est le grand Babel ² qui s'abat sur la langue de nos pères et qui, mystérieusement, « en taillant jusqu’à l’épure dans tout ce qui pourrait parasiter la trajectoire prodigieuse de l’aventure », élève la compréhension de l'un envers l'autre par‑delà les murs de la différence, faisant valoir une éblouissante puissance d’évocation.
« Dans Journey, rien n’est expliqué mais tout est lumi‑neux. »
Au delà de la légende : « hyperlégende »
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Le préfixe hyper vient du grec ancien hypér qui signifie « au‑dessus, au‑delà ». Il exprime la démesure, l'excès. Il est parfois supplanté par extra, super ou supra, etc. Néanmoins quelques notions télescopées, que je vais développer respectivement dans les parties « Système de renvoi » et « Aux portes d'une autre dimension », le distinguent des autres préfixes et me pousse à le choi‑sir lui plutôt qu'un autre. En effet, le préfixe hyper pose, particulièrement en informatique, le concept de dépas‑sement, par système de renvoi, des contraintes attachées à la linéarité du texte écrit. On parle alors de système hypertexte. L'hypertexte est un procédé contenant des nœuds liés entre eux par des hyperliens permettant de passer automatiquement d'un nœud à un autre. Un do‑cument hypertexte est donc un document qui contient des hyperliens et des nœuds.
La deuxième notion suscitant mon intérêt — même si je ne projette pas d'en faire une analyse aiguë — s'inscrit dans la sphère mathématiques. Le préfixe hyper, signi‑fie chez les mathématiciens tout ce qui dépasse trois dimensions. En géométrie par exemple, un hypercube est un analogue n‑dimensionnel d'un carré (n = 2) et d'un cube (n = 3)…
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Système de renvoi
Si l'explosion de l'hypertexte reste récente dans notre histoire, la genèse du concept, elle, remonte à plusieurs centaines d'années. De ces deux faits, il est facile d'ima‑giner le poids des textes, charpente de son histoire (que je relaterai infra), ainsi que la nécessité de déterminer les enjeux qui l'ont élevé jusqu'à notre ère.
Définition donnée par la Délégation générale à la langue française : « Système de renvois permettant de passer directement d'une partie d'un document à une autre, ou d'un document à d'autres documents choisis comme pertinents par l'auteur ». En fait l'hypertexte s'accom‑pagne de différentes propriétés : non‑linéarité, virtualité, fragments, interactivité, dé‑limitation.
À l'origine de l'hypertexte se trouve une volonté de re‑mise en cause du discours linéaire. Il a permis de créer des structures fondées sur l'analogie. De plus, derrière cette notion se cache un rêve de l'illimité représenté dans ses débuts comme une bibliothèque ou encyclopédie à l'échelle mondiale, un méta‑dictionnaire, un « Livre Unique »… Ces idées prennent naissance avant même l'avènement de la technologie. Ainsi Léonard De Vinci annonçait déjà au 15e siècle dans ses prophéties le livre comme un ensemble de pages à relier et à relire selon le cheminement de la pensée : « Les choses disjointes se‑ront unies et acquerront par elles‑mêmes une si grande vertu qu'elles restitueront aux hommes leur mémoire : ce sont les feuilles de papyrus, formées de lambeaux dé‑
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tachés et qui perpétuent le souvenir des pensées et des actions humaines. »
En 1945 Vannevar Bush publie As we may think, article dans lequel il décrit un dispositif d'accès à l'information considéré par certains comme un prototype d'hyper‑texte. Il y présente memex, mot‑valise formé à partir des mots memory et index, un système basé sur des liens associatifs. Aussi décrit‑il le memex ainsi : « Un memex, c'est un appareil dans lequel une personne stocke tous ses livres, ses archives et sa correspondance, et qui est mécanisé de façon à permettre la consultation à une vitesse énorme et avec une grande souplesse. »
« L'indexation associative des matériaux stockés en mémoire constitue la caractéristique fondamentale qui rapproche memex des systèmes hypertextuels. »
Douglas Engelbart & nlsDans la lignée de Bush, Douglas Engelbart publie en 1963 A Conceptual Framework for the augmentation of man's intellect un article qui annonce l'hypertexte. En 1968, il présente le premier système informatique fonc‑tionnant sous mode hypertexte, le nls (online system). Ce système est un dispositif expérimental destiné aux chercheurs afin d'archiver leurs articles et autres textes théoriques. Ces derniers seraient attachés à une « re‑vue » commune à tous les chercheurs, pouvant être lue et complétée par des références croisées entre les docu‑ments. La base de données textuelles est donc conçue de manière non linéaire. Pour naviguer dans ce système hypertexte Douglas Engelbart inventa la souris, mais aussi la « fenêtre », le « multi‑fenêtrage »…
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Theodor Holm Nelson & XanaduTheodor Holm Nelson est considéré comme l'inven‑teur du concept et du néologisme « hypertexte », daté de 1965. Il est à l'origine de deux textes fondateurs de l'hy‑pertexte dont il a surtout décrit les propriétés : Compu-ter Lib/Dream machines en 1975 et Literary Machines en 1985. Theodor Holm Nelson définit l'hypertexte ainsi : « Il s'agit d'un concept unifié d'idées et de données inter‑connectées et de la façon dont ces idées et ces données peuvent être éditées sur un ordinateur ».
Le second ouvrage de l'auteur est consacré à la des‑cription de Xanadu qui est un dispositif hypertextuel d'archivage et de consultation de documents en réseau. L'idée sur laquelle repose ce système est de disposer d'un fond commun virtuel et dynamique rassemblant les documents de l'humanité, accessibles à tous et modi‑fiables en insérant des documents et en établissant des liens, dans lequel les utilisateurs se déplacent, lisent des informations, les comparent à d'autres, les regroupent par thème, etc.
Aussi distingue‑t‑il deux catégories d'hypertexte : L'hypertexte par blocs ou fragments, comme avec une encyclopédie, où le lecteur lit un bloc de texte, puis un autre dans l'ordre qui lui convient. Et l'hypertexte éten‑du, faisant appel à la notion de renvoi. Chaque portion du texte présenté de manière non séquentielle renvoie à un ou plusieurs autres textes. Se trouvent ainsi combi‑nés l'association d'un texte à un autre et le passage d'un bloc à un autre, l'ensemble constituant le parcours ou la « navigation ».
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L'idée innovante de Nelson est le concept de liens, mais les pistes associatives générées par les liens ne sont pas du même ordre que celles décrites par Bush. En effet l'analogie chez ce dernier est empirique, elle est com‑mandée par l'utilisateur, alors que pour Nelson la struc‑turation des connaissances est arbitraire pour le lecteur. La structure cognitive de chaque individu est basée sur des expériences antérieures.
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L'hypertexte, en tant que nouvelle mécanique de pen‑sée, inaugure de nombreuses notions théoriques, dont certaines sont définies dans la théorie de la convergence. Ces notions sont autant de pistes et questionnements qui, une fois rapportés au champ du design graphique, pourront me permettre d'aborder ma production de façon plus singulière.
La théorie de la convergenceLa théorie de la convergence s'organise autour de trois axes principaux : la pluralité des représentations, la pensée fragmentaire, et l'interconnexion des textes, qui opèrent à la fois sur le plan de l'écriture et de la lecture : « L'hypertexte se caractérise par sa non‑linéarité et sa discontinuité potentielle. » Cette convergence inter‑vient essentiellement autour de la mise en relation de concepts et de termes et s'articule autour de l'utilisation d'un même vocabulaire.
La pluralité des représentationsRoland Barthes définit le texte comme un réseau de textes, cette conception du texte permet de comprendre le concept de pluralité des représentations. Générale‑ment on oppose l'axe syntagmatique, qui est l'axe sur lequel se combinent les unités à l'axe paradigmatique, qui au contraire reflète les relations existantes entre les éléments capables d'assumer une même fonction. L'axe syntagmatique est l'axe de la linéarité par opposition à l'axe paradigmatique qui correspond à l'axe de la non‑li‑néarité. Ces deux concepts permettent d'expliquer com‑ment nous sommes passés du texte clos sur lui‑même à un texte ouvert, dé‑limité, dé‑cloisonné, qui permet la mise en relation du texte avec d'autres textes. La notion
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de paradigme permet d'expliquer le texte comme pen‑sée fragmentaire ou le texte comme une ouverture sur d'autres textes.
La pensée fragmentaireLa pensée fragmentaire est un dispositif mis en place par l'hypertexte dans la mesure où il est caractérisé par la discontinuité. Le discontinu permet à l'exégète de faire des regroupements, de mettre en relations des frag‑ments qui font écho, de faire apparaître des analogies, des comparaisons, des différences.
Pour ce qui est de la pensée fragmentaire, George Lan‑dow met en relation les lexies de Barthes avec ce que Nelson définit comme « l'hypertexte par blocs ou frag‑ments » où le lecteur lit un bloc de texte, puis un autre dans l'ordre qui lui convient. La lexie est définie ainsi par Barthes dans son ouvrage S/Z :
« On étoilera donc le texte, écartant, à la façon d'un séisme, les blocs de signification, dont la lecture ne sai‑sit que la surface lisse, imperceptiblement soudée par le débit des phrases, le discours coulé de la narration, le grand naturel du langage courant. Le signifiant tuteur sera découpé en une série de courts fragments contigus, qu'on appellera ici des lexies, puisque ce sont des unités de lecture ».
La pensée fragmentaire n'est à considérer que du point de vue de la lecture comme herméneutique et il ne faut pas chercher dans cette pensée fragmentaire une inter‑connexion des textes selon lequel l'homme pense par association d'idées.
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L'interconnexion des textesSelon Roland Barthes l'exercice critique consiste à mettre en relation un texte avec d'autres textes. C'est pourquoi il s'emploie à mettre en évidence l'intercon‑nexion des textes entre eux dans certains de ses ou‑vrages. Par exemple il explique que le texte peut être su‑jet à plusieurs interprétations et qu'il n'est pas statique.
« Le commentaire d'un seul texte n'est pas une activité contingente, placée sous l'alibi rassurant du « concret » : le texte unique vaut tous les textes de la littérature, non en ce qu'il représente (les abstrait et les égalise) mais en ce que la littérature n'est jamais qu'un seul texte : le texte unique n'est pas un accès (inductif ) à un Modèle mais entrée d'un réseau à mille entrées… » ¹
Parallèlement toutes ces notions ne se posent‑elles pas comme des débuts de pistes soulevant ainsi plusieurs questions par transferts vers le champ du design gra‑phique ?
Par exemple, comment dé‑cloisonner les éléments d'une identité graphique afin d'ouvrir le champ des possibles sur une « culture de marque ou sa légende » ? Plus préci‑sément encore, le design graphique permettrait‑il d'inci‑ter chacun à développer un imaginaire singulier relatif à l'identité dont il est question ?
Enfin, le principe de discontinuité, inhérent à l'hyper‑texte, transféré dans un discours graphique, donc de type fragmenté, serait‑il un moyen de décloisonner une identité graphique ?
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La métaphore du rhizomePour comprendre ici les mécanismes de l'hypertexte, et comment en tant que réseau il s'organise, fonctionne, dans la mesure où il remet en cause un certain nombre de concepts, il m'a paru intéressant de reprendre la mé‑taphore du rhizome, telle qu'elle est définie par Gilles Deleuze et Félix Guattari.
Le rhizome est une tige qui se caractérise par le fait que, poussant horizontalement, elle prolifère sans se structu‑rer binairement et sans qu'on puisse lui assigner un dé‑but et une fin (par opposition aux racines arborescentes ou dichotomique). Le rhizome apparaît donc comme un modèle d'organisation sans hiérarchie ni dichotomie.
Gilles Deleuze et Félix Guattari énoncent six principes qui fondent ce système :
Le principe de connexion : « N'importe quel point d'un rhizome peut être connecté à n'importe quel autre et doit l'être ».
Le principe d'hétérogénéité : « Chacun des traits du rhizome ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de non‑signes ».
Le principe de multiplicité : « Le rhizome ne se laisse ramener ni à l'Un ni au Multiple. Il n'est pas l'Un qui de‑vient deux, ni même qui deviendrait directement trois, quatre ou cinq, etc. Il n'est pas un multiple qui dérive de l'Un, ni auquel l'Un s'ajouterait (n + 1). […] Il consti‑tue des multiplicités linéaires à n dimensions, sans sujet ni objet, déplorable sur un plan de consistance, et dont l'Un est toujours soustrait (n – 1). »
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Le principe de rupture « assignifiante » : « Un rhizome peut‑être rompu, brisé en un endroit quelconque, il reprend suivant telle ou telle de ses lignes et suivant d'autres lignes. »
Le principe de cartographie et décalcomanie : « À l'op‑posé de l'arbre, le rhizome n'est pas objet de reproduc‑tion : ni reproduction externe comme l'arbre‑image, ni reproduction interne comme la structure‑arbre. »
D'autres principes qui ne sont pas émis par les auteurs mais qui découlent de ces six principes peuvent être énoncés. Nous les empruntons à Pierre Lévy, pour es‑sayer de comprendre encore mieux les mécanismes de l'hypertexte.
Premièrement le principe de métamorphose sous‑en‑tendu dans le principe de multiplicité, qui est décrit ain‑si par Gilles Deleuze : « Une telle multiplicité ne varie pas ses dimensions sans changer de nature en elle‑même et se métamorphoser ».
Deuxièmement le principe d'extériorité qui lui est à mettre en relation avec le principe de connexion selon lequel un rhizome ne se définit « que par le dehors et au dehors ».
Troisièmement le principe de mobilité des centres qui dérive du principe de rupture « assignifiante », et qui peut s'expliquer ainsi : « Le rhizome est un système « acentré », non hiérarchique et non signifiant, sans mé‑moire organisatrice ou automate général, uniquement défini par une circulation d'états. »
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Finalement le principe d'emboîtement des échelles, qui provient du principe de multiplicité et selon lequel la macrostructure influence la microstructure ; un macro‑rhizome, qui est le « livre », réfléchit un « mi‑cro‑rhizome », le plateau ¹. Car le livre s'organise non pas en chapitres mais en plateaux, qui peuvent se lire dans n'importe quel ordre. Le plateau est défini comme ce qui constitue le rhizome : « Nous appelons ‹ plateau ›, toute multiplicité connectable avec d'autres par des tiges sou‑terraines superficielles, de manière à former et étendre un rhizome. »
Que serait une identité graphique sans début ni fin ? Peut‑être décloisonnée des contraintes d'une charte graphique, par une destruction des règles, ou par l'inter‑vention de facteurs externes aléatoires, ou encore par les divers usages induits ?
Pourrait‑on ainsi parler d'un discours graphique discon‑tinu ? Alors ce concept — que je nommerai hyperlégende — proposerait des fragments de discours graphique pour construire un langage ?
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Aux portes d'une autre dimension
HypercubeComme nous l'avons vu, le préfixe hyper signifie chez les mathématiciens tout ce qui dépasse trois dimensions. En géométrie par exemple, un tesseract ou hypercube est une extrapolation à quatre dimensions (n = 4) d'un carré (n = 2) et d'un cube (n = 3).
Nous savons que :
La représentation de l'espace de dimension 0 est un point.
L'espace de dimension 1 est une droite dont on peut extraire un segment.
L'espace de dimension 2 est un plan dans lequel il est possible de définir le carré.
L'espace de dimension 3 dans lequel s'inscrit le cube nécessite une projection dans le cas d'une représentation sur un plan.
Enfin la dimension 4 où l'on trouve le tesseract nécessite une double projection dans une représentation dimen‑sionnelle n = 2.
Nous voyons donc que la figure de l'hypercube qui a été profondément théorisée n'est, semble‑t‑il, abso‑lument pas visible dans les trois dimensions que nous percevons. En effet, la plupart du temps l'hypercube est représenté sur un plan et si cet exercice peut sembler
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aussi vain que de représenter un cube sur une droite, il permet néanmoins d'ondoyer mentalement entre les di‑mensions afin de recevoir une compréhension au moins théorique et de manipuler des données, vecteurs à plus de trois dimensions.
N'est il pas frustrant, sachant que l’univers comporte au moins une dizaine de dimensions connues, de ne pou‑voir en percevoir que trois ? Comment serait‑il possible d'en percevoir davantage ? L’art a parfois essayé d’élargir les limites de notre perception, comme le cubisme qui tentait de nous montrer tous les côtés d’un personnage en même temps, c’est aussi ce que propose Fez : voya‑ger à travers des « dimensions supplémentaires » et voir comment cela affecte et modifie les lois de l’espace aux‑quelles nous sommes habitués.
FezFez est un jeu de plates‑formes/puzzle game développé par le studio indépendant montréalais Polytron, met‑tant en scène un petit personnage blanc, Gomez, dans un monde alternant 2D et 3D.
Fez joue d'ingéniosité quand il rétrograde notre percep‑tion dimensionnelle. En effet, à l'heure où les multiples tentatives pour rendre intelligible la quatrième dimen‑sion consistent en une « double projection » d'hyper‑cube sur un plan, Fez traite la troisième dimension, que nous connaissons pourtant, comme cette dimension « en plus », imperceptible mais présente, incompréhen‑sible mais réelle. Dans Fez, l’univers est perçu en vraie 2D : plate, avec tous les éléments exposés sur un plan, sans perspective cavalière ou isométrique pour donner l’illusion de la troisième dimension. L'intelligence de Fez, outre sa dimension puzzle game, réside principalement
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dans sa mécanique de jeu. En effet, dans l'univers de Fez il est possible d'accéder « allégoriquement » à un espace dimensionnel n + 1 par un mouvement de « rotation supplétive ». C'est‑à‑dire que dans un système tridimen‑sionnel, l'axe z se voit déplacé, par un mouvement rota‑tif, dans le plan x ; y et vient remplacer, suppléer l'espace bidimensionnel encore visible jusque là. Ainsi, tout ce qui n’est plus visible depuis cet angle est annulé, tout précipice ou obstacle se trouvant dans la profondeur n’existe plus, comme appartenant à une autre dimension imperceptible pour Gomez. Le champ des possibles s'étend alors au grè des points de vue, par des pliages et dépliages incessants de l’espace, afin de créer des pas‑sages impossibles et d’abolir des obstacles.
« Fez est la tentative de visualiser le tissu de l’univers et de passer à travers ses mailles. »
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Hyperlégende
Il est maintenant temps d'établir une définition de ce que j'appelle hyperlégende. Je m'y engage avec d'autant d'assurance que j'avance désormais, armé d'intuitions informées et confortées par plusieurs points d'appuis théoriques et convergents, issus de l'ensemble de mes investigations, de mes pratiques et de mes explorations. Il est tel, de toute évidence, que l'hyperlégende, dès lors qu'il s'agit d'un concept analogue à la légende, s'érige — dissemblablement — sur ces mêmes fondations. Mais d'abord, parlons du préfixe hyper qui, comme nous l'avons vu plus haut, vient du grec ancien hypér « au‑des‑sus, au‑delà ». Il faut donc déjà comprendre qu'il s'agit d'une légende au‑delà de la légende elle‑même, au‑delà de ce qui doit être lu. En fait, je vois l'hyperlégende dans un espace semblable à un désert de sable flottant, évas-té/dévasté, situé dans les entours de la légende et dans lequel tout est en devenir. Dans cet espace un moment qualifié de champ des possibles, s'étend un système de signes discontinus, au demeurant toujours fonctifs de nature ; notons d'ailleurs que, du fait de sa situation (dans le champ des possibles), l'hyperlégende se caracté‑rise par sa qualité d'extension sémique et non pas de ré‑duction. Ainsi par extrapolation, ces signes discontinus deviennent grains de sable, substance de tout le désert ; mais dans un désir de justesse, je parlerai de fragments dont l'articulation génère un mouvement de pendule in‑fini, ou pour le dire autrement, engendre une mécanique du renvoi dans la mise en résonance du monde et de ses multiples reflets.
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Un autre aspect de l'hyperlégende, avec comme nous l'avons déjà expliqué le préfixe hyper qui signifie chez les mathématiciens tout ce qui dépasse trois dimensions, suppose que l'hyperlégende puisse se définir également comme une légende à n dimensions, ou une légende supérieure, la menant ainsi à être prétendument imper‑ceptible, tout du moins dans son entier. Ce problème n'est ici pas trop gênant car si l'hyperlégende ne peut être, à priori, saisie in extenso, elle aspire à exposer ses parties, parfois plusieurs simultanément, comme continuelle‑ment fluctuantes ; dévoilant ainsi quelques dunes aux‑quelles nous étions insensibles jusqu'à lors.
L'hyperlégende ne renvoie donc pas seulement à une réalité déjà là, un présent fonctionnel et pratique, mais ouvre une porte sur une/des « hyperréalité(s) », rêveries avenirs et autres chimères ou autres possibles. C'est un appel à user de nos intuitions, de notre imaginaire. Elle relève et révèle — par delà le réflexe de la connaissance mémorisée qui transpire la compréhension et quelque raison, soit celle du logos grec — l'évidence « sensible », immédiate et perçue.
Qu'apporte donc le concept d'hyperlégende à ma pra‑tique du graphisme ?
L'utilisation de l'hyperlégende soulève de nouvelles no‑tions et principes transformables en moyens au service du processus créatif, mais aussi de notre rapport à une structure graphique.
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Peut‑être s'agirait‑il alors de récit faisant place à la ré‑flexion et à l'imagination. Lançons un regard sur la scène du graphisme contemporain et voyons comment le concept d'hyperlégende s'inscrit dans certaines problèma‑tiques actuelles. L'hyperlégende, que l'on pourrait égale‑ment qualifier de culture de légendes dans la mesure où elle va, par nature, narrer maintes histoires, se rapproche de cette tendance émergeante dans le graphisme mon‑dial actuel : le visual storytelling, qui consiste à considérer le graphiste comme un conteur d'histoires ¹. On parle alors de graphiste poète, il ne produit pas d'image sta‑tique, mais laisse au contraire filtrer des indices suggé‑rant un dénouement afin de réinterpréter la réalité d'une manière ludique et maîtrisée.
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Fragment
Nous l'avons vu tout au long de cette étude, des notions émergentes se recoupent et participent d'une seule et même volonté. Par exemple des mots venant du champ lexical de la lumière apparaissent de manière récurrente, et même si leur usage reste d'ordre métaphorique, ils n'en demeurent pas moins porteurs d'indices subs‑tantiels, tenant des voies exploratoires qui s'ouvrent à moi. J'insiste également sur le principe de discontinuité du discours graphique caractérisé par le fragment, qui semble manifestement devenir le fer de lance de mes prospections graphiques. Effectivement, une application brute de l'hyperlégende ne serait‑elle pas de fragmenter la lumière, qui par ailleurs est celle par laquelle nous éclai‑rons les choses, car si mettre en lumière revient à légen‑der, autrement dit si la lumière devient légende, alors la lumière fragmentée ne serait‑elle pas une forme d'hyper-légende ? La lumière deviendrait alors un médium ?
Aussi vais‑je parler des travaux des artistes plasticiens Loriot & Mélia qui éveillent de puissantes intuitions dans cette direction au moyen de procédés utilisant la lumière.
En tout Éclat de chose, de Loriot & MéliaDans un espace désertique à la géologie incertaine révé‑lée par l'éclairage, des amas d'objets insignifiants — frag‑ments d'objets métalliques et de miroirs — habilement assemblés, découpent la lumière et réfléchissent d'autres objets immatériels vaporeux et flottants, véritable circu‑lation d'états/éclats des objets. En réalité « une simple
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lampe de bureau fait naître sur le mur l’image colorée qui semble surgir de nulle part, tant elle apparaît étran‑gère à l’amas désordonné d’objets hétéroclites posés à terre et dont pourtant elle est issue ». À la manière d'un haïku tel qu'en parle Roland Barthes ¹, le sens de ces nébuleuses ne peut être qu'un flash, « une griffure de lumière ». When the light of the sense gœs out, but with a flash that has revealed the invisible world, notait William Shakespeare. Car le « processus se complique encore pour le spectateur qui voudrait comprendre, s’il songe, que même l’objet familier reconnu, ne produit bien sûr que sa silhouette inversée aussitôt parasitée par d’autres éléments. »
Le travail de Loriot & Mélia semble ainsi renvoyer à certaines de mes préoccupations lorsqu'il articule le fragment (emprunté d'ailleurs au latin fragmentum qui signifie « éclat ») et la lumière dans une matrice don‑nant naissance à des images issues de mondes invisibles. Donc si je pense fragment(s), je ne peux le faire — cela se vérifie avec l'œuvre de Loriot & Mélia — sans consi‑dérer les articulations par lesquelles se créeront leurs interconnections.
Petite parenthèse linguistique où la notion d'articulation est fondamentale pour la compréhension du fonctionne‑ment des langues. Il s'agit en fait d'une double articu‑lation structurant l'articulation des graphèmes en tant que signes et l'articulation des signes entre eux. Cette seconde articulation crée la combinatoire de la langue qui, grâce à un petit nombre de monèmes, permet de gé‑nérer un nombre virtuellement infini de combinaisons signifiantes. Elle « libère » ce faisant le signe linguistique en le rendant arbitraire.
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Il est donc question d'un système aux parties intercon‑nectées emprunté ici à la linguistique, mais que l'on re‑trouve dans bien d'autres phénomènes allant de l'atome à la Galaxie, en passant par les bancs de poissons ou les nuées d'oiseaux. Aussi observons‑nous que de ces mul‑tiplicités connectables résulte la propriété d'émergence. Cette propriété est de premier ordre car elle induit que l'ensemble en tant que tout cohérent est « plus » que la somme de ses parties, autrement dit, il déborde l'agglo‑mérat de ses fragments. Ainsi donc nous devons rete‑nir de ce passage, dans lequel j'ai regroupé et recoupé plusieurs notions constitutives de ma réflexion, qu'il est possible au moyen d'un discours graphique discontinu et à condition de se concentrer autant sur les fragments que sur les articulations, de faire jaillir de puissantes intuitions tels des micros‑zeitgeist ¹ : catalyseurs de pen‑sées ou encore lieux de circulation d'états favorisant l'imaginaire, augmentant le rapport qu'a un individu à une structure graphique.
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Pour conclure, nous avons vu au commencement que le mot « légende » venait du latin legenda qui signifie : « ce qui doit être lu », et qu'il implique un rapport plus ou moins élastique entre signe et réel. Nous avons ensuite étudié le travail d'artistes comme Marcel Duchamp, René Magritte et Joseph Kosuth qui ont joué avec les limites de la légende, suite à quoi j'ai décidé de me séparer du mot « légende » (par crainte de le dénatu‑rer), emporté vers un « au‑delà de la légende » que j'ai nommé « hyperlégende ». J'ai mis cette piste en paral‑lèle avec le visual storytelling, me tournant ainsi vers le récit, l'histoire, etc. Puis en passant ce concept par le prisme de l'hypertexte ainsi que de jeux indépendants tel que Fez, sont apparues certaines notions fondamen‑tales, comme le fragment ou l'articuli ¹, véritables outils au service de mes intentions de départ. L'hyperlégende devra donc selon moi soit : ouvrir des réflexions, par la mise en lumière d'éléments précis, en créant des ponts ou en s'affranchissant d'obstacles ; soit ouvrir les portes d'imaginaires singuliers. Deux rôles qui ont pour enjeu commun, en favorisant l'intuition, d'exposer l'invisible, la présence insoupçonnée, non encore là, mais déjà en train de se faire et donc d'augmenter notre rapport à l'environnement usuel.
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« Le travail du haïku, c'est que l'exemption dit sens s'accomplit à travers un discours parfaitement lisible (contraction refusée à l'art occidental, qui ne sait contes‑ter le sens qu'en rendant son discours incompréhen‑sible), en sorte que le haïku n'est à nos yeux ni excen‑trique ni familier : il ressemble à rien et à tout : lisible, nous le croyons simple, proche, connu, savoureux, délicat, « poétique », en un mot offert à tout un jeu de prédicats rassurants ; insignifiant néanmoins, il nous résiste, perd finalement les adjectifs qu'un moment plus tôt on lui décernait et entre dans cette suspension du sens qui nous est la plus étrange puisqu'elle rend impos‑sible l'exercice le plus courant de notre parole, qui est le commentaire.
Que dire de ceci :
Brise printanière :
Le batelier mâche sa pipette.
ou de ceci :
Pleine Lune
Et sur les nattes
L'ombre d'un pin.
ou de ceci :
Dans la maison du pêcheur,
L'odeur du poisson séché,
Et la chaleur.
Tel ! l'enfant qui désigne, l'enfant designer.
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Ou encore (mais non pas enfin, car les exemples seraient innombrables) de ceci :
Le vent d'hiver souffle.
Les yeux des chats
Clignotent.
De tels traits (ce mot convient au haïku, sorte de balafre légère tracée dans le temps) installent ce qu'on a pu appeler « la vision sans commentaire ». Cette vision (le mot est encore trop occidental) est au fond entièrement privative ; ce qui est aboli, ce n'est pas le sens, c'est toute idée de finalité : le haïku ne sert à aucun des usages (eux‑mêmes pourtant gratuits) concédés à la littéra‑ture : insignifiant (par une technique d'arrêt du sens), comment pourrait‑il instruire, exprimer, distraire ? (…) Ne décrivant ni ne définissant, le haïku ( j'appelle ainsi finalement tout trait discontinu, tout événement de la vie japonaise, tel qu'il s'offre à ma lecture), le haïku s'amincit jusqu'à la pure et seule désignation. C'est cela, c'est ainsi, dit le haïku, c'est tel. Ou mieux encore : Tel ! dit‑il, d'une touche si instantanée et si courte (sans vi‑bration ni reprise) que la copule y apparaîtrait encore de trop, comme un remord d'une définition interdite, à jamais éloignée. Le sens n'y est qu'un flash, une grif‑fure de lumière : When the light of the sense gœs out, but with a flash that has revealed the invisible world, écrivait Shakespeare ; mais le flash du haïku n'éclaire, ne révèle rien ; il est celui d'une photographie que l'on prendrait très soigneusement (à la japonaise) mais en ayant omis de charger l'appareil de sa pellicule. Ou encore : haïku (le trait) reproduit le geste désignateur du petit enfant qui montre du doigt quoi que ce soit (le haïku ne fait pas acception du sujet), en disant seulement ça ! d'un mou‑vement si immédiat (si privé de toute médiation : celle
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Lux
– T
el !
du savoir, du nom ou même de la possession) que ce qui est désigné est l'inanité même de toute classification de l'objet : rien de spécial, dit le haïku, conformément à l'esprit du Zen : l'évènement n'est notable selon aucune espèce, sa spécialité tourne court ; comme une boucle gracieuse, le haïku s'enroule sur lui‑même, le sillage du signe qui semble avoir été tracé, s'efface : rien n'a été acquis, la pierre du mot a été jetée pour rien : ni vague ni coulée du sens… »
(Barthes (Roland), « TEL », dans Empire des Signes.)
Table des matières
Substrat 11
Introduction 15
Contours de la légende 19
Les définitions générale de la légende 20 Étymologie 20 tlfi 20 Académie 9e édition 23 Académie 4e édition 24 dmf 1300 – 1500 24
Typologie 28 Inscription sur une médaille, une monnaie, un emblème… 28 Titre 28 Note explicative 29 Liste explicative des signes conventionnels d'un plan, d'une carte… 30 Texte explicatif 30 Texte inscrit dans un tableau, une estampe 31 Légende de photographie 31
La légende & le signe 32 Mémento / Atlas 36 Cabinet de curiosités contemporain 43
Les mæstria(s) de la légende 45 Perspectives 47
Démolir, établir, reconstruire 53 Le Miroir vivant, de René Magritte 53 La Clef des Songes, de René Magritte 54
Le monde, système de signes, formes mobiles
& réversibles ? 62 La Mariée mise à nue par ses célibataires, même, de Marcel Duchamp 62 Étant donnés : 1°) la chute d'eau 2°) le gaz d'éclairage, de Marcel Duchamp 69 One and three chair, de Joseph Kosuth 73
Les multiples réalités & légendes d'un objet 79
La « légende » en tant que fonctif élastique 81
L'espace des possibles 91 Désert 93
Journey 94
Au delà de la légende : « hyperlégende » 101
Système de renvoi 104 Douglas Engelbart & nls 105 Theodor Holm Nelson & Xanadu 106 La théorie de la convergence 108 La pluralité des représentations 108 La pensée fragmentaire 109 L'interconnexion des textes 110 La métaphore du rhizome 113
Aux portes d'une autre dimension 118 Hypercube 118 Fez 121
Hyperlégende 125 Fragment 132 En tout Éclat de chose, de Loriot & Mélia 132
Conclusion 141
Tel ! 147 Tel ! l'enfant qui désigne, l'enfant designer 149
From legend to hyperlegend 161
Références 171
From legend to hyperlegend
It is a mysterious light, I was blinded by it. A light, the rays of which I could perceive only recently. Looking back upon distant memories, I realized that it gave meaning to my work, even if at the time they were mere child's drawings. Seeing this only partly at the begin‑ning, I thought this light had something to do with the legend, or more precisely, the act of adding a legend, of completing the drawing or image with a caption.
The legendThe word legend comes from the latin adjective “legen‑da” meaning “that should be read”. A legend provides a specific piece of information regarding a “cosa”. This etymology is of primary importance and deserves our attention. Indeed, the term legend refers to the expla‑natory text supplement that makes up for a lack of in‑formation. Or else, in a broader sense, it designates any artefact that might come between the individual and his environment, providing to the former an interpretation of the latter. The legend may also have a metaphysical sense. So the etymology of the word gave me food for thought from the start, and paths to explore in graphic design.
Further to a typological analysis I noticed that legend and sign had a lot in common. For the semiologist Ro‑land Barthes, the sign is a double‑sided reality defined as the union of a signifier and a signified. According to him, the signified would not be “a thing”, but a mental representation of the “thing”. For the Stoics it would be rather about “this ‘something’ that the one who uses the sign means by it”. The other face of the sign is cal‑led the signifier, it is similar to the signified, it differs by its substance which is always material. The signifier is a mediator. A legend compensates for a lack of informa‑tion ; indeed it brings additional information and turns something vague into an obvious fact. Nevertheless, the caption sometimes restricts the meaning, sometimes ex‑pands it. For example, thanks to its legend, an image can have a richer symbolic value. So if we widen the defi‑nition, the legend is not only an object bringing infor‑mation and sending back to a pre‑existing reality, but it adds a new meaning to a reality that is not visible yet.
The art of the legendLet us see then how it would be possible to go beyond the usual logics of the legend by following catalysts taken from contemporary art like Marcel Duchamp, René Magritte or Joseph Kosuth and their command of the art of the legend. In Magritte's work the distance between representations and the legends which accom‑pany them and interlace according to intriguing wor‑dings, the difference between the emblem and its motto, inaugurate a for ever illegible art of the impresa*.
Then Marcel Duchamp's works that I have analyzed, Étant donnés : 1°) la chute d'eau 2°) le gaz d'éclairage and Le Grand verre, both take us along in a round trip to‑wards an infinity of uncertainties. Because a same prin‑ciple governs both his lines of thought : the “hinge” prin‑ciple. Links are created between his works, making some articulations, thus a deep unity, “the pursuit of a unique object as imperceptible as life itself ”. His work appears to us as two moments of the same reality.
The analysis of Joseph Kosuth's work shows how the role of the legend can be played alternately by the lin‑guistic, iconic or physical reality of the object in question. It confirms the unstable nature of a legend which only exists in relation to what it describes. However, contrary to Joseph Kosuth who aims to fill the gap between reali‑ty and legend, my intention is to open a space of possibi‑lities. I would say that the legend is a sign system which designates any object located between humans and their environment. It is characterized by its semic reduction which makes it obvious, or by the extension in meaning which makes it less accurate and thus gives way to the space of possibilities.
This is how I realize that the legend has reached its limits. It is necessary to give it up as such, otherwise it would lose its original purpose. Its sometimes deviant tendency opens up new fields of thought in search of a world of meaning "beyond" the legend.
HyperlegendWe could then use the prefix “hyper” coming from an‑cient greek hyper meaning above, beyond. It expresses excess. It also adds the concept of going further, by a system of cross‑references, of constraints attached to the linear written text. We can talk about a hypertext system. The second notion is inscribed in the sphere of mathematics. For mathematicians the prefix “hyper” means anything that exceeds three dimensions.
The hypertext, as new mechanics of thought, ushers in numerous theoretical notions, among which some are defined in the convergence theory. These notions are guidelines and questions which, once applied to the field of graphic design, will allow me to develop my produc‑tion in a more singular way. The convergence theory organizes itself around three main concepts : the plu‑rality of representations, thought in fragments and the interconnection of texts.
To understand the plurality of representations we op‑pose the syntagmatic axis — linearity — to the para‑digmatic one — non‑linearity. The notion of paradigm allows us to explain a text as fragmentary thought or as an opening onto other texts. The fragmentary thought is a device set up by the hypertext as far as it is characte‑rized by discontinuity. This allows the critic to gather or relate fragments which echo one another, to reveal ana‑logies, comparisons, differences.
Once you transfer these notions to the field of graphic design, they actually open new directions and raise new questions. For example, how can we separate the various elements of an identity to open a field of possibilities on a brand culture or its legend ? More precisely, would gra‑phic design help each person to develop his or her own imagination linked to the identity in question ? Finally, would the principle of discontinuity, inherent to the hypertext, transferred to a fragmented graphic language, be a means to open up the limits of a graphic identity ?
As we said before, the prefix “hyper” for mathematicians means anything beyond three dimensions. In geometry for example, a tesseract or a hypercube is a four dimen‑sion extrapolation (n = 4) of a square (n = 2) and of a cube (n = 3). Isn't it frustrating, knowing that the uni‑verse contains at least about ten known dimensions, to be able to perceive only three ? How would it be possible to perceive more ? Art has sometimes tried to widen the limits of our perception, like cubism which tried to show us all the sides of a character at the same time. It is also what the video game Fez proposes, to travel across “additional dimensions” and see how it affects and modi‑fies the laws of the space we are used to live in.
It is time to establish a definition of what I call the “hy-perlegend”. We remember that “hyper” in Greek means above, beyond. Thus it is necessary to understand that it is a legend beyond the legend itself, beyond what must be read. In fact, I see the hyperlegend in a space similar to a floating sand desert, situated in the vicinity of the legend and in which everything is ever‑changing. In this space of possibilities, an intermittent sign system can exist. These intermittent signs become sand grains, the substance of the whole desert ; I call them fragments.
As the prefix “hyper” in mathematics means more than three dimensions, the hyperlegend can define itself also as a legend in n dimensions. The hyperlegend does not only send us back to a reality that is already there, a functional and practical present, but it also opens a door on a “hyperreality or hyperrealities”, future daydreams and fantasies.
So what does the concept of hyperlegend bring to my graphic work ?
It brings new notions and principles that can be conver‑ted into devices that may serve the creative process, but also our relation to a graphic structure.
Throughout this study, emerging notions confirm each other and all reflect the same will. For example words from the lexical field of light appear recurringly. I also insist on the discontinuity principle of the graphic language characterized by the fragment, which seems to become the spearhead of my graphic exploration. Indeed, would not an application of the hyperlegend be to split up the light, which besides is what makes things clear or visible, because if lighting means captioning, in other words if light becomes legend, then the split up light would be a form of hyperlegend, wouldn't it ? But if I think fragment(s), I cannot do it without conside‑ring the articulations by which their interconnections will be built . What is at stake here is a system with interconnected parts, a system which we find in many other phenomena from atoms to Galaxies, shoals of fish to flocks of birds. So we observe that these connectable multiple elements lead us to the property of emergence. This property is important : it means that the group as a coherent whole is “more” than the sum of its parts. Thus we should remember from this that, thanks to an inter‑mittent graphic language and on condition that we fo‑cus on fragments as much as on articulations, powerful intuitions can arise : there may be a space where chan‑ging moods help imagination, a space which enriches the relation between a person and a graphic structure, even if it is just short time, like a flash of light.
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TypographiesComposé avec les caractères : Adobe Jenson Pro & FedraSansAlt.
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RédactionÉcrit par Clément Marty
ImpressionRéalisé par l'atelier Bic Graphic 5, rue Konrad Adenauer 12000 Rodez – France
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