Traumatologie routière en Côte d'Ivoire. Incidence économique

Urgences 1996;XV: 197-200 0 Elsevier. Paris

Traumatologie

Traumatologie routkre en C6te d’lvoire. Incidence konomique

A Amonkou, D Mignonsin, S Coffi, D N’Dri D, A Bondurand

Dbpartement d’anesthksie r@animation, CHU, 07 BP, 8581 Abidjan, Rbppublique de C&e d’lvoire

(Accept6 le 24 septembre 1996)

R&urn6 - Ce travail, destine a evaluer les touts economiques des accidents de la route, a porte sur 1 558 accidents corporels survenus en 8,3 mois, et qui ont fait 2 571 victimes evacuees aux urgences chirurgicales et en reanimation. Ces accidents ont occasionne 68 d&es et 142 208 jours d’incapacite temporaire de travail. Dans I’evaluation, les facteurs de tout qui ont ete pris en compte sont : les dommages materiels ; I’evaluation des victimes ; les soins medicaux et les frais d’hospitalisation ; I’indemnisation des dommages corporels et des prejudices annexes par les compagnies d’assurance et la Caisse nationale de prevention sociale (CNPS) ; les frais de funerailles et les revenus definitivement perdus. Ces 1 558 accidents corporels ont ainsi coute 7,366 milliards de francs CFA. Ce cofit direct est une fois et demie superieur au budget de fonctionnement de toute 1 annee du CHU de Cocody, qui a accueilli ces blesses. En realite, les accidents de la circulation coutent a la CGte d’lvoire 1 % de son produit national brut (PNB). Pour eviter ce gachis materiel et humain, les auteurs insistent sur la necessite d’un programme energique de secours et de prevention de la traumatologie rout&e, en mettant I’accent sur le principal facteur favorisant qu’est I’homme.

Summary - Economic incidence of road traumatology in ivory Coast. This sh~udy intended to value the economical cosfs of road injuries. It concerned 1558 corporal accidents arised on 8.3 months, and 2571 casualties evacuated to the surgical emergency and intensive care unit. These injuries occasioned 68 deceases and 142,208 days of temporary disablement. For the valuation, the cost factors considered were: the material damage; the casualties evacuation; the medical care and hospitalisation cost; the corporeal damage and other prejudices indemnification by insurance companies and by the Na tiortal Case of Sociat Providence (NCSP); the funeraf expenses and the definitive lost of winning. These 1558 corporeal accidenfs have then cost 7,366 billions francs CFA. That direct cost is 1.5 times superror to the whole annual functioning budget of the Cocody University hospital which admitted these victims. Actually traffic accidents cost to the country 1% of the gross national product. To avoid that materiel and human mess, the authors finally insist on the necessity of an energetic assistance and prevention program of road traumatology, which emphasizes on man: the principal factor.

La traumatologie routiere represente un veritable probleme de Sante publique dans les pays en voie de developpement, la peste ou le fleau des temps modernes a-t-on pu dire [1 ,7, 141, surtout a cause de sa frequence et de sa qravite.

Ce travail, destine a evaiuer les couts economi- ques des accidents corporels, a ete mene au CHU de Cocody sur une periode de 8,3 mois. II a porte sur des victimes dont la plupart ont ete evacuees

MATliRIEL

Cette etude a porte uniquement sur les accidents cor- porels et leurs victimes (2 571 victimes de 1 558 acci- dents) dont I’age est compris entre 0 et 65 ans. On compte deux femmes pour cinq hommes (sex-ratio a 2,5). II s’agit de victimes relevees sur les lieux de I’accident (lors des gardes du Samu), ou evacuees aux urgences chirurgicales, ou hospitalisees en traumato- logie, en stomatologie, en ORL, en ophtalmologie, en

aux urgences chirurgicales et en reanimation. neurochirurgie et en reanimation.

198 A Amonkou et al

Fig 1. Repartition selon I’age des victimes

2% zmues wntre pi&m

653% V~hiark cordre oi

Fig 2. Repartition selon le type d’accident corporel

MliTHODE

II s’agit dune etude prospective qui a consiste en : - une enquete dont le but est de recueillir toutes les informations concernant les accidents corporels surve- nus a Abidjan et les villes voisines sur une periode de 8 mois consecutifs ; de completer ces informations epidemiologiques et cliniques a I’aide des rapports d’in- tervention des sapeurs-pompiers militaires (GSPM) donnant les indications sur les vehicules accident& (type et marque, immatriculation, police d’assurance et degats subis) et a partir des pro&s-verbaux et constats de police du commissariat central d’Abidjan, situant les responsabilites ; de connaitre I’issue juridique ou amia- ble, et le dedommagement accorde aux victimes au- pres du Tribunal de premiere instance d’Abidjan, des compagnies d’assurance mises en cause et de la Caisse nationale de prevoyance sociale (CNPS) (pour les accidents de trajet) ; - un traitement theorique de tous les cas non encore resolus, a partir du bilan des lesions, de la duke d’hos- pitalisation ou d’incapacite temporaire de travail (ITT) figurant sur le certificat medical initial (CMI) et de la determination du taux d’incapacite permanente partielle

Tableau I. &partition selon les differents types de lesions.

Types de Iksions Nbre de Pourcentage lksions

Plaies superficielles, contusions 1 341 47,4 Perte de substance 497 17,6 Extra- et intracranienne 315 11.1 Maxillofaciale 104 3,7 Vertebromedullaire 31 1,1 thoracopulmonaire 41 I,4 Intra-abdominale 34 12 Membre superieur 172 61 Bassin 34 12 Membre inferieur 260 92 Total 2 829 100

(IPP) a I’aide de baremes d’invalidite [9, 18, 221, ainsi que tous les prejudices annexes. La conversion des differentes incapacites et prejudices en sommes d’ar- gent s’est operee selon les modeles pratiques par les compagnies d’assurance et la CNPS (identique a la Securite sociale francaise) [9].

RhULTATS

Au terme de cette etude, nous avons denombre un total de 1 558 accidents corporels qui ont fait 2 571 victimes dont 68 decedes, soit un taux de mortalite de 2,64 % avec une moyenne de six accidents et 11 victimes par jour.

La figure 1 montre que I’age le plus eprouve par les accidents se situe entre 20 et 30 ans, le seuil de maturite, age de I’impetuosite (258 %), entre 30 et 45 ans, dans le feu meme de I’action et de la pleine productivite (21,2 %) et entre 0 et 10 ans, age de I’innocence meme, age ou I’on est gene- ralement plus victime que fautif (19,7 %).

Quant au type d’accidents, on observe une nette predominance des accidents de type vehi- cule-pieton (655 %) (fig 2). Aussi peut-on dire qu’il regne une reelle insecurite pour les pietons. Les enfants surtout paient un lourd tribut sur les routes urbaines.

Pour le ramassage et I’evacuation des victimes, sont intervenus respectivement : - le GSPM et le Samu dans 64,5 % des cas ; - les pat-ticuliers dans 33 % des cas ; - les ambulances ordinaires des centres de Sante urbains pour 1,7 % ; - les transports aeriens pour 0,2 % ; - les pompes funebres pour 0,6 % (enlevement et transfert a la morgue).

Le bilan des lesions rapporte dans le tableau I montre que : - les lesions superficielles occupent a elles seules pres de la moitie des lesions totales observees (47,4 %) ; - les traumatismes craniens sont assez frequents (11 ,l %), occasionnant 75 % des d&es, de meme que les fractures des membres inferieurs,

Traumatologie routikre en C&e d’lvoire 199

Tableau II. Repartition des victimes selon I’ITT.

Moyenne Victimes Pourcentage Total 0 des ITT

moyens (il

< 14 7 14-30 15 30-60 45 60-90 75 90-l 20 105 120-150 135 > 150 200

Total _

724 28,2 5 068 427 17,l 6 405 339 13,5 15255 280 11,2 21 000 394 15,7 41 370 226 9,l 30 510 113 4,5 26 600

2 503 100 142 208

qui surviennent chez les pietons en majorite (9,2 %) ; - les polytraumatismes ne sont pas rares non plus (6,8 %) et traduisent la violence des trauma- tismes, violence generee par la vitesse excessive ayant precede I’accident.

De tous ces blesses, seuls 282 soit 11 % se- journeront a I’hopital. La majorite des patients y passent entre 30 et 60 jours (31,6 %), entre 21 et 30 jours (26,2 %) et entre 14 et 21 jours (16,7 %). La duke moyenne d’hospitalisation est de 37 jours.

La determination de I’incapacite de travail chez les victimes traitees est indiquee dans le ta- bleau II ; on voit I’importance du temps de traite- ment et de repos necessite par ces traumatismes, en moyenne 142 208 jours pour les 2 503 blesses pris en charge.

Des invalidites permanentes ont ete retrou- vees : amputations de membres (sept cas), avul- sions dentaires (11 cas), paralysie de membres (cinq cas), traumatismes craniens (315 cas ris- quant un syndrome postcommotionnel).

Les differents facteurs de coot economique ont ete evalues. Ce sont les dommages materiels, I’evacuation des blesses, les soins medicaux et les frais d’hospitalisation, I’indemnisation des dommages corporels par les compagnies d’assu- rance et la CNPS et les frais de funerailles. Le cotit direct de ces 1 558 accidents corporels est de 7,366 milliards de francs CFA (tableau Ill).

COMMENTAIRE

L’incidence economique de la traumatologie rou- tiere en C&e d’lvoire est considerable. Pour 1 558 accidents corporels survenus en 8,3 mois les cal- culs [3, 8, 9, 21, 22, 23, 241 ont abouti au cofit de 7,366 milliards de francs CFA (1 franc francais est egal a 100 francs CFA). Ce chiffre est d’autant plus important qu’il est superieur (une fois et de- mie) au budget de fonctionnement du CHU de Cocody pour la meme annee (4,56 milliards en 1994). Une etude faite par I’office de la securite

Tableau III. Tableau rkcapitulatif des cotits des accidents corporels.

Effectif Cotit moyen (francs CFA)

Dommages mat&ie/s 1492 587 400 Constats 1 361 4 697 400 Expertise 603 28 890 000 Remorquage 200 7 000 000 RBparation 1 640 1 452 000 000

hacuafion des victimes 556 458 320 GSPM + Samu civil 1 658 546117340 Particuliers 849 2 545 980 Ambulanciers ordinaires 45 1 795000 Voies ahiennes 4 6 000 000

Soins hospitaliers 1266481500 Fonctionnement CHU 7 % 314 340 070 MBdicaments 2 556 34 431 430 Ordonnances 2 546 51 280 000 Hospitalisation 282 866 430 000

lndemnisation des victimes 4 009 837 000 Certificats mbdicaux 2 503 75 090 000 Expertises medicales 1218 91 350 000 ITT 2 503 285 837 000 IPP 332 447 600 000 Pretium doloris 2 503 1 501 800 000 Prejudice moral 68 217 600 000 Prejudice materiel 56 1 390 560 000

Funbrailles 68 40 800 000

Total - 7366164220

routiere ivoirienne (OSER) en 1984 rev&e que les accidents cofitent excessivement cher a la C&e d’lvoire : 1 % du PNB [22].

A ces couts directement lies aux accidents et endosses par les victimes, leurs proches et les compagnies d’assurance, il faut associer les couts non moins importants des actions politiques de prevention et de secours [4,11,14,18,19,25,27]. Cependant ces derniers ne paraissent pas exces- sifs [24] puisque nous savons maintenant que pour 1 558 accidents &it&, on pourrait economi- ser 7,366 milliards de francs CFA, et encore quand on sait que la vie humaine n’a pas de prix. II convient done de multiplier et d’intensifier les efforts de prevention et de secours de la trauma- tologie routiere, veritable probleme de Sante pu- blique [1 ,2,7, 10, 15,201, qui touche la population jeune et productive.

Au niveau de la qualite des secours, on remar- que la part t&s importante des particuliers (secou- ristes benevoles) dans le transport des blesses (33 %). Ainsi, comme le disait Patel, il y a plusieurs annees : <G c’est encore trop souvent un passant de bonne volonte mais non Qduque qui ramasse le bless& trop souvent une ambulance d&wee de tout moyen de reanimation et de personnel quali- fie qui le transporte... )). Et ces blesses ne recoi- vent leurs premiers soins qu’aux urgences, soins qui auraient pu Qtre dispenses sur les lieux de I’accident et pendant le transport medicalise (Samu), si on avait su << provoquer les secours )>. Une large campagne d’information merite done

200 A Amonkou et al

d’etre renouvelee, qui expliquerait la relation entre les premiers soins, la qualite du transport et l’evo- lution du grand blesse [13, 191.

Dans la genese des accidents, I’homme vient en tete (84 %), a cause de sa mentalite, son ignorance du code de la route, son alcoolisme, son etat de Sante, son indiscipline et son abus de vitesse [6, 14, 15, 19, 25, 271. II est suivi par le vehicule (10 %) par vice mecanique [14, 151 et, enfin, par I’environnement routier (6 %) que peu- vent aggraver les conditions atmospheriques [6, 10, 151. II convient done d’agir en meme temps sur tous les elements de cette trilogie epidemiologi- que, en insistant davantage sur la conversion de la mentalite humaine qui doit commencer d&s la plus tendre enfance. Car des mesures plus effi- caces couteraient moins cher a la societe [19]. Et les cercueils des victimes ainsi evitees pourraient fournir assez de planches pour loger dignement les sans-abris.

CONCLUSION

L’incidence economique de la traumatologie rou- tiere est considerable : 1 % du produit national brut de la C&e d’lvoire. Ceci appelle un pro- gramme energique de lutte et de prevention. Car, en definitive, des mesures plus efficaces coirte- raient moins cher a la societe, puisqu’en evitant un grand nombre d’accidents, on fait des econo- mies financieres substantielles. Mais surtout des vies humaines sont ainsi sauvegardees, et des forces potentiellement productives sont effective- ment investies dans les actions de developpe- ment et de progres.

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