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MODE ET TYPOLOGlE
oes MIGRATIONS RURALES
Enquête réalisée
dans la région de Dagana
OFfiCE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIOUE ET TECHNIQUE OUTRE-MER
CENTRE O.R.S.IO.M. DE DAKAR
O. DELAUNAY
AOÛT 1976
RESU}E
Cc document est le second volet d'une étude sur l'émigration rurale
dans une région du fleuve Sénégnl. Après l'historique des mobilisations de main
d'oeuvre vers le système capitaliste, cette enquête de terrain visait deux ob
jectifs :
- utiliser, selon une méthode originale, un échantillon représenta
ti.f de segments de lignage pour estimer au mieux l'émigration rurale dans la
zone étudiée ;
- reconnaître le mode spécifique de cette émigration.
L'économie de la région du Fleuve ne doit plus ~tre comprise cormne
une économie agricole et encore moins de subsistance, car elle vend la .force de
travail de ses agents sur le marché capitaliste. Cette nouvelle production do
mine les autres productions intermédiaires - de vivres notamment - et partant
les rapports sociaux traditionnels. L'introduction d'instruments aratoires,
l'embauche de journaliers agricoles, la pleine utilisation des terres, les stra
tégies migratoires ••• sont ici analysés à la lumière de la double nécessité qui
s'impose au paysan : produire et libérer le maximum de main-d'oeuvre pour le
travail salarié tout en préservant les instruments de cette production qui reste
f amiliale.
La préservation de l'économie domestique résulte de la di.f.ficulté .
pour le paysan d'accéder à des salaires qui autoriseraient une reproduction mar
chande de sa .force de travail. Il apparaît dés lors que le développement des
migrations internationales et les pratiques discriminatoires exercées à l'en
contre des travailleurs immigrants par les pays étrangers contribuent à la repro
duction de ces .formations économiques productrices de main d'oeuvre bon marché.
3.
3.1.
3.2.
3.3.
3.4.
3.5.
3.6.
4.
4.1.
4.2.
4.3.
4.5.
Migrations et aménagements hydro-agricoles à DAGA~\
Méthodologie
1 .2.1. Le choix de l'uni té primaire : le segment de lignage,.
1.2.2. Le mode de tirage de l'échantillon
1.2.3. La méthode d'analyse
1.2.4. Les limites de la méthode et de l'enquête
Les villages de l'enquête
1.3.1. Bokhol
1.3.2. Gaé
1.3.3. Dagana
Relations démo-économiques et stratégies migratoires.
Une production agricole aléatoire
Production vivrière et migrations : la stratégie paysanne
La segmentation des unités de production
Les caractéristiques du migrant
L'~ge et le sexe
La cas te et l'ethnie
La situation économique
La situation matrimoniale
Scolarisation
Autorités parentales et migration
TYPologie des flux migratoires
L'immigration
Les migrations matrimoniales
Les migrations de travail
Autres flux.
2
1.1. L:enqu~te sur les migrations, dont les résultats sont exposés
dans cc texte, fut à l'origine conçue en rapport avec certains problèmes inhérents
à l'aménagement de la culture irriguée en quelques sites favorables ~u fleuve
Sénégal.
Ces aménagements, imposés à une économÈrurale organisée autour
de la production vivrière "e mil, '1oivent mOllifier la production immédiate ct con
jointement les anciens rapports sociaux de proJuction: la terre, auparavant possé
dée par quelques familles nobles, est valorisée par le capital étranger, appropriée
et gérée par l'Etat national qui se réserve le monopole de la commercialisation
des produits agricoles et des surplus qui lui sont attachés. L'encadrement et les
technologi~employées laissent peu Ge latitude de décision au paysan que l'on rend
économiquement responsable des variations aléatoires de la production agricole (1).
Le groupement, noùvelle unité de production, rassemble selon des affinités généra
lement parentales plusieurs ménages pour l'exploitation d'un casier. Cette structure
laisse Wle place non négligeable au fonctionnement des anciens rapports sociaux de
production ou du moins à leurs avatars, notamment pour la répartition du travail
et du produit.
Pour ses casiers pilotes du Delta, la S.A.E.D. ( Société d'Amé
nagement des terres du Del ta ) recruta pr"ncipalement une population allogène sé..
parée.: de. ses .:lnciens ln yens ':"~e p:t5C!.ucti,-·n."· A D.",G:'lfA les" 2.l!1~l1~gemcnts_s 'imp~)sent à une "
vieille population rurale et ce fait soulève plus précisément deux ensembles de ques~
tions originales:
- Que sera la volonté et la capacité de réaction des bénéficiaires Ge l'an
cienne formation sociale, notamment des familles détentrices de ~roits fonciers
et/ou du pouvoir traditionnel et religieux (2) ? L'échec de la colonisation agri
cole du Waalo au début du XIX e siècle illustre ce type de blocage, celle-ci affronta
l'opposition active des agents économiques dominant l'économlê ~e traite: aristo
çratiès gnc:r'1'!ièrôs ~"ct" t:'<:-î~c;mts (3).
Evaluer ce que sera l'ampleur de la participation paysanne à de nouvelles
cultures qui ne s'imposent pas impérativement au paysan. L'histoire coloniale est
faite d'oppositions à la pénétration de l'économie marchande et capitaliste. La
mobilisation de la main·-d'oeuvre était nécessairement coercitive ( captivité, impôt,
endettement) ou profitait largement des déséquilibres na~rels (séCheresses, fami
nes). En l'absence de contrainte~ il reste au cultivateur des cuvettes irriguées
un choix assez large pour l'affectation de sa force de travail. Cette diversité
tient au premier chef à la survivance de l'économie domestique, accessoirement à
3
l'organisation de la culture irriguée, mais surtout à la possibilité d'un autre
type d'insertion dans le système capitaliste: les migrations de travail.
L'aménagement de quelques sites ne détruit pas toutes les possi
bilités de culture traditionnelle (4). Toutes les terres de diéri restent disponi.,.".
bles pour les cultures sous pluie et chaque village concerné par la cuvette ne
DAGANA dispose encore de quelques terres de waalo non aliénées par les aménagements;
le pays an des cuvettes n'es t donc pas un individu marginalisé, réduit à la culture
irriguée. De plus la taille de l'unité de production minimale le groupement
autorise une 0éfection partielle. Au sein de cette unité, les relations de pouvoir
et de parenté ont pu libérer certains individus d'un travail assidu tout en leur
conservant ~a droit au produit final, de sorte qu'une répartition égalistaire du
travail se heurte aux hiérarchies sociales traditionnelles. Les cadets et les an
ciens serviteurs sont plus particulièrement les victimes de ce partage inégal (5).
(1) Dues pour la plupart à des erreurs technologiques que le paysan ne peut con
tr8ler: mauvais calendrier des traitements, déficience du matériel mécanique,
retards administratifs, défauts de commercialisation•••
(2) La M.I.S.O.E.S. (1962 p.130) reproduit une déclaration de l'Association des
Propriétaires Fonciers de Matam sur cc point éclairante.
(3) Voir "·~g:h;':I!::t.0ns et pénétration de l'économie marchande le Waalo." D. DELAU
NAY ORSTOM 75.
(4) Un développement ultérieur des surfaces irriguées imposerait un barrage de
régularisation du cours qui détruirait la possibilité d'a cultures vivrières
sur le vTaalo, ainsi que la pratique de la pêche; il n'y aura plus alors de repli
F possiblc'v~rs les culËUvès.Yivrières ét l~aménagement du ~leuve deVra êtrG~~omw
plet.
(5) Les habitants du village de NDiarème, anciens serviteurs des gens de GAE, ont
demandé aprés l'expérience d'une saison agricole de s'organiser en groupements
·indépcnè:<U1ts.
4
Une analyse de la transition aux aménagements ne pcui- é.l1.-lr1cr les
migrations de travail car la pénétration capitaliste a débuté avec la traite
esclavagiste et elle a au cours de son histoire modifié considérablement l'éco-·
nomie domestique. Cette évolution, retracée dans un tr~vail précédent (2) parce
qu'elle explique l'origine des migrations modernes, débouche àujourd'hui sur les
allénagements hydro··agricoles qui sont un nouvel avatar de la pénétration capi
taliste dans les économies domestiques. Dans le cadre de cette problématique,
notre enquête, réalisée avant les aménagements, se proposait de mesurer l'inten
sité des flux migratoires et les mécanismes de leur production. Cette étude est
un préambule nécessaire à un éventuel suivi des transformations apportées par
la culture irriguée.
La méthode démpgraphique n~ retient généralement dans la migration.
que le seul déplacement des individus. Cette variable nlest pas nécessairement
pertinente pour l'analyse de ce qui est avant tout un type particulier de par
ticipation à l'économie capitaliste. La culture de l'arachide par exemple, n'im
plique pas le déplacCl':\cnt ües travailleurs.
Le seul déplacement· a pu jouer un rôle déterminant g~ S·::'pill:'cr
le paysan de ses moyens de production et le transformer en un Il travailleur li
brell obligé de se soumettre au capital pOUl' sa survie. Ceèi de la même manière
que la transplantation par des guerriers ou des dioula" de captifs loin de leur
milieu parental et ethnique était la condition de leur réinsertion comme servi
t'e~ :Hais privilégier le seul déplacement pour l'unique raison qu'il est quan
tifiable (durée, date, lieu) occulte la véritable nature des migrations.
L'approche démographique présentée ici est complémentaire d'une
analyse causale menée à llorigine du mouvement migratoire par une recherche
historique (2) ainsi que d 1 une étude ponctuelle du parcellaire foncier et de la
structure du revenu monétaire (6). L'enquête tentait de recenser, à partir du
lieu de départ des migrants, et selon une méthode originale, l'intensité et la
typologie des flux migratoires. Les statistiques présentées ici permettent
seulement d'approcher, à travers les caractéristiques des migrants, l'organisa
tion des migrations et leur typologie. La connaissance de leur intensité four
nit le moyen d'évaluer leur capacité à fixer les populations paysannes (7) et
5
,dl)1"~ la mesure de la force de travail potentiellement disponible pour la cul
ture irrigtlée.
1.2. lli~THODOLOGIB.
Compte tenu ncs moyens limités mis ~ ma disposition, le champ
de l'enquête a du être restreint aux populations concernées par la cuvette de Da
. gana. Cette restriction spèt:bale affaibJ.i. t considérablement l'intérêt proprement
statistique ùe ce travail, mais demeure acceptable compte tenu de la problémati
que et des objectifs définis en rapport avec les aménagements.
(6) dont les résultats seront rapportés dans une publication commune sur le
Fleuve.
(7) S. M1IN cite en exemple les aménagements sur le Fleuve Sénégal pour leur ca
paci té à contenir l' émigrati0n rurale, cette assurance découle de son ar;taly·
se de cette dernière: les Qéplacements sont le résultat d'une allocation
spat~ale des facteurs, laquelle loin d'être II naturelle" résulte d'une straté
gie extravertie qui a négligé les zones rurales, aujourd'hui réléguées d~1s
la fOl'lction ·de·réserve de main-j'oeuvre. Il est toutefois contestable que
l'auteur utilise implicitement pour expliquer le mécanisme de: ce déplacement
~_.Q!.fJ'érence de la rémunération du travail agricole et industriel--
les hypothèses marginalistes (rémunération des facteurs à leur productivi té
marginale) qu'il récuse pertinemment autre part. Le retour des migrants n' est
pas systèmatiquement acquis, le succés (le Ronques en la matière tient vrai··
semblablement à la spontanéité d'une mobilisation qui a précéèé et appelé
les investissements, à l'organisation commun~utaire et l'i0entité d'~ge 0es
participants. Il n1cst pas certain que les grandes cuvettes y réussissent
pareillement. Evaluer le retour des migrants c~est se donner les moyens de
juger de llaptitude GU capital et surtout de l'Etat à modifier l'ancienne
articulation.
6
La carence des statistiques en matière ,'e mig~"'ation (8) motiva :c souci "~e ..'~ccn··
cer des types de déplacement fréquermnent; délaissés par défaut méthodologique
( migrations définitives ou matrimoniales) et justifie le caractère expérimental
de la méthode employée (9).
1.2.1. Le choix de l'unité primaire: le segment de lignage•
Recenser le migrant sur son lieu de départ présente cette diffi
culté:6viaen1:e" que l'individu est généralement absent. Il est donc indispensable"
que le lien entre l'informateur présent et le migrant soit suffisamment vivace et
précis pour éviter confusion et omissionJtout particulièrement en cas d'absence
prolongée. D~autre part nous !le disposions pour réaliser un tirage aléatoire re
présentatif que de la liste des carrés recensés à des fins fiscales. Dresser l'in
ventaire des unités de résidence eût exigé un travail prohibitif et ce d'autant que
l'exhaustivité du rele de l'impôt avait été considérablement améliorée pour 'les dis
tributions de vivres pendant la sécheresse (10). Mais le carré est aVarlt tout un
ensemble de personnes payant l'impôt sous la responsabilité d'un chef de carré
- borom keur - il peut inchu-e des parents éloignés, des enfants confiés, des
protégés voire même des ménages d'œ1ciens serviteurs et par conséquent des
individus dont l'adhésion au carré, si elle fut éphémère, sera vraisèmblable~
ment omise lors du recensement.
(8) Notawnent l'enquête migration de la M.I.S.O.E.S~ réalisée à partir de l'échan-
tillon de l'enqu~te agricole, ne recensa le passé migratoire que des seuls
hommes présents ( et parfois uniquement dêS chefs de ménage), d'où l'évaluation
terriblement biaisée de l'émigration définitive et féminine (MISOES 1962 p.
241 ).
(9) Une version allégée de cette enquête a été par la suite appliquée à quelques
villages des régions de Podor ct de Matam.
(10) La sous-évaluation des registres, comme nous avons pu le constater par la
suite, portait essentiellement sur les in~ividus Œ~ carré mais tous les
chefs de f~~ille étaient inscrits.
7
Plus grave, il est impossible de rechercher les migrants
au-delà de la date de formation du carré, or certains sont de consti tutiC'n ré-·
cente, d'autres ont disparu. Prenons par exemple le carré d'un borom keur dont
le père es t décédé ces dernières mmées. Si nous recensons les absents de son
carré ; les migrations de ses frères, soeurs et autres parents partis du v~v~t
de leur père seront omises. Ce sont alors les migrations défini tives ,matrimo·
niales,anciennes que l'on néglige plus particulièrement. DI ailleurs, le mauvais
recensement de la population des carrés - quand il existe - dissuade (Je préten···
dre retrouver, à partir d'une telle unité ne sondage, des migrations parfois
vrilles d'une génération. L1unité de résidence présente la même incertii:ude,
car outre la difficulté d'établir une base de sondage complète, il eut été il
lusoire de désirer recenser de manière exhaustive tous les résidents. de la
concession~ parfois passagers, depuis une période assez longue.
Seules les relations de parenté, continuellement réactuali-
skt..'!lJ· par les pratiques économiques et sociales, tissent des liens 9uffisarnent -)
solides entre les villageois, mais aussi entre ceux-ci et les migrants, pour
permettre le recensement de ces (lerniers. Elles servent, comme nous le verrons,
de support à la F~rennité ct la reproduction des flux migratoires et demeurent
donc,vivaces dans la mémoire des informateurs. Toutefois l'us~ge de l'unité
familiale de bé\Se - le ménage -.. comme uni té prim aire n'échappe pas aux criti··
ques précédentes, beaucoup sont de' formation récente. et tous lesinrlividus (lu
village (surgfl., orph(~lins, ·serviteurs . ••• ) n'ont pas un lien pill'ental étroit
avec un chef de fnmille. A l'opposé, l'établissement de généalogies étennues se
heurte à la faible mémorisation des relations de pa:renté lointaines. L'unité ,!. ",
choisie, appelée par commodité segment de lignage, èevait permettre, gr~ce à
sa.taille intermédiaire, le recens~~ent de migrations anciennes sans s'exposer
à des risques d'omission txoop grands.
Le segment de lignage, .dé.fini à partir des règles de patri-·
linéarité et de virilocalité de la sociétè wolof, inclu~ l'ensemble des frères
et soeurs de même père de l' aîné vivant, leurs épouses, enfants et petits en-'
fants. Les femmes divorcées ou veuves étaient réintégrées dans le segment de
lign.::tge de leur frère ou r1.e leur père, les enfants demeurant toutefois d'J.ns ce-
lui de leur père. Seuls les vivants étaient retenus, mais il était porté un
soin particulier à l'enregistrement d'enfants de frères cécédés. Etaient exclus
de l'échantillon 1) les membres du segment de lignage qui n'avaient pas rési
dé et n'étaient pas nés dans la zone de l'enquête, 2) les filles et soeurs
8
mariées ctans la même zone afin d1éliminer la sur-représentation des épouses
dans l'échantillon, celles --ci ayant été doublement enregis trées dans le seg
ment de lignage de leur m~ri et dans celui de leur frère ou père.
Ce choix permit de mettre en valeur l'importance, jusque
là négligée, des migrations c1éfinitives et matrimoninles.
1.:!.2.-- Le mode de tirage de l'échantillon.
Le tirage aléatoire des segments de lignage nécessite ct'en
avoir la liste exhaustive, l'impossibilité de l'établir dans la population mère
sans un travail démesuré introduisait un problème d'échantillonnage délicat.
L'usage de généalogi:!i pour la mesure des flux migratoires n'est pas nouveau,
mais la lourdeur de la méthode le réservait à des travaux monographiques.
Pour tourner cette difficulté, l'on procéda de la manière
suivante: il fut d'abord tiré du rôle administratif un échantillon de carrés
dont la population permettait le dépistage des segments de lignage à enquêter.
~es inùiviùus étaient regrou~s pur segments, lesquels étaient complétés, si né
cessaire, auprès du reste de la population. Général~aent, carré et segment de
lignage se confondaient mais la coïncidence n'était pas systématique, certains
carrés incluaient plusieurs segments et réciproquement. Ainsi quand un carré
regroupait ÙQ1X cousins, comprenait un ménage G'anciens serviteurs, une tante,
un protégé, soit des personnes n 1 appartenant pas au même segment de lignage,
leur segment propre était reconstitué ~n entier. De lnême, il arrivait que les
membres d'un unique segment se répartissent dans plusieurs carrés, cela impo·
sai t de compléter le segment dépisté auprès (le carrés qui n' étaient pas jus-·
que là inclus dans l'éch2ntillon. Cette procée:lurc entrainai t donc une mo(lifi·
cation du taux de sondage initial et conférait à certains segments de lignage
une probabilité de sortie plus grande, exactement proportionnelle au nombre de
carrés ou parties de ~arrés qu'ils contenaient. Ces segments dispersés étaient
donc sur--représentés dans l'échantillon final et afin de ren.resser ce dernier,
il f\tt procédé à leur élimination partielle. _
..
9
Cette solution évitait l'usage (~_e coefficients de pondération quie'l:lt alou.r.di-'con
sidérablement le dépouillement (11). Le calcul du taux ·je sondage défini tif:'
n'étai t réalisable que Il enquête de terrain terminée en rapportant le nombre de
chefs de currés interrogés (12) ou nombre de carrés total dans la population
mère. Ce taux est à l'évidence plus élevé que le taux initial, lequel était de
1/10ièmc en zone rurale (Bokhol et Gaé) et de 1/20 ième en zone semi-urbaine
(Dagana), ceci afin que les erreurs d'échantillonnage soient approximativement
semblables dans les deux strates ùestinées à être comparées. Partant du fait
que les migrants se recrutent dill~S la population active et afin de conserver
dans l'éch~ntillon initial la structure de la population mère, tous les carrés
ont été classés selon le nombre d'actifs. Puis un carré était tiré au hasard
dans chaque groupe de 10 ou 20, selon la zone.
1.2.3.- Les méthodes d'analyse.
Les migrations se prêtent à deux modes d'observation: ins
tantané et rétrospectiF, chacun possédant sa méthode et son utilité propre. L'on
peut d'abord, à un moment choisi,relever la localisation des personnes qui sont,
par exemple ,natives de la zone enquêtée. La situation de r~sidence est un état
durable - au contraire des ~vénements démographiques instantanés tels que la
naissù.nce, le décés, le mariage -- et doit donc être so.isie à un moment précis
par un0. enquête ponctuelle. Son observation débouche sur le calcul de proportions
qui rapportent les présents ct absents à la population de référence de l'ins
tant. A l'opposé l'événement départ ou arrivée, 0U fait de son -instantanéité,
doit être observé pend~t une période 0e temps plus ou moins longue et aboutit
au calcul de taux et quotients : les événements sont <:l.lors rapportés à la popu··
lation moyenne de la période ou à l'effectif d'un ~ge exact. Dans le premier
(11) - Les segments qui incluaient 2 , 3 ou 4 carrés ou parties ne carrés vo
yaient leur probabilité de sortie doubler, tripler ou quadrùpler et bénéfi
ciaient ainsi d'une sur-représentation proportionnelle. Il fut conservé un car
ré sur deux, trois, quatre selon les cas, ce qûi permettait de népouiller l'en
quête comme un recensement. L'emploi de coefficients de pondération était
d'autre part rendu délicat par l!usage de cIeux unités primSlires non équivalentes.
(12) - Ce décompte rlevait ~tre particulièrement attentif car certains chefs de
famille se déclaraient volontiers borom keur et llétaient réellement sans être
inscrits sur le rôle de 1 7 impôt comme chef de carré, le contrôle fut systémati-
que.
10
cas nous disposons d'un cliché de l'éparpillement de la population au moment de
l'enqu~te, dans le second d'une vision rétrospective de l'intensité et de l'évolu
tion des flux migratoires, aussi loin que remonte llobservation. Les deux appro
ches sont complémentaires, le première permet de dresser une typologie des dépla
cements, d'évaluer leur importance relativc t de caractériser les absents par rap
port aux présents, mais aussi de mesurer le déficit imposé par les migrations au
travail agricole. La seconde plus lourde et moins fiable fut dans notre enqu~te
appliquée aux seules migrations de travail. Elle procure des renseignements beau
coup plus riches sur l'évolution du phénomène migratoire et autorise une analyse
par génération et par rang. Mais dans ce cas l'incertitude attachée à l'information
. recueillie, la taille de l'échantillon viennent limiter la validité des résultats
qui doivent ~tre interprétés avec précaution. Toutefois l'analyse transversale qui
applique à une cohorte fictive les événeme:l.1.ts des douze derniers mois élude en
partie les réserves précédentes. La proximité et la dMrée de la période d'obser
vation permettent dans ce cas une plus grande exactitude, ainsi que la collecte
d'informations complémentaires tels que les envois monétaires, la localisation des
épouses du migrant •••
Notre enqu~te fut conduite selon ce schéma de m~me que le sera
la présentation des résultats. Une fiche collective recensait les individus du scg.'
ment~de lignage ainsi que leur ~ge, sexe et principales caractéristiques démogra
phiques. La diversification des situations de résidence ( aDsents, migrants définitifs
voyageurs ••• ) et des motifs retenus ( travail, p~che, accompagnement ••• ) devait
couvrir l'éventail des déplacem~~ts et mettre en valeur leur imbrication. Un ques
tionnaire individuel, établi, dans la mesure du possible auprés du migrant lui-m~e,
relevait le détail de son passé migratoire avec tous les renseignements s'y rappor
tant ( date, durée, destination, nature de' l'emploi ••• ).
Les limites de la méthode et de l'enqu~te.
Tout d'abord, la taille de l'échantillon, réduite par des contrain
tes matérielles, n'autorise qu'une précision limitée pour certains sous-ensembles
d'effectif réduit comme par exemple les groupes d'age quinquennaux. Toutefois l'im
précision totale d'une enquête est le résultat de deux types d'erreurs additives.
La première, l'erreUl' d'échantillonnage provient de ce que la population mère n'estpas
exhaustivemcttobservée; elle dépend de la taille de l'échantillon, de la disper-
sion de la variable étudiée, du mode de tirage ••• et peut être mesurée. La seconde,
l'erreur de- mesure tient à la qua- / •••
11
li té de 1; information "'lcucillic et peut, dans certaines sociétés sans écriture
et pour certaines variables, être terriblement importante, parfois prohibitive
(13). Elle ne saurait être réduite en améliorant le tirage ou la taille de l'é
chantillon ; l'expérience au contraire tend à prouver que les faibles effectifs
autorisent une observation plus précise des unités statistiques (14) et que la
recherche d'un gain sur l'erreur d'échantillonnage risque de s'obtenir au rté
triment de la finesse de la lnesure. Il est dans notre enquête apparu léraison
nable de consacrer de grands efforts à réduire l? erreur ,j' échêll'ltUl'~nn~ge alors
que certaines erreurs n'observation n'étaient ni négligeables, ni réductibles.
Certaines erreurs résultent de la méthode employée, d'autres sont
le fait des informateurs de qui l'on sollicite le souvenir d'évènement parfois
anciens. Tout d'abord, certains segments de lignage ont été soustraits à l'in
ves tigation à la suite du '~épart complet de tous ses membres qui sont pourtant
autant de migrants. C'est le cas notamment d'immigrants solitaires qui n;ont
séjourné qu'un temps dans la zone enquêtée ou de famille qui, en accompagnant
un migrant, n'a laissé aucun m~~bre sur la place. Il faut toutefois remarquer
que le choix d'une unité moins étendue que le segment de lignage tel"que le\
ménage ou à la limite l'individu eut considérablement augmenté le risque de
(13) -- "11 est assez fréqucrrunent possible d'admettre que l'erreur de mesure est
additive et indépendante ùe l:erreur à mesurer. Sous cette hypothèse, erreur
d'observation et d'échantillonnage sont orthogonales: si l'on porte sur le cô
té d'un angle'~roit les longueurs proportionnelles à l'erreur d'échill~tillon
nage et à 1; erreur dl obscrvatir.:l, "l'erreur tota1c,11 sera proportionnelle à la
longueur <le l' hypothénuse ('le ce trii:'~gle rectangle. Ce graphique mont:r:e clai- ,)
rement que les efforts doivent ê~re jU0icieusement réparti9 dans la lutte entre
ces deux types d.' erreur."DESABIB p 4.
(14) - 1'J(; sc:.r:"'.i t-'c..: que p2..~'C'-' qu' .::11è5 ~ut):d.sent l' emploi rle~ quelques el1qU~
t~urs c0mp~t~nt!3 ct c"nsciencieux ct un Elei11cur c'"lntr01e de l'information.
12
sous-évaluation des absents, et il est dVautre part peu vraisemblable qu'en
zone rurale toute une famille délaisse de la sorte des droits fonciers qui re
présentent une sécurité vitale en cas dvéchec de la migration àlors que la garde
en incombe normalement à l'aîné que l'âge re~d inapte au travail salarié. Il est
certain que le recensement des migrations passées verra son efficience décrottre
avec leur ancienneté parce que, d'une par~, nos informateurs qui sont les col
latéraux de certains migrants seront décédés (15) mais surtout parce que le
souvenir de ces évé:1~ents s'estompe avec le temps. Il faut donc compter avec
cette sous-évaluation difficile à estimer mais que l'on peut supposer croissan
te avec la durée de l'absence. Le dépouillement a mis en évi0ence dVautres er
reurs systfmatiques, que nous signalerons au fur et à mesure de l'exposé (16).
De l'expérimentation de la méthone, il ressort que le recours au
segment de lignage, pour être efficient, suppose que soient remplies quelques
conditions préalables et tout d'abord une faible dispersion des membres du li
gnage dans la zone enquêtée. Les distances à parcourir pour reconstituer un
segment, en milieu nomade Par exemple, deviennent très rapidement exorbitantes
et l'expédient ~ui consiste alors à le compléter auprès de l'un de ces membres
introduit un risque dl erreur par ol~ission important qui enlève tout intérêt à
la méthode. Il est d'autre part indispensable que les règles de filiation et de
localisation ~e soient pas entachées de trop d'exceptions. Dans la société peulh
la descendance d'une femme divorcée est fréquemment partagée entre le groupe
paternel et maternel la localisation est décidée bien souvent en fonction de
la richesse respective des conjoints et non à partir de normes strictes. Dans
de tels cas chaque carré tiré peut obliger 2U recensement d'un nombre ccnsidé
rable de segments se10n le schéma d'une réacti0n en chaîne. Pour la simplicité
(15) : A =e propos, il faut en effet remarquer que l'âge des doyens de lignage
impose une limite au recensement des migrations anciennes et 0éfinitives : sup
posons que l'informateur sait un jeune noyen de segment dont le père décédé a
vu plusieurs de ses frères et soeurs s'exiler à llextérieur du village. Ces
migrants ne seront pas repérés car les auteurs n\appartiennent pas au segment
de lignage ~e l'informateur mais l'eussent été du vivant de son père. Des mi
grations contemporaines, réalisées à partir de segments de lignage différents,
le seront. L'importance de l'omission croît avec l'ancienneté des départs.
(16) : Les erreurs sur l'âge, presque impossibles à redresser, dissua0ent
d'élargir lléchantillon à seule fin d'affiner les taux et qU0tients calculés
selnn les groupes d'âge.
13
et la fiabilité de l'enquête, il est en somme préférable que le cûl"l,6 C0!1'lc:i.'~e
au mieux avec l'unité familiale, ménage ou segment de lignage. Enfin cette ap
proche conçue pour un objet précis : évaluer au mieux les absents d'une popula
tion, IT~ffre aucun avantage particulier pour l'étude des déplacements intérieurs,
de l'immigration et des migrations nettes.
1.3.- Les villages de l'enqu~te.
Cette étude touche la population des villages concernés par la
culture irriguée dans la cuvette de Dagana, soit environ 17 400 personnes répar
ties dans les trois villages administratifs de BCnIOL, GAE, DAGANA (17). Eux-mê
mes incluent des villages satellites de moindre importance peuplés pour la plu
part d'anciens serviteurs soucieuY de leur in1épendance ou d'éleveurs astreints
à tenir leurs troupeaux à l'écnrt des cultures de décrue.
Les grands traits de l'activité économique de chacun de ces villa
ges portent l'empreinte plus ou moins tenace des activités marchandes du siècle
dernier.
1.3.1. BorHOL.
Selon la tradition orale, le village de BOKHOL, créé il y a sept
siècles sur les ruines d'un village sérère et peulh, doit sa localisation défi
nitive à la protection dispensée par les pouvoirs ésotériques d'un marabout:
Demba Marùm SALL.Cette p~cification ponctuelle, liée au mouvement maraboutique
et que l'on retrouve fréquemment au Cayor et au Djolof, n'est pas en réalité
antérieure au XVIIIe siècle et donc pas aussi ancienne que le prétendent les
(17) : Chiffre estimé Pnr llenquête au sond~ge des personnes présentes et absen
tes (à l'exclusion des migrants définitifs) domiciliées dans le village et qui
se répart~ entre DAGANA la 745 habitants, GAE 4 210, et BOrHOL 2 440 hts. Ces
chiffres diffèrent notablement de ~eux du rôle de li impôt reconnus sous-évalués
(sauf pour DAGANA qui a réalisé courant 73 un recensement administratif complet)
et de ceux d'un recensement préalable de la SA8D en vue de l'attribution des
cuvettes irriguées. Celui-ci excluait les ménages qui n;exerçaient pas d'activi
té agricole(nombreux à Dagana)et d'autre part ce recensement (DIALLO B. -73-)que les cultivateurs croyaient être une inscription, provoqua une surenchère
démographique de la part de certains chefs de famille à seule fin d'accumula
tion foncière.
14
informateurs. Si l'on comprend la légende de création rlu village comme un appa
reil idéologique qui précise les conditions et la chronologie d'arrivée des fa
milles et partant une certnine hiérarchie, cette confusion a pu être destinée
à consolider l'insertion du pouvoir maraboutique dans un village ancien et qui
s'est, par ailleurs, réservé une partië des meilleures terres (18). Parallèle
ment, il est certain que la pacification tira le village de son existence lar
vaire en attirant de:; .familles pour la plupart exclues du Djolof par les famines
et dépréciations guerrières, mais surtout en autorisant le développeme.nt de cul
tures jusque là rendues furtives par le climat dtinsécurité. Auparavant, le
village était partagé entre deux activités patronynliques principales : la pêche
(pour la famille SARR) et la chasse (famille DIAW) complétées par quelques cul
tures sous pluie. Plusieurs indices laissent supposer que le d'frichement ordon
né des forêts du wâalc date de la pacification maraboutique elle-m~me consëllidée
par la pénétraticm française (19).
L'activité agricole y est depuis longtemps dominante, la pêche,
rarement exercée, l'es t plutôt à des fins de subsistance et a subi un recul con
comittant de la raréfaction du poisson (20). La pacification militaire a rendu
sans objet le pouv~ir protecteur des marabouts et, si les doyens des trois fa
milles ont conservé la connaissance magique attachée à leurs activités respecti-
(18) : essentiellement un collé nommé Aldiana (le par~lis) gr~ce à sa position
favorable Par rapport à la crue et à la qualité des rendements.
(19) :C'était depuis la pénétration portuguaise la période faste des aristocra
ties guerrières qui, par les armes, capturaient la main~J'oeuvre dèstinée aux
plantations des colonies occidentales et razziaient céréalcs et troupeaux aussi
tôt ven0US aux négriers. De sorte qu'à la veille dc la pacification, les forces
productives étaient largement détruites; elles se reconstitueront sur la base
de l~esclavage domestique.
(20) : Les cultivateurs accusent les pêcheurs professionnels de GA~ d'être res
ponsables de la raréf~cti1>i1· :lu poisson; en fait les faibles crues des années
de sécheresse nt ont pas apporté à 11 eau de .fleuve les éléments minéraux inf1 is
pensables à la croissance ~es poissons, d'où le déficit constaté. (REISER)
15
ves, son exercice a été peu à peu 0étourné vers le tr~vail salarié : confectinn
de x~tim pour trouver un emploi, pour soustr~ire celui d1un concurrent, pour
assurer la réussite d1un commerce ••• De l'artisanat tra0iti0nnel il ne subsis-
1. te qu'une forge destinée à la réparation ries instruments nratoires et le passa-. ~. ,
ge épisoctique de quelques laobé spécialisés 0ans la confection des pilons et
mortiers. La circulation marchànoe (troc ou échange monétaire) je ces biens a
presque totalement remplacé les anciennes relations ,Je clientèle entre les nobles
et artisans castés. Les migrations et la circulation monétaire afférente provo
quent llémergence d'un artisanat moderne (boulangerie, maçonnerie, menuiserie,
bonnetterie ••• ) exercé par ct1anciens migrants comme activité secondaire après
la culture.
Malgrè un ~ple aléa climatique qui bouleverse constamment un
équilibre démo-économique dès lors précaire, nous n1avons pu déceler 11indice
d'une pression démographique qui justifierait llabsence massive des pays?ns.
Au contraire, le manque de bras plutôt que la rareté de la terre est invoqué
par le paysan qui a acquis auprès de la coopérative, ou loué, les instruments
destinés à pallier le tlêficit de main-1'oeuvrc. Les terres fe diéri (culture'
sous pluie), bien qu'abondamment disponibles, sont peu cultivées. Les attribu
taires marginaux tels les Peulh, les Maures affranchis haratine et dans une
moindre mesure les anciens serviteurs, m~lgrè la fr~gilité d'un droit d'usage
qui leur est retiré à la première rareté, trouvent à cultiver des terres ne waa~
le généralement situées à l'extrémité du terroir - les mieux nantis s'octro
yant celles localisées à proximité du village-.
1.3.2. GAE.
GAE est de m~me un village rural. Sa création est le résultat
d'une trahison guerrière des habitants du village de Kadiane en faveur d;Abbel
Kader, premier Almamy du Fouta, celui-ci leur attribua l'actuel terroir au dé
triment de BOKHOL et DAGANA après leur expulsion (lu lac de RKIZ par une coa
li~ion des wŒQ1-ww~loet des Trarza. Cette situation marginale (selon Moctar
HBO:l, GAE ou Gaya dit sur un certain ton est llattribut péjoratif des "gens",
des étrangers).a cert~inement contribué à maintenir la hiérarchie politique du
16
village qui aujourd'hui conserve maints vestiges des rapports sociaux anté
rieurs (21).
Avant leur migration les Gaé-Gaé pratiquaient sur les rives du
lac RKIZ, outre l'agricul~ure, la pêche (les LAGDE) et l'élevage (les BDKHEUL).
Mais le cheptel a presque totalement disparu avec le développement de llagri
cul turc, (voir 2.1) et les épidémies. La traite fluviale du siècle dernier of
frit une opportunité nouvelle au placement des réserves et des vill~geois ·inves
tirent dans les pinasses de transport (MB<l1 A.U.). Cette activité a elh:-
même totalement périclité avec le déplacement de la traite vers le Bassin ara
chidier.
Par contre les pêcheurs de Gaé se sont peu à peu imposés dans
la pêche fluviale et leurs campements de p~che s'étalent désormais entre Ross
BéthL'; et Podor ainsi que sur le lac de GUIER •. Cc dynamisme particulier est le
produi t d'une compétence déjà ancienne mais peut-ùtre aussi de leur insertion.
précaire au Sénégal, le fleuve offrant une alternative privilégiée à la dété
riorat~on de leurs droits fonciers en Mauritanie (cf infra). Mais technique
ment, c'est pour beaucoup l'introduction du goubel;grand filet productif em
prunté aux pêchEurs côtiers, qui permit une extension rapide de la pêche
marchande, laquelle est aujourd'hui freinée par"la rareté du poisson. Les reve
nus monétaires qui résultent de cette activité échappent partiellement à la
circulation marchande du village à cause de l'éloignement des pêcheurs. De
sort0 que ces pêches, souvent saisonnières, se présentent plutôt, dans leur
fonctionnement et leurs conséquences, comme un type particulier de migration
de travail.
L'insertion précaire du village dans l'économie sénégalaise tient
pour beaucoup à la particularité ct 'un terroir si tué presque sntièrement sur la
rive droite, en territoire mauritanien (22). Ces terres de'{(ln~o, bien qu'abon
dantes, y voient leur usage menacé par les revendications de la tribu Se1doufa
(21) : La même famille FALL assure la chefferie du village depuis sa création
et a depuis cette époque conservé ses alliances avec la m~me famille marabou
tique ou guerrière. Jusqu'à présent le village garde des traces vivaces de la
répartition des castes et des activités selon les quartiers. Certains grands
carrés avaient retenu, jusqu'à ces derniers temps, des ménages de serviteurs
en leur sein.
(22) : Jusqu'en 1932, la limite entre les deux terri toires (Sénégal et Maurita
nie) se situait à 17 kms au nord du fleuve. Sur la rive gauche le village cul
tivait collectivement le riz sur deux collés étroits, à la suite d1une initia
tive de la S.A.E.D.
17
et les pressions de l' Adminis trution mauri tanienn~;. JJC1S Q",é:-Gn6 s ~....(.mt: ct'l~'~' il'.
maintenance de ces droits fonciers, jusque là soutenue par l'Administration séné
galaise, es t menac~e par le c1~veloppement de la culture irriguée sur le fleuve.
La suppression de ces droits pourrait être envisagée afin de contraindre les pay
sans à la culture commerciale sur la cuvette. A plus long terme, d'identiques amé
nagements en t-1auri tanie impliquer<::.ient l' excll.'tsioll des uS-:l.gers uctuels.
Le village, sans avoir formé une escale de l'importance de Dagana,
participa grandement à la traite fluviale et à l'économie marchande. Pour suggé
rer un ordre de grandeur, la part de la gomme commercialisée à Gaé représentait
pendant la campagne 1911-1912, un tiers de celle traitée à Dagana (23). Les grandes
maisons ;1e Commerce y étaient rerJJ.'ésentées. Hais l'absence de services administra
tifs, la concurrence de Dagana ~~p~chèrent l'activité commerciale de survivre à
la chute des cours de la gomme. Aujourd'hui seules subsistent les traces ténues
des rapports sociaux de production développés par la culture marcha~de essentiel
lement la servitude domestique.
1.3.3. DAGANû.
L'essor passé de DAGllNA est lié à la pénétration marchande et colo
niale. La construction du fort en 1819 avive le commerce de la gomme, des cuirs,
du mil et des esclaves. Pur la suite, la tentative de colonisation agricole qui
doit, dans l'esprit du Baron ROGER, contribuer à faire de D~GANA la future capi
tale du Sénégal, active la circulation marchande. Pinulement, la conquête colo
niale qui impose les maisons bordelaises et l'administration directe, va asseoir
la domination du capital cOJlunercial. Le développement de DAGANA est alors assuré
par la participation paysanne à la production des vivres destinés à Së:int~tôuis
aux captifs maures chargés de la cueillette de la gomme. L'impôt, l'endettement,
la captivité domestique seront les catalyseurs de cette participation. Rapidement
l'escale devient un lieu d'échanges entre le Fouta Toro, ~e Djolof, le pays Trar
za et le Kayor et l'importance du commerce y dépasse largement les possibilités
agricoles ne la région. En 1859, le chiffre d'affaire de DAGANA vaut la moitié
de celui dE: Saint-Louis ,', soi t quat·re,mi1lions cle fi~ancs'. (24). Le conunercc et la cir
culation monétaire conséquente provoquent Ir appari tion de nombreux emplois sa1a-
(23) : firchivcs du Sénégal. DakéU~ Rapport périodique 1912 Décembre. 2 G. 12
45 (1).
(24) " lionog:.~aphie cle la ville cle Dagana".
18
riés (dans la navigation, les maisons de commerce. l'Administration, l'armée •• )
e~ d'activités artisanales (poteries, teinture, tissage••• ) qui~ avec les ser
vices arlministratifs, confèrent à DAGANA son caractère urbain. L'effondrement
des cours de la gomme au début du siècle, le (léplacement progressif de la traite
vers le bassin arachidier, la construction du Thies--Kayes en 1923 pr~cipitèrent
le ~éclin du trafic fluvial et celui de l'escale.
Il faut attenùre l'implantation récente Je la Compagnie Sucrière
du Sénégal à Richard-Toll, les travaux d'aménagement des terres de W?~lo pour
que ce gros bourg essentiellement rural voie ses activités urbaines reprenrtre
da 11 ampleur.
TAB. 1. REP<\RTITION DES ACTIVITES A D~GANA.
(source : Monographie de la ville de DAG<\NA • 1974)
: Cultivateurs: <\rtisans : Fonctionnaires : Commerçants: Pêcheurs: Divers:
: ------------:--------:-----------:----------:----_.._-:------:61,5 % 12,3 % 10 % 6 % 2,8 % 7,4%
Ce tableau illustre la part relative de ces activités non-agrico
les. Cette répartition co~ncide avec une circulation monétaire avivée par les
salaires, les traitements et qui est par conséquent beaucoup plus intense qu'à
GAP. et BOKHOL lesquels ne comptent que sur la p~che, les migrations et dans une
faible mesure les revenus agricoles. L'importance démographique de l'ancienne
escale. la dimension monétaire de son économie ont fait 1e son marché un débou
ché privilégié p0ur les produits agricoles locaux: céréales, cultures maraîch~
res obtenues sur les berges du fleuve, laitages. Par ce marché, la vente jes cé
réales peut en partie échapper à la réglementation a(~inistrative sur les prix
et les transactions.
D~GANA est la seule des anciennes escales ~u fleuve à connaître
une expansion rapine par immigration. Cette dernière. déjà ancienne, ne semble
pas avoir exarcerbé - au 1ire Ges paysans - les tensions foncières que la crois
sance démographique aurait pu à elle seule laisser craindre. La remarquable
extension ~es cultures sous pluie n'est que le résultat récent de la stérili
sation des terres 0U ,~~lopour les travaux d"aménagement. Il n'en reste pas moins
qUE la posi tion marginale "es immigrants maures, la généralisation des rapp0rts
marchands y ont développé plus qu'ailleurs des rapports r1e production inhabi
tuels : salariat agricole ( à la journée), location des instruments aratoires,
19
contrats léonins de location (25).
2. REk\TIONS DEMo-ECONOMIQUES ET STfu\TEGIES MIGRATOIRBS
2.1. Une production agricole aléatoire:
La zone enqu~tée se situe à l'extrême aval de la moyenne vallée
du Sénégal, qui se caractérise par la possibilité d'une (~ouble récolte annuelle
l' 1.'.l1C nn S élis:)l1 S~C~L~ SUT' les terres de waalo innondées -p ù.r la crue' du. fleuve et
l \ autre, pr"dui t t'les cultures S:)US pluie, sur les terres sabl.~nneuses du diéri.
Bn réalité, dans cette région de D~gana, la faible pluvi0métrie, le
calen':1rier aléatoire des précipitations, les prér1.ateurs ne laissent qu'une espé
rance médiocre :e récolte sur les terres de diéri. Ce sont les cultures sur les
terres de W~0 qui mobilisent le principal 0es forces de travail paysannes. Cet
te récolte, moins incertaine que celle d'hivernage, dépend enC0re largement de
l'intensité et du calen(lrier des crues, de la précocité :les vents d'est, :.les
prédateurs (oiseaux, singes, phacochères, bovins ••• ) autant d'éléments que le
paysan ne peut que très partiellement c0ntrôler.
Le hasard nétermine donc largement le niveau des ressources. Il
peut selon les cas, provoquer des raretés de terre ou de travail. Ainsi dans le
~9,la crue trace chaque année la limite des terres cultivables de sorte qu'
elles peuvent être insuffisantes ou tr0p étendues pour les forces de travail
disponibles. Un déficit vivrier peut parfaitement apparaître alors que le ter
roir réserve de nombreuses terres en friche. Le cultivateur ne peut en effet,
ajuster son eff0rt à la situati~n climatique alors que les têrr~s 10ivent être
défrichées avant la crue, SQi t avant ,~c sav0ir si l: inn~")ndati0n sera défici taire
ou. cxcC:dent.:tir~.
La diversification des culturcs répcn,j avant toute crmsirlération
alimentaire nu marchande à la nécessité de compenser l'aléa climatique ou de
prévenir les ravages animaux. On associe des espèces nu des variét~ pour leur
cycle végétatif .:tifférent, leur résistance particulière à la sécheresse, aux
prédateurs. Il existe (~es variétés ('e sorgh0 (sambasouki) mal appréciées des
(25) : assez rares au demeurant, n0US avons rencontré quelques cas de bèye
scddo où le cultivateur remettait la m()i tié le la récolte au propriétaire de
la terre qui avait fourni les semGnces.
20
oiseaux (et (~CS h0mmes) qui s"'mt semées dans les parcelles él':dgnées, mal ou non
gar0ées. Le rendem~nt peut êtr~ sacrifié à la sécurité, les espèces sélecti0n.
nées écartées au bénéfice d~ plantes plus rustiques, plus résistantes. Cette
pré:)ccupatinn est plus particulièrement présente dans le chnix des culturcs sous
pluie car les conditi~ns éc:üogiques défav0rablcs obligent le paysan à ne les
considérer qUé comme le c·')mp lémc:nt·' cs réc01tes de vaalo.D' une année sur l' autre:... ",.
l' éventail "'~es plantes cultivées sur le diéri peut être 1iFFérent. Le ch',ix s' ef-
Fectue au regarri 1e la récolte de sais'"'n sèche et·'cs prérlateurs prévisibles. Si
le w~o a pr~duit les céréales nécessaires, le diéri sera semé exclusivement dé
béréF, arachirle ••• sinon de mil ass0cié au béréf. Les cultures ,'e berge (bakh)
fournissent un c0 mplémcnt important ùe l'alimentation paysanne: niébé, ma!s et
surtout patate. Leur réc~lte est mieux assurée, car leur situati0n les expose
mnins aux variatinns ,le la crue, leur faible étendue permet de les cnc10re effi
cacement dl épineux. T::mtef,)is la dévastation par les rats, quc:md elle se pro-luit
est souvent cnmplète.
Cette servitude au milieu naturel rend le terroir particulièrement
rebelle aux tentatives d'amélioration des rendements (sélecti0n des espèces, en
grais ••• ) même à celles qui se réfèrent aux techn0logies traditionnelles d'in
tensiFication ~es cultures. Car une imputation plus élevée ~u travail, des asso~
ciati:1ns agro-Pastorales, v0ire 'les innovations agronomiques se heurtent toujours
aux m~mes facteurs limitants : l'eau et les prédateurs 10nt la ma1trise est un
préalable nécessaire à rtes gains ~e productivité. Les houes, semoirs et autres
instruments aratoires intra luits pe.r l'Etat srmt acquis par les paysans princi
palement p()ur compenser le (~éficit de la fl)rce rie travail retenue par les migra
ti':)ns. Ecan0misant le travail, l~usage d~ ces outils val0risc la pro·~uction agri
cole si la 'main (l'oeuvre ;l.isprmible se révèle insuffisante (en cas-le forte crue
par exemple) 0U quand une extensi0n"es surFaces cultivées est possible ((liéri).
Ces instruments sont parfois dfsirés simplement parce quI ils prés~ntent le seul
accés possible au créJit de l'Etat, tout en cffrant une valeur locative. Acquis
à tempéramment, .le matériel peut devenir une S0urce de gains memétaires non né
gligeable pour son propriétaire.
Quant à l'élevage deux causes principales concourent à leiissocier
de l t agriculture. L'une est hist')rique : les troupeaux des sér'entaires étaient
razziés par les nomades peulk ou maures jusqu'au début du siècle et seule l'es
cale de DAGANA disposa ,~'un troupeau important protégé par le fort. Mais sur
tout, la fumure àes terres est inconcevable sur les sols de wna16 ibnondés,
lavés par la crue et ensemencés· quelques jours apr?s le retrait ~es eaux. En~
fin les cultures arrivent à lnaturité à une sais0n où l'alimentation fourragère
du bétail est déficiente d~ sorte que les rapp~rts entre les cultivateurs et les
éleveurs sont fréquemment conflictuels. La garde ncmchalantc.: des troupeaux ni c.:m
pêche pas la détérioration des plantes en saison sèche ; les bergers accusent
les cultivateurs ~~exp10iter les parcours réservés au bétail. De sorte que le
paysan qui possède quelques animaux en confie la garde à un éleveur peul, le
quel les associe à sem troupeau en échange du lait et rè!e quelques caœaux.
Traèitionncllement la constitution èc réserves (26),permettait
d'amnrtir dans une certaine mesure ces accidents âe la pro(~uction. Mais depuis
le début de la traite esclavagiste, les turbulences guerrières, les rezzou bri
sèrent ce mécanisme régulateur. Les villages étaient épisodiquement pillés, la
mil et les troupeaux prélevés pour le seul béuéfice (lu commerce saint-louisien
et de ses alliés: les aristocraties guerrières. Après la conquête et la paci-,
fication, le capital commercial va contraindre le paysan à vendre sa production
vivrière et son cheptel au-dolà des surplus disponibles à un point tel que
l' Adminis tration se verra obligée Ile prescrire la recons ti tuti'm des greniers.
Ce dessaisissement régulier des bonnes récoltes oblige le paysan à slendetter
auprès des maisons de commerce qui lui fournissent les vivres ''!e souiure, à ~les
taux évidemment usuraires.
Outre le gain financier de l'opération, le commerce obtenait, Par
l'endettement du paysan, les céréales destinées aux saint-louisiens et aux ser
viteurs maures qui cueillaient la gomme. Les déficits vivriers étaient compen
sés à l'aide de céréalesimportéestel que le riz ou par 1es surplus régionaux.
C'était le paysan et non le producteur de gomme qui supportait le prix de la
substitution. A l~ chute des cours de la gomme, la migration sera préférée à
l'endettement pour l'obtention ~es vivres complémentaires. Il ne faut pas v0ir
dans cette quête àlimentaire le seul mobile aux~éplacements vers le b~sin 3ra
chîd.ier, toutefois, des (:éparts collectifs particulièrement nombreux ont été
observés par l'Administration coloniale lors des faminss.
(26) : En céréales ians le gr~lier, mais cette prés~rvation est coûteuse les
rongeurs et les champignons détériorent l~s grains rapi'.ement et elle v,:;ut que
peni'.ant ('es pério'-les assez c0urtes. Par contre, le troupeau procurai t (~es ré
serves plus consit'érables, croissantes et aisément échangeables contre (les
céréales.
On peut penser que les migrations vers les centres urbnibs furent un
}. temps peu susceptibles" cIe remplir cc rOlc conlpensCltcur. car". 1 ~ obte11tiOl'1 ~"~pi4~
d'un emploi salarié supposait bien souvent c.1es soli'ari tés efficaces : (compagnons
d'~ge ou parents cita,Uns) qui ne s'improvisaient pas. Le navétane au contrôl-ire
n'avait, même seul, aucune ~ifficulté à s'insérer dans une unité ôe production
là où les terres étaient abon~antes et voyai t son entretien pris en chë:lI'ge pen
dant le temps de son travail.
Cette ample variation aléatoire de la pro':uction agricole rend
les équilibres démo-économiques précaires et leur analyse :élicate car elle sup
poserait une observation longue et précise.
Il faut, en tous les cas, se gar·.~er a'interpréter les ?isettes et
famines comme la conséquence d;unc tension foncière. Elles existaient alors que
toutes les terres du,. ·aalo n'étaient pas cultivées. Aujour'~l'hui rien ne permet ~je
conclure à une pénurie réelle, produit ·ae la pression ~émographique. Les éleveurs
peuhl '.1u Bas-Diéri et les immigrants maures peuvent àisposer 'd'un reliquat rle
terres délaissé par les agriculteurs, bien ~'~scz instable et souvent éloigné
rlu village. Même à Dagana où l'immigration gonflait la '~eman;'e de terres, les
agriculteurs interrogés n'ont jamais reconnu une quelconque rareté (27). Toutefois
même si quelques travaux agricoles sont parfois négligés par manque de main-~"oeu
vre, toutes les terres dewaab ?ituées au Sénégal sont mises en culture. De sorte
que, sans llémigration la pression foncière serait considérable. On peut conce-
v~i~ que la croissance.dêm~g~~phiquesc soit h2lITt~e à l'impossIble ·intensification
des cultures et à lQ n~uv~ise productivité des tc~~es de diéri ct que les migrati0ns
c~j.'ltin1.1el1t d'épongcr'l'excédent démogr'"'.phiq~(; pour pC::i.~m,::ttr~ une ntilis:\tion opti
mnl~ des'tcrres. Mi.is·cettc hypothèse n0us para!t erronée.
2.2.2. Pro:~uction vivrière et migration la ~tratégie paysanne.
V inexactitu'le ",e l 'hypothèse tient à ce que les migrations ont
précé~é la pleine utilisation ,'cs terres et l' intro·luction ',~u matériel aratoire.
Elles p:i.'ennent naissance au ~but :1u sièd:le, à une époque OÙ la population pay
sanne est (eux ou trois fois moins importante. Pen!ant tout ce temps une exten
sion ,'cs terres cul tivées était possible car, très récemment encore, l'aménage-
(27) : Le commencement rIes travaux d'~énagement des collé d~ le:: \'laal') ne per
mettait pas ·J.e procé 'er à l' analyse ·:~'un parcellaire foncier pour Dagana.
23
ment des collé a con"'.ui t quelques paysans au ç1éfrïchement rle terres de w~a10 mar
ginales si tuées en Hauritanie et à une extension d,es! cultu);'EJ(l S,""Ul pJ.1.\iô.l. !4~11-'i
disettes et les famines ne sauraient ~tre imputables à une population excessi
ve, il serait totalement inexact de réduire les accidents climatiques ou les
conséquences des rapports marchan·~'s aux manifestations d1une éventuelle rareté
foncière.
Pour comprendre les activit~s productives de l'agriculteur et
les rapports sociaux qu'elles déterminent, il est i~ispensable d'analyser la
'pro-luction vivrière d'ans ses rapports avec la migration. On consi;'ère généra
lement que le retrait des maisons ~e commerce, qui obligeaient à une commercia
lisation partielle des produits agricoles, est à l'origine ·cu repli paysan vers
l'auto-subsistance. Ce repli, toutefois n'a jamais pu être confirmé ou infirmé
par les chiffres car l'on méconnait totalement l'importance ae la commerciali
sation passée et présente. Une estimation correcte ~e la part vendue nécessi
terait une observation laborieuse portant sur plusieurs cycles agricoles car
cette commercialisation, souvent quotidienne, varie conformément aux amples
modifications aléatoires de la production (28)
(28) : Il est possible ,1e préciser les modalités de la commercialisation du
mil sans être en mesure d'en estimer l'importance globale ou respective
- les ventes directes à la coopérative, au prix imposé par IIE
tat, sont généralement motivées par le remboursement dtune dette envers la
coopérativ~ ou le paiement de llimpôt. Cette dernière justification, souvent
invoquée par les informateurs, est intriguante car la part des dépenses fis
cales est, dans l'ensemble des revenus monétaires, relativement réduite. Peut
être que le caractère familial de l'impôt exige qu(il soit payé à l:aide du
produit dtun travail collectif et non sur les revenus propres du chef de carré.
Itentiquement, l (usage de céréales dans le paiement des de~tes contactées pour
l'acquisition du matériel agricole fait participer les cadets (u ménage à l'a
chat de biens possédés par le chef de famille. D'autre part, la coopérative
avance assez souvent du mil à ses membres qu'ils remboursent en nature.
- les trois ou cinq sindal de sorgho (soit environ un petit
.quintal de graines non battues) que les épouses ."volent" à leur mari après la
récolte sont généralement destinés à l'achat diustensiles de cuisine ou pro
CtU"cnt quelques revenus personnels pour l'ac:qufsiti.,:,n de parfums, de
tissus, Je xatim pour les enfants •• , ils sont:~.onc normalement commerciali
sés.
~ il est admis que les soeurs et parfois les nièces 1u chef
d'exploitation participent spontanément à l'une ou à l'autre des opérations
24
La commercialisation ~es biens agricoles est effective mais mér.iati
sée par les migrations: la production vivrière entretient et rcprcdu1t un~
force i'e travail qui est vendue sur un marché, elle participe ainsi à la circu-·
lation marchande capitaliste. Dans cette association migration-agriculture '~e
subsistance, le vivrier ni est apparemment pas :'étourné de sa .:estination tradi
tionnelle : l'auto-eonsommation.
Pour saisir, dans ce cadre, le but des stratégies rniJratoires, il con
vient paradoxalement de ne pas s'arrêter au seul 1éplacement mais d.e considérer·
avec attention les raisons avancées à la non-migration. Cette préoc"upation s'im
posait après avoir remarqué que plusieurs paysans, qui disposent d'un accés immé
diat au travail salarié urbain, choisissaient de rester près de leurs ch~ps.
Généralement la non-migration résulte de charges familiales qu'il incombe tôt ou
tard au paysan d'assumer dans le cùdre domestique parce qu'il ne peut espérer
un salaire sufEisant à la sustentation marchan~e 'e sa famille en zone urbaine,
ou bien dl opportuni tés locales ;'le revenus qui peuvent être associées à la cul
ture vivrière.
suite (28) : agricoles pour reven;~iquer une part variable mais généralement fai
ble de la production qu'elles destinent à leurs besoins personnels.
- certaines charges d'exploitation sont réglées en nature, le trans
port des récoltes procure au propriétaire de la charette le Qixième des quanti
tés transportées. Ces é!.~pCl1SCS ne s ~:nt ~vidcmmentpns gC:nér"-les, l~s ins trumcnts
étant pr~tés entre parents, mais constituent ,les surplus importants qui sont en
partie consommés par le cheval, en partie venfus. De même l'assaka (1/10 ième de
la récolte) est versée en nature aux responsables familiaux ou à défaut aux pau
vres, mais n'est que très partiellement commercialisée, pas plus ~u moins que le
reste de la production. Il échoit à quelques responsables fonciers des quanti tés
non négligeables que ceux-ci doivent partiellement redistribuer en faveur ~e
leurs soeurs, des pauvres.
- les ventes les plus considérables de mil se réalisent par un troc
quotü'.ien chez le boutiquier contre des pro'lui ts alimentaires importés, au cours
imposé par l'Administration. Ces ventes prennent un caractère particulièrement
impératif quand il s'agit ~e satisfaire à certaines ~épenses sociales: thé et
sucre, par exemple, pour recevoir des parents et amis.
25
L'émigration paysanne évite au capital ·i1 assumer les cot\ts de la re
pro~uction ~émographique de la force de travail qui sont alors supportés par la
communauté domestique (MEILLASSOUX 75.). Ces économies sont prélevées selon 1es
modalités d::'verses : - l'entretien é.u migrant est à la "charge" de l'employeur ',..pendant sa seule période d'activité; en ch8mage~ trop jeune ou trop ~gé, il as-
sure l~i-même ou à l'aide de sa famille rurale la production vivrière nécessaire'
à sa sustentation.
- les bas salaires offerts ne sont acceptables que par des célibatai
res ou des hommes mariés qui ont laissé leurs femmes et enfants à la'charge Gela
communauté domestique.
- des parents citadins du migrant supportent son hébergement et sa
nourriture pendant le temps de son apprentissage, de la recherche d'un emploi, ou
si le salaire ne couvre pas le minimum vital.
Mais les villes ne sont pas exclusivement peuplées de migrants, il se
présente sur le marché du travail une vieille souche citadine de travailleurs dont
les salaires doivent couvrir l'ensemble des charges d'entretien et 7e reproductio~
de leur force de travail. Il existe donc une sphère Ge ces emplois protégés par
la législation et l'inspection du travail à laquelle des cita~ins ~'origine ont
un accés privilégié par leur meilleure formation scolaire, leurs réseaux ~e rela
tions. La Mauri tanie par exemple, oÙ sc c'!.irige une proportion croissante Je nos
migrants, opère cette ségrégation sur le critère de la nationalité. Les ressortis
sants mauritaniens bénéficient d'emplois réservés, aux salaires réglementés, 1e
n:anière à satisfaire aux consommations urbaines et <tüï c"l:fin"'''Ït les inù:::.:> ,",' '"
des c9uditions salariales médiocres (29). Nous verrons, d:autre part, qu'une im- .
portante !migration matrimoniale des femmes (le l'échantillon tend à réduire la p~t
relative ùe la repr0~uction démographique réalisée dans le cadre de la communauté;
'domestique. Ces femmes mariées presque toujours à ùes citar.ins voient leurs charg~s
familiales évaluées au prix' 'umarché urbain. En fait, pour un villageois, l'ins
tallation;~:un ménage à la ville vient consacrer une migt'ation réussie, l'obten
tion d'un emploi stable et d'un salaire en mesure de couvrir l'entretien ct la
repro'_~uction marchande de sa .force '20 travail. La Mauritanie, qui exclut 'le tels
salaires les étrangers sans qualification professionnelle entrave ill''lirectement
l'immigration matrimoniale originaire 1e la région de Dagana. Il peut l'ailleurs,
dans le cas général, sembler paradoxal que l'Etat veuille contenir un exode rural
qui procure au capital une main~'oeuvre bon marché. Il s' agi t surtout, flans leur
(29) Les étrangers, .fréquemment employés "ans l'illégalité subissent, outre les
escroqueries des employeurs, les lois brutales d'un marché du travail non régle-
menté.
intérêt, de contenir une immigration féminine qui vient gonfler 1::\ '::rC';.!j;l:~·.1;-:;')
démographique des villes et par conséqUént peser sur le coût de la main-d?oeuvre
urbaine.
Dans une formation économique issue de la confrontation du mode de
production capitaliste et domestique, l'avantage monétaire'qu'ùn migrant retirera
d'un emploi ne peut s'évaluer uniquement à partir du salaire reçu, mais dépend
également des rapports qu'il conserve avec l'éconolnie rurale. Schématiquement
plusieurs cas sont observés :
a) Le cas le plus fréquent semble être - si l'on s'en tient aux décla
rations des intéressés - celui où le salaire, inférieur au minimum vital, oblige
le migrant à vivre dans des conditions terriblement précaires ou bien à dépendre
d'un parent citadin pour son hébergement et sa nourriture. Si un migrant sur qua
tre déclare travailler gratuitement, crest parce que son hôte, par les liens qui
l'unissent à la famille d'origine et qui sont réactualisés tous les ans lors nu
Gamou (3.5.), supplée à l'économie domestique sur les lieux mêmes du travail. La
famille villageoise épargne pendant ce temps l'entretien alimentaire du migrant
et l'apprenti (comme le sont Ceux sur trois des migrants sans ialaire) acquiert
!es compétences nécessaires à une insertion ultérieurement mieux rémunérée dans
le système capitaliste, voire même dans l'économie villageoise (voir infra). A
ti tre indicatif, si nous fixons arbitrairement à 15 000 francs le seuil 'Ju salaire
minimum, il ressort que 62 % des migrants ne peuv(;nt poU'mir indépendamment à
leur entretien (30).
b) Quan'a. le migrant peut obtenir un salaire suffisant à la sustentation
et la reproduction marchande de sa force de travail et qu'il assure l'une ou les
deux 1ans le cadre domestique, tout se passe comme si UlîC p~rTIic dcs:bicn~ viVl~iers
Epl~odt1its et cc'nst::'lmm6s p;z 1:'. f'ünillç )lu tr:w·:"'.ilL::'1.11' lui éti;licn"i: p«yés àu prix .. ·
ou TiL~:<.~ch6 lequel est fort différent de celui imposé par l'A-~ministration. Il
y a en pratique autant de cas particuliers que de salaires et de situations in
dividuelles. Mais schématiquement et du point de vue paysan, toutes sommes d'ar
gent épargnées sur les "1épenses vitales de la migrati':Jn viennent rémunérer les
biens vivriers investis par la cellule domestique 'ans la production ou l'entre
tien :~es travailleurs. ":1,.. la date de l'enquête, 67 % des migrants n'avaient
envoyé aucune somme d'argent à leur famille depuis un an, 10 %plus de 50 000 Frs,
(30) cette donnée est tout à fait appr~ximative, elle est basée sur les déclara
tions d'une partie seulement des migrants, elle n'intègre pas les pério'es d'inac
tivité, la prise en charge partielle de la nourriture de l'apprenti par le patron,
la volonté de cacher à la famille les gains obtenus •••
Të\blro:é:\U <? ..
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~O.f
Rien 3 16 1 4 24
Moins de2 COQ frs
! 2
2 000 -1; 5 000 2 1 1 i 1 15
5 000 - 2 1 910 000
1 2 1 1 11
10 000 - 2 2 4 1 1 2 1-215 000 _.- -
15 000 -25 000 1 2 5 4 1 2 15
;
25 000 et9 9 Z3
plus5
TOTAL 9 9 21 28 17 5 6 5 100
Revenus 6600 25 000 21 700 15 500 400 10 200 12 000 1 500 7400Moyens
28
soi t globalement 9 000 francs environ par an et par migrant.
Les dépenses monétaires d'entretien sont considérablement ré
duites et ne viennent donc pas grever le salaire lorsque le migrant potentiel
peut trouver à pro~.:imité de ses champs un emploi salarié ou une activité artisa
nale qui lui procure quelques revenus sans l'obliger à recourir aux biens marchands
de subsistance. Leg possibilités locales d'emploi et de revenu sont donc générale
ment préférées à celles qui supposent un déplacement, surtout quand les charges
familiales sont importantes. C' es t ainsi que nous décelons pas ou trés peu de mi
grants citadins dans les lignages de p~cheurs, d'autres produisent du charbon de
bois, pratiquent un commerce, exercent un artisannat moderne généralement appris
à l'extérieur tel que la maçonnerie, menuiserie, confection de bonnets de laine••• ;
assurent le transport des récoltes, des marchandises, des personnes vers les vil
lages avoisinan19; confectionnent des xatim ( écriture à pouvoir magique) pour les
migrants, les malades; ou bien trouvent à s'employer sur place aux travaux: d'aména
gements, par les usines de Richard-Toll.
c) Reste le migrant qu:i, accédant à un emploi protégé et stable,
retient son épouse à la ville et forme une cellule familiale qui se reproduit indé
pendarnent de la communauté domestique. Un tel migrant bénéficie d'un salaire indi
rect destiné à la production démogra~hique de sa famille et accordé généralement
en fonction de l'tlge. L'avancement au sein d'un emploi réglementé co!ncide souvent
avec l'augmentation des charges familiales. Toutefois l'avantage réel d'une telle
installation n'est pas tout à fait évident car ce ménage ne pourvoit bien souvent
qu'à sa sustentation minimale et souvent dans des conditions difficiles. Il peut
accéder ou espérer accéder à un minimum vital valorisé au sein du système capitalis
te par un développement supérieur des forces productives. Certaines consommations
inaccessibles dans l'économ~domestique, ne serait-ce que les biens publics ou
semi-publics tels que les mesures prophylactiques, les soins médicaux••• , sont
alors possibles.
Au-delà de l'avantage comparé des niveaux de vie, cette émigration
défini tive se~ justifie également par les rapports que le ménage urbain conserve
avec la communauté rurale. Tbut d'abord, cette installation, bien que déclarée
déficitive, ne l'est réellement que le temps de l'emploi. Le couple soit donc se
ménager une réinsertion éventuelle dans l'économie domestique ainsi qu'un accés aux
biens de production agricole. Une séparation irrévocable et conflictuelle est un cas
limite, trés rarement rencontré. D'autre part, nous verrons que cette installation
urbaine se réalise à partir de l'émigration matrimoniale des femmes du village, la
quelle est acceptée, voire favorisée par les chefs de famille dans ra mes~e où ce
ménage devient, en quelque sorte, le prolongement urbain de la cellule demes tique.
En efEet, le migrant hébergé se trouve dans une 1....
29
si tuation proche de celle u paysan qui exerce une activité salariée prés du
champ cultivé par sa famille, il lui est p~ssible ~~économiser sur le salaire
minimum qu'il reçoit. Dans ces rapports, l'avantage va au villageois qui ~éplore
volontiers les réticences 'e ses pnrents cita'ins.
L'importance déterminante de la pro~ction a,mestique ressort nette--'- .
ment de ces différentes situations migratoires, dans chacune, le migrant est plus
ou moins intensément lié à la procluc tion familiale selon les conditions rle salai
re qui lui sont réservées. De l'autre côté, c'est par sa migration ou celle rle
ses dépendants que le chef de famille peut espérer valoriser une partie de sa
production agricole. Les activités rémunérées qu'il sera suceptible d'exercer près
r'cu village ni existent que grâce à la circulation monétaire issue pour une part
'ces revenus~e la migration ct pour l t autre .:~es implantations capitalistes lo
cales. Le groupement productif est donc tenu d'assurer la production agricole op
timale tout en essayant de dégager le plus de surtravail possible pour des acti
vités rémunérées. En d'autres termes, le paysan lT.:'.:ü:,-w.:l:l.10 s(; 12-it L'.~ pro.luire
<:tans le ca'"'cre domestique, une quanti té maximale de force de travail pour le mode
e production capitaliste sans nuire à la pr~duction vivrière.
Cette,double finalité m0difie certains aspects de la production immé
diate et certains rapports sociaux Je prcY'uction
- Elle suppose une pleine utilisation ,lu patrimoine foncier qui pour
rait laisser croire à une saturation démographique du terroir. Normalement, ce
plein emploi se réalise par la ml)bilisation ~es paysans ren 'us inaptes à la migra
tion par leur ~ge, leurs charges familiales, ou de ceux qui ont trouvé à s'emplo
yer sur place. Mais certains migrants peuvent être incités au retour s'ils crai
gnent que le non usage ùe leurs terres leur enlève l~accés ultérieur aux moyens
de pro':uction. Généralement, les liens qUi ils maintiennent avec leurs parents
villageois leur assurent cette réinsc:::rtion éventuelle :lans le système '~e pro 'uc
tian et leur évite '.~' envisager un tel retour. Ce type ':~e soli(~aritélépasse rare
ment le ca'~re~u segment de lignage.
- Elle nécessite un recours à ,1es formes marchandes de production :
achat ou location de matériel agricole impliquant la traction animale, embauche
de journaliers agricoles, mobilisation de classes 1'âge pour des travaux rémunérés
(31). De telles Qépenses monétaires' seraient bien évidemment impossibles dans une
économie exclusivement de subsistance, elles resteraient difficiles à vlanifier
(31) : Mobilisation tout de même rare. Normalement, la classe J'âge intervient
pour l'un de ses membres malaclE:. et dans l'incapacité n'effectuer certaines opé
rations culturales ElIe assure en quelque sorte la production contre le risque de
maladie des producteurs.
30
dans le cas dfune commercialisation partielle des céréales au prix administratif
(qui ne tient pas compte des fluctuations de la production) puisque le paysan ne
peut, au cours du procés de production, prévoir la récolte naturellement aléa
toire qui suivra son effort et ses dépenses. Ces dernières ne sont justifiées que
dans la mesure où elles libèrent un surtravail, alors disponible pour Il extérieur,
sans pénaliser la production.
Remarquons que ces objectifs sont remplis au mieux "ans le cas :~ 'un
revenu monétaire obtenu en association avec la production vivrière. Le déplacement
introduit une variable aléatoire importante dans l'obtention d'un revemÀ net; il
en est de même lorsque le noyen organise la migration de ses cadets, car outre
les difficultés d'insertion sur le marché de travail, il ne peux pas toujours
connartre et ponctionner leurs gains. Notons que 1: importance de ces migrations
organisées par le doyen dépend du nombre de ses ':1épen~lants et donc de la taille
des unités de production.
2.3. La segmentation des unités de production
Sans détailler ici les mofes d'organisation ~u travail, de répartition
de la terre, du produit, il est utile de ,'écrire une évolution qui reflète le
passé économique de chacun des villages.
Les rapports sociaux engendrés, par l'agriculture et la pêche suivent
les réseaux tracés pal' les liens je parenté, ceux-ci servent de cadre à Iforgani
sation de la production vivrière et à sa répartition, les unités familiales sont
aussi ~es unités de production, de consommation. Traditionnellement la terre,
propriété familiale était partagée entre les chefs de carré - barom keur - vi
vants et présents du lignage (patern?l ou maternel selon les époques et les fa
milles) sous la responsabilité du doyen. Le travail et le produit étaient répartis
au sein de la famille élargie -keur- dont la ~irnension permettait l'exercice de
la plupart des activités pro :uctives. Les classes d: âge ne serr.blent pas avoir été
et sont toujours peu sollicitées pour les travaux collectifs depuis vraisembla
blement le développement de l'esclavage domestique. Les serviteurs, anciens cap
tifs et les art~sans castés étaient exclus ~es rapports de proouction communau
taires basés sur la parenté par les interni~s matrimoniaux attachés à leur caste.
L'essor de la servitude domestique a dt ailleurs co1ncidé avec celui de la produc
tion marchanc1e et nia Pas survécu au déclin du commerce.
La dimension -Jémographique du carré et 1; ampleur des coopérations
qu'il organise tenn à se réduire conformément à une transformation des rapports
sociaux de production qui atteint plus ou moins intensément chacun des villages.
31
Cette segmentation des uni tés de production fut ,.}\ abord provoquée par le '~épart
des familles de captifs qui participaient à la production agricole sous l'auto
rité du borom keur. Dès le début du siècle, l'action coloniale et le déplacement
rte la traite ont progressivement édulcoré la relation de servitude et provoqué
le départ des serviteurs, mais les Sci~9ions ont parfois été tardives. Ainsi très
récemment, le rétention par certains chefs de carré des vivres de secours desti
nés à des ménages d'anciens serviteurs précipita des séparations longtemps dif
féréé:s (32). D'autre part la loi sur le ·'omaine national a permiS dans une certai
ne mesure (33) de figer les droits d'usage 1e la terre au' préjudice de l'autorité
du doyen et donc de consoliJer l'in0épen-ance des ménages attributaires par rap
port aux lignages. La justice villageoise ren~ue par le cadi entérine désormais
la partition des terres qui résulte' de la scission d'un carré. Par ailleurs,
le paysan isolé ou démuni peut solliciter et obtenir un droit de culture sur
des terres qui n'appartiennent pas à son lignage paternel. L'ancienne transmis
sion matrilin(aire èes terres dans certaines familles, le droit musulman qui
reconnalt à la femme un droit d'héritage sur les biens fonciers personnels du
défunt (34), la disponibilité des terres laissées par les migrants procurent au
paysan dfrmuni une réelle diversité de recours en cas de besoin ou de rupture avec
les membres du lignage.
Les revenus non agricoles, généralement individualisés, ont favorisé
l'indépendance économique des ménages qui par la scission préservent l'usage
autonome de leurs gains. Les coopérations élargies au sein du carré sont peu à
peu remplacées par des rapports marchands.
(32) Les maîtres habilement prétextaient de méconm:! tre les liens de servitude :
'INous sommes tous frères •• Il pour refuser le rachat du servi teur : III l ne saurai t
être question de rachat entre nous".
(33) Qu'il ne faudrnit pas se-estimer car nombre (~.e conflits ne sont pas portés
devant l; autori té ndminis trative à la suite de la dissuasion <'les notables ; de
plus le chef d'arrondissement ~evant qui sont pcrtées ces affaires dispose rare
ment du pouvoir suffisant pour appliquer des jugements qui vont à l'encontre des
pratiques foncières traditionnelles.
(34) Terres ayant fait l'cbjet de transactions vénales, presque exclusivement
les terrains menacés de la rive droite.
",
32
Paradoxalement, le recours global à ces f0I'l':lCS mi1rch~n(les de p1",'):lpC'
tian est limité par la taille décroissante du carré et par l'isolement du ména
ge. Biologiquement le couple constitue l'unité min~nale nécessaire à la repr~duc
tion démographique de la pop~lation, mais par ailleurs, plusieurs t~ches tel que
le gardiennage exigent un faible effort mais conjointement la longue présence in
dispensable du couple sur le terrain de culture. L1entretien.des cultures de ber
ge est quotidiennement réduit mais la récolte est étalée oans le temps. IL est
bien sÜr impossible d'envisager la rétribution d:un journalier pour ce type d'o
pération, le coût en serait prohibitif. Ainsi astreint à résidence,le couple
généralement ai(lé par des jeunes enfants remplit une bonne part des autres tâ
ches productives, n'appelant une mni~d~oeuvre salariée que pour les raretés ponc
tuelles (le la mairr dl oeuvre familiale. Des c()opérations plus larges s::mt par
contre nécessaires quand le chef de ménage migrant doit laisser à sa femme le
soin des travaux agricoles. V;épouse est généralement aidée par des parents de
son mari et ne peut composer avec ses enfants (du moins en zone rurale) une unité
de production indépenoante.
En définitive, un couple, avec l'aide éventuelle, ::~ la traction ani
male et de quelques journaliers est en mesure d'assurer l'entretien alimentaire
de plusieurs inactifs. Il n:existe pas un nécessaire équilibre e~tre les pr0duc
teurs et les consommateurs de la cellule familiale que les départs d'hommes actifs
détruiraient, entrainant une p~p::ris.:-.tioncroissante de la communauté rurale. La
migration qui indirectement valorise la production agricole, permet par les re
venus qu'elle procure et oblige par le déficit de travail qu'elle impose à un
recours aux formes marchandes d:exploitation agricole. Il n1y a donc pas gestion
des départs par le chef cl' exploitation mais plutôt une modulation de l; emploi
oe journaliers, de la location (l'instruments en fonction du départ de ses pro
ducteurs, du nombre de ses consommateurs et des revenus reçus des migrants. Une
combinaison qu'il est parfois difficile d'équilibrer.
L'émigration a fréquemment dispersé les ndul tes rlu carré amenuisant
d1autcnt la taille absolue des familles élargies. Mais ces départs ne peuvent
justifier à eux seuls les variations considérables (de 1 à 4) de la dimension
démographique des carrés observée d'un village à l'autre, alors que la grandeur
du ménage y est dans .ch:'.çUl.1 sensiblement i(~el'.tique.•
33
-'----------------------_._-------.-._----_.-TAB. .( DINENSION DU CARRE PAR VILLAGE.
:-------vlïïagë--------------------------------------------------.---------:désignation GM BOIŒOL DAGANA
: ------_._------------:: --_ ....._--------: ----------------: -------------:
nbre moyen de pers.
par carré 32,1 14,9
: ------------------: -_...._------------:--------_.._-----: --------------:
nbre moyen de ména
ges. pnr cnrré 4,1 1 , 1
Cette diversité illustre les remarques précédentes. Des trois villages,
l'escale (l.e DAGAN.:; connutplus tôt et plus intensément la diffusion des rapports
marchanGs monétarisés et lressor des activités qui s'y rattachent (artisanat, com
merce, armée ••• ). Les ménages de commerçants, fonctionnaires et salariés ne sont
désormais que des groupements de consommateurs solidaires mais indépendants dans
la proctuction. D'autre part l'immigration est normal~lent le fait d'individus
isolés on de ménages restreints qui réduisent directement la taille moyenne des
carrés. Elle Qst de 6,2 personnes dans le quùrtiœ d'i~igrants (MEDINA) contre...10 dans Ir ancien quartier de KAO--DAGANA. L'expansion (les rapports marchands a con-
sidérablement atrophié les relations de parenté et il n'est pas rare de voir des
relations de v0isinage ,=n pren·.~re la relève, notamment pour l'entretien des vieil
lards, des veuves ••• On trouve un autre indice de la dislocation des familles dans
le fait qurà Dagana, un chef de carré sur cinq est Ul"e femme (35). Elles sont veu
ves ou divorcées mais aussi épouses dont le mari travaille à l'extérieur 0U ré
side avec une autre femme. Cette indépendance (nu isolement), souvent consolidée
par une petite activité commerciale sur le marché, est inconnue v0ire impensable
en zone rurale.
A l'opposé, G/Œ présente une cohésion familiale beaucoup plus s.lide
et étendue que DAGP.NA, mais aussi que BOKBOL par rapport auquel il n'es t pourtant
pas plus rural ou moins mnnétarisé. La situation marginale de Gl~, l'incertitude
qui grève les Qroits fonciers ont contribué à la stabilité des instances politi
ques, mais aussi retenu la Gésagrégation de la famille élargie. Il n'y a pas si
longtemps encore, G.\E ahritait quelques carrés très importants (certains jusqu'à
cent personrles) regroupant tout une lignée noble, des familles de serviteurs, des
(35) exactement 21,6 %selon le recensement administratif de 1973.
34
protégés. Mais les causes déterminantes de cette me.intCl1o.11C~ des l:'::lPP01'ts so:::i:,m:
est à rechercher dans les impératifs (le la production immé~l~ate, seule la popula
tion de GAE pourvoit à une partie de ses besoins monétaires par la pratique ~e
la pêche marchande. Nous avons remarqué que celle-ci devait son extension à IZu
sage n un filet collectif utilisé pour la pêche maritime, le goubo! qui oblige à
des coopérations plus étendues que les techniques employées pour les pêches de
subsistance (36). Sa pratique nécessite la participation de cinq à àouze hommes
adultes ct des investissements de taille familiale (filets, pirogues •• ). De plui
l'importance relative de ces moyens ,le production ct leur contrôle par les chefs
de famille maintiennent la Qépcndance des indivinus ct pjr là même la cohésion
et ltétendue du groupement pro:1uctif.
Cette réduction de la taille des carrés réduit parallèlEment le nombre
des cadets soumis à l'autorité ct un même borom-keur ct partant le nombre de mi
grations que celui-ci est en mesure d'organiser.
~ - LES CARACTERISTIQUES DU MIGRANT
Partant de l'observation des caractéristiques du migrant, beaucoup
d' .:'Uteurs ont élaboré une analyse causale erronée ~. Tout c1. abord certaines de ces
caractéristiques, la scolarisation par exemple, ne sont en fait que les outils
élaborés par le pouvoir colonial dans le but de mobiliser et former la main
d'oeuvre paysanne et non 1es causes indépendantes. D'autre part, si l'on a pu
. constater une corrélation importante entre des variables telles que l'âge, la si
tuation matrimoniale, la scolarisation et les taux rl'émigration, il est cepenlant
abusif de conclure que le paysan quitte son village parce qu'il est jeune, céli
bataire ou diplômé. La nécessité de migrcr s'est imposée à des économies entières
- ièi celle t~e la région ('lu Fleuve au contact d.c la traite fluviale - plue qu'à
des individ~s.Du reste, la migration n'est p~s un phénomène individuel, elle sup
pose des solidarités étendues, la décision ~u ~épart est souvent imposée par la
famille qui (1 p·:irtièip(; pour une: l<:\rge part à l~ form.::.ti·~n:.~u migr2.l1t ct .rëç.::-i t une
(36) ~ttre le yeur pêche collective et annuelle regroupant tout le village mais
qui n' avai t aucune vocation marchande, 0 recense environ dix mo,les ne pêche que
l'on dis tingue selon les ins truments employés : - dooliYJ.e ligne .-le grapp ins au
travers Œe la rivière, mbalsoni épervier in0ivi~uel, sobel filet posé perpendi
culairement à la rivière ; ou les coopérations mises en oeuvre : - mbexal dont la
technique est identique à celle du goubol mais pour les cultivateurs et qui exi
ge la préom'lce \~e deux hommes seulement.
35
partie des revenus monétaires ·'.e son travail. Il est évir~ent que seuls les plus
aptes au travail salarié, c'est à dire ceux sélectionnés par le capital, se dé
placeront et que telle qUi11ité qui explique leur dépnrt n'est que le critère (l'un
choix qui peut à la rigueur éclairer 1es rapports sociaux que la migration susci
te.
Schématiquement la partition des migrants et des non-migrants selon
l\~ge, le sex€, la caste, la situation parentale •• , que nous allons examiner main
tenant, est imposée à deux niveaux :
- par l'employeur qui recrute la main-~oeuvrc d;origine rurale sur
des critères d'âge, de sexe, de compétencQ èe coût •• ;
- dans ''lù. société'e départ selon les impératifs de la pro;luction
vivrière ou oes possibilités locales de revenus monétaires.
3.1. - L'AGE ET LE SEXE.
Le sexe et l'âge sont deux variables privilégiées 'en ~~mogrùphie
dans l'analyse des 'léplacements car elles offrent la commo'li té considérable ')' être
quantifiables. De plus leur grarde, mais apparente valeur explicative provient de
ce qurelles peuvent recouvrir des réalités sociales bien souvent plus pertinentes
répartition sexuelle des tâches, situation matrimoniale, position d'ancienneté
dans le groupement pro·~ucti.f. Pour cette raison la répartition par âge et par
sexe 'es premiers départs ne permet pas ~'isoler la seule influence ~e l'âge et
du sexe sur la probabilité (1. 1 un ,1épart ; mais il es t clair que ce rléterminisme
existe et qu'il tient pour l'essentiel aux types (l;emplois r,§servés à une main
d'oeuvre d;origine rurale, laquelle ne ~ispose que de sa force le travail ct pos
sè·te ,les connaissances techniques qui ne sont ::I1 aucune utilité pour le travail
proposé.
En cas ('le migration, la spécialisation sexuelle des tâches est, pour
la .femme, inchangée par le .':.éplacemûnt, Une .femme ne quitte le village qu'à la
suite ü'une '~em.3.n~e en maria.ge 6m:mant ".'un ,§tr:mger, en suivant un villageois
~ans sa migration ou ~n trouvant à s'employer comme ~omestique chez un particu
lier. Même 1.3. visite à des'-p2.rents cita.Uns est fréquemment motivée par li). recher
che (1 :un époux ou-~ 'un emploi. Quelques-unes très rnres eXE:rcent à l: extérieur rles·
métiers parfois pratiqués en zone rur::l1e à 13. marge ~~es activités ménagères tel
que le commerce ~le pro'uits vivriers ou 1e plats cuisinés. A GAE, 70 % :~es ,::lbs entes
sont ~cs épouses 0C pêcheurs qui- ~ccompagnent leur m2ri ~.3.ns les campements ~e pê
che, combe. Sans elles llunité ~e pro~uction ne s3urait être autonome car la .fem
me prépare la nourriture, sèche ('ou vcn'l le poisson f'r",is.
rlapor cItion de la popu/at tOnpar iipe el psr sexeselon la situationde résidence.
[ ] Présents
_ Absents et Migrants définitifs
ZONE RURALE DAGA NA
Hommes Femmes
ENSEMBLE DE LA ZONE
H. . F.
50
40.35\
30
25
:w15
10
S",
30 %0<0 \0 10 20
r'Jl2 EFFECTIFS D'ABSENTS
Poor 1000 Habitants
ABSENTS, ELEVES ET VOYAGEURS
HZone Rurale
F
H F
. ';§'''-
Ensemble
MIGRANTS DEFiNITIFS
HZone Rurale
F
H F
Oogone
Ensemble
t5
38
Dans le meilleur des cas, leur rléplacement à la ville sr acc':lmp :::l.gne
seulement de la "lisp<lI'ition rle leurs activités agricoles, ,l'un allégement de leurs
TABLEAU 5. MOTIFS DES ABSENCES FEMINI~~S.
:· ...~if : travail: mariage: cOl1Îiée:mala-lie: accompa:visi te :étude total"<.
; ..~..,~ . : : : : : gn ~;.ment : : : :
:--------~: ------: -------: -----:----:-----:------: ------: -----:
10027t;.035385
: Ensemble ù;~ la
:pop. Îéminine
:_-------....;...-----'-----;.....--_..:-_----'----..--;---_..:....-_--....;...----travaux ménagers. Elle perd, en contrepartie, un pcu~e l'indépen'lance économique
que lui conférai t un champ personnel au la libre ';,isposi tian 1,' une part è-e la
récolte Înmiliale. La femme en migrant conserve l'usage des compétences acquises
en milieu tr.:1:"i tionnel, elle n'est pas "irectement insérée dans les rapports Ge
pro1uction capitalistes.
Pen~lant leur célibat les femmes d'origine rurale, nrm scolarisé~sJnon
formées, ne sont rlonc pas recrutées par les employeurs qui préfèrent apparcrr.mcnt
la main-d'oeuvre masculine, physiquement supérieure, plus rlisponible car à l'abri
~es maternités. Après le mariage les t~ches ménagères Opp09~Ut un han~icap supplé
mentaire à la recherche -1; un travail salarié.
La répartition par ~ge '~es départs ne permet pas 1'isoler, et par con
séquent ~(évaluer, l'importance de ce critère ians la sélection nes migrants.
Des rapports sociaux plus complE.:xes, telle què la ,situation matrim0nialc ou la (lé~
pen'~,ance ,:':.es ca'-~ets, concourent à faire ,~ migrant un homme jeune. Toutefois il
est habituellement reconnu que, pour les emplois qui n'exigent aucune qualifica
tion, une force de travail vive et 'onc jeune est to~~~urs préf6r6c. Un homme ~gé
9ait qu'il se heurtera à la concurrence de jeunes postulants pour, par exemple,
un emploi ':e manoeuvre. Et m~me si l'expérience Si acquiert avec l'~ge, à compé
tence égale le plus jeune sera normalement choisi. Comme le savoir du paysan n'est
ni valorisé ni utilisé par le capital ct que le migrant acquiert généralement
sa formation lors d'une périor'l.e plus ou moins longue dl' apprentissage ou <J' acti
vité, très rarement pa.r la scolarisation, la position "è'unmigrant sur le marché
r.e 1; emploi saturé sera t".; autant plus soli'·le 'qu'il a pu commencer sa formation
1ès le jeune ~ge. De plus, le jeunç aisément pris en charge par 0es parents sur
son lieu de travail, est en mesure d accepter ~es rémunérations ~érisoires ; a
vec li~ge2.ugmcntcnt souvent 'ses cap~cités rr;vcn'.licativcs et la nC:cC:3.'."i.~::' ...1'\'.5-
rc:~:'s")n propre cntrctian."
C'est ainsi que les premiers ~éparts peuvent être fort précoces com
me le révèle le tableau suivant.
TlillLEAU 6. DISTRIBUTION DE L'AGE AU PREMIER DEPl~T
(migrations de travail seul~nent)
39
sexe
âge--- ~ ..;.-", .....~--- ... 8- 15-: 20- : 25- :30- : 35- :40- :45- :50- : 55- :60- :Total:.
: 14 l' : 24 : 29 : 24 :39 : 41~ : 49 :54 :59 : +
:------------------:----:----:----:-~-:----:----:----:----:----:----:----:-----:
Mas culin : 7 25: 24 : 21 '- : 13 4- il- 1 1 100
Feminin : 38 27: 13 : 11 4 3 2 2 100
Pour les seules migrations de travail, la classe modale de l'~ge au
premier~épart est respectivement pour les hommes et les femmes Ge 15-19 ans et
de 8-14 ans ; 83 %des hommes ont réalisé leur première migration entre 15 et 34
ans, 89 %des femmes entre 8 et 30 ans. Notons que ces 0ernières ~'roportions:sont
en rénlité plus importantes car beaucoup d'anciennes migrations qui étaient les
premières ont ét'é omises par les informateurs, ou volontairement négligées en cas
d'échec. De la sorte, l'~ge moyen au premier dép~t (25,8 ans pour les hommes,
19,4 pour les femmes) est vraisemblablement surestimé' surtout pour les h~mmes
qui p':,ssèdent un passé migratoire plus l")urd. Dans le cas des migrati::ms féminines,
la perturbation de la situation matrimoniale est déterminante, le mariage précnce
gètie les départs. Rappelons que les migrantes salariées exercent presque tnu-
jours des travaux de d.jnesticité, elles sont fréquem~ent confiées très jetU1eS à
des parents ou amis chez qui elles remplissent gratuitement une partie ou la to
talité des t~ches ménagères, pour ces enfants ll~ge à la première migration de
travail est donc incertain. Notons toutefois que plusieurs métiers exercés en de
hors r1,es rapP'Jrts de pr0duction proprement capitdistes (confection d~ xéltim, com
merce de bétail, de détail, migrations de culture ••• ) échappent à ln sélection
de l\~ge et autorisent des migrations assez tardives.
3.2. LA CASTE ET L'ETHNIE.
Il serait difficile d'affirmer qu'aujourdhui les migrants se distin
guent des non-migrants par la caste ou llappnrten~cc ethnique. Cc sont là deux
conditions qui clans la zone d'enquête ont perdu peu à peu leurs fondements éco
nomiques et partant leur influence sur les migrations.
Il est vrai que, JUSqU'RU rtébut 0U siècle, la croissance ~émographique
des villes s'est nourrie de la circulation marchande des captifsr diverses moda
lités légales permett~ient Je prélever dans la classe servile les travnilleurs
Tableau 7. REPARTrfION CES PERSONNES AYANT MIGRE PAR AGE ET PA.t\ SEXE
ZOl'E RUHALE ( En pourcentage)•
~a (;)-!!"'.M E S F:S!"H ,M E S
ayant migr~ n' ayant ayant migré n'ayant
~UD.;- f.ois jamais une fois jamaisau'moin5 migré au moins migré
o - 4 ans 0 100 a 100
5 - 9 ans 0 100 0 100
10- 14 Il 2 98 11 89
15 - 19 " 33 67 20 80
20- 24 Il 39 61 17 83
25 - 29 Il 72 28 26 84 ~.30 - 34 Il 75 25 7 93
35 - 39 1\ 70 30 9 91
40 - 49 Il 82 18 23 77
50 ans et + 52 48 8 92
Epsemble des 60 40 15 85actJ..fs + 15
Tableau 8. PASSE MIGRATOIRE œs HABrrANTS œ DAGANA
~HOMMES F E M:'~ E S
ayant migré n'ayant ayant migré n'ayant
~. au moins jamais mi gré au moins jamaisune fois une fois migré
o - 9 ans 0 100 0 100
la - 14 " 0 100 0 100
~'9Il 21 79 2 98
20 - 24 " 34 66 4 96
! 25 - 29 " 82 18 0 100.i: 30 - 34 II 55 45 3 97
35 - 39 \' 57 43 0 100,-
40 - 49 " 48 52 4 96
50 - 59 Il 37 63 8 92
60 + 28 72 0 100
42 58 ': 97Actifs . ~-'
t_...
41
nécessaires à la pénCtratioll capi talistc (37). On a pu penseZ' qu'à 1:\ "iz1cc ':'.
tion ~u rapport de servitude, la précarité économique et foncière de l'ancien
servi teur, son r16sir r:~ 'émancipation qui obligeait, pour 'être réelle, à la sépa
ration physique, provoqueraient le d~part du captif vers le travail salarié.
C'est (~u moins ce but explicite que le pouvoir colonial se proposait d'atteindre
en oeuvrant à 1.:< 1isparition de 1<1 captivit~ domestique. L<1 majorité~es arti
Sans castés quittèrent ainsi leur village. Mais ne profitant plus ::1u surtravnil
de son serviteur, le maître vit ses revenus monétaires se ~étériorer au point de
devenir inférieurs à ceux du serviteur qui pratiquait certaines activités manuel~
les interdites à la caste des nobleg (MISOES). Il trouva ~ans sa nouvelle situ<.l.
tian éconŒnique ~utnnt 0e raisons ~e migrer que son ancien serviteur. Désormais,
les quelques réminiscences nu lien 1e servitu0e apparti0~nent uniquement au do
maine idéologique et ne semblent pas provoque::..'· 'lme émigrnti~n' plus consi:1ér.:lble-
<les servi teurs •
Les proportiJns respectives de nobles et s~rviteurs ayant migré pour
obtenir du travail varient d~un village à l'autre mais ne sont pas significative
ment différentes pour l'ensemble de la zone. A GAE, les pêcheurs ne sont pas cas-
tés et le fait que les migrations je p~che soient exclusives des migrations de
travail justifie le passé migrntoire moins chargé des nobles. Migrations de tra-
vail et de pêche réunies, la proportion Ile nobles ayant migré est alors sensible-
ment identique à celle ne serviteurs. A BOKHOL les nobles ne s'absentent pas
beaucoup p lus que les anciens serviteurs bien qu \ ils aient été - selon une 'lir
férence susceptible <.lt être aléatoir<.:: - relativement plus nombreux à chercher du
travail à l'extérieur. A DAGf'iliA les serviteurs migrent un peu plus qne les nobles,
cette difféi~ence n'est pas imputable à la con'l.i tion mc:rginale des Maures haratine,
récemment immigrés car leur compOl~tement migratoire nI est pas notablement diffé
rent ,le celui (1.u reste de la population.
L'altérité ,~1e l'ancien serviteur se marque surtout à ce quiil est plus
enclin à l;~migration définitive que le noble, le cas est particulièrement net
pour les femmes et semble tra0uire une réticence au retnur qui peut s:interpré
ter comme un refus de subir, après 11 expérience urbaine, un statut L 1éologique-
'. ment dévalorisé. En contrepartie la proportion œabsents est inférieure - saur
à' DAGANA - r1i:tns l' :mci.:clUlc caste s.cj:-vile. R:tppelons que les 31 % rll.'abscnts chez
les nobles ,:e GAE résultent pour beaucoup ~1es migrations ,le p~che qui mobilisent
des familles entières.
(37) "Higrations et p énétrati0n ,le 1: économie march~nr'.e" IF 19-23.
'J'~~l~lu 9. REPARTITIOn ETHNIQUE SELON LA CAS'IE PAR VILLAGE
( Toutes situations de résid~nce )
l'"" ~olof Uaure Toucou- Peulh Autres TOT A Llemr
~Noble 38 6 10 1 1 56
00
~...
p servit. 26 i5 2 0,5 0,5 44
-~
Noble 63 1 630
r.!' 0...-Servit. 35 2 37
Noble 48 48 ..~0 0
~..- ..-._-- ~._- 0..-
Servit 47 c:;' 52~ ,
Tableau 10. CAS1E ET FREQUENCE DES MIGRATIONS DE TRAVAIL
zéro_.- .
migration 1 2 3 4 +
Noble 85 % 9 % 3- el 2 % 1 %!
,.
Serve 84% 11 % 3 % 1 % 1 %
Tableau 11. SI1UATION œ RESIŒrcE SEI.ON LA CAS'IE.
~," Migrants Elèves 1
Pr~sents Absp..nts ,Définiti s &: roTAL-: c; _.' . ~ ..
... - Voyageur
~Noble 82 5 8 5 100
<;
~ Servit. 74 6 15 5 100
No1>le 56 31 9 4 100
~CI
Servit. 75 8 15 2 100
Noble 65 11 17 7 100...:10 _.§
Servit i 66 8 20 6 100tn
43
3.3. SITUATION ECONOMIQUE.
Ce serait un pléonasme ~e décrire ici la situation économique du mi
grant puisque toute cette éturle tenrl à prouver le fonlement économiq,_e de~ mi
grations. Deux remarques sont cependant utiles :
1) Nous n'avons pas jugé pertinent ~e releve~ ~es bu1gets familiaux
afin .1' évaluer les besoins monétaires Je chaque ménage et ,'le les confronter aux
taux d'émigration, puisque justement le travail salarié pro~~e ~u
paysan Pessentiel de la monnaie ;-lont il (~ispose. En J 1 autres termes, il etlt été
illogique :-le rechercher les plus fortes proportions l'e migrants chez les familles
pauvres alors que leur pauvreté est justement imputable à la non-migration. Affi
ner l'analyse et distinguer entre les opportunités locales et extérieures ~~e re
venus nt eût apporté (Je précision que sur 11 implantation environnante :lu commerce
et ne l'in(!u.strie et non sur les stratégies paysannes face à la migration.
2) Dans un travail précédent, il nous est apparu nécessaire 0e montrer
en détail que l'émergence de besoins monétaires contraignant le paysan à veruJre
sa force de travail n'étaient pas sponte.né~.mais au contraire le produi t (~'une
pénétration marchande Céjà ancienne. L'apparition de chaque type ne dépense est
" -, ainsi historiquement déterminé,~ Les habits par exemple, ,lont le besoin est souvent
invoqué comme mobile aux migrations, ont été socialement valorisés à l'époque de
la traite marchande luan-l ils étaient taillés dans les pièces de guinée utilisées
comme monnaie dans les échanges. Elles-mêmes remplaçaient les pagnes tissés par
les serviteurs et utilisés comme-biens de prestige. L'habit a une signification
sociale considérable car pennant l:esclavage domestique il était l'apanage Nes
nobles ( on habillait les serviteurs de haillons pour reconna1tre le fugitif),
d'où son caractère présentement ostentatoire. Indépendamment oe cela, chaque
homme adulte est tenu d' habiller sa famille une .fois 1: an à la Tabaski et nous
avons rencontré des paysans pauvres astreints à IIv isi ter" les parents citadins
pour remplir cette obligation. CI, est un bien fréquemment rapporté de la migra
tion (38) et offert par les visiteurs lors du Gamou. Le thé et le sucre qui re
présentent un poste de dépense important, sont indispensables à toutes réunions
comme à l:hospitalité. La prise du thé est une obligation sociale, le paysan
s'endette pour s'en procurer s'il en m:mque lors de la visite d:un parent ou
dlun ami, mais le prix,de cette denrée ren~ la contrainte douloureuse. L'appari
tion de cctte consommation empruntée au mo~e de vie arabe semble co1ncider avec
(38) Il était parait -il assez commun d'aller acheter les habits à Saint-Louis
où lIon trouvait un choix plus étendu et nes prix plus avantageux.
44
le début des migrations urbaines (39). D'autres dépenses sont 0irectcment impQ"
sées par le mode de migration: formes marchandes de production, dépenses dl hos·
pitali té à l'occasion du Garnou, visite aux parents ••• Les gains à en attendre ne
sont pas toujours immédia~et normal~nent aléatoires. Restent les biens durables
ct fongibles, qui n'existent plus en zone rurale que sous une forme marchande,
à 112 suite ,'u dép<:lrt des <i.rtisnn:s qui les fe.:briquai.cnt cu:p,1rée -que l'injustrie
les pr:lui t à meilleur compte ou ,k quali té supérieure (cuvettes,· ·tissus i cer
t;;.ins p:i.~()'luits alimentaires ••• )
3.4. SITUATION MATRIMONIALE.
Là encore, il serait difficile d'estimer l'effet autoneme du mariage
sur la migration. Les jeunes sont en majorité célibataires ct par conséquent dé
pen:!ants, de sorte que les fortes proportions de migrants non mariés ne sont pas
significatives d'une éventuelle sup-émigration imputable au seul mariage. En fait,
le statut matrimonial doit son apparente valeur explicative aux implications éco
nomiques du mariage, il joue en lui-même un rôle somme toute limité dans la sélec-·
tion des paysans en vue de la migration.
On pourrait penser que la rupture du célibat est particulièrement con
traignante pour la femme dès qu; elle cloi t aSSU:-ler quotidiennement la préparation
de la nourriture, ses charges maternelles. Or, on trouve sensiblement la même pro
portion de célibataires que d'épouses chez les migrantes qui travaillent. Ces
dernières sont alors remplacées par une coépouse, une grande fille, une parente
pour les travaux ménagers" ' .
Pour l'homme le mariage se traduit à terme par de nouvelles charges im
putables à l'entretien d'une famille. Dans la mesure où le capital n'a pas intérêt
à ce que la reproduction démographique du migrant se réalise en milieu urbain, les
salaires offerts au paysan non qualifié ne couvrent normalement pas de telles dé
penses. Les' hommes mariés ne sont en mesure '~'acèûptc~ je pareilles rémunérations .que
si leurs fellLîles et enfants demeurent près des champs ; 68 % des migrations cl: hom-
mes mariés sont effectuées sans leurs épouses, le m~e pourcentage passe à 77 % si
(39) : Ainsi les jeunes forment, dans le cadre des classes (l.'âge, des clubs (l.e thé
où P on consorrnne cette "enrée mais dont les réunions sont aussi l'occasion d; une
représentation et ,l'un apprentissage de la vie urbaine : danses modernes, habits
européens, coiffUres ••• Tout membre adulte d'un~ da1ra qui voyage à la ville est
tenu de rapporter un pain de sucre et ~rois verres de thé qui' seront collective
ment consommés le vendredi après midi.
45
l'on ne ~ient pas compte des migrations de pêche et ~e comme~ce (ln p~ch~ mar
chande obligeant ln femme à suivre son époux dans les campements). Remarquons
que néanmoins la reproduction demestique de la force de travail est entachée Cl. ';m
coat monétaire, rénuit par rapport à ce qu'il serait en économie marchande, mais
non négligeable pour le paysan. Ces dépenses sont évinemment plus élevées pour
le migrant qui doit partiellement recourir à des formes marchanGes de production,
à des biens alimentaires importés. De ce fait il n'est pas en mesure d1accepter
des rémunérations aussi faibles que le célibataire et un certain handicap demeure.
Enfin, si le départ du cadet est généralement motivé par une décision
ou du moins par l'intérêt du borom keur, le chef de ménage, répond à des incita
tions qui lui sont propres, mais souvent plus impératives. Si pour des raisons
4iverses le paysan n'a pas migré ou s'il a échoué èans sa recherche d:un travail
rémunéré, son repli sur l Céconomie de subsistance ne pourra, malgré tout, pas être
(l~finiti.f~ Un minimum vi tal de dépenses monétaires imposé par 1 'histoire à 1: en
semble de l'économie lobligera parfois à retenter sa chance sur le marché du tra
vail. Ce type de déplacement pren0 ordinairement la forme d'une visite de quel
ques semaines ou de quelques mois chez un parent. Comme avec li~ge les po~sibili
tés d'accés au travail salarié sont peu susceptibles d'amélioration, il sera
amené à entretenir ses liens avec des parents citadins" en nouer de nouveaux par
le mariage de sn fille avec un migrant, à favoriser le départ de ses c1épencl.ants.
Pour le salnrié qui bénéficie d'un emploi stable et suffis~ert"t·, rémunéré, m~-
me s'il d~~rccourir aux biens de production agricole pour nourrir sa famille,
un retour le plongerait dans lCincertitude de la production vivrière et en si
tuation de dépendance par rapport à ses parents urbains.
3 .. : 5'•• SCOLARISATION
L'école est avec raison analysée comme un des médi~teurs actifs de l~
lnigration, il suffit pour s'en convaincre Ge se rappeler la politique scolaire
du pouvoir colonial. Imposée d'abord aux traitants, mais aussi aux fils de chefs
que Faidherbe destinait au service de l'Etat, l'école s'est peu à peu développée
pour former le personnel administratif subalterne, une partie des employés et
ouvriers du secteur privé. Mais sa diffusion en zone rurale s:est souvent heurtée
à l'opposition des marabouts de ' ;école coranique dont l'enseignement valorisait
surtout le pouvoir religieux et ne préparait aucunement au travail salarié. Il
est aujourd:hui étonnant de constater que la région du Fleuve et particulière
ment sa population rurale, fournit un fort contingent de travailleurs au mode de
production capitaliste alors que l'enseignement coranique y est toujours pré-
46
pondérant. La scolOl'isation n'a donc pas été un préalable nécessaire à la mobili
sation (le la f0~CC de travail paysanne. Sans dénier l'efficacité de l école com
me outil ~e la pénétr~tion marchmlde ou capitaliste end' autres formations écono
miques, il faut reconnattre que dans la région du Fleuve, son implantation et
son rôle furent mineurs.
DisOl~ tout de s~ite que nous n~avons pas pu, à llai&~ des résultats
de notre enqu~tG, infirmer ou confirmer une éventuelle relation positive entre
la scolArisation et l'émigration rurale. A cel~ deux raisons:
- la scolarisation administrative est encore trop récente, compte te
nu de l'ancienneté du flux migratoire, pour que S0n impact soit perceptible. Au
moment de l'enquête, l'effectif dŒscolarisés en âge de migrer ét~it trop faible
pour produire un résult~t statistiquement significatif.
- il est vite apparu que les informateurs gonflaient la durée de leurs
propres études coraniques au détriment de la scolarité de leurs parents non ~i
rectement interrogés) de sorte que la nécessité de reconstiuler auprés des mi
grants eux-mêmes la totalité du passé migratoire a introduit une surestimation
relative de leur propre assiduité scolaire.
Bien que l'obtention d'un emploi ou d!un avancement s~it souvent con
ditionné par la possession d'un diplôme scolaire, il existe tout un éventail de
travaux accessibles à une main-d'oeuvre rurale non formée. Pendant très longtemps
les migrations paysannes furent dirigées vers la culture de l'arachide; aujour
d'hui les migrations de pêche, la pratique d'un petit commerce, certaines t~ches
ouvrières ••• , n'exigent que des compétences traditionnelles ou un apprentissage
acquis sur le tas lors de déplacements successifs. D'autre part, il n'est pas
manifeste que, compte tenu de la meilleure scolarisation des cita~ins d'origine,
le dipl$me soit un atout déterminant dans l'obtention d'un travail. Le chômage
chez les travailleurs intellectuels n'est peut-être pas moin~re que chez les
travailleurs lnanuels. En Mauritanie par exemple, un immigrant diplômé n'aurait
pas accés à des emplois réservés aux n~ti'~n~ux,.alors· : que l'ouvrier ou l'ar
tisan trouvent aisément à s'employer dans les emplois non protégés de la petite
mallufacture ou de l'artisanat. Il faut par ailleurs bien recollnattre que, grâce
à ses liens avec l'économie nomestique, le migrant est avant tout un tr~vailleur
en mesure d'accepter des rémunérations réduites et que pour cette raison il est
préféré dans les eaplois non réglementés pour lesquels les diplômes ne sont que
très rarement pris en considération.
La plus longue scolarisation coranique des migrants semble exclusive
ment liée au biais remarqué dalls les déclarations des informateurs. Les études
Tableau 12. ;):~CI..ARISA.TION PA..Jt SEXE ET PAR AGE . A DAGANA
( en pourc~ntage: chaque sexe égale 100 % )
élève de l'écoleadrninistrativ
ScolarisatioT
nt~st jamais Il a suivi l'écoleall~ à l'~col~ coranique
I----..----....----'-.---i-ll -----..-----'+------+-----11
Ha<;r:'u! ir F-'minin! ~;éls::u1in t'éminin Hasculin Féminin!~
o - 4 /lM
5 - 9 ~s
10 - 14 ans 47 7 10 68 43
t------.......---.-,--+-----.-.-.-----+----I-----........--.--I15 - 19 ans ?4 39 68 1 37
40 - 59 ans
1-~-0-~-.-~-9-.-:-........._.-:~-,-+--:~.+-~.:---+1--3-': :__~_._':_--+----t---~ --L-.-51 88 33 11 16 J 1
! 1
1-:_~_an_MB_sŒ_e_t_+-t-__ ·~:_I::-!·_·~:-Gt::-t 1~--
Tableau 13 li S'::OLA."USATION R'SSPECTIV8 rES NOBlES ET DES SERVIlEURS.
f'I!II(1"..:sID'JJœ li3 tiA':Q'If. ~Scolaris~
tion n' e-s t Ecole coranique Ecole .~dmini9trative
jalr.ais
~allé à
Ylàë ~v1 '(~ccle ancier, de
en coursen cours ancien de scola-
élève scolarisat. élève, risation
~N 66 1 50 24 4
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2~ S 7C 20 5 1 4C!'
1Ji 55 14 2 10 19
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S 64~ 12 4 10 10
Tableau 1L.. SCOI.ARIS,FI0T-T PAR SEXS :~':' FAR AG"S ZN ZOl'E ~U~ALS.
Scala-:-isatio, n'est j (?ornais a suivi l'école éF~ve e l' ~çole'
allé à l'écC'le coranîqv.c a~,,'!1inist:-ativ
Sexe l'~asctl1. ?éminin Nasr.::ulin Fé;:;inin Hasculin !'émi~in
Age
0 - L; 100 100 - - - -- """"'~-_'._.'"to- ....~- ..- ....._' .~
" - a 69 92 21 2 1C 6
.'10 - 14 40 GS 42 25 18 7
1" - 19 18 82 53 16 28 2
2C - ~9 31 7.3 49 16 20 -_.n
30 - 39 38 72- 62 V - -1
40 - 59 24 85 176 15 - -
60 + 27 76 73 22 - -
ENSEHBL"': 53 1 85 40 14 7 2
-.l- -.'
49
en arabe ne préparent d'aucune manière au travail mécanisé, mais elles procurent
aux marabouts un 2\vantage dans l'obtention de certains revenus monétaires. Ainsi
la connaissance de l'écriture arabe permet de tenir la comptabilité d'un commerce
qui pratique largement le prêt. D'autre part, le caractère aléatoire éte la réus-
site urbaine pour un paysan l'incite à solliciter les pouvoirs magiques des mara
bouts villageois. Ceux-ci vont même jusqu'à se déplacer en ville pour confection
ner les xatim qui faciliteront l'obtention d'un emploi, la réussite d'un commerce.
Ce sont là des migrations courtes mais relativement lucratives. Enfin, les mara
bouts enseignants peuvent disposer de la force de travail de leurs élèves pour
les cultures marchandes, ilS! partaient vers le bassin arachidier avec leurs tali·
bé et recueillaient des élèves sur place ; dans les villes ceux-ci mendient leur
. entretien et celui du marabout. Il faut toutefois reconnaître la faible importance
numérique et économique de ces migrations favorisées par la connaissance du Coran
et de l'écriture arabe.
De la nature et de l'intensité de la scolarisation dans la zone enquê
tée, il est possible de faire les remarques suivantes :
- L;école administrative en Erançais est faiblement fréquentée en zone
rurale et tout particulièrement à BOKHOL. L'infrastructure scolaire plus considé
rable de DAGAIu\ n'explique sans ~oute pas toute la différence. Les jeunes ruratL~
sont moins disponibles que les enfants de commerçants, de fonctionnaires pour nes
études qui excluent la participation aux travaux agricoles. L'on doit ici ~0ter que
la plus forte ét plus ancienne scolarisation administrative obsel~ée à DAGANri
co~ncide avec un passé migratoire moins chargé ct plus récent. Mais le migrant
scolarisé accède plus facilement à la fonction publique et 17avantage des habi
tants de DAGANA est ici sensible 18,5 %des travailleurs migrùnts sont fonc
tionnélires pour 5 % seulement en zone rurale.
Il existe J.e m~e une ne"tte discrimination sexuelle pour l' accés à
l'école: 2 %des femmes seulement suivent ou ont suivi l'école administrative en
zone rurale contre 7 %d'hommes. A DAG~NA les pourcentages sont respectivement Qe
17 %et 34 %. Dans les deux zones, la scolarisation des femmes est plus récente,
ainsi dans les (~e"l1.X villages de BOKHOL et t1c Glill toutes celles qui ont fréquenté
l'école ont moins de vingt ans.
li. Di\GllliA l' avnnc<=: d~ l' enseignement en frùnçëds s'obtient QU prix
d'un re~ll de l'école cordnique, m~is il est encore habituel ~c confi~r dès It~_
ge de sept ans le jeune garçon au m~rùbout pour l'instruire des premiers rudiments
du Cornn et ensuite de l'inscrire à l'école administrative. Cette pratique expli
que une scolarisation assez tardive (la classe modale ,les élèves est de 10-14
ans·). Hais on ne pourr~it pas affirmer, qu'en zone rurale, l' opposi tian des nmra
bouts soitàl'origine des faibles effectifs d'élèves. Il fnut t,::mtefois déplorer
50
un recenseme:nt tASsez défe:ctueux de: l'ér"iucation corr:miquc des jeu1'le;z t,:-.J.ibé, <::0:-..'_-.. ........-...rence qui surév2.lue la proportion (le jli::unes tigés '}c 8 à 14 ans qui ne sont jLlJJlais
allés à l'école.
On peut rapprocher, surtout à DAGANA, la légère sous-scolarisation
des anciens serviteurs ct leur plus forte propension à migrer. Hais quelques ré·
serves doivent être opposées à la véracité des informations ~ecuei1lies auprès
0es chefs de quartie~ (40) quant à la condition des immigrants. Les fonctionnaires,
ouvriers •• ! non originaires de l'escale, qui sont les plus soucieux de la scola
rité de leurs enfants, ont été supposés nobles.
Bien que l: enseignement en français diffuse une i(léologie qui valorise
la vie urbaine, facilite l'obtention de maints emplois salariés, il est difficile
de conclure, à partir des résultats précédents, à une influence quelconque ne la
scolarisation administrative sur la fréquence et l'intensité des départs. Un an
cien élève accèQc, mais pas toujours plus aisément, à d'autres t)~es d'emploi,
c'est en cela que l:école modifie sensiblement l'éventail des activités exercées
par les migrants d1une zone à llautre.
3.5. AUTORITI;;S PARENTALES ET MIGRATION,
Les caractéristiques du migrant précédemment nécrites s'appliquent dans
la majorité des cas à des individus qui subissent dans la société de départ l'au
torité du doyen ou du borom keur. La fuite de cette subor0ination est présentée
comme un des mobiles principaux de la migration. Cette analyse, qui tenr1 à occul-·
ter l'intérêt et le choix du patronat en faveur d1un certain type de main d'oeu-
vre, suppose, pour être confirmée: 1·
LI actualité de la dépendance dES cadets envers: les ainés, savoir si la
pénétration marchande et capitaliste n'a pas consolidé le pouvoir des seconds et
développé les conflits potentiels au sein de la sociét~ traditionnelle.
- La véritable capacité libératoire de l'émigration rurale compte tenu
des nouveaux rappm.'ts de production imposés au migrant et de la perpétuation
éventuelle des rapports d'aînesse au sein de la communauté urbaine.
(40) : La caste qu'il est impossible de 'demander aux intéressés (ils déclarent
tous être nobles) fut à BOKHOL et GAI!: receuillie auprès des chefs de village.
La mobilité des habitants de DAGANA rend cette connaissance plus incertaine et
·sauf pour les maures haratine, la caste des immigrants est généralement ignorée.
Traditionnellement la relation cadet-aîné est la pierre ~gulairc do
llorganisation économique, le doyen - le plus vieux producteur - assure la pé
rennité du cycle d1avnnce -- restitution de la production agricole (~~ILLASSOUX
75.). Dans ce cycle le cadet est redevable à l t aîné de la consommation de sa pé-
l'iode improductive, il participe à la culture du champ de mil collectif sans
disposer immédiatement du produit, il doit parfois attendre un ~ge avancé pour
que le doyen lui attribue une épouse. Sa dépendance est ~ertaine car célibataire
il est incapable de former une unité de production~gricole autonome.
Toutefois, compte tenu des règles de commensalité, des transferts de
travail importants en faveur du doyen ne sont réalisables que si celui-ci peut
échanger (par le commerce et Itartisanat) des biens vivriers en monnaie ou en
biens durables. C ~ est ainsi que la traite ou les rapports marchands ont fré
quemment mené à la détérioration de la condition économique du dépendant. ROCHE
TEAU (75) observe une telle évolution chez les wolof du bassin arachidier : où
la culture marchande a modifié le statut du cadet célibataire en celui de surga
.travailleur dépendant étranger à la famille au point que désormais ce terme dé
signe chacune des deux conditions.
A GI\E, nous avons vu. que la p~che marchande a contribué à maintenir _
les rapports de production traditionnels et notamment la subordination des cadets
envers ceux dé leurs aînés qui possèdent les biens oe production : filets et
pirogues. Ltorganisation des campements de pêche se réalise. selon une parti
tion des producteurs : le doyen reste au village, assure et contrôle la produc
tion vivrière et les cadets pratiquent la p~che marchande à partir de campements
localisés sur les berges du fleuve. Le revenu est centralisé par le doyen qui
effectue le partage.
De môme, très récemment, la première campagne de culture irriguée
laisse deviner l t émergence d'une plus·-value appropriée par le chef de famille.
Les célibatë\ires ne peuvent accéùer à la culture indépendante cPune parcelle
car le groupement est constitué à partir des cellules productives minimales :
les ménages. De plus l'organisation de la production au sein du groupement obli·
ge à un travail collectif auquel chaque ménage est tenu de participer identique-
ment quelque soit sa taille. De sorte que l'intensité du travail des membres de
chaque ménage varie selon leur nombre. Certains célibataires des ménages les
plus nombreux doivent trouver à stemployer hors de leur parenté immédiate, ou
émigrer. Déjà certains jeunes se plaignent dtêtre amenés à accepter ~ne sorte
de contrat de location de leur force de travail pour la durée du cycle produc-
tif et d'être ainsi relégués à. une condition de saisonnier agricole.
Mais cette tendance juste ébauchée est postérieure à notre enquête.
Dans le cas général d'une production céréalière articulée aux migrations, ~t
sans vouloir p~éjuger de C8 qu'elle était pendant la période marchande du siècle
dernier, la dépendance du cadet paraît consinérablement réduite dans les cas
où il n'est plus indispensable au travail agricole. S'il est présent et parti
cipe à la production collective, il peut généralement disposer d'une parcelle
qu1il cultive et dont le produit lui revient. Les aînés ne contrôlent plus guè-
re la circulation des femmes. La dot - en monnaie ct habits -, fixée par le
pouvoir religieux et· versée au bénéfice de la jeune épouse, est à la charge du
célibataire toutes les fois que celui-ci est en mesure de la payer. Les parents
ne disposent plus que d'~ droit de veto, rarement exercé ct toujours dans des
cas précis, le choix de la jeune fille entre les divers prétendants est finale
ment assez libre. Il est tout de même certain qu:en cas de conflit ou au moins
d:insubordination, l'autorité du chef de f~ille est appuyée par lj solidarité
des notables. Hnis 1 1 organisation normale de la production par le chef de carré
ne para1t pas être vécue comme une contrainte très lourde pur les jeunes.
Il n: est évidemment pas certain que les rapports de production capi
talistes auxquels est soumis le migrant constituent un mieux ~ésirable;la dé
pendance économique et politique de l'apprenti, de llouvrier nlest pas une
libération, elle n'est en tout cas pas valorisée dans le discours des jeunes
migrants interrogés.
Le durcissement des rapports d'aînesse observés par SAMUEL chez les
travailleurs s oninké en France ne se retrouve pas chez les migrants t'l.e notre
échantillon. La raison de cette différence réside essentiellement dans les con-
ditions particulières d1accés au travail salarié en France. La distance, les
réglementations, les filières clandestines et les escroqueries qu'elles susci
tent, en renchêrissent considérablement le coüt à un point qu 1 il ne peut nor
malement plus être financé à partir de la zone de départ. La charge en revient
donc aux actuels migrants qui financent leur remplacement et acquièrent ainsi
les moyens de leur pouvoir sur les nouveaux arrivés. Même si le discours qui
soutient cette domination est emprunté aux rapports d'aînesse de la société
d:origine, il s:agit là surtout de rapports d'antériorité dans les migrations
le paysan dépend du migrant installé pour réussir son insertion dans le système
capi taliste et sa libération paSsera par le financement d :une nouvelle migra
tion. On devine là le mécanisme d'auto-reproduction d'un flux migratoire qui se
nourrit des réglementations destinées à le contrôler. L'inflation du coût d'accès
53
au travail salarié en France augmente l'efficacité ne la domination ~es p~emiQ~~
migrants. La reproduction élargie de cette dernière et partant du flux migratoi
re, est déterminée par la capacité du migrant à financer de nouveaux départs
dans sa famille ct pas seulement son remplacement •. On comprend alors que la sé
vère organisation des foyers de travailleurs émigrés est imposée dans le but
d'assurer la pérennité des restitutions en faveur des anciens migrants de retour
au village. Elle est respectée car elle profitera à ceux qui aujourd'hui la
subissent, elle l'est d'autant mieux que les rapports d'antériorité danS la mi
gration fonctionnent à Itinstar des rapports d'aînesse selon un cycle d' avance
restitution dont l'idéologie a pu être immédi~tement utilisée.
L'accès du paysan wolof. au travail salarié dans les villes sénégalai
ses ou mau~itaniennes' est évi~emment beaucoup moins coûteux, plus facile. Le
coût du déplacement est négligeable, mais celui du châ~~e peut ~tre considéra
ble. En fait, de la majorité des biographies :r::::cucillies auprès rles migrants, il
ressort que presque' tous bénéficient d~ l'assistance d'un parent citadin ou ac
compagnent un migrant lors de leur première migration. Ce phénomène contempo
rain, suppose un ardent flux migratoire ancien qui a permiS l'installation des
unités familiales d'accueil. Les migrations urbaines temporaires puis définitives
se sont peu à peu constituées à partir des migrations de culture vers le bassin
arachidier.
Il est surtout important de savoir que ces solidarités familiales sont
réactualisées chaque année à l'occasion du Gamou de village. L'évolution du con
tenu de cette fête est du reste significati~~~1,cs pouvoirs poli tiques qui se sont
succédés dans le \'taalCOl.1e Gamou était à 1;origine une fête pa'1.enne où les badoo
10 et les aristocraties guerrières manifestaient leur allégeance au Brak par des
cadeaux et redevances; avec la disparition du pouvoir guerrier et llé~ergenee'
du pouvoir marabout ique, le Gamou devient une fête sacrée commémorant la naissan
ce du prophète. Cette préoccupation religieuse n'a pas totalement disparu mais
cette fête est désonnais èt principalement l~occasion d'un retour massif de la
majorité des migrants au vill~e ; retour collectif qui prend l'aspect d'un long
cortège de bus et voitures louées dont les haut-parleurs tonitruent. des ch~~ps ~e
ligieux. -ette visite est l' occasion d~ échanges soc:iale'.'1ent" importants ent•.,c mi
grants et paysans. Les premiers repartent avec du mil, du charbon de bois et sont
reçus somptueusement par rapport au quotidien frugal du paysan.
Les citadins sont venus avec 4es vêtements, des denrées alimentaires
du commerce, de l'argent. Pour le chef de famille ces dépenses ont un car~tère
54
impératif. Il sCendettera au besoin pour réponrlre à l'hospitalité que ses parents
attendent de lui, car les liens quCil consolide rie la sorte sont indispensables
à l'obtention d'une aide monétaire quCil sera susceptible de solliciter lors
d'une visite, mais aussi à l'insertion de ses 0épendants dans le lnode Qe produc
tion capitaliste. Très fréquemment, et de plus en plus maintenant le jeune mi
grant est envoyé par son père, son oncle dès qu'il est en ~ge de travailler, chez
un parent ou chez un migrant du village. Celui-ci l'hébergera, aièera par ses
relations urbaines à II obtention d'un emploi, à son apprentissage. Sinon il part
avec l'accord paternel car en cas Qe conflit il ne pourrait bénéficier des soli
darités parentales, puisque celles-ci convergent normalement vers l'aîné. Sn
dCautres termes les échanges du Gamou canalisés par le chef de famille donnent
à celui-ci le pouvoir de faciliter et surtout 'le contrôler les migrations de ses
dépendants. Ce mode de migration est confirmé par deux observations. Nous n'avons
tout d'abord pas pu déceler la présence ~'un autre réseau de soliiarités qui se
serait constitué en-dehors de l'autorité parentale sur la base par exemple de,
classesd'~ge. De telles coopérations existaient quelquefois entre navétanes :
quelques compagnons se garantissaient mutuellement contre les risques ne mala
die pendant la culture <le llarachide. A. DIOP signale le rassemblement de migrants
toucouleur en suwlu où les risques de maladies, de chômage, certaines dépenses
étaient collectivisées. NOus n'avons pas observé de telles soli0.arités chez les
migrantsuaal~aabetil semble bien que les suudu toucouleur. se soient consi
dérablement raréfiés.
D':·:tre part, l'hébergement offert bénéficie indirect~nent au chef de
la famille villageoise. Outre une éventuelle participation au frais d'entretien
ct sauf slil emploie directement le migrant, llhôtc n'effectue pas de prélèvement
sur les gains de son protégé. Ceux-ci sont remis principalement au chef de fa
mille, accessoir~nent à la mère et quelquefois aux soeurs du travailleur.
Finalement, l:autorité de l'atné sur le cadet migrant passe par le
contrôle des solidarités familiales, celles qui ouvrent l'accés au travail sa
larié. Tant qu'il dépend de l'hospitalité familiale, le cadet demeure indirec
tement sous l'autorité du chef de famille et lui remet une partie àe ses gains
monétaires, lesquels, valorisent la production agricole investie '~ans son
éducation. Son émancipation viendra avec l'obtention d1un emploi stable per-
mettant la constitution d'un ménage et d'une cellule ' pour c1e nouveaux--migrants. Mais plus fréquemment à la suite d'échecs répétés, le retour défini-
tif en zone rurale amène l'ancien migrant à produire à son tour, dans le cadre
domestique, une force de travail qu:il destine au travail salarié pour conser
ver le lien avec l'économie marchande.
Tabl~au 15. RAJ.~G D'AINESSE ET srmATION œ REsrœNCE.
~~:i~~~~=f::~:::--:=:- <.Migrant Voyageur
Rang "" . .Défini tif &
d'aînesse "" !Elève
.... .-_...::.-,,;....--<-_.._-_._-1--. _.-
Frère aîné du !'1 83 toi 4 % 13 el -
lignL," t-
segment del
Frère cadet 1 5~..' 13% 21 01 7 %,. t-
Frères de rang 45 el 16 % 33 % 6 %I~
trois et plus
!Ensemble 1 67 % 10 % 20% 3 %<____..__1___._.<__<.____ !........_- -
Tableau 16. RANG D'AmESSE ET PASSE MIGRATOIRE •
-.----- _..._-....... -< ..•..._...•. ..~ .. _." .......--...................--_..._j.4.000_...-
~emi- Agegrat:iOns 0 1 2 3 TOTALmoyen
et plus~~
-Frère a!né du
57 0/ 26% 9 % 8 % 100 % 59,7/0
segment de lige
Frère cadet 29% 44% 12 % 15 % 100 % 4;,2
Au tres .fr~res 41 % 38 % 10 % 11 % 100 % 34,5
Ensemble [46% 33 % 10 % 11 % 100 % -
56
Conformément à lfatomisation des unités de production, les relations de
dépendance maintenues au cours de la migration, ne SI appliquent p:dncipalement
(41) qu'entre le père et ses enfants~ Même si plusieurs ménages cohabitent au
sein dfun seul carré, leur autonomie respective dans la production agricole fait
du père le seul responsable de l'entretien des futurs salariés et le seul avec
ses épouses à en attenrire une rémunération, aussi minime soit-elle.
Pourtant, sans tenir compte de la séparation effective des chefs de mé
nage, on constate aU sein des segments de lignage une plus fort.::; proportion
d'absents chez les frères c~~ets ou doyen: 85 %des a1nés sont présents contre
45 %de leurs frères de troisième rang et plus. Ce fait ten~rait à confirmer la
capacité libératoire de la migration qui F~adoxalement s'appliquerait à des
chefs de ménage généralement indépendants. Il est vrai que c1est à la mort du
père, quand le statut du borom keur échoit à l'ainé des frères que les tensions
risquent d'apparattre entre ceux-ci, néannmoins dans ce cas, la segmentation
serait la voie normale de résolution des conflits. En réalité, les chiffres re
prorluits dans le tableau ne permettent pas de justifier une telle analyse.
Car ce qui distingue avant tout des frères de rang différent c1est,
outre leur situation matrimoniale et économique, des âges moyens éloignés et leur
appartenance à des générations plus ou moins. anciennes. Lfâge moyen èes frères
de troisième et quatrième rang est de 34,5 ans contre 60 ans pour les doyens.
'. L'effet d'~'e- la probabilitéd'un départ décroît avec le vieillissement - et
l'effet de génération-- les générations anciennes étaient globalement moins ex
posées au risque de migrer - sont en mesure à eux seuls d'expliquer les diffé
rences constatées dans les comportements migratoires. Ils éclairent également
le fait que les frères de troisième rang se distinguent singulièrement de leurs
frères immédiatement plus vieux (de deuxième rang) par, à la fois un passé mi
gratoire moins chargé et une proportion plus élevée d'absents; plus jeunes, ils
sont plus fortement sollicités par le travail salarié mais ont été également
moins longtemps exposés au risque de migrer.
Indépendamment de cette explication et avant d'analyser la migration en
termes de conflits, il faut remarquer que le doyen du segment de lignage doit
subvenir aux besoins dl inactifs délaissés par le décés de certains de ses parents
infirmes, vieillarns, femmes et enfants de frères décédés. Selon llimportance de
cette charge qu1il ne peut assumer dans une économie marcèandc, le doyen est as
treint à une résidence villageoise. D'autre p'al't sèùl l'usager au tc~'me Ce ,la loi
41: Sauf pour les migrations de pêche et en cas d'accident dans la cellule fami
liale: décés du père, enfants confiés •••
57domaniale peut f~ire v~loir ses droits fonciers, il est donc cohérent que le
doyen,tradi tionnellement responsable des terres familiales et que l'âge rend
inapte à la migration, assure la garde du patrimoine foncier.
Remarquons, pour finir, que le procès de la migration ici décrit, s'il
s'applique à l~ majorité des migrations de travail, souffre quelques exceptions.
Nous avons vu que les premières migrations spontanées étaient dirigées vers le
bassin arachidier, elles ne nécessitaient pas à l'instar des engagements mili
taires d'entraide P~ili~le. Il en est de même aujourd'hui des offres d'emploi
qui émanent des unités capitalistes localisées à proximité de DAGANA. Quant aux
migrations de pêche, elles sont effectuées sous l'autorité même du chef de carré.
Dans ce cas ce n'est plus, rappelons le, le contrôle des solidarités familiales
mais des moyens de production et du vivrier qui consolide son autorité et gêne
la segmentation des c~rrés.
4. TYPOLOGIE DES FLUX HIGRATOIRES
4.1. L'IMMIGRATION.
La composition ethnique plus diversifiée de Dagana laisse deviner une
attraction ancienne. Très tôt, l'escale en partie sous l'administration théocra
tique de l'Almamy ct située à la frontière du Dimar, incluait une population
toucouleur importante qui paraît avoir partiellement émigré vers le Fouta Toro
notamment pen~ant les luttes d'El Hadji amùr(42). Il est 1ésormais difficile Je
faire la part des réminiscences de cet ancien peuplement ct de l'inunigration
récente. Celle-ci n'est certainement pas négligeable car 41 %des Toucouleur
résidant à Dagana n'y sont pas nés. Il est par contre possible de situer plus
précisément dans le temps l'immigration maure. La présence des nobles mbeidane
coïncide avec l'essor de leur activité principale: le commerce; quant à la fuite ~es
captifs haratine, elle ne sera protégée qu;à partir du début rlU siècle (43).
Elle nourrit depuis cette époque un flux important et continu orienté principa~
lement vers DAGANA ( 68 %de l'immigration hartania totale ).
Restent la mobilité moins spécifique des fonctionnaires, l'immigration
matrimoniale des femmes, l'apport des salariés de la C.S.S. et ùes travaux d"amér
nagement qui contribuent au flux général mais dont il n'est pas commode d"éva
luer précisément 11intensité respective. Le seul indice disponible - la propor~
....... (42) Déjà. en 1852, le commandant du fort no te que DAGANA: " •••qui es t fort m~lé,
habité qu'il est par des Noirs du Waalo et du Fouta, par des Toucouleur et par
des Peulh, dont le plus grand nombre, il est vrai, vient de partir ces jours
derniers." Arch. du Sénégal; 13 G 100, mars 1852.
(43) Rapports périodiques, DAGANA 1924; 26-24-52. Arch. du Sénégal.
Grapb.3 Proportion depar âge pour
non nés dans le village parl'ensemble de la population.
sexe et
..'...•.. F,
.'.,,,,,,
,"
8
10
10 15
1' .
EthnieWolof Maure !<Quœultur Autres 'tOTAL
Village, i
BomOL 95 ., 5 % 100 %"',,-- " ,
'1AE 98 % 2 % 100 %
DAGANA 64 %: 21 % 12 % 3 % 100 %
- :
E1'f"S8M8Œ 1i % 14 % 7 % 2 % ,100 %
59
tion d'individus nés hors du lieu de résidence (44) à la date oe l'enquête
n; autorise pas le calcul d'un taux annuel. Plus grave, il amalgame dies individus
aux motivations Bdgrat6ires non comparables: enfants nés pendant la migration d~
leur mère, mutations de fonctionnaires... D'autre part, l'immigration n'es t pas
saisie dans sa totalité; les salariés et fonctionnaires temporaires non-inscrits
sur le rôle de l'impôt, les inunigrants de passage échappent partiellement au re
censement.
Ces réserves faites, les données confirment l'attraction exercée par
l'ancienne escale qui recueille 81 %de la totalité des immigrants recensés dans
°la zone ( soit 22 % de sa population totale contre respectivement 9 et 7 %pour
BOKHOL et GAE). Pour chaque village la répartition par ~ge et par sexe des non
nés dans le lieu de résidence permet d'établir sommairement les circonstances et
les ~otivations individuelles qui ont conduit au déplacement. En réalité, toutes
les personnes nées hors du village n'ont pas à proprement parler subi l' attrac
tion de DAGANA. Ainsi ~5 %d'entre elles sont les fils et filles de femmes pour la
plupart originaires des villages enquêtés et sont donc nées pendant la migration
de leur mère. Ce type particulier de migration n'a aucune incidence démographique
puisqu'il n'existe que par la mobilité des parents dont la progéniture appartient
de fait à la population enquêtée. Pour le reste, les individus nés hors du lieu de
résidence se répartissent entre:
- Les épouses qui ont accompagné leur conjoint immigrant et les fell'mes 0"
de l'extérieur ( 20 %du total) mariées à des résidents. Il est possible de se
faire une idée (~e la part respective des unes et ~}es autres à la lecture du gra
phique. On y constate que les proportions d' immigrant9 sont à partir de 20 - 25
ans trés supérieures aux proportions masculines. Cette différence évoque l'impor
tance relative de l'exogamie territoriale ( 45 ). L'écart croissant avec l'~ge
découle pour une part de la polygamie, mais aussi de l'attraction récent~ que les
centres urbains exercent sur les jeunes femmes. Les chiffres laissent en effet
supposer que l'immigration matrimoniale était auparavant plus importante.
- Les enfants confiés le sont plus volontiers à DAGANA et viennent gonfler
de quelques 11 % le flux totàl. L' infrastructu:':"'c scolaire plus complète de la vil
le n'est pas seule responsable de cette polarisation car ils sont nombreux à être
acceptés pour l'aide familiale qu'ils procurent aux ménages. Les élèves de l'éco
le coranique travaillent sur les champs de leur marabout à moins que leurs pa
rents puissent offrir laal.:mt:l'L!pa)~He· de leur travail en argent, les jeunes fi1.
les sont placées pour ce qui est en fait l'apprentissage de la domesticité.
Pour les parents, confier un enfant de la sorte procède fréquemment de la néces
sité d'alléger la charge des consommateurs au sein de la cellule domestique ou
d'atténuer un déficit vivrier. L'importance des revenus salariaux et commerciaux
à DAGANA évite à certains ménages une telle obligation et leur permet d'accepter
la garde des enfants confiés, d'autant qu'une scolarisation étendue dans'les éco
les adminis tratives les prive de l' ai(~e familiale de leurs enfants.
(LJ4) Indice peu orthodoxe dans la mesure où la population de référence - natifs
60
- Les actiEs ~élibatai~es~ protégés par un chef de famille culti
vateur ou salarié pour lequel ils travaillent avant d'~tre émancipés par le
mariage. En économie strictementvivriè~e ce mode d'insertion est Er~~ucnt pou~
le jeune étranger qui ne peut composer à lui seul une uni té de production indé
pendante. Dans l'économie marchande qui domine à DAGANA, le statut traditionnel
de surga peut occulter de réels rapports capitalistes; des fonctionnaires, des
commerçants acceptent plusieurs ''protégés'' au pair afin qu'ils travaillent sur
leurs champs, leurs plantations, dans leur commerce. Les surga forment avec les
travailleurs salariés recrutés à l'extérieur ( passablement omis par l'enquête)
environ 8 % du flux total d'immigrants.
- Le reste, soit 16 %est défini négativement par rapport aux catégories
précédentes. Ce sont des femmes de l'extérieur maintenant veuves ou divorcées,
quelques célibataires indépendants, mais essentiellement des immigrants établis
avec leur famille. Ils constituent Rvec les surga le noyau actif de l'immigration
motivée par l'activité économique de DAGANA. Les deux tiers viennent de Mauri
tanie, le reste du Fouta Toro. et des villages limitrophes, ils sont~ous d'O~~
gine rurale.
En somm~DAGANA attire un paysannat peu apte à la migration urbaine,
tels les Maures haratine de la rive droite (46), mais voit en même temps ses
résidents partir en nombre vers les villes car sa population reste en majorité
paysanne. Pour un ét~anger qui n'a pas toujours accés aux terres de waalo, les,
cultures sous pluie doivent être complétées par des activités rémunérées (arti-
'. sanat;, travaux à la t~che••• ) que seule la circulation monétaire, de DAGANA auto
rise. Mais la situation n'était pas jusque:-là favorable à une immigration mas
sive. Le taux d'immigration de 4,S'%'qüculé à partir des deux relevés administra
tifs successifs de 1970 et 73 et cité dans la "Monographie de la ville de DAGANAII
semble gonflé par une meilleure qualité relative du dernier recensement. Celui
ci préparait, d~s l'esprit des habitants, l'attribution des futures parcelles
aménagées, il était également destiné à répartir les vivres de secours, son e~
haustivité devenait dés lors meilleure que celle des précédents rôles fiscaux
fortement sous-estimés. Il est vraisemblable que les récents aménagements hydro -
de la zone plus immigrants - n'est pas concernée par les événements qui y sont
rapportés.
( 45 ) Il ne s'agit Ras d'une correspondance n~érique_exacte à cause, entre au
tres, de la polygamie et de la proportion d'immigrants célibataires; elle repré
sente plutôt ce que serait l'immigration matrimoniale en l'absence d'immigration
économique.
(46) Etrangers au Sénégal, serviteurs en Mauritanie, ils ne bénéficient pas des
solidarités urbaines qui facilitent la migration, de plus et de par leur caste
( les rapports de servitude sont encore vivaces sur la rive droite) ils ne peuvent
associer la prodw:tion vivrière à la migration à l'instar des paysans waalo-waalo.
61
agricoles, les activités industrielles et commerciales qu'ils suscitent vont in
tensifier ce flux d'immigrants et partiellement contenir l'é.:ligratioèl ils C0n·
tribueront ainsi à la croissance démographique de l'ancienne escale.
4.2. tE S MIGRATIONS MATRIMONIAIES.
Nous avons déjà souligné que ltémigration définitive - et par consé
quent l'émigration matrimoniale - est mal appréhendée dans les enquêtes ayant
choisi le carré comme unité primaire. Le recensement généalogique évite en partie
un tel biais, mais un chef de famille tend toujours à omettre les personnes qu~
bien qu'ayant résidé par le passé dans la concession, n'y sont plus normalement
présentes. Il apparut ainsi que celles des soeurs et filles du chef de segment
de lignage qui avaient quitté le carré étaient en partie oubliées sans qu'il soit
possible de savoir si la sous-estimation portait principalement sur les femmes
mariées dans le village ou sur celles mariées à l'extérieur (47).
Il n1y a pas à notre connaissance d'endogamie territoriale volontaire
au sein du village mais seulement diverses règles matrimoniales qui ont contribué
à sa pratique de fait. Autrefois l'habitat, concentré pour des raisons de sécuri
té, formait des villages de taille suffisante pour que les horrones n'aient pas à
rechercher le~rs épouses à l'extérieur'. Du res te, les rapports avec les ethnies
voisines étaient fréquemment hostiles. Mais c'est essentiellement la pratique des
mariages préférentiels qui l'cnforça l'endogamie spatiale. Selon la coutume wolof,
l'alliance avec la cousine croisée, paternelle ou maternelle, était la plus appré
ciée j aujourd'hui l'islam et la généralisation de la filiation patrilinéaire ont
imposé la bienséance du mariage avec la cousine parallèle. D'autre part, et compte
tenu du peu de relations que les serviteurs entretenaient avec l'extérieur, les
interdits matrimoniaux attachés aux castes serviles ont également contribué à
(47) : Cette constatation résulte de l'observation d'une différence systématique
entre les effectifs de femmes (filles, soeurs, nièces des informateurs) mariées
dans le village et les épouses nées d~ le village alors que la taille de l'é
chantillon laissait supposer une égalité grossière. La même population de réfé
rence n'a donc pas été utilisée dans le calcul d~s proportions d'immigrantes et
d'émigrantes j (lans le premier cas, l'effectif des épouses' non -nées dans le villa
ge a 'té rapporté à celui de toutes les épouses, pour le deuxième rapport, le
nombre des femmes mariées hors du village a été rapporté à l'ense~ble des filles,
soeurs mariées (les épouses des hommes du lignage étant exclues) de la population
totale.
62
l' <èbscnce '.:12 migrùtiüns matrimoniales. Traditionnellement un homme refusait de
donner sa fille à un étranger quand celui-ci ne possédait pas dans le vill~gc lOG<
y terres susceptibles de P.1>~yoir à la subsistance de sa future famille (48).
Seuls las dépld~ements ouvraient les aires matrimoniales; aujourd'hui
encore les échanges de femmes avec les villages limitrophes s'effectuent entre
parents, avec les descendants de familles migrantes. Désormais l'ampleur remar
quable de l'émigration matrimoniale vers les villes "est à rapprocher de la fré
quence des migrations masculines Ge travail. Les femmes non scolarisées ou au
mieux formées à l'école cor~ique ne peuvent que très difficilement accéder aux
emplois salariés, celles de notre échantillon n'exercent pratiquement que des
travaux ménagers très faiblement rémunérés. Dépendante des migrations masculines,
la femme se déplacera à la demande de l'homme en tant que mère et ménagère, elle
reste donc assignée aux t~ches pratiquées en zone rurale. De cette mobilité, l'é
pouse ne retire aucune rémunération car sa production n'est pas marchande. C'est
justement parce que la préparation de la nourriture, l'éducation des enf~ts
échappent à la sphère de la production capitaliste que ces migrations féminines
ne sont jamais comprises comme des migrations de travail et par conséquent sou
vent négligées dans les enqu~tes. Elles sont pourtant d'une incidence considéra
ble sur :
1) le coftt monétaire de la force de travail du migrant puisque celle- .
ci est alors reproduite hors de l'économie domestique;
2) sur le taux de natalité en zone rurale qui se trouve réduit par
rapport à ce qu'il serait dans le cas de migrations tournantes. Il est donc utile
de regarder les faits concrets qui motivent cette participation des femmes aux
flux migratoires.
La situation objective du migrant demandeur de femme est ici déterminante
puisque 58 % des femmes mariées à l'extérieur le sont avec des hommes de leur vil
lage. Deux modalités sont également courantes : ou la femme suit un mari, ancien
cultivateur, dans son installation urbaine, ou bien elle est demandée en mariage
par un migrant. Pour ce dernier, le village d'origine demeure une aire matrimonia
le privilégiée: 63 %des migrants temporaires et définitifs de l'échantillon y
choisissent leur épouse. L'immigration urbaine en majorité masculine crée dans les
villes un déséquilibre des mariables en présence qui peut conduire à une infla
tion de la dot et dans tous les cas rend plus difficile la recherche d'une con
jointe. Au village, par contre il n'existe aucune niscrimination entre les culti-
48 : C'est une des raisons pour lesquelles un célibataire étranger, s'il voulait. ,
s'intégrer au villag~ devait devenir le protégé et le dépendant (surga) d'un chef
de .famille.
63
vateurs et les migrants pour le montant de la dot stabilisé à 25 000 francs par
le pouv0ir religieux (49). Le départ des migrants y a de plus provoqué le d~sé
quilibre inverse, les femmes sont alors particulièrement accessibles d'autant que
l'idéologie du mariage préférentiel est encore largement acceptée. Les jeunes
spontanément valorisent l'alliance avec la cousine alors que nulle contrainte
parentale ne les y oblige: 60 % des femmes mariées à l'extérieur avec un villa
geois le sont avec un de leurs cousins (50).
Ces mariages se trouvent facilités par les parents pour lesquels l'al
liance avec un migrant est nécessaire. On s~llicite du célibataire des envois
d'argent, des cadeaux en nature mais très rarement l'hospitalité, or ~vec le mé
., nage c'est une cellule dl ac ueil~ qui se crée et la prestation du couple,. de na
ture différente, n'en est pas moins importante. 1Ibus avons rencontré des migrants
qui maintenaient leur épouse au village à seule fin de contenir les visites fami-
'. liales, car celles-ci sont pour les parents ~écessiteux l'ultime rccour~ pour ob
tenir de l'argent d'un citadin, le voyage étant financé par un emprunt au villa
ge. Certaines personnes réalisent ainsi par obligation mais d'autres par distrac
tion (les vieillards surtout) de longs déplacements dirigés par la localisation
des parents à qui ils sont liés. On se rappelle que la création et l'entretien de
ces rapports avec les familles urbaines sont pour le cultivateur une condition
indispensable à la valorisation de sa production par le travail salarié de ses
dépendants. Cet impératif est dcminant et l'on comprend que les migrations ont
peu à peu effacé les anciennes classes sociales. Nous avons plusieurs fois enten
du des nobles déplcrer le peu de cas que l'on faisait de la caste et du nom quand
le prétendant avait un bon métier et un bon salaire.
Un mariage ne pourrait pas se réaliser sans le consentement des parents
mais finalement l'indépendance des jeunes filles dans le choix de leurs préte~-
(49) : Contrairement à ce qui sc pratique en pays toucouleur où les griots, l'o
pinion publique obligent le migrant riche à valoriser le cout de san mariage par
la richesse de la valise d'habits; l'abondance du repas; le prix de la dot res
tant inchangé mais Qifférant selon les familles.
(50) : Proportion calculée à partir des déclarations des chefs de famille, il
n'a pas été constitué de généalogie pour constater et évaluer le degrés de con
s anguini té •
64
dants est remarquable (51). Si beaucoup suivent un citadin c'est dans le but ex
plicite d'échapper à la rudesse des travaux agric~lei. Aihsi ~l ~.t E~~qu~~t, D~~i~
pas systématique, que le migrant soit choisi. parmi plusieurs cultivateurs. Quand
la possibilité de ce Ch0ix ne se présente pas, des visites successives à la ville
peuvent permettre la rencontre désirée. Une telle pratique est toutefois moins
fréqueJ.1"i:epou,?> un premier mariage, Iii. jeune fille n'est pas toujours autorisée à
voyager et quelque fois trop jeune pour exercer un choix. D'autre part, la con
trainte parentale, plutôt fQible mais qui varie d'un village à l'autre, d'une
fŒmille à l'autre, est nettement plus souplelors d'un second mariage, après un
veuvage ou un divorce. Pour son union avec un étranger, (42 % des mariages exté
rieurs) la femme bénéficie généralement de la complicité de parents urbains (sur
tout l'oncle paternel habilité à accepter le prétendant) qui servent d'intermé
diaires entre les deux familles. Un tel mariage est plus fréquent pour les jeunes
filles c0nfiées et celles qui trouvent à s'empl0yer comme dnmestiques chez des
fŒmilles urbaines.
Les résultats approximatifs j'epo?tés dans le tableau donnent nnc esti
mation des flux matrimoniaux entre chaque village de l'enqu~te et l'extérieur.
On remarque tout de suite que Dakar, Saint-Louis et le reste du Sénégal sont, dans
l' ordre, J~s premiers bénéficiaires de cette émigration féminine qui apparai t dès
lors plus orientée vers les villes que l'ensemble des 'migrati~ns de travail mas
culines. Pour chacun des villages (DAGANA y cnmpris) l'émigration matrimoniale vers
les neux grands centres urbains représente entre 55 %et 60 %du flux total. Ces
taux élevés sont à rapPTocher des salaires que seules les villes importantes sont
tenues d'offrir afin de couvrir les charges monétaires de l'entretien et de la
reproduction démographique de leur\11eille souche citadine. Le Fauta Tor" accueille
surtout des femmes originaires de Bokhol, cela tient à ce que les habitants de ce
village (en majorité d'anciens serviteurs) ont peuplé des sites assez preches mais
localisés dans le Dimar en pays toucouleur ; les échanges matrimoniaux se c0nti
nuent entre les rlescendants. La Mauritanie bénéficie principalement de l'émigra
tion féminine ne Gaé qui, par s,:m histoire, la localisation de ses terrains de
culture, ses migrations je pêche, échange t0ujours des femmes avec les villages
\ voisins de la rive droite. Toutefois, beauc0up de ces déplacements sont un c.orol
lairc des migrations définitives de pêche qui exigent la présence d'une épouse.
(51) : A l'intérieur d'interdits matrimoniaux dont certains seraient d'un emploi
assez souple pour les parents qui voudraient interdire le mariage : prétendant
connu comme sorcier, issu d'une famille chamailleuse••• mais les cas de refus re
connus par les informateurs sont rarissimes.
Tableau 18. REPARTITION 'IERRI'l'ORIALE œs FLUX KA'mJXlNlAUX •
( pourcentages )
DAGANA G A E BOXH o L
1Emigration EmigrationEmigratio~
II11n i gr iltior Irmligration Ill'I'I'ligration
Zone
d'enqu!te - 5 4 2 4
. Fouta -
Toro e 10 1 2 9 12
r-
Delta 1 6 3 6 4
Saint - 6 2 14 2 10Louis
..
Dakar 10 7 23
1Autre f
5ênégill 5 1 1 7 2
Mauritaniil!& 3 5 7 4 2 2
Etranger
'IUTAL V % 29 % 31 % 8 % 59 % 23 %
Tableau 19. PROPORTIONS DE CELIBATAI\ES PAR VILLNIS :-:T PA1 SEXE •
HOHMES È'''EMMES
BOl;.110L
AGE
50 - 59
différencedl~ge entrépoux
o
9,96
67
Grosso modo les habitants de Dagana donnent autant de fenmes quI ils en
reç:ivent, le solde: es t par contre nélgatiJ? pour les l'.1eux villages ruraux. Gaé
contient tout de mêm~ plus efficacement le départ de ses femmes par la plus gran-
....... de aut0ri té de ses ainés et conformément aux impératifs ,~lC la pék:hc. C; es t aussi
la nécessi té de composer le plus rapi(~ement les campements autonomes qui fait
qu:elles sont en m:)yennc mariées beauc:-:up plus jeunes qu'à B0khol et Dagana (16
ans et 1emi contre 20 ct 22 ans). Généralement il existe une relation entre le
coefficient r~e polygamie, le solde matrimonial et la différence moyenne d'~ge
entre époux. A l'intérieur d;une aire matrimoniale, si l'on suppose une courbe
de survie sensiblement identique pour les deux sexes, l'écart d:âge entre les
conjoints se creuse avec l'augmentation du coefficient èe polygamie. Si le déficit
s'amplifie parce quI elles sont plus nombreuses à'choisir un étranger pour époux,
la même différence d\~ge prendra encore ne l'ampleur. A Bokhol, la polygamie est
moins répandue qu'ailleurs (tableau 19) et l'écart d'~ge moyen au mariage entre
les deux sexes y est le plus élevé, le plus rural de nos villages supporte donc
le déficit matrimonial le plus plus important.
4.3. MIGRATIG~S DE TRAVAIL.
Sous ce terme générique nous avons regroupé toutes les migrations jus
tifiées par la recherche d'un revenu monétaire, même si ces gains étaient obtenus
dans le ca.Jre d'une unité de production non capitaliste, comme c;est le cas des
migrations de pêche, de culture et de certaines activités rétribuées par la ven
te d'une production para-agricole.
Toutes les migrations de culture (52) sont motivées par une produc
tion marchand~ que ce soit l'arachide ou le riz sur les casiers aménagés par la
S.A.E.D. dans le Delta. Les navétanes tout comme les cultivateUTS:indépcndants.~ui
sedi~i~nt vers le bassin arachidier sont rares de nos jours et au demeurant ab
sents de notre échantillon. Les migrations retrouvées sont des installations an
ciennes accomplies à l'époque où elles étaient encore possibles, plusieurs phéno
mènes ayant contribué à leur disparition. Tout d'aborn , la sécheresse de ces
dernières années a notablement amoindri les espérances de gaiu. à attendre des
cultures marchand;s sous pluie. Conjointement IV installation des coopératives de
village qui assument la commercialisation de la graine, procurent les avances de
semenc~,le matériel ••• conduit en fait à l'exclusion des non-adhérents (dont les
(52) : Nous n'avons évi0emment pas pris en considération les déplacements saison
niers à IV intérieur du terroir, parfois longs de plusieurs mois, qui font partie
des opérations culturales courantes.
68
étrangers au village) du sys tème de profuc tion ou accro'î. t la dépendance du navé
tane envers son patron. Mais surtout les terres étaient autrefois cédées gratui
tement contre une sormne minime Ndalo aux cultivateurs qui désiraient SI installer
pour une saison ou Léfinitivement jor de l!avis général, il serait aujourt1'hui
très difficile de bénéficier d'un pareil accés à des terres qui sont devenues ra
res. Ces pressions foncières ne sont pas tant un produit de la croissance démogra
phique que de l'introduction d'instruments aratoires attelés qui autorisa la .
mise en culture paT les paysans autochtones des terres autrefois concédées aux
étrangers.
L'aménagement des casiers irrigués expérimentaux dans le Delta qui mo
. bili~a···. une population allogène offrit une alternative restreinte aux migra.. '
tions vers l'arachide dont le flux fut principalement détourné vers les villes.
Dans le projet de la S.A.E.D., les villages de culture devaient retenir les migrants
pote~tiels, il y eut bien sÜr quelques établissements définitifs, mais les pay
sans de notre échantillon recrutés par la S.A.E.D. ont conservé leurs liens avec
If économie domestique ; certains cultivent toujours une parcelle de sorgho dans
leur village d'origine. Cette dualité est imposée par les variations aléatoires
d'une production marchande à la technologie mal maîtrisée. Les membres d'une même
parentèle peuvent organiser des roulements pour la riziculture, de jeunes migrants
sont appelés pour les aider. Conformément à leur aspect, ces villages de culture
ne sont, pour le paysan traditionnel, que des campements de migrants.
Nous avons déjà décrit quoique sommairement et de manière éparse, les
migrations de pêche, nous signalerons seulement ici que l'intensité de ces flux
a plut8t été mal estimée par notre échantillon. La pêche est une activité forte
ment spécialisée de sorte qu'une évaluation du nombre des pêcheurs et de leurs
déplacements eût nécessité un tirage particulier tenant compte de cette forte
dispersion. En outre, la mobilité saisonnière est plus exposée aux risques de
défaillance mnémonique que les installations temporaires ou définitives et leur
importance s'en trouve réduite dans notre échantillon où elles ne représentent
que 60 % des migrations de pêche. Ceux des pêche.ars qui désiraient s'affranchir
de la contigence des crues, de l'autorité et du pouvoir du chef de famille ont
dû rechercher dans le Delta, à Saint Louis, dans le reste du Sénégal, voire à
l'étranger la possibilité de pêches pérennes et un débouché marchand à leur pro
duction.
Une migration sur trois est effectuée par un travai~leur indépendant,
il est dans l'ordre, pêcheur, artisan, commerçant ou bien pratique une activité
ancienne maintenant mercantile: maraboutage, préparation du charbon de bois, lut
te, navigation ( aujourd'hui trés rare ). Les commerçants tiennent rarement une
Tableau 20. ENFLeI
Rubriques Fréquences Durée mc~;e."1ne Salaire Proportion
relatives ~!u séjou:' mensuel de nobles
(pourcentage) ( année) ( francs )
PECHEUR 9 2,1 6300 85 0,'I~
CULnVA'IEUR 3 8,8 - 80 %
COMMERCANT 5 2,5 - 27 %
METIERS 0'
5
13,3 12 000 62 %
'!RAD! nONNE LE
,
ARTISAN 7 5, 1 10 200 36 %
-OUVRIER 16 4,8 19 750 59 <Ii
1'>
APPREliTI 0 1 4,2 400 42 %.-1
MA1'I)EUVRE 8 6,7 - 71 %
EMPLOYE 26 3,3 14 600 62 %
FON: nONllAIRE 10 6,0 24 500 50 %
AUTRES 2 4,2 - 66 %
f
ENSEMBIE 100 4,0 - 57 %
70
boutique faute d'ùn capital suffisant, heaucoup ne sont que "tabliers" ou ven
deurs à la sauvette; c'est là une activité peu lucrative, plutat destinée à
adoucir le chômage. La plupart des artisans pratiquent un métier moderne : bou
langerie, menuiserie, maçonnerie, couture ; ceux qui étaient forgerons le sont
restés ou travaillent les bijoux.
L'Etat est le premier employeur du migrant (29 %des migrations to
tales) mais celui-ci n'est pas toujours fonctionnaire; des artisans, manoeuvres,
ouvriers sont recrutés mome~~ément_ par l'Aœninistration ou des entreprises
publiques le temps dfune tâche ou d'un contrat. Finalement le secteur privé em
ploie relativement peu la main d'oeuvre d'origine rurale. Les migrants sont plus
nombreux à travailler pour des particuliers ( respectivement 17 et 22 % du flUx
total) comme domestiques, voire m~e ouvriers;, apprentis. ~ans l'ignorance de
la structure nationale de l'emploi, il est impossible de savoir si cette répar
tition est le produit d'une discrimination en faveur du prolétariat d'origine
urbaine. Les sociétés sont en effet plus efficacement controlées par la législa
tion du travail que les particuliers.
Dans le tableau 20 nous avons désigné sous la rubrique "employés"
toutes les activités tertiaires autres que llajministration et le commerce. Il
en ressort qu'une migration sur quatre mène à un emploi ~e domestique ou de chauf
feur, gardien, infirmier••• , une sur trois à un métier manuel: mécanicien, bou
langer, électricien, plombier, ou à son apprentissage. Les salaires moyens re
produits dans le même table~u etoalculé~ à partir des déclarations du migrant ne
rendent pas compte de l' importante dispersion qui existe au sein de chaque type
d' emploi pour les "employés" par exemple les salaires reçus en 74 (53) varient
de 1 000 à 79 000 francs, la classe modale étant celle des 2 000 - 5 000 francs.
La réusssite ü'une migration est donc très incertaine et les critères de sélec
tion de l'employeur sont ici primordiaux. Il est à noter que dans notre échan
tillon, seuls les fonctionnaires, les ouvriers et les employés accèdent à des
salaires supérieurs à 25 000 francs •.
L'importance et la fréquence des envois d'argent dépendent étroite-
:. ment des revenus rccc:ueillis. Pour chaque type d'emplois il- existe une corrélation
positive entre le salaire moyen et la proportion de migrants ayant effectué un
transfert au bénéfice de l~ur famille. Du fait que le père est bien souvent l'or
ganisateur de la migration de son fils, il est dans la pluralité des cas (50 %)
(53) : exactement pendant la période allant de juillet 73 à juin 74.
71
le destinataire des rapports d'argent.du migrant célibataire. Dans la société
domestique il est courant que le surga laisse à sa mère une partie de sa récolte
personnelle; cette pratique s'est maintenue avec le travail salarié et un don
sur trois est effectué au bénéfice de la mère, du moins tant que le travailleur
n'est pas chef de ménage, car alors, il destinera dans la moitié des cas ses'
gains à la sustentation de sa femme et de ses enfants. Les dons à l'extérieur de
la famille restreinte neviennent majoritaires si le migrant est chef de carré,
celui-ci n'a généralement plus ses parents et doit satisfaire à certaines pres
tations sociales : dons aux pauvres, à ses soeurs, à ses compagnons de da~ra ••
Chômage
Il eut été intéressant d'évaluer les difficultés rencontrées par le
paysan dans sa recherche, d'un emploi sur le marché urbain du travail, savoir si le
" temps de chômage qu'il devait supporter exç.É:daJ.'t:t le taux moyen. Mais il s'est avé
ré que le décompte des périodes d'inactivité était particulièrement peu fiable.
Le migrant est souvent employé à la tache ~~lon t~s durées contingentes diffici
les à mémoriser, d'autre part, le chômage est difficilement avoué ou de manière
très évasive de sorte que certaines migrations ont été totalement et volontaire
ment omises en cas d'échec. Il a toutefois été demandé à chaque migrant la durée
respective èe son travail et de son séjour, le décompte des déplacements pour les
quels ces deux périodes étaient différentes donne un indice très approximatif du
sous-emploi. Il apparait que ce sont, dans l'ordre, les ouvriers, les artisans,
les manoeuvres et les employés les plus touchés. La pêche, la culture indépendante,
les métiers traditionnels, parce qu'exercés hors des rapports de producticn pro
prement capitalistes sont moins ou pas exposés à un tel risque. En calculant cet
indice par lieu de migration, Dakar se présente avant Richard Toll en tête pour
le sous·' emploi qu'elle impose aux paysans migrants.
Destination des déplacements.
Le nombre des migrations vers Dakar et le Cap Vert (17 %de l'ensem-,
ble) est relativement faible au regard de la concentration industrielle de cette
région. Les villes ~oyennes absorbent donc une part non négligeable de l'émigra
tion rurale. Car le migrant exploite en priorité les offres d'emploi les plus
proches. Ainsi la Mauritanie, les villes du Pleuve, dont Saint-Louis, rassemblent
56 %des migrations recensées. Plus que la distance c'est la disposition spatiale
des emplois accessibles aux paysans qui détermine la répartition géographique des
~, migrations. C'est ainsi qu'une certaine spécialisation apparalt d'un endroit à
l'autre, (tableau 21 ). Richard Toll accup{lle autant de pêcheurs que d'ouvriers
Tableau 21. LœALISATION DES MIGRATIONS 5ELmr Œ 1"t1'E D'EMPLOI ( pour 1 000 migrationS )
75
533 21
! 'j14 1 191 T157t j ,
4
34
3
21
10
273
6
4
4
34
2
2
94
38
OUVRl}~R
PECHE
APPRENTI
ME TmRS
TRADITION.
ENSEMBU:
4--------
~-,.-.. RICH~;'- ROSSO - SA~;'~ 'l'HIES DMAR :;~~:tu1 ~TRA.'iGER TOTAL
L__.~~!~~~~~~_~~~~~~~~_S_E_~~G~~~~~~~~~~21 1 6 2 74
---_.- ------+,-----+,-.---- ---.---- .... -'-"'--'-l-~"----'---r-------"'-~ I-~._-
tFOlCTION- 2 :23 6 34 34 1 2 4 105
1._lA_lRE_-I -4-__.....-f._~~- ..._ ..-------.'r----.-- -~.-~--~.~------ ~--~t---
ARTISAN 4 4 17 5 15 13 1 2 9 69
I;------+------+-----l-----+------t--.-----l----.-l---·--+--....,.---+-----f
1 3 8 1 5 17 '1 1 291
J------4-----+-----+---~··-·--+-----+--~-T.j------ ....,·-----i----....
t-
M_AN_œ_UVRE_---!1---_
1_5._-+- +;1_2_5 l- .f__3_4_.....-r 8_~---4--~-_---lI-..-_86-.....jl
i 23 3 29 15 1 52 5 1601 1
t-E_'MP_LO_YE_L'._. __4_ ~4_.3_..-,-!-i._l_1_--t-_.3_0__-~--1~7---.r_-_5~-~._7_-<l-__2_69 _
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'__---1__
3:.,.---+. .__+- ~,_._.3_2_...
1~-~-2-1----19-·-·J--~1-01 16
1 , 1
73
et nlanoeuvres. L'activité agro-industrielle et ses effets induits y justifient
la présence 0es seconds, les p~cheurs y tTotN,,~t la p0ssibilité de pratiquer leur
métier toute l'année, indépendamment des crues, grace à la remontée de la langue
salée (54) et également une demande solvable pour absorber au jour le jour leur
prodUction. L'attraction de Dakar résulte évidemment de la dimension de son mar
ché du travail qui reçoit la maj()ri té des manoeuvres ct des frmctionnaires de no
tre échantil10n. La faible proportion relative d'ouvriers travaillant dans la ca.
pitale rappelle la saturation croissante de son marché du travail. Pour des rai
sons historiques S~int-Louis fut longtemps la destination privilégiée des paysans
waalo-waalo qui désiraient vendre leur f~rce de travail (27.% des migrations re-.
censées) ; mais le recul des activités commerciales et politiques Qe la ville ex
plique qu'elle ne recueille que '3 %seulement des migrations réalisées en 1974.
Les Ilemployés" y sont dl autre part, anormalement nombreux parce que cette ville
recueille 75 %des migrations fémini~ës ; les femmes presque exclusivement em
ployées comme bonnes doivent affronter dans les autres centres urbains la concur
rence de leurs homologues serer et ~iol~. Les activités sont mieux réparties
dans le reste du Sénégal où le paysan trouve plus aisément du travail en dehors
de la sphère de production proprement capitaliste (culture, pêche, métiers tra
di tionnels).
Toutefois, le point important n'est pas là, il a trait au développement
des déplacements vers la Mauritanie. Cette tendance assez récente est concommitante
de If intensification des flux de travailleurs vers la Côte d'Ivcire et la France
à partir des régions centrales et orientales de la moyenne vallée. Cette évolu
tion est à rapprocher du rétrécissement du marché du travail sénégalais. En Mau
ritanie les nationaux accèdent de droit à une partie des emplois offerts par
l'Administration et le secteur privé; cette séleètion réglementaire s'opère bien
souvent au préjudice de la compétence des travailleurs. L'embauche d'étrangers
procure à l'employeur le (~ouble avantage de recruter ses ouvriers sur le seul cri
tère de la formation professionnelle (82 % des migrations vers la Mauritanie sont
le fait d'ouvriers, employés et apprentis) et de n'être pas tenu à verser les
rémunérations offd.cielles réservées aux mauritaniens. De leur côté les migrants
trouvent plus rapidement à s'employer, car de leur propre avis, le chômage y est
beaucoup moins important qu'au Sénégal. Enfin, le prix élevé des produits de con
sommation courante valorise les salaires nominaux exprimés en monnaie CFA et per
met, gr~ce aux gains rapatriés (55), une meilleure rémunération indirecte des
(54) :la langue salée apporte les éléments mi:nér~ norm=.lement·appo:..'t''ss pi:..•~ la crue
_ at qui sont .indisp~ablDs à la c1"oissMè0 ~ poissons. (REISER).,
(5S) :Le contrôle des changes gêne ce rapatriemenc qui doit parfois être effectué
par des passeurs. La perte est alors de 20 %environ.
74
biens vivriers produits dans le cadre de l' écon:Jmie c'l()mes tique. Il es t .f'('Irt vrfd..·
semblable que ce flux va s' amp lifier à l'avenir au détriment des migrations na
tionales, c'est ce que semble confirmer la forte proportion d'apprentis employés
en Mauritanie.
Compte tenu du cont de la vie, des conditions salariales réservées
aux migrants, du contrele administratif de l'immigration, l'émigration des épou
ses verS les villes mauritaniennes est pratiquement impossible. Il est en effet
plus aisé pour un pays d'opposer des mesures discriminatoires envers les étran
gers qu'envers ses propres ressortissants afin de limiter la reproduction mar
chande de la force de travail, c'est là que réside le gain principal d'un recours
à la main d'oeuvre étrangère.
,Chronologie des départs
La constitution d'une chronologie des départs est entachée de l'omis
sion des événements anciens. Po~ établir le graphique IV nous n'avons utilisé
que les informations recueillies auprès des migrants eux-mêmes, mais les oublis
demeurent et sont inestimables. Les déplacements vers le Bassin arachidier et
plus généralement les migrations courtes semblent particulièrement négligées, les
dates sont très souvent approximatives. L'échantillon est d'autre part trop fai
ble pour disposer d'un nombre significatif de départs annuels. Enfin il eüt fal
lu connattre les départs débouchant sur un échec pour évaluer l'incidence des
phénomènes naturels sur .les flux migratoires. Ces réserves rendent incertaine
l'interprétation du graphique IV où toutefois Iron note une recrudescence des
départs pendant les dernières années de sécheresse. Il semble pourtant bien que, '.
le déficit vivrier f~~, mieux compensé par les dons des parents citatins que p.ar
l'exercice d'un travail salarié, rarement immédiat ; d~ les dèux cas il appa
ra1t clairement que le paysan cherche à s'adapter aux viciss i tudes de l' environ
nement naturel par un recours croissant aux rapports de production capitalistes.
L'on peut également faire le rapprochement entre cette augmentation récente des
migrations et l'introduction de matériel aratoire libérant la main d'oeuvre ru
rale.
Autrefois le paysan de cette partie de la moyenne vallée trouvait
plus facilement un emploi rémunéré pendant la saison des pluies quand les mi
grants originaires du reste du pays devaient cultiver leurs champs. Le calendrier
annuel des départs, en ce qui concerne les migrations courtes, confirme cette
pratique. Mais la concentration des départs pendant les premiers mois de l'hi
vernage est de moins en moins discernable car, conformément à la régression des
,~h. 4 1 VARIATlOfI/S ANNUELLES DE LA PLUV/QWETRIE ET DES CRUES A DAGANA
j1970 1915'
11965
1
1lCRUES
2. 11 11
1PLUIES
l-l
mm
1111
11
1
CHRONOLOGIE DES DEPARTS
o
75
50
2S
. ~
·76
migrations tournantes, une telle date. de départ ne procure plus un avantage sensi
ble sur le marché du travail ; de plus en zone rurale, la main d'oeuvre migrante
peut ~tre aisément remplacée par les journaliers, les maChines attslées.
Durée des dép lacements •
Il paraît impossible de donner une distribution exacte des migrations
selon leur durée à cause, d'une part, des omiJ9i~~ déjà signalées mais surtout
parce qu'une migration sur trois n'est pas achevée. Ne retenir les migrations
terminées reviendrait à exclure celles qui ont conduit à une ins tallation défini
tive,généralement plus longues; or ces dernières représentent 13 %de l'ensemble.
NOus avons choisi de présenter séparément la distribution des migrations terminées
et définitives ainsi que d'écarter les migratio~ en cours.
Tableau 22 REPARTITION DES MIGRATIONS SELON LA DUREE.
:0- 6- : 1 an-. 2-4 4-8 8-15 : 15 ans:
:6 mois :11 mois: 23 mois: ans ans ans +:------..------:---,---:-----:---:---:---:------:--:
Migrations terminées : 35 % : t2 % : 14 % : 18 % : 13 % 6 % 2 %:----------:-..-.-:---:---_._.:--:------:----:-._--
Migrations définitives .. - ..18 % 20 % 21 % 41 %
Nous remarquons que la décision d'une installation définitive (56)
n'intervient jamais avant deux ans de séjour et que la distribution présente deux
classes modales. La première traduit l'importance - de moins en moins actuelle
des migrations tournantes, "mais lorsque le paysan peut délaisser ses cultures, il
s'absente volontiers quelques années. Cette conclusion n'est cependant pas indu
bitable car nous verrons que de nomb~eux retours temporaires n'ont pas été décla
rés.
Taux de mobilité
Là encore les biais sys1é.matiques introduits dans la déclaration des
~ges et l'omission de certains évènements vipnnent affaiblir la validité des ré-
(56) : Nous avons supposé l'installation définitive dès le migrant n'était plus
inscrit sur le cahier de l'impet et écartait l'éventualité d'un retour.
77
,sultats. Ceux-ci sont présentés ici à titre indicatif car le taux de tirage est
trop faible "pour permettre une analyse précise du passé migratoire de chaque
groupei; Il serait du reste assez peu productif de concevoir un échantillon plus
considérable avant de pouvoir améliorer la qualité de l'information, ce qui sup
poserait une observation périodique assez longue et un soin particulier dans la
détermination des âges. Plus généralement, la migration est un phénomène pour
l'analyse duquel la démographie est mal armée, chaque évènement modifie les po
pulations concernées de départ et d'arrivée; en ce qui nous concerne chaque ab
sence modifie la probabilité d'un départ dans la population observée. Autrement
dit, compte tenu de la mortalité, de l'immigration et de l'émigration il est il
lusoire de vouloir connattre à tout moment le nombre exact d'individus exposés au
risque d'une migration. Pour cette raison nous avons analysé la migration comme
un phénomène fermé, ce qu'elle n'est pas et procédé au calcul de taux de deuxiè
me catégorie en rapportant le nombre total de déplacements tous rangs réunis à
l'effectif observé du groupe de générations. En n'interrogeant que les survivants,
nous introduisons un biais si la mortalité des migrants et des non-migrants n'est
pas identique. Il n'est pas possible de se prononcer actuellement sur ce point
mais l' histoire offre un exemple de cette" sélection par la mort". Al' époque du
recrutement militaire forcé, les jeunes bien portants fuyaient la conscription,
les infirmes et les malades qui ne craignaient pas l'enralem~nt restaient. Les
non-migrants étaient ainsi plus exposés au risque d'un décés o rI est possible
qu'aujourd'hui la sélection de l'employeur joue dans ce sens pour les migrations
de travail ; les taux calculés seraient dans ce cas légèrement surestimés.
Les taux reportés dans le graphique"" 5 sont calculés pour chaque
classe quinquennale d'âge dans des groupes de cinq générations ; ils ont une di
mension annuelle. Les tf.nmigrants et le ....lrs· t:1tgrr:rt~.C!$ultérieures à leur installa
tion furent éliminés de l'échantillon puisqu'ils n'ont pas été exposés au risque
de migrer aussi longtemps que les autochtones.
Les réserves avancées précédemment rendent incertaine l'interpr~~
tation des tableaux de mobilité, les variations aléatoires importantes ne font
que confirmer l'insuffisance de l'échantillon et de l'information. Deux groupes
de générations présentent toutefois un passé migratoire plus chargé : les indi~i
dus nés avant 19(4 et entre 1930 et 1934. La seule explication que l'on puisse
avancer, bien qu'elle ne soit pas vraiment satisfaisante, rés ide dans le fait
que ces générations d'anciens combattants disposaient d'un accès privilœgié à
certains emplois (police, gardiennage, ••• ).
·1
1915-1919
•
1925-1929
1955-1959
1935-1939
1945- 1949
.. .-;. ....... ~#. • ••
"....., .
'-,-----,.,_ .....p.;;-,...;o
1930-1934
1950-1954
,
1940-1944
"..1 -
1910-1914
1920-1924
nes avant entre 1905-1909
TAUX D'EMIGRATION PAR AGE ET PAR GENERAT/O,VS.homlnes ... femmes.. _
fe
79
Afin d'échapper à toutes ces cri tiques nous avons mesuré la mobilité
du moment qui, bien que plus précise, est entachée dt~~e signification restreinte
puisqu'elle ne concerne que les évènements des douze mois précédant l'enquête.
Les erreurs sur l'~ge demeurent mai~ les défaillances de la mémoire sont limitées
par la briéveté de la période d'observation et l'on peut penser que tous les dé
parts ont été recensés o
'rab. 23 TAUX DE MOBILI'lE DU MOMENT.
(nombre de départs annuels pour 100 personnes de chaque groupe d'~ge)
SEXE
AGE 15- 20- 25- 30- 35- 40- 45- 50
. 19 ans: 24 ans: 29 ans: 34 ans: 39 ans: 44 ans: 49 ans: et +
-------:-,---:------:--:----:--:---:---:----:Homnes
Femnes
10
3
12
1
34
o19
o15
: 0
13
o6
o ..:
oo
Si l'on applique ces taux à une cohorte fictive, la somne des évène
ments réduits (57) donne 5,45 départs (contre 2,6 pour les générations d'avant
1904). La différence tient bien sûr aux omissions, à l'accroissement progressif
des flux d'émigrants mais surtout au fait que les informateurs négligent les re
tours temporaires au village qui sont autant de départs recensés pendant une ob
servation courteo Cet indice est évidel1ll1ent très dépendant des variations annuel
les du flux, une analyse plus riche supposerait la disposition d'une série plus
longue d'observationso
4.4. AUTRES FWX MIGRATOIRES o
Ce sont pour la plupart des déplacements dépendants des migrations
de travail mais numériquement importants. Ils sont le fait de femmes et d'enfants
qui accompagnent les migrants, d'élèves ct de ta1ibé placés à l'extérieur, d'en
fants confiés, de voyageurs, de prisonniers •••
Le tableau 24 res titue ces flux dans l' ensèmble des mouvements mi
gratoires et met en évidence l'importance relative de chacun. Les chiffres présen
tés sont des proportions obtenues en rapportant, pour chaque village et chaque
(57) qui serait égale- :;~ .1y):n:::'re ;1!'::·C:~1 de è~~?::!.l"'::s ?';r 11lCÜ-.j::;c:.u de chaque généra
tion si le calendrier et l' intensi té du phénomène étaient immuables dans le tcmps~._
Ta.bleau 24. ~EFARrrrION DES FLUX HIGRATOIR=:S PAtt VILLAGE ET PAR SEXE.,';:';' ., t 1 1 'u ~ ), ,"In pOUr'ccn-age ";e a pOP"_ atl.on par V1. aqe e~ par sexe
Village1
GAE DAGANA ENSEMBLET.l0KFOL
1"
Sexe
! 11
;:\'p~ 'e mi-Fém.o:r,ation. !~~-=3SC ., F~.m. ; Hase. Fern. Masc. Fem. Hase.
it
" 1!
.,
11
, ,~~i 'F' ;~tions
2', ~ 2,7 10,1 0,6 16,4 1 ,1 15,5 1 t 2 .~ '~e ·::l'.:wail ' l 11
- !r"':i~r;'ations
1
\
l1'at,·imonia.les - ! 22,5 - 8,7 - 5,6 - 8,9j,i 11
! 1~igl'at:ions t
2,9i - -1
- -1
- 0,4 -'::e cultures ,,
1i1 ! !~ig~'il.tions !1 1- i - e,9j - - 1 - 2,1 -,
de pêche 1 j1
1 ; 1...11 !
Nig!'ations 1j !11
~. accompagne i 11
17,5\ment 'i , 1 f 3,8 20,9 4,3 5,1 6,9 9,01 f
1 1
Enfants 1 t
1;
1,6 1 1 0,3 1,6 1,3- - 1 - -confî.és 11
1
Migrations1,11,7 3,2 0,3 - 1,2 2,3 1.9
.Ji ve~"ses
1;
1
1Ne sait pas
1 , 11
1,7 0,2 1,2 0,1- - -
!
TOU'T':;:S ,
MIGl{A:l'IONS 27.8 33,8 36,8 30,5 23,6 15,9 'ZÏ,2 22,4
* Il sfag~t de proportions d'absents pour les motifs d~clafés.
80
sexe, le nombre d'individus concernés par chaque type d'absence à l'ensemble
des hommes ou des femmes du village (pour toutes situations de rési~ence)o
Pour GAE il ressort immédiatement que les migrations d'accompagne
ment dominent tous les autres flux, pour le sexe féminin elles concernent
deux absences sur trois. Cette particularité est une conséquence de la pêche
marchande qui mobilise des ménages entiers ; il est vrai que distinguer entre
migrations de travail et d'accompagnement est à ce propos impropre car les é
pouses et les jeunes garçons participent largement à la production immédiate
(séchage ct vente du poisson).
Dans chaque village, les migrations d'accompagnement sont en ma
jorité féminines car, s'il arrive que le migrant choisisse une deuxième épouse
sur son lieu de travail, aucun homme ne suit sa femme quand elle migre. A l'op
posé, aucun garçon n'est confié chez des particuliers, mais toujours chez un
marabout où il apprend le Coran.
Pour l'ensemble de la population, les flux induits par les migra
tions de travail sont numériquement importants, ils composent 40 %des migrations
féminines ; ils sont notoirement plus conséquents cn zone rurale ( voir graphique
2, page 37) OÙ ils expliquent la pluralité des absences cl' enfants.
**
Pour finir, il semble possible, à partir de l'évolution qui s'ébau
che, de porter un jugement sur la perpétuation des rapports de production décrits~
Nous avons vu que l'émigration rurale ne pouvait pas déboucher, sinon partielle
ment (58), sur un exode rural qui approvisionnerait une fois pour toutes le mode
de production capitaliste et entrainerait la disparition des économies tradition
nelles. Dans la mesure où le migrant ne peut que rffi~ement accéder à des 'salair~s
autorisant"une reproduction marchande de sa force de travail, il doit se replier
sur l'économie domestique et y organiser la production d'une force de travail
qu'il destinera - pour autant qu'il la contrôle - au travail salarié. L'idéologie
répendue à leur retour par les migrants et qui dénigre le mode de vie rural,
idéalise la vie citadine tant par le discours que par des pratiques ostentatoires
( surtout vestimentaires ) contribue à cette auto-reproduction des migrations
tournë..ntes.
(58) L'ensemble des migrations définitives ( 13 % des migrations totàles ) doit
au mieux épongér l'exédent de la croissance démographique naturelle.
81
Mais en dernière analyse,ce sont les discriminations cxe:r'~éc9 à l' C:l
contre (les migrants qui gênent l'exode rural définitif et font tolœner les
migrations. A l'intérieur du Sénégal, le faible ~éveloppement des forces pro
ductives et le chômage conséquent limitent les possibilités d'installation
définitive pour le paysan systématiquement sous-scolarisé. Mais pour une
part - à notre avis croissante - des migrants qui se dirigent.:vers la
Mauritanie ( comme vers la Frunce et la Côte d'Ivoire pour les autres ethnies
de la région du Fleuve ) ce sont les pratiques discriminatoires tant salaria
les qu~administratives imposées par les pays hôtes qui les contraignent au
retour et assurent la préservation des formations économiques productrices
de main-d'oeuvre bon marché et des rapports sociaux qui y dominent.
*
**
OUVRAGE S CITES
DELAUNAY Daniel "Migrations et pénétration de l'économie marchande. Le \vaalo,
(Région du fleuve Sénégal)". ronéo ORSTŒ-1. 75.
DESABIE "Théorie et, pratique des sondages". Dunod.
DIALLO Boubacar. "Résultat ct synthèse de l'enquête agro-socio-économiquc à
DAGANA du 1/10/72 au 17/3/73".
S.A.E.D. Division agronomique 73. ronéo 33 pages.
HENRY Louis "Démographie. Al'lalysc et modèles". Larousse 72.
MBŒl Amadou Moctar "Etude préliminaire sur le village de Gl'-&:1I
Ronéo Dakar. 1959.
MEILLASSOUXClaude "Femmes,greniers et capitaux ll •
Textes à l'appui. Maspéro 75.
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l'habitat. 1974.
BErSER.
ROCHE'IEAU Guy
SCHMITZ Jean
IIDéf'ini tian d'une poli tique d'aménagement des ressources ha
lieutiques d'un éco~yvtème aquatique complexe par l'étude de
son environnement abiotique, biotique et anthropique ll •
Fondation universitaire luxembourgeoise. multig. 4 vol. inédits.
"Société \volof' et mobili té" •.
Cahiers ORSTOM.sér. Sciences hum~ines nO 1 1975. Pp. 3 - 18.
"Four une démographie de la f'orce de travail".
ronéo. inédit. 16 p. 1975.
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