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GRAND TéMOIN Michel Fau : baroque et bouleversant À l’affiche au Théâtre de l’Œuvre d’Un amour qui ne finit pas, une pièce d’André Roussin, créée à Versailles, Michel Fau, acteur et metteur-en-scène baroque et bouleversant, interroge le public sur l’idée qu’il se fait de l’amour. Un amour qui, il y a dix ans, sauva la vie de ce comédien, clown sensible et doux, assez fou pour exceller tout autant à l’opéra que dans le théâtre de boulevard. Élève de Michel Bouquet puis ami complice d’Olivier Py, Michel Fau vit aujourd’hui en totale liberté, poussant à l’extrême l’art du divertissement, fédérant autour de lui les plus belles créatures, les plus joyeux talents, emmenant ses publics sur des chemins inattendus et réjouissants. Après sa création à Versailles en mai dernier, vous jouez Un amour qui ne finit pas, d’André Roussin au Théâtre de l’Œuvre. Comment ça se passe ? Cela se passe très bien. Nous avons beaucoup de monde dans la salle et j’avoue que je ne m’attendais pas à ce que cette pièce soit si bien reçue par le public mais aussi par les cri- tiques. J’ai le sentiment que beau- coup de monde se sent concerné par le sujet. J’étais un peu inquiet car l’écriture et le caractère même de cette pièce des années 60, ne sont pas vraiment dans l’air du temps… Mais vous n’aimez pas « l’air du temps ». Vous redoutez plus que tout être à la mode, n’est-ce pas ? Oui, j’espère que je ne serai jamais à la mode, en effet. La mode, ça passe ; j’ai toujours autant envie de séduire les gens, mais je fais des choses un peu « à part » afin surtout de rester en accord avec moi-même et donc sincère. Vous savez qu’il n’est pas toujours simple de faire des choses audacieuses ; il faut se battre par- fois, pour des choix de textes ou de mises en scène. Mais dans l’en- semble, je tiens surtout à dire que je suis très gâté. J’ai la grande chance aujourd’hui de pouvoir faire ce que j’ai envie de faire. C’est ce qu’il s’est passé lorsque vous avez choisi de mettre en scène cette pièce un peu surannée d’André Roussin. Qu’est-ce qui vous plaît dans ces textes auxquels personne ne s’intéresse ? J’ai un côté très nostalgique. Non pas parce que la vie m’accable (c‘était le cas avant). Maintenant, je sais que la vie peut-être aussi dra- matique qu’immense et passion- nante. Je vis des moments intenses de grande joie et de grâce. Cepen- dant, j’ai quand même gardé ce pe- tit côté passéiste qui me fait vivre avec quelques auteurs « à part » aussi, comme André Roussin. J’ai lu Un amour qui ne finit pas lorsque j’étais adolescent. J’avais été atti- ré par cette idée d’un amour plato- nique absolu et exaltant. Lorsque j’ai voulu travailler à nouveau avec Léa Drucker, je lui ai proposé ce texte. Comme elle est curieuse et très intelligente, elle a été séduite par l’idée. C’est grâce à elle que nous avons pu faire cette pièce. Elle n’avait encore jamais joué de bou- levard mais je savais qu’elle avait toutes les clés pour être drôle sur scène. Elle n’a pas peur. Vous aviez déjà joué avec Léa Drucker une pièce de Montherlant ; vous avez monté, aussi au Montansier, Le Misan- thrope, avec Julie Depardieu. Qu’est-ce qui vous attire dans le travail que vous faites avec ce genre de « créatures », comme vous aimez les appeler ? Je suis en exploration permanente. J’aime me tourner vers des person- nalités qui m’intriguent. Parfois, je le sais, certains sont surpris par mes distributions, mais j’aime m’aven- turer dans les générations, bous- culer les familles, faire sauter les étiquettes. Il y a beaucoup de clans dans ce métier. J’en ai moi-même souffert parce que j’ai beaucoup tra- vaillé avec Olivier Py. Aujourd’hui je profite vraiment de cette liberté acquise. Avez-vous retravaillé le texte ? Il y avait peu d’ajustements à faire. La langue de Roussin est belle et très littéraire. La pièce était un peu longue, donc nous avons fait quelques coupes légères, en veillant toutefois à ne pas abîmer ce style répétitif qui donne un côté obses- sionnel aux personnages, à la fois oppressant mais très jouissif pour le public. Dans chacun de vos spectacles, les décors, les costumes, le maquillage sont des « artifices » au service de la langue. Vous n’avez jamais peur d’en faire trop ? Non, au contraire. De toute façon, je déteste le réalisme. Les gens ne se déplacent pas pour voir ce qu’ils 24 Versailles Magazine juillet-août 2015 © Marcel Hartmann © Bruno Perroud Un amour qui ne finit pas, d’André Roussin, au théâtre Montansier.

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Michel Fau : baroque et bouleversantÀ l’affiche au Théâtre de l’Œuvre d’Un amour qui ne finit pas, une pièce d’André Roussin, créée à Versailles, Michel Fau, acteur et metteur-en-scène baroque et bouleversant, interroge le public sur l’idée qu’il se fait de l’amour. Un amour qui, il y a dix ans, sauva la vie de ce comédien, clown sensible et doux, assez fou pour exceller tout autant à l’opéra que dans le théâtre de boulevard. Élève de Michel Bouquet puis ami complice d’Olivier Py, Michel Fau vit aujourd’hui en totale liberté, poussant à l’extrême l’art du divertissement, fédérant autour de lui les plus belles créatures, les plus joyeux talents, emmenant ses publics sur des chemins inattendus et réjouissants.

Après sa création à Versailles en mai dernier, vous jouez Un amour qui ne finit pas, d’André Roussin au Théâtre de l’Œuvre. Comment ça se passe ?Cela se passe très bien. Nous avons beaucoup de monde dans la salle et j’avoue que je ne m’attendais pas à ce que cette pièce soit si bien reçue par le public mais aussi par les cri-tiques. J’ai le sentiment que beau-coup de monde se sent concerné par le sujet. J’étais un peu inquiet car l’écriture et le caractère même de cette pièce des années 60, ne sont pas vraiment dans l’air du temps…

Mais vous n’aimez pas « l’air du temps ». Vous redoutez plus que tout être à la mode, n’est-ce pas ?Oui, j’espère que je ne serai jamais à la mode, en effet. La mode, ça passe ; j’ai toujours autant envie de séduire les gens, mais je fais des choses un peu « à part » afin surtout de rester en accord avec moi-même et donc sincère. Vous savez qu’il n’est pas toujours simple de faire des choses audacieuses ; il faut se battre par-fois, pour des choix de textes ou de mises en scène. Mais dans l’en-semble, je tiens surtout à dire que je suis très gâté. J’ai la grande chance aujourd’hui de pouvoir faire ce que j’ai envie de faire.

C’est ce qu’il s’est passé lorsque vous avez choisi de mettre en scène cette pièce un peu surannée d’André Roussin. Qu’est-ce qui vous plaît dans ces textes auxquels personne ne s’intéresse ?J’ai un côté très nostalgique. Non

pas parce que la vie m’accable (c‘était le cas avant). Maintenant, je sais que la vie peut-être aussi dra-matique qu’immense et passion-nante. Je vis des moments intenses de grande joie et de grâce. Cepen-dant, j’ai quand même gardé ce pe-tit côté passéiste qui me fait vivre avec quelques auteurs « à part » aussi, comme André Roussin. J’ai lu Un amour qui ne finit pas lorsque j’étais adolescent. J’avais été atti-ré par cette idée d’un amour plato-nique absolu et exaltant. Lorsque j’ai voulu travailler à nouveau avec Léa Drucker, je lui ai proposé ce texte. Comme elle est curieuse et très intelligente, elle a été séduite par l’idée. C’est grâce à elle que nous avons pu faire cette pièce. Elle n’avait encore jamais joué de bou-levard mais je savais qu’elle avait toutes les clés pour être drôle sur scène. Elle n’a pas peur.

Vous aviez déjà joué avec Léa Drucker une pièce de Montherlant ; vous avez monté, aussi au Montansier, Le Misan-thrope, avec Julie Depardieu. Qu’est-ce qui vous attire dans le travail que vous faites avec ce genre de « créatures », comme vous aimez les appeler ?Je suis en exploration permanente. J’aime me tourner vers des person-nalités qui m’intriguent. Parfois, je le sais, certains sont surpris par mes distributions, mais j’aime m’aven-turer dans les générations, bous-culer les familles, faire sauter les étiquettes. Il y a beaucoup de clans dans ce métier. J’en ai moi-même

souffert parce que j’ai beaucoup tra-vaillé avec Olivier Py. Aujourd’hui je profite vraiment de cette liberté acquise.

Avez-vous retravaillé le texte ?Il y avait peu d’ajustements à faire. La langue de Roussin est belle et très littéraire. La pièce était un peu longue, donc nous avons fait quelques coupes légères, en veillant toutefois à ne pas abîmer ce style répétitif qui donne un côté obses-sionnel aux personnages, à la fois oppressant mais très jouissif pour le public.

Dans chacun de vos spectacles, les décors, les costumes, le maquillage sont des « artifices » au service de la langue. Vous n’avez jamais peur d’en faire trop ?Non, au contraire. De toute façon, je déteste le réalisme. Les gens ne se déplacent pas pour voir ce qu’ils

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Un amour qui ne finit pas, d’André Roussin, au théâtre Montansier.

Vous avez travaillé à plusieurs reprises à Versailles. Pour quelqu’un qui se considère comme un « bouffon », baroque de surcroît, c’est un beau terrain de jeu…Nous avons créé Le Misanthrope et Un amour qui ne finit pas au Théâtre Montansier avec le soutien de sa di-rectrice, Géneviève Dichamp, qui connaît bien mon travail et le suit depuis longtemps. Le Montansier est un beau théâtre à l’italienne, qui oblige à jouer grand. J’ai répété en même temps au Montansier et à l’Opéra Royal pour Dardanus. Je passais d’un lieu superbe à un autre. C’était magique.

Comment s’est passée votre collabora-tion avec Raphaël Pichon ?Dardanus était un spectacle ba-roque, follement féerique et assez lourd à monter, mais nous avons travaillé parfaitement, main dans la main. J’aime beaucoup la joie qui se dégage de Raphaël Pichon. C’est un génie.

Vous passez avec légèreté et indiffé-rence du théâtre privé au théâtre public, d’un genre à un autre, quels projets rêvez-vous de réaliser ?J’ai beaucoup d’idées, d’envies, de fantasmes ; je voudrais monter des mélodrames, jouer Macbeth, m’aventurer à explorer le genre po-licier. J’adore le suspens au théâtre ! J’ai des projets d’opéras. Je reste curieux de travailler avec Raphaël Pichon. Nous partageons le goût des choses différentes. Et très concrète-ment, je serai à la rentrée sur scène avec Catherine Frot dans Fleur de Cactus au Théâtre Antoine. Encore une créature !

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voient dans leur télévision tous les jours. C’est un effort pour tout le monde aujourd’hui d’aller au théâtre ou à l’opéra. Il faut en avoir vraiment envie. J’aime offrir au pu-blic des spectacles raffinés, sophis-tiqués, apprêtés. J’aime les choses théâtrales, artificielles, presque surréalistes. Quand on joue en cos-tume, comme dans Le Misanthrope, on ressent plus intensément en-core à quel point le texte et les sen-timents qu’il sert, sont intempo-rels. Le public est intelligent ; il n’est pas nécessaire de jouer la moder-nité pour jouer la modernité. C’est comme si on taguait la Joconde… Ça ne fonctionne pas.

On a parfois le sentiment que derrière tous ces costumes et ce maquillage, vous cherchez à fuir quelque chose, une époque, ou peut-être vous-même au milieu de cette époque ?Parfois, en effet, je trouve que notre époque manque cruellement de classe, d’humour voire même de connaissances. J’essaie comme je peux de partager avec le public cette aspiration que j’ai toujours eu de m’évader. Je propose des spectacles pour que nous puissions rêver ensemble, des spectacles pour réfléchir, pour se divertir. C’est très noble le divertissement vous savez. Divertir, cela veut dire : aller ailleurs. Oui, probablement… J’ai voulu très tôt sortir de moi-même, sortir de la réalité. Cela m’a pris très jeune. J’étais un garçon timide et solitaire. Je ne suis pas d’une famille d’artistes, mais mon

frère dessinait, ma sœur se ma-quillait et maman nous emmenait au théâtre. Vous voyez que l’on n’échappe pas à son enfance.

Cette enfance, vous l’avez passée dans le magnifique pays agenais. Retour-nez-vous parfois sur vos terres ?Non, très peu. Mais je suis allé jouer Le Misanthrope au Théâtre Municipal d’Agen. C’est dans cette salle que je me produisais, adoles-cent, lorsque j’étais comédien ama-teur. Ce fut pour moi, très émou-vant.

Vous avez été nommé deux fois aux Molières, sans repartir avec. Quels rapports entretenez-vous avec « la profession » ?Je n’ai aucun problème avec ce type de cérémonies. Tant que l’on peut parler de théâtre à la télévision, c’est important ; et je suis très flat-té lorsque je suis sélectionné. Pour Dardanus, Raphaël Pichon et moi-même, avons reçu un Prix de la Critique. Nous en avons été sincè-rement surpris et très heureux. Ce-pendant, je crois que tout ceci doit rester le plus léger et le plus joyeux possible.

Aux Molières 2014, vous avez interprété une comédienne recevant son prix. Quel message vouliez-vous faire passer ?Aucun. Si ce n’est de dire qu’il faut toujours savoir se moquer de soi-même. Je déteste les gens qui se prennent au sérieux. L’humour est la forme la moins trompeuse de l’in-telligence.

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je déteste les gens qui se prennent au sérieux.

L’humour est la forme la moins

trompeuse de l’intelligence.

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Demain, il fera jour, d’ Henry de Montherlant au théâtre Montansier.

Le Misanthrope de Molière, au théâtre Montansier.