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Mathias Virilli M2 Communication Sciences Po
Apprentissage à l’Atelier des médias & Mondoblog RFI
L’UTILISATION DES ARCHIVES JOURNALISTIQUES FRANCAISES DANS UN ENVIRONNEMENT
MÉDIATIQUE NUMÉRISÉ
QUELS FORMATS POUR QUELLES TEMPORALITÉS DE L’INFORMATION ?
SOMMAIRE Introduction :
mémoire et numérique : notre faculté d’attention et notre capacité à nous souvenir
journalisme et numérique historiens et journalistiques : deux travailleurs de la mémoire une profusion d’information ou la difficulté d’archiver une infobésité un temps médiatique toujours qui tend vers l’immédiateté ou la difficulté
d’archiver un flux continu journalisme et mémoire : qu’estce qu’a changé le web pour les
médias et leurs archives ? des archives interactives des archives personnalisées une variable d’évaluation historique accessible au grand public
définition archive archives et archives journalistiques trois types d’archives en fonction de leur temporalité
Problématique Dans un environnement médiatique numérisé, quels formats d’éditorialisation mémorielle les médias français ontil développé à partir de leurs archives ? I. Les archives définitives : une démarche documentaire
A. Tout archiver pour mieux documenter ? 1. les missions de l’Ina 2. un risque d’obsolescence ? 3. les droits de propriété 4. les missions de la BnF 5. le droit à l’oubli, symptôme d’un équilibre à trouver
B. la bibliothèque : un catalogue d’archives pérennes
1. Retronews 2. les vertus de l’evergreen content 3. RFI Savoirs
C. libre accès à une sélection d’archives organisées
1. Le Monde Diplo 2. Le Monde 3. l’enjeu de monétisation
II. Les archives intermédiaires : une éditorialisation ponctuelle, à
mitemps A. Les archives pour désancrer le présent de l’actualité
Manière de voir : les archives au service d’un présent détaché de l’actualité
B. Archiver pour ne pas oublier 1. France Culture Papiers : tous les trois mois, de la radio au papier 2. Le 1 : quand le journal se veut archive
III. Dans l’actualité, une utilisation occasionnelle des archives
A. Les archives, source de documentation historique 1. hommages, rétrospectives et anniversaires 2. à événements exceptionnels, usages exceptionnels
B. Les archives, un lien entre passé et présent
1. un retour sur l’actualité : bilans, synthèses, rapports 2. la newsletter : format par excellence de valorisation des archives
courantes 3. L’imprévu : le journal qui remet l’archive au goût du jour 4. un élément de contextualisation du présent 5. un point de comparaison et d’analogie
C. Les archives, source d’actualité ?
1. les archives, matière première de l’information Le #MadeleineProject : les archives sur les réseaux sociaux
2. l’article, un format périmé ?
le risque de l’éphémère des standards journalistiques à actualiser
3. le journalisme explicatif : actualiser l’information sans empiler les
articles Les Décodeurs faire interagir les archives entre elles ? le Particle du NYT Labs Les Jours : des protoParticles ?
Conclusion
L’objet de ce mémoire part d’une fascination personnelle : comment, depuis que nous sommes tous connectés, procèdeton à notre travail de mémoire ? Nous n’avons pas commencé à externaliser notre mémoire avec la création d’Internet. Depuis le néolithique, de nombreux supports ont servi de “prothèses physiques” à notre 1
mémoire. Ces artefacts nous ont permis d’archiver notre présent et de dépasser le cadre limité de la transmission orale. Seulement, Internet offre aujourd’hui des capacités d’archivage infinies, et il n’y a jamais eu autant de production de mémoire. Internet, contrairement aux précédents supports d’externalisation de la mémoire, offre un accès universel, illimité et immatériel qui a accéléré et massifié le processus de mémorisation. Aujourd’hui, il est possible de numériser son existence de manière, sinon exhaustive, du moins sans précédent. Des hommes s’y sont essayé, à l’instar de Gordon Bell. Son expérience de lifelogging, Total Recall, visait à tout archiver pour mieux se souvenir . Elle 2
s’est soldée, de son propre aveu, par un échec. Selon Louise Merzeau, professeur en science de l’information à l’université Ouest Nanterre : “si une mémoire intégrale était possible, elle nous rendrait fous, malheureux et incapables de penser”. Le stockage généralisé estil une voie d’extension de notre mémoire et de notre savoir ou s’agitil d’une dévalorisation de notre fonction mémorielle, à laquelle on accorderait moins d’attention? L’hypermémoire permise par Internet libèretelle notre cerveau d’un effort 3
d’archivage obsolète, ou vientelle obligatoirement avec une amnésie numérique ? Louise Merzeau considère que l’hypermémoire est une antimémoire dans la mesure où elle nous rend incapables de penser : “se souvenir, c’est déformer et reconstruire le temps révolu en fonction de visions et de projets, et non collecter la totalité des traces qu’il a produites”. Ce mémoire naît donc aussi d’une angoisse personnelle : comment, depuis que nous avons pris conscience du potentiel archivistique d’Internet, a évolué nos fonctions mémorielles, c’estàdire notre faculté à nous informer et à nous en souvenir ? Selon Louise Merzeau, le processus de mémorisation est déterminé par des facteurs ethnologiques et psychologiques, mais aussi techniques . Le rôle de l’artefact appelle selon 4
Bernard Stiegler à “développer une réflexion sur son mode de fonctionnement et ses limites” afin de ne pas déléguer notre mémoire sans en anticiper les conséquences. Que la 5
technologie soit un reflet, un cause ou un accélérateur de l’externalisation de la mémoire, elle nous interroge sur la façon dont nous mémorisons l’information. L’information, c’est la matière première du journaliste. Alors, dans cet océan mémoriel, quel rôle tient le journalisme visàvis de l’archivage ?
1 « Le numérique nous faitil perdre la mémoire ? », Philippe TestardVaillant, le Journal du CNRS, 23.10.2014 2http://www.lesinrocks.com/2011/01/23/web/totalrecalluneememoirepourenregistrertoutevotrevie1120885/ 3 « Nouveaux médias : trop de mémoire ou pas assez ? », Cyrille Franck, mediaculture.fr, 28.08.2010 4 « Les paradoxes de la mémoire numérique », Louise Merzeau, Revue Inter CDI 244, 09/2013 5 « Le numérique nous faitil perdre la mémoire ? », Philippe TestardVaillant, le Journal du CNRS, 23.10.2014
Passeur de l’ici et du maintenant, façonneur du temps et de l'espace, le journaliste assume la responsabilité de dire l’époque. Par son travail, il contribue à l’écriture d’une archive universelle. Le journalisme est une mémoire en action, un espace vivant de production du présent. Multiple, collective et plurielle, cette mémoire est aussi un testament à la postérité, une production qui relatera le passé et servira à l’avenir à une reconstruction historique. Ainsi, le journal est également un lieu de mémoire pour l’historien. A ce titre, il occupe un espace passif dans les archives, en attendant d’être potentiellement repris comme une trace représentative d’un passé historicisé. Dans un ouvrage paru en 2006, Patrick Charaudeau écrivait que l’”histoire est une discipline qui, avec sa technique de recueil des données dans les archives, sa méthode critique et ses principes d’interprétation, rapporte des événements du passé en en proposant une vision explicative”. Pour lui, “le discours journalistique confronté à la façon de relater les événements qui viennent de se produire ne peut prétendre à une méthode du même type”. En cause : son rapport au temps. “Le temps de l’histoire n’est pas celui des médias”, ditil. “Les événements rapportés par les médias doivent faire partie de l’”actualité”, c’estàdire d’un temps encore présent, considéré nécessairement comme tel, car il est ce qui définit (fantasmatiquement) “la nouvelle”.” “Le temps des médias n’a pas d’épaisseur, alors que celui de l’histoire n’est qu’épaisseur”. Surtout, Patrick Charaudeau considère que l’histoire “s’étend dans un long temps de recherche de données, de vérifications, de recoupements, qui établit une grande distance entre le moment de l’investigation et le moment du récit, alors que le deuxième ne vit que dans l’immédiateté, toute temporisation pouvant lui être dommageable dans le rapport de concurrence aux autres organes d’information.” 6 Toutefois, avec les capacités d’archivage permises par Internet, le journalisme ne pourraitil pas lui même entreprendre un travail sur sa mémoire plutôt que d’attendre le regard de l’historien, incomplet, problématisé et à l’audience souvent limité à un public universitaire ? 7
Avec Internet, le journalisme aussi a muté : hypertextualité, multimédia, interactivité, instantanéité, personnalisation et ubiquité représentent quelques uns des changements majeurs survenus au cours des quinze dernières années. Le journalisme s’est ouvert à la 8
multiplication des sources et au renvoi hypertextuel, au contenu multimedia et conversationnel. Surtout, la profession a vu un de ses contraintes, l’espace, devenir virtuellement illimité. 9
Internet a ainsi permis une profusion de production d’information, qu’elle soit journalistique ou non, qui fait que nous sommes aujourd’hui confrontés à un flux continu d’informations. La télévision et la radio avaient déjà rompu avec le rythme journalier de l’information pour la
6 « Discours journalistique et positionnements énonciatifs. Frontières et dérives » dans SEMEN 22 : Enonciation et responsabilité dans les médias, Patrick Charaudeau, 2006, p. 33 7 “Convergence and memory : journalism, context and history”, Marcos Palacios, 2010 8 “Webjornalismo: 7 caraterísticas que marcam a diferença”, dir. João Canavilhas, 2014 : http://bit.ly/29B0XLC 9 “Convergence and memory : journalism, context and history”, Marcos Palacios, 2010
rendre continue, mais le nombre de sources d’information resté circonscrit. Ce flux continu a mené au phénomène désigné sous le nom d’infobésité, ou tropplein d’information, dont les chaînes d’information en contenu sont l’exemple le plus révélateur. Avec Internet, l’accès à l’information est tellement facilité qu’il est désormais possible de localiser et de contextualiser le présent présenté par les médias soimême. De plus, le temps médiatique semble contraint à toujours plus d’immédiateté, comme en témoignent le succès d’audience des médias d’information en continu. Si une nouvelle chaîne publique devrait bientôt voir le jour, certains médias ont déjà été épinglés pour leur couverture prématurée. L’ODI publiait ainsi un rapport en mars dernier qui notait l’annonce 10
prématurée de la mort de Martin Bouygues par l’AFP ou du traitement des événements surgis dans l’HyperCasher par BFM TV. A l’origine de capacités d’archivage inédites et de changements majeurs de l’environnement médiatique, qu’a donc changé Internet quant aux archives journalistiques ? Dans le Code du Patrimoine, les archives sont définies comme « l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale, et par tout service ou organisme public ou privé, dans l’exercice de leur activité » . Si on devait transposer cette définition aux archives 11
journalistiques, cellesci seraient ainsi l’ensemble des publications quelles que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produites ou reçues par un média dans l’exercice de son activité. Dans sa définition des archives, le CNRS distingue trois types d’archives : les courantes, les intermédiaires et les définitives en fonction de leur “période de vie”. Les archives courantes sont produites dans l’environnement immédiat des journalistiques et sont essentielles à leur travail. Les archives intermédiaires sont les publications qui sont parfois consultés “soit en vertu de prescriptions légales soit comme objets de référence”. Enfin, les archives définitives sont les documents à conserver “indéfiniment”, “pour leur intérêt administratif, juridique ou historique”. A noter que le terme archives recouvre tout à la fois les documents produits que les services et les institutions qui se chargent de leur gestion notamment des archives définitives mais aussi les espaces de stockage de ces documents souvent désigné au singulier : l’archive. Avec Internet et les capacités d’archivage inédites qui en découlent, le fonctionnement de notre mémoire a évolué, de même que la façon dont nous nous informons. Cette évolution remet en cause les standards de la temporalité journalistique et appelle à repenser les formats journalistiques. Comment le journalisme remplitil son rôle de mémoire dans un environnement médiatique numérisé ? Le travail mémoriel numérisé changetil la production journalistique ? Quand la revue d’idées Esprit demande en 2009 à Pascal Riché, cofondateur du site d’information Rue89, si “Rue89, c’est un peu comme une radio avec une archive ?”, voici ce que ce dernier répond :
10 Rapport annuel de l’ODI : L’information dans la tourmente, mars 2016 http://bit.ly/1UkZ5qo 11 Art. L. 2111 du Livre II du Code du Patrimoine
– Oui : chez nous, il reste une trace durable, ce qui nous distingue des radios. Cela leur joue d’ailleurs des tours : parfoisune radio sort unscoop, mais n’a pas l’idée de lemettre sur son site internet. Nous reprenons l’info – en citant évidemment la radio –, et tout à coup, le lieu de référence de l’information, c’est nous.Sur les ondes, les infos s’envolent. Dans la presse papier, elles s’enterrent dans des archives inaccessibles. Sur un site internet, on peut accéder à des années d’information, en intégralité. La profondeur temporelle du site est quasi illimitée : grâce aux moteurs de recherche, les gens peuvent retrouver des articles très anciens. Maisnotre rapport à la durée est surtout transformé par le fait que la notion même d’article est modifiée : il peut arriver qu’un journaliste publie quelques lignes sur un sujet, puis qu’au fil de la journée, il y ajoute des informations. Comme l’a dit Laurent [Mauriac ], un article sur l’internet est, par définition, évolutif. Si nous 12
commettons une erreur, les lecteurs la remarquent et nous la corrigeons en direct. Un sujet d’article peut naître avec une discussion en ligne, puis être débattu pendant notre conférence de rédaction (où chacun peut participer puisqu’elle est ouverte). Ensuite, la rédaction prend le relais : l’enquête est, elle aussi, ponctuée de conversations avec les internautes. Enfin l’article est publié, mais il n’est pas encore achevé. Les lecteurs posent des questions, critiquent. Le journaliste doit encore répondre, parfois corriger ou enrichir son travail. 13
Les radios ontelles réussi à faire en sorte que les infos ne s’envolent pas ? La presse papier atelle trouvé un moyen de rendre ses archives accessibles ? Estce via des moteurs de recherche ? Comment la transformation d’un article, d’un sujet figé et inaltérable une fois imprimé à une publication évolutive et interactive, estelle appréhendée ? En bref, comment les médias français utilisentils leurs archives aujourd’hui ? La numérisation des archives atelle donné lieu à de nouveaux formats journalistiques ? Les trois temporalités d’archives décrites par le CNRS serviront de base à notre analyse de la façon dont les médias valorisent leurs archives. Nous verrons que l’utilité documentaire des archives connaît des développements éditoriaux depuis leur numérisation. La pérennité des archives prend aussi lieu dans des formats qui s’inscrivent dans une temporalité de l’information intermédiaire, où l’archive est à la fois un document de l’histoire et un produit de l’actualité. Enfin, les archives seront étudiées à travers leur rapport à l’actualité. Cette interrogation de l’archive nous mènera à une réflexion sur l’accord entre les formats et la temporalité de l’information dans un environnement médiatique numérisé. L’enjeu de ce mémoire sera donc de voir dans quelle mesure et comment la radio ainsi que la presse française mettent à profit la “profondeur temporelle” de leurs archives de manière adaptée à nos pratiques numériques. Nous nous focaliserons pour cela sur les exemples du Monde, du Monde Diplomatique, des radios de service public RFI et France Culture, de plateforme de la BnF Retronews, ainsi que de nouveaux médias comme L’imprévu ou Les Jours.
12 cofondateur de Rue89 en 2007 puis fondateur de Brief.me en 2014 13 « Le journalisme en ligne : transposition ou réinvention ? (Entretien) », 03/04.2009
I. Les archives définitives : une démarche documentaire A. Tout archiver pour mieux documenter ?
L’Institut National Audivisuel (INA) a été créé en 1975 pour conserver, gérer et valoriser les archives radiophoniques et télévisuelles. L’INA.fr permet d’accéder à un fonds de plus de 350 000 documents télé et radio, qui correspondent à 45 200 heures d’images et de sons. 14
Parmi elles, on trouve les actualités filmées pendant l’occupation, de grands entretiens radiophoniques ou des temps forts de l’histoire du sport, en bref : la mémoire d’un temps révolu mais rapporté par les médias de l’époque. Ces archives audiovisuelles sont classés dans plus de 3000 dossiers, à travers 10 thématiques, mais aussi à travers un accès à des pages personnalités et des émissions culte. Elles font l’objet d’un plan de sauvegarde et de numérisation depuis 1999 afin de les pérenniser. La pérennité des contenus, si elle est une chance pour l’archivage de la production journalistique, est également un préoccupation quant à l’obsolescence technique potentielle du lieu et du format de l’archive numérisée. Penser Internet dans la durée est devenue une question importante de la politique numérique, comme en témoigne la récente inscription de la mort numérique dans la Loi pour une République numérique, témoignent. 15
A compter d’un an après leur première diffusion, durée du délai de protection légal, l’INA peut disposer librement des archives qu’elle conserve. Elle contribue ainsi à l’exploitation des archives audiovisuelles des chaînes publiques selon une convention établie avec chacune des sociétés nationales de programme, qui fixe “la nature, les tarifs, les conditions financières des prestations documentaires et les modalités d’exploitation de ces archives” . 16
L’INA a donc pour but de mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national. L’Institut n’est toutefois pas dispensé de “respecter les droits moraux et patrimoniaux des titulaires de droits d’auteurs et de droits voisins d’un droit d’auteur, et de leurs ayants droits” . 17
L’INA est aussi en charge, avec la Bibliothèque nationale de France (BnF), du dépôt légal des programmes diffusés par les chaînes audiovisuelles et de l’Internet, et notamment du web média, avec 11000 sites comptabilisés. La BnF dispose elle aussi une bibliothèque numérique, Gallica, qui donne accès à des millions de documents, dont une partie produits par les médias. Regroupés dans la section “Presse et revues” , ces écrits retracent l’histoire de la presse écrite et des revues à travers 18
sept dossiers dédiés aux principaux quotidiens, à la presse locale et régionale, aux journaux en temps de guerre ou qui opèrent un filtre thématique ou géographique. Un éditorial y retrace l’histoire de la presse, de la fondation de La Gazette en 1631 à la Seconde guerre
14 http://www.institutnationalaudiovisuel.fr/offresservices/inafr.htm 15 http://www.leparisien.fr/hightech/lesdeputesvotentledroitalamortnumerique210120165473461.php 16 Fascicule de Benjamin Montels (2009) : OBJET DU DROIT D'AUTEUR OEuvres protégées. OEuvre audiovisuelle (CPI, art. L. 1122) 17 Ibid. 18 http://gallica.bnf.fr/html/und/presseetrevues/presseetrevues
mondiale en passant par l’instauration de la liberté de la presse en 1789, la loi la consacrant de 1881 et l’essor de différents types de journaux. La bibliothèque numérique est elle aussi alimentée par le programme de numérisation de la presse engagé par la BnF. Des titres de presse parus jusqu’en 1944 et ayant disparu après cette date ont ainsi été numérisés et mis en ligne. Cependant, des journaux existants toujours ont passé des contrats pour délimiter la date de publication audelà de laquelle la mise en ligne n’est pas permise. Celleci varie selon les journaux : L’Humanité l’a fixé à 1939, La Dépêche du Midi en 1936 puis en 1943 à partir de 2014, Ouest France en 1935 avant de changer pour 1944, tandis que La Croix a opté pour la période allant de 1883 à 1944. 19
Seulement des initiatives d’archivage institutionnel telles que celles entreprise par l’INA ou la BnF n’ont de véritable sens que si elles permettent une consultation ou, mieux, une réappropriation facilitée des archives numérisées. L’Ina.fr donne ainsi accès à 45 000 heures de contenus audio et vidéo et affiche 65 millions de vues. L’INA a aussi mis en place une offre de vidéo à la demande sur abonnement. Intitulée INA Premium, elle donne accès à 12 000 programmes vidéos et 8 000 programmes audio articulés autour de 8 genres pour 3€ par mois. L’Institut procède aussi à ce que Louise Merzeau appelle de l’”éditorialisation mémorielle” . 20
Chaque jour, les comptes de l’INA.fr publient une archive en lien avec l’actualité sur les réseaux sociaux. Qu’il s’agisse de rendre hommage à un événement du passé ou d’éclairer l’actualité du jour, l’INA remplit alors ses autres missions de service public : valoriser et transmettre. De même, l’Institut met ses archives à disposition de médias et autres sites partenaires afin qu’ils proposent des contenus innovants tels que des fresques interactives, de webdocumentaires, ou des serious game. En multipliant de la sorte les portes d’entrée dans ses archives, l’INA permet une découverte de son vaste patrimoine audiovisuel français par une large variété d’usages. C’est également l’objectif de Retronews, un site initié par BnFPartenariats et Immanens, l’entreprise spécialisée dans la publication en ligne ayant investi dans le projet. La plateforme permet de découvrir en ligne 3 siècles de presse française, de 1631 à 1945, grâce aux archives numérisées de la BnF. Retronews permet surtout une navigation visuelle et interactive à travers 15 millions d’articles de 50 des principaux titres de la presse d’information généraliste française. Le travail d’indexage, de renseignement de métadonnées et d’analyse sémantique ont abouti à un moteur de recherche thématique et sémantique. Retronews se rêve l’”INA de la presse écrite” et affiche comme objectif premier de “numériser de nouveaux titres de presse”, car aujourd’hui, seuls 5% de la presse écrite sont numérisés et disponibles en ligne”. 21
Fautil pour autant tout archiver ? Sur Internet, les productions journalistiques ne périment pas comme le journal : une fois en ligne, elles restent disponibles. Ce stockage numérique
19 http://www.bnf.fr/fr/professionnels/droit_auteur_types_documents/s.presse_d_a.html 20« Les paradoxes de la mémoire numérique », Louise Merzeau, Revue Inter CDI 244, 09/2013.net/archiveseditorialisationmemorielle/ 21 http://www.retronews.fr/quisommesnous
illimité a engendré une infrastructure hypertrophiée et avec elle, des interrogations relatives à la culture numérique qui y est associée. En effet, avec l’essor du numérique, le fantasme d’une mémoire intégrale a resurgi. La lutte contre l’oubli a laissé sa place à la lutte pour l’oubli, avec “des efforts, des savoirfaire, des technologies et des politiques pour réguler l’oubli”. 22
Après le devoir de mémoire est ainsi né le droit à l’oubli, créé pour protéger les données personnelles, tandis qu’une application comme WhatsApp a séduit un milliard d’utilisateurs 23
avec une promesse d’usage basée sur l’éphémère. Estce le signe d’une inversion du rapport entre mémoire et oubli ? Difficile à dire, d’autant plus que l’application vient d’introduire Memories , une nouvelle fonctionnalité qui permet de sauvegarder les photos 24
qui va à l’encontre de ce qui faisait la spécificité du réseau social jusqu’à maintenant. Faire mémoire n’est pas synonyme d’un archivage complet : la liquidation fait partie du processus mémoriel. Selon Louise Merzeau, professeur en science de l’information à l’université Ouest Nanterre, “il n’y a pas de mémoire sans une pensée de l’oubli” . 25
Maintenant que le web est un flux continu, il faut alors s’interroger sur ce qui ne mérite pas plus qu’une vie éphémère et porter son attention sur ce qui mérite de faire date.
B. la bibliothèque : un catalogue d’archives pérennes Au delà du choix primordial des archives sur le critère de leur valeur historique, il est primordial de fournir une expérience utilisateur qui facile la navigation à travers les archives ainsi qu’une animation éditoriale qui fasse vivre le fonds d’archives. Si la base d’archives de Retronews est considérable, le site utilise des techniques de data mining pour permettre des recherches multientrées. Il est donc possible d’appliquer des filtres par thématique, par personnage, lieu ou organisation, ou bien de naviguer sur le site à partir d’une frise chronologique interactive. RetroNews bénéficie également d’une éditorialisation quotidienne pour éclairer l’actualité par les archives. Outre la publication des “Unes du jour”, l’équipe chargée de l’animation éditoriale publie aussi des “Echos de la presse” qui mettent en récit la presse de l’époque. Retronews propose également 50 dossiers thématiques, rédigés par des professeurs de l’Education nationale. Ils sont composés de trois volets : une mise en récit de l’évènement vu à travers la presse, une revue de presse de l’évènement et un ensemble de ressources complémentaires (iconographies, vidéos, notices biographiques). Ils permettent ainsi de créer de nouveaux contenus à partir d’anciennes archives. Des éditos d’historiens, de chercheurs, de journalistes, de scientifiques ou de conservateurs, des focus sur des titres de presse ou des portraits d’hommes de presse proposent également une autre entrée dans les archives de la BnF. Le site a également mis en place 26
une newsletter hebdomadaire et a investi les réseaux sociaux sur lesquels le community manager fait remonter des archives.
22 https://youtu.be/o5knLmB7Uls 23 http://www.zdnet.fr/actualites/whatsappfacebookunmilliarddutilisateursactifs39832002.htm 24 http://rue89.nouvelobs.com/2016/07/06/memoriessnapchatchangetout264574 25 http://www.archimag.com/lekiosque/mensuelarchimag/pdf/296signatureelectronique 26 http://www.retronews.fr/communicationgeneral
Une plateforme telle que Retronews peut ainsi servir à alimenter le travail des journalistes comme des historiens. Nathalie Thouny considère qu’”on ne peut valoriser les archives qu’en ouvrant l’accès audelà de la communauté des chercheurs”. Retronews a donc pour vocation de “décloisonner l’usage des archives” en proposant un accès ouvert couplé d’une animation éditoriale et d’un enrichissement continu des archives. Le site devrait en effet accueillir de nouvelles archives au fil du temps, à mesure que des titres de presse depuis 1945 soient numérisés et que le public s’empare des options de contributions participatives. La formule gratuite permet l’accès à l’ensemble des archives, mais des formules d’abonnement donnent accès à des services supplémentaires parmi lesquels les options de recherche avancée, le filtrage intelligent, ou encore la possibilité de télécharger et d’imprimer les archives. Selon Nathalie Thouny, directrice de BNFPartenariats, la numérisation des archives est financée par les revenus tirés des abonnements. Contrairement à la partie “Presse et revues” de Gallica, favorise la réutilisation non commerciale libre et gratuite des reproductions numériques tombées dans le domaine public , Retronews ne permet pas la réutilisation des articles mis à disposition, propriété de la BnF . Par l’interface de navigation, les outils fournis et le service d’éditorialisation qui 27
constituent la plateforme, le site cherche à remédier au problème des archives, “peu consultées car inaccessibles et peu numérisées”. Nathalie Thouny espère que cette politique de valorisation des archives, prolongement de la mission de la BnF, donne suite à un essaimage dans des médias tiers sous d’autres formats, à la manière dont les archives de l’INA servent de point d’appuis à de nombreuses publications journalistiques. Contrairement à l’INA ou à la BnF, qui ont une vocation encyclopédique, les médias ont dans leur devoir de mémoire le droit de choisir ce qu’ils veulent oublier. Pour cela, il existe une méthode qui peut leur permettre d’identifier les archives à valoriser en priorité. Cette démarche de pérennisation vise en réalité à dénuer des sujets de leurs marqueurs temporels, en s’assurant toutefois que l’information reste d’actualité. Ce travail nécessite donc de savoir faire la différence entre les information de flux et de stock, c’estàdire être en mesure de séparer une information durable et une information périssable. Un article peut mixer les deux, avec par exemple une information circonstancielle qui donne corps à l’article mais qui implique des acteurs ou un contexte plus large, qui vont être traités de manière éphémère. Les médias qui souhaitent organiser leurs archives en catalogue ou en bibliothèque doivent ainsi être en mesure de départager, au sein d’un article, l’information qui peut être réutilisable de celle qui est contingente. C’est ce que les anglosaxons appellent l’evergreen content qui intéresse les archivistes : un contenu à la durée de vie très longue voire illimitée et par conséquent réutilisable. Le web sémantique peut aider à rechercher et extraire ce type d’information. Identifier le contenu impérissable dès sa création permet d’anticiper l’éventualité d’une réutilisation dans de nouveaux contextes. Les médias créent alors le premier brouillon de l’histoire, en même temps qu’ils font la synthèse du deuxième au même moment, devenant ainsi une ressource de savoir et de compréhension civique.
27 http://eduscol.education.fr/numerique/toutlenumerique/veilleeducationnumerique/mai2016/retronews
Le site RFI Savoirs, qui a ouvert en novembre 2015, s’est proposé d’organiser près de 3500 articles dans une centaine de dossiers thématiques. Né au printemps 2014, l’idée de RFI Savoirs met à disposition de l’internaute la richesse que représente la profondeur des archives de la radio. Si le site a mis un an et demi à voir le jour, c’est parce que les contenus ont été choisis manuellement, à quatre mains. Compte tenu du volume, Olivier Da Lage décrit la mission comme “s’engager dans la jungle avec un canif”. A ce jour, 70 à 75% des articles sélectionnés ont été classés suivant 7 thématiques principales : Économie, Environnement, Francophonie, Géopolitique, Histoire, Santé, et Sciences. D’après son rédacteur en chef, Olivier Da Lage, deux autres catégories suivront bientôt : Société et Culture. Chaque dossier peut contenir de quelques contenus à peine jusqu’à une quarantaine, mais tourne généralement autour d’une quinzaine d’articles et d’émissions. Selon Olivier Da Lage, la sélection “impitoyable” des contenus pertinents et la confiance dans la sélection humaine sont les atouts du balisage effectué. Il envisage son rôle comme celui d’un “chef cuisinier qui accommode les restes sans toucher l’aliment originel”. Les articles et contenus archivés nécessitent quand même souvent une réécriture pour enlever tout ancrage temporel. La date de publication originelle est bien sûr indiquée, mais le contenu est modifié dans une démarche de pérennisation. Les contenus peuvent également être mis à jour à l’occasion de leur mise en avant, comme ce fut le cas du dossier sur la disparition des abeilles. Originellement écrit en août 2011 par Patricia Blettery, l’article a été réactualisé avec de nouvelles informations. 28
De même, les dossiers sont mis à jour ponctuellement et peuvent être mis en Une du site s’ils résonnent avec l’actualité. Pour ne pas que les archives s’endorment, le site fait l’objet d’une éditorialisation permanente et d’une diffusion sur les réseaux sociaux. Si le contenu est redondant avec celui que l’on pourrait trouver sur le site de RFI à travers la barre de recherche, les deux portails n’ont pas la même vocation. Selon Olivier Da Lage, les besoins sont différents et les deux sites sont donc complémentaires. En effet, le site de RFI Savoirs est organisé comme une bibliothèque et s’adresse à ce que le rédacteur en chef appelle les “apprenants”, qu’ils soient encadrés ou autodidactes. Sur RFI Savoirs, les archives de RFI ont donc vocation à être organisées comme sur Wikipedia. Pour compléter sa base de données, le site a aussi décidé de nouer des partenariats avec des centres de recherche ou des associations de professeurs d’histoiregéographie. Ces partenariats se concrétisent par un échange de contenus sous forme de liens hypertextes et visent à combler et enrichir des contenus souvent très portés sur l’international par des informations plus tournées vers la France, comme c’est le cas avec le dossier “Comment, pourquoi la grande guerre” ou celui sur Jean Jaurès. RFI Savoirs répond à la volonté de rendre accessible audelà de l’empilement, de faire remonter à la surface des informations qui n’ont pas perdu de leur valeur pédagogique.
28 https://savoirs.rfi.fr/fr/comprendreenrichir/sciences/ladisparitiondesabeillesunphenomenequiinquiete
C. libre accès à une sélection d’archives organisées Si certains médias français ont compris l’importance de rendre accessibles leurs archives, peu sont ceux qui en proposent une valorisation éditorialisée. Ainsi, Le Nouvel Obs ou, 29
dans une mise en page plus travaillée, Slate.fr , se contentent d’un index par jour de 30
publication. Le Monde Diplomatique dispose aussi d’un index qui permet d’explorer ses éditions par date, numéro par numéro. Seulement, le mensuel a aussi créer un service de navigation 31
qui permet de les découvrir par pays ou zone géographique ou par thème. Sa page d’archives donne accès aux 50 000 articles publiés depuis la fondation du journal en 1954. Outre ces entrées thématiques, géographiques ou chronologiques, Le Monde Diplomatique inventorie également les archives en lien avec l’actualité ou ceux qui ont rapport avec “les pays, les événements ou les grandes questions évoqués dans le numéro du mois”. Ce dispositif éditorial permet de donner une seconde vie à des archives en contexte, soit qu’ils résonnent avec l’actualité récente, soit qu’ils permettent une mise en perspective d’une situation présente. Ces archives sont aussi classés en dossiers d’actualité constitués d’une liste d’archives, de cartes et de références extérieures. Enfin, Le Monde Diplomatique fait une sélection de “textes importants du moment”, comme une vitrine de la ligne éditoriale du journal qui propose ainsi son bestof de ses publications les plus pertinentes, qu’elles datent de 1973 comme c’est le cas avec “Résister aux sociétés multinationales”, écrit par Michel Rocard, ou un article sur l’”ordolibéralisme allemand” publié en août 2015. Les archives du Monde Diplomatique font partie intégrante de la stratégie éditoriale du journal. Si celuici tire ses ressources de la vente du mensuel papier, les articles publiés 9 mois auparavant sont en libre accès sur Internet. Accessibles via le menu, juste après l’onglet dédié au “Numéro du mois”, elles permettent de prolonger la lecture selon plusieurs logiques d’approfondissement. Le service d’archives du Monde donne accès à l’ensemble des articles publiés dans le quotidien depuis 1944, soit plus de 2,8 millions d’articles. Pour accéder à cette ressource documentaire, l’internaute peut choisir un événement marquant à partir d’une frise chronologique interactive, ou d’une liste qui les classe par décennie. Chaque événement marquant donne lieu à un dossier, composé de quatre ou cinq volets multimédias qui diffèrent selon les sujets. Sont ainsi proposés des “Faits”, souvent relatés par un article anniversaire ou la “Une”, qui affiche la photographie de l’archive originelle si elle est disponible. Ce peut aussi être un reportage, un récit, un portrait, un portfolio, une chronologie, une analyse ou un décryptage de l’époque ou encore une vidéo de l’INA. Si le sujet le permet, une mise à jour intitulée “et depuis…” donne suite aux enjeux ou à l’événement abordés. Cette mise en forme laisse également la place à un encart “A découvrir dans nos archives” qui propose 3 liens renvoyant vers d’autres archives. Outre cet accès en ligne sous forme de frise chronologique interactive, Le Monde publie une série bimestrielle de revues grand format intitulée “Une vie, une oeuvre”, consacré à des personnalités qui ont marqué l’histoire contemporaine. Ces horsséries proposent un
29 http://tempsreel.nouvelobs.com/index/ 30 http://www.slate.fr/archives 31 http://www.mondediplomatique.fr/archives
portrait, une étude de l’oeuvre, un entretien et les débats et hommages à partir des archives du journal. De la même façon, les livres historiques de la série “Ils ont changé le monde” puisent leurs ressources dans les archives du journal. lls retracent la trajectoire croisée d’hommes et de pays, à l’instar de Fidel Castro à Cuba ou de Margaret Thatcher au RoyaumeUni. Mis à part l’introduction et les éléments de contextualisation (titres, intertitres et exergues), les articles publiés sont tous des archives ordonnés “dans l’ordre chronologique des évènements dont ils parlent et non dans leur ordre de parution originale.” Ils font l’objet d’un travail d’édition afin de les rendre plus compréhensibles et d’enrichissement avec des éléments biographiques, des précisions historiques, et, surtout une chronologie introductive. D’après Frédérique Lamy, ces 20 livres sont destinés à un public de lycéens de première et de terminale ainsi qu’à des étudiants postbac : ils assument ainsi une vocation pédagogique. Mais, comme au Midi Libre, où les archives font l’objet d’un outil de recherche avancé jusqu’au 1er janvier 1990, les archives sont d’accès payant. Au Monde, les horsséries sont vendus en kiosque et les archives en ligne sont accessibles par abonnement à la version numérique du journal et font l’objet d’une application dédiée, Le Monde Archives. Les horsséries, eux, sont vendus en kiosque. Chez Midi Libre cependant, elles sont facturées à l’unité ou par pack d’articles. Un article coûte ainsi 3€, 10 coûtent 22,5€, 50 s’achètent à 99€ et 100 à 185€. Souvent, les archives courantes ne posent pas ce problème d’accès. Avec la délinéarisation induite par le web, il est tout à fait possible de remettre la main sur un contenu qui date de quelques jours, quelques mois voire quelques années. Pour ce qui est des archives plus anciennes, les médias estiment que leur valeur historique leur permet de les monétiser. Aux EtatsUnis, les journaux américains développent différentes stratégies pour monétiser leurs archives. Accès intégral contre abonnement annuel payant, accès gratuit aux archives récentes mais payant pour les plus anciennes, achat à la pièce : les modèles divergent, mais semblent trouver leur public. Cinq des plus anciens magazines américains offrent ainsi un accès en ligne à des contenus remontant jusqu’au milieu du 19è siècle. C’est ainsi que Vogue n’hésite pas à proposer l’intégralité de ses 122 ans de publication pour 1575 dollars par an. Le New Yorker a profité du lancement de son nouveau site pour proposer un libre accès à ses archives numérique pendant 5 mois, avant d’installer un mur payant, source de nouveaux abonnés. 32
Sur Wikipédia, la définition d’archives “dans le langage du web”, “se réfère à des pages anciennes plus forcément d'actualité” . Le terme “archiver” est associé à une forme de 33
passage du présent au passé. Gmail nous propose ainsi d’archiver nos messages une fois que nous les avons lus pour qu’ils puissent être rangés ailleurs que sur la boîte de réception, consacrée aux affaires présentes. L’email reste disponible, mais il n’est plus immédiatement visible : il faut engager une recherche pour la retrouver. C’est là le principal problème des types de valorisation des archives définitives que nous avons décrits jusqu’à présent un
32 “After the archive came down: The New Yorker’s revamped paywall is driving new readers and subscribers”, Nieman Lab, 11.03.2015 33 https://fr.wikipedia.org/wiki/Archives
usage bibliothécaire des archives est limité par le fait même qu’il faille chercher une information, et, par suite, s’y intéresser pour y accéder. Les archives peuventelles sortir de ses usages en tant que ressource bibliothécaire ? Outre leur traitement historique et documentaire, les archives peuventelles être valorisées sans pour autant s’ancrer dans l’environnement immédiat des journalistes ?
II. Les archives intermédiaires : une éditorialisation ponctuelle, à
mitemps Nous allons voir à présent qu’il existe dans les médias français des initiatives intéressantes de valorisation des archives, qui se placent dans une temporalité intermédiaire, où l’archive est considéré comme un objet de référence, entre document historique et information d’actualité. RF Podcast permet par exemple de retrouver gratuitement les émissions de Radio France sous forme d’un catalogue de 1400 émissions. Chaque émission propose 3 mois d’archives, qu’il s’agisse d’émission d’actualité ou de culture et de savoirs.
A. Les archives pour désancrer le présent de l’actualité Le Monde Diplomatique édite en ce sens une revue thématique, Manière de voir. Ce bimestriel, consacré à une problématique particulière, puise dans les archives du journal pour susciter une réflexion croisée. Sur le sommaire du dernier numéro en date le 146ème on peut lire : “Les articles publiés dans ce numéro à l’exception de trois inédits sont déjà parus dans Le Monde Diplomatique. La plupart ont fait l’objet d’une actualisation, et leur titre a souvent été modifié. La date de première publication ainsi que les titres originaux en page 98” , soit en dernière 34
page de la revue sur laquelle figure d’ailleurs, à point nommé, un encart promotionnel dédié aux archives en ligne du mensuel. Depuis 1987, Le Monde Diplomatique propose ainsi une sélection réactualisée de ses archives pour mettre en lumière “un thème emprunté à l’actualité, à la géopolitique ou à l’histoire, concernant une région du monde, un conflit, une question économique, sociale ou culturelle” . “Ces articles sont accompagnés de textes inédits et d'une iconographie, d'une 35
cartographie et de chronologies qui renforcent la vocation pédagogique affirmée d'une revue notamment destinée à un public lycéen et étudiant.” 36
B. Archiver pour ne pas oublier
Cette éditorialisation ponctuelle, pas encore tout à fait archive historique mais détachée de l’actualité quotidienne, passe aussi par des innovations de format. Dans un mook sobrement appelé France Culture Papiers, la radio d’actualité culturelle et politique choisit ses meilleurs contenus et les couche sur le papier. Si France Culture peut se permettre cette transition de l’oral à l’écrit, c’est parce que ses contenus sont dits “de stock”. Le trimestriel exprime ainsi un désir d’archivage de
34 Manière de voir n°146 p.3 35 https://fr.wikipedia.org/wiki/Mani%C3%A8re_de_voir 36 https://fr.wikipedia.org/wiki/Mani%C3%A8re_de_voir
l’information produite par la chaîne à l’encontre de la péremption de l’information radiophonique. JeanMichel Borzeix écrivait en 1997 que « si l’on compare avec la presse, on peut dire que France Culture est à la fois un quotidien, un hebdomadaire et une revue » 37
. Le mook viendrait montrer l’intemporalité des émissions de France Culture qui conditionne la sélection des contenus imprimés. JeanMichel Djian, le rédacteur en chef de la revue, écrit dans l’édito du premier numéro que “l’intemporalité du propos constitue un mode de sélection privilégié.” 38
Désireuse de s’extraire de l’actualité chaude, France Culture a su trouver un nouveau format qui mette à profit les productions intemporelles de la radio et de leur offrir une seconde vie, plus pérenne, dans un livre voué à se garder et à se feuilleter comme un objet de référence. Le trimestriel ne s’y trompe d’ailleurs pas : il consacre une rubrique dédiée à une sélection d’archives. Dans le numéro 18 de l’été 2016, on trouve ainsi la retranscription de l’émission de la RTBF “La Tribune de Paris” à l’occasion du premier festival de Cannes, en 1946, accompagnée de photos et d’illustrations d’époque. La section se compose aussi d’un entretien avec Edmonde CharlesRoux enregistré en 1995 et rediffusé en janvier dernier, ainsi qu’une émission avec René Girard pour parler de son concept de “bouc émissaire”, diffusée en 2001. Dans le cas de France Culture Papiers comme de Manière de voir, cette éditorialisation ponctuelle des archives est rendue possible par le caractère intemporel de l’information que cherchent respectivement à produire France Culture et Le Monde Diplomatique. C’est d’ailleurs sûrement une des raisons du succès des podcasts de la radio publique, dont les audiences comparées à d’autres radios sont disproportionnées par rapport à celles glânées sur son flux . La revue n’oublie d’ailleurs pas de faire le lien entre les deux formats, 39
en invitant ses lecteurs à écouter ses podcasts en complément. A ce titre, ce n’est pas non 40
plus une surprise de voir Slate se lancer dans la production de podcasts. En effet, le site 41
d’information se considère comme “le magazine en ligne de référence”. Dédié à l’analyse et au décryptage, le site traite ainsi de l’actualité avec une approche explicative des événements . 42
Une telle posture de recul critique, commune aux démarches de France Culture et Le Monde Diplomatique, se retrouve aussi dans une initiative de presse récente comme Le 1. Ce journal hebdomadaire, s’il n’utilise pas ses propres archives, traite chaque semaine une thématique en lien avec l’actualité. Seulement, plutôt que de la traiter comme un fait d’actualité, le journal propose des pistes de réflexion avec l’ambition de prendre du recul sur les faits rapportés par les journaux d’actualité. Il fait pour cela appel à des chercheurs, des intellectuels et des écrivains pour produire un objet de presse dont le travail d’édition revient à des journalistes.
37 Le Débat n°95, France Culture, une singularité française, « Cette conversation que nous sommes » Alain Finkielkraut, maiaoût 1997 38 France Culture Papiers, p.4, printemps 2012, n°1, Bayard, voir annexe n°3 39 http://www.lalettre.pro/notes/33_b9666621.html 40 « France Culture Papiers : quand la radio se donne à lire, que restetil à entendre ? », Effeuillage 41 http://www.slate.fr/story/119447/slatefrlancesespodcasts 42 http://www.lefigaro.fr/medias/2011/03/11/0400220110311ARTFIG00613jeanmariecolombaniinvitedubuzzmedia.php
En ce sens, le 1 rompt avec l’adage selon lequel le journal d’hier ne servirait qu’à emballer le poisson d’aujourd’hui et propose une résistance à l’éphémère, à l’accélération, à la vitesse. En bref, la publication repose sur une interrogation fondamentale sur la durée de l’information. Le 1 interroge le rôle de la mémoire dans une ère de vitesse et souhaite rompre avec le présentisme. Sa démarche fustige le manque de perspective, de hiérarchisation et de profondeur historique. Cependant, notons qu’aucune des valorisations d’archives intermédiaires relevées ne sont le fruit d’une démarche éditoriale en ligne. Peutêtre parce que l'accessibilité continue à l’information sur Internet produite ces dernières années ne se prête pas à cette forme d’éditorialisation mémorielle. Nos usages délinéarisés de prise d’information en ligne appellent ainsi à une différente utilisation des archives. III. Dans l’actualité, une utilisation occasionnelle des archives Qu’il s’agisse d’une démarche de libre accès à la documentation ou de republication ponctuelle, les médias ont compris que les archives définitives et intermédiaires pouvaient faire l’objet d’une “éditorialisation mémorielle”. Celleci dépend de l’intérêt historique de la production journalistique et du caractère durable voire intemporel de l’information. Pourtant, le recours à la mémoire est une condition de la production journalistique au quotidien. L’actualité, comme nous allons le voir maintenant, peut appeler une mobilisation d’archives définitives ou intermédiaires.
A. Les archives, source de documentation historique Parmi les utilisations les plus répandues des archives courantes, figurent les hommages et les dates anniversaires. Quand l’information a un caractère commémoratif ou que le fait relaté signale la fin d’une trajectoire, qu’il s’agisse de celle d’un homme ou d’un texte de loi, les journalistes vont puiser dans leurs archives pour produire à nouveau de l’information. Le plus récent exemple est certainement celui de la mort de Michel Rocard et de l’hommage que lui ont fait les médias. Ainsi, le journal Libération n’a pas hésité à faire remonter ses interviews de l’homme politique en 2012 ou en 2015 ou bien la nouvelle de sa décoration 43 44
par François Hollande en octobre dernier, dans le fil d’information mise en place le 45
43 http://www.liberation.fr/france/2012/03/02/michelrocardonestdanslimbecillitepolitiquecollective_799992 44 http://www.liberation.fr/france/2015/04/22/miseredumondecequavraimentditmichelrocard_1256930 45 http://www.liberation.fr/france/2015/10/09/hollandearocardcestlamiquidistinguelhomme_1400981
lendemain de sa mort. De même l’AFP a ressorti une photo datant de 1969 où l’on voit un jeune Michel Rocard en meeting pour l’élection présidentielle. Les émissions musicales consacrent régulièrement des rétrospectives à des musiciens ou des courants musicaux qui ont marqué l’histoire de la musique. C’est par exemple le cas de L’épopée des musiques noires sur RFI ou de Very good trip sur France Inter. De même, la reprise de la saga Star Wars a donné lieu à une abondante résurgence de documents d’archives de la part des fans comme des médias, qui relatent par exemple comment ils avaient traité le premier volet lors de sa sortie en 1977. La Première guerre mondiale, dont on commémore le centenaire depuis 2014 jusqu’en 2018, fait également l’objet d’une plongée dans les archives, bien qu’elle ne fasse pas référence à une une actualité récente. Dans la catégorie Histoire du Figaro, Figaro Archives a publié des archives recontextualisées de la bataille de la Somme, le 2 juillet 1916 : un communiqué officiel en Une du jour ainsi qu’un article paru le 22 juin 1966 à l’occasion du cinquantième anniversaire. 46
Les médias, par devoir professionnel ici encore, se doivent de rendre hommage. Cependant, ces évènements font l’objet d’un traitement particulier parce qu’ils ont jalonné l’histoire contemporaine. En effet, ils sont aussi l’occasion d’enrichir les archives d’une expérience utilisateur approfondie, à travers un dossier, un webdocumentaire, un long format, une carte interactive voire un newsgame. Ainsi, pour un hommage aussi conséquent que celui est dû à la Grande Guerre, France Info consacre, depuis l’assassinat le 11 novembre 1913 jusqu’à l’armistice cinq ans plus tard, une émission quotidienne à 12h. France Info y était propose “de suivre au jour le jour le quotidien d’un monde en guerre via archives et chroniques inédites” et publie chaque jour l’archive en question sur sa page Facebook “14 18 : Radio France y était”, que ce soit un 47
document, une photo, un texte, une carte ou une chanson. En 2014, depuis le premier janvier et jusqu’à l’anniversaire de la déclaration de la guerre en août, Arte avait adopté une démarche similaire avec “1914 : dernières nouvelles” . Chaque 48
jour était publié(e) un article ou une photographie de l’époque, remis en contexte. Le document était intégré dans une frise chronologique qui retrace l’avantguerre. La commémoration est aussi l’occasion de collecter de nouvelles archives, comme l’action interactive Europeana 1418, une opération lancée conjointement par Les Archives de France, la Bibliothèque nationale de France, la Mission du Centenaire et European 19141918. Elle vise à recueillir des archives personnelles de civils et de mobilisés, ensuite diffusés. Ces mobilisations spéciales d’archives peuvent bien sûr s’appuyer sur un prétexte artificiel, mais permettre de remettre “au goût du jour” d’un corpus d’information cohérent, pédagogique et documenté. Le travail de mémoire audiovisuelle sur l’histoire africaine, effectué par Philippe Sainteny dans l’émission Mémoire d’un continent sur RFI, a par
46 http://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2016/06/30/2601020160630ARTFIG00177labatailledelasommerelateeparlefigaroen1966.php 47 https://www.facebook.com/FranceInfoYEtait 48 http://1914dernieresnouvelles.arte.tv/
exemple contribué au coffret Afrique, histoire sonore en partenariat avec l’INA et 49
commercialisé en 2002. Ces 7 compilent 275 documents soit 7 heures d’archives sonores enregistrées entre 1944 et 2002. Commentées par Philippe Sainteny et l’historien de l’Afrique Elikia Mbokolo, elles permettent de comprendre “l’histoire politique de l’Afrique contemporaine.” Pour autant, la republication d’archives à l’occasion d’évènements historiques n’est pas l’unique moyen dont les médias disposent pour utiliser leurs archives dans leurs productions au quotidien.
B. Les archives, un lien entre passé et présent Il n’existe pas de mémoire spontanée ou naturelle. De fait, tout est archive dès lors que le temps dans lequel s’inscrivent les faits est considéré comme clôt, et l’évènement ou la période relaté(e) comme terminé(e). Les journalistes, parce qu’ils publient de l’information, sont les premiers producteurs d’archives et contribuent à l’événementialisation de leurs sujets. Parce qu’ils utilisent les informations “produites dans leur environnement immédiat”, ils sont également les premiers usagers des archives dites courantes. Outre les usages commémoratifs des archives, qui puisent dans le passé pour donner de la profondeur journalistique à la fin d’un parcours, on trouve bien des des rapports qui font le bilan les évènements d’une période donnée à partir de leurs propres archives. Jusqu’à cette année, un journal télévisé comme Le Zapping de Canal + faisait chaque jour une revue de sa propre dernières 24h d’antenne pour proposer un regard sur l’actualité. Le format existe pour toute les temporalités : c’est tout autant le cas des dossiers de fin d’année ou des passages en revue du siècle passé lors du passage millénaire. Chaque samedi, l’émission L’esprit Inter propose ainsi de “(re)découvrir les instants cultes qui font que France Inter est cette radio qui s’adresse et reçoit tous les publics” en proposant un 50
flashback hebdomadaire des meilleurs moment de la semaine à l’antenne. A l’instar de Brief.me, des médias se sont construits sur la promesse d’un condensé d’information qui synthétise ce qu’il y a “à savoir” de l’actualité de la journée. Ces médias proposent des formats courts destinés à un temps d’attention concentré, à l’instar de la newsletter. Parmi les médias qui produisent une large quantité d’informations, certains se sont appropriés cette occasion de faire un tri parmi d’abondantes archives courantes pour présenter leur hiérarchie de l’information. C’est par exemple le cas d’un journal comme Mediapart qui envoie chaque jour une newsletter, celleci pouvant être éditorialisée autour d’une thématique unique pour un édition ou un dossier spécial. Le 28 juin dernier, Mediapart consacrait ainsi une newsletter entière au Brexit et renvoyant intégralement vers des articles publiés sur le site du journal.
49 http://www.fremeaux.com/index.php?page=shop.product_details&category_id=17&flypage=shop.flypage&product_id=458&option=com_virtuemart 50 https://www.franceinter.fr/emissions/lespritinter
Ces newsletters sont un outil privilégié d’éditorialisation de l’information pour ces médias en ligne qui fonctionnent par abonnement. Dans la lignée de Mediapart, les Jours rapportent une infolettre qui met en avant les nouveaux articles et rappellent les sujets traités par ailleurs. Le média en ligne laisse aux abonnés le choix de la périodicité de ce retour sur les publications, entre un rythme quotidien ou hebdomadaire. Dans une stratégie de valorisation des archives courantes mais aussi de hiérarchisation des informations, Le Monde publie aussi une édition papier le weekend, dédiée aux informations les plus importantes ou aux articles les plus marquants de la semaine. En ligne, Les Décodeurs du Monde consacrent aussi une section dédiée au rattrapage de l’actualité. Intitulé “En bref”, cette section fait le point sur l’actu à 8h, à la mijournée, à 19h ou à la fin de la semaine. Ce brief hebdomadaire se retrouve aussi sur l’application mobile La Matinale, une sélection d’une vingtaine d’articles de la veille qui paraît tous les matins. Le Monde a bien intégré la fragmentation de l’information et la nécessité d’adapter le contenu au format du média de diffusion. Dans sa newsletter quotidienne, qui intègre un focus sur une question d’actualité ainsi qu’une revue de presse tirée de sources extérieures en quelques paragraphes, le journal en profite pour proposer une sélection d’articles, qu’il s’agisse d’actualités culturelles dans “La liste de nos envies” ou d’autres publications dans “Aujourd’hui dans le monde”. Nombreux sont aussi les reportages qui se consacrent à l’”aprèsévènement”. A une date suffisamment ultérieure pour qu’elle puisse permettre un recul, une mise en perspective, un journaliste se rend alors sur place pour rendre compte de l’évolution de la situation et,ce faisant, l’actualiser. Le nouveau site d’information L’imprévu souhaite ainsi “raviver la mémoire par rapport à l’actualité et l’information”, selon sa cofondatrice Claire Berthelemy. L’imprévu veut remettre des sujets au goût du jour quand ils ne sont plus de l’actualité, “revenir sur des événements très médiatisés et en dérouler le fil jusqu’à aujourd’hui” pour éviter l’écueil d’un traitement trop éphémère et superficiel de l’information. Ainsi, la rubrique Droits de suite (#DDS) revient sur des évènements de l’actualité a relégué au second plan. Sur son site, L’imprévu écrit : “on sait qu’une info chasse l’autre, mais qu’estce qui nous empêche de revenir sur celle qui a été chassée ?”. Selon le pure player, “l’événement ne s’arrête pas au moment où il est raconté en direct” et “c’est le temps qui lui donne son sens”. Toutefois, un des usages les plus fréquents des archives par les producteurs audiovisuels consiste, dans le cas d’un nouveau fait venant alimenter un sujet, à utiliser la télévision ou la radio comme élément de datation. L’archive peut aussi servir à la contextualisation une nouvelle histoire . 51
Les émissions peuvent peuvent choisir de recourir à des sources extérieures au média qui diffusera l’information. Combien de fois le Radioscopie de Jacques Chancel a servi aux producteurs de radio du jour ? Combien de fois Làbas si j’y suis servira aux producteurs de demain ?
51 http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=TDM_001_0232
Les médias incorporent déjà leurs ressources mémorielles dans leurs productions journalistiques, à travers des liens hypertextes insérés dans des encarts invitant à compléter sa lecture. Résultats d’une automation à partir des métadonnées renseignées (tags ou motsclés) ou d’une démarche manuelle, ces encarts et ces liens sont des invitations à découvrir les articles connexes si l’article soulève une question corollaire ou les archives courantes si le journaliste fait référence à un fait précédent. La mémoire est aussi utilisée dans le rapport au présent, que ce soit comme point de comparaison avec les événements du passé, comme opportunité d’analogies, comme déconstruction, construction ou reconstruction du passé à la lumière des faits du présent. C’est par exemple le cas d’une émission comme l’Histoire en direct sur BFM TV, dont le projet est de “décrypter l’actualité en remontant le temps”, de “comprendre et raconter les évènements du moment en s’appuyant sur ceux du passé”, et ce grâce aux archives fournies par l’INA. 52
La promesse ultime de l’interactivité avec le passé est à ce propos contenue dans le potentiel des expériences de réalité virtuelle. Cellesci peuvent “présentifier” l’expérience du réel, c’estàdire faire revivre les événements passés comme s’il s’agissait du présent. Frédérique Lamy, de la documentation du Monde, confirme que son travail consiste principalement à déterminer les sujets d’actualité pour lesquels les archives sont mobilisables : que ce soit pour une date anniversaire, d’un événement de l’actualité ou d’un décès, son rôle est de nourrir le travail des journalistes de lemonde.fr par son travail de documentation. Elle peut ainsi alimenter la frise chronologique de nouveaux temps forts en fonction de l’actualité. Récemment, la mort de Prince a donné lieu à la constitution d’un dossier , de même que l’Euro de foot a permis la mise à disposition d’archives concernant 53
le Championnat d’Europe des Nations de 1984 ou du match FranceAllemagne lors de la Coupe du Monde 1982. Ces “Temps forts” peuvent alors être publiés sur la Une de la version abonnés de lemonde.fr. Chaque mois, Frédérique Lamy sélectionne de la sorte deux ou trois événéments marquants qui feront l’objet d’un travail de recherche archivistique et de mise en forme éditoriale.
C. Les archives, source d’actualité ? Les archives peuvent aussi servir à raconter de nouvelles histoires qui n’auraient pas connu de traitement journalistique autrement. Ainsi, quand Clara Beaudoux commence à tweeter sur la vie de Madeleine sous le hashtag #MadeleineProject, une femme dont elle a découvert les affaires dans la cave de son appartement parisien, elle sort les archives des oubliettes de l’histoire. Après avoir quotidiennement documenté la vie de cette femme née en 1915 pendant une semaine, la journaliste est allée à la rencontre de personnes qui avaient côtoyé Madeleine de son vivant, à Bourges. A travers le dévoilement d’une vie, Clara Beaudoux espère ainsi faire parler
52 http://www.bfmtv.com/emission/decouvrezlanouvellebadelhistoireendirect921951.html 53 http://abonnes.lemonde.fr/archives/temps_fort/2016/04/22/21avril2016lamortdeprince_4906786_1819218_4906723.html
l’histoire qu’elle a traversée, puisque Madeleine est “une mémoire qui a traversé le XXe siècle” . 54
Ce documentaire Twitter montre que les archives peuvent servir de matière première de l’information, faire émerger de nouvelles histoires et déboucher sur une nouvelle narration journalistique. Toutefois, dans le cas du #MadeleineProject comme dans d’autres, la même contrainte pèse sur cette valorisation de l’archive : le risque de noyade dans l’océan informationnel et de péremption de l’information. “Yesterday’s newspaper is fit only for wrapping up fish”. Selon cette expression anglosaxonne, le journalisme n’aurait pas de mémoire : il serait une chronique du présent. Le passé n’aurait que peu ou pas d’importance, et le futur ne serait envisagé que comme un horizon de résultats. En effet, les sites d’information sont aujourd’hui conçus comme des portes d’entrée sur des contenus dits “chauds”, qui disparaissent à mesure qu’ils périment. Une vidéo parodique parodiait récemment le traitement médiatique d’une catastrophe humanitaire dans le fictionnel pays du Darfimbabwour , mettant à nu l’impuissance du 55
traitement journalistique face à l’irrémédiable et constant renouvellement de l’actualité. Toutefois, il est important de se rappeler, face aux limites que représente le caractère éphèmère de l’information, que le processus de remémoration forme une partie du travail de mémoire. Ainsi, les médias peuvent contribuer, parallèlement aux documentalistes et aux historiens, à faire en sorte que leurs productions journalistiques ne tombent pas dans l’oubli. Ce travail sur la mémoire journalistique implique de penser le format de production de l’information en même temps que sa temporalité. La forme journalistique majoritaire actuellement correspond à des standards qui répondent aux contraintes de la presse écrite et aux débuts de la presse en ligne. Les codes hérités ne sont cependant plus adaptés à la façon dont a évolué la presse en ligne. L’intégration des liens hypertextes et de contenus multimédias (vidéo, audio) ne constituent en un sens que la prolongation de ce qui se faisait sur le papier, avec la citation des sources et l’intégration d’images. Les informations sont historiquement représentées comme une série d’articles qui rapportent les évènements au fur et à mesure qu’ils se produisent. Les contraintes de la presse papier impliquaient qu’un journal ne soit publié qu’une fois voire deux par jour. Un article, une fois publié, était inaltérable. On observe à ce propos des journaux en ligne comme le Times au RoyaumeUni renoncer au flux continu d’informations pour revenir à l’idée de “bouclage”, en proposant trois mises à jour quotidiennes : à 9 heures, midi et 17h. 56
54 http://bibliobs.nouvelobs.com/websidestories/20160527.OBS1387/graceaumadeleineprojectjemesuismiseadireje.html 55 https://www.youtube.com/watch?v=uHTdFgkV4qo 56 http://www.lemonde.fr/actualitemedias/article/2016/04/02/lesitewebdutimesdelondresrenonceaufluxdinformations_4894350_3236.html
Aujourd’hui, chaque article reste envisagé comme un monolithe : une production qui se suffit à ellemême qu’il est très dur de combiner avec d’autres informations. Il revient encore au lecteur d’effectuer le travail de synthèse, avec ce qu’il implique de questionnements dont les temporalités diffèrent, de recherches à travers différents articles pour obtenir un tableau représentatif d’une situation. Le journalisme ne s’est pas adapté à la possibilité technique de voir ses publications intégrer les évolutions ou additions de savoir produites au fil du temps de manière native. La temporalité journalistique est restée calée sur le rythme d’impression des journaux. Les rédactions publient chaque jour des contenus redondants. Cet héritage des publications de presse paraît aujourd’hui obsolète voire absurde d’une perspective numérique native. C’est comme si Wikipédia publiait une nouvelle page sur la Syrie à chaque nouvelle page concernant le pays. Pourtant, l’ensemble des citations d’une personnalité sur un sujet, la chronologie d’un événement : ce genre d’information contextuelle et longitunidal reste encore aujourd’hui à développer dans le traitement journalistique. C’est pour cette raison qu’un “journalisme explicatif” a pu se développer et trouver sa place dans les pratiques journalistiques. Chaque rédaction produit l’information nécessaire à créer ce savoir longitudinal : il s’agit simplement de l’encoder pour la rendre accessible, réutilisable, remixable après coup. Aussi appelé journalisme structuré, journalisme de stock ou journalisme de données narratives, le journal explicatif foisonne sur le web. Grâce aux outils numériques, le journalisme explicatif “propose souvent beaucoup d’infos sur une même page, plusieurs entrées pour chaque info, des formes narratives différentes et flexibles pour la même info, et laissent le contrôle à l’utilisateur”, selon Bill Adair, fondateur de Politifact aux EtatsUnis et professeur à Duke University. “Avec leurs encadrés permanents réactualisés, ils ressemblent parfois à des sortes de Wikipédia de luxe, sous stéroïdes!”. Ainsi un article pose d’abord l’essentiel avant d’être éventuellement réactualisé. De fait, le journalisme explicatif s’abroge de l’impératif d’une “version définitive d’un sujet et des deadlines artificiels”. Selon Felix Salmon, de Fusion : pas besoin de tout réexpliquer à chaque fois à partir de zéro. Un encadré sur le côté, et le tour est joué !”. A contrecourant de la lutte pour le breaking news (être “premier sur l’info”), le journalisme explicatif prend en compte la couverture effectuée par les autres médias et s’en sert de base à la construction de ce que Richard Gingras, chef de Google News, appelle les “services de la connaissance” : des “URL permanents” qui évitent que “les journaux ne mettent aux archives (à la morgue) les articles périmés”. Chris Amico, cofondateur de Homicide Watch, considère ainsi que “ce journalisme est un bon moyen de ne jamais perdre l’information”. 57
Les Fils rouges de L’imprévu travaillent en ce sens : ils “décomposent en plusieurs questions qui sont autant de clefs pour cerner un sujet et ses subtilités”. “Evolutifs, ils peuvent être enrichis au fil du temps ou mis à jour si nécessaire”. Ils visent à donner le “maximum de cartes en main” pour se forger une opinion.
57 http://metamedia.fr/2014/05/04/finilejournalismedefluxvivelejournalismedestock.html
En France, les Décodeurs du Monde font figure de référence dans ce journalisme dit explicatif. Rubrique à part entière depuis 2014, les Décodeurs sont dédiés à “la vérification la contextualisation et l’exploitation de données” . C’est ce deuxième pilier, la 58
contextualisation, qui nous intéresse ici : “savoir expliquer les phénomènes complexes de manière simple et compréhensible”. Contrairement aux autres cas de contextualisation de l’information abordés jusqu’à présent, la démarche des Décodeurs s’ancre dans une volonté “d’apporter rapidement des éléments de contexte pertinents”. Pour cela, la rubrique estime avoir fondé une méthode de travail : “aller aux sources” et “considérer que rien n’est trop compliqué pour être expliqué clairement”. Cependant, Les Décodeurs ne puisent pas dans les archives du journal Le Monde. Mais ils structurent l’information de telle sorte que les autres journalistes du Monde peuvent s’appuyer sur leur travail pour recontextualiser leurs histoires. Ainsi, quand un article paraît en Une, il s’accompagne souvent d’articles corollaires. Ceux produts par Les Décodeurs y trouvent alors une place de choix, en ce qu’ils apportent rapidement et aisément des informations de contextualisation qui permettent une meilleure appréhension du sujet. Fautil cependant aller plus loin et s’émanciper du format de l’article ? Auquel cas, quelle forme peut prendre l’information ? La question posée ici concerne la façon optimale de concevoir une information, en actualisant les contraintes qui s’imposent quant à son format et sa distribution. En octobre 2015, le laboratoire de recherche et développement du New York Times préfigurait la question des formats journalistiques avec un article intitulé “The future of news is not an article” . 59
L’information contextuelle pourrait être mieux intégrée si elle était mieux encodée, étiquetée, et embeddable et ainsi faciliter le travail du journaliste. Les tags (motsclés ou étiquettes en français) permettent de prolonger la vie d’une publication : ils permettent notamment de recommander des contenus liés et d’indexer l’article pour les moteurs de recherche. Il ne s’agit pas forcément de transformer l’information en matériau de référence, comme un Wikipédia de l’information, mais de tirer profit de la profondeur du savoir d’un corps important de reportage pour étendre et approfondir de nouvelles expériences d’information. Le NYT Lab réfléchit aux façons de systématiser et d’affiner le renseignement de métadonnées. Son Editor project , est un interface d’édition de texte expérimental qui allie 60
l’automaticité du machine learning et la précision d’une modification manuelle pour permettre un renseignement optimal des articles. L’information contextuelle pourrait être mieux intégrée si elle était mieux encodée, étiquetée, et embeddable et ainsi faciliter le travail du journaliste. Les tags (motsclés ou étiquettes en français) permettent de prolonger la vie d’une publication : ils permettent notamment de recommander des contenus liés et d’indexer l’article pour les moteurs de recherche. Le laboratoire y voit l’opportunité de voir de nouvelles expériences d’information qui extraient et recombinent des éléments de leur contexte de parution initiale. Pour le NYT Labs, l’enjeu
58 http://decodeurs.blog.lemonde.fr/ 59 http://nytlabs.com/blog/2015/10/20/particles/ 60 http://nytlabs.com/projects/editor.html
est de sortir l’archive de sa fonction de rangement pour en faire un corpus d’informations structuré qui permettrait une réflexion et un raisonnement. Les archives feraient alors partie d’une structure qui permette d’approfondir sa lecture et sa compréhension de manière dynamique en fonction de l’intérêt du lecteur. Par exemple, un article pourrait contenir une trame narrative principale, mais permettrait également d’approfondir certains points extensibles ou rétractables d’un clic pour disposer d’informations contextuelles ou d’analyse supplémentaire. Ce que fait par exemple un pureplayer comme Les Jours se rapproche de cette démarche. Ce média en ligne propose de développer une dizaine de sujets de société en adoptant le rythme d’une série télé. Ce format, constitué en épisodes, n’est de fait pas si éloigné de celui de la presse papier, si ce n’est que ce n’est pas forcément l’actualité qui dicte la rédaction d’un nouvel article. Outre une plus forte hiérarchie de l’information, ce format permet à la fois de suivre une actualité dans le temps, mais aussi de proposer un certain nombre d’annexes de référence. Pour chaque sujet, sont proposés des biographies des personnes impliquées, des images, des statistiques, des lieux, des sons ou des documents. Ces annexes sont accessibles indépendamment des articles mais peuvent aussi être intégrés dans la marge de l’article pour venir enrichir la lecture d’un épisode. Malgré l’accès à ces données de référence, Les Jours restent dans une logique d’articles de presse écrite dans laquelle chaque publication est un bloc d’informations qui n’interagit pas avec le reste desdits épisodes. Ainsi, les capacités de stockage inédites et l’accès délinéarisé à l’information avec le numérique ont considérablement changé la donne pour les archives. Le travail d’archivage numérique engagé et la possibilité pour les médias d’accéder à leurs publications passées à tout moment et en un clic invitent à repenser les standards de production journalistiques. D’une republication opportune et éphémère à une catégorisation comme document historique, nous avons vu que la question de l’archivage aujourd’hui est au croisement des problématiques de format et de temporalité. Repenser les échelles de temps de l’information et prendre en compte la diversité d’usages quand il s’agit de s’informer vont, nous l’espérons, mener à des expérimentations éditoriales à partir des archives, pour proposer des voies alternatives aux usages actuels de ressource occasionnelle ou bibliothécaire. Ce travail offre, espéronsle, des pistes de réflexion utiles et pertinentes pour outiller les médias dans leur tentative de se saisir de leurs archives et de les valoriser au profit du grand public.
BIBLIOGRAPHIE ENTRETIENS
Louise Merzeau, professeur en science de l’information à l’université Ouest Nanterre, par mail
Olivier Da Lage, rédacteur en chef de RFI Savoirs, 03/07/2016 Anoushka Notaras, éditrice de RFI Savoirs, 01/07/2016 Nathalie Thoumy, directrice de la BnFPartenariats, par téléphone Frédérique Lamy, adjointe à la documentation de Le Monde, par téléphone
LIVRES
Mémoire et oubli, dir. Francis Eustache, Editions Le Pommier 2014 http://www.editionslepommier.fr/ouvrage.asp?IDLivre=702
Fragments d’une mémoire infinie, Maël Renouard, Editions Grasset 2016 http://www.grasset.fr/fragmentsdunememoireinfinie9782246854593 ARTICLES UNIVERSITAIRES
“Convergence and memory : journalism, context and history”, Marcos Palacios, 2010 http://www.revistas.usp.br/matrizes/article/view/38274/41083
« Les paradoxes de la mémoire numérique », Louise Merzeau, Revue Inter CDI 244, 09/2013
http://merzeau.net/wpcontent/uploads/2013/09/InterCDIMerzeau.pdf
« Discours journalistique et positionnements énonciatifs. Frontières et dérives » dans SEMEN 22 : Enonciation et responsabilité dans les médias, Patrick Charaudeau
http://bit.ly/29w0lUK
Objet du droit d’auteur Oeuvres protégées. OEuvre audiovisuelle (CPI, art. L. 1122), fascicule de Benjamin Montels, 2009
ARTICLES DE PRESSE
« Le journalisme en ligne : transposition ou réinvention ? (Entretien) », 03/04.2009 http://www.esprit.presse.fr/archive/review/article.php?code=14795
« Le numérique nous faitil perdre la mémoire ? », Philippe TestardVaillant, le Journal du CNRS, 23.10.2014
https://lejournal.cnrs.fr/articles/lenumeriquenousfaitilperdrelamemoire
« Nouveaux médias : trop de mémoire ou pas assez ? », Cyrille Franck, mediaculture.fr, 28.08.2010
http://www.mediaculture.fr/2010/08/28/nouveauxmediastropdememoireoupasassez/
“« Amnésie numérique » : demain, seronsnous tous des êtres sans mémoire ?”, 20 minutes, 09.07.2015
http://www.20minutes.fr/societe/164948320150709amnesienumeriquedemaintousetresmemoire
« France Culture Papiers : quand la radio se donne à lire, que restetil à entendre ? », Effeuillage
http://effeuillagelarevue.fr/portfolioitem/franceculturepapiersquandlaradiosedonnealirequerestetilaentendre2/
“After the archive came down: The New Yorker’s revamped paywall is driving new readers and subscribers”, Nieman Lab, 11.03.2015
http://www.niemanlab.org/2015/03/afterthearchivecamedownthenewyorkersrevampedpaywallisdrivingnewreadersandsubscribers/
“The future of news is not an article”, Alexis Lloyd, 20.10.2015 http://nytlabs.com/blog/2015/10/20/particles/ OEUVRES AUDIOVISUELLES
Dans les limbes, Antoine Viviani, 2015 https://vimeo.com/145124031 SITES
INA Retronews RFI Savoirs Le Monde Le Monde Diplomatique L’imprévu Les Jours Gallica Slate Nouvel Obs
PUBLICATIONS DE PRESSE
France Culture Papiers n°18 Manière de voir (Le Monde Diplomatique) n°146
ANNEXES ANNEXE 1 : entretien avec Louise Merzeau, professeur en science de l’information à l’université Ouest Nanterre
● quelle est l'influence d'Internet en tant que support d'externalisation de la mémoire et qu'espace d'information sur l'archivage ?
Pour moi, Internet n'est pas un support, mais plutôt un environnement. Son développement a de nombreux effets sur les processus de mémorisation et d'archivage : dissociation ente document et support, fragmentation des contenus, désormais accessibles de manière autonome et décontextualisée confusion fréquente entre archivage et stockage quasi automatique de nombreuses traces et données. L'archivage suppose une politique de sélection, de classement, de migration et de valorisation, ce qui est très rarement le cas. évolution nécessaire des modèles économiques attachés à la diffusion des archives, liée aux nouvelles attentes du public, au développement de l'open access, à la multiplication des contenus sous licence libre... l'administration des mémoires institutionnelles échappé en partie aux lieux et acteurs traditionnels, habitués à contrôler, c'estàdire à "verrouiller" les archives. Mais cela suscite des tensions, en particulier autour de la propriété intellectuel et le droit d'auteur.
● l'archivage numérique atil changé notre façon de nous informer ?
Ce qui change notre façon de nous informer, ce n'est pas l'archivage numérique (qui, au sens strict, affecte surtout les usages professionnels de quelques entreprises, institutions ou organes de recherche), mais la reconfiguration de l'espace médiatique en général, qui, après les concentrations observées entre les grands groupes de médias, voit une nouvelle concentration se faire autour de quelques plateformes hégémoniques américaines. Ce qui compte, c'est leur capacité à indexer, fractionner et dispatcher les contenus, en les enfermant à l'intérieur de leur univers et en les personnalisant pour chaque utilisateur. Cette logique coupe de plus en plus chacun de nous des dépôts de mémoire collective. Nous préférons nous en remettre au cercle social de nos proches pour nous informer.
● vous parlez d'éditorialisation mémorielle : qu'entendezvous par là ?
La traçabilité numérique alimente des bases de données, pas de la mémoire. La mémoire exige que les données conservées soient enchâssées dans des constructions – formelles, narratives, fictionnelles, commémoratives, etc. – et que ces traces soient activées par des usages, donc recontextualisées. Elle exige aussi que l'oubli soit repense non comme saturation des stocks ou bug des techniques d'accès, mais bien comme décision collective de retrait du processus de transmission. L'éditorialisation mémorielle consiste à créer les conditions de cette redocumentarisation dynamique (publication, partage, enrichissement, transformation...), qu'aucun acteur ne peut plus contrôler.
● comment les médias valorisentils leurs archives ?
Très mal ! En général, les archives ne sont pensées que comme un stock à monétiser. Peu d'institution ou d'organes d'information font un véritable effort de diffusion, valorisation, partage et récréation de leurs archives, à quelques exceptions notables comme l'Ina, Arte...
● quelles voies d'amélioration pour l'utilisation que font les médias de
leurs archives ?
La réponse est dans les réponses cidessus.
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