Savoir est-il vraiment factif?

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Mouhamadou El Hady BA

Présentation au Séminaire Doctoral d’Études Cognitives

Centre d’Épistémologie des Sciences Cognitives

ENS – LSH Lyon Le 10/02/2012

Savoir est-il vraiment un état mental factif?

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Introduction Nous nous proposons de critiquer la conception de Williamson selon

laquelle savoir est un état mental factif. Nous accepterons que savoir est

effectivement un état mental et soutiendrons la thèse selon laquelle cet

état mental n'est pas factif. Ensuite, nous proposerons une explication

naturaliste du concept de savoir. Nous nous appuierons sur la

métacognition pour justifier la différenciation croire/savoir, rendre

compte de l'illusion de factivité qui s'attache à savoir et du rapport de

cette illusion à la pratique scientifique.

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Plan:

I.  Préliminaires historiques

II.  La conception classique

III.  Les cas Gettier

IV.  Williamson: Savoir est un état mental factif

V.  Réfutation

VI. L’axiome (KT) de Demolombe

VII. Spéculations sur l’illusion de factivité

VIII. Conclusion

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Préliminaires historiques

Que savait Newton?

•  Newton vs Huygens sur la nature

corpusculaire ou ondulatoire de la

lumière

•  Fresnel: La lumière est une onde

•  Einstein: Effet photoélectrique

Qui savait quoi?

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Préliminaires historiques

Newton & l’alchimie

Newton a sans doute été le plus grand

alchimiste de son temps. A consacré

plus de recherches à ce domaine qu’à

tout autre.

Quel statut accorder à ses recherches

dans ce domaine?

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Préliminaires historiques

•  1926-1966: de Broglie a travaillé dans le cadre de la MQ orthodoxe

et a fait des contributions majeures à la théorie

•  1966: avoue qu’il a toujours tu ses doutes concernant

l’interprétation de Copenhague

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Préliminaires historiques

La notion de savoir que nous cherchons à définir devra à la fois

prendre en charge nos intuitions sur ces cas-là et être plausible dans un

cadre naturaliste

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La conception classique: Platon: Théétète §211 :

THÉÉTÈTE.

Écoute une chose que j’ai ouï dire à quelqu’un, et que j’avais oubliée. Il

prétendait que le jugement vrai accompagné de son explication est la

science ; et que le jugement qu’on ne peut expliquer est en-dehors de la

science : que les objets dont on ne peut pas donner d’explication ne

peuvent se savoir ; et que ceux qui sont explicables sont seuls

scientifiques : ce sont ses propres termes.

Savoir = croyance vraie justifée

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Les cas Gettier Gettier (1963): Is Justified True Belief knowledge?

•  Une croyance vraie, même justifiée, ne suffit pas à faire une

connaissance

•  Illustre par les fameux cas Gettier:

Exemple: Mon collègue Jean me propose de me vendre le scooter qu'il

utilise tous les jours depuis un an pour venir au bureau

Inférence:

(p): Jean a un scooter qu'il désire vendre.

Question: est-ce que je sais (p) ?

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Les cas Gettier

Étant donné que j’ai inféré (p), on peut accepter que je crois que (p).

De plus, cette croyance est pourvue de justifications. C’est parce

que depuis un an, je vois Jean venir tous les jours au bureau avec le

scooter et parce qu’il m’a proposé de me le vendre que j’en déduis

que le scooter appartient à Jean.

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Les cas Gettier

Information nouvelle: en fait ce scooter est celui de l’épouse de Jean

•  Je ne sais pas que (p), même si j’ai des justifications pour croire (p)

•  Parce que (p) est faux

•  Or un savoir est une croyance vraie et justifiée.

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Les cas Gettier

Seconde information nouvelle: Jean un scooter identique à celui qu'il a

proposé de me vendre, que son frère a conduit toute l’année dernière et

qu'il a demandé à son frère de vendre.

Question:

Est-ce que je sais que Jean a un scooter qu'il désire vendre?

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Les cas Gettier

Je crois que Jean a un scooter qu'il désire vendre, j'ai une justification

pour croire cela et Jean a effectivement un scooter qu'il désire vendre. Et

pourtant on serait réticent à m'attribuer ce savoir.

Conclusion:

contrairement à ce que pensait (?*) Platon, le fait qu'une croyance soit

vraie et justifiée ne sufit pas à en faire un savoir

*Le Théététe est un dialogue aporétique, non?

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Les cas Gettier

Gettierologie

•  Toute une littérature s’est développée après Gettier pour essayer de

préciser la notion de justification pertinente (cf. Dutant&Engel2005)

•  Que le savoir est une variante de la croyance est rarement remis en

cause.

•  Williamson (1995/2000) remet en cause radicalement cette approche

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Williamson: Savoir est un état mental

Williamson 1995/2000:

•  Le savoir est un état mental primitif que l'on ne doit pas analyser

comme la croyance+ autre chose

•  Le savoir n’est pas une variante de la croyance, c’est plutôt l’inverse:

“on croit parce que l’on sait”

•  Que signifie exactement : “savoir est un état mental?”

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Williamson: Savoir est un état mental

« la thèse selon laquelle savoir est un état d'esprit doit être comprise

comme la thèse selon laquelle il y a un état mental dans lequel il est

nécessaire et suffisant de se trouver pour savoir p. En bref, savoir

est purement un état d'esprit. »

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Williamson: Savoir est un état mental

Savoir est un état mental disjonctif:

•  Il n’y a pas un unique état mental dans lequel on doit se trouver

pour savoir

•  Plusieurs états mentaux équivalents à savoir: si je vois que, entends

que, réalise que p alors je sais que p

•  NB: La formulation n’est pas anodine

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Williamson: Savoir est un état mental

Savoir est un état mental disjonctif:

•  La formulation n’est pas anodine

Je peux voir le ciel bleu sans savoir que le ciel est bleu mais si

je vois que le ciel est bleu, je le sais nécessairement.

Typiquement ce qui se passerait si j’étais daltonien.

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Williamson: Savoir est un état mental

Savoir est un état mental disjonctif:

savoir est l’état mental général qui résulte de l’union d’états mentaux

comme celui de voir que, réaliser que, entendre que, se rendre compte

que, sentir que, etc.

En tant que disjonction, reste vrai si seul l’un des termes est réalisé

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Williamson: Savoir est un état mental

Savoir est un état mental disjonctif et factif:

La particularité des verbes dont savoir est la disjonction, c’est que ce sont

ce qu’on appelle en linguistique des verbes factifs. Un verbe V est dit

factif si et seulement si :

V (a, x) → x est vrai

Comparer:

« Jean croit que la table est basse. »

« Jean voit que la table est basse. »

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Williamson: Savoir est un état mental

Savoir est un état mental disjonctif et factif:

L’état mental correspondant à savoir étant la disjonction des états

mentaux correspondants aux verbes factifs, Williamson désigne

savoir comme l’état mental factif le plus général (EMFG)

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Williamson: Savoir est un état mental

Savoir est un état mental disjonctif et factif:

Acceptons pour le moment que savoir est un état mental disjonctif.

Nommons M cet état mental disjonctif.

∃M [∀x ∀p S(x, p) → M(x)]

S(x, p)=V(x, p) ∨E(x, p) ∨R(x, p) ∨…∨Sm(x, p)

Cet état mental peut-il être factif ? Pour le voir, intéressons-nous à

l’illusion de Müller-Lyer

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Williamson: Savoir est un état mental factif

Illusion de Müller-Lyer

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Williamson: Savoir est un état mental factif

Illusion de Müller-Lyer et factivité

On sait que (a) et (b) sont de la même longueur mais on voit que (a) est

plus long que (b)

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Williamson: Savoir est un état mental factif

Illusion de Müller-Lyer et factivité

1.  On sait que (a) et (b) sont de la même longueur mais on voit que (a)

est plus long que (b)

2.  Or voir que est censé être factif au même titre que savoir que

3.  Donc, nous sommes dans un état mental similaire à voir que mais qui

n’est pas le même. La possibilité existe pour tous les autres facteurs

de la disjonction.

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Williamson: Savoir est un état mental factif Illusion de Müller-Lyer et factivité

Nous pouvons donc poser un symétrique de savoir, Cs(x, p) tel que:

Cs(x, p): ∃p [¬p ∧ Cs(x, p)]

À ce concept disjonctif correspond comme pour le savoir, un état

mental M’ tel que :

∃M' [∀x ∀p (Cs(x, p) → M'(x))]

Du point de vue de l’individu M et M’ sont indiscernables.

Comment justifier l’existence de deux états mentaux différents mais

indiscernables?

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Williamson: Savoir est un état mental factif

Illusion de Müller-Lyer et factivité

Du point de vue de l’individu M et M’ sont indiscernables.

Comment justifier l’existence de deux états mentaux différents mais

indiscernables?

Réponses de Williamson:

1.  Externalisme

2.  Rejet de la thèse de la transparence

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Williamson: Savoir est un état mental factif Externalisme et factivité

•  Pour un internaliste, les états mentaux différents doivent être

discernables du point de vue interne

•  Externalisme è Des facteurs externes déterminent nos états

mentaux. Donc l’indiscernabilité interne n’est pas un problème

•  Charge de la preuve: Williamson nous doit un mécanisme de co-

variation entre ce que nous savons et le monde qui justifie de

classer à part les cas Müller-Lyer

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Williamson: Savoir est un état mental Rejet de la thèse de la transparence:

« Appelons thèse de la transparence la thèse selon laquelle pour tout

état mental S, dès lors qu'on est suffisamment alerte et équipé

conceptuellement, on est en position de savoir si on est dans S. »

« ...l'une des sources du refus de voir la connaissance comme un état

d'esprit est le présupposé d'après lequel on doit toujours être en position

de savoir si l'on est dans un état mental donné. »

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Williamson: Savoir est un état mental Rejet de la thèse de la transparence:

« On n'est certainement pas toujours en position de savoir si on sait que p

[…] aussi alerte et conceptuellement équipé soit-on. »

Ex: je peux ne pas savoir que j’espérais que l’équipe de foot du Sénégal

fasse un meilleur score à la CAN et ne même pas être en position de le

savoir a priori.

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Williamson: Savoir est un état mental Rejet de la thèse de la transparence:

•  Williamson considère que le rejet de cette thèse garantit le caractère

factif de savoir.

•  Objection: si on combine le rejet de la transparence avec l’existence

d’illusion de type Müeller-Lyer, on ne pas pourra éviter le scepticisme.

Il croit rejeter la thèse de la transparence mais ce qu’il rejette en fait,

c’est que nous soyons jamais en position de savoir ce que l’on sait.

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Réfutation

La chute dans le scepticisme

S(x, p) → ∃M/M(x)

Mais, comme on le voit dans le cas de la vision:

∃p’ [¬p’ ∧ Cs(x, p’)]

Cs (x, p) → ∃M’/M’(x) ∧ I (M, M’)

I (M, M’)= M et M’ sont indiscernables

∀x ∀M ∃M’/¬K(M(x) ∨ M’(x))

Ce qui veut dire que nous ne sommes jamais en situation de savoir si

nous savons ou si nous croyons simplement savoir.

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Réfutation

La chute dans le scepticisme

Nous ne pouvons donc dire, a priori, dans quel cas nous sommes dotés de

connaissance et dans quels cas nous sommes sous l’illusion de la

connaissance. Nous avons toujours besoin de justification a posteriori pour

valider notre savoir. Une telle conséquence est contradictoire avec

l’affirmation de Williamson selon laquelle : « L'hypothèse de travail

devrait être que le concept savoir ne peut être analysé en concepts plus

fondamentaux. »

è Savoir n’est pas un état mental factif

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L’axiome (KT) de Demolombe Si Savoir n’est pas un état mental factif qu’est-ce exactement?

Quelle place pour le savoir dans une épistémologie naturaliste?

Inspiration possible: système de logique modale développé par Robert

Demolombe

•  Pas besoin de connaissance mais un opérateur k signifiant « croire

fortement que ».

•  La différence entre l’opérateur de croyance B et l’opérateur K est

l’axiome (KT) qui s’applique à K mais pas à B

(KT): Ka (Ka p → p)

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L’axiome (KT) de Demolombe

•  Axiome (KT):

(KT): Ka (Ka p → p)

•  (KT) se lit: “a croit fortement que si a croit fortement que p alors p est

vrai.

•  (KT) suffirait à rendre compte de l’illusion de factivité sans entrainer la

factivité

•  Je vais soutenir qu’il existe dans la cognition un équivalent de cet

axiome.

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Spéculation sur l'illusion de factivité

Acceptons que savoir et croire sont des états mentaux primitifs.

D’où vient l’illusion de factivité attaché au savoir?

Thèse: sentiments épistémique + contraintes évolutives expliquent à la

fois l’illusion de factivité et la nécessité de la justification

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Spéculation sur l'illusion de factivité

Sentiments épistémiques et connaissance

Supposons que dans un quizz, vous deviez décider de répondre à deux des

trois questions suivantes :

(1)  Quelle est la capitale de l’État de New York ?

(2)  Quelle est la capitale de la Guinée Équatoriale ?

(3) Quelle est la capitale du Sénégal ?

Quelles questions choisissez-vous?

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Spéculation sur l'illusion de factivité

Sentiments épistémiques et connaissance

Élimination probable de (2)

Pourquoi?

•  Aucune connaissance sur la Guinée Équatoriale.

•  Décision prise avant d’accéder aux réponses en mémoire

•  Basée sur un sentiment de ne pas savoir ou Feeling of not Knowing

(FonK)

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Spéculation sur l'illusion de factivité

Sentiments épistémiques et connaissance

Suite du Quizz: vous avez trouvé Dakar mais pas Albany. Vous devez

choisir entre continuer à chercher ou passer à la question suivante.

Persistance èFoK

Comment décider?

•  Mise en évidence de sentiment de savoir ou Feeling of Knowing (FoK)

•  FoK=bons prédicteurs de la réussite à une tâche donnée

•  Calibrés en fonction des enjeux

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Spéculation sur l'illusion de factivité

Sentiments épistémiques et connaissance

Les sentiments épistémiques font partie d’un ensemble de mécanismes

dits métacognitifs que nous utilisons de manière routinière pour surveiller

nos propres mécanismes cognitifs. Une partie de nos ressources

cognitives est consacrée à la surveillance de nos processus cognitifs de

sorte à pouvoir évaluer nos chances de réussite dans une tâche donnée et à

définir de meilleure stratégies cognitives.

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Spéculation sur l'illusion de factivité

Sentiments épistémiques et connaissance

Ces mécanismes métacognitifs sont à la fois la source (1) de la

différenciation entre croire et savoir et (2) de la nécessité de produire des

justifications pour appuyer la connaissance.

Le mécanisme serait le suivant

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Spéculation sur l'illusion de factivité

Sentiments épistémiques et connaissance

(1) Différenciation entre croire et savoir : L’attitude que j’ai envers

certains énoncés obéit à (KT), pour d’autre je les crois vrai mais ne

pense pas que ma croyance suffit à les garantir. Donc, il y a deux

catégories de croyances.

Différence ontologique entre ces deux catégories d’attitude?

Problème empirique selon moi

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Spéculation sur l'illusion de factivité

Sentiments épistémiques et connaissance

(2) Nécessité de produire des justifications pour appuyer la connaissance:

si les FoK et FonK sont généralement fiables, ils ne le sont pas

totalement. Donc nous avons besoin de la justification pour:

a)  Des impératifs de survie: la non fiabilité est dangereuse donc

une mécanisme indépendant de confirmation des connaissances

subjectives est une assurance.

b)  Argumenter en cas de divergence entre congénères (cf. Mercier

& Sperber 2011 )

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Spéculation sur l'illusion de factivité

La métacognition nous apprend que même si nous ne pouvons

résister à la conclusion que le fait qui déclenche chez nous l'état mental

M correspondant au savoir est vrai, il est déjà arrivé que nous

découvrions par la suite que p est faux.

d’où l’axiome (KT)

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Spéculation sur l'illusion de factivité

A mon avis, c'est ça qui est à l'origine de la fourniture de

justifications de plus en plus sophistiquées à l'appui de ce que nous

savons et à terme de la pratique scientifique qui ne fait que codifier la

méthodologie de justification.

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Conclusion

Je conviens avec Williamson que:

(a) l'épistémologie devrait être une branche de la philosophie de l'esprit

(b) Savoir est un état d'esprit

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Conclusion

Mais je pense que de (a) et de (b) nous devrions conclure:

(c) que savoir n'est pas factif contrairement à ce que l'on pourrait

penser

(d) que cette non factivité de savoir nous a obligé à développer des

méthodologies de validation de ce à quoi nous opinons et que c'est

cette obligation qui a sans doute fait émerger la science chez les

hommes.

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Conclusion

La combinaison de (a), (b), (c) et (d) me paraît bien mieux à même

d'expliquer la science telle qu'elle existe et nos pratiques linguistiques

quotidiennes que le fait de normaliser la pratique en faisant de savoir

un état mental factif.

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Merci de votre attention

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