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Jean -Pierre Gautier
Membre de La Sabretache
Souvenirs d'un vieux collectionneur
Octobre 2015
2
Sommaire :
Préambule : Page 3
I - Sourires de ma jeunesse : Une histoire qui vient de loin Mes batailles de Normandie
Bonnes surprises à Paris
Mes Romains
Voyage aux Indes autour de ma chambre Mes tribus de Peaux -rouges
II - Repères parisiens : Promenade rue Ordonner
Le Paradis rue du Poteau
Le beau départ d'une nouveauté La rue de Miromesnil
Autour de la Samaritaine
La SCFH Un grand Libraire
:
III - Le bonheur dans la recherche :
De la théorie à la pratique
Honneur et tourisme
A la billebaude à travers Saint Ouen.
Tableaux-Armes-cuivreries
IV - Le bonheur dans la connaissance :
Retraite et Histoire
Drouot et Internet
Conclusion
2
Préambule :
« Au milieu du chemin de notre vie… » C'est en ces termes que le poète Dante commence sa Divine Comédie, c'est aussi la manière dont je voudrais formuler mon introduction, avec la réserve que j'ai, grâce à Dieu,
largement dépassé ce fameux milieu théorique qui a beaucoup varié suivant les
progrès de la médecine.
Nos versions latines commençaient souvent jadis par un ablatif suivi de regnante : sous le règne de César, d'Auguste ou autres… Quant à moi, j'ai vu le jour
en 1937, à l'époque où le président Lebrun régnait, si l'on peut dire, ou, façon de
parler, sur la France. In illo tempore c'était surtout l'inauguration des chrysanthèmes
qu'il accomplissait à la perfection, d'autant plus qu'il avait, dit-on, la larme facile. Dans un album de famille, égaré quelque part ou perdu lors d'un de mes
nombreux déménagements, se trouvait, entre autres photos de ma prime jeunesse
prises par mon père avec son appareil Voigtlander -6-1/2-11, dernier cri à l'époque, un tirage sur papier dentelé me représentant avec ma Mère, en train de jouer sur une
table avec un assortiments de divers petits soldats. A partir de là, en période de Noël,
mais pas seulement, de nouvelles unités venaient enrichir une collection qui se
constitua petit à petit, pro tempore. Plus tard, après mon union temporaire avec Mademoiselle Lebel, c'est ainsi qu'on appelait jadis en Normandie le Service militaire,
après deux ans de souffrance dans les assurances, je pénétrais enfin dans le monde de
la Banque que je n'ai pas quitté jusqu'à ma retraite. C'est alors qu'en poursuivant toujours mes recherches de figurines, j'entrais
dans la sphère du Militaria qui m'a apporté bien des satisfactions à travers les
vicissitudes ordinaires de la vie et que je recommande à des impétrants éventuels car
même sans moyens importants , il est toujours possible de s'intéresser, d'apprendre, et accessoirement de posséder, la plus grande joie étant de savoir reconnaître un objet,
de le situer chronologiquement, et à partir d'un modeste élément, se retrouver dans le
champ de l 'Histoire. Pour autant, sans avoir eu l'honneur de naître dans une famille de militaires de
carrière, j'ai toujours été attentif aux liens avec l'Armée. Mes deux grands-pères ont
servi sous des cieux différents. Le plus vieux des deux, né en septembre 1870, a fait
les campagnes du Sénégal et du Soudan, après quoi il est décédé des fièvres des colonies, comme on disait à l'époque. Ma Mère était loin de se douter que bien des
années plus tard, à mon tour, je rejoindrai cette terre d'Afrique, à qui nous avons
apporté la Civilisation. Mon autre grand-père vécut la guerre de 14 dans la Territoriale et perdit dans ce conflit plusieurs de ses frères. Mon père, passionné de
TSF, comme on disait à l'époque, servit au 8ème Génie au Mont Valérien puis
participa à la campagne de1940.
4
I - Sourires de ma jeunesse : Une histoire qui vient de loin :
Une lointaine cousine venue de Bretagne et qui venait régulièrement visiter ma grand-mère m'apportait un petit cadeau... à chaque fois. C'était souvent des petites voitures mais mon meilleur souvenir, ce fut l'Indien avec les commentaires de
celle qu'on appelait Tante Léa. Les vieilles bretonnes ont sans doute, en plus de leurs
talents culinaires, certains dons de voyance.
Elle assortit en effet son cadeau d'une prédiction qui s'est réalisée au cours de ma vie : « Ce sera pour toi le début d'une grande collection »
Des plombs creux aux Quiralus, des Lucottes aux Mignots, des Allgeyer aux
Heinrichsen, des Segoms aux Historex, des Strabourgs aux Epinals en passant par Jarville -Nancy, des Bivouacs aux Pro Patria… toujours avec le même enthousiasme,
j'ai réalisé sa prédiction.
Des Indiens, j'en ai eu beaucoup, dans de nombreuses matières et les
marchands qui en vendaient devaient beaucoup aux Westerns, grands supports d'imagination, à l'époque. Mon premier Indien se livrait à une sorte de danse du scalp,
chorégraphie douteuse ou chamanisme qui attira plus tard, dans mes collections, bon
nombre de ses congénères. Je l'ai installé depuis sur un petit socle et placé dans une étagère du grenier de ma maison de campagne. Il ne m 'a jamais causé de problème
contrairement à d'autres qui m'ont attiré quelques ennuis !
Avec deux petits camarades, le frère et la sœur, nous avions eu le plaisir de
faire naviguer dans une mare deux superbes canots Jep, dont j'étais l'heureux propriétaire. Or mes invités possédaient de leur côté trois superbes Indiens très bien
moulés qui m'avaient séduit au point que nous décidâmes d'effectuer un échange ;
mes deux canots contre les trois magnifiques Indiens. Je n'allais pas les garder longtemps ! Quelques jours plus tard, mes petits amis vinrent me retrouver avec des
mines déconfites, accompagnés de leur mère, qui nous signifia énergiquement et d'un
air furieux qu’elle ne voulait pas de ces manigances. On me rendit mes deux canots et
je fis mes adieux aux trois Indiens que je regrette toujours car j'en ai possédé beaucoup, j'en ai examiné davantage encore, mais de si beaux, jamais !
Moralité : la danse du scalp n'est pas toujours efficace…
5 Mes batailles de Normandie
La stratégie est une science et en même temps un art qui fait appel aux capacités imaginatives de ceux qui l'exercent c'est-à-dire, depuis l'origine, aux
militaires. Pourtant les civils, influencés souvent par leurs journaux, s'y risquent parfois aussi avec plus ou moins de bonheur et des résultats discutables. Ce fut le cas
pour mes parents qui s'empressèrent de me conduire dans leur maison de famille de
Normandie où résidaient mes grands-parents.
Leur doctrine était la suivante : en Normandie, il ne se passera rien ! C'était aussi l'avis de l'Etat-major allemand. Paradoxalement, les faits ont démenti cette thèse,
ce qui m'a valu d'assister à 7 ans à l'arrivée des Américains, et de bénéficier des
tablettes de chewing-gum qu'ils nous distribuaient généreusement. Pour Noël, mon grand-père m'avait confectionné une belle crèche avec un
véritable toit de chaume en miniature. Depuis Paris mes parents avaient envoyé les
divers personnages, depuis les moutons jusqu'aux Rois Mages, les guirlandes et les
boules de couleur pour le sapin. En ces temps de pénurie, sous l'occupation, Noël était encore dans beaucoup de familles une fête principalement religieuse, et les
cadeaux étaient encore l'accessoire et non plus le principal comme aujourd'hui.
J'admirais beaucoup un certain roi mage à la barbe fleurie, genre Charlemagne. Ce
Charlemagne, j'en ai revu un plus tard, Passage du Havre, près de la gare Saint-Lazare. C'était un personnage de Vertuni qui trônait dans une belle vitrine à côté de
grandes dames célèbres de l'Histoire, et de nombreux officiers de l’épopée
napoléonienne. Je plains rétroactivement ma pauvre grand-mère, obligée de stationner de longues minutes devant cette vitrine dont j'aurais tant aimé détenir
toutes les merveilles.
Je me résignai enfin à cesser ma contemplation, mais malheureusement pour
elle, il y avait plus loin un autre magasin où trônaient, au grand galop, des escadrons de hulans. Autre émerveillement assorti d'un autre stationnement… Enfin, plus loin
encore, une démonstration de la pression atmosphérique avec de jolis ludions de
couleur. En fonction du prix et pour en finir, ma grand-mère me proposa le choix entre un ludion ou un hulan. Je choisis bêtement un beau ludion bleu clair qui
m'amusa à peine cinq minutes dans la soirée. J'avais pourtant tergiversé longtemps
avant de me décider. J'aurais mieux fait de choisir le hulan car depuis, la pression
atmosphérique ne m'a jamais beaucoup préoccupé. Comme dans l'expression au sujet de l'An Quarante…
6 Bonne surprise à Paris
Les meilleures choses ont une fin, les pires aussi heureusement ! La Seconde Guerre mondiale venait de se terminer, pas les restrictions. Mes
parents décidèrent de me faire les rejoindre et je quittai mes grands-parents normands
pour me retrouver à Paris chez ma grand-mère lyonnaise. Une bonne surprise
m'attendait car le soir de mon arrivée, au moment de me coucher, ma grand-mère prononça une phrase magique : « Demain, je te donnerai la boîte de soldats de ton
oncle ». En pensant à cette promesse, j'ai eu bien du mal à m'endormir.
Ce lendemain matin reste un des meilleurs souvenirs de ma vie. Alors que j'avais une vision très contemporaine des petits soldats avec lesquels j'avais joué
jusque-là, je découvrais un monde encore inconnu pour moi à l'époque : le contexte
militaire d'entre 1870 et 1914 grâce à une superbe boîte CBG-Mignot de demi-rondes
bosses, forme intermédiaire entre les figurines au relief complet et les soldats d'étain plats.
C'est avec émotion que je me remémore le contenu de ce trésor : suivant le
dicton que je ne connaissais pas encore : d'abord il y a Dieu, puis la Cavalerie et puis
plus rien, rien, rien du tout ! C'est donc par la Cavalerie que je commencerai ma description. Elle était composée de cuirassiers, les plus beaux avec leurs cuirasses
brillantes très bien reproduites, puis de chasseurs à cheval, de spahis, de l'artillerie à
cheval avec des prolonges très bien reproduites, les servants divers, etc. L'infanterie, en marche, était représentée avec ses fameux pantalons rouges et
des chasseurs à pied un peu moins nombreux dans leur tenue bleue et verte. Ces
vaillants troupiers dont le pas décidé et l'alignement facile à réaliser me font penser
aux rangs piteux de collégiens d'aujourd'hui, rentrant dans leurs classes comme le bétail avant l'abattoir. Comme il se doit, ils étaient précédés d'officiers dont le modèle
très raide avait l'air d'avoir avalé son sabre droit. L'ensemble était commandé par
deux généraux, l’un avec un bicorne et l’autre en képi. Ces Messieurs étaient montés sur de superbes chevaux à l'arrêt pour juger de l'ensemble.
Sauf dans de vieux films et de multiples représentations graphiques, je n'ai
jamais vu de cuirassiers en vrai, par contre j'ai le souvenir, ému cette fois, d'avoir
assisté à une nouba de spahis, à la kermesse aux Etoiles. Plus tard, j'en ai revu quelques-uns de garde à Tamanrasset, puis les derniers à Senlis…
7 Depuis, certaines unités ont été reconstituées, avec les burnous mais sans les
chevaux. La motorisation, elle, a gagné, moins le prestige !
8 Mes Romains
Je connaissais un peu le catéchisme, pas encore la Bible, et je n'avais pas encore
vu beaucoup de peplum, ce genre de film étant alors moins répandu que les westerns,
j'avais de vagues idées sur les martyrs chrétiens et leurs divergences de points de vue avec Néron, sur les arènes, et autres performances gastronomiques des lions...
Un beau matin de Noël, à la fois lointain et proche dans ma mémoire, je
trouvais au bas de la cheminée, entres autres cadeaux, un assortiment de soldats
romains .1 C'était une représentation des jeux du cirque avec le rétiaire et le mirmillon, les légionnaires romains, le porte-enseigne, l'ensemble sous le commandement d'un
centurion à cheval dont le visage n'était pas particulièrement réussi et qui aurait pu
me faire à mon tour déclamer le vers célèbre : « Rome, l'unique objet de mon ressentiment ».2
Peu intéressé par les jeux du cirque, et n'étant pas très féru de chronologie, mes
Romains furent affrontés, en dépit de la géographie, aux indiens que j'avais déjà en
réserve, situation assez ordinaire pour les indiens, mais je ne le savais pas à l'époque. Des années plus tard, toute une série de figurines Mignot portant sur l'Antiquité,
rentrèrent aussi dans mes collections. Il y avait des Assyriens, des Grecs, Athéniens et
Spartiates, des Romains beaucoup plus soignés que les premiers que j'ai évoqués. Les boucliers, entre autres, étaient beaucoup plus réalistes. Les Gaulois de la même
origine auraient pu les affronter, mais la vérité m'oblige à dire qu'ils étaient beaucoup
moins sympathiques qu'Astérix et ses amis que nous avons connus depuis !
Ce cadeau, au cours des années, fut suivi de bien d'autres à Noël, pas seulement d'abord grâce à la générosité de mes parents, mais bien plus tard grâce au salaire de la
banque où je travaillais. En période scolaire, mes levées de troupes variaient en
fonction de mes résultats. Je me souviens ainsi d'un trimestre où j'avais raté le tableau d'honneur, ce qui m'empêcha d'obtenir une section de marins Quiralu qui trônaient
dans la devanture d'une boutique de la rue Damrémont. Je les regrette encore !
1De marques JSF et LR FranceCf.Edouard Pemzec Figurines et soldats de plombEPA ; Hachette Livres -2001.P114 et
suivantes. 2Corneille : Horace Acte IV-Scène 5
9 Voyage aux Indes autour de ma chambre
Pays lointain qui fait rêver, c'est ainsi que j'aurais pu définir la conception
que j'avais des Indes dans ma jeunesse. Deux éléments me reviennent en mémoire. D'abord, les fameux comptoirs dont nous apprenions naguère les noms bizarres mais
plus faciles à retenir que ceux de bien des départements de la métropole : Pondichéry,
Chandernagor,Yanaon, Karikal et Mahé. Puis une couverture de Paris-Match d'avant-
guerre où figurait une très belle photographie d'un lancier, probablement du Bengale, comme il se doit. Moustachu et sanglé dans un très bel uniforme.
C'est assez dire combien j'ai apprécié le film : Les quatre plumes blanches dans
ses différentes versions, autant que le livre magnifique et trop peu connu en France de Rudyard Kipling : Simples contes des collines. Emerveillement et nostalgie de l'Inde
de l'empire Britannique.
A l'occasion d'un autre Noël, je fus donc comblé par l'arrivée d'un contingent
Hindou : trois cavaliers vêtus seulement d'un pagne mais avec leurs lances, qu'on pouvait détacher de leurs montures, avec un éléphant, et un palanquin somptueux où
trônait un maharadja. Ils étaient assez fragiles, en papier mâché du genre et de la
taille de certaines figurines du Second Empire3. Après moult combats et batailles, ils ont survécu et je les ai toujours, avec la réserve que j'ai perdu en route un cavalier qui
n'a pas survécu à mes multiples déménagements.
3 De marque Inkamin -Durso-1938-1950cf Pemzec Livre cité
10 Mes tribus de Peaux-rouges
Comme tous les gamins de mon âge, très influencés par les westerns, les
conflits entre Indiens emplumés et cow-boys agressifs faisaient principalement l'objet de nos jeux. Comme dans nos courses de récréations, les méchants c'étaient les
Indiens et les bons les cow-boys. Cette conception manichéenne, fondée sur de
perpétuels conflits de territoires, évolua dans les films, avec le temps. Au départ,
l'opposition était frontale, puis plus tard on vit apparaître progressivement des personnages d'Indiens fréquentables et des officiers nordistes plus compatissants
envers eux qu'à l'égard des vilains sudistes !
Pour un Noël je me souviens avoir trouvé dans mes souliers une boîte d'Indiens de taille plus imposante que celle de ceux que je possédais déjà. Il y avait des
guetteurs accroupis, des chefs armés de tomawaks, prêts à en découdre avec les
cavaliers du 7ème, le général Custer et John Wayne réunis. Ces figurines étaient faites
de papier mâché ou de plâtre, très bien peintes mais n'atteignant pas le finesse de ceux que j'ai déjà évoqués.
En ce qui concerne les cow-boys, si l'on se réfère aux photographies de
l'époque, on peut constater que l'aspect agricole avait pratiquement disparu au profit de l'aspect guerrier .Du reste, les boîtes de jouets étaient composées d'individus sur -
armés, sans ce bétail qui était en réalité l'objet principal de leurs travaux champêtres.
11
II - Repères parisiens : Promenade rue Ordonner :
Bien des généraux ont leurs rues en l'honneur de leurs exploits, même si on a oublié ou si on ignore complètement et les uns et les autres.
Le Général Ordener a la sienne et cette assez large artère conduit à l'Eglise de
Clignancourt, face à la mairie du XVIIIème.
Ce n'était pas le souvenir de ce glorieux soldat de l'Empire qui m'attirait dans cette rue mais les nombreuses possibilités virtuelles ou concrétisées qu'offraient
certaines de ses boutiques, sans oublier le cinéma Montcalm où j'accompagnais mes
parents le dimanche, et ma grand-mère le jeudi, à cette époque jour de congé des écoliers ; elle supportait alors patiemment les aventures héroïques des Hopalong
Cassidy, du Dernier des Fédérés etc.
Par contre, la trilogie de Pagnol avait le don de l'énerver. « Que d'histoires,
mon Dieu, pour en arriver là ! ». Au coin de la rue du poteau se trouvait l'étalage de notre fournisseur d'oranges.
C'était un petit Espagnol, râblé, très aimable, qui devait en avoir vu de dures avant de
s'occuper d'agrumes. A proximité, une boutique sombre de marchand de journaux, à la devanture assez vétuste avait pourtant pour moi un charme évident. On pouvait en
effet contempler dans sa vitrine des petits soldats de plâtre moulé, très colorés mais
fragiles, qui supportaient mal les combats homériques en chambre.
De l'autre côté de la rue, un beau et vaste magasin La Layette proposait de multiples vêtements, non seulement pour le premier âge mais jusqu'au dix ans
environ. N'ayant pas la vocation d'un Christian Dior ou d'un Yves Saint-Laurent, je
n'y trouvais guère d'intérêt, sauf à la période de Noël où de beaux jouets trônaient alors en vitrine. Je me souviens en particulier d'une boîte magnifique de tirailleurs
marocains aux uniformes rouges rutilants, précédés d'un bélier mascotte.
Bien des années plus tard, dans une boutique d'antiquaire d'une autre partie de
la rue, j'eus la bonne surprise de trouver quelques belles armes anciennes, sabres de chasseurs à cheval entre autres. Il y avait même une pique révolutionnaire disponible,
mais même à vil prix, je n'en aurais pas voulu !
12 Le Paradis rue du Poteau
Il y a différentes façons de se représenter le Paradis. La peinture religieuse
en a fait un de ses sujets principaux pendant des siècles. Les Musulmans, dit-on, en
ont une conception conviviale… Quant à moi, je pensais l'avoir abordé rue du Poteau, dans une jolie boutique de jouets divers où j'étais entré avec ma mère pour y trouver
je ne sais plus quelle récompense d'excellents, de bons, ou de passables résultats
scolaires.
La marchande nous montra une petite pièce où étaient soigneusement rangées de nombreuses boîtes rouges de soldats CBG Mignot, soldats de plomb, 54 mm.
L'une d'elle contenant des fantassins en vert de la Garde Impériale italienne. Je
quittais ce lieu enchanteur muni d'un fantassin et d'un tambour qui ont précédé bien entendu d'autres multiples congénères. C'était et c'est toujours la collection type de
soldats de plomb, et leurs fabricants mériteraient bien d'avoir aussi une rue à leur nom,
au moins autant que ces voleurs de banlieue scandaleusement honorés de nos jours
par les démagogues contemporains ! Par la suite, mes effectifs s'augmentèrent considérablement a partir de
l'obtention d'une belle boîte de cavaliers de l'Empire : l'Empereur Napoléon, un de ses
généraux puis la cavalerie lourde : carabiniers, cuirassiers et grenadiers à cheval, puis celle de la ligne, dragons, lanciers, et enfin la cavalerie légère, avec les hussards,
gardes d'honneur, chasseurs à cheval, et enfin l'artillerie, le tout accompagné d'un
mameluck. Les socles des figurines étaient accompagnés d'étiquettes, ce qui, je le sus
plus tard, indiquait une boîte de démonstration commerciale et justifiait leur particulière finesse. Pro tempore, mes effectifs se sont bien augmentés,
malheureusement pas au point d'un de mes camarades du cours Hattemer qui était
l'heureux possesseur d'une vitrine totalement remplie de ces merveilles. Je ne peux pas non plus rivaliser avec la collection d'un important ministre, d'une famille
d'Antiquaires, dont la collection prestigieuse avait choqué un chauffeur de taxi, digne
successeur des cochers de fiacre, qui ne comprenait pas qu'un ministre de gauche
plutôt antimilitariste puisse s'intéresser et surtout détenir ce genre de collection qu'il croyait réservée aux adeptes du sabre et du goupillon. Quant à moi, cette collection
initiale de CBG-Mignot, je la possède toujours, et en la contemplant chaque matin
elle éveille en moi bien des souvenirs.
13
Le beau départ d'une nouveauté
Dans une galerie autour de la gare Montparnasse, lors d'une promenade, je
fus intrigué, en contemplant la vitrine d'un magasin de jouets divers, par de petites figurines très bien moulées et très bien peintes. Elles étaient en plastique… Ce fut le
début de ma collection Segom. Son quartier-général jouxtait l'église Saint-Augustin.
Composée à la base de régiments d'Ancien Régime, elle engloba rapidement l'Empire.
Le directeur de la firme, M de Bièville, y passait de temps en temps. Les figurines étaient en général vendues par groupes de trois : soldat, officier,
tambour ou porte-drapeau.
Les cavaliers disposaient de petits chevaux de positions diverses. A l'origine, des montures de cavalerie légère, puis, beaucoup plus tard, des chevaux de cavalerie
lourde. On pouvait alors trouver la Maison du Roi dans de jolies boîtes en plastique
transparent. Cette petite boutique était tenue par une charmante demoiselle qui avait
le même nom que le patron des chasseurs. Elle supportait avec gentillesse et stoïcisme les lenteurs des choix des collégiens que nous étions alors. Selon l’adage,
« Qui peut le plus peut le moins »1, elle détenait aussi des quantités de soldats d'étain.
Heureuse époque où l'on pouvait encore trouver à Paris de nombreuses librairies de
neuf ou d'occasion, des antiquaires, etc. Elles ont été remplacées par des boutiques de fringues ou des gargotes à trois sous.
14
La rue de Miromesnil
Cette rue en pente attribuée à un grand magistrat de la fin de l'Ancien Régime, Miromesnil, Garde des Sceaux qui eut dans cette fonction régalienne des successeurs
qui ne le valurent pas toujours au plan des compétences, était il y a bien des années
un haut lieu pour les collectionneurs.
On y trouvait alors, à proximité du métro, deux magasins d'antiquités militaires de très haute tenue, celui de Chambon et celui de Marchal. Ce dernier possédait aussi
un magasin annexe au marché Biron, le top niveau, pour parler franglais, des marchés
des puces de Saint Ouen Le premier, tenu par un homme affable, bon vivant ayant des analogies avec
certains personnages de Gogol, proposait de très belles figurines plates de finition à la
manière de Douchkine, excellent peintre de miniatures. Pour nous, à cette époque,
leur seul inconvénient était leur prix… Comme beaucoup d'entre nous, je fais référence à mes chers collègues de La Sabretache, je garde de M. Marchal un
souvenir ému. C'était avant tout un passionné de la chose militaire, qui n'hésitait pas à
prodiguer de son temps pour instruire les jeunes collectionneurs inexpérimentés encore dans ce prestigieux domaine.
Mon premier achat chez lui fut un dragon Lucotte, suivi plus tard de bien
d'autres mais aussi de quantité de cuivreries militaires, spécialité dont le virus
m'atteignit plus tard. Il organisa aussi dans ses dernières années une sorte de cabinet d'expertise,
mais mal lui en prit car sur je ne sais quel objet, il se trompa d'attribution et en digne
émule de Vatel, il ne survécut pas à ce déboire dans un domaine qui lui était si cher.
Il avait à son service un petit Espagnol râblé, qui lui servait de fourbisseur, car
dans la magnifique boutique et son sous-sol, un nombre imposant de très belles armes
lui donnait beaucoup de travail. Il eut aussi un certain temps un vendeur extrêmement distingué et cultivé, Monsieur Itier, que j'avais connu quelques années plus tôt à la
fameuse librairie Julliard qui jouxte la station de métro Solférino. Elle proposait à
cette époque un bon choix de livres militaires anciens et modernes où j'allais me ravitailler.
Lors de mes incursions chez Marchal, quand je recherchais à augmenter mes
effectifs de Lucotte dont les plus anciens portent sous leur socle une petite abeille
comme les couteaux Laguiole, j'entends encore les murmures des vendeurs qui faisaient bzee, bzee pour se moquer de moi. Ce n'était pas méchant.
Près du faubourg Saint Honoré, un magasin à l'enseigne de l'Aigle Impériale
proposait des objets de haute gamme à des porte-feuilles au même niveau. C'est là
que je fis l'emplette d'un casque de cuirassier belge, beaucoup plus beau, avec sa tête de lion, que le modèle Français de 1872.
15
Aujourd'hui, tout cela n'existe plus. Ces magasins de grande classe et haut
niveau culturel ont été remplacés par de médiocres boutiques de restauration où les
clients ne se bousculent pas, du reste.
Ces souvenirs me remettent en mémoire certains poèmes de Ruteboeuf et de Prévert avec la permanence de cette nostalgie, après des siècles : Que sont mes amis
devenus ?... La rue de Buci maintenant...
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16 Autour de la Samaritaine
Ce chapitre pourrait commencer comme un conte de Perrault : Il était une fois...
Il était une fois, à proximité de la Samaritaine, grand magasin de Paris provisoirement disparu et qui doit renaître, espérons-le, une grande boutique qui contenait des
merveilles, dignes du trésor d'Ali Baba. Elle ne payait pourtant pas de mine et, au
plan de l'esthétique, sa vitrine ne pouvait rivaliser avec les autres magasins de la
même spécialité comme ceux de la rue de Miromesnil que je viens d'évoquer. Par contre, le contenu valait mieux que le contenant et se révélait d'une grande richesse,
mais pour les connaisseurs.
Si je voulais poursuivre dans le style du conteur, il me faudrait écrire : « il était une fois un ours mal léché qui avait une fille charmante et belle comme le jour »… Je
veux évoquer de cette façon mon souvenir du père Johnson. Ce très grand
connaisseur des antiquités militaires régnait sur cette sorte de réserve-musée avec une
autorité très affirmée. Autant il était aimable, disons plutôt civilisé, sans plus, avec les clients dont il savait tester la solidité des connaissances, autant il pouvait se montrer
abrupt avec les badauds et autres touristes qui entraient chez lui pour passer le temps.
Ses réparties étaient connues dans le monde des antiquaires. A un quidam qui lui avait demandé bêtement : « Avez-vous des armes anciennes ? », il avait répondu
simplement : « Non ! » alors que les murs de son magasin en étaient couverts…
A un homme d'affaires qui lui semblait douteux mais qui lui proposait je ne sais
quel contrat mirifique, il avait répondu fièrement, en tirant une liasse de billets de sa poche : « De l 'argent, j'en ai ! » Après quoi, il lui conseilla, mais dans des termes plus
crus d'aller voir ailleurs. D'après certaine rumeur dont je ne garantis pas l'authenticité,
sa situation aurait été moins brillante sous l'Occupation et, en période de restrictions, il aurait, dit-on, alors couru dans tout Paris pour échanger vainement un beau sabre de
mousquetaire Restauration contre un modeste rôti. Sachant le prix que peut atteindre
actuellement cette arme prestigieuse, on peut se faire une idée de la pénibilité de cette
transaction même à l'époque. J'ai trouvé chez lui une belle et authentique cuirasse Restauration complétée par un beau casque de trompette de la même époque.
Nous passions assez souvent du côté de la Samaritaine, pour voir ses nouvelles
trouvailles certes, mais aussi, mais surtout, sa fille !
17 La S.C.F.H
Lors de mes fréquentes incursions à la Segom, sous l'influence de certains
clients et dans un souci d'augmenter à la fois mes collections et surtout mes
connaissances dans ce domaine, je fus naturellement amené à m'interroger sur l'existence d'une société répondant à mes questionnements. C'est alors que, grâce aux
précieux conseils de l'aimable collaboratrice de cet attirant magasin, je pus accéder au
sérail, c'est-à-dire participer aux doctes travaux de la S.C.F.H : Société des
collectionneurs de figurines historiques. Son président était à l'époque Monsieur Philippot qui me fit le meilleur accueil,
et je me souviens des fameux samedi après-midi, Boulevard des Capucines où je
connus bon nombre d'excellents collectionneurs qui venaient comme moi « giberner » avec enthousiasme. Certains amenaient des petits lots de figurines, d'autres des
documents pour « les amoureux de cartes et d'estampes » suivant la formulation de
Victor Hugo.
Je revois encore ces petits groupes de vieux messieurs discutant entre eux avec passion, à propos de boutons, de teintes d'uniformes, etc. d'attributions diverses et
contradictoires. C'est lors d'une de ces réunions après mon retour d'Algérie que j'eus
l''honneur et le plaisir de faire la connaissance du Peintre Rousselot et d'apprécier son érudition et sa gentillesse. Je le revis plus tard dans son atelier de la rue Aumont-
Thiéville où sa charmante épouse savait aussi nous réserver le meilleur accueil.
Ces réunions étaient toujours animées et les modestes figurines amenaient
chez nos « « Grands Anciens » d'émouvants souvenirs de campagne. Je me souviens en particulier du récit animé d'un général en retraite, père d'un polémiste très connu à
l'époque. On pouvait aussi rencontrer des Emigrés russes qui eux aussi avaient de
grandes histoires à raconter, et qui comptaient dans leurs rangs prestigieux un jeune confrère qui était en train devenir expert incontesté en matière de Militaria de cette
grande Nation régénérée depuis.
Des années plus tard, la SCFH fusionna avec La Sabretache et cette union fut
bénéfique, tant au plan culturel qu'au niveau des réalités pratiques pour les uns et les autres. Le général Ruby qui avait assumé pendant des années le destin de La
Sabretache, était aussi l'auteur d'un Historique du 12ème cuirassiers,
magnifiquement illustré par Benigni, excellent peintre et illustrateur militaire. Il s'était aussi intéressé au destin du Maréchal Bazaine avec un ouvrage dont le titre :
« Bazaine , coupable ou victime ? » faisait le point sur un comportement ambigu.
Mais derrière ces comportements de collectionneurs passionnés, maniaques à la
limite, il existait un sentiment qui nous unissait tous, avec la camaraderie implicite de ceux qui ont servi, l'amour de la Patrie et le respect pour sa grandeur passée, alliée
indissolublement à notre Armée, notre seconde Famille.
18
Un grand libraire
Voltaire a écrit, à propos d'un de ses libraires qui ne lui avait pas donné
satisfaction : « J'étais hier matin, chez mon libraire Cail,
Qui la plupart du temps n'a jamais rien qui vaille » Il n'aurait certainement pas écrit cela s’il avait connu la Librairie Petitot.
Idéalement placée dans le prestigieux Boulevard Saint Germain, si riche en souvenirs
et en ministères, elle avait été souvent visitée par mon père collectionneur de livres
anciens. Bien des années plus tard, j'y fus attiré à mon tour pour d'autres motivations. Entre temps, cette librairie s'était spécialisée dans les ouvrages de caractère militaire
et on y trouvait tous les grands classiques en ce domaine, de l'Antiquité à nos jours,
en passant par les grands tacticiens et stratèges du XVIIIème siècle. Elle était magistralement tenue par M Petitot qui alliait une érudition sans faille
à une courtoisie d'Ancien Régime. Il avait du reste constitué une magnifique
collection d'objets militaires du XVIIIème siècle dont le catalogue de vente fait
encore autorité dans ce domaine. Il était soutenu dans sa lourde tâche car le champ que couvrait sa librairie était très vaste, par son aimable épouse dont je n'oublierai
jamais la générosité et deux charmantes filles, dont l'une, instrumentiste distinguée, a
poursuivi l'oeuvre de son père, étant aujourd'hui un expert reconnu dans la spécialité des livres militaires. Cette splendide librairie a été remplacée, elle aussi par un autre
magasin, même évolution ou plutôt involution du niveau culturel de Paris.
dpetitot.fr
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Au Musée de l'Armée
C'est mon père qui m'emmena, alors que je n'étais encore qu'un petit garçon
visiter pour la première fois le Musée de l'Armée.
Je dois dire que je fus très impressionné lors de cette première visite aux
Invalides, non seulement par le tombeau de l'Empereur mais aussi par la salle des drapeaux d'alors, et par son gardien qui obligeait les visiteurs à se découvrir. En face,
les cavaliers à taille réelle transportaient mieux qu'un livre d'Histoire notre
imagination dans la vérité du passé, et pour le collectionneur en herbe de petits
soldats, quel émerveillement dans les salles de l'étage supérieur, à la vue de ses riches collections de figurines, tant les fabrications de Nuremberg que les imposants
« Strasbourg » aux effectifs nombreux, divers et si précis au niveau des uniformes.
Bien entendu, j'aurais voulu tous les posséder et ce ne fut pas une mince affaire que de m'entraîner vers les autres salles.
Dans l'aile d'en face, je fus moins impressionné par les armures, la « Haute
époque » requérant pour être vraiment appréciée des connaissances que je n'avais pas
à l'époque. J'ai aussi le souvenir de la magnifique collection de gibernes, cuivreries diverses, etc. du Prince de la Moskowa, qui trônait dans une très grande vitrine.
Pendant des années j'ai beaucoup plus fréquenté ce qui était pour moi et est
demeuré un lieu de pèlerinage plus que d'autres édifices religieux du quartier. Au fil des années, les divers conservateurs ont modifié avec plus ou moins de bonheur les
diverses présentations, la tendance moderne volontairement didactique étant plus
d'expliquer les objets présentés dans leur contexte historique, mais par suite d'en
réduire le nombre au détriment des recherches des collectionneurs. Je me souviens, par exemple, d'un bel uniforme bien conservé du célèbre Royal-Allemand, qui
disparut un jour des vitrines au cours des multiples réorganisations. Par contre,
certaines furent très remarquables, comme celle du Colonel Mac-Carthy pour les salles d'Ancien Régime, mais aussi d'autres, comme les salles de la Restauration et du
Second Empire.
Quelques années plus tard j'eus naturellement le désir de figurer dans les rangs
des Amis du Musée de l'Armée et, à cette fin, je rôdais autour de la bibliothèque quand je fus interpellé par un vieux Monsieur qui me demanda la raison de ma
présence en ces lieux. Je lui répondis que je cherchais le responsable de la société des
amis du Musée de l'Armée pour m'y faire inscrire. « Le responsable, c'est moi ! » me dit d'un ton terrible mon interlocuteur, après quoi nous procédâmes aux formalités
nécessaires. J'appris plus tard que j'avais eu l'honneur d'être inscrit par un Général
dont je connus plus tard l'identité. Depuis bien des années, je suis devenu membre à
vie de cette société dont les réunions annuelles étaient parfois homériques et j'en suis fier.
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III - Le bonheur dans la recherche :
De la théorie à la pratique
Comme pour beaucoup de mes camarades du même âge, vint le temps
de passer de la théorie à la pratique, et de rendre à la Patrie les bienfaits qu'elle
nous avait prodigués depuis la naissance. Le Service Militaire nous paraissait alors non pas une contrainte mais un
parcours naturel, d'autant que depuis l'enfance nous en avions entendu parler
dans nos familles et, lors des grands repas, il fournissait souvent l'essentiel des
conversations. Cette participation nous paraissait d'autant plus nécessaire que
nous étions rentrés dans une période de décadence après la perte de l'Indochine.
Je me souviens à ce sujet de la soirée de la chute de Dien Bien Phu, suivie heure
par heure à la radio, et accompagnée des tristes musiques de circonstance
C'était le commencement de la fin de notre Empire Colonial et l'Algérie
allait bientôt suivre.
Comme sursitaire, je m'inscrivis à la Préparation Militaire et choisis à
cette fin les Cadets de Rhin et Danube. Avec eux je fis un stage d'une quinzaine
de jours à la caserne de Sarrebourg, en Allemagne, où était en garnison le 8ème Dragons, ci-devant Penthièvre, et où des chasseurs à pied avaient laissé des
dessins humoristiques dans certaines salles, accompagnés de commentaires que
des dames patronnesses n'auraient sûrement pas appréciés !
Nous étions encadrés par des sous-officiers chevronnés, l'un d'eux avait
fait l'Indochine et un autre la Corée. Quelques mois plus tard, par une belle
journée de novembre1959, je pris le train pour Epernay où on m'avait affecté au
702ème Groupe d'Artillerie guidée, où je fis mes classes.
Deux mois plus tard, je fus muté au 25ème Régiment d'Artillerie, à
Thionville. Ce régiment d'artillerie classique, doté à l'époque des fameux 105 de
l'Armée Américaine et de quelques 155, correspondait du reste beaucoup plus à
mes souhaits d'instruction que les missiles, armes plus modernes dont je ne vis du reste jamais la couleur. Après quelques mois au quartier Jeanne d'Arc, le
temps d'y faire les pelotons, la République m'offrit un séjour gratuit dans cette
belle Algérie, dernier cadeau de la Monarchie qu'elle devait perdre dans des
conditions désastreuses !
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Nous avions encore à cette époque la base de Reggane, avec ses magnifiques
équipements aux fins d'expérimentation atomique. Après l'indépendance, le désert a englouti tout cela.
Autant que je me souvienne, personne n'a été irradié parmi nous... Les plus
grandes précautions étaient prises par notre encadrement ; du reste, il serait malséant
de se plaindre quand on vous invite à faire la bombe ! Dans la suite des opérations, nous fumes transférés du côté de Tamanrasset et
c'est à Hamoudia qu'avec les petits transitors que nous avions à l'époque, nous
apprîmes le déroulement du putsch d'Alger.
Des mois plus tard, ce fut le jour de la quille si désirée par certains qui ne savaient pas encore ce qui les attendait dans le civil. Je parle en connaissance de
cause car étant rentré par relation familiale dans les assurances, j'y ai vécu les deux
plus désagréables années de toute mon existence. Panier de crabes, bocal de scorpions, suite vécue des Misérables de Victor Hugo, les qualificatifs divers les plus
pessimistes conviennent à peine à caractériser ces années noires. Le seul intérêt que
j'y ai trouvé était la proximité de l'Hôtel Drouot, proche du quartier des assurances
d'alors. Je me décidais un beau jour - bien tardif quand j'y pense - à donner ma
démission et je ressentis sans doute alors le même sentiment de libération que les
évadés du Bagne. Il n'y avait pas à cette époque de problème de chômage et huit jours plus tard je trouvais du travail dans une banque. C'était pour moi l'arc en ciel après
l'orage et c'est dans cette profession que je fis ensuite carrière, mais ceci est une autre
histoire, comme aurait dit Kipling...
22 A la billebaude à travers Saint Ouen
Ce beau et vieux terme de vénerie qui signifie globalement chasser à l'imprévu le gibier de rencontre, convient bien, au sens figuré, à caractériser mes fréquentes
recherches à Saint Ouen le samedi matin.
Pendant bien des années et par tous les temps, je fus un passager assidu de
l'autobus 95 qui nous emmenait en quelques minutes à la Porte de Montmartre. De là, le marché aux puces offrait ses différentes galeries aux touristes, aux collectionneurs,
aux marchands et à des visiteurs de toute sorte.
Sauf aux abords immédiats du périphérique, où étaient revendus à vil prix divers objets ménagers, des outils probablement volés dans les usines, le marché aux
puces ne méritait plus guère ce nom. En effet, certaines de ses galeries, comme le
marché Biron, par exemple, étaient d'une très haute tenue, au niveau de celles du
Louvre des Antiquaires qui surgit des années plus tard. Certaines boutiques étaient gérées par d'anciennes comédiennes, d'autres étaient des succursales de magasins plus
importants de Paris. Ces gens de qualité, comme les aurait définis Monsieur Jourdain,
ne mettaient pas une ardeur excessive pour vendre les belles choses qui ornaient leurs points de vente. Ils se rassemblaient souvent autour d'une tasse de thé et discutaient
gentiment entre eux sans trop se soucier de leur clientèle qui craignait souvent de les
déranger.
Au niveau des prix, s’il y avait eu la possibilité de concrétiser des affaires juteuses tout de suite après la guerre, grâce à des personnes qui, ayant des choses à se
reprocher, avaient besoin de réaliser des ventes à tout prix avant de prendre la poudre
d'escampette entre temps, sans doute aussi sous l'influence de divers magazines, les prix s'étaient stabilisés et les « chopins » (c'est ainsi que les marchands qualifiaient à
l'époque les très bonnes affaires) se faisaient rares. Pas toujours, heureusement ! C'est
ainsi que, dans un médiocre tas de ferrailles diverses, je reconnus un jour une plaque
de giberne des Gardes de la Prévôté de l'Hôtel du Roi, d'époque Restauration, que j'obtins pour trois sous, avec une grande satisfaction car c'est une relique qui ne
courre pas les rues…
Une grande partie de ma collection de cuivreries militaires provient du reste de ce marché Biron, fief des meilleurs antiquaires. On pouvait aussi dans les autres
marchés trouver des choses intéressantes, dans la mesure où les spécialistes ne les
avaient pas encore enlevés dans leurs serres. Outre les beaux objets, on pouvait aussi,
au gré des rencontres de personnages originaux, trouver de la matière de brèves de comptoir. Ayant trouvé un petit tableau représentant un hussard de la mort de fière
allure, je voulus régler son prix par un chèque n'ayant plus de liquide sur moi. Mon
vendeur, à la vue du chèque de la Société Générale, me demanda si cette Banque était
bien connue. Lui ayant répondu par l’affirmative, il accepta mon chèque mais je sentis bien qu'il n'était pas tranquille…
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Tableaux -Armes – Cuivreries
« Ce que je sais le mieux, c'est mon commencement » fait dire Boileau à un
personnage des Plaideurs. Il en est de même pour le début du mariage. Le mieux, c'est le commencement ! La preuve en est que, quelques mois après notre hyménée,
mon épouse passant Boulevard Magenta, remarqua dans une boutique un tableau qui,
bien entendu, pouvait m'intéresser. Son prix n'était pas élevé, ce qui la décida à me
l'offrir. C'était une représentation d'un guide ou hussard d'époque Napoléon III, qui, arborant son sabre, avait fort belle allure. Ce tableau de Raymond Desvareux, dont
j'ignorais tout a priori, sauf le talent, me donna l'idée qu'il ne devait pas être le seul
mis en vente. Aussi, dès l'aube du lendemain, je me précipitai dans la boutique où ma femme avait trouvé ce beau tableau, et j'eus la bonne surprise de constater que le
marchand en avait d'autres... Dans la foulée donc, je m'emparai d'un beau cavalier
Restauration et d'un certain nombre de petits tableaux représentant des soldats anglais,
entre autres de la guerre de 1914-1918. Grâce à un article de la Sabretache, j'appris que cet excellent peintre avait été aussi à cette époque une sorte de correspondant de
guerre.
Dans le cadre de ces recherches, une promotion accompagnée d'une prime confortable me permit de faire l'acquisition d'une aquarelle d’Eugène Leliepvre,
représentant un beau hussard en forêt. C’était dans un petit magasin du Faubourg
Saint Honoré dont l'enseigne « Vieille France » était tout à fait justifiée ; il était tenu
par un excellent spécialiste de Militaria qui vendait moult figurines d'artistes confirmés dans ce domaine, comme Bernard Vanot, entre autres, dont le style était
inimitable. C'est aussi chez lui que je trouvais toute une collection de soldats de
Strasbourg qui ont trouvé garnison dans ma maison familiale de Normandie. La collection d'armes anciennes n'est pas des plus faciles. D'abord en raison
d'une législation de plus en plus restrictive, particulièrement pour les armes à feu, les
armes blanches étant moins visées. Ces mesures se justifient non seulement à cause
de l'abaissement de la morale inversement proportionnelle à l 'augmentation de la criminalité liée à une décadence des mœurs encouragée paradoxalement par les
pouvoirs publics, mais aussi par les dangers terroristes qui, comme les maladies
contagieuses, ressurgissent périodiquement… Notons en passant que ces mesures justifiées embarrassent surtout les honnêtes gens alors que les truands de tous poils
connaissent parfaitement les filières et les méthodes pour se procurer les armes utiles
à leurs forfaits.
En ce qui me concerne, j'ai collectionné beaucoup d'armes blanches, des fers de lances aux baïonnettes en passant par les sabres, lattes et bancals de cavalerie,
briquets de diverses époques, etc. et même quelques armes étrangères dont un Kriss
malais ou un petit sabre de Samouraï.
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J'ai possédé aussi quelques fusils dont le fusil de chasse de mon grand-père,
quelques pistolets et des fusils démilitarisés. Mais un problème majeur, en matière de collection d'armes, est celui de leur entretien. Nos glaives, tromblons, cuirasses et
autres ont en effet deux ennemies mortelles : la rouille et les femmes de ménage.
C'est la raison pour laquelle je fus amené à me séparer d'une partie de mes
collections dont principalement les armes, et leur revente me servit dans une petite mesure à l'achat d'un grand appartement.
Pour la cuivrerie militaire que j'ai conservée et un peu augmentée, c'est une
autre histoire car à moins d'habiter un lieu particulièrement humide, son entretien est
beaucoup moins astreignant que pour les armes. Par contre, et ce n'est pas le moindre intérêt de ce type de collection, elle
requiert de bonnes connaissances historiques, particulièrement de chronologie, et
point n'est besoin de préciser que dans ce domaine aussi la documentation est une priorité absolue. J'ai connu un des plus grands experts dans cette spécialité, Monsieur
Christian Blondiau, qui alliait le charme d'une conversation enrichissante à une
parfaite connaissance des caractéristiques et des origines des objets concernés. Il a du
reste publié deux ouvrages remarquables sur les cuivreries militaires qui font autorité. En l'an de grâce - ou de disgrâce - 2015, comme on voudra, c'est sur le site internet de
l'antiquaire expert M. Bertrand Malvaux qu'on pourra trouver de précieux
renseignements dans ce domaine en particulier mais aussi dans le Militaria en général. Dans le domaine de la haute qualité, il existait, il y a des années, rue de Pyramides,
un superbe magasin d'antiquités sous la responsabilité de Monsieur Bouché qui avait
une expérience confirmée dans ce domaine. Il était tenu par son épouse et sa fille, et
j'ai conservé le meilleur souvenir de ces deux dames. Des deux côtés du magasin, deux grandes vitrines contenaient des trésors : armes anciennes, cuivreries, etc. Il
avait même un rayon d'antiquités égyptiennes de haute qualité... C'est dire à quel
point les connaissances de M Bouché étaient étendues. Ce magasin existe toujours, mais en plus exigu. Il se situe maintenant à proximité du Palais Royal. Son stock a
diminué comme les heures d'ouverture mais l'esprit subsiste et c'est le principal.
J'ai fréquenté aussi certains magasins d'antiquités militaires Rue de l'Université,
où l'on pouvait encore trouver des Lucotte,1à condition d'y mettre le prix. Enfin, c'est au village Suisse que j'ai connu Madame Raso, trop tôt disparue, qui tenait un très
beau magasin d'armes anciennes, et M. Blondiau dont j'ai déjà parlé. Ce fut lui qui
expertisa mes collections avant de m 'en séparer. Il avait dans sa jeunesse participé à des formations musicales de variétés, jazz ou rock, où les deux sous le surnom de
Long Chris, avec un chanteur célèbre qui devint son ami. Il est devenu un des
meilleurs experts de la place parisienne, le destin a parfois des fantaisies mais le
principal c'est que tous les chemins mènent à Rome !
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Un des plaisirs du collectionneur est de faire partager son savoir et de faire
admirer aux personnes susceptibles d'être intéressées les plus belles pièces de ses collections. La chose est facile pour les figurines dans des vitrines, les livres etc. Par
contre, pour les armes c'est une autre histoire !
Au début de notre idylle, je voulus montrer à ma fiancée un superbe bancal
1822 et, pour lui faire constater l'excellent état et l'intérêt historique de ce beau sabre, je le sortis de son métallique fourreau, et en faisant mine de pointer je lui criais en
riant : « En Garde ! ». Malheureusement, à des fins d'entretien, le fourreau de l'arme
contenait encore quelques gouttes d'huile qui élurent domicile sut la pointe de la lame
du sabre. Or « Fatalitas ! » comme aurait dit le Chéri-Bibi de Gaston Leroux, ou « Coquin de sort ! » comme auraient déploré les gens du Midi, cette pointe entra en
contact avec la magnifique robe blanche brusquement ornée en son centre d'une petite
tache d'huile qui allait en s’élargissant. La suite des événements nous ramène aux tragédies antiques, particulièrement
le discours que me tint la propriétaire de la belle robe à cette occasion. Ses propos
n'auraient été désavoués ni par Euripide ni par Sophocle, encore moins par le
prophète Jéremie. Moralité : les armes et les épouses ne font pas toujours bon ménage !
J'ai connu, il y a bien des années un collectionneur et marchand qui m'invita dans sa banlieue pour me faire admirer sa belle collection de rapières qui aurait fait
l'admiration d'un spadassin confirmé. Elle était fort belle, et bien entretenue, sauf que
son emplacement, en raison de l'exiguïté des lieux, était assez originale. Il n'avait rien
trouvé de mieux que de la placer dans sa chambre à coucher, au-dessus du lit conjugal. Plus tard, j'eus l'occasion de revoir sa jeune épouse mais dans un autre magasin. Elle
avait entre temps divorcé...
Ce genre de comportement était bien connu d'un excellent vendeur de la Rue de Miromesnil qui m'avait dit un beau jour : « La femme est l'ennemie mortelle des
collections et partant des collectionneurs car elle ressent une concurrence déloyale au
niveau de l’affectivité ! ». Il avait en réserve beaucoup d'anecdotes vécues pour
illustrer son propos. Il reçut ainsi un jour la visite d'un couple qui d'apparence ne se situait pas dans la catégorie des économiquement faibles. Le monsieur, d'un
embonpoint glorieux et d'un âge certain, semblait très curieux d'une paire de petits
pistolets XVIIIème. Son aimable épouse, engoncée dans un manteau de fourrure qui lui donnait de loin l'aspect d'une espèce inconnue d'ours, ne cessait de dire à son mari :
« On s'en va ! C'est pas intéressant. »
Sur le point de la rejoindre, le mari n'eut que le temps de murmurer à l'oreille
du vendeur : « Mettez les moi de côté, je reviendrai les chercher la semaine prochaine et seul bien entendu ! » Il y avait jadis parmi les habitués de Saint Ouen,
un petit homme en gris qui se confondait avec les murs. Après sa traversée du Styx,
sa veuve découvrit dans sa cave une fabuleuse collection d'objets militaires dont il n'avait jamais avoué l'achat.
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IV - Le bonheur dans la connaissance :
« Avec le temps va, tout s'en va… » Cet aphorisme repris dans une chanson
de Léo Ferré, ne se vérifie pas toujours.
Chronos nous apporte en effet au fil des ans bien des informations qui se
glissent dans notre mémoire comme ces livres qu'on vient d'acheter et qui se
placent à la suite des autres dans les bibliothèques.
Pour beaucoup, les circonstances de la vie ne changent absolument rien, les goûts restent les mêmes, et parmi les passions, il en est une qui demeure : la soif de connaître. Après bien des années, elle surpasse toutes les autres. Même le bonheur
de la possession devient secondaire, ce qui est heureux compte tenu du très bas étiage
des retraites, frein naturel à de nouvelles emplettes !
Par bonheur, depuis quelques années, nous sommes entrés dans l'aire du numérique et les consultations des sites internet, de plus en plus nourris, sur les sujets
qui nous intéressent tant deviennent disponibles. Nous pouvons ainsi compléter des
connaissances et avoir enfin accès à des ouvrages dont le prix interdisait la communication.
Pour les personnes affligées de handicaps particuliers ou inhérents à l'âge,
mettant obstacle à la mobilité, il devient désormais possible de consulter une infinité
de documents et de livres sans sortir de chez soi, ce qui est un progrès considérable. « On se lasse de tout sauf de comprendre ». Cette pensée de Virgile, tirée des
Bucoliques, reste pour nous une sorte de doctrine, de voie sacrée.
La devise de Colonel Général, vieux régiment d'Ancien Régime, complète bien
cette idée : elle a d’ailleurs été reprise par la Société d'Histoire militaire La
Sabretache :
« Praeteriti fides, exemplumque futuri ».
« Fidélité aux Anciens et exemple pour les générations à venir »
Ainsi, de l'écolier au collégien, de l'étudiant au soldat, du banquier au retraité, la même idée directrice a embelli ma vie. La connaissance de notre glorieux passé
militaire intimement lié à notre Histoire, a toujours été un but, et c'est même pour moi
comme pour beaucoup une consolation à une époque dont le prestige n'est pas la
qualité principale… Le fait d'avoir aussi servi, au temps du service Militaire qui, contrairement à ce
qu'ont pu médire certains, était beaucoup plus exaltant et intéressant que de
médiocres fonctions civiles, avec l'expérience liée au poids des ans, la connaissance
de nos gloires oubliées ou pas, j'ai toujours ressenti l'Honneur d'être d'un grand pays : La France.
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