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Un Peuple - Un But – Une Foi MINISTERE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES DIRECTION DE LA PREVISION ET DES ETUDES ECONOMIQUES Document d’Etude N°05 QUELLE A ETE LA CONTRIBUTION DE LA POLITIQUE BUDGETAIRE A LA CROISSANCE ECONOMIQUE DU SENEGAL ? DPEE/DEPE @ Novembre 2007

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Un Peuple - Un But – Une Foi

MINISTERE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES

DIRECTION DE LA PREVISION ET DES ETUDES ECONOMIQUES

Document d’Etude N°05

QUELLE A ETE LA CONTRIBUTION DE LA

POLITIQUE BUDGETAIRE A LA CROISSANCE

ECONOMIQUE DU SENEGAL ?

DPEE/DEPE @ Novembre 2007

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QUELLE A ETE LA CONTRIBUTION DE LA POLITIQUE BUDGETAIRE A LA CROISSANCE ECONOMIQUE DU SENEGAL ?

Par

Fatou DIANE

Alsim FALL

Direction de la Prévision et des Etudes

Economiques (DPEE)

Direction de la Prévision et des Etudes Economiques (DPEE)

RESUME Dans la théorie économique, divers arguments ont été avancés concernant l’efficacité de la politique budgétaire dans une optique de stabilisation conjoncturelle. Certains auteurs suggèrent que les décisions d’un gouvernement en matière d’imposition et de dépenses peuvent modifier et même affecter l’économie toute entière. D’autres postulent, que l’économie est toujours dans une situation d’équilibre global et donc la politique budgétaire serait inutile voire nuisible pour l’économie. Cette présente étude tente d’apprécier la nature de la relation entre la politique budgétaire et la croissance économique au Sénégal. Cette relation est supposée non linéaire et aboutit à une méthode robuste de détermination de seuils optimums du déficit budgétaire et de ses financements extérieur et intérieur à partir desquels la croissance réagit différemment à la politique budgétaire. Ces seuils optimums sont respectivement de 1%, 2,5% et -1,5%. Enfin, l’étude évalue l’impact de la politique budgétaire sur la croissance conditionnel à l’évolution du stock de la dette publique. Il apparait que la politique budgétaire est de nature keynésienne lorsque l’endettement extérieur est inférieur à 69 % du PIB. Ce qui n’est pas le cas lorsque l’endettement est supérieur à ce seuil. Mots Clés : Politique budgétaire, effets de seuil, déficit, croissance économique, financement Classification JEL : H3, H6, O4

ABSTRACT In economic theory, various arguments point out the budgetary policy’s efficiency in a stabilization perspective. Some authors suggest that the decisions of government taxation and spending can modify and even affect the economy as a whole. Others postulate that the economy is still in a state of balance and hence fiscal policy would be useless or even harmful to the economy. The present study attempts to determine the nature of the relationship between fiscal policy and economic growth in Senegal. This relationship is supposed Nonlinear and leads to a robust method of determining optimum levels of the budget deficit and its external and internal funding from which growth reacts differently to fiscal policy. These optimum thresholds are respectively 1%, 2.5% and -1.5%. Finally, the study assesses the impact of fiscal policy on growth with respect to the evolution of the stock of public debt. It appears that fiscal policy is likely Keynesian when the external debt is less than 69% of GDP. This is not the case when the debt is greater than the threshold. Keywords: Fiscal policy, threshold effects, deficit, economic growth, financing JEL Classification : H3, H6, O4

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I. INTRODUCTION Au début des années 1980, le Sénégal, à l’instar des autres pays de la zone UEMOA, a subi

une profonde crise économique et financière. Celle-ci s’est traduite par une aggravation des

déficits des finances publiques et des comptes extérieurs, une faible croissance économique et

une dégradation des indicateurs de compétitivité. Cette crise ayant pour corollaire l’explosion

du ratio d’endettement et l’incapacité du pays à faire face aux obligations du service de la

dette, a entraîné de la part du FMI et des Institutions de l’UEMOA, l’imposition de mesures

d’austérité plafonnant les déficits budgétaires et fixant des seuils de soutenabilité de la dette

publique. De nos jours, les réflexions portant sur l’évaluation du bilan relatif à l’intervention

des principaux bailleurs sont généralement d’avis que la dette est restée insoutenable (voir

Sarr, 2005). Il faut, à cet effet, préciser que les récents allègements et annulations de la dette

extérieure du Sénégal sont suffisamment exogènes et abrupts pour ne pas avoir été liés à des

situations financières et des comportements stratégiques particuliers du pays.

Cependant, si les stratégies d’ajustement mises en œuvre par l’Etat du Sénégal avec l’appui

des Institutions de Breton Woods ont quelque peu manqué d’efficacité à ralentir la

progression de la dette, elles ont eu le mérite de prouver que la rationalisation de la gestion

des finances publiques peut générer des gains de productivité et de croissance économique.

Cette nouvelle approche de la politique budgétaire (restrictive) prend ainsi le contre pied de

l’effet du multiplicateur keynésien par lequel la politique budgétaire (expansionniste) génère

de la croissance dès lors qu’elle relance la demande intérieure.

Entre 1980 et 2005, ces deux politiques contradictoires ont été conduites par l’Etat du Sénégal

de manière alternée et non régulière, créant ainsi des effets ambigus sur l’activité économique.

La difficulté proviendrait de l’ambivalence entre l’activisme contra cyclique par lequel l’Etat

cherche à relancer l’activité économique par la politique budgétaire, et le respect des grands

équilibres synonyme de contraction budgétaire. Par conséquent, l’éventualité d’une relation

non linéaire entre la croissance économique et la politique budgétaire n’est pas à écarter.

La présente étude cherche à apprécier l’influence qu’a exercée la politique budgétaire sur le

rythme d’activité économique au Sénégal. Ces réflexions s’inscrivent dans un contexte très

actuel où la gestion des finances publiques est soumise à des controverses majeures pendant

que la politique monétaire demeure confinée à des objectifs de maîtrise de l’inflation. La

recherche d’effets non linéaires constitue la sève nourricière de ce travail ; cela devrait

permettre de tirer les enseignements inhérents aux atouts et aux limites de la politique

budgétaire qu’elle soit expansionniste ou restrictive. C’est en ce sens que ce document tient

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son originalité et se démarque de la grande majorité des travaux dans ce domaine, lesquels

tendent souvent à supposer une relation linéaire entre le déficit budgétaire et la croissance

économique.

Par ailleurs, dans cette tentative d’expliciter l’impact de la politique budgétaire sur l’activité,

l’étude ne peut passer outre les effets de composition qui déterminent la qualité de

l’ajustement budgétaire. La littérature économique a accordé une attention particulière à

l’analyse de l’impact des différentes variables budgétaires sur la croissance de l’activité. La

théorie économique prévient que, compte tenu du respect de la contrainte budgétaire de l’Etat,

un changement de grandeur d’une variable budgétaire implique systématiquement un

changement compensatoire d’une ou de plusieurs autres variables budgétaires. Mais il y a lieu

de reconnaître que ce principe est souvent omis dans les travaux empiriques qui, souvent,

analysent l’effet des variations d’une rubrique budgétaire (par exemple : les dépenses

publiques de consommation) tout en supposant implicitement que les changements

compensatoires qu’elles provoquent sont sans effet sur l’activité. Cette faiblesse peut être

surmontée dans le cadre de cette étude grâce à l’utilisation de méthodes économétriques

adéquates.

La section suivante revient sur les caractéristiques économiques et financières du Sénégal. Il

est question dans cette partie de passer en revue les effets de la politique budgétaire sur

l’activité économique compte tenu des divers programmes économiques et financiers mis en

exécution par l’Etat depuis 1980. L’analyse montre que la réaction de la croissance à la

politique budgétaire est empreinte d’une certaine ambiguïté synonyme d’existence d’effets

non linéaires. La troisième section s’appuie sur la seconde pour ériger les bases théoriques de

la non linéarité de la politique budgétaire. La quatrième section procède à l’application

économétrique qui s’articule autour de l’estimation de modèles à seuil suivant la

méthodologie de Hansen (2000). La cinquième section s’attèle à l’interprétation des

principaux résultats. Enfin, la dernière section est réservée à la conclusion.

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II. HISTORIQUE – REPERES INSTITUTIONNELS

Depuis l’accession du Sénégal à l’indépendance jusqu’au début des années 80, le domaine

budgétaire a fait l’objet de peu de contrôle. Celui-ci consistait principalement à limiter les

avances statutaires de la Banque Centrale au trésor public, avances plafonnées à 20 % des

recettes fiscales. Ces restrictions sur les prélèvements de ressources destinées à la

monétisation du déficit public étaient considérées comme un moyen efficace pour lutter

contre la captation du seigneuriage par les autorités nationales. Par ce contrôle, l’action

budgétaire de l’Etat ne reposait plus que sur sa capacité d’agir sur le taux de pression fiscale –

avec une marge de manœuvre limitée a court terme par les faiblesses de l’Administration et

l’étroitesse de l’assiette fiscale – ou sur la possibilité d’accéder à un financement extérieur du

déficit.

En dehors de la possibilité de recourir massivement aux emprunts extérieurs, le

Gouvernement du Sénégal était en mesure d’élargir ses ressources par la parafiscalité

imputable aux caisses locales de stabilisation du prix international des produits exportés. C’est

ainsi que la forte augmentation du prix du phosphate intervenue à la fin des années soixante

dix a été l’occasion pour le Sénégal d’accroître considérablement ses dépenses publiques mais

également de prendre des mesures sociales qui, toutefois, étaient sans rapport avec l’efficacité

des services publics. Le Gouvernement a amplifié l’impact du boom en mobilisant des

concours extérieurs via les banques commerciales (voir Devarajan et de Melo, 1987 ; Azam,

1996). Il s’en est suivi un alourdissement considérable des charges de l’Etat et une dette

publique de plus en plus insoutenable.

Le tableau économique d’ensemble de l’économie sénégalaise n’était d’ailleurs guère

reluisant car reflétant des tendances de déséquilibre structurel avec un taux de croissance de

2,1%, un déficit budgétaire très important de près de 12% du PIB et une dette extérieure

représentant plus de 55% du PIB en 19791.

D’une manière générale, les recettes conjoncturelles induites par les chocs de prix du

phosphate et de l’arachide ont entretenu des dérives budgétaires quand la sagesse aurait

recommandé à l’Etat de gérer prudemment les « aubaines fiscales » pour éviter des

phénomènes structurels comparables au syndrome hollandais et des déficits budgétaires

ultérieurement insoutenables (Ary Tanimoune, Combes et Plane, 2005).

1 Sources : Rapport officiel du Gouvernement sur les politiques d’ajustement au Sénégal et nos calculs à partir des comptes nationaux.

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Pour juguler ces déséquilibres macroéconomiques, le Sénégal s’est engagé depuis 1979 dans

un processus d’ajustement ordonné de son économie. Les résultats attendus des politiques

d’ajustement dépendaient de la mise en œuvre de programmes économiques et financiers pour

les périodes 1979 – 1991 et 1994 – 2000 avec les institutions de Breton Woods. Les objectifs

fondamentaux assignés à ces programmes étaient le rétablissement des grands équilibres, la

maîtrise de l’inflation et la réalisation d’une croissance économique saine et durable.

Dans ce qui suit, ce travail s’intéressera essentiellement à l’analyse de l’impact de la politique

budgétaire sur le rythme d’activité économique du Sénégal compte tenu du rôle joué par les

différents programmes économiques et financiers mis en exécution par l’Etat du début des

années quatre vingt à nos jours.

Le tableau 1 présente de manière sommaire quelques caractéristiques de l’économie

sénégalaise ainsi que d’autres variables relevant du domaine budgétaire.

Nonobstant la mise en œuvre des réformes structurelles pour restaurer les grands équilibres

macroéconomiques, la forte pression sur les dépenses de l’Etat au cours des années 1970 s’est

poursuivie jusqu’au milieu des années 1980 avec des déséquilibres budgétaires relativement

importants. Toutefois, durant cette période, un accent particulier a été mis sur l’amélioration

des finances publiques en raison du poids excessif de l’Etat dans l’activité économique ce qui

a permis d’éliminer progressivement le déficit.

Les résultats de l’ajustement budgétaire ont commencé à se ressentir dans la seconde moitié

des années 1980 avec un déficit moyen se situant à 1,9 % du PIB. En outre, cette période

coïncide avec la mise en œuvre du programme d’ajustement à moyen et long terme (PAMLT),

destiné à maintenir les acquis obtenus dans la réduction des charges publiques, à rendre

effectif le désengagement de l’Etat de ses activités marchandes et à instaurer une nouvelle

approche en matière d’investissement. C’est à ce titre qu’ont été adoptées les Nouvelles

Politiques Industrielles (NPI) en juillet 19862.

Ainsi, de la seconde moitié des années quatre vingt jusqu’en 2005, les déficits budgétaires ont

été maintenus à des niveaux relativement bas en moyenne à la faveur de la mise en œuvre de

divers programmes de redressement économique et financier.

Cependant, le calcul de la moyenne des déficits sur une période de cinq années (tableau 1)

voile un certain nombre de cas isolés. En effet, malgré la mise œuvre du PAMLT, le Sénégal

demeurait confronté à des problèmes d’ordre structurel avec notamment les finances

2 La NPI avait principalement pour objectif d'améliorer la compétitivité internationale de l'économie grâce à une plus grande ouverture commerciale, l'élévation de la productivité des facteurs, la promotion des activités à haute valeur ajoutée et à vocation exportatrice et à l'assouplissement des conditions de fonctionnement du marché du travail.

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publiques qui révélaient une précarité. Le graphique 1 permet de se rendre compte de la

recrudescence du déficit budgétaire entre 1992 et 1994. Ces éléments de précarité sont

apparus dans la rupture opérée avec les institutions de Breton-Woods dans la période 1992-

1993.

TABLEAU 1 - Résumé des données

Variables Symbole 1980– 1984

1985– 1989

1990– 1994

1995– 1999

2000– 2005

Caractéristiques de l’économie Taux de croissance moyen annuel du PIB réel

gpib 3,25 % 3,17 % 0,88 % 4,55 % 4,37 %

Taux de croissance moyen annuel de la population

gpop 2,61 % 2,53 % 2,84 % 2,62 % 2,55 %

Taux de croissance moyen annuel de la pluviométrie

pluv 10,30 % 4,76 % -0,33 % 6,02 % 0,98 %

Investissement privé en % du PIB inv_priv 29,08 % 22,23 % 21,15 % 16,00 % 16,30 % Dette intérieure de l’Etat en % du PIB

dette_int nd nd nd 8,00 % 4,30 %

Dette extérieure de l’Etat en % du PIB

dette_ext 54,00 % 64,50 % 61,60 % 71,64 % 57,00 %

Dette totale de l’Etat en % du PIB dette_tot nd nd nd 79,64 % 61,30 %

Variables budgétaires [en % du PIB]

Recettes budgétaires rec_budg 17,38 % 16,69 % 17,42 % 15,52 % 17,88 % Recettes fiscales rec_fisc 16,21 % 13,63 % 14,77 % 14,56 % 17,04 % Recettes non fiscales rec_nfisc 1,17 % 3,06 % 2,65 % 0,96 % 0,84 % Dons don 0,9 % 0,14 % 0,18 % 0,30 % 0,18 % Dépenses courantes dep_c 19,13 % 16,34 % 15,53 % 11,65 % 13,30 % Dépenses courantes hors intérêts sur la dette

dep_c_hint 16,42 % 13,40 % 13,09 % 9,76 % 12,23 %

Intérêts sur la dette int_dette 2,71 % 2,94 % 2,44 % 1,89 % 1,07 % Dépenses en capital dep_k 3,85 % 2,64 % 4,34 % 6,74 % 7,95 % Dépenses résiduelles dep_res 1,47 % 1,03 % 0,49 % 0,52 % -0,09 % Déficit base ordonnancement def 6,14 % 1,92 % 1,10 % 0,36 % 1,44 % Financement extérieur fin_ext 3,67 % 2,74 % 2,40 % 1,45 % 2,06 % Financement intérieur fin_int 2,47 % -0,82 % -1,30 % -1,09 % -0,62 %

Note : Les données décrivant les caractéristiques de l’économie sénégalaise sont tirées des comptes nationaux de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD). Les variables budgétaires sont calculées à partir du Tableau des Opérations Financières de l’Etat (TOFE) suivi par les services de la Direction de la Prévision et des Etudes Economiques (DPEE). Définitions : Les ressources de l’Etat sont constituées des recettes budgétaires, des dons et du déficit base ordonnancement. Les recettes budgétaires sont composées de recettes fiscales et non fiscales. Le déficit base ordonnancement correspond à la somme des financements intérieur et extérieur ajustés respectivement des arriérés de paiement intérieurs et extérieurs : def = fin_ext + fin_int . Les dépenses de l’Etat sont constituées des dépenses courantes, des dépenses en capital et des dépenses résiduelles Les dépenses courantes sont réparties entre les dépenses courantes hors intérêt sur la dette et les intérêts sur la dette Les dépenses résiduelles sont les dépenses autres que les dépenses courantes et les dépenses en capital. Elles sont composées essentiellement des comptes spéciaux et correspondants du trésor (net), des prêts nets, et des couts temporaires des reformes structurelles.

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Face à ces mauvais indicateurs de l’année 1992 dont les tendances se sont prolongées en

1993, une série de mesures internes de réduction des dépenses publiques et d’amélioration des

recettes ont été adoptées par les pouvoirs publics dans le cadre du Plan d’urgence. Elles

concernent notamment la réduction des salaires de la Fonction publique et la hausse des droits

à l’import et des prix des produits pétroliers. De fait, les effets de composition ont dû joué

dans l’ajustement budgétaire de par les variations sensibles des dépenses et des recettes

publiques.

Les effets de composition ont été un facteur essentiel dans la période post-dévaluation à

laquelle l’ajustement budgétaire a été au centre des préoccupations de l’Etat. Une campagne

d’assainissement des finances publiques a été lancée dans le cadre de la mise en œuvre,

depuis 1994, d’un programme d’ajustement macro-économique et de réformes structurelles3.

Le tableau 1 montre que durant la seconde moitié des années 1990, le déficit budgétaire a été

ramené à moins de 0,4 % du PIB. Ce rééquilibrage budgétaire s’est appuyé sur une réduction

sensible des dépenses courantes qui ont baissé de quatre points du PIB entre les première et

deuxième moitiés des années 1990 alors que les recettes budgétaires n’ont régressé que de

deux points du PIB en raison de la baisse de la fiscalité qui devait accompagner la dévaluation

afin de limiter ses effets inflationnistes. Parallèlement, les dépenses en capital, qui n’ont

cessé de croître depuis le début des années 1980, ont affiché une hausse de plus de deux

points du PIB au cours de la même période.

Ces ajustements effectués dans la structure des finances publiques s’apparentent aisément

avec les idées perçues dans la littérature économique selon lesquelles la conduite de la

politique budgétaire dépend essentiellement de la composition des dépenses et des ressources

de l’Etat. A cet effet, Alesina et Perotti (1995) et Cour et al. (1996) montrent que le succès des

ajustements budgétaires est tributaire des variations des recettes et des dépenses qui les

composent. De même, Baldacci et al. (2003) estiment qu’un rééquilibrage budgétaire qui

réduit les dépenses improductives et protège l’investissement public s’avère plus durable et a

plus de chances de conduire à une accélération de la croissance. D’une manière générale, un

ajustement budgétaire de qualité, fondé sur la réaffectation des dépenses à des usages plus

productifs et la réduction du déficit budgétaire, est donc propice à une accélération de la

croissance dans des pays où la situation macroéconomique est défavorable.

3 Ce programme a été appuyé par le Fonds Monétaire International (FMI) dans le cadre d’un arrangement de trois ans (1994-1997) au titre de la facilité d’ajustement structurel renforcée (FASR) qui a été approuvé le 29 août 1994. Un second arrangement de Facilité d’Ajustement Structurel Renforcée (FASR) d’une durée également de trois ans (1998 — 2000) a ensuite été approuvé. Depuis décembre 1999, le document cadre est remplacé par le Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté et de Croissance.

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FIGURE 1 : Evolutions du taux de croissance et du déficit de l’Etat

Sources : Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) Direction de la Prévision et des Etudes Economiques (DPEE) Malgré cette bonne maitrise des comptes publics, des imperfections institutionnelles

subsistent. Ces difficultés d’ordre structurel – toutefois moins ressenties au Sénégal que dans

les autres pays de l’UEMOA – ont conduit en 1999 à l’élaboration d’un Pacte de Convergence

et de Stabilité dominé par la question du désendettement et du renforcement des règles

budgétaires. Par ailleurs, au cours des années 2000, la politique budgétaire s’est inscrite dans

le sillage des grandes orientations du Document de Stratégie pour la lutte contre la Pauvreté

qui prône pour le renforcement des moyens -dans les secteurs sociaux comme l’éducation et

la santé.

La question de l’endettement au Sénégal a trouvé une issue heureuse grâce à l’atteinte du

point d’achèvement en 2004 avec comme corollaire une affectation d’une partie de

l’économie du service de la dette vers les secteurs sociaux de base conformément aux

objectifs de l’Initiative PPTE4. Plus récemment, en 2005, dans le cadre de l’Initiative

d’Allègement de la Dette Multilatérale (IADM), le Sénégal a bénéficié de l’annulation de

l’essentiel de sa dette multilatérale, portant ainsi le stock de la dette publique extérieure à près

de 15% du PIB. Ce faible niveau d’endettement aurait donné plus de marge de manœuvre à

l’Etat au regard du relâchement de la contrainte budgétaire constaté en 2006.

4 Pays Pauvre Très Endetté

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Enfin, s’agissant de la relation entre la politique budgétaire et la croissance économique, il

faut noter que de 1980 jusqu’au début des années 1990, les restrictions budgétaires menées

dans le cadre des programme d’ajustement sont, contre toute attente, allées de paire avec un

ralentissement de la croissance. Le tableau 1 met en évidence ces mouvements à la baisse du

déficit budgétaire rapporté au PIB et de la croissance économique durant cette période. Par

contre, la décennie suivante marquée par une austérité budgétaire plus accrue a été favorable à

la croissance économique. De façon plus explicite, le graphique 1 fait apparaitre que de 1980

à 1992, les contractions du déficit ont accompagné une croissance de plus en plus faible voire

négative. Inversement, dans la période post 1992, le déficit et le rythme d’activité affichent

des évolutions tendancielles contradictoires. En résumé, les événements survenus avant 1992

s’accommodent bien avec la logique keynésienne de la politique budgétaire tandis que ceux

observés après 1992 semblent être non keynésiens voire anti keynésiens. Par conséquent, la

relation entre la politique budgétaire et la croissance économique pourrait être non linéaire.

III. LA THEORIE ECONOMIQUE ET LES EFFETS NON L INEAIRES DE

LA POLITIQUE BUDGETAIRE : REVUE DE LA L ITTERATURE . Etudier l’impact de la politique budgétaire peut revêtir plusieurs contradictions. Au Sénégal,

les comportements des variables budgétaires notamment du déficit public, et de la croissance

économique laisse croire que selon la période considérée, la politique budgétaire pourrait être

keynésienne (ou contra cyclique), non keynésienne (ou acyclique) ou anti keynésienne (ou pro

cyclique). L’occurrence de ces trois effets de l’action budgétaire pourrait être la conséquence

de la difficulté éprouvée par le Gouvernement sénégalais d’arbitrer entre l’activisme contra

cyclique et le respect des grands équilibres tels que prôné par les politiques d’ajustement

mises en œuvre depuis l’année 1979 et le Pacte de Stabilité et de Croissance au sein de

l’’UEMOA.

III.1. L A POLITIQUE BUDGETAIRE SELON LE MODELE KEYNESIEN L’un des grands principes macroéconomiques est que la politique budgétaire peut servir à

stimuler la demande globale et à relancer une économie stagnante. Cette conception

keynésienne de l’activisme contra cyclique est bien enseignée dans les ouvrages d’initiation

en économie. L’explication du rôle expansionniste de la politique budgétaire s’appuie

généralement sur modèle IS-LM qui ressort clairement l’effet multiplicateur suscité par une

augmentation des dépenses publiques ou une baisse des impôts. Sous ce schéma keynésien

s’opposent deux modes d’intervention de l’Etat pour réguler l’activité économique. Ceux-ci

10

passent par des mesures discrétionnaires ou par la mise sur pied de stabilisateurs

automatiques. En Europe, le recours aux stabilisateurs automatiques est largement

recommandé par la Commission européenne dans la mesure où il apporte une réponse aux

erreurs de prévision dans un environnement dominé par l’incertitude qui compromet la

justesse des orientations discrétionnaires (voir Pommier, 2003). De même, pour le cas des

Etats Unis, Solow (2002) préconise le retour des stabilisateurs automatiques qui se sont

progressivement affaiblis depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale. Seulement, du fait que

les stabilisateurs automatiques ont un pouvoir très limité dans les pays en développement

comme le Sénégal, les Gouvernements sont souvent amenés à faire usage des mesures

discrétionnaires et ce, d’autant plus qu’ils sont confrontés à des contraintes d’équilibre

budgétaire.

La principale critique adressée à l’approche keynésienne de la politique budgétaire est que

cette dernière ne prend pas en compte dans son analyse des phénomènes d’anticipation,

d’inter temporalité. Ainsi, une politique budgétaire expansionniste ne permet pas toujours de

sortir une économie d’une récession en particulier lorsque la dette publique est élevée et

insoutenable. Dans ce cas, les anticipations des agents économiques font qu’une

augmentation du déficit entraine une baisse de l’investissement et de la consommation

annulant ainsi l’effet de la hausse des dépenses ou de l’allègement fiscal.

III.2. L A CONCEPTION CLASSIQUE DE LA NEUTRALITE DE LA POLITIQUE BUDGETAIRE Au cours des dernières années plusieurs arguments ont été avancés pour remettre en cause le

recours aux politiques budgétaires dans une optique de stabilisation conjoncturelle. Les

modèles classiques inspirés de la théorie du cycle réel (Real Business Cycles ou RBC) qui

postulent que l’économie est toujours en situation d’équilibre global concluent à l’inutilité de

la politique budgétaire. C’est à partir des années quatre vingt que la macroéconomie a été

marquée par le développement de la théorie RBC à la suite de la critique émise par Lucas

(1977) qui a décrédibilisé l’utilité des modèles du type keynésien pour évaluer les effet de

politiques économique. Les modèles pionniers du courant de la théorie des cycles réels sont

ceux de Kydland et Prescott (1982) et Long et Plosser (1983). Cooley (1995) et Prescott

(1998) proposent une revue de littérature plus détaillée. La théorie part d’une description

d’une économie fondée sur les demandes d’un unique consommateur immortel représentatif

qui maximise une fonction d’utilité additive aux propriétés mathématiques standards, sous un

ensemble de contraintes perçues. On définira ce courant comme l’ensemble des modèles

cherchant à établir que les réponses optimales des agents économiques à des chocs de nature

11

réelle peuvent produire des caractéristiques cycliques proches de celles observées. Plus

précisément, selon Ertz (2001), les cycles économiques résulteraient des réponses optimales

des agents économiques à des chocs qui modifient l’efficacité de la combinaison productive,

interprétés essentiellement comme technologique. Ainsi, beaucoup d’économistes voient dans

ces travaux exclusivement l’aspect provocateur quant à l’inefficacité de la politique

budgétaire (voir Solow 2002). En effet l’interprétation extrême de ce courant est que celui-ci

n’accorde aucune importance aux politiques de stabilisation existantes.

Dans le même registre, le principe de l’équivalence ricardienne initié par Barro (1974)

corrobore l’idée de l’inutilité de la politique budgétaire. La proposition de Barro est que d’un

point de vue macroéconomique, il y aurait équivalence entre l'augmentation de la dette

publique aujourd'hui et l'augmentation des impôts requise demain par le remboursement de

cette dette et le paiement des intérêts5. En effet, si les agents économiques se comportent de

manière rationnelle, une baisse des impôts financée par la dette publique (une politique de

relance) ne les poussera pas à consommer, mais plutôt à économiser, en prévision de hausse

d’impôts futures.

La thèse néoclassique de l’impotence de la politique budgétaire est décriée à plusieurs

niveaux en particulier si les consommateurs ne sont pas très prévoyants, s’ils sont atteints de

myopie, s’ils n’accordent pas trop d’importances aux intérêts de leurs descendants, bref, s’ils

tendent à minimiser les conséquences futures du choix budgétaire actuel. En outre, dans un

pays pauvre comme le Sénégal, il y a une réelle difficulté à mettre en œuvre un plan optimal

de consommation car les consommateurs ne disposent pas assez de revenu (ou de liquidité) et

ne pouvant pas emprunter librement à cause des multiples imperfections du marché financier.

III.3. L A NOUVELLE THEORIE ANTI KEYNESIENNE DES FINANCES PUBLIQUES (NAK) 6

Cette nouvelle théorie est le prolongement de la vision classique qui, au-delà de l’inefficacité

de la politique budgétaire, se prononce sur son caractère récessif. Selon Ertz (2001)

l’interprétation extrême de la théorie repose sur l’idée que les mesures mises en œuvre pour

atténuer la sévérité sont susceptibles de s’avérer plus couteuses que bénéfiques. Les

arguments se fondent essentiellement sur les expériences contractionnistes conduites, dans les

années quatre vingt, par les pays de l’Europe du Nord qui ont réussi à relancer l’activité

économique en réduisant les dépenses publiques de manière forte, rapide et durable (Llau,

5 Dit autrement, l’argument est que le montant de l’épargne nationale n’est pas modifié et la production reste également en l’état. 6 New Anti Keynesian View. Certains parlent de théorie allemande (German view) ou de théorie des anticipations (expectational view).

12

1999). Comme le font remarquer Giudice et al. (2003) cités dans Creel et al. (2005), cette

théorie est largement rependue dans les milieux européens tant communautaires

qu’universitaires. De plus, les programmes d’ajustement et de rééquilibrage budgétaire

proposés par le FMI s’inspirent essentiellement de cette nouvelle vision anti keynésienne

(Baldacci et al., 2003). En fait, plusieurs études montrent qu’une réduction du déficit

budgétaire peut accélérer la croissance en particulier lorsque l’endettement public est élevé et

insoutenable (voir Perotti, 1998)7. Une réduction des emprunts publics servant à financer les

dépenses par un déficit systématique pousse généralement les taux d’intérêt à la baisse, ce qui

encourage l’investissement. Une baisse des taux d’intérêt accroît aussi la valeur des actifs, et

cet effet de patrimoine encourage la consommation et l’investissement privés. Par ailleurs,

une baisse des déficits pousse le secteur privé à réduire les estimations de ses obligations

fiscales actuelles et futures, ce qui stimule encore l’investissement et la consommation8.

Enfin, la réduction de l’emploi public et la baisse anticipée de la taxation du travail entraînent

une baisse des salaires, donc une hausse des profits des entreprises, ce qui favorise

l’investissement (Alesina et al., 2002).

Cependant, l’argumentation repose sur plusieurs postulats discutables. En effet, les détracteurs

de la Théorie NAK pensent que, à priori, les effets NAK ne peuvent jouer qu’en situation

classique où la production est contrainte par l’offre ou lorsque cette situation sera atteinte

dans un avenir proche. En outre, les agents anticipent la production future selon un schéma

néoclassique (et non selon un schéma keynésien) : la production dépend négativement des

impôts par effet d’offre et non positivement des dépenses publiques. Ceci pose problème, en

particulier lorsqu’il s’agit d’investissements en infrastructures, de dépenses de recherche (qui

peuvent permettre d’augmenter la productivité de l’économie) ou de certaines dépenses utiles

aux ménages (santé, éducation, retraite). Enfin, la théorie NAK implique que les effets

d’anticipation sont plus importants que les effets de liquidité. Par exemple, une baisse des

impôts actuels, à dépenses publiques inchangées, induit une hausse de la consommation des

ménages contraints financièrement et une baisse de celle des ménages non contraints

(puisqu’ils anticipent une hausse future des impôts et qu’ils savent que celle-ci induira une

baisse de la production), le deuxième effet l’emportant sur le premier.

7 Une autre explication du caractère expansif de la contraction budgétaire est développée par Alesina et Perotti (1995) et Alesina et Ardagna (1998) qui ont mis l’accent sur les effets de composition de l’ajustement et sur la situation initial des finances publiques. 8 Voir Creel et al. (2005) Pour un exposé plus détaillé.

13

III.4. LES EFFETS NON L INEAIRES DE LA POLITIQUE BUDGETAIRE. Les paragraphes précédents ont permis de passer en revue les éléments théoriques qui sous

tendent l’existence de trois effets de l’utilisation de l’instrument budgétaire par les pouvoirs

publics. Ces hypothèses sont sans doute pertinentes pour l’économie sénégalaise qui d’après

les faits historiques a été confrontée à des mesures de politiques économiques ayant des effets

ambigus sur son activité. La difficulté pourrait provenir de l’ambivalence entre l’activisme

contra cyclique par lequel l’Etat cherche à relancer l’activité économique par la politique

budgétaire, et le respect des grands équilibres synonyme de contraction budgétaire. Ainsi,

l’éventualité d’une relation non linéaire entre la croissance économique et la politique

budgétaire n’est pas à écarter ; en théorie, tout dépend de la situation initiale des finances

publiques notamment le déficit public (Adam et Bevan, 2005) et le niveau d’endettement

(Bertola et Drazen, 1993 ; Sutherland, 1997 ; Ary Tanimoune et al., 2005). Les premiers

auteurs ont montré qu’il existe une relation non linéaire entre le déficit budgétaire et la

croissance économique. A travers un échantillon de 45 pays en voie de développement, ils

ont estimé qu’un déficit équivalant à 1,5% du PIB correspond à un niveau seuil en deçà

duquel la politique budgétaire est expansionniste mais devient récessive dans le cas contraire.

Pour les seconds, la non-linéarité de la politique budgétaire peut résulter d’un seuil

psychologique de la dette publique rendant l’ajustement budgétaire inévitable. Confrontés à

un endettement public soutenable, les agents supposent que le remboursement de la dette

reposera sur les générations futures. Dans ce cas, un déficit a des effets keynésiens. En

revanche, en présence d’une dette jugée non soutenable, les agents s’attendent à supporter

eux-mêmes le poids des remboursements, de sorte que les effets du déficit deviennent non-

keynésiens ou anti-keynésiens. Ce seuil d’endettement a été estimé à 83% par Ary Tanimoune

et al. (2005) pour les pays de l’UEMOA. En considérant deux échantillons de pays

développés et en développement, Giavazzi et al. (2000) font apparaitre une relation non

linéaire significative entre le solde budgétaire et l’épargne nationale. Par contre les travaux

d’Alésina et al. (2002), sur les pays de l’OCDE, rejettent statistiquement l’hypothèse d’une

relation non linéaire entre les chocs budgétaires et l’investissement privé. Les sections

suivantes seront consacrées à l’analyse quantitative des effets non linéaires de la politique

budgétaire sur la croissance économique du Sénégal.

14

IV. ANALYSE EMPIRIQUE

La méthodologie appliquée dans ce travail est inspirée de celle d’Adam et Bevan (2005). Elle

permet d’identifier et d’apprécier les éventuels effets non linéaires de la politique budgétaire

sur la croissance économique. Préalablement à la présentation du modèle il est instructif de

considérer le nuage de points (en bleu) de la figure 2, qui met en rapport le déficit budgétaire

et la croissance économique sous une forme de relation non paramétrique. La méthode de

détermination de cette forme non paramétrique passe par la régression semi paramétrique

suivante : gpib = Xβ + F(def) + ε ;

Où :

gpib est le taux de croissance du PIB,

X représente le vecteur des variables de contrôle, (investissements privés rapportés au PIB,

pluviométrie),

def le déficit rapporté au PIB et

ε le vecteur des termes d’erreur supposés indépendants et identiquement distribués9.

La ligne continue est également un ajustement non paramétrique du nuage de points

déterminé par la méthode du noyau de Nadaraya – Watson. Pour facilité la lecture de la

courbe nous traçons des lignes verticales équivalant à des déficits de 1%, 2% et 3% du PIB.

FIGURE 2 : Relation (non linéaire) entre le déficit bufgétaire et la croissance économique

9 La régression gpib = Xβ + F(def) + ε implique E(gpib/def) = E(X/def)β + F(def) avec E(ε/def) = 0 L’estimation de F(def) est ainsi obtenue par l’expression ci après : Les espérances conditionnelles sont estimées par la méthode du noyau. L’estimateur asymptotiquement efficace de β s’obtient par transformation de la régression initiale :

Enfin, l’ajustement du nuage de points (représenté par la courbe en rouge) est réalisé en appliquant la technique de lissage par la méthode du noyau avec un paramètre de lissage (bandwidth) de 0,01.

15

Cette première analyse permet de conférer une certaine vraisemblance à l’intuition selon

laquelle il existerait un seuil du déficit à partir duquel la politique prendrait une tournure

différente. Ainsi, l’étude retient une modélisation en termes d’effet seuil.

IV.1. SPECIFICATION DES MODELES A SEUIL

Pour examiner plus en profondeur ce concept de non linéarité de la politique budgétaire, ce

travail procède en trois étapes. En premier lieu, l’impact du déficit sur la croissance est étudié

compte tenu de la contrainte budgétaire qui stipule que les ressources de l’Etat sont égales à

ses dépenses. Ensuite, le déficit est remplacé par ses financements extérieur et intérieur. Dans

les deux cas les effets seuil sont testés et estimés. Enfin, l’étude propose de modéliser l’impact

de la politique budgétaire sur la croissance, conditionnel au niveau du stock de la dette.

IV.1.a. MODELES A SEUIL APPLIQUE SUR LE DEFICIT BUGETAIRE

La première spécification est de la forme suivante :

(1)

Où et représente le terme d’erreur

L’équation 1 est une régression temporelle où les variables sont indexées par le temps.

- sont les paramètres des coefficients à estimer,

- gpib est le taux de croissance du PIB réel,

- Les permettent de controler l’action des autres variables pertinentes

(l’investissement privé et la pluviométrie),

- Les sont les variables budgétaires (recettes budgétaires, dons, dépenses courantes

hors intérêts sur la dette, intérêts sur la dette, dépenses en capital, dépenses résiduelles

et le déficit base ordonnancement), avec le déficit base ordonnancement.

L’équation 1 suggère que l’effet marginal du déficit budgétaire varie autour d’une valeur

seuil du déficit représentée par . Par ailleurs, puisque les variables budgétaires respectent à

tout instant l’identité budgétaire suivante : , où prend les valeurs 1 et -1

16

selon que est une ressource ou une dépense10, alors l’estimation des paramètres de

l’équation 1 requiert l’élimination d’une variable budgétaire pour éviter la parfaite colinéarité

entre les régresseurs.

Après élimination d’une variable budgétaire notée, l’équation 1 est réécrite comme suit :

(1’)

Ainsi, le coefficient mesure l’impact marginal de la variable budgétaire

sur la croissance, net l’impact marginal de la variable exclue11. En s’appuyant sur la

remarque de Kneller et al. (2000), Adam et Bevan (2005) rappellent que la plupart des travaux

empiriques réalisés dans ce domaine sont pris au piège par le simple fait de supposer que la

variable à exclure n’a pas d’effet sur la croissance (growth-neutral) et donc le coefficient

serait l’effet marginal brut de la variable sur la croissance. Toutefois, la rigueur

scientifique d’une telle hypothèse ne saurait être cautionnée dès lors qu’il n’est pas possible

de mesurer directement à partir des données l’effet brut d’une variable budgétaire (c'est-à-

dire ), ni de procéder à des tests empiriques prouvant la neutralité d’une certaine catégorie

budgétaire.

Certains auteurs pensent qu’il est nécessaire de désagréger en profondeur les comptes

budgétaires afin d’y recueillir certaines catégories de dépenses ou de ressources ayant des

effets nets similaires sur croissance. De cette façon, il est possible de calculer les effets bruts

( )12. Seulement, vue la manière dont les rubriques du Tableau des Opérations Financières

de l’Etat (TOFE) sont regroupées, il est quasiment impossible d’aller à de tels niveaux de

désagrégation sans compromettre la qualité des données. Nous proposons alors une répartition

qui permettra par la suite de choisir la variable à exclure. Du côté des ressources de l’Etat, les

variables sont les recettes budgétaires, les dons et le déficit budgétaire. Du coté des dépenses,

les variables sont les dépenses courantes hors intérêts sur la dette, les intérêts sur la dette, les

dépenses en capital et les dépenses résiduelles. Le tableau 1 fournit des informations précises

sur ces variables.

10 rec_budg + don + def – dep_c_hint – int_dette – dep_k – dep_res = 0 , les significations des variables

sont données au tableau 1.

11 Si la variable exclue est une dépense, mesure l’impact marginal issu d’une baisse de la dépense exclue pour financer un accroissement supplémentaire de dépenses. En revanche si la variable exclue est une recette, ce paramètre mesure l’effet net d’une augmentation d’une dépense financée par une augmentation de la recette exclue. 12 Cependant cette technique ne constitue pas un test de neutralité mais plutôt un test cherchant à savoir si certaines variables budgétaires exercent les mêmes effets distorsifs sur la croissance.

17

IV.1.b. MODELES A SEUIL AVEC PRISE EN COMPTE DES FINANCEMENTS DU DEFICIT

De toute évidence, l’effet du déficit budgétaire ne peut être correctement appréhendé

indépendamment de ses financements intérieur et extérieur. Dans le deuxième modèle le

déficit est remplacé par ses sources de financement comme suit :

(2)

Où et représentent les financements extérieurs et intérieurs ayant comme valeurs seuil

respectives et . Les variables indicatrices et respectent les mêmes propriétés que la

variable de l’équation 1.

IV.1.c. MODELES A SEUIL CONDITIONNEL AU NIVEAU DE LA DETTE

Enfin, les effets de la politique budgétaire sur la croissance, conditionnels au niveau du stock

de la dette publique extérieure sont modélisés par l’équation suivante :

(3)

et

La variable dette_ext représente le stock de la dette publique extérieure rapporté au PIB

nominale (voir tableau 1). Un régime « normal » est caractérisé par un niveau d’endettement

inférieur ou égal au seuil, dans le cas contraire on parlera de régime « critique ». De ce fait,

les effets marginaux et devraient être différents suivant le régime de la politique

budgétaire. Il est attendu que la relation entre le déficit public et la croissance économique

soit positive en régime normal (effet keynésien, . En régime critique, les théories

prédisent un effet budgétaire nul (effet non keynésien, ou même négatif (effet anti

keynésien, .

18

IV.2. TESTS D’EFFETS SEUIL

La méthodologie développée par Hansen (2000) est utilisée pour tester l’existence d’un seuil

dans l’impact sur la croissance du déficit budgétaire et de ses financements. Il s’agit d’une

méthode de balayage suivant laquelle, l’équation de référence est estimée pour différentes

valeurs seuil. En premier lieu, admettons que soit la somme des

carrés des résidus du modèle défini par l’équation (1’) estimée avec un niveau seuil égal à.

Le niveau seuil optimal est alors :

(4)

Le seuil optimal est déterminé à partir de l’équation (1’) estimée pour toutes les valeurs

possibles du déficit se situant entre -2% et 5% du PIB, séparées entre elles d’un demi-point

d’intervalle. La même procédure est utilisée pour identifier les seuils optimaux des

financements du déficit budgétaire. Le test de Hansen permet également de déterminer le seuil

du stock de la dette bien que son interprétation est différente de ceux du déficit et de ses

sources de financement. En effet, la valeur seuil de l’endettement ne préjuge pas d’un niveau

de dette optimal ou soutenable dont le calcul nécessiterait de mettre en relation le cout réel de

la dette et la croissance économique. Ce seuil permet simplement de situer le régime

budgétaire en vigueur (keynésien, non keynésien et anti keynésien) compte tenu du niveau de

l’endettement extérieur.

Pour tester l’hypothèse , l’approche standard consiste à utiliser la statistique du ratio

de vraisemblance sous l’hypothèse auxiliaire de la normalité des erreurs. L’expression de la

statistique est la suivante :

(5)

Où est la somme des carrés des résidus du modèle sans seuil (c'est-à-dire le modèle

linéaire).

Le test du ratio de vraisemblance rejette l’hypothèse pour les grandes valeurs de .

Dans la mesure où l’hypothèse nulle est spécifiée pour toute valeur arbitraire du

seuil , le test ne peut pas faire recours aux méthodes d’inférence standard (c'est-à-dire

l’inférence du test de Fischer). Néanmoins, à travers des simulations stochastiques Hansen

(2000) est parvenu à approcher la fonction de distribution asymptotique à l’appui de laquelle

il est possible générer les p-values des statistiques du test :

19

(6)

Les valeurs critiques peuvent également être calculées par inversion de la fonction de

distribution. Ainsi, l’hypothèse est rejetée, pour un risque de première espèce α, si la

statistique est supérieure à la valeur critique

V. RESULTATS ET INTERPRETATION

V.1. INTERPRETATION DES RESULTATS DES MODELES A SEUIL ( EQUATIONS 1’ ET 2)

Les résultats des tests de valeur seuils du déficit (équation 1’) et de ses financements

(équation 2) sont présentés au tableau 2. Les tests indiquent avec le minimum de risque

possible que l’hypothèse d’existence d’un seuil de 1% du déficit ne peut être rejetée. Au-delà

de ce seuil, l’impact du déficit sur la croissance pourrait être différent.

TABLEAU 2 - Tests d’effets seuil du déficit et de ses financements

Variables Symbole Valeur Seuil

(en % du PIB)

LR(0) p – value*

Déficit (Equation, 1’) def 1 % 95,28 0,000

Financement extérieur Financement intérieur

(Equation, 2) fin_ext fin_int

2,5 % -1,5 %

91,29 0,000

Note : Le déficit et ses financements extérieur et intérieur sont exprimés en pourcentage du PIB. Une valeur positive de ces variables indique un besoin de financement tandis qu’une valeur négative correspond à une capacité de financement. La recherche de la valeur du seuil du déficit est menée à travers des tests successifs des valeurs du déficit de la plus petite à la plus grande séparées entre elles par un intervalle de 0,5 % du PIB. En ce qui concerne les valeurs seuils des financements extérieur et intérieur, le même procédé est utilisé mais en choisissant uniquement les valeurs pour lesquelles la somme est égale à 1% c'est-à-dire la valeur seuil retenue pour le déficit. *La distribution du ratio LR(0) ne possède pas les propriétés standards du test de Fischer. Néanmoins il est possible de générer sa p-value associée en utilisant sa fonction de distribution (voir Hansen, 2000) :

Lorsque le déficit est remplacé par ses financements extérieur et intérieur, les seuils optimaux

sont respectivement de 2,5% et de -1,5% avec un risque d’erreur quasi inexistant.

Partant des résultats du test de Hansen, il est maintenant possible d’analyser la série

d’estimations présentées au tableau 4. Les estimations sont réalisées par la méthode des

variables instrumentales (VI) dans le but d’éliminer la nature endogène des variables

20

budgétaires. En effet, il judicieux de supposer l’existence d’une fonction de réaction de la

politique budgétaire dépendant principalement des fluctuations de l’activité économique et

qui pourrait occasionner une corrélation entre les variables budgétaires et le terme d’erreur.

La première colonne correspond à l’équation (1’) tandis la deuxième colonne fait référence à

l’équation (2). Pour chaque cas, la catégorie budgétaire exclue correspond aux « dépenses

courantes hors intérêts sur la dette ». Dès lors, pour toute variable budgétaire, son coefficient

est estimé net de l’impact (inconnu) d’un accroissement des dépenses courantes hors intérêts.

Par exemple, le coefficient des recettes budgétaires mesure l’impact sur la croissance d’une

augmentation de cette ressource nécessaire au financement d’un supplément équivalent des

dépenses courantes hors intérêts, toute chose étant égale par ailleurs. Une interprétation

similaire est donnée aux coefficients du déficit et des dons. S’agissant d’une catégorie de

dépense, son coefficient est interprété comme l’impact de sa diminution pour compenser une

augmentation équivalente des dépenses courantes hors intérêts.

TABLEAU 3 - Facteurs budgétaires et croissance : effets non linéaires

Estimation par la méthode des variables instrumentales (VI) Liste des instruments : les variables explicatives retardées Echantillon : toutes les variables sont annuelles et s’inscrivent sur la période 1980 – 2005

Variable budgétaire exclue : dépenses courantes hors intérêts sur la dette (dep_c_hint)

Variable dépendante : taux de croissance du PIB réel (gpib)

[1] [2]

Variables de contrôle

inv_priv(-2) 0.043 [1,87] 0,041 [1,83] pluv(-1) 0.020 [1,35] 0,033 [1,72]

Variables budgétaires

rec_budg -0,138 [1,12] - 0,082 [0,45] don -1,248 [2,33] -1,148 [1,94] int_dette 0,806 [1,15] 0,687 [0,81] dep_k -1,067 [3,31] -1,218 [3,42] dep_res 1,646 [3,33] 2,209 [3,55] def 0,492 [3,62] [def – 0,01] -1,017 [5,35] fin_ext 0,196 [1,22] [fin_ext – 0,025] -1,008 [3,49] fin_int 0,639 [2,52] [fin_int + 0,015] -0,801 [2,69] T 23 23 R2-ajusté 0,81 0.78 Note : les valeurs entre crochets représentent les t-statistics en valeur absolue Les résultats de l’estimation des modèles à seuil apparaissent aux colonnes 1 et 2. Conformément aux résultats

21

des tests d’effets seuil, une valeur seuil du déficit de 1% du PIB est introduite dans le premier modèle (1ère colonne). Pour ce qui est des financements extérieur et intérieur, des valeurs seuil de 2,5% et de -1,5% du PIB sont respectivement introduites dans le modèle (2e colonne).

Il est utile de préciser que le choix de la variable exclue est arbitraire dans le sens où les

propriétés statistiques du modèle restent invariantes quelle que soit la variable exclue. Ainsi,

tous coefficients nets peuvent être retrouvés par substitution entre les différentes versions du

modèle. On s’aperçoit clairement de ce phénomène en examinant les résultats reportés au

tableau 4, où le même échantillon a servi à ré-estimer le modèle de la colonne [1] du tableau

3, avec les variables budgétaires exclues à tour de rôle. Pour ne pas surcharger le document,

les régressions associées à la deuxième colonne du tableau 3 ne sont pas présentés.

Dans l’ensemble, les résultats présentés au tableau 3 montrent que les caractéristiques

statistiques sont raisonnables et la robustesse du modèle parait satisfaisante. Toutefois, l’ordre

de grandeur des coefficients semble élevé par comparaison à d’autres études réalisées sur les

pays développés ou sur un large panel de pays en développement. Cela pourrait refléter la

dépendance manifeste de la croissance économique sénégalaise au choix de la politique

budgétaire de l’Etat.

Les résultats de la colonne [1] du tableau 3 indiquent qu’il vaudrait mieux diminuer les

intérêts sur la dette et les dépenses résiduelles pour financer un accroissement supplémentaire

de dépenses courantes hors intérêts, que de recourir à une diminution compensatoire des

dépenses en capital ou une augmentation des recettes budgétaire ou des dons. Le coefficient

de rec_budg implique que le financement par les recettes budgétaires d’un accroissement de

1% des dépenses courantes hors intérêts occasionne une diminution de la croissance

économique de 0,138 %. Le tableau 4 permet de mesurer l’effet sur la croissance économique

du financement de n’importe quelle catégorie budgétaire. L’examen des coefficients qui se

situent à la ligne relative à la variable don montre qu’une réduction des recettes budgétaires

compensée par une augmentation équivalente de dons a un effet négatif sur la croissance. De

même, le financement par les dons d’un accroissement des dépenses courantes hors intérêts et

des intérêts sur la dette est nuisible à la croissance économique. Par contre, une hausse des

dépenses en capital ou des dépenses résiduelles financée par des dons exerce un effet positif

sur la croissance. La ligne correspondante à la variable rec_budg indique que l’impact sur la

croissance du financement par les recettes budgétaires d’un accroissement des dépenses en

capital est favorable à la croissance contrairement à une augmentation des dépenses courantes

hors intérêts financée par les recettes budgétaires.

22

Le point focal de ce travail consiste à analyser l’impact du déficit budgétaire sur la croissance.

Le signe positif de la variable def à la colonne [1] du tableau 3 signifie que le financement par

le déficit budgétaire d’un accroissement des dépenses courantes hors intérêts est favorable à la

croissance. Cependant, lorsqu’on considère le déficit au delà de sa valeur seuil de 1% du PIB

conformément aux résultats du test de Hansen, les résultats indiquent qu’une augmentation

marginale du déficit détériore la croissance économique. En guise d’exemple, à partir d’un

budget équilibré ou excédentaire, si le

23

TABLEAU 4 – Facteurs budgétaire et croissance : les variables budgétaires sont exclues à tour de rôle

Estimation par la méthode des variables instrumentales (VI) Liste des instruments : les variables explicatives retardées Echantillon : toutes les variables sont annuelles et s’inscrivent sur la période 1980 – 2005

Variable dépendante : taux de croissance du PIB réel (gpib)

Variable budgétaire exclue :

rec_budg [1]

______________

don [2]

______________

dep_c_hint [3]

______________

int_dette [4]

______________

dep_k [5]

______________

dep_res [6]

______________

Coeff t-stat Coeff t-stat Coeff t-stat Coeff t-stat Coeff t-stat Coeff t-stat

Variables de contrôle

inv_priv(-2) 0,043 [1,87] 0,043 [1,87] 0,043 [1,87] 0,043 [1,87] 0,043 [1,87] 0,043 [1,87] Pluv(-1) 0,020 [1,35] 0,020 [1,35] 0,020 [1,35] 0,020 [1,35] 0,020 [1,35] 0,020 [1,35]

Variables budgétaires

rec_budg 1,109 [2,51] -0,138 [1,12] 0,668 [1,13] 0,928 [4,48] 1,507 [3,25] don -1,109 [2,51] -1,248 [2,33] -0,441 [1,42] 0,181 [0,66] 0,397 [0,59] dep_c_hint -0,138 [1,12] -1,248 [2,33] -0,806 [1,15] 1,067 [3,31] -1,646 [3,33] int_dette 0,668 [1,13] -0,441 [1,42] 0,806 [1,15] -0,260 [0,62] -0,839 [1,01] dep_k 0,928 [4,48] 0,181 [0,66] -1,067 [3,31] 0,260 [0,62] -0.579 [1,16] dep_res 1,507 [3,25] 0,397 [0,59] 1,646 [3,33] 0,839 [1,01] 0,579 [1,16] def 0,529 [4,08] 0,829 [5,42] 0,492 [3,62] 2,628 [4,13] 0,710 [5,96] 0,937 [4,13] [def – 0,01] -1,017 [5,35] -1,017 [5,35] -1,017 [5,35] -1,017 [5,35] -1,017 [5,35] -1,017 [5,35] T 23 23 23 23 23 23 23 23 23 23 23 23 R2-ajusté 0,81 0,81 0,81 0,81 0,81 0,81 0,81 0,81 0,81 0,81 0,81 0,81

24

gouvernement augmente son déficit de 1% du PIB, alors la croissance pourra croitre d’un

demi-point de pourcentage (0,492%). Par contre, si le déficit se situe au-delà de son seuil de

1% du PIB, un accroissement de 1% du déficit occasionne une perte de croissance de 0,525%

(0,492 – 1,017 = - 0,525).

Cependant, il faut garder présent à l’esprit que la valeur seuil du déficit budgétaire ne

constitue pas forcément un point critique qui maximise la croissance économique et ce pour

trois raisons principales. La première en est que même si le niveau seuil reste figé à un 1% du

PIB, l’effet du déficit sur la croissance de part et d’autre de ce seuil demeure strictement net

de l’effet de la variable budgétaire exclue. L’ampleur (et même le signe) de l’effet d’une

hausse du déficit budgétaire autour de sa valeur seuil dépend de la diminution de la catégorie

des ressources qu’il compense ou de l’augmentation de celle des dépenses qu’il finance. Pour

s’en convaincre, différentes versions du modèle de la colonne [1] du tableau 3 ont été

estimées en variant le choix de la variable exclue (voir tableau 5).

TABLEAU 5 – Les effets (nets) du déficit budgétaire sur la croissance

Variable budgétaire exclue : rec_budg [1] ____________

dep_c_hint [2] ____________

dep_k [3] ____________

dep_res [4] ____________

Coeff t-stat Coeff t-stat Coeff t-stat Coeff t-stat

Déficit budgétaire inférieur ou égal à 1 % du PIB

0,529 [4,08] 0,492 [3,62] 0,710 [5,96] 0,937 [4,13]

Déficit budgétaire supérieur à 1 % du PIB -0,488 [5,35] -0,525 [5,35] -0,307 [5,35] -0,080 [5,35]

Note : les valeurs entre crochets représentent les t-statistics en valeur absolue Les coefficients de ce tableau représentent les semi-élasticités de la croissance par rapport au déficit budgétaire. On peut aisément remarquer que la deuxième colonne de ce tableau correspond à la première colonne du tableau 3 et à la troisième colonne du tableau 4. Les colonnes [1], [3] et [4] se distinguent de la deuxième colonne par le simple fait du changement de la variable budgétaire exclue.

Pour les 4 cas qui sont présentés au tableau 5, l’existence d’un changement de régime autour

de la valeur seuil ne peut être réfutée. Néanmoins, l’ampleur du changement varie selon la

variable exclue. En effet, au-delà de son niveau seuil de 1% du PIB, un accroissement de

déficit budgétaire agit négativement sur l’activité en particulier lorsqu’il finance un montant

supplémentaire de dépenses courantes hors intérêt ou compense une baisse marginale de

recettes budgétaires. L’effet négatif sur la croissance est moins important lorsque des

montants supplémentaires du déficit (de plus de 1%) sont destinés à financer les dépenses

résiduelles. Il convient d’ajouter qu’il arrive des situations où le déficit peut continuer à

exercer un effet positif sur la croissance économique même après qu’il ait dépassé son niveau

25

seuil. Dans ce cas, le seuil ne constitue pas un point de changement de régime de politique

budgétaire mais plutôt un point de changement de pente de ce régime.

La seconde raison est que, d’après les résultats du test de Hansen, la valeur seuil du déficit de

1% du PIB n’est qualifiée d’optimale que si elle correspond à des financements extérieur et

intérieur respectivement de 2,5% et de -1,5% du PIB. Toute autre combinaison de

financements intérieur et extérieur ne serait pas optimale. Le tableau 3 montre dans sa

deuxième colonne que l’effet sur la croissance du financement d’un surplus de dépenses

courantes par les emprunts extérieurs est positif lorsque ces emprunts extérieurs se situent

initialement en dessous de leur niveau seuil de 2,5% du PIB. Au dessus de cette valeur seuil,

le financement par les emprunts extérieurs d’un accroissement des dépenses courantes exerce

un effet négatif sur la croissance. L’interprétation du niveau seuil du financement intérieur

obéit au même raisonnement. Seulement, le signe et l’ordre de grandeur de cette valeur seuil

impliquent que les comptes de l’Etat doivent constamment dégager une épargne intérieure

substantielle correspondant à un excédant du solde budgétaire de base proche de 1,5% du PIB.

Enfin, l’analyse de l’impact de la politique budgétaire (notamment du déficit) sur la

croissance doit être menée conditionnellement à l’évolution du stock de la dette publique. Le

test de Hansen présenté au tableau 6 ne rejette pas l’hypothèse d’existence d’un seuil

d’endettement conditionnant l’impact différencié de la politique budgétaire. Précisément, le

test suggère que le changement de la politique budgétaire intervient à un niveau de la dette

extérieure correspondant à 69% du PIB.

TABLEAU 6 - Test d’effet seuil de la politique budgétaire, conditionnel au niveau de la dette

Variables Symbole Valeur Seuil (en % du PIB)

LR(0) p – value

Dette extérieure (Equation, 3) dette_ext 69 % 22,71 0,000

26

TABLEAU 7 - Estimation de l’impact de la politique budgétaire sur la croissance conditionnel au niveau de la dette extérieure en pourcentage du PIB

Estimation par la méthode des variables instrumentales (VI) Liste des instruments : les variables explicatives retardées Echantillon : toutes les variables sont annuelles et s’inscrivent sur la période 1980 – 2005 Variable budgétaire exclue : dépenses courantes hors intérêts sur la dette (dep_c_hint) Variable dépendante : taux de croissance du PIB réel (gpib)

coeff t-stat

Variables de contrôle

inv_priv(-2) 0,053 [1,76] pluv(-1) 0,056 [3,05]

Variables budgétaires rec_budg -0,240 [1,92] don -0,354 [1,36] int_dette 1,091 [0,77] dep_k 0,920 [1,45] dep_res 1,292 [2,00] def_inf (69%) 0,180 [1,77] def_sup(69%) -1,061 [2,76]

T 24 R2-ajusté 0,60

Note : Les valeurs entre crochets représentent les t-statistics en valeur absolue

Les résultats présentés au tableau 7 donnent un aperçu de l’influence de la politique

budgétaire conditionnée par la variable d’endettement. Les coefficients d’impact budgétaire

sont en effet de signes différents selon que le niveau d’endettement est inférieur ou supérieur

à 69% du PIB. Dans le premier cas où le régime d’endettement est qualifié de normal, le

coefficient de def_inf, ayant un signe positif et significatif avec un risque de 10%, traduit une

situation budgétaire de type keynésien. En régime critique la corrélation entre la politique

budgétaire (def_sup) et la croissance économique est négative et statistiquement pertinente aux

seuils conventionnels. Par conséquent, ce régime peut être qualifié d’anti keynésien.

La pertinence de ce résultat pourrait se mesurer dans sa conformité avec l’observation d’une

certaine reprise de croissance à partir de la seconde moitié des années 1990. En effet, la dette

publique extérieure a mécaniquement augmenté avec la dévaluation de 1994 pour franchir le

seuil des 69 % comme l’indique le tableau 1. Ainsi, la campagne d’assainissement des

finances publiques (politique anti keynésienne) mise en œuvre, depuis 1994, dans le cadre du

programme d’ajustement macro-économique et de réformes structurelles aurait aidé à la

reprise de la croissance économique durant cette période.

27

VI. CONCLUSION

Dans cet article nous avons tenté d’évaluer empiriquement les effets non linéaires de la

politique budgétaire sur la croissance économique du Sénégal. Pour ce faire, il a été question

de marquer les repères institutionnels depuis l’avènement des politiques d’ajustement pour

situer le contexte dans lequel la politique budgétaire a pu évoluer mais aussi de déterminer ses

rapports avec la croissance économique. Il a été également élaboré une revue de la littérature

du concept de la non linéarité de la politique budgétaire. Celle-ci distingue trois écoles de

pensée : la première école est keynésienne et milite pour une politique budgétaire

expansionniste comme facteur d’accélération de la croissance. La seconde école considère

que la politique budgétaire n’a aucun effet sur la croissance tandis que la troisième fonde ses

arguments sur son caractère récessif.

En ce qui concerne les vérifications empiriques, le nuage de point présenté à la figure 2 est

une analyse préalable suggérant la présence d’une relation non linéaire entre la croissance et

la politique budgétaire. De manière plus robuste, l’analyse économétrique, basée sur un

traitement rigoureux de la contrainte budgétaire de l’Etat, confirme l’existence de cet effet

non linéaire et identifie de manière robuste un seuil du déficit à partir duquel la croissance

réagit différemment à la politique budgétaire. Ce seuil du déficit est évalué à 1 % du PIB. S’il

apparait que, en deçà de cette valeur seuil, toute augmentation du déficit occasionne des gains

de croissance du PIB, cet effet est inversé lorsque le déficit est plus grand que cette valeur

seuil. Toutefois, les pertes de croissance au-delà du niveau seuil dépendent de la nature des

dépenses ou des recettes que le déficit cherche à financer. Elles sont plus importantes lorsque

le déficit budgétaire est utilisé pour financer un surcroît de dépenses courantes ou baisse des

recettes budgétaires que quand il est utilisé pour financer un surplus de dépenses en capital.

Ces pertes dépendent également de la composition du déficit en termes de financement

intérieur et extérieur. L’idéal serait que le seuil optimal du déficit soit décomposé en un seuil

de financement extérieur de 2,5 % du PIB et de financement intérieur de -1,5 % du PIB.

Ainsi, il ne suffit pas d’observer le niveau du déficit pour savoir s’il faut l’augmenter ou le

diminuer pour accélérer la croissance, c’est plutôt les niveaux de ses financements qui doivent

être sujets à un contrôle minutieux.

L’étude révèle également qu’en présence d’un taux d’endettement extérieur inférieur à 69 %

du PIB, la relation entre la politique budgétaire et la croissance économique est de nature

keynésienne. Pour un endettement supérieur à ce seuil la relation est plutôt anti keynésienne.

Actuellement, le niveau de la dette extérieure publique du Sénégal qui est de l’ordre de 18 %

28

du PIB est donc favorable à la mise en œuvre d’une politique budgétaire expansionniste.

Pourtant, ce serait une erreur d’aboutir à hâtivement à une telle conclusion en raison du fait

que les contraintes qui pèsent sur le déficit budgétaire ou de ses financements sont plus

serrées que celle agissant sur le taux d’endettement extérieur.

L’un des apports majeurs de cette étude est de montrer que le dispositif de convergence mis

en place au sein de l’UEMOA ne saurait uniquement s’inscrire dans une logique d’encrage

nominale avec la monnaie européenne. En particulier, les règles budgétaires établies dans le

cadre du pacte de stabilité et de croissance, devraient faire l’objet d’études approfondies

basées sur un traitement rigoureux des données statistiques économiques. La méthodologie de

détermination des effets seuil est dès lors un outil qui peut être appliquée à tous les pays de la

zone. Elle permettrait d’une part de se rendre compte des spécificités propres à chaque pays et

d’autre part d’asseoir les règles communautaires sur des fondements scientifiques

convenables.

L’étude gagnerait à être approfondie sur plusieurs points. Un des prolongements de cette

étude est de chercher à déterminer l’existence d’effets seuil au niveau des autres catégories

budgétaires telles que les dépenses courantes ou encore les recettes budgétaires. Par ailleurs,

le choix des catégories budgétaires est laissé à l’appréciation du modélisateur ; une étude

subséquente pourrait à cet effet procéder à un autre découpage budgétaire et retenir d’autres

variables non moins pertinentes comme les salaires ou les subventions. Enfin, il convient de

préciser que l’analyse proposée dans le cadre de ce travail porte essentiellement sur le court

terme dès lors qu’elle ne prend pas en compte les stratégies d’ajustement budgétaire – comme

la réduction de la taille du secteur public – dont les effets attendus ne peuvent apparaître qu’à

long terme. De tels effets pourraient être mis en exergue en étudiant les réactions de

l’investissement privé aux choix de politique budgétaire.

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