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Il n’existe qu’un seul monde Baruch Spinoza

INTRODUCTION

Ce qu’on appelle la philosophie libertine n’est pas une philosophie systématique, encore moins une doctrine construite et structurée.

Les philosophes libertins ne sont pas à envisager comme des inventeurs de concepts ou de systèmes philosophiques, mais comme des penseurs donnant à l’existence et à la manière de la penser une toute nouvelle importance.

Spinoza n’est pas, à proprement parler, un philosophe libertin, mais sa philosophie est tellement libératrice qu’on peut le faire figurer avec des philosophes comme Pierre Charron, François de La Mothe Le Vayer, Pierre Gassendi, Cyrano de Bergerac, ou bien Gabriel Naudé ou Saint-Évremond.

Nous allons voir la vie et la philosophie d’un des penseurs les plus exigeants et les puissants de l’histoire de la philosophie

Spinoza va être un des plus importants critiques de la pensée religieuse et philosophique non seulement de son temps, mais aussi de notre temps.

Sa philosophie va être la plus grande critique de la liberté, plus exactement du libre-arbitre, et elle sera condamnée comme un penseur athée. I.- VIE DE SPPINOZA (1632-1677)

Baruch Spinoza naît le 24 novembre 1632 à Amsterdam, aux Pays Bas (dans les Provinces Unis) dans une famille juive dont les ascendants avaient été chassés du Portugal. Après la Reconquista (Reconquête) des royaumes musulmans d’Espagne et du Portugal par le Roi Ferdinand II d'Aragon et la Reine Isabelle de Castille. Les musulmans et les juifs restant en Espagne pays étaient obligés de se convertir au christianisme.

Les musulmans convertis étaient appelés les Morisques, et les juifs convertis, les Marranes. Les Marranes continuaient à pratiquer le judaïsme en secret. Les ascendants de Spinoza, arrivés en Hollande il y a plus de 100 ans, étaient des Marranes.

Spinoza reçoit une solide culture hébraïque traditionnelle et il est très tôt initié aux mathématiques, à la physique, à la géométrie et à la philosophie cartésienne.

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Spinoza fréquente aussi les milieux chrétiens, tout particulièrement les mennonites (réfractaires aux dogmes, au sacerdoce et au service militaire) et les collégiants (ce courant réunissait des adeptes dans un culte purement intérieur et loin de tout dogmatisme).

Ces courants étaient reconnus pour leur esprit de tolérance et de libre spéculation.

Spinoza fréquenta l’école tenue à Amsterdam par Frans van den Enden, un médecin qui avait été jésuite, ce qui a aussi beaucoup contribué à son émancipation intellectuelle. La fille de ce médecin Clara Maria était l’assistait dans l’enseignement de son père.

Spinoza devint sûrement amoureux de cette fille, mais il fut écarté par un condisciple plus riche que lui qui était luthérien et qui épousa la fille après s’être converti au catholicisme.

Dans cette école, il avait appris le latin et un peu le grec, mais pas assez, dira-t-il, pour faire une étude approfondie du Nouveau Testament.

Le latin lui ouvrait à la fois la science moderne et la tradition intellectuelle de l’Occident.

Les chefs de la synagogue voulaient maintenir la cohésion de la communauté juive et garder intacte la foi.

La curiosité intellectuelle de Spinoza était mal vue par les rabbins, alors que Spinoza se destinait lui-même à devenir un docteur de la loi (rabbin).

Un cas avait marqué la communauté juive d’Amsterdam, celui d’Uriel da Costa, un juif de Porto (Portugal), élevé dans le catholicisme et revenu clandestinement au judaïsme. Après avoir converti sa famille, il était arrivé à Amsterdam et avait fait sa rentrée dans la communauté juive.

Puis il s’était éloigné de l’orthodoxie, et la communauté juive le traduit devant le tribunal et le condamne à recevoir 39 coups de fouet pour avoir douté de l’immortalité de l’âme, mis en cause la vie éternelle et moqué quelques rites juifs.

En 1624 il publie l’Examen des traditions pharisiennes, qui critique l’autorité de la loi orale et des traditions. Le livre est brûlé, l’auteur condamné.

Uriel Da Costa se rétracte, puis revient sur sa rétractation. La communauté lui propose alors une expiation par la flagellation, il refuse.

8 ans plus tard, il accepte : en partie dénudé et attaché à une colonne, ses coreligionnaires lui infligent le fouet. Puis on l’attache sur le seeuil de la synagogue et l’ensemble de la communauté enjambe son corps pour sortir.

Il rédige son autobiographie, Un modèle de vie humaine, puis se suicide, en 1640. Nul doute que le souvenir du calvaire de cet hérétique juif coupable d’avoir philosophé librement a marqué Spinoza.

Ceux qui accusent Spinoza disent qu’il aurait fréquenté un médecin juif venu d’Espagne, Juan de Prado, qui avait eu des problèmes graves avec la synagogue, mais il avait renié ses thèses pour éviter l’excommunication.

Spinoza, lui, ne voulait pas accepter d’arrangement avec la synagogue. D’une certaine manière, il rejetait le judaïsme et le christianisme, et défendait le bon usage de la raison.

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De plus, il avait des liens avec les libéraux et les républicains (Jan de Witt), qui prônaient une économie libérale et la tolérance religieuse, et qui s’opposaient aux orangistes, formés par la famille d'Orange-Nassau, et qui défendaient la noblesse, les propriétaires terriens, l’armée, et recherchaient un État centralisé et étaient de foi calviniste.

A cette époque, Spinoza n’a rien écrit, rien publié et encore moins enseigné. Sans nul doute ses faux-amis ont dû le trahir en divulguant les conversations qu’il a eu avec eux.

Pour lui faire taire ses objections et l’amener à continuer à se rendre aux célébrations afin que son absence ne soit pas remarquée, certains représentants de la communauté juive lui proposent une rente.

A la sortie de la Synagogue, un juif l’attend pour le tuer. Le coup de couteau déchire son manteau. Spinoza aurait conservé toute sa vie le manteau troué par la lame pour se rappeler que la passion religieuse mène à la folie.

Tout cela devient insupportable aux responsables de la communauté, et en 1656, à 24 ans, il est excommunier du judaïsme et de la communauté juive.

Voici un extrait du décret d’excommunication (herem) édicté par les plus hauts représentants de la communauté juive d’Amsterdam : « Par décret des Anges, par les mots des Saints, nous bannissons, écartons, maudissons et déclarons anathème Baruch de Espinoza [...] avec toutes les malédictions écrites dans la Loi. Maudit soit-il le jour et maudit soit-il la nuit, maudit soit-il à son coucher et maudit soit-il à son lever, maudit soit-il en sortant et maudit soit-il en entrant. Et le Seigneur veuille ne pas lui pardonner et qu'ainsi s'abattent sur lui la foudre et le zèle du Seigneur [...].

Et nous avertissons que personne ne peut lui parler oralement ou par écrit, ni lui consentir aucune faveur, ni rester sous le même toit que lui, ni lire de papier fait ou écrit par lui.

Sentence d'excommunication de Baruch de Espinoza, 1656.

A la suite de cette excommunication Spinoza est chassé d’Amsterdam, et il est contraint de quitter la maison familiale et le commerce de son père (décédé peu d’années auparavant). Il devient polisseur de lunettes.

À partir de ce moment, Spinoza porte une attention soutenue à la distribution de ses écrits, vu les réactions très vives que suscitent ses différentes prises de position.

Il apprend aussi à tailler et à polir les lentilles de verre pour vivre de cela, et aussi pour expérimenter les lois de l’optique énoncées par Descartes et Huygens.

En 1665, à 33 ans, il interrompt l'écriture de l’œuvre centrale de sa philosophie, l'Éthique, pour entreprendre celle du Traité théologico-politique, qui est publié anonymement en 1670.

Cet ouvrage est sans nul doute celui qui, du vivant de Spinoza, suscite le plus de remous dans toute l'Europe et cela, autant chez les philosophes que chez les théologiens de toutes tendances.

Spinoza y distingue de façon radicale la théologie de la philosophie. La théologie cherche le salut des hommes par la foi et l'obéissance, la philosophie cherche le salut des hommes par la connaissance naturelle et la liberté de penser.

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De plus, Spinoza propose une interprétation rationnelle des Saintes Écritures qui fait d'elles des livres historiques d'origine purement humaine. Il nie l'existence d'un Dieu créateur personnel, de même que certains dogmes (l'incarnation, la rédemption, la résurrection, etc.).

À partir de ce moment, sa sécurité n'est assurée que grâce à l'intervention de Jan de Witt. Mais avec le retour de la famille d'Orange-Nassau au pouvoir, la situation de Spinoza devient très précaire.

Enfin, dernier événement important de la vie de Spinoza. En 1672, on lui offre la chaire de philosophie de l'Académie de Heidelberg. Aubaine, pourrait-on dire ? Car lui qui vit pauvrement et qui doit constamment veiller à sa sécurité devrait être heureux.

Il refuse ce poste par crainte des représailles que peut provoquer son enseignement. Mais ce refus est aussi motivé par deux raisons encore plus fondamentales : d'une part, l'enseignement public implique qu'il doit « renoncer à poursuivre [ses] travaux philosophiques » et, d'autre part, il se refuse à aliéner une partie de sa liberté de philosopher.

Dans une lettre à Oldenburg (secrétaire de la Société royale de Londres) datée de 1665, Spinoza livre bien son sentiment général sur la liberté de penser du philosophe : « Je consens que ceux qui le veulent, meurent pour ce qu'ils croient être leur bien, pourvu qu'il me soit permis à moi de vivre pour la vérité. »

Spinoza meurt en 1677 à l'âge de 44 ans. II.- LA PHILOSOPHIE

1. Le traité théologico-poilitique Spinoza n’a publié qu’un seul livre de son vivant signé de son nom, Principes de philosophie

de Descartes, et un autre ouvrage anonyme, le Traité théologico-politique. Le titre est à comprendre comme le Traité de l’autorité théologique et de l’autorité politique. Il a suspendu la rédaction de l’Ethique pour écrire ce livre.

Quelle était l’intention de Spinoza en écrivant ce qui fut considéré comme une bombe à l’époque : 1. Il veut détruire des préjugés des théologiens qui empêchent les hommes de philosopher,

ces préjugés qui justifient l’idée de Saint Thomas d’Aquin : la philosophie doit être la servante de la théologie. La raison doit donc, pour lui, s'affirmer indépendamment de quelque foi que ce soit.

2. Il veut se défendre de l'accusation d'athéisme portée contre lui. Partisan d'une théologie

rationnelle d'un genre spécifique, il met en œuvre la raison comme seule à pouvoir comprendre et interprété la Bible. Moïse Maïmonide, (en hébreu Moshe ben Maïmoun, en arabe, Moussa ibn Maimoun ibn Abdallah al-Kourtoubi al-Israili qui veut dire Moïse fils de Maïmoun ibn Abdallah le cordouan juif) était médecin, philosophe et rabbin né à Cordou, en Espagne. Maïmonide défendait dans son livre Le Guide des égarés, écrit en arabe, l’idée que l'essentiel de la religion est dans la pure spéculation, ce livre représente une explication philosophique des écritures. Spinoza voit plutôt dans les Écitures l'éthique qu'elles préconisent.

3. Etablir la liberté de philosopher dans la Cité. En 1672, soit deux ans après la parution du livre, l'assassinat des frères De Witt (Républicains) fera craindre le retour à Amsterdam de la censure pour motifs religieux. La liberté d'opinion si caractéristique de la Hollande doit donc être défendue.

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Dans ce livre, il défend l’idée que la superstition consiste à ne pas former l’idée vraie de Dieu.

La prétention d’une théologie fondée fondée sur la seule autorité de la Bible de gouverner les consciences n’est rien d’autre que la confusion de l’historique et du rationnel, la confusion de la philologie (connaissances héritées de l'antiquité gréco-romaine et judéo-chrétienne) et de la philosophie.

Il défend aussi l’idée dans cette ouvrage que la liberté de penser et de parler ne menace, ni la piété, ni, tout au contraire, la paix de l’État.

Et enfin l’ouvrage montre que la nécessité, toujours pressante, de préserver la liberté du citoyen est toujours d’actualité. Il prouve rationnellement, pour tous les temps et tous les lieux, que le but de tout association politique, de tout État est de sortir de l’état de nature décrit par Hobbes pour instaurer non pas la domination, mais la liberté.

Le régime politique qui permet le mieux l’expression des différences politiques, religieuses et culturelles, c’est la démocratie.

2. L’Éthique L’Éthique (Ethica, en latin) est la grande œuvre de Spinoza. Il a passé une quinzaine années à

y réfléchir et à la rédiger. Cet ouvrage a été publié quelques mois après sa mort.

L’Éthique n’est pas du tout une morale au sens de conseils moralisant ou d’interdits moraux. Elle ne condamne aucun Mal et ne défend aucun Bien.

Cet ouvrage, qui va critiquer va faire une des plus fortes critiques de la liberté, va démontrer l’identité de la liberté et de la puissance de connaître.

Ce grand livre de métaphysique va enchaîner ses raisons comme le fait un traité de géométrie, qui n’admet aucune proposition qui ne soit démontrée (L’Ethique démontrée selon l’ordre géométrique).

Ainsi chaque partie du livre part de définitions, comme le ferait un mathématicien. Et cette ordre géométrique va parler des 5 sujets suivants : 1ère partie : De Dieu 2ème partie : De l’Esprit 3ème partie : Des Affects (passions) 4ème partie : La servitude de l’existence humaine 5ème partie : La libération au moyen de l’entendement

Spinoza ne commence pas, comme Descartes, par le sujet pensant, mais par Dieu ou la Nature. Il affirme Dieu, ou la Nature, c’est la même chose.

Spinoza, qui se défend d'être athée, ne reconnaît pourtant aucune divinité transcendante. La Nature est le tout du réel, et c'est ce tout qu'il appelle Dieu. Ce qui existe réellement et véritablement, c’est la Nature, qu’il appelle aussi Dieu.

Il n'existe donc pas autre chose que la Nature laquelle est à la fois la cause de tout (c'est ce que Spinoza appelle la «Nature naturante») et la totalité de ses effets (la «Nature naturée»).

Ses contemporains y ont vu pour la plupart un athéisme masqué : si la Nature est Dieu, toute croyance en un Dieu surnaturel ou transcendant est en effet exclue, et tel est bien le sens du spinozisme.

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La Nature est Dieu, certes, mais ce Dieu impersonnel n'est ni créateur ni juge. Il

produit ses effets, non par un libre choix de sa volonté, mais par la libre (puisqu'elle n'est soumise qu'à elle-même) nécessité de sa nature.

C'est donc un Dieu sans morale et sans bienveillance : il n'y a ni bien ni mal dans la Nature, et c'est en quoi, paradoxalement, elle est parfaite, étant toujours exactement tout ce qu'elle peut être, sans aucune faute et sans aucune négativité. Le tout du réel est nécessairement ce qu'il est, et c'est le seul Dieu.

Cette nature, que Spinoza appelle aussi substance, est cause de soi, c’est-à-dire qu’elle n’est causée par rien d’autre au dessus-d’elle. Et elle est aussi absolument infinie, elle n’a pas de fin, elle n’est pas limitée rien d’autre qu’elle-même.

Cette substance est unique, c’est-à-dire que seul la nature existe, seul le monde existe, ou dit autrement, seul Dieu existe, ce qui est la même chose.

Cette substance est unique, et toutes les choses singulières (tout ce qui existe) ne sont que ses modifications, ou affections (qu’il appelle « modes »). Il en est ainsi d'un caillou, d'un arbre, d'un homme.

Néanmoins, notre entendement perçoit de la réalité, de la Nature, que 2 attributs, alors qu’il en existe une infinité. Ces 2 attributs sont la pensée et l’étendue, l’esprit et l’espace. Mais Spinoza dit qu’il n’y a pas la suprématie de l’esprit sur l’étendue, ou le corps, ou que l’esprit existe plus fortement que le corps. Les 2 attributs, la pensée et l’étendue, existent totalement et sont la réalité, la Nature.

On voit ici que Spinoza est plus proche des matérialistes Démocrite, Épicure et Lucrèce que de Platon et d’Aristote.

Il dit dans l’Éthique : « Substance pensante et substance étendue, c'est une seule et même substance comprise tantôt sous un attribut (la pensée), tantôt sous l'autre (l’étendue). De même aussi un mode (un arbre, un caillou, un homme) de l'étendue et l'idée de ce mode, c'est une seule et même chose, mais exprimée de deux manières. »

Qu'est-ce donc qu'un homme ? Un animal raisonnable, un animal politique, une chose pensante ? L'homme n'est pas « un empire dans un empire » : il fait partie de la Nature, dont il suit l'ordre. Comme tout être, il tend à persévérer dans l'être, il tend à rester vivant, et cet effort est appelé conatus

Le désir est l'essence même de l'homme, cad l’effort que nous faisons pour continuer à être, à vivre, et nous sommes conscients de cet effort.

On peut voir ici un renversement instauré ce relativisme radical, lequel renvoie toute morale qui se voudrait absolue à son statut d'illusion. Dieu ou la Nature n'ont pas de morale : il n'est de morale qu'humaine. CONCLUSION

Malgré la puissance de sa critique, Spinoza est un philosophe de l’affirmation et de la positivité.

Tout ce qui existe s’efforce à continuer à être et à exister, et la force de l’homme, c’est par l’activité de sa raison qui ne doit servir qu’à se dégager de la souffrance et des affections négatives, comme la haine, le mépris, la jalousie, la colère, etc