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Association marocaine des enseignants de français ( Amef) Concours de la nouvelle Louiz driss Prof d français Lycée ibn zaidoun Délégation de Kénitra La révolte des singes L’avion en provenance de Montréal atterrit à 7h00 du matin à l’aéroport de Casablanca. C’était un jour de mai, il faisait beau après une saison pluvieuse. Dody s’était levé très tôt, ce jour - là, pour être au rendez-vous de son amie canadienne, Chouchou, « l’ange du nord », comme il l’appelait dans ses courriels. Tiré à quatre épingles, les yeux en attente de celle qu’il n’avait jamais rencontrée auparavant, Dody faisait le pied de grue au terminal 2 attendant son hôte dans une ambiance de gaieté, de crainte et d’hésitation. C’était aussi une ambiance de psychose, de grippe porcine, tout le monde en parlait à ce moment- là. Soudain, Chouchou apparut au milieu de la foule. Elle était mince, cheveux jaunes coupés, les yeux verts, bref une sveltesse des gens du Nord. Elle avait le regard ébahi car elle foulait pour la première fois, seule, une terre africaine où le soleil au zénith, déjà, chauffait et dégivrait ses pensées. Elle venait au Maroc pour découvrir Marrakech et surtout passer une nuit au cœur des dunes de sable. Un désert qu’elle chérirait.

La révolte des singes

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nouvelle créée par driss louiz en 2010

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Page 1: La révolte des singes

Association marocaine des enseignants de français ( Amef)Concours de la nouvelle

Louiz driss Prof d françaisLycée ibn zaidounDélégation de Kénitra

La révolte des singes

L’avion en provenance de Montréal atterrit à 7h00 du matin à l’aéroport de Casablanca. C’était un jour de mai, il faisait beau après une saison pluvieuse. Dody s’était levé très tôt, ce jour - là, pour être au rendez-vous de son amie canadienne, Chouchou, « l’ange du nord », comme il l’appelait dans ses courriels. Tiré à quatre épingles, les yeux en attente de celle qu’il n’avait jamais rencontrée auparavant, Dody faisait le pied de grue au terminal 2 attendant son hôte dans une ambiance de gaieté, de crainte et d’hésitation. C’était aussi une ambiance de psychose, de grippe porcine, tout le monde en parlait à ce moment- là.

Soudain, Chouchou apparut au milieu de la foule. Elle était mince, cheveux jaunes coupés, les yeux verts, bref une sveltesse des gens du Nord. Elle avait le regard ébahi car elle foulait pour la première fois, seule, une terre africaine où le soleil au zénith, déjà, chauffait et dégivrait ses pensées. Elle venait au Maroc pour découvrir Marrakech et surtout passer une nuit au cœur des dunes de sable. Un désert qu’elle chérirait.

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Marrakech, la ville ocre vêtue de toutes ses couleurs accueillerait son hôtesse dans une ambiance festive. Chouchou avait beaucoup entendu parler de Jamaa el Fna, cette place magique et enchanteresse ; et surtout de ses charmeurs de serpents et montreurs de singes. Elle cherchait à se dépayser, fuir son mode de vie caractérisé par l’accélération technologique et jouir, lors de son séjour, de cette magnifique lenteur marocaine, cette merveilleuse lenteur de l’administration où tout se fait agréablement, calmement, là vous entendez un préposé de l’administration publique dire : « Qu’ils attendent les patients ou qu’ils s’en aillent les pressés » ou encore : « Ceux qui se précipitent sont déjà morts », comme disaient nos ancêtres, bref rien ne sert de courir, il faut attendre son tour…

Dody conduisit son hôtesse à l’hôtel ; sa chambre était aussi « rouge » que Marrakech, façon de parler pour exprimer sa satisfaction dans un courriel adressé à son amie. Après un moment de repos, ils se firent un tour pour découvrir les remparts de la ville, la Koutoubia, toute majestueuse, s’élevait au cœur des jardins andalous. Chouchou curieuse, pressa le pas pour découvrir les mystères des dédales de la médina. Regard éperdu, elle ne cessait de poser mille et une questions à son ami, qui parfois se trouvait embarrassé de ne pouvoir répondre à ses interrogations puisqu’il n’était pas Marrakchi de souche, ni même faux-guide.

Marrakech avait toujours attiré des visiteurs de tous les coins du monde. Sa grande place a toujours fait d’elle une ville enchanteresse et mythique. Jamaa el Fna est l'endroit le plus vivant de toute la ville. Chouchou, qui avait beaucoup entendu parler de ce lieu, fut éblouie par son charme. Elle voulait à tout prix jouir de son séjour, de cette belle aventure comme elle le répétait souvent à ses amis qui lui avaient conseillé de ne pas aller toute seule dans un pays arabe. Une femme seule n’est jamais tranquille dans la rue. Tout le monde veut lui proposer ses services sans qu’elle le demande.

Par cet après-midi du mois de mai, elle se dirigea avec Dody à la découverte de la place Jamaa el Fna, patrimoine de l’Humanité. Ici, on entendait un conteur chantant des vers en criant à tue-tête, ses propos étaient bien étranges :

« Approchez Mesdames, approchez Messieurs !C’est votre « halqa », votre cercle des mystèresPetits enfants, jeunes ou vieux Vous allez voir ce que vous allez voirIl n’y aura plus de place pour les retardatairesDépêchez-vous, venez voir une merveille

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Deux singes dans une seule petite bouteilleDu jamais vu mes amis, mes frèresApprochez mesdames, approchez messieursQue du beau, du merveilleux sous les cieuxPour commencer et ouvrir le spectacleDu « ftouh » ouverture, juste 50 DH vous verrez des miracles »

Les deux singes regardèrent avec stupéfaction leur maître qui, juste pour former sa halqa inventait de toutes pièces des histoires. L’assistance lui remit rondement l’argent sollicité.

Plus le montreur de singes récitait sa poésie, plus le cercle s’agrandissait, il se tut un moment, puis il ajouta :Je ne suis ni herboriste ni magicienUn simple montreur de singes

Tout le monde se précipitait pour voir ce qui se passait. Dody et Chouchou réussirent à se frayer un chemin et, à leur grande surprise, ils virent un singe qui refusait d’obtempérer à son « singeur », son maître, car ce dernier lui avait donné un coup sur la tête devant une guenon ; ni le singe ni sa compagne n’ acceptèrent cette situation et se mirent à pousser des cris perçants. D’autres singes dont on ne savait d’où ils sortaient, rejoignirent le cercle et décidèrent de ne s’arrêter de crier que si une délégation ministérielle se déplaçait sur les lieux afin d’écouter leurs doléances. Ils en avaient assez de mener une vie de chien, une vie des sans-droits. Les montreurs de singes ne savaient plus où donner de la tête devant ce refus catégorique, et ils craignirent de les punir sous les yeux des touristes. Les maîtres étaient bien embarrassés; au lieu de leur obéir, les singes poussèrent des cris tellement stridents qu’ils attirèrent l’attention de tous les badauds. Le bruit courut dans toute la ville. Le gouverneur de la ville, perplexe, informa le ministre du tourisme. Ce dernier en réunion en conseil ministériel, n’hésita pas à mettre au courant sur le champ ses confrères vu l’originalité de l’information.

Toute la ville du plus beau pays au monde était paralysée, les marchands de jus d’orange, les diseurs de bonne aventure, les charmeurs de serpent et autres quittèrent leurs affaires. De l’autre côté, on voyait les vendeurs et de thé à la menthe avec leurs vêtements rouges, leurs grands chapeaux d’où pendaient des cordons de tissu et des coupes de cuivres brillant ou de laiton qui couraient pour rejoindre l’endroit d’où provenaient les cris. Des petits groupes de musique, des acrobates, des femmes proposant des tatouages au henné, tous abandonnèrent leurs tâches pour aller voir ce qui se passait et petit à petit la place se transforma en une énorme fourmilière.

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Tout le monde, y compris les badauds de la ville, avait hâte du dénouement de cette scène à la fois étrange et rocambolesque.

Deux heures plus tard, le ministre du tourisme et le ministre du travail arrivèrent sur les lieux avec la ferme intention de désamorcer la crise. La place était encerclée de flics et de policiers en civil, en quête du perturbateur. Des serpents se glissèrent entre les jambes, s’infiltrèrent dans la foule, on ne sut dans quel but : était-ce par curiosité ou pour semer la discorde parmi les rangs de la gent simiesque. Les cris des singes ne firent que s’accroître. On fraya difficilement un passage aux deux ministres pour qu’ils puissent rencontrer les singes, d’ailleurs solidaires et bien organisés dans leur mouvement. Ils se turent à l’approche du ministre qui avait accepté de les écouter.

Un gorille du syndicat international des singes (SIS), habillé correctement, se présenta et lut la liste des revendications de ses amis :

« Monsieur le Ministre,

Au nom de mes amis singes, nous sommes scandalisés par le comportement de l’homme à notre égard. Nous travaillons toutes la semaine comme des immigrés clandestins, des femmes de ménage, des épiciers, ou encore des ouvriers à la tâche sans papiers, sans allocations familiales, sans congés et sans assurance maladie. Nous n’avons jamais été candidats à vivre dans le monde des humains. Ce sont les hommes qui sont venus nous chercher ; nous jouissions d’une grande liberté dans nos forêts, en famille, bien au chaud. Pire encore, certains de nos amis sont tombés malades à cause de l’homme qui leur imposait de fumer des cigarettes pour faire rire ses frères.Bref, on nous impose des activités qu’on n’a pas choisies, on nous soumet à des violences réservées aux humains. Nous ne voulons plus qu’on nous traite comme des êtres humains. Nous ne voulons plus de cette vie d’homme frustré, exploité, une vie d’esclave, une vie d’hypocrite. Nous vous demandons de nous rendre notre liberté, de nous laisser retourner dans nos forêts. »

Le ministre de tourisme écouta avec intérêt et stupéfaction le discours déterminé du gorille porte-parole des singes. Il fut très embarrassé devant une assistance cosmopolite composée de touristes en provenance de différents pays du monde, de journalistes nationaux et étrangers. Il y avait, aussi de passage, une chaîne de télévision allemande transmettant cette scène en direct. D’autres amateurs filmaient avec leurs téléphones portables et envoyaient les images via internet.

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Le ministre du travail, de son côté, se sentait aussi concerné par cette affaire et regretta d’avoir accompagné son confrère, il suait, très confus, il dénouait fébrilement le nœud de sa cravate, il comprit que le gorille n’avait pas tort. Alors que faire ? Démissionner ? Surtout pas ! se disait-il au fond de lui-même, cela ne s’était jamais produit dans le pays ? D’ailleurs les singes doivent s’accoutumer comme le reste des humains qui ont l’habitude de s’adapter à ce genre de crise.

Tout à coup, Chouchou, pour exprimer son soutien aux singes, les applaudit vivement, toute l’assistance fit de même. Elle demanda être prise en photo avec eux ; d’autres touristes sollicitèrent des singes des autographes.

Devant tous, le ministre du tourisme fut contraint de signer un papier que les singes lui avaient remis en vue de trouver une issue adéquate à leur condition. Il déclara qu’il provoquerait dans les plus brefs délais un conseil des ministres. A la vue de cette émission télévisée transmise en direct, les singes du monde entier étaient sortirent pour manifester leur mécontentement et exprimer leur solidarité avec leurs congénères du Maroc. Des marches furent organisées à Paris, Londres, Rome ; on brandissait des banderoles où on lisait : « Ca suffit, basta, Baraka, rendez nous notre liberté » ou encore : « Oui à la coexistence, oui à la cohabitation, non à l’esclavage, non à l’exploitation »

Les singes du monde occidental soutenus par différentes associations internationales comme la FSM ( Fédération Internationale des Singes), l’ AMPA ( Association Mondiale de la Protection des Animaux exigèrent la libération inconditionnelle de ceux de Jamaa el Fna.

Les membres du gouvernement marocain suivirent avec attention cette crise qui aurait pu engendrer une crise diplomatique avec les pays amis. D’ailleurs, ce n’était ni l’endroit ni le moment de se lancer dans un bras de fer avec la gente simiesque. Après une réunion extraordinaire, il fut décidé d’établir un pont aérien entre la place Jamaa el Fna et les forêts du Moyen Atlas.Les singes de Jamaa el Fna furent accueillis en véritables héros et avec fierté par leurs familles, qui les attendaient à l’entrée de la ville d’Azrou. Des messages de félicitations furent échangés entre les singes, et, ce jour du 23 mai, fut commémoré comme la journée mondiale des singes.

Louiz Drisss