Quels usages collectifs pour le livre à l'heure du numérique ?

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Quels usages collectifs pour le livre à l’heure du numérique ?

Par Calimaq

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par Elisavh

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t. CC

-BY-N

C-N

D

« Nous avons combattu pendant des centaines d’années pour la conquête d’un espace intérieur,

cet espace où nous lisons, pensons, réfléchissions et qui nous donne la possibilité de devenir non-orthodoxe, dans notre propre esprit. C’est cet espace que tout le monde veut supprimer. »

Eben Moglen

Usages collectifs ? Caractère solitaire, individuel, personnel, intime de la lecture…

La Liseuse. Par Fragonard. Domaine public.

Pourtant quelque chose avec le numérique est en train de profondément changer pour le livre…

A lire : eBooks, livres augmentés ou livres diminués ?

Donner, prêter, offrir, léguer, revendre un livre est entièrement légal.

Mais faire de même avec un eBook ?

Combien de livres avez-vous lu qui vous ont été prêtés ou

donnés par un ami ?

La bibliothèque comme incarnation d’un droit d’usage collectif sur la culture

A lire : Bibliothèques et Communs de la connaissance. Revue de l’ABF

De la bibliothèque d’Alexandrie à la

bibliothèque du Roi…

Des confiscations révolutionnaires à nos

bibliothèques publiques…

Mais de quel droit ?

Pendant longtemps, les bibliothèques sont restées des « maisons de tolérance »

A partie de la Révolution, la fourniture de documents en prêt aux usagers s’est exercée en dehors de tout cadre juridique, même lorsque les œuvres étaient protégées par le droit d’auteur.

Jusqu’à la grande bataille du droit de prêt du livre…

La directive européenne de 1992 établit que le prêt public des œuvres est soumis au droit d’auteur. Plus de 10 ans de débats virulents ont lieu en France pour la transposer. Des titulaires de droits (auteurs, éditeurs) demandaient l’instauration d’un prêt payant à l’acte en bibliothèque. En 2003, la loi a arbitré finalement en faveur d’une solution différente.

Le prêt de livres saisi par le droit en Europe

• L’acte de prêt paraît échapper au droit

d’auteur, car il ne constitue ni une

reproduction, ni une représentation de

l’œuvre.

• En 1992, la directive européenne rattache

explicitement l’acte de prêt public au droit

d’auteur par le biais du « droit de

distribution ».

• Le prêt privé reste de son côté

complètement libre, car couvert par

« l’épuisement du droit » d’auteur après la

première mise en circulation du support.

• Les Etats ont la faculté d’organiser le prêt

public et la rémunération des ayants droit

au niveau législatif.

Une licence légale et un système de rémunération

Ministère de la Culture. Droit de prêt.

Versement par l’Etat d’une somme forfaitaire annuelle par usager inscrit dans les bibliothèques de prêt Prélèvement de 6% à la charge des fournisseurs appliqué au prix public de vente hors taxe des ouvrages achetés par les bibliothèques de prêt Rabais accordé par les fournisseurs plafonné à 9% du prix de vente des ouvrages

La SOFIA, société de gestion

collective, reverse les sommes aux auteurs et

éditeurs

Le droit de prêt public du livre en bibliothèque en France

Le « droit de prêt » de la loi de 2003, applicable au livre numérique ?

• Pourrait-on modifier la loi de 2003 pour la rendre applicable au livre numérique et créer un « droit de prêt numérique » ?

• La loi parle d’œuvres publiées « sous forme de livre » sans préciser livre papier ou livre numérique.

• Mais les décrets d’application visent explicitement le livre papier.

• Juridiquement, un livre numérique n’est pas un livre (régime fiscal différent, TVA, pas de dépôt légal, loi sur prix unique du livre numérique).

Pourtant, le Royaume-Uni étend son « Public Lending Right » aux eBooks, mais seulement à condition que l’emprunt des fichiers se fasse sur place…

En France, en dépit du flou juridique, les pratiques numériques se développent malgré tout…

Carte du prêt de tablettes/liseuses dans les bibliothèques en France

Mais difficultés pour trouver des contenus (domaine public, licences libres) d’où tentation de se tourner vers l’offre en B to C….

Développements d’offres par des intermédiaires (e-Distributeurs) ou des éditeurs indépendants, sur une base contractuelle.

Affaire Publie.net/Mediathèque de Martigues : tensions autour de l’achat des livres numériques

aux libraires par les bibliothèques

La France, longtemps en retard…

• Positionnement d’intermédiaires, notamment Overdrive (en partenariat avec grands éditeurs et Amazon)

• Aux Etats-Unis, 82% des bibliothèques publiques prêtent des eBooks, alors que 98,5% des bibliothèques en France n’en prêtent pas… (chiffres en 2014)

Position du PDG de Hachette au Salon du livre de Paris, 2012

"Ces lieux ont pour vocation de d'offrir à des gens qui n'ont pas les moyens financiers, un accès subventionné par la collectivité, au livre. Nous sommes très attachés aux bibliothèques qui sont des clients importants pour nos éditeurs, particulièrement en littérature. Alors, il faut retourner la question : est-ce que les acheteurs d'iPad ont besoin qu'on les aide à se procurer des livres gratuitement ? Je ne suis pas certain que cela corresponde à la mission des bibliothèques. Par définition, les gens qui ont acheté un Kindle ou un iPad ont un pouvoir d'achat, là où les gens qui sont les usagers de ces lieux en manquent. La position de Hachette aujourd'hui, c'est qu'on ne vend pas aux bibliothèques[...]".

Nouvelle donne ? La mise en place du projet PNB

• Un« hub » central pour le livre numérique en bibliothèque

• S’appuie sur expérience précédente au Québec de la plateforme pretnumérique.ca • Plateforme connectant les éditeurs, les libraires, les bibliothèques • Fort soutien du Ministère de la Culture

Projet développé à droit constant sur une base contractuelle. Pas de réforme du cadre législatif.

Un modèle de licence contractuelle à géométrie variable

Licences de prêt envisagées Grande disparité de prix et des conditions d’accès, selon les éditeurs.

Aucune obligation ou contrepartie n’est

imposée aux éditeurs qui restent libres de leur

modèle d’offre, ainsi que de ne pas participer

Système de DRM « chronodégradable » avec Adobe Digital Edition

Développement du système PBN, mais fort risque de régression juridique…

Fort développement de PNB :

- 110 000 ebooks disponibles (62,5% de l’offre totale).

- 58 établissements inscrits en France, Belgique, Suisse.

- 36 libraires partenaires. - 10 prestataires de services

informatiques. - 70 000 prêts en 2015

Mais à quel prix par rapport aux garanties du cadre législatif du droit de prêt en bibliothèque ?

Polémique au sein de la profession de bibliothécaires

A lire : SavoirsCom1. PNB ou le livre numérique inabordable pour les bibliothèques.

Position de l’ABF (Association des Bibliothécaires de France)

http://www.abf.asso.fr/1/22/554/ABF/-communique-l-abf-alerte-sur-le-dispositif-pret-numerique-en-bibliotheque-pnb-

Un risque de retour en arrière si le succès est au rendez-vous ? Le précédent américain

- 2011 : HarperCollins et le système des « 26 prêts avant autodestruction » (1) - 2011 : Retrait brutal des collections de l’éditeur Penguin et retour seulement des titres anciens (2) - 2012 : Augmentation subite de 300% des prix des eBooks de Random House (3)

http://www.flickr.com/photos/mlajs/5923345512/

Un risque de retour en arrière si le succès est au rendez-vous ? Le précédent danois

Au Danemark, plateforme eReolen : lancée en 2011,

l’expérience est brusquement arrêtée à cause du retrait des

éditeurs devant le succès rencontré, par peur de l’impact sur les ventes aux particuliers.

Des perspectives au niveau européen ? Quelles suites pour le rapport Reda ?

“Recognizes the importance of libraries for access to knowledge and calls upon the Commission to assess

the adoption of an exception allowing public and research

libraries to legally lend works to the public in digital formats for personal use, for a limited duration through the internet or libraries' networks”

Mais pas de traces dans les pistes de réforme du droit d’auteur annoncées par la Commission

Des perspectives au niveau européen ? Une décision cruciale de la CJUE à venir

Septembre 2014 : CJUE saisie par une Cour des Pays-bas, à propos du « prêt numérique » en bibliothèque : est-il couvert par la directive de 1992 ? La théorie de l’épuisement des droits est-elle applicable ?

Des perspectives au niveau mondial ? La piste d’une exception au droit d’auteur

• Projet de traité sur les exceptions et limitations en faveur des bibliothèques et archives, négocié par l’IFLA dans le cadre de l’OMPI (TLIB)

L’IFLA pousse pour la mise en place

d’une exception au droit d’auteur pour

« l’accès temporaire à des œuvres protégées

sous support numérique »

Mais blocage des négociations et forte opposition des pays développés (en particulier UE)

Des alternatives du côté du domaine public et de la Culture libre ?

EbookenBib et les Bibliobox

Livres numériques sous licence libre : Un potentiel à exploiter

« Le geste qui sauve » de Thierry Crouzet.

-> Publié en papier chez L’Age d’homme

-> Diffusé en version numérique sous licence Creative Commons

-> Traduit de manière collaborative en 14 langues

-> Librement prêtable en bibliothèque

L’avenir des usages collectifs du livre … passe aussi toujours par le papier.

Développement des « Petites Bibliothèques de rue » (Little Free Libraries)

A lire : De Toronto à Montréal en passant par Berlin, les petites bibliothèques de la rue

Opération Bookscrossing en bibliothèque

A lire : Bookscrossing, le livre en partage : de quel droit ?

Hybridations papier/numérique : Copy Party en bibliothèque

A lire : Copy Party en bibliothèque, c’est permis !

Des usages collectifs aux usages sociaux du livre

Quels risques à ne pas prendre en compte les usages collectifs du livre numérique ?

A lire : Livres numériques : le piratage s’intensifie

Les GAFA ont bien compris l’importance des usages collectifs…

A lire : Close the libraries and buy everyone an Amazon Kindle Unlimited subscription.

Nouveau dispositif « Family Sharing » proposé par Apple

Les offres commerciales des gros acteurs comme Amazon ou Apple mettent

progressivement den place des possibilités d’usage collectif des eBooks.

Des usages collectifs du livre dépend aussi l’avenir de la lecture…