Sens et signification || Réflexions sur la signification

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Réflexions sur la significationAuthor(s): André MartinetSource: La Linguistique, Vol. 25, Fasc. 1, Sens et signification (1989), pp. 43-51Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248600 .

Accessed: 15/06/2014 19:27

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RtFLEXIONS SUR LA SIGNIFICATION

par Andre MARTINET

Un des inconvenients de 1'6tiquette < simantique >> pour designer l'Ctude des faits de signification est qu'elle nous situe en plein folklore, c'est-a-dire dans le domaine des croyances populaires, antdrieurement h tout effort scientifique pour ordonner les donnees de l'observation. II faut malheureusement se rendre ? l'dvidence que beaucoup de linguistes contemporains n'ont pas d6passt ce stade. Du fait de l'emploi d'un vocabulaire recherche, certains ont pu donner l'impression qu'ils savaient precisdment ce dont ils parlaient. Je pense notamment a ce qu'on place aujourd'hui sous l'Ptiquette de la psychom6canique. En fait, tout cela se fonde sur des a priori inverifies et probablement encore inverifiables, choisis par des gens qui ont cru pouvoir faire Pl'co- nomie d'un examen trbs terre a terre des conditions reelles de la communication langagiire.

Sur le plan de la pratique linguistique, on distinguera entre une piriode pr6scientifique, oti l'on se satisfaisait de declarations de type philosophique, et une pdriode scientifique oih l'on definit les notions avec lesquelles on optre. Certains seraient sans doute tentis de distinguer entre une 6re presaussurienne et celle qui P'a suivie. Mais ce serait peu recommandable. L'impact de Saussure a sans doute et6 d6cisif. II a montre la voie. Mais il a fallu le depasser pour aboutir.

Dans l're pr*scientifique - celle de la France des annees vingt et trente de ce sidcle - tout effort pour penser les faits de langage prenait la forme de !'introspection. Seul, par ailleurs, entrait en ligne de compte le sujet unilingue. Le bilingue 6tait un La Linguistiquw, vol. 25, faec. /9g8g9

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monstre : puisqu'on n'a qu'une seule mare on ne saurait avoir deux langues < maternelles >>. Celui qui se sentait autorise t pratiquer l'introspection en ces mati6res 6tait cense connaitre parfaitement la langue. Les conclusions auxquelles on aboutissait 6taient cens&- ment valables pour le langage en general : g la Societe de Linguis- tique de Paris, toute presentation d'un trait d'une langue parti- culibre etait suivie de remarques des specialistes d'autres langues d6montrant que le trait en question etait effectivement atteste dans chacune de celles-ci. Toute objection visait a denier le carac- thre universel du trait en cause et, ipsofacto, la validite de l'obser- vation initiale.

C'6tait l'dpoque oi l'on identifiait langue et pens&e : quand je pense A < maison >> qu'est-ce que je vois ? Si je puis me representer la chose, je suis dans le domaine semantique. c Maison >> est un < semanttme >>. L& oh je ne vois rien de precis, dans le cas d'une preposition, une conjonction, un cas, je diagnostique une forme sans base semantique que je designe comme un c morpheme >>. Malheureusement, on peut &tre scr que ce que tu < vois >> n'est pas ce que je o vois >> et, comme il n'y a de science que du general, nous restons dans le domaine des divagations irresponsables.

Si maintenant nous nous efforgons de retrouver les conditions r6elles de la communication linguistique sans essayer d'outre- passer les donnees observables, ce que nous pouvons affirmer c'est que les gens dont on dit qu'ils parlent frangais vont emettre maison dans certaines situations et reagiront d'une certaine faqon a l'audition de ce terme. Pour v'rifier qu'il y a, en la matiere, cette entente entre les sujets qui fonde l'existence d'une commu- naute de langue frangaise, il n'est pas indispensable que les sujets, mis en face de l'objet, s'accordent a y reconnaitre une c maison >>.

II n'est nul besoin de postuler qu'ils ont, dans leur for intirieur, un petit cinema qui leur presentera, a la perception du mot, la maisonnette de leurs raves. IL suffit qu'il y ait accord sur les contextes dans lesquels peut figurer le segment maison, caracterise, en prioritY, par la succession d'unites distinctives /mez6/. La prise de conscience de l'existence d'un mot maison n'est pas une condi- tion de l'utilisation de ce terme dans le processus de communi- cation langagibre. Une autre faqon de dire la meme chose est d'dnoncer que l'usager normal de la langue est celui qui ne s'est jamais pose de probl6me simantique, parce qu'il y a identit6 entre ce qu'il dit, ce qu'il entend, et ce qu'il pense exister autour

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de lui. Pour lui, la langue ne commence Q prendre une existence

ind6pendante de la realite perceptible que lorsqu'il est mis en face de sa transposition dans l'ecriture : il ne distingue pas entre la chose << maison >> et le /mez6/ de l'usage oral, mais il pergoit une distance entre cette rdalit6 quotidienne oui s'identifient rif6- rent, signifie et signifiant phonique, et son correspondant gra- phique, maison, qui seul appartiendrait 'a la langue frangaise. D'oi la difficult6 qu'a le linguiste de convaincre son public que la langue commence avec la forme orale des mots, que << maison >> c'est l'expirience que nous avons de l'objet, alors que /mez-/ et maison sont deux variantes d'une meme realite langagibre carac- tirisant une langue particulibre, le frangais. A l'experience correspondant & << maison >>, on aurait, en italien, Ilkasa/-casa, en anglais, /haus/-house, en grec, /Ispiti/-crit.

Cette difficulte qu'on eprouve h dissocier la chose perceptible de sa designation orale se refltte dans la conviction que dire c'est djh* faire, qu'une malediction ne se limite pas a de vaines paroles et qu'il faut bruiler les sorcibres. En ce sens, le linguiste a une responsabilit' sociale dont il ferait bien de mieux prendre conscience.

Dans un premier temps, le descripteur a analyse les enonces de la langue en unites significatives, chacune perceptible sous la forme d'une succession d'unites distinctives et dont on a pu se contenter de relever qu'elle avait, sur le comportement des audi- teurs, un autre effet que ses concurrentes, celles qui auraient pu apparaitre au m~me endroit dans l'enonce si le message avait 't' different. Aller plus loin, c'est confronter un fait proprement linguistique, le signe, avec la realite perceptible pour chercher h voir quels traits de cette realite vont, dans le comportement des locuteurs, se trouver associds a ce signe. Si les gens doivent se comprendre, il faudrait, bien entendu, que ces traits soient les memes chez tous. Cela est-il reellement le cas ? En d'autres termes, quelles sont les limites de la comprehension entre les sujets qui appartiennent a la meme communaute linguistique ?

Pour repondre - ces questions, on cherchera a degager la dynamique de l'apprentissage de la langue par l'enfant, c'est-a-dire les conditions dans lesquelles s'6tablira, pour lui, l'identification de tel trait de la realite avec tel signe. Ces conditions ont des chances

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d'etre, de sujet & sujet, peu diff6rentes dans une communaut6 tr6s homoghne et d'habitat uniforme, assez varides, au contraire, 1 oih habitudes et conditions de vie different de region a region, de classe A classe. II n'y aura, en tout cas, jamais identitd compl6te d'un sujet A un autre, car les circonstances et la fagon de les percevoir seront toujours necessairement diff6rentes. Il restera toujours, chez l'individu, une reaction particulibre A chaque signe pour laquelle on a propose" de r6server le terme de conno- tation. II tentera normalement de la refouler pour se confirmer aux usages langagiers de son environnement. La seule possibilite, pour l'individu, de pratiquer sa langue h la satisfaction de son entourage sera de n'utiliser les signes que dans les contextes o0i il les a toujours entendus. Ce sont ces contextes, beaucoup plus sfirement

que les situations, qui vont s'imposer t l'enfant... et A l'adulte, pour lui dicter la fagon dont il doit employer chacun des mondmes de la langue. Seuls les poktes, au sens le plus large du terme, mais aussi divers anormaux, pourront se risquer au-delt.

Tout cela se reflkte dans la pratique des lexicographes qu'est-ce qu'une definition de dictionnaire sinon un contexte assez comprehensif pour suggerer tous les autres contextes accep- tables ? Le terme assez ambigu de refirent renvoie toujours ik une realite qui ne touche au linguistique que dans la mesure oih elle

peut &re couverte par un signe existant. Peu importe qu'elle puisse ou non, par ailleurs, correspondre a un signe linguistique plus pricis. Soit le frangais je. Son refirent pourra &tre, selon les cas, identifie comme Jean Durand, Marie Dubois, le PrIsident, etc. Mais sa valeur constante sera :<< celui ou celle qui 6met le pr6sent 6none6 >>. Dans la langue, je n'est pas autre chose. On dira, si l'on veut, que je ddsigne Jean Durand dans un cas, le Pr6sident dans l'autre. Mais << d6signe > a ici le sens de << s'emploie, dans ce cas

particulier, en rdfirence c>>. Nous ne sommes plus dans << la

langue >>, mais dans la vie oh nous savons que celui qui parle est le Pr6sident. Dans << la langue >>, je a toujours une seule et meme valeur, celle que nous avons enonc6e ci-dessus. Le premier devoir du linguiste est de digager des valeurs, ici, des valeurs

significatives. II n'y a valeur que par convention - non neces- sairement explicitde - ici sous la forme d'un signe << arbitraire >

i. Dans Andr6 Martinet, Connotations, po6sie et culture, To Honor Roman Jakobson, II, p. 1288-1295, et jQu6 debe entenderse por 'connotaci6n'?, Acta poetica, III, Ig81, Universidad nacional aut6noma de Mexico, p. 147-161.

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aussi bien quant aux d6limitations de son signifid que quant g la forme de son signifiant2.

Nous avons propose que 1'etude des valeurs significatives soit ddsignde comme l'axiologie (du grec axta, << valeur >>), ce qui laisse B la simantique tout ce qui, dans les rapports entre la langue et la rdalite pergue, n'affecte pas la structure de la langue en cause. L'opposition d'axiologie g semantique rappelle, bien entendu, celle qui est aujourd'hui traditionnelle entre la phonologie, science des valeurs distinctives propres a une langue particulibre, et la phondtique qui traite de ce qui touche aux productions de la

parole. Il n'y a unite axiologique que lorsqu'un signifiant s'identifie

a un signifid. Soit ce qu'on appelle en frangais le passe compos6 et qui correspond en fait a ce qui est d6signd par ailleurs, en latin, par exemple, comme un parfait. Son signifiant, bien que dis- continu - ce que reflkte<< compose >> - et diversement amalgam6, est identifiable sans difficultd. Son signifiC serait, a peu pros, << ecould par rapport au moment oh l'on parle >>. Il importe peu qu'on envisage le procks en tant que tel ou dans ses r6sultats : il est parti implique qu' << il >> n'est plus li parce qu'il a pris ses distances. On pricisera, si l'on veut, le moment oih s'est produite cette prise de distance en ajoutant, par exemple, hier soir. Mais cela n'affecte pas la valeur du mondme qui est senti, pergu et trait6 par les sujets comme identique dans tous ses contextes. Du point de vue axiologique, c'est-i-dire lorsqu'on traite de la structure du frangais, on a toujours affaire B une seule et m6me unite. Ressortira t une reflexion semantique l'impact de la valeur particulibre de chaque verbe sur la fagon dont le parfait sera senti comme impliquant plut6t le procts en lui-mame (j'ai bu, j'ai couru) que le resultat de ce procks (j'ai mangi et n'ai plus faim, j'ai fini).

Ce qui complique la t che de l'axiologiste est l'existence de la polysimie. On sait qu'on ne peut, au moyen d'une langue, dire tout ce qu'on veut dire qu'en faisant confiance au contexte pour modifier le sens de chaque unit6, mondme ou synthtme. II en rdsulte chaque fois un polyshme, c'est-A-dire une unitd de sens variable. Cela n'affecte pas n6cessairement l'unit6 axiologique du

2. Voir Andr6 Martinet, Arbitraire linguistique et double articulation, C.hiers Ferdinand de Saussure, 15, 1957, P. 105-116, reproduit dans La linguistique synchronique, Paris, P.U.F., I965, p. 27-41, notamment p. 40o.

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monume en cause : petite n'implique pas la meme realit6, dans petite baleine et petite fourmi, par exemple, mais, dans les deux contextes, la valeur reste la meme : < de taille infiieure h la moyenne >>. Petite commute, dans l'un et l'autre, avec grande. Mais il n'en va pas toujours ainsi. Soit, par exemple, vert dans respectivement, elle a un chapeau vert, c'est un vieillard assez vert, ce vin semble un peu vert. Chaque fois, le sens de vert resulte du choix

qui est fait du mondme parmi ceux qui pourraient figurer dans le contexte en cause, soit, dans le premier cas, bleu, rouge, marron, dans le second, vigoureux, casse, affaibli, dans le troisibme, acide, piquant, insipide. Synchroniquement, la polysimie de vert ne se distingue gubre de l'homonymie de /dekrepi/ dans vieillard dicrepit, oii il alterne avec vert, vigoureux, affaibli, et mur dicrlpi, oui il com- mute avec raval6, branlant, instable, ou de celle de fraise, dans

fraise des bois, fraise de dentelles, fraise de dentiste, fraise de veau. Le

lexicographe, dont le devoir est de renseigner au mieux son public dans le cadre dont il dispose, peut faire intervenir l'etymologie. Le descripteur, qui rend compte d'un usage, ne saurait prendre en consideration un element qui n'intervient pas dans la pratique langagibre des sujets. Donc l'Ptymologie parait exclue. Mais, dans le cas de vert, peut-il faire abstraction du fait que les meta-

phores qui ont entraind l'emploi de l'adjectif dans vieillard encore vert et vin un peu vert, restent parfaitement identifites par l'usager moyen, ce qui se resume, en pratique, en disant que vert est

partout le meme mot. Il n'y a pas de solution de continuite entre la verdure naturelle, la couleur verte, la souple resistance du bois vert, l'acidite du fruit non encore teint' de jaune ou de rouge. Mais quelle formulation trouver ici, analogue a celle que nous avons donnie ci-dessus pour je ? Dans le cas un peu particulier de dicre'pit/dicripi, on pourra, en depit de l''tymologie, degager une valeur unique : << affect6 par l'usure du temps >>. Dans celui de fraise, qui empechera l'usager d'identifier - comme le faisait naturellement celui qui ecrit ces lignes - au moins trois des valeurs sous la formule : < de surface grenue ou inegale >> ?

La conclusion de ce qui prec~de est que, dbs que nous abordons

I'tude de la signification, nous sortons ndcessairement du domaine du discret, parce que la pression de l'infinie vari&t6 du monde

perqu est ici trop forte pour que puisse se maintenir, dans toute sa rigueur, la nettete des contours de la structure linguistique. Mais la phonologie elle-meme, premiere des sciences des cultures

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oh l'on ait parlk d'unitis discr~tes, connait aussi ces cas limites, ce qui ne veut pas dire qu'on doive renoncer aux principes d'ana- lyse qui ont fait, de la linguistique, une science veritable.

En matiere d'axiologie, on parlera de valeurs distinctes, dans les cas d'identite formelle, polysemique ou homonymique, si l'on peut attribuer un usage donne ' un champ axiologique determine. Le choix, par le locuteur, d'un tel champ est signalk au ricepteur du message par un contexte particulier. Ce contexte peut se reduire L un seul mot : vin, vieillard, mais il peut egalement consister en un ensemble d'unitis qui ne sont compatibles qu'avec une seule valeur du monIme en cause, comme dans :

I / Grdce aux jumelles, ii distinguait les moindres ditails du rivage; 2 / Pour une fois, les jumelles, dans leurs toilettes de fite, ne se dispu-

taient pas; 3 / En retirant de sa valise sa chemise blanche, il s'ecria : << O sont mes

jumelles ? >>

Meme si, dans ce cas, on pouvait formuler une valeur unique sous la forme d' << entites qui vont toujours par deux >>, il est clair que rien n'empeche un usager de la langue de rapprocher le premier emploi de tilescope et de longue-vue, le troisibme, de boutons de manchette, et d'utiliser parfaitement jumelles sans jamais penser l les rattacher les uns aux autres, comme en temoigneraient des exclamations comme << C'est amusant qu'on emploie le meme mot pour... >>.

On note avec intiret que chaque champ axiologique peut avoir sa propre synthimatique : l'unite de vert, dans les contextes envi- sages ci-dessus, n'empeche nullement que le vert vigetal soit designe comme la verdure, alors qu'un vieillard encore vert est remarquable par sa verdeur.

Le probl6me, de toute evidence, n'est pas de savoir B combien de mondmes distincts on a affaire, mais en combien de champs axiologiques distincts on doit repartir les polyshmes, voire les homonymes. En d'autres termes, rien n'empeche de considtrer qu'il y a, en frangais, un seul mondme rouge que tous les usagers sont pr&ts A identifier aussi bien dans le rouge lui monte au front, elle s'est mis du rouge aux joues, de l'excellent vin rouge, que dans les anciens pantalons rouges des fantassins franfais. Mais il doit etre clair

que ces diffirentes attestations de rouge appartiennent chacune A des champs diffdrents, comme le montre l'ensemble des mondmes

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avec lesquels se fait la commutation dans chaque contexte. Mis part, peut-&tre, la formulation et la thdorisation, il n'y a rien ici de bien neuf puisqu'on ne fait que retrouver ainsi les subdivisions d'une m6me entree dans un bon dictionnaire.

Ii semble qu'on se soit peu pose la question de savoir si le descripteur, en matidre lexicale, doit imiter le lexicographe, dont le devoir est d'instruire son public, c'est-W-dire de lui apporter une information sur ce qu'il ignore, ou s'il doit, fiddle & la tAche qu'il s'est tracde de timoin des faits observes, d6terminer comment le locuteur ordinaire utilise, pour communiquer avec autrui, les

montmes de sa langue. Ceci pose naturellement le probl6me des niveaux de style qui existe Cgalement pour la prononciation et pour la grammaire. Mais, dans ces derniers cas, on se tire assez facilement d'affaire en se refirant h la norme des gens cultives. Pour le lexique, par souci de cohdrence, on choisira cette meme norme et, si l'on ne veut pas tricher, il faudrait, par des sondages, determiner ce que connaissent rdellement les << gens cultives )> des esp6ces animales ou vigetales, par exemple. Qui, interrog6 sur ce qu'est un h6tre ou un bouvreuil, pourrait dire autre chose qu'il s'agit, dans un cas, d'un arbre, dans l'autre, d'un oiseau ? Dans ces conditions, enumerer les traits qui nous permettraient d'identifier ces deux esptces serait faire oeuvre, non de linguiste, mais de botaniste et d'ornithologue. Ces traits 6num&res seraient, bien entendu, les m~mes s'il s'agissait des equivalents anglais beech et bullfinch, ou italiens, faggio et ciuffolotto. Dans ces domaines naturels, la langue, qui est un outil culturel, ne peut gubre qu'entd- riner les faits. Comment definir linguistiquement le signifid d'ortie ? C'est une plante, mais, bien sfir, il y en a d'autres; qui pique, mais elle n'est pas la seule; qui pique comment ? comme une ortie. Done une ortie est une ortie. Le trait << ortie >> implique plante qui pique et l'on n'en sort pas. Le chimiste, le botaniste et, A leur suite, le lexicographe peuvent aller plus loin. Pas le linguiste qui ne pourra rien dire pour ortie qu'il ne dirait pour l'anglais nettle ou le russe krapiva.

Cette difference entre traits naturels et traits culturels se manifeste parfaitement dans le processus d'apprentissage des termes correspondants. Pour l'enfant, la banane est un fruit qu'il voit et qu'il gofte avant meme de savoir le nommer. Pour utiliser le terme banane & bon escient point n'est besoin de l'avoir entendu dans divers contextes. Rien de tel, evidemment, pour un terme

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culturel comme dimocratie. Avant de le comprendre, il faut savoir ce qu'est un peuple et ce qu'est un gouvernement, et ceci ne sera

acquis que par la perception de ces derniers mots dans une multi- tude de contextes qui permettront, non seulement de cerner une d6notation pour chacun, mais de suggerer, selon les cas, des connotations favorables ou ddfavorables.

Des considerations qui precedent, on serait tente de conclure

que si l'axiologie est indispensable dans le domaine de la gram- maire oii les unites sont nettement delimitables et dinombrables, sa justification, comme discipline distincte de la lexicologie, ne semble gubre s'imposer. On pourrait certes fixer, a l'axiologie lexicale, la fonction de reduire chaque mon6me A un ensemble de traits de sens, avec, bien entendu, des listes distinctes pour chaque champ axiologique. Si tout trait ainsi isol6 recevait alors une

designation algibrique, une entree lexicale se reduirait A une somme de telles designations sans aucune refdrence a un refirent

quelconque. La confection d'un dictionnaire prendrait alors la forme d'une interessante gageure. Mais on voit mal quel avantage on en pourrait tirer, mime s'il ne s'agissait, en realite, que d'un

proldgombne la constitution d'une machine h traduire. On constate, en fait, que les probl6mes de definition et de classement des unites significatives, apr6s avoir retenu, pour un temps, I'attention de maints chercheurs, ne suscitent plus, aujourd'hui, qu'un intdret limit". Il n'en reste pas moins qu'aucune approche theorique du langage ne saurait se dispenser de se prononcer en la matibre.

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