60
Institut d’Etudes Politiques de Lille Master communication institutionnelle La preuve : nouvel impératif de communication corporate Mémoire préparé sous la direction de Mme Véronique Drecq Présenté et soutenu par Basile Segalen Année 2009 - 2010 1

Version finale

Embed Size (px)

DESCRIPTION

 

Citation preview

Institut d’Etudes Politiques de Lille

Master communication institutionnelle

La preuve : nouvel impératif de communication

corporate Mémoire préparé sous la direction de Mme Véronique Drecq

Présenté et soutenu par Basile Segalen

Année 2009 - 20101

Paris, le 18 juin 2010

« Ce texte est original, il est le résultat d’un travail personnel. Les références des sources

et des emprunts (citations, graphiques, schémas…) sont clairement indiquées en note de

bas de page ou en bibliographie ».

Basile Segalen

2

Remerciements

Je tiens à remercier tout particulièrement Véronique Drecq, pour m’avoir fait

découvrir et aimé le monde de la communication, et les enjeux qui y sont rattachés.

Un grand merci bien sûr à Mathilde Cristiani et Renaud Edouard-Baraud, qui m’ont

intégré dans l’équipe de l’Atelier, et fait comprendre tout l’intérêt de la veille, en particulier

dans le domaine des nouvelles technologies.

Je souhaite également exprimer toute ma gratitude à Nicolas d’Anglejan,

responsable adjoint de l’e-communication de BNP Paribas, pour m’avoir accordé un

entretien, et m’avoir éclairé sur la singularité des rapports entre le groupe et sa cellule de

veille.

Merci enfin à Adrien et Corentin, pour m’avoir relu et conseillé, tout au long de ce

mémoire.

Et à Julie, bien entendu, pour son soutien précieux et ses remarques pertinentes.

3

SommaireIntroduction 5

I. Le public en quête de vérité 10

A. Quand la publicité se faisait « propagande » 11

a. Raconter des histoires ? (le storytelling en communication) 11

b. Le greenwashing 16

c. Les limites de la répétition publicitaire 23

B. La communication à l’épreuve des faits 24

a. Les Français et la pub : le trop-plein ? 24

b. La dissonance cognitive des consommateurs 27

C. Le scepticisme de la foule - quand le public doute de la véracité des campagnes 28

a. De l’ère du vide à l’ère du soupçon 29

b. Les mouvements publiphobes 30

II. Preuves à l’appui 33

A. De la nécessité de fonder la communication sur une action 34

a. Le sens de la communication corporate 34

b. Les logiques de partenariat 38

B. De nouvelles cellules hybrides, autonomes 42

a. Etude de cas : la fondation Bonduelle et la fondation Total 42

b. Quels objectifs pour quelle autonomie ? 46

C. Etude de cas - L’Atelier BNP Paribas 47

a. Un lien avec les professionnels 48

b. Trois piliers de communication : l’événementiel, la veille et le conseil aux entreprises 50

Conclusion 54

Bibliographie 56

Webographie 57

Annexes 58

4

Introduction

Le lundi 23 novembre 2009, 800 professionnels de la communication sont

rassemblés au théâtre de Paris pour le Grand prix Effie de l’efficacité publicitaire. Ils sont

venus pour présenter leur campagne de communication, et juger de celle des autres.

Plusieurs prix sont attribués tour à tour, dans chacune des catégories (Automobile, Biens

durables, Communication publique et d’intérêt général, ou encore Petits budgets et

opérations spéciales…). À chaque fois, le couple lauréat - c’est-à-dire l’annonceur et

l’agence qui s’est occupée de la campagne - se lève, rejoint la scène, et adresse les

remerciements de rigueur. Toute la salle attend patiemment la remise du prix de l’année -

qui vient consacrer la marque dont l’opération publicitaire s’est avérée la plus efficace -

ainsi peut-être que les petits fours qui suivent la cérémonie. Enfin, l’heure sonne,

l’enveloppe s’ouvre, et le gagnant est proclamé.

Il s’agit de Nespresso et de l’agence Mc Cann, dont la troisième vague

publicitaire, avec le fameux « What else ? » de George Clooney, commence à véritablement

porter ses fruits et à marquer les esprits.

5

Nespresso : le fer de lance du groupe Nestlé, qui va connaître un début d’année

difficile en 2010, avec la gestion approximative d’une crise de communication sur les

médias sociaux, face aux offensives de Greenpeace1.

Nespresso que l’on retrouve au printemps de cette même année, avec une campagne

dans la presse magazine qui entend affirmer haut et fort les valeurs de la marque, et

redorer son blason, en soulignant l’exigence dont elle fait preuve en matière de

développement durable. Le message est sans ambages : « Quand boire un café d’exception

devient un acte responsable ». Mais la réclame ne se limite pas à cela. Sur une pleine page,

elle poursuit en mettant en avant les actions concrètes entreprises en ce sens : « Avec son

programme Ecolaboration, Nespresso s’engage en faveur de la qualité durable ». Trois

« certificats » viennent ensuite assurer le consommateur du bien fondé de ce programme2,

et de sa vérité. En d’autres termes, annoncer que l’entreprise est soucieuse de

l’environnement ne suffit plus. Il faut non seulement affirmer haut et fort les principes

fondateurs de l’action de l’entreprise, mais aussi et surtout confirmer cette déclaration en

relatant des faits et des projets entrepris.

Nous parlons ici de communication corporate, et non de marketing. La

communication corporate, ou institutionnelle, vise à renforcer l’image de

marque de l’entreprise. Elle a pour principal objectif de lui indiquer une direction, de

la doter d’une identité. Bien plus : elle fait le lien entre l’entreprise et la société. Bernard

Arnault, dans La passion créatrice3, précise le sens de cette communication : l’identité

profonde de l’entreprise, doit, selon lui, « se construire par une image institutionnelle,

globale, valorisante, affective ». Et de poursuivre : « Une entreprise, pour réussir, doit

6

1 à ce sujet, lire le blog :

http://thebrandbuilder.wordpress.com/2010/03/22/greenpeace-vs-nestle-how-to-make-sure-your-

facebook-page-doesnt-become-a-pr-trojan-horse-part-1/

En ligne. Consulté le 23 avril 2010.

2 Voir annexes : programme ecolaboration de Nespresso.

3 Bernard ARNAULT, La Passion Créatrice, Paris, Plon, 2000.

marquer sa responsabilité face à certaines problématiques majeures de son environnement

humain et naturel. Le sens de l’intérêt général n’est pas un vain mot, il est un fait

fondamental. Le Bien public ne doit pas être laissé à la seule responsabilité des Etats et des

gouvernements ». Cette question est au cœur de toute réflexion autour de la

communication d’entreprise. Quelle place doit-elle prendre ? Comment se situer dans les

grands débats sociétaux ? Quelle position adopter ? Autant de questions incontournables.

Le rôle de la communication corporate est de « formaliser et de promouvoir la

culture (…) de l’entreprise en éclairant ses engagements et ses valeurs auprès de tous ceux

qui contribuent à faire ou à défaire une réputation. Elle s’adresse à l’ensemble des parties

prenantes (actionnaires, salariés, leaders d’opinion, institutionnels, consommateurs…) ».4

La communication corporate donne un sens, et du sens, à l’action de l’entreprise. Mais elle

perd tout son sens, justement, dès lors qu’elle se libère des projets, des programmes

d’actions, des politiques mises en place. En d’autres termes, la communication corporate

doit s’ancrer dans le réel.

Aujourd’hui, plus que jamais peut-être, cet impératif est de circonstance. La

communication corporate doit s’inscrire dans la continuité d’une action concrète car elle

ne convainc plus autrement. A l’ère du vide - où les publicitaires se contentaient de clamer

les valeurs supposées de l’entreprise en matière environnementale (communication

aujourd’hui décriée sous le terme de « greenwashing »), sociale, ou humaine - succède l’ère

du soupçon : le public se lasse, devient de plus en plus méfiant. Selon une enquête de

l’institut TNS Sofres5, les marques communiquent de plus en plus et « c’est plutôt une

mauvaise chose pour 56% des Français ». Ce qui fait dire à Olivier Mongeau, rédacteur en

chef de l’hebdomadaire Stratégies : « la publicité n’a pas la cote ; pis, son image se

dégrade. (…) Pour une partie croissante des Français, la publicité est vécue comme une

gêne. C’est gênant ». Et de rappeler le sentiment de trop-plein « qu’expriment à leur

7

4 Lu sur le blog Les échos : http://www.lesechos-formation.fr/fo/catalogue/formations/communication/communication-corporate/presentation.html?PHPSESSID=nblle9hl0cj1im92d9qh7jd8f2En ligne. Consulté le 12 mai 2010.

5 « Les Français et la pub : le trop-plein », Stratégies, n°1581 - 18 mars 2010. pp.8-10.

manière les membres du collectif des Déboulonneurs », jugés par le tribunal correctionnel

de Paris pour avoir barbouillé des panneaux publicitaires sur les Champs-Elysées en 2008.

La publicité n’a pas la cote, donc. Le seul fait de communiquer positivement ne

suffit plus à gagner la confiance des consommateurs. Ceux-ci ne sont plus dupes, d’une

certaine manière. Ou le sont beaucoup moins. Ils ont intégré les codes de la publicité,

compris les leviers qu’elle actionne, et sont devenus méfiants. La défiance pour la

communication ne traduit pas forcément d’une publiphobie généralisée. Mais elle impose

en tout cas aux publicitaires de se montrer rigoureux, et de changer leur fusil d’épaule.

Pour être pleinement acceptée, la communication doit retrouver son sens initial : celui de

créer une relation de confiance, entre la marque et son public.

Le discours est inutile - voire contre-productif - s’il ne s’accompagne d’une

démonstration par la preuve. Les professionnels de la communication corporate ne s’y

trompent pas : il n’est plus possible de vanter les vertus d’une marque sans en démontrer

la teneur dans les faits. « On est au bout d’un système », clame Éric Zajdermann, PDG de

Stratéus (Lowe), « arrêtons de faire croire aux gens qu’on est là pour faire leur bonheur ! ».

Selon lui, il faut se passer de la communication corporate si celle-ci ne correspond pas à

une politique entrepreneuriale plus globale. Le discours de l’entreprise ne doit pas être

assimilé à un discours de propagande, qui chercherait à flouer le consommateur, mais à un

discours de communication, qui s’appuie sur un résultat. Élisabeth Reiss, PDG d’Éthicity,

va également en ce sens, lorsqu’elle aborde la question de la responsabilité

environnementale : « le discours de proclamation consistant à dire que l’on se préoccupe

de l’environnement dans son activité n’a que peu d’impact. On va vers plus de

communication intégrée sur le développement durable. Il faut des preuves ».

Cette problématique de la preuve est fondamentale. Il ne suffit plus de prôner ;

désormais, il faut prouver. Prendre les consommateurs pour témoins.6 Démonter que les

valeurs s’inscrivent dans une activité réelle. C’est l’objet de ce mémoire : comprendre

8

6 C’est d’ailleurs le sens originel de « preuve », selon le Petit Robert - Prueve : témoin (Le Petit Robert 1967).

l’émergence de cet impératif, souligner son emprise sur le secteur de la communication, et

analyser l’impact qu’il a sur les campagnes mises en place aujourd’hui.

Dans quelle mesure toute opération de communication corporate doit

aujourd’hui faire ses preuves ?

La réflexion se fait en deux temps :

1. Nous partons tout d’abord d’un constat : le public est désormais en quête de vérité.

Raconter des histoires (la question du storytelling est ici abordée) ne permet plus

toujours de convaincre. Et l’une des données à prendre en considération est cette

méfiance des consommateurs, initiés à la publicité.

2. Dans un second temps, nous nous intéressons aux solutions qui s’offrent aux

annonceurs, et nous analysons en particulier les cellules mises en place pour mener des

activités concrètes - comme les fondations, dont le nom-même traduit bien le nouvel

impératif de la communication corporate.

Cette partie est conclue par un cas d’étude : l’Atelier BNP Paribas, cellule singulière

et révélatrice où la veille, l’événementiel et le conseil sont les trois piliers d’un même

édifice de communication fondé sur la relation avec les professionnels.

9

I. Le public en quête de vérité

Pour comprendre ce qui pousse aujourd’hui certains grands groupes à lancer des

programmes consistants, et à détailler dans leur communication les points concrets de leur

action, il faut s’intéresser aux récentes évolutions, notamment celles de l’opinion publique.

Les années 1990 et 2000 ont d’une certaine manière signé la fin d’une forme de

« communication creuse », révélée en particulier par le phénomène de « greenwashing »7.

Les exemples ne manquent d’ailleurs pas à cette période pour illustrer la tendance à

l’auto-proclamation, ou, pour citer Pascal Tanchoux 8, à l’« incantation ». L’opération de

communication corporate lancée par Castorama durant l’été 1999 en est un. Une nouvelle

signature : « Castorama, partenaire du bonheur », est diffusée sur les ondes radio et sur

près de 17 000 panneaux publicitaires. « Partenaire du bonheur ». L’affirmation est pour le

moins vague. Pascal Bruckner s’en amuse d’ailleurs dans son ouvrage L’Euphorie

perpétuelle, où il dénonce l’injonction au bonheur dans les sociétés contemporaines 9 .

L’une des causes du rejet de la publicité, constaté par plusieurs instituts de sondages, est

peut-être à chercher ici.

L’affirmation sans fondement ne convainc plus. Non que ces formules « creuses » ne

trouvent aucun écho auprès du public - l’affirmer serait excessif - , mais la profusion de

proclamations de ce type finit par lasser, et de fait, le public apparaît de plus en plus en

quête de vérité.

Le trop-plein de publicité, la méfiance croissante des consommateurs, les

mouvements publiphobes, les groupes menant des actions dans les métros des grandes

agglomérations pour dénoncer les dérives publicitaires et la société de consommation, tout

cela contribue à ouvrir un nouveau paradigme pour les professionnels de la

communication. Nous cherchons à tracer les grandes lignes de ce paradigme dans la

première partie de ce mémoire. En commençant par nous intéresser à la question de la

« propagande publicitaire ».

10

7 C’est-à-dire l’appropriation injustifiée par une marque de valeurs environnementales, ou « durables », afin de créer une image écologique, sans qu’une action environnementale n’ait été entreprise. Voir chapitre 1.b de ce mémoire, intitulé : le « greenwashing ». p.16.

8 Directeur de la communication de Kraft Foods, et président de la commission RSE de l’Union des Annonceurs (« De l’incantation à la preuve », Stratégies, numéro 1592 - 3/6/2010, p.34).

9 Pascal BRUCKNER, L’Euphorie perpétuelle, essai sur le devoir de bonheur, Grasset & Fasquelle, Paris, 2000, p.57.

A. Quand la publicité se faisait « propagande »

La propagande est un terme connoté. D’un point de vue strictement

étymologique, il désigne pourtant simplement l’action de propager, propager au travers de

la foule une idée, des valeurs, « pour recueillir une adhésion, un soutien »10. Selon le

politologue américain Lasswell, connu pour ses théories dans le domaine de la

communication11, « la propagande est l’expression d’opinions ou d’actions effectuées

délibérément par des individus ou des groupes en vue d’influencer l’opinion ou l’action

d’autres individus ou groupes »12. Si l’on s’y tient, la propagande est ainsi synonyme de

publicité.

C’est du moins son sens premier. En le dénaturant par des méthodes proprement

manipulatrices, on a fait de ce terme un synonyme de publicité mensongère. En particulier

lorsqu’elle a servi les intérêts d’idéologies politiques, en période de guerre notamment.

La propagande donc. Au sens second. C’est ce qui nous intéresse dans cette partie.

Comment la publicité s’est-elle dénaturée ? Par quels procédés les marques en sont-elles

venues à raconter des histoires, en ne se contentant pas de créer une mythologie autour de

l’entreprise pour véhiculer ses valeurs centrales, mais en se laissant aller à délaisser

totalement la valeur probante de leur parole, en se satisfaisant de quelques formules

impactantes.

a. Raconter des histoires ? (le storytelling en communication)

En 2007, Christian Salmon, écrivain et chercheur au CNRS, publie un ouvrage

remarqué dans le monde des annonceurs, et de la politique : Storytelling, la machine à

raconter des histoires et à formater les esprits. Il s’intéresse de près à cette technique

alors très en vogue en communication, qui consiste à construire son discours sous la forme

d’un récit - une personnalité politique plaçant par exemple dans un débat qu’elle a le

matin-même rencontré un groupe de salariés, et qu’elle a su entendre ses revendications.

En communication corporate, ce procédé est également grandement utilisé. Il

permet de transmettre une certaine image de la marque, en l’ancrant - par le discours, et

par le discours seulement - dans la réalité.

11

10 Définition du Petit Robert 1967.

11 Harold Lasswell, spécialiste américain de la communication de masse, qui a proposé une grille d’analyse de célèbre des processus de communication : qui ? dit quoi ? par quels canaux ? à qui ? avec quels effets ?

12 Cité par Jacques ELLUL, Propagandes, Economica, Paris, 1990.

Apple fait partie de ces marques qui ont construit, par le storytelling, un mythe

fondateur. Steve Jobs et Steve Wozniack, encore étudiants, dans leur garage californien,

construisant le premier ordinateur personnel. Voilà une histoire qui trouve un écho auprès

de tous ceux qui, à la fin des années 1970, ne se reconnaissent pas dans l’informatique telle

qu’elle est présentée par le géant IBM.

Une histoire qui va être racontée de nombreuses fois, sous différentes formes. Steve

Jobs lui-même la reprend, en 2005, dans son célèbre discours de Stanford - par ailleurs

entièrement construit sur les principes du storytelling, et enseigné à cet égard dans

certaines écoles de communication. Voici ce qu’il raconte :

“My second story is about love and loss. I was lucky - I found what I loved to do early in life. Woz

and I started Apple in my parents garage when I was 20. We worked hard, and in 10 years Apple

had grown from just the two of us in a garage into a $2 billion company with over 4000

employees”

Tout est là. Deux étudiants construisant de façon à la fois artisanale et géniale des

produits qui engendreront une révolution de la société. Deux étudiants réinventant l’avenir

de l’informatique. Inventant l’informatique personnelle. Il s’agit en fin de compte d’une

success story, sans cesse racontée. Reprise, par exemple, de manière sous-jacente cette

fois, dans le spot publicitaire qu’Apple choisit de diffuser au SuperBowl, lors du lancement

du premier Macintosh en 1984.

12

Comme le raconte Nicolas Bordas, président de TBWA / France, dans son dernier

ouvrage13:

“ Sur un écran géant, devant un public lobotomisé, Big Brother, d’une voie glaciale,

parle : « Nous avons créé, pour la première fois dans l’histoire, le jardin de l’idéologie pure où

chacun pourra s’épanouir à l’abri de la peste des vérités contradictoires et confuses. Notre

unification de la pensée constitue une arme plus puissante que n’importe quelle flotte ou armée

sur terre…». Arrive en courant une jeune sportive qui lance son marteau au cœur de l’écran. Au

cri d’une foule libérée, Big Brother s’évanouit et apparaît une phrase : « On January 24th, Apple

Computer will introduce Macintosh. And you’ll see why 1984 won’t be like ‘1984’ » (Le 24

janvier Apple Computer lancera le Macintosh. Et vous verrez pourquoi 1984 ne ressemblera pas

à ‘1984’) ”. 14

Cette publicité, connue de tous les « fans » d’Apple et de tous les publicitaires, sans

doute, vise à rappeler la position de la marque, ses valeurs, mais aussi son engagement.

Jean-Marie Dru, dans son ouvrage de référence Beyond disruption, changing the rules in

the marketplace, analyse la stratégie de communication d’Apple, au cours des dernières

décennies. Il aborde notamment les campagnes « Think different », ayant servi selon lui

non seulement à créer des plates-formes créatives pour chacun des pays, pouvant associer

à cette phrase l’un de ses grands hommes, c’est-à-dire l’un de ses héros, mais aussi bien sûr

à consolider les fondations affectives de la marque elle-même. Il s’agit selon lui d’une

véritable disruption, un changement profond de mentalités : Steve Jobs parvenant à créer

un nouvel espace pour l’informatique - “Apple is not about bytes and boxes, it is about

values” -, au service de la créativité et de l’inventivité.

Quittons un peu Apple, et soulignons cette question de l’engagement d’une marque.

Dans le Publicitor, Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast donnent une définition de la

communication corporate, en ce sens :

“Au-delà des produits, la demande de sens se porte sur les entreprises. Les individus les

attendent sur le sens qu'elles donnent à leur métier, sur la vision qu'elles en ont, sur leur

philosophie de ce métier, les valeurs qui sont au cœur et la façon dont elles comptent

l'exercer. De plus en plus, les entreprises vont devoir énoncer leur utilité pour l'humanité, dire la

13

13 Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010, p.7.

14 Film conçu par l’agence Chiat/Day et réalisé par Ridley Scott.

vertu civilisatrice et sociale de leur métier : qu'est-ce qui peut, dans ce métier et la façon dont

l'entreprise l'envisage, faire progresser l'humanité, rendre service à l'homme et à la planète ?

Toutes questions auxquelles les entreprises n'avaient pas, pour la plupart, l'habitude de

répondre, tout simplement parce qu'on ne les leur avait jamais posées, du moins avec cette

force. Au mieux, on attendait d'elles qu'elles apportent leur contribution à la production de

richesses, qu'elles créent ou maintiennent l'emploi, qu'elles se comportent normalement en

nuisant le moins possible à l'homme et à l'environnement. Le questionnement d'aujourd'hui va

bien plus loin. Il est de l'ordre de l'éthique. Il est de l'ordre d'une justification morale du métier

et des pratiques. Il est de l'ordre de l'engagement”.

Les spécialistes ne s’y trompent pas : aujourd’hui, les consommateurs attendent des

marques qu’elles s’engagent. Celles-ci sont par conséquent amenées à construire un récit

de leur engagement. La communication corporate impose donc, d’une certaine façon, de

raconter des histoires. Si les entreprises se sont mises à parler d’environnement, de

responsabilité sociale, d’éthique, ce n’est pas par hasard.

Seul problème : dans un premier temps, ces histoires n’étaient pas des histoires,

mais des fables. Christian Salmon le démontre dans son ouvrage sur le storytelling, en

prenant l’exemple d’Enron, dont le PDG, en 2001, concluait un spot de publicité consacré à

sa société par les mots : “It’s a fabulous, fabulous story…”. Et en relevant qu’Enro, alors

septième entreprise des Etats-Unis, évaluée à presque 70 milliards de dollars, classée

« première entreprise innovante » par le magazine Fortune, allait s’effondrer peu après,

avec l’éclatement de la bulle Internet. L’auteur de storytelling reprend les mots de la

journaliste Bethany McLean, commentant l’entreprise américaine : « un château de cartes,

un mirage construit par une politique de la poudre aux yeux ». Et Christian Salmon de

conclure, sur ce point : « la fabuleuse histoire de l’entreprise Enron fournit sans doute

l’exemple le plus éclairant de cette transmutation de l’entreprise capitaliste en phénomène

de croyance partagée. Elle met en évidence les paradoxes et les dangers du corporate

storytelling, qui a connu avec Enron l’un de ses succès les plus phénoménaux, suivi d’un

désastre financier sans précédent. Enron a mis seize ans pour voir ses actifs passer de 10

millions à 65 milliards de dollars, et vingt-quatre jours pour faire faillite »15.

Ainsi, « l’empire de la propagande »16, qui est aussi celui de la manipulation, peut

avoir ses contre-coups. Les désillusions qu’il engendre peuvent s’avérer catastrophiques.

14

15 Christian SALMON, Storytelling, la machine à raconter des histoires et à formater les esprits, éditions La Découverte, Paris, 2007-2008, p.104.

16 Ibid. chapitre : « L’empire de la propagande », p.171.

Cela amène à s’interroger sur les mythes publicitaires. Avec une nuance toutefois.

Comme nous l’avons vu, par essence, la publicité se doit de raconter des histoires.

Jean Baudrillard, dans son ouvrage sur La société de consommation, paru en 1970,

souligne ce point important : il ne faut pas reprocher à la publicité de raconter des

histoires. Ces dernières sont intrinsèquement liées au message publicitaire. Et plutôt que

de parler de « l’empire de la propagande », il choisit de décrire « le règne du pseudo-

événement » :

“La publicité est (…) le règne du pseudo-événement par excellence. Elle fait de l’objet un

événement. En fait, elle le construit comme tel sur la base de l’élimination de ses

caractéristiques objectives. Elle le construit comme modèle, comme fait divers spectaculaire. (…)

Les publicitaires sont des opérateurs mythiques : ils mettent en scène, affabulent l’objet ou

l’événement. Ils le « livrent réinterprété » - à la limite, ils le construisent délibérément. Il faut

donc, si l’on veut en juger objectivement, leur appliquer les catégories du mythe : celui-ci n’est ni

vrai, ni faux, et la question n’est pas d’y croire ou de n’y pas croire. D’où les faux problèmes sans

cesse débattus. (…) Boorstin émet ainsi l’idée qu’il faut disculper les publicitaires, la persuasion

et la mystification venant bien moins du manque de scrupules de ceux-ci que de notre plaisir à

être trompés : elles procèdent moins de leur désir de séduire que de notre désir d’être séduits.

(…) Le problème de la « véracité » de la publicité est à poser ainsi : si les publicitaires

« mentaient » vraiment, ils seraient faciles à démasquer - mais ils ne le font pas - et s’ils ne le

font pas, ce n’est pas qu’ils soient trop intelligents pour cela - c’est que l’« art publicitaire

consiste surtout en l’invention d’exposés persuasifs qui ne soient ni vrais ni faux » (Boorstin).

Pour la bonne raison qu’il n’y a plus d’original ni de référentiel réel, et que, comme tous les

mythes et paroles magiques, la publicité se fonde sur un autre type de vérification - celui de la

selffulfilling prophecy (la parole qui se réalise de par sa profération même)”.

Certes. Mais justement, le mythe ne convainc plus. Ces prophéties auto-réalisatrices

semblent avoir fait leur temps. Une entreprise ne peut aujourd’hui se contenter d’affirmer

qu’elle défend l’environnement. La parole manipulée n’a pas le même impact, en

particulier depuis le phénomène de greenwashing.

15

b. Le greenwashing

Commençons par en donner une définition : le greenwashing en communication

corporate désigne la propension d’une marque à afficher une image écologique, pro-

environnementale, sans engager une réelle politique en ce sens. « C’est un terme

américain, que l’on traduit en français par écoblanchiment », rappelle Jacques-Olivier

Barthes, dircom de WWF et porte-parole de l’observatoire indépendant de la publicité

(OIP) 17. Selon lui, faire du greenwashing, au sens large - et en dépassant le simple cadre

de la communication corporate - c’est « valoriser les propriétés écologiques d’un produit

ou d’un service qui ne sont pas réellement en rapport avec la qualité du produit ou du

service. (…) C’est [donc] une forme de publicité mensongère, où l’on grossit la réalité

écologique d’une entreprise », précise-t-il.

En ce sens, c’est au cœur de notre sujet. Le greenwashing désigne de façon

proprement phénoménale la communication dénuée de démonstration probante. Il

incarne une certaine forme de propagande verte. Il se trouve à la croisée des chemins entre

l’impératif d’implication sociétale d’une entreprise et son inconsistance dans les faits, son

incapacité à faire ce qu’elle dit et dire ce qu’elle fait.

Dans le rapport gouvernemental sur l’évaluation du greenwashing en France,

publié en septembre 200918, les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur les 15 698 visuels

étudiés sur le premier semestre de cette année avec l’Agence de l’environnement et de la

maîtrise de l’énergie (Ademe), 988 utilisent l’argument environnemental. Cinq fois plus

que trois ans auparavant. Une explosion dans les opérations de communication de cette

préoccupation écologique, qui s’explique aisément, avec la prise de conscience générale des

enjeux climatiques.

Après une première vague, en effet, dans les années 1990, du marketing vert - “Le

Chat machine, sans phosphate” - c’est bien dans la première décennies des années 2000

que ressurgit dans l’univers publicitaire le thème du « plus vert que vert ». Et cette fois,

c’est bien sur la communication des entreprises, sur la conscience supposée de celle-ci, que

les messages vont porter. Comme le rappelle Aude Charon, de l’autorité de régulation

professionnelle de la publicité (ARPP)19 :

16

17 Interview vidéo dans « culture pub », en ligne : http://www.dailymotion.com/video/x8uwwi_le-greenwashing-vue-par-culture-pub_tech - consulté le 6 juin 2010.

18 Et évoqué dans le n°1026 du magazine CB News, publié le 22 septembre 2009, p.10.

19 Même lien que ci-dessus.

« La deuxième vague a explosé à la fin 2006/début 2007, où l’on a vraiment vu les

agences et les annonceurs se positionner de façon importante ». Avec une multiplication

par trois des messages utilisant l’argument environnemental, entre les deux rapports de

l’ARPP publié en 2006 puis 2007.

L’ARPP - anciennement, le bureau de vérification de la publicité (BVP) - épingle

dans plusieurs rapports20 les entreprises les plus critiquables en matière d’écoblanchiment.

L’industrie automobile est ainsi souvent montrée du doigt, comme le souligne Emmanuelle

Grossir et Valéry Pothain, journalistes de CB News21 :

“Une fois encore, bilan à l’appui, les constructeurs automobiles restent les professionnels de

l’enfumage. « La plupart des manquements venus plomber le bilan de l’ARPP sont le fait des

marques automobiles », regrette Pierre Siquier, président du groupe Ligaris et de la commission

Société de l’AACC. « De nombreux dérapages ont été enregistrés au niveau des concessionnaires

locaux, généralement conseillés par des agences locales, elles-mêmes filiales de grands groupes

(ce qui n’est pas une bonne nouvelle) (…)».

Les journalistes poursuivent en citant plusieurs exemples : à commencer par

Renault et son agence Publicis, dans sa campagne Renault Eco2 de septembre 2008, « qui

nous expliquaient que rouler en Renault serait bientôt aussi propre et aussi rapide que le

bateau d’Helen McArthur, et pourrait même transformer une route en prairie ». On se

souvient en effet de cette campagne de communication. Sur l’image, le voilier parcourant

l’océan. En voix off, celle d’Helen McArthur : « Naviguer, c’est ne faire qu’un avec la

nature. C’est la parcourir sans laisser de traces ». Reprise par une autre voix, cette fois

masculine : « Laisser moins de traces, c’est l’engagement de Renault Eco2 ».

17

20 Voir sur le site de l’ARPP les rapports de recommandations 2006, 2007 et 2008.

21 Dans le n°1026 du magazine CB News, publié le 22 septembre 2009, p.10.

« En juillet dernier, Audi et son agence DDB (…) ont fait aussi bien, voire mieux, en

tentant de nous faire admettre qu’acheter son 4x4, l’Audi Q7, pouvait devenir un geste de

santé publique. Sachez-le, donc, rien ne vaut 326 g de CO2/km “fraîchement” sortis du pot

d’un Q7 - troquant sa couleur noire statutaire pour un blanc clinique - pour soigner une

bronchiolite ou une hyperactivité des bronches », s’amusent les journalistes.

Les entreprises les moins environnementales sont celles qui - en toute logique -

cherchent par tous les moyens à redorer leur blason, en passant un coup de pinceau pour

colorer d’un vert pimpant leur façade peu écologique. Quelques visuels permettent de s’en

rendre compte, assez vite22 :

18

22 Analyse détaillée sur le site « marketing-étudiant ». En ligne. Consulté le 29 mai 2010. http://www.marketing-etudiant.fr/actualites/communication-entreprise-environnement.php

19

Comme si acheter une voiture constituait un acte pour « protéger la planète » -

comme le laisse entendre ce dernier slogan (campagne dénoncée par l’ARPP dans un

rapport de manquements).

Ces exemples montrent à quel point la preuve n’a pas toujours été un impératif de

communication corporate. Les annonceurs et leurs agences s’en sont souvent passé.

D’autant qu’il a fallu plusieurs années pour que la confiance du public s’effrite, et que les

messages sans fondement soient critiqués. En mai 2007, une étude conjointement menée

par IPSOS et par l’autorité de régulation professionnelle de la publicité (alors BVP),

baptisée « Publicité et protection de l’environnement : les perceptions et les attentes des

Français », indiquait que plus d’un Français sur deux, lorsqu’il voyait une publicité

utilisant l’argument environnemental, considérait que le message qui lui était présenté

devait être “probablement vrai” - contre 9% “probablement faux” et 3% “certainement

faux”. Aussi peu probantes qu’elles étaient, les opérations de communication portaient

leurs fruits.

La situation s’est néanmoins inversée, progressivement. Une enquête d’Ethicity, de

février 2009, montre que la confiance du public envers les entreprises sur la question du

développement durable s’est effondrée, passant de plus de 60% en 2004 à 35% en 200923.

Une preuve, pour le coup, que le public est en quête de vérité, mais aussi de

responsabilité et de sincérité. Les enjeux du développement durable étant tels qu’il devient

impardonnable d’en jouer.

20

23 Cité dans le magazine CB news n°1026, du 22 septembre 2009, p.11.

“Un annonceur sait bien que sur ce sujet là encore plus que sur d’autres, s’il se met à raconter

n’importe quoi, très vite il va être rattrapé par la société civile. Ce n’est pas un sujet anodin. (…)

Il y a une vraie maturité qui commence à émerger, il y a vraiment une prise de conscience du fait

que l’on ne peut pas utiliser aussi fortement l’emphase ou se cacher derrière la créativité

publicitaire pour dire tout et n’importe quoi”. 24

Nombreuses sont d’ailleurs les organisations citoyennes et institutionnelles qui ont

mis en place des structures de surveillance, et qui n’ont pas hésité à dénoncer les

campagnes les plus cyniques des acteurs professionnels les moins responsables. On peut

citer par exemple le site Internet greenwashingindex.com, qui propose aux citoyens de

voter pour les opérations de communication les plus « authentiques » et celles, au

contraire, les plus « offensantes ». Apple est passé de la seconde à la première catégorie en

engageant une politique de restructuration, en produisant des appareils plus respectueux

de l’environnement, et en démontrant par la preuve cette implication :

A noter justement : en effectuant un survol rapide des campagnes les plus

favorablement évaluées, il est possible de constater que la plupart d’entre elles produisent

un discours probant, fondé sur une démonstration argumentée. Quand les moins bien

notées demeurent au contraire dans le domaine de l’incantation.

21

24 Aude Charon, de l’ARPP : dans l’interview vidéo de « culture pub », en ligne : http://www.dailymotion.com/video/x8uwwi_le-greenwashing-vue-par-culture-pub_tech - consulté le 6 juin 2010.

D’autres initiatives, sur Internet, ont dénoncé les procédés de greenwashing. Une

vidéo virale met ainsi en scène deux représentants, l’un d’un grand groupe pétrolier, l’autre

d’une industrie de plastique. Sous la forme d’une parodie d’un spot publicitaire. Le premier

s’adresse aux spectateurs, tout sourire, au beau milieu d’une forêt :

“- Alors que le réchauffement climatique devient une réelle cause d’inquiétude, nous tous,

dans l’industrie pétrolière, faisons notre possible pour montrer à quel point nous tenons à

préserver l’environnement. Nombreux parmi nous ont changé leur logo (…).

- Et nous, reprend une femme représentant l’industrie du plastique, nous jouons un rôle

primordial en ajoutant les mots « entièrement recyclables » sur chacun de nos produits.

Où recyclons-nous ? comment recyclons-nous ? que recyclons-nous concrètement ?

Nous n’y avons pas encore songé. Mais nous dépensons des millions dans la recherche

pour déterminer l’endroit sur nos produits où le logo « recyclable » est le plus visible.

- Je porte un pull-over et non un costume, reprend le premier, donc forcément, j’aime la

nature. Et puis, regardez où nous nous trouvons (en plein milieu d’une forêt) : n’est-ce

pas magnifique ? A présent quand vous penserez à nous, vous garderez cette image en

tête.

- Nous faisons tout notre possible pour paraître écologiques, mais nous avons besoin de

vous… pour croire notre soi-disante préoccupation environnementale, même lorsque nos

lobbies s’efforcent de lutter contre les règles mises en place - celles de Kyoto par exemple.

- Alors, quand vous entendrez parler des industries pétrolières qui tuent des centaines

d’oiseaux dans les marées noires, ou quelque autre désastre que ce soit, tentez de

visualiser une biche sautillant gracieusement dans un pré”. 25

Si le public se lasse, et perd confiance - comme nous le verrons plus en détail dans

une prochaine partie26 - c’est aussi que le message publicitaire, et a fortiori lorsqu’il n’est

pas fondé sur des faits, doit s’imprimer dans les esprits par la répétition. La profusion

publicitaire est probablement l’une des causes de la défiance du public pour les campagnes

de communication.

22

25 Vidéo sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=YLIbIdgrIaE&feature=related. En ligne. Consulté le 8 mai 2010.

26 Voir la partie de ce mémoire : « Les Français et la pub : le trop-plein », p.24.

c. Les limites de la répétition publicitaire

Dans son ouvrage On achète bien les cerveaux27, sur la publicité et les médias,

Marie Bénilde écrit :

“Les grandes marques ont fait de la récupération des grands courants de société une arme de

destruction massive des griefs qui pourraient leur être opposés. Elles se contentent bien souvent

d’appliquer un principe simple de la communication de crise : une tendance hostile cesse

d’exister à partir du moment où elle est récupérée. Il faut donc brouiller les repères du

consommateur en associant l’image des marques aux éléments susceptibles, précisément, de les

fragiliser. (…) Certes, la posture ne fait pas toujours illusion. Mais, martelée à longueur de temps

sur les multiples supports de communication, elle finit par s’imposer dans les esprits”

Marteler, donc. Voilà l’une des recettes de la communication. Pour mesurer l’impact

d’une opération publicitaire, n’utilise-t-on pas l’indice GRP (Gross Rating Point), qui

désigne le nombre de contacts pour 100 personnes de la cible : produit de la couverture

par la répétition moyenne ?

Or, comme le souligne Philippe Breton, dans La parole manipulée28, « la répétition

joue un rôle considérable dans les processus de manipulation ». Celui-ci détaille cette

technique de communication :

“La répétition crée de toutes pièces, artificiellement, du seul fait de ce mécanisme, un sentiment

d’évidence. Ce qui nous paraît étrange et sans fondement la première fois - parce que non

argumenté - finit par paraître acceptable, puis normal, au fil des répétitions. Cette technique

crée l’impression que ce qui est dit et répété a quelque part, très en amont, été argumenté. La

répétition fonctionne sur l’oubli que l’on n’a jamais expliqué ce qu’on répète”.

La phrase d’Aldous Huxley prenant alors tout son sens : « Soixante-quatre mille

répétitions font la vérité ». Répéter ne suffit plus, cependant. Comme nous allons le voir à

présent.

23

27 Marie BENILDE, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raisons d’agir, Paris, mai 2008, p.135.

28 Philippe BRETON, La parole manipulée, éditions La Découverte, Paris, 1997, 2000, p.94.

B. La communication à l’épreuve des faits

La communication corporate, destinée à défendre les valeurs de l’entreprise auprès

des différentes parties prenantes, des actionnaires, mais aussi des salariés, en interne, et

bien sûr du grand public, est de plus en plus souvent mise à l’épreuve ; nous pourrions

dire également éprouvée. Chacun des interlocuteurs cherchant à savoir dans quelle

mesure le message qui lui est adressé comporte une part de vérité, comme nous avons

commencé à le voir précédemment. En particulier en ce qui concerne les questions de

responsabilité sociale et environnementale des entreprises.

Nombreux sont désormais les professionnels qui ont pris conscience de cette réalité.

A la conférence GRI (Global Reporting Initiative)29, qui s’est tenue cette année à

Amsterdam, plusieurs directions ont été indiquées par les responsables : encourager les

entreprises à publier d ici à 2015 des rapports précis sur la conduite de changement

qu’elles ont lancée ; imposer des standards mondiaux, afin de connaître aussi justement

que possible les situations dans lesquelles se trouvent les organisations professionnelles ;

poursuivre la politique de mesure et de vérification menée depuis plusieurs années. Selon

Hans Wijers, PDG d’AkzoNobel, il est à présent impossible de faire marche-arrière ou de

voir se reconstruire un modèle de “business as usual”. D’autant que le public ne se laisse

plus duper sur cette question30.

Voilà l’objet de cette partie : comprendre dans quelle mesure la communication est

éprouvée, aujourd’hui. Et dans quelle mesure le public a fini par se lasser du flot

publicitaire.

a. Les Français et la pub : le trop-plein ?

(étude de Stratégie - 18 mars 2010)

Les chiffres sont là : une majorité de Français se dit désormais plutôt défavorable à

la publicité, selon une étude TNS Sofres publiée par le magazine Stratégies31. Et ce chiffre

est en constante augmentation. Plus des trois-quarts des personnes interrogées ont le

sentiment que la communication des marques a fortement augmenté, et plus de la moitié

jugent que « c’est plutôt une mauvaise chose ».

24

29 Voir le site du GRI, en ligne. www.globalreporting.org. Consulté le 2 juin 2010.

30 Voir sur le site « Les parenthèses de l’Atelier » (http://parentheses.atelier.fr) les articles « à Amsterdam, le futur prend une agréable couleur verte » et « le reporting durable 2.0 ».

31 « Les Français et la pub : le trop-plein », Magazine Stratégies n°1581 du 18 mars 2010, p.8.

« L’objectif de cette enquête est d’évaluer la perception globale de la communication

des entreprises et de son évolution. Le constat est plutôt sombre. La désaffection pour

les marques gagne du terrain : 56% des Français interrogés estiment que la marque n’est

“pas du tout” ou “plutôt pas” importante lors d’un achat. Ils ont aussi moins de plaisir à

découvrir de nouvelles marques ou services et à en parler”, souligne Marie Maudieu 32.

L’enquête a été menée du 26 février au 1er mars 2010, sur un échantillon

représentatif de la population française de 1008 personnes, âgée de 18 ans et plus. Il s’agit

donc d’un indicateur récent, pour le moins révélateur.

Attitude globale vis-à-vis de la publicité :

“D’une manière générale, que pensez-vous de la publicité ? Y êtes-vous…”

plutôt opposé très opposé indifférent sans opinionplutôt favorable très favorable

2 %

31 %

1 %

24 %14 %

28 %

25

32 « Les Français et la pub : le trop-plein », Magazine Stratégies n°1581 du 18 mars 2010, p.8.

Sous-total « opposé »

42%(+5 points vs 2007)

Sous-total « favorable »

33%(-5 points vs 2007)

Evolution de l’intensité de la communication :

“Avez-vous le sentiment qu’au cours des dernières années, la publicité des marques,

sous toutes ses formes, a…”

Il semble que la publicité ennuie les Français. Selon un sondage Ipsos réalisé en

septembre 2009, les trois quarts d’entre eux la jugent « envahissante », 67% « ennuyeuse »

et 57% « banale »33. En cause ? L’overdose publicitaire. Le trop-plein. La répétition, en

somme. Ou, dit autrement, la communication de masse, qui a fait son temps. C’est

d’ailleurs ce que souligne Nicolas Bordas34 :

“Que l’intensification de la communication soit considérée comme une mauvaise chose résulte,

selon moi, d’un excès de publicité. Nous devons le combattre en diminuant le nombre de

panneaux publicitaires et les coupures de publicité à la télévision, en évitant l’intrusion

publicitaire inadéquate”.

Les chances pour que ce sentiment de trop-plein généralisé soit également lié à un

déficit en terme de qualité, et de sincérité de la communication, sont grandes.

beaucoup baissé ni baissé ni augmenté plutôt baissé sans opinionplutôt augmenté beaucoup augmenté

40 %

38 %

2 %4 %15 %1 %

26

33 Information traitée dans le magazine Stratégies n°1346.

34 Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010, p.10.

Sous-total « en baisse »

5%Sous-total

« en augmentation» 78%

L’indigestion vient aussi et peut-être surtout du manque de franchise et de vérité. C’est-à-

dire au fond du manque de preuve.

Bien entendu, aussi révélateurs que soient ces chiffres, ils méritent quelques

nuances. Selon Nicolas Bordas, « tout le monde est à la fois publiphobe et publiphile », et

ces études ont le défaut de fonctionner sur le mode déclaratif. « On oblige les gens à se

prononcer sur quelques chose qui ne se pose pas en ces termes », regrette-t-il.

Il n’empêche : lorsque l’on interroge les Français sur la manière dont ils considèrent

la communication aujourd’hui, on relève une appréhension qui fait sens. Certains

rétorqueront que la méfiance envers la publicité ne date pas d’hier. Des sondages effectués

en France dès 1967 indiquent en effet que plus de 40% des personnes interrogées étaient

hostiles à l’introduction de la publicité à la télévision35. Il semble toutefois que le

phénomène se soit accentué ces dernières années.

b. La dissonance cognitive des consommateurs

La surexposition aux contenus publicitaires - selon le sociologue américain Michael

Hakawa, un jeune New-Yorkais de dix-huit ans a dû voir environ 350 000 spots

publicitaires à la télévision au cours de son existence36 - finit par créer un sentiment de

vertige auprès du public. Et, cette fois, la raison de ce vertige est moins l’œil que l’abîme : il

est impossible, ou, disons, particulièrement difficile, de ne pas regarder.

La dissonance finit par habiter les consommateurs. Il s’agit même d’un concept que

les professionnels de la communication se sont ré-approprié. La dissonance cognitive

désigne un état d’inconfort ressenti par le consommateur. « Il y a dissonance lorsque le

consommateur reçoit des informations discordantes qui vont le déranger, perturber ses

opinions et ses attitudes », expliquent Jacques Lendrevie et Arnaud de Baynast, renvoyant

aux théories de Festinger37. La dissonance cognitive est en fait l’état d’anxiété dans lequel

se trouve le consommateur qui n’est pas sûr de son choix. Il a déjà effectué son « acte

d’achat », il possède donc le produit convoité, mais se met soudainement à douter : « Ai-je

bien fait ? Avais-je vraiment besoin d’acheter tel produit ? Est-il suffisamment solide et de

bonne qualité ? Etc. ». Le consommateur est dubitatif. Il regrette presque déjà son achat.

27

35 Chiffres rappelés par Ignacio RAMONET, dans son ouvrage Propagandes silencieuses, Galilée, Paris, 2000, p.42.

36 Eulalio FERRER, « La crisis de la publicidad », Communicacion, n°36, Barcelone, 1978, p.58.

37 A theory of cognitive dissonance, Harper and Row New York, 1957.

Une des formes de la communication consiste donc à prendre en compte cette dissonance,

et à rassurer le client/le consommateur après qu'il a acheté le produit. Il s'agit d'une

communication a posteriori qui n'est pas négligeable.

Cet état d’inconfort peut être pris au sens large. L’ « excès de communication » dont

parlait Nicolas Bordas amène à penser que les consommateurs ne savent plus à quoi s’en

tenir. D’une certaine manière, il y a une perte de sens.

Cette perte de sens est peut-être le pire événement possible pour la communication

corporate, dont l’objectif ultime consiste justement à donner un sens à la marque, et du

sens à l’action de l’entreprise. D’autant que si tout se vaut, d’une certaine manière, plus

rien ne se vaut. Les consommateurs troublés sont perdus, et ne savent plus à quel saint se

vouer. Telle entreprise affirme haut et fort qu’elle défend la planète, telle autre que la

diversité est une valeur fondamentale de son action… mais qui croire ? Et sur quels

critères ? C’est ainsi que le doute fait place à la méfiance, qui elle-même se mue vite en

défiance.

C. Le scepticisme de la foule - quand le public doute de la véracité des campagnes

L’opinion se fait de moins en moins dupe des messages publicitaires. Les

consommateurs finissent pas se familiariser avec les méthodes utilisées par les

marketeurs, ils connaissent les ficelles, et ne se laissent plus manipuler aussi aisément.

C’est ce que Nicolas Riou, fondateur du cabinet Brain Value, constate dans son ouvrage

Peur sur la pub38, où il revient sur le phénomène de rejet de la publicité.

D’une certaine manière, à la fin des années 1990 - si tant est qu’il soit possible de

dater avec précision des phénomènes de cette nature - nous sommes passés de l’ère du

vide à l’ère du soupçon. Le public, en quête de vérité, finit par douter de la véracité du

discours que les marques tiennent sur elles-mêmes.

28

38 Nicolas RIOU, Peur sur la pub, ED Organisation, Paris, 2004.

a. De l’ère du vide à l’ère du soupçon

Dans le domaine de la communication comme dans tous les autres, le public a

horreur du vide. L’absence de sens, le néant, fait place à une forme de révolte, qui

s’apparente davantage au nihilisme. Pour décrire dans un premier temps ce sentiment de

vide, qui est aussi celui de la perte de sens, renforcé - sinon engendré - par un discours

publicitaire plus proche de l’incantation que de la démonstration, il faut lire l’ouvrage de

Gilles Lipovetsky, L’ère du vide, essai sur l’individualisme contemporain, paru en 1983.

Dont voici un extrait39 :

“L’opposition du sens et du non-sens n’est plus déchirante et perd de sa radicalité devant la

frivolité ou la futilité de la mode, des loisirs, de la publicité. A l’ère du spectaculaire, les

antinomies dures, celles du vrai et du faux, du beau et du laid, du réel et de l’illusion, du sens et

du non-sens s’estompent, les antagonismes deviennent “flottants”, on commence à comprendre,

n’en déplaise à nos métaphysiciens et antimétaphysiciens, qu’il est désormais possible de vivre

sans but ni sens, en séquence-flash, et cela est nouveau. (…) Le besoin de sens lui-même a été

balayé et l’existence indifférente au sens peut se déployer sans pathétique ni abîme, sans

aspiration à de nouvelles tables de valeurs”.

Il faut noter que cette « ère du vide » fut aussi celle de la montée en puissance du

divertissement. Ce que l’on nomme aujourd’hui l’ « advertainment », soit un savant

mélange entre l’ « advertising » (la publicité) et l’« entertainment » (le divertissement).

Plusieurs études relèvent la place prise depuis plusieurs décennies par l’humour dans les

opérations de communication. A défaut de convaincre par la preuve, la publicité cherche

ainsi à convaincre par le divertissement. Il faut rappeler l’étymologie de ce mot : divertir,

au sens latin du terme40, signifie « détourner, écarter ». Détourner pour éviter de

démontrer. Divertir pour éviter de voir se développer, après la lassitude et l’ennui, un

sentiment de défiance, voire de révolte.

29

39 Gilles LIPOVETSKY, L’ère du vide, Essais sur l’individualisme contemporain, Gallimard, Paris, 1983, p.212.

40 « Divertere » - sens que reprendra Blaise Pascal dans ses Pensées.

L’ère du vide ne comprend même pas l’idée de révolte. Nathalie Sarraute, dans son

ouvrage littéraire 41 sur ce qu’elle nomme justement L’ère du soupçon, décrit en un sens un

sentiment de vertige similaire, que l’on peut très bien accoler à la dissonance de l’opinion,

face à la profusion publicitaire :

“On songerait presque, tant semble profond cet état d’anesthésie, à ces malades de Janet qui

souffrent de ce qu’il a nommé “les sentiments du vide” et qui vont répétant : “tous mes

sentiments ont disparu… Ma tête est vide… Mon cœur est vide… Les personnes comme les

choses, tout m’est indifférent… Je peux faire tous les actes mais en les faisant je n’ai plus ni joie

ni peine… Rien ne me tente, rien ne me dégoûte… Je suis une statue vivante, qu’il m’arrive

n’importe quoi, il m’est impossible d’avoir pour rien une sensation ou un sentiment…”

Un tel état ne peut être que passager. Et à l’aube des années 2000 s’est cristallisé le

sentiment de lassitude lié à l’absence de sens dans la communication des marques.

b. Les mouvements publiphobes

« Omniprésente, multiforme, régénérée dans son discours par les nouveaux médias,

la publicité a fini par susciter des réactions d’hostilité », souligne Marie Bénilde42. Le

public se réveille. Plusieurs mouvements se font remarquer par l’opinion. Le mouvement

des « antipubs » se fait connaître, à l’hiver 2003, en taguant et déchirant les affiches

publicitaires du métro parisien. Sa notoriété tient aussi de la réaction de la RATP et de

Métrobus qui assignent en justice les responsables de ces « actes de résistance à la

publicité ». Elles réclament à une soixantaine d’entre eux la somme de 1 million d’euros en

dommages et intérêts.

“Qu’ont donc de si dangereux ces détracteurs de la société de consommation pour mériter

pareilles poursuites ? Seraient-ce leurs actions dans les stations de métro ? En novembre 2003,

elles ont mobilisé jusqu’à un millier de personnes dans toute la France. Bilan : 217

interpellations. Seraient-ce leur fameux graffitis : « Puber tue », « Au lieu de dé-penser,

30

41 L’ouvrage en lui-même porte surtout sur une critique littéraire : Nathalie SARRAUTE, L’ère du Soupçon, Gallimard, Paris, 1956, p.23.

42 Marie BENILDE, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raisons d’agir, Paris, mai 2008, p.123.

pensez », ou « La pub nuit à votre santé », qui ont endommagé le matériel d’affichage de la

RATP et provoqué un manque à gagner pour sa régie publicitaire Métrobus ?

Si Publicis et l’entreprise publique décident de frapper un grand coup, c’est que le discours

antipub, inspiré par la revue Casseurs de pub, fait alors tache d’huile en France. Des militants de

l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP), des intermittents du spectacle, des

étudiants ou de simples citoyens trouvent un écho médiatique par leurs actions de

« recouvrement publicitaire », organisées du 17 octobre au 19 décembre 2003”. 43

La condamnation de ces militants publiphobes sera

relativement modérée, mais, explique Marie Bénilde, « l’objectif

essentiel est atteint : la condamnation interrompt la vague de

« barbouillage » des panneaux dans le métro ». Mais elle ne

reste pas sans conséquences. De l’aveu d’un dirigeant de

Métrobus, « les campagnes antipub provoquent en 2005 une

réorientation des annonceurs vers la presse écrite et la

télévision »44.

D’autant que plusieurs actions suivront - on se souvient notamment de l’intrusion

de militants publiphobes dans les locaux du BVP. Plusieurs actions, et plusieurs procès,

qui auront l’avantage, une nouvelle fois, de médiatiser ces mouvements, et de placer au

cœur du débat public la question de la publicité. Comme l’expliquent Les Désobéissants,

dans l’ouvrage Désobéir à la Pub :

“Ces procès permettent pour la première fois, régulièrement, de mettre en question la place de la

publicité, en donnant l’occasion aux journalistes d’évoquer une question délicate pour eux, et en

offrant à des élus la possibilité de s’exprimer à son sujet. Au procès de Lyon par exemple, la vice-

présidente du conseil régional, Hélène Blanchard, vient témoigner de la difficulté pour les élus

de lutter contre les panneaux illégaux”.

Plusieurs études viennent confirmer la montée en puissance des mouvements

publiphobes. Une enquête de l’institut IPSOS pour le magazine CB News en 2007 confirme

l’hostilité accrue des Français pour la publicité : un tiers d’entre eux se déclarant même

31

43 Marie BENILDE, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raisons d’agir, Paris, mai 2008, p.124.

44 Les Désobéissants, Désobéir à la pub, éditions Le passager clandestin, Le Pré-Saint-Gervais, 2009, p. 23.

directement « publiphobes ». Deux ans plus tard, en juin 2009, une étude d’Ethicity et

d’Aegis Media Expert relève à son tour la défiance de l’opinion vis-à-vis de la

communication des marques. Etude plus intéressante, en ce qui nous concerne, car elle

s’intéresse en particulier à la communication corporate, et à la relation nouée entre le

public et les entreprises, « à l’heure de la consommation responsable et du développement

durable ». Seuls 37% des Français interrogés affirment dans cette enquête « faire confiance

aux entreprises », contre plus de 60% en 2004. « L'ère de la communication qui survend,

qui se raconte des histoires et en raconte aux clients est terminée. On assiste à un

recentrage sur l'essentiel, à un besoin de transparence, d'information, de dialogue et

d'échange », commente Elizabeth Pastore-Reiss, directrice d'Ethicity 45.

Face aux groupes anti-pub, mais surtout face à la défiance croissante de la société, la

communication doit évoluer. Les formules comme « Castorama, partenaire du bonheur »

ne peuvent suffire seules. Ce que reconnaît d’ailleurs le premier intéressé, à savoir Hugues

Cassegrain, directement de la communication de l’enseigne : « une relation affective existe

déjà entre Castorama et son public. Il nous incombe toutefois d'en apporter en

permanence des preuves à nos clients. C'est un défi pour nous, même si nous

disposons de bons atouts ».46

32

45 « Les Français à l'heure de la consommation responsable et du développement durable », article du magazine Stratégies datant du 25 juin 2009. En ligne. http://www.strategies.fr/etudes-tendances/tendances/119042W/les-francais-a-l-heure-de-la-consommation-responsable-et-du-developpement-durable.html.Consulté le 18 avril 2010.

46 Article en ligne : http://www.lsa-conso.fr/pourquoi-castorama-change-de-slogan,42671. Consulté le 12 mai 2010.

II. Preuves à l’appui

L’analyse de la signature d’une marque donne une première idée du sens qu’elle

entend donner à son action. Très sommairement, cela permet de repérer des tendances :

les marques cherchant tantôt à renforcer l’affect, tantôt à défendre des valeurs sociétales

ou humaines, tantôt à souligner l’emprise qu’elles ont sur le réel. Delphine Masson,

journaliste à Stratégies, souligne qu’en 2009, malgré la crise, de nombreuses marques se

sont dotées d’une nouvelles signature corporate. Celles-ci sont, selon la journaliste,

« moins péremptoires, plus responsables, en quête d’un nouveau modèle à inventer, en

empathie avec les différents publics de l’entreprise…», et de conclure : « les signatures

corporate s’adaptent à l’air du temps ».

« Les signatures sont devenues nettement moins péremptoires », confirme Caroline

Vallas-Coupé, vice-présidente du groupe de communication corporate Ligaris47. « La

grandiloquence est bannie au profit de formules délibérément simples, qui renvoient à un

bénéfice partagé ». Le terme de la responsabilité s’intègre à nombre de signatures :

Cetelem, et le « crédit responsable », Mercedes-Benz, dont « Le luxe devient

responsable », le Crédit agricole, qui promeut « Une relation responsable pour

l’Aquitaine », Assurances Generali, pour qui « être responsable, c'est penser à demain »,

Mc Donald’s, « responsable, avant tout »48, ou encore la Sécurité routière, qui nous avertit

que nous sommes « Tous responsables »49. Mais être responsable aujourd’hui, précise la

journaliste, « c’est aussi être particulièrement vigilant et conscient que le monde a changé.

Plusieurs entreprises, dont Total, BMW et Gaz de France, ont dû modifier leurs signatures

sous la pression de la société civile, du gouvernement ou d’un nouveau système

d’autorégulation professionnelle renforçant le contrôle des messages publicitaires. Dernier

cas en date, Areva a délaissé, contraint et forcé, son « énergie au sens propre », signature

choisie en 2007 ».

Ainsi, l’air du temps est à la responsabilisation du message corporate, et à la prise

en compte d’un nouvel impératif : asseoir le discours de communication sur une action

concrète, que l’on promeut ensuite par une démonstration probante. Bref : la

communication corporate, aujourd’hui, doit convaincre preuves à l’appui.

33

47 « Mille signatures nouvelles en 2009 », dans le n°1569 du magazine Stratégies, 10 décembre 2009. p.12.

48 Voir annexes : « Mc Donald’s, responsable avant tout ».

49 « Mille signatures nouvelles en 2009 », dans le n°1569 du magazine Stratégies, 10 décembre 2009. p.13.

A. De la nécessité de fonder la communication sur une action

Il est clair, aujourd'hui, que le public consomme autant les valeurs de l'entreprise

que ses produits. Cela change la donne et justifie le budget alloué aux campagnes de

communication corporate - l'un des plus conséquents selon le site e-marketing. Mais la

communication corporate doit désormais se fonder sur des faits, elle ne peut se suffire à

elle-même. Cela ne signifie pas, bien sûr, qu’elle doit se limiter à énoncer une liste

d’actions entreprises, en délaissant totalement les valeurs, la créativité, le récit d’un mythe.

L’impératif de communication corporate dont nous parlons consiste au contraire à

renforcer les valeurs de l’entreprise, à ouvrir tout un champ de créativité, et à rendre le

mythe de la marque plus consistant.

En fondant la communication sur une action, on la fortifie. L’adage latin : « contre

un fait, il n’est pas d’argument possible »50 s’applique tout à fait à notre sujet. A l’heure de

la responsabilisation de la société civile et de la transparence, notamment liées à l’ère

numérique, les entreprises cherchent à trouver un autre moyen de parler avec leurs

publics. Et redonner un sens à leur communication.

a. Le sens de la communication corporate

Selon Publicis Consultants51, la communication corporate permet de « définir, en

amont, le projet d'entreprise ou la carte d'identité de la marque, qui serviront de socle à l'ensemble des communications ». On parle également d’ADN de la marque. La

communication corporate donne du sens, et un sens à l’entreprise. Elle indique un horizon.

En interne, elle doit convaincre les salariés que son action rime à quelque chose. Qu’ils ont

un rôle à jouer. Pour les partenaires économiques et les actionnaires, elle doit savoir se

distinguer, démontrer ce qu’elle vaut. Pour le public, elle doit apparaître responsable et

prouver qu’elle sait s’adresser à ses clients, qu’elle comprend leur préoccupations, et

qu’elle tient compte de leur avis. « Auchan a créé le discount responsable parce qu’Elsa

veut réduire ses déchets, mais pas ses achats ». « En les mettant en relation avec des

professionnels qualifiés, nous avons permis aux Lombard de rénover leur maison sans

essuyer les plâtres » (EDF, Bleu ciel). « Partageons nos idées pour protéger

l’environnement - vous, nous, et la planète » (Casino Avenir). Etc.

L’impératif de la preuve a un sens, comme nous l’avons, compte tenu du scepticisme

des consommateurs. Les trois quarts d’entre eux (74%) « demandent plus d’information et

de preuves sur l’impact environnemental des produits achetés »52. En clair, le public attend

34

50 L’adage latin est le suivant : « contra factum, non datur argumentum ».

51 Sur le site de Publicis Consultants. En ligne. www.publicis-consultants.fr Consulté le 12 décembre 2009.

52 Information donnée dans le n° 1588 du magazine Stratégies, du 6 juin 2010, p.16.

à présent que le discours des marques soit plus engageant. Ce que confirme Pascal

Tanchoux, directeur de la communication de Kraft Foods53 :

“Internet a vraiment changé la donne. Il suffit désormais qu’une personne dise du mal de votre

produit, et qu’elle ait une crédibilité et une reconnaissance suffisantes de la part de ses pairs,

pour qu’une problématique s’enclenche et se transforme en crise avec une extraordinaire

rapidité… L’entreprise a donc tout intérêt à jouer la carte de la transparence. Ce qui l’oblige, plus

que jamais, à donner des preuves de ce qu’elle avance, à communiquer sur des faits

incontestables, des résultats chiffrés. (…) Si les risques sont plus élevés, les bénéfices de la

transparence le sont tout autant. Une entreprise qui engage le dialogue sur le Web avec ses

consommateurs, avec ses parties prenantes, peut trouver des sources d’idées, d’intérêt et

d’innovation qu’elle n’aurait pas eues en utilisant des canaux de communication plus classiques.

(…) Autrefois, les entreprises étaient dans l’autodéclaration, l’autocélébration. Leur

communication consistait à dire : regardez comme nous sommes forts, comme nos produits sont

extraordinaires ! L’entreprise était autocentrée. La responsabilité sociétale l’oblige à s’ouvrir sur

le monde et à passer d’une communication incantatoire à un discours de la preuve et du résultat

inscrit dans la durée »

Les annonceurs ont ainsi tout intérêt à jouer la carte de la transparence, de la

preuve et du résultat. La puissance d’Internet renforce encore cet impératif. « L’impact des

réseaux sociaux sur les politiques mises en place par les entreprises est réel » confirme

Ahmed Galipeau, de l’agence de communication AGC54. Selon le consultant, le

consommateur a aujourd’hui beaucoup plus de pouvoir. Et cela doit encourager les

entreprises à investir les réseaux sociaux pour défendre leur position, et leurs projets, face

aux éventuelles critiques de leurs détracteurs, présents sur la Toile 55.

D’où l’importance du community management, avec des représentants de

l’entreprise désignés pour engager le dialogue avec les internautes, apporter des

précisions, et démentir les rumeurs. Sur Internet, tout va beaucoup plus vite. Et il est

beaucoup plus difficile de passer en force. Ou de tenter d’enfreindre certaines règles. Sur le

site www.joelapompe.net , par exemple, les opérations de communication qui s’inspirent

grandement de campagnes passées - parfois mises en place par des entreprises

35

53 « De l’incantation à la preuve », n°1592 du magazine Stratégies du 3 juin 2010, p.34.

54 Article de l’Atelier. En ligne : http://www.atelier.fr/reseaux/10/18022010/reseaux-sociaux-regles-entreprises-impact-client-compagnie-aerienne--39394;39485.html Consulté le 6 mai 2010.

55 Ibid.

concurrentes - sont dénoncées : le site présentant d’un côté la communication dite

« originale », et de l’autre la « moins originale » 56.

L’intérêt de ce site, outre le fait qu’il permet de se figurer l’ampleur du plagiat en

communication - avec quelques cas particulièrement grossiers, comme ci-dessus -, est qu’il

donne une idée de ce que les internautes peuvent faire, en quelques clics ; Internet impose

aux marques de peser leur message, avant de le diffuser amplement.

D’autant que le contexte est aussi celui de la responsabilisation des individus, avec

l’émergence d’une figure longtemps oubliée : celle du citoyen. Paradoxalement peut-être, la

publicité a responsabilisé les consommateurs. Comme l’explique Gilles Lipovetsky 57 : « La

consommation astreint l’individu à se prendre en charge, elle le responsabilise, elle est un

système de participation inéluctable ». Et d’ajouter : « Quelle que soit sa standardisation,

l’ère de la consommation s’est révélée et continue de se révéler un agent de

personnalisation (…) en contraignant les individus à choisir et changer les éléments de leur

mode de vie »58.

36

56 Blog en ligne www.joelapompe.net, consulté le 11 juin 2010.

57 Gilles LIPOVETSKY, L’ère du vide, Essais sur l’individualisme contemporain, Gallimard, Paris, 1983, p. 210.

58 Ibid.

THE ORIGINAL?SNCB “One day you’ll forget about the road” – 2003Source : New York FestivalAgency : Grey Brussels (Belgium)

LESS ORIGINALDecathlon Sport Stores “Make room for hiking” – 2010Source : Adsoftheworld Agency : Young & Rubicam Paris (France)

Ainsi, d’une certaine manière, si l’opinion tient aujourd’hui à ce que la publicité soit

- ou devienne - responsable, c’est qu’elle-même a été responsabilisée par la communication

de masse. Si le citoyen ou le consommateur attend des entreprises qu’elles communiquent

sur le sens qu’elles entendent donner à leur action, c’est qu’il est devenu expert et décrypte

en peu de temps le message qui lui est adressé. Parmi les 7 000 messages auxquels il est

exposé tous les jours, il repère désormais très rapidement les marques qui se contentent de

prôner des valeurs sans fondement, comme BMW, par exemple : « chez BMW, nous ne

créons pas que des voitures, nous créons de la joie ».

A l’inverse, pour défendre son image, la SNCF a lancé une opération de

communication corporate basée sur des chiffres59 : Les visuels entendent mettre fin aux

préjugés : « Cela peut surprendre, mais 89% de nos trains sont à l'heure » ; « Chaque jour,

plus de 9000 trains arrivent à l'heure ». Le but ? Contrecarrer les idées reçues, en étant

clair, concret, et en visant juste. D’une certaine manière, il s’agit cette fois non pas de

construire une mythologie publicitaire, mais bien de détruire un mythe populaire : « les

trains arrivent toujours en retard ».

La communication corporate s'affirme ainsi pour défendre l'image-même de

l'entreprise. Et doit présenter les programmes concerts mis en place au préalable - et dont

on commence à récolter les fruits. Selon Pascal Tanchoux, « il faut d’abord faire et ensuite

faire savoir », quand , par le passé, « l’entreprise avait parfois tendance à faire savoir, sans

forcément faire » 60.

Mais qu’entend-on précisément par « programmes concrets » ? Quelles actions

l’entreprise peut-elle mettre en place pour renouer avec les problématiques sociétales,

marquer les esprits, et s’affirmer comme un acteur clé sur un ou plusieurs sujets sensibles,

comme la responsabilité sociale, la question de la diversité, ou encore les enjeux

environnementaux ? Quel peut-être son rôle, comment l’encadrer ? Voilà autant de

questions que les marques se sont posées.

Afin de se positionner sur l’échiquier sociétale, et de démontrer qu’elles

entreprenaient quelque chose de concret, les entreprises ont développé des logiques de

partenariat. C’est ce point que nous allons aborder à présent.

37

59 Opération de communication corporate pilotée par l’agence TBWA/Paris.

60 « De l’incantation à la preuve », n°1592 du magazine Stratégies du 3 juin 2010, p.34.

b. Les logiques de partenariat

Plusieurs possibilités s’offrent à une entreprise qui cherche à traduire dans les faits

les valeurs qu’elle prône. Pour sortir du cadre étroit qui correspond à son corps de métier,

et ainsi étendre son action, pour toucher de nouveaux publics, les professionnels ont

intérêt à nouer des partenariat entre eux, à partager un bénéfice en s’associant autour d’un

projet ambitieux. La condition étant bien évidemment qu’ils doivent veiller à la cohérence

du programme organisé ou soutenu, en fonction de l’ADN de la marque - dont nous avons

déjà parlé - et de l’image qu’ils entendent donner par cette action.

Si en Grande-Bretagne, par exemple, les entreprises ont intégré ces logiques depuis

plusieurs années - 90 des 100 premières sociétés anglaises déclarent un ou plusieurs

partenariats avec des associations dans leurs documents de communication institutionnels

61- la situation est loin d’être équivalente en France. Selon l’observatoire WWO/Manifeste

des relations ONG-Entreprises, seules 48% des entreprises de l’indice boursier SBF 120 en

font de même. « Et ce ratio s’effondre littéralement lorsque l’on descend dans les

catégories des moyennes et petites entreprises », précise Muriel Jaouën62. Qui poursuit :

“Pourtant, face aux enjeux sociétaux et à leur poids dans la conscience collective (et

mondialisée), les entreprises n’ont d’autres choix que de se rapprocher de la société civile,

notamment du monde des associations et des ONG, qui représentent aujourd’hui un pouvoir à

part entière, mais aussi une influence perçue comme très positive. Pour le monde économique, il

y a là un enjeu majeur de crédibilité.

Certaines sociétés ont mis en place de véritables stratégies internationales de relations avec les

ONG. Sodexo peut ainsi se vanter d’avoir mis en œuvre le programme « Stop Hunger » dans ses

principaux pays d’implantation. D’autres ont réussi à donner à leurs partenariats une forte

visibilité comme Lafarge et le World Wildlife Fund, Carrefour et la Fédération internationale des

droits de l’homme. Air France parraine à travers sa fondation des programmes de

développement mis en place par des ONG. Elle aide notamment Ecpat (réseau pour l’éradication

de la prostitution enfantine) en finançant et diffusant des actions de communication (spot

publicitaire, affichage) pour lutter contre le tourisme sexuel impliquant des enfants. Le

rapprochement avec le tissu associatif peut également doubler l’approche institutionnelle de

démarches plus opérationnelles. C’est l’option retenue par Toyota, qui a signé au niveau

corporate de grands partenariats avec des organisations humanitaires tout en garantissant à

38

61 Magazine Stratégies, n°1569 du 10 décembre 2009, pp. 37-38.

62 Journaliste Freelance - Magazine Stratégies, n°1569 du 10 décembre 2009, p. 37.

chaque filiale son autonomie et la liberté de choisir ses partenaires, pour mieux répondre à des

besoins d’ancrage locaux”.

Nous reviendrons plus en avant sur cette question de l’autonomie, essentielle pour

la légitimité de l’action. Nicolas Bordas, dans le chapitre « L’idée à l’épreuve de la preuve »

de son ouvrage L’idée qui tue63, souligne l’importance de la légitimité des marques. Et

explique dans quelle mesure la preuve permet de faire le lien entre la communication

corporate et le marketing. Pour qu’un fabricant reconnu de briquets puisse vendre des

stylos, « il faut qu’il le légitime. Qu’il dise, par exemple : “je suis le raffinement, vous allez

aimer mes stylos aussi raffinés que mes briquets”. Il doit ainsi préempter une valeur

crédible par rapport à son métier de base pour s’ouvrir de nouveaux territoires de

produits », précise-t-il. Ainsi, la communication corporate délimite le champ de la

communication marketing. Le spécialiste cite ensuite Bic, qui a su exploiter « sa valeur de

simplicité absolue, du stylo au briquet en passant par le rasoir, jusqu’à aujourd’hui le

téléphone portable »64.

L’un des moyens de développer des programmes d’actions consiste également à

soutenir - de façon logistique ou financière - un événement, un projet, une organisation.

Prouver que l’on défend concrètement des valeurs légitimes, en investissant dans des

projets cohérents. Ce soutien peut prendre la forme d’une initiative de mécénat, ou de

parrainage (sponsoring). Dans le premier cas, il s’agit de soutenir financièrement ou

matériellement une entreprise, une organisation, ou un particulier, à une activité d’intérêt

général. Et ce, sans contrepartie importante. En effet, l’arrêté du 6 janvier 1989, « relatif à

la terminologie économique et financière », précise qu’il ne peut y avoir de contrepartie

directe de la part du bénéficiaire.65 « Le mécénat est l'ensemble des concours consentis par

une initiative privée en faveur de domaines d'intérêt général s'étendant aux champs de la

culture, de la solidarité, de l'environnement, de la recherche et du sport »66.

Bien entendu, le mécénat est un moyen pour l’entreprise de tirer un profit en terme

d’image, et constitue un élément de sa stratégie. « C'est une façon pour elle d'affirmer son

intérêt pour son environnement culturel et social et d'apparaître là où le public ne l'attend

39

63 Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010, p.109.

64 « Bic et Orange vont sortir un portable “prêt à l’emploi”», NouvelObs.com, 12 juillet 2008.

65 Site de l’Admical en ligne : http://www.admical.org/default.asp?contentid=55. Consulté le 8 mai 2010.

66 Ibid.

pas »67. Toute initiative de ce type passe par une réflexion approfondie de l'entreprise sur

son identité, sur son ADN - pour reprendre une nouvelle fois ce terme, très utilisé en

communication. En France, près de 30 000 entreprises (23%) de plus de vingt salariés

mènent des actions de mécénats. Et l’investissement global correspond à 2,5 milliards

d’euros par an68. A noter, selon l’Admical, l’Association pour le développement du mécénat

industriel et commercial, près de 90% des entreprises françaises se contentent encore d’un

investissement financier.

Le parrainage, ou sponsoring, suit une logique différente. Il s’agit également d’un

soutien matériel, mais la notion d’investissement, et surtout de retour sur investissement,

est davantage mise en avant. L’idée est de retirer un bénéfice direct de cette implication.

Les actions de sponsoring visent à persuader les publics assistant à un événement qu’un

lien existe entre celui-ci et l’entreprise communicante. Là encore, l’objectif est de récolter

des retombées valorisantes en termes d’image. Mais la notion d’intérêt général est moins

privilégiée, et le bénéfice est pleinement assumé. 4 milliards d’euros sont investis chaque

année en France pour de tels programmes de parrainage. Cela concerne près de 1 400

marques françaises - qui investissent principalement dans des événements sportifs.

Tableau récapitulatif de la différence entre mécénat et parrainage (source : espace culture)67

mécénat parrainage

définition Soutien sans contrepartie directe

SoutienAvec contrepartie

déduction fiscale pour l’entreprise

OuiSous forme d’une réduction de l’impôt sur les bénéfices(loi du 1er août 2003 - 60% de la valeur du don dans la limite de 0.5% du CA HT de l’entreprise)

OuiDépenses déductibles du résultat au titre de charges d’exploitationAssimilation des dépenses de parrainage à des dépenses de nature publicitaire.

Dans les deux cas, l’entreprise cherche à prouver qu’elle transforme dans les faits ce

qu’elle affirme dans son discours de communication corporate, en particulier pour

répondre aux nouveaux enjeux de la responsabilité sociale. Pour Olivier Tcherniak, le

président d’Admical, « ce n’est pas qu’une technique de communication. (…) C’est souvent

devenu, pour les entreprises et leurs collaborateurs, une façon de se construire dans une

40

67 Site de l’Admical en ligne : http://www.admical.org/default.asp?contentid=55. Consulté le 8 mai 2010.

dimension plus humaine »69. Ce que confirme Antonella Desneux, directrice de la

citoyenneté à SFR : « Nos formules (…) de mécénat de compétences ne sont pas des

actions philanthropiques. Mais une façon concrète de signifier notre engagement citoyen

et de révéler nos talents en interne et en attirer en externe », explique-t-elle.

Une façon « concrète » de « signifier l’engagement » de l’entreprise. La formule

pourrait difficilement être plus juste. Pour marquer les esprits, mais aussi se démarquer, et

surtout montrer qu’elle investit ses ressources dans une activité concrète, l’entreprise doit

trouver une méthode signifiante, c’est-à-dire qui fait sens. Nous retrouvons ici la notion de

sens, indissociable de toute réflexion autour de la communication corporate.

L’objet de la partie suivante est d’observer l’apparition de cellules hybrides, qui

prennent souvent la forme d’une filiale de l’entreprise, mais aussi de fondation (voilà un

mot qui fait sens, justement, puisqu’il s’agit bel et bien de fonder l’action de la société, pour

mieux défendre son image).

41

69 Magazine Stratégies, n°1577, 18 février 2010, pp. 38-39.

B. De nouvelles cellules hybrides, autonomes

Pour asseoir leur légitimité, les marques peuvent développer - parallèlement à leur

activité - des cellules singulières, dont elles garantissent une certaine autonomie, et qui ont

pour rôle de redorer le blason de l’entreprise en mettant en place des programmes

d’actions concrets. Parmi elles, les fondations. Dans le « Panorama Ernst & Young des

fondations d’entreprise 2010 », Philippe Oddou, co-fondateur et directeur général de

l’association “Sport dans la Ville”, détaille cette forme de communication : « un grand

nombre de fondations d’entreprise se sont créées ces cinq dernières années. A travers elles,

les entreprises donnent plus de sens encore à leur engagement sociétal, s’investissent

davantage, (…) et contribuent à rendre leurs collaborateurs fiers d’elles. (…) Des

partenaires nous soutiennent désormais à travers leur fondation d’entreprise, et non en

direct comme avant, sans pour autant que leur logique de soutien n’évolue », explique-t-

il.70 Juridiquement, la fondation est « l'acte par lequel une ou plusieurs personnes

physiques ou morales décident l'affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la

réalisation d'une oeuvre d'intérêt général et à but non lucratif »71.

Si l’année 2009 marque une rupture dans la progression constante de créations de

nouvelles fondations d’entreprise observée depuis 2004 - 26 fondations d’entreprise ont

été créées, contre 50 l’année précédente72 - ce type de cellules sur lesquelles s’appuient les

entreprises pour développer des actions concrètes et ainsi « faire leurs preuves » méritent

toute notre attention. Abordons ici un cas pratique : la fondation Bonduelle.

a. Etude de cas : la fondation Bonduelle et la fondation Total

« Une majorité des dirigeants se rejoint pour accorder à la fondation d’entreprise un

« brevet d’efficacité » supérieur à celui du mécénat d’entreprise classique. La fondation

d’entreprise apporte de la cohérence et donne plus de force à l’engagement sociétal de

l’entreprise, par ses moyens propres et par le sens qu’elle lui confère », indique le cabinet

de conseil Ernst & Young dans son rapport sur les fondations d’entreprise 2010. De fait,

42

70 « Panorama Ernst & Young des Fondations d’entreprise 2010 ». Consulté sur le site http://www.cf-fondations.fr/agenda-et-actualite/actualite/panorama-ernst-young-des-fondations-dentreprise-edition-2010 le 6 juin 2010.

71 Il s’agit de la définition de référence d'une fondation, donnée pour la première fois par la loi n°87-571 sur le mécénat du 23 juillet 1987.

72 Ibid.

par ce biais, les entreprises peuvent communiquer au sens propre, c’est-à-dire nouer des

liens, créer une relation avec la société, et démontrer tout son engagement.

Plusieurs cas pratiques sont néanmoins à distinguer. La fondation Bonduelle, par

exemple, consiste véritablement à donner une valeur sociale à une entreprise a priori

limitée à un champ d’action étroit, étant spécialisée dans la

production et la distribution alimentaire. Comme le

reconnaissent les responsables eux-mêmes, sur le site de la

Fondation73 : « Parce qu'il n'est pas si facile de passer à l'action

quand il s'agit de manger des légumes, la Fondation Louis

Bonduelle vous propose une information nutritionnelle simple et ciblée, soutient des

actions sur le terrain visant à remettre le légume à sa juste place dans nos comportements

alimentaires, et participe à l'effort de recherche en matière de santé et de nutrition ». Et

d’énumérer plusieurs projets en cours, comme « l’aide à la valorisation des légumes

distribués aux populations défavorisées et à la création de lieux de partage autour du

‘mieux manger’». Plusieurs missions viennent servir l’image de la marque, en fournissant

les preuves de son implication : la Fondation entend informer et sensibiliser le grand

public sur le problème de l’obésité, soutenir la recherche et « agir sur le terrain »74 - en

développant notamment un partenariat avec le secours populaire.

Dans le cas de la fondation Louis Bonduelle, l’objectif est donc transparent : il s’agit

de donner davantage de consistance à la marque, et de renforcer le caractère affectif de la

relation entre l’entreprise et les consommateurs. Consommer les produits Bonduelle

devient ainsi un acte militant, en un sens : le but étant d’amener le consommateur, au

moment de son choix, dans le supermarché, à penser aux actions menées parallèlement

pour l’intérêt public. S’adresser au citoyen qui sommeille désormais dans tous

consommateurs.

Reste donc à communiquer efficacement sur les projets entrepris, en fournissant

différentes « preuves communicationnelles »75 sur le site de la Fondation, notamment.

« Le but de la Fondation est d'aller plus loin que les discours d'intention générale, d'agir au

jour le jour pour que les européens passent de la théorie à la pratique, et adoptent enfin les

bons réflexes alimentaires », peut-on y lire.

43

73 Site de la Fondation : http://www.fondation-louisbonduelle.org/france/fr.html En ligne. Consulté le 23 avril 2010.

74 Ibid.

75 La formule est de Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010, p.110.

Des chiffres sont également présentés, comme des pièces à conviction

communicationnelles, en quelque sorte. Ce, afin de démontrer à quel point même en

interne, la société fait des efforts pour le développement durable. « 2007/2008 est la 5ème

année consécutive marquée par la réduction des consommations d'eau et énergie : baisse

de 9,6 % du ratio de consommation d'énergies motrice et thermique et de 20 % du ratio de

consommation d'eau. (…) Bonduelle fait en sorte, dans la mesure du possible, de limiter les

transports inter sites. Nous sommes en train de mettre en oeuvre des solutions rail/route

qui devraient nous permettre de réduire de 75% les émissions de CO2 sur 25% de ces

échanges »76. On apprend également que « 29 projets ont été soutenus par la fondation en

moins de deux ans » et que cela porte ses fruits, notamment en interne, puisque « 70% des

employés se sentent bien dans leur travail » et « 83% sont fiers d’être chez Bonduelle ».

C’est bien l’image de l’entreprise qui est en jeu, et la relation affective entre la

marque et les différentes parties prenantes - en premier lieu les consommateurs. En

servant l’intérêt général, la fondation Louis Bonduelle sert bien évidemment l’intérêt de la

marque.

Dans le cas de la Fondation Total, l’approche est un peu différente. Le sujet abordé

est plus sensible, et l’entreprise doit d’abord et avant tout se positionner de la façon la plus

judicieuse possible. D’une certaine façon, la marge de manœuvre n’est pas la même : Total

se trouve au cœur des problématiques environnementales - et de développement durable.

44

76 Toujours sur le site de la Fondation : http://www.fondation-louisbonduelle.org/france/fr.html. Consulté le même jour.

Et les bénéfices du groupe amènent celui-ci à communiquer sur sa capacité à prendre en

compte les parties prenantes, à développer des programmes de solidarité, à mener des

actions, une nouvelle fois, responsable.

Autrement dit, le rôle de la fondation Total n’est pas - comme pour la fondation

Louis Bonduelle - de donner plus de consistance à la marque, mais bien de prouver à la

société civile que le groupe a pris la mesure de sa responsabilité. Dans les deux cas, c’est

bien entendu l’image de l’entreprise qui est en jeu. Mais cette fois, l’objectif est de

démontrer par les faits que Total assume son rôle d’acteur sociétal à part entière. En

d’autres termes, la société civile et l’émergence des préoccupations liées au développement

durable ne laissent pas le choix à l’entreprise, qui doit défendre sa position, en mettant les

moyens nécessaires.

Une nouvelle fois, le simple discours incantatoire ne convainc plus. Aussi, à la sortie

du film « Océan »77, l’entreprise ne s’est pas limitée à afficher son soutien financier pour la

production de ce long métrage. Elle a aussi rappelé l’action de sa fondation : « La

Fondation Total soutient depuis 1992 des programmes de préservation et de mise en

valeur de la biodiversité marine, comme ceux du Census of Marine Life aux côtés de

partenaires réputés comme le Muséum national d'Histoire Naturelle ou l'Ifremer et les

meilleurs laboratoires français et étrangers. Il était donc logique que la Fondation Total

s'engage auprès de Jacques Perrin pour le film « Océans » afin de sensibiliser l'opinion au

grand enjeu que représente la préservation des

45

77 Documentaire de Jacques PERRIN et Jacques Cluzaud, Sorti en salle le 27 janvier 2010.

océans pour les générations futures »78.

A ce propos, il faut rappeler que l’impératif de la preuve répond à un impératif

logique. Tout partenariat, toute action, tout projet, doivent être présentés comme

découlant naturellement d’une activité plus large de l’entreprise. Ce, afin de défendre toute

sa légitimité.

Pour être pleinement légitimes, les fondations, ainsi que d’autres cellules hybrides,

comme des filiales soutenues par un groupe important - l’Atelier BNP Paribas en est un

exemple - ont besoin d’une certaine autonomie. C’est ce que nous allons voir à présent.

b. Quels objectifs pour quelle autonomie ?

L’autonomie, c’est d’abord et avant tout pouvoir se fixer soi-même les règles de son

action 79. La question est pour le moins sensible. En effet, pour être crédibles, et légitimes

aux yeux des différentes parties prenantes, des clients et du public en général, ces cellules

doivent se libérer, en quelque sorte, de l’emprise du groupe auquel elles appartiennent

pourtant, et qu’elles servent indubitablement.

Les acteurs présents dans ces filiales singulières, qui participent à la communication

de la marque, doivent ainsi mesurer leur indépendance, sans pour autant oublier leur rôle

premier, qui restent de servir l’entreprise mère. L’une des façons de retrouver une certaine

autonomie consiste à s’appuyer sur des logiques de partenariat. Comme l’explique Renaud

Edouard Baraud, responsable média de l’Atelier BNP Paribas :

“Incontestablement, l’entité à laquelle nous appartenons est rattachée à un groupe. Sans celui-

ci, l’Atelier n’existe pas. Mais nous sommes à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, ce qui est très

particulier. Pour que ça marche, il faut en effet aussi que l’on ait des partenaires. Il faut tisser

des liens, retrouver une forme d’autonomie. Et chercher à se rapprocher de structures souples,

plus petites, plus ouvertes aussi, et moins tournées vers l’univers de l’entreprise surtout”.

46

78 Sur le site de la Fondation Total : http://fondation.total.com En ligne. Consulté le 12 juin 2010.

79 « Autonomos », en Grec ancien, signifie « qui se régit par ses propres lois ».

L’exemple de l’Atelier BNP Paribas est révélateur, mais il serait faux d’affirmer qu’il

est l’arbre qui cache la forêt. Peu d’entreprises ont pour le moment développer ce type de

structures. L’une des raisons est peut-être à rechercher sur cette question pour le moins

délicate de l’autonomie. Comment mettre sur pied une entité qui, nécessairement, devra se

libérer de la structure globale de l’entreprise ? Quels objectifs initiaux lui fixer ? Quelle

liberté lui accorder ? Quels risques prend-on ? L’alchimie parfaite, pour une cellule de ce

type, consiste à servir la marque tout en préservant une forme d’impartialité. Autrement

dit, il s’agit de concilier deux éléments qui apparaissent de prime abord proprement

inconciliables.

Mais étudions plus en détails l’Atelier BNP Paribas, pour comprendre les enjeux liés

à cette question de la preuve en communication corporate, au travers d’une structure

hybride capable de gagner en autonomie tout en préservant un rôle phare au service de la

marque.

C. Etude de cas - L’Atelier BNP Paribas

L’Atelier BNP Paribas a été créé à la fin des années 1970 par

Jean-Michel Billaut, comme une cellule de veille interne au

sein de la Compagnie bancaire. Elle a été conservée au fil du

temps et des acquisitions, et se présente aujourd’hui comme

une cellule plus ouverte, toujours spécialisée dans la veille sur les nouvelles technologies,

mais désormais au service des filiales du groupe BNP Paribas, et des professionnels qui

sont intéressés par le développement des outils innovants, par l’émergence des réseaux

sociaux, les problématiques de e-marketing, ou encore celles liées à la sécurité

informatique, par exemple. Point essentiel : l’Atelier est aujourd’hui rattaché à la direction

de la communication du groupe BNP Paribas, précisément à la partie Marque,

Communication et Qualité (MCQ) du groupe. « C’est un élément fondamental, parce que

cela signifie que l’entreprise BNP Paribas a conscience que cette cellule de veille

technologique contribue aujourd’hui à améliorer son image », explique Nicolas D’Anglejan,

responsable adjoint e-communication de BNP Paribas80.

47

80 Entretien avec l’auteur - le 15 juin 2010.

Un bénéfice en terme d’image, qui permet aussi à l’établissement bancaire de nouer

des relations avec les professionnels, en leur démontrant de façon constante son

implication dans le secteur des nouvelles technologies.

a. Un lien avec les professionnels

L’Atelier est ainsi une cellule à part entière, qui crée des relations avec les

professionnels, en leur apportant la preuve que BNP Paribas est véritablement « la banque

d’un monde qui change »81, qu’elle demeure au fait des nouvelles technologies et des

dernières tendances dans le secteur des entreprises innovantes. Ce faisant, BNP Paribas

prend pour témoins les professionnels de l’action concrète qu’elle mène, au travers de cette

filiale. Il s’agit par conséquent bel et bien de communication sur l’image corporate du

groupe. « Et c’est bien pour cette raison que la cellule est domiciliée non pas du côté de

l’ITP, la direction informatique de BNP Paribas, comme on aurait pu légitimement s’y

attendre, mais du côté de la communication », insiste le responsable. Et de développer :

“Le soutien que l’actionnaire unique - BNP Paribas - apporte à l’Atelier - car il y a un vrai soutien

- est un aussi investissement pour l’image. Cela permet de créer un tissu de relations, et c’est

une façon de s’exprimer sur un registre différent, qui n’est pas le notre, qui n’est pas directement

le cœur “business” de l’activité bancaire, mais plutôt les nouvelles technologies. Il s’agit par

conséquent de trouver un équilibre entre les deux. Pour autant, BNP Paribas demande bien

évidemment à l’Atelier de se rapprocher au maximum du point d’équilibre financier, budgétaire,

afin que la cellule ne coûte pas trop cher au groupe”.

Un savant mélange, donc. Le tout est de parvenir à soutenir financièrement la

cellule, tout en lui accordant l’autonomie nécessaire à la légitimité de son activité. Cet

équilibre complexe est au cœur des préoccupations des acteurs impliqués dans cette

structure. Bien entendu, le rattachement au groupe comporte sa part d’avantages, mais

pose également certains problèmes, comme le précise Nicolas D’Anglejan82 :

“C’est assez complexe. Nous sommes dans des environnements qui sont par essence assez

indépendants, et c’est vrai que la « dépendance capitalistique » au groupe BNP Paribas est

48

81 « BNP Paribas, la banque d’un monde qui change » est la signature de la marque.

82 Entretien avec l’auteur, le 15 juin 2010.

quelquefois un peu lourde à porter ; mais elle est aussi une source d’avantages. Un peu lourde à

porter parce que l’on est suspecté, parce que des partenaires peuvent dire : - « je veux bien

collaborer avec vous, mais je ne tiens pas à ce que BNP Paribas rentre dans ce projet ». Et nous

sommes contraints de rappeler qu’il s’agit bien de l’Atelier BNP Paribas, et non du groupe en lui-

même. Donc, il faut effectivement à chaque fois remettre en avant le fait que l’on est une

structure indépendante - filiale à 100% du groupe BNP Paribas, certes - mais qu’il y a une réelle

autonomie. (…) Et puis de temps en temps c’est aussi un réel avantage parce que ce

rattachement ouvre aussi des portes, rassure les professionnels, cautionne la structure. (…) C’est

un savant arbitrage, il faut de temps en temps savoir réclamer notre indépendance et de temps

en temps rassurer en disant que l’on appartient au groupe BNP Paribas. Mais d’une manière

générale et professionnellement, l’Atelier a plus intérêt à tirer sa légitimité de ce qu’il produit, de

ce qu’il fait, de ses clients, que de la caution naturelle liée à la signature du groupe BNP Paribas”.

D’où l’importance de construire un réseau de professionnels, en s’associant d’une

part avec des experts des nouvelles technologies, provenant majoritairement de la

communauté spécialisée dans les tendances du Web - ce que fait l’Atelier avec Silicon

Sentier, ou FaberNovel par exemple - et d’autres part en fournissant une palette de

services Business to Business, comme nous allons le voir, avec de la veille sur l’innovation,

de l’événementiel et du conseil stratégique.

Le fait que cette cellule soit rattachée à la structure de l’entreprise est essentiel dans

la manière dont l’Atelier organise son activité. Cela lui permet de sortir d’une logique

purement financière et de s’axer différemment, en se présentant véritablement comme un

détecteur et un passeur d’innovation.

“L’Atelier n’ayant pas d’objectif directement « business », c’est-à-dire n’ayant pas comme

impératif une progression de son chiffre d’affaire et de sa marge, il lui est possible de s’intéresser

à des sujets de prospective. Comme nous n’avons pas à rendre tous les mois un business plan

qui soit absolument en progression de 20%, nous avons plus de temps et de loisir pour nous

intéresser aux problématiques de moyen et long terme, par rapport aux différentes entités de ce

secteur qui sont elles soumises à une vraie pression « business »” 83.

En d’autres termes, en ayant pour objectif de démontrer que le groupe s’intéresse

bel et bien aux nouvelles technologies, la cellule se voit dotée des moyens de creuser en

profondeur les projets innovants, en s’intéressant non pas aux sujets grand public, par

exemple, mais en prenant le temps de suivre les avancées de certains de chercheurs, en

49

83 Entretien avec l’auteur, le 15 juin 2010.

mettant en avant les avantages d’une solution encore peu valorisée, ou encore en détaillant

les nouveautés dans le management en entreprise - les pratiques de co-working ou de

crowd sourcing, par exemples - sans attendre que ces pratiques intègrent en profondeur les

usages des professionnels. En un sens, et aussi paradoxal que cela puisse paraître de prime

abord, l’Atelier gagne en liberté en étant au service du groupe BNP Paribas. L’Atelier peut

ainsi être vu comme un catalyseur sur les nouvelles technologies au sein du groupe, même

si son rôle premier est d’apporter un bénéfice en terme d’image à l’entreprise dont il est la

filiale à 100%. Trois piliers venant fonder cet édifice de communication qui accorde une

place fondamentale à la relation avec les professionnels.

b. Trois piliers de communication : l’événementiel, la veille et le conseil aux

entreprises

L’Atelier est organisé en trois pôles : le rôle du premier est d’organiser des

conférences et des « ateliers » pour les entreprises clientes. Le but ? Mettre en relation les

acteurs de ce secteur des nouvelles technologies, encadrer des projets innovants, et enfin

promouvoir des solutions susceptibles d’intéresser l’ensemble des professionnels.

En organisant des événements pour le compte de ses clients, l’Atelier BNP Paribas

communique sur sa capacité à rassembler les sociétés innovantes, et souligne son

implication BtoB, ce qui permet au groupe BNP Paribas de rappeler qu’il s’adresse avant

tout aux professionnels. Une nouvelle fois, il s’agit de prendre ceux-ci à témoins, en leur

démontrant par la preuve que l’établissement est bien cette « banque d’un monde qui

change », à la pointe des nouvelles technologies.

50

Le pôle conseil de l’Atelier, dirigé par Philippe Torres, est un autre moyen de créer

une relation avec les professionnels. L’Atelier, et, à travers lui, le groupe BNP Paribas, se

met au service des entreprises en publiant des études précises - les études 360° - sur

l’impact sociétal des nouvelles technologies, ou sur les usages qu’elles engendrent en

termes de marketing et de management, par exemple.

Ce volet est présenté sur le site de l’Atelier de la façon suivante : « Aux entreprises

qui cherchent à construire leur vision du monde des nouvelles technologies et qui

souhaitent définir leur trajectoire dans l'évolution de ce monde, nous proposons des études

et des missions de conseil sur mesure (veille technologique, analyse stratégique, plans

d'innovation, transfert de technologies, études de cas, benchmarks, clustering, voyages

d'études et d'affaires...) »84.

Enfin, le dernier pôle est le pôle éditorial, ou média, dirigé par Renaud Edouard-

Baraud. Il vise à produire une information quotidienne sur l’actualité des nouvelles

technologies, à « faire passer » l’innovation aux professionnels. L’Atelier rédaction publie

quotidiennement cinq articles sur le site de l’Atelier. Ceux-ci ne suivent pas l’actualité

grand public liée aux technologies de l’information et de la communication, mais

participent à créer une information sur les innovations de ce secteur. Ainsi, le lancement

de l’iPad n’entre pas dans la ligne éditoriale, mais certaines applications à venir, ou l’usage

professionnel de cette tablette pourra intéresser l’Atelier rédaction. Chacun de ces articles

51

84 Site de l’Atelier : www.atelier.fr. En ligne. Consulté le 13 juin 2010.

constitue, d’une certaine manière, une série de preuves démontrant que le groupe est à la

pointe des nouvelles technologies.

Ce pôle de l’Atelier anime également une WebTV ainsi qu’une émission de radio –

L’Atelier numérique – diffusée le week-end sur BFM et animée par François Sorel.

L’émission de radio reprenant en partie les informations diffusées pendant la semaine sur

le site de L’Atelier.

Ces différents outils participent à défendre l’image de marque de BNP Paribas. De

même que les deux filiales de l’Atelier installées à l’étranger - l’Atelier Asie, basé à

Shanghai, et L’Atelier North America dont le siège se trouve à San Francisco - qui donne

une image internationale d’une société qui tient à rappeler à ses publics qu’elle est

désormais ouverte sur le monde, et présente dans de nombreux pays.

Toutes ces entités sont les pierres d’un même édifice de communication. Aussi

autonomes soient les équipes de veille et de conseil dans les missions quotidiennes qu’elles

accomplissent, l’intérêt final revient au groupe qui les emploie. « Cette structure sert

évidemment l'image du groupe », confirme Olivier Dulac, qui préside l'Atelier, et qui est

aussi en charge de l'image corporate de la banque. Le besoin de légitimité de cette cellule -

pour être acceptée par le plus grand nombre de professionnels - amène BNP Paribas à lui

laisser une véritable autonomie. Une sorte de deal implicite est ainsi conclu, rendant la

structure pérenne - et de fait, l’Atelier a aujourd’hui plus de trente ans d’existence.

52

L’intérêt de cette cellule réside dans cette particularité. Du point de vue corporate,

cela permet de sortir d’un discours à sens unique, ou, disons, descendant, de l’entreprise

qui communique vers l’extérieur, pour parvenir à une relation proprement communicative.

« Aujourd’hui, la communication corporate telle qu’on la concevait auparavant ne suffit

plus », souligne Nicolas d’Anglejan, responsable adjoint de l’e-communication de BNP

Paribas. « Il faut autant que faire ce peut essayer de soutenir les discours par des preuves.

Or, l’Atelier est une bonne preuve. Même si ce n’est pas la seule preuve de la

communication corporate de BNP Paribas, bien entendu. Un discours de soutien aux

activités de RSE par exemple, ne vaut que s’il est soutenu par des actions extrêmement

concrètes, de terrain, et sur lesquelles on est capable d’avoir non seulement un discours de

l’entreprise sur ses actions elles-mêmes mais aussi de la part de témoins, présents sur le

terrain, qui donnent leur ressenti, et constate le bénéfice réel apporté », développe le

responsable85. L’émergence des réseaux sociaux, et du Web en général, renforce d’ailleurs

cette nécessité. En peu de temps, un internaute peut partager avec toute sa communauté

un contre-argument, qui peut causer de véritables problèmes en terme d’image pour la

marque.

Un seul individu, constatant une simple faute de l’entreprise, peut en une minute

décrédibiliser l’action que cette entité professionnelle a mis des mois, parfois des années, à

construire. « Les choses vont très vites. Ce qui m’amène à penser que si le discours de la

preuve est essentiel, il n’est pas pour autant suffisant », conclut le responsable.

53

85 Entretien avec l’auteur. Le 15 juin 2010.

Conclusion

Nous l’avons vu, la problématique de la preuve en communication corporate prend

tout son sens aujourd’hui. Elle est en grande partie liée à la responsabilisation de la société

civile - marques et consommateurs confondus. Le public, en quête de vérité, ne se laisse

plus raconter des histoires. La valeur probante du discours doit désormais être assurée. Si

les marques sont ainsi contraintes de fournir des preuves, et de prendre les différentes

parties prenantes à témoins, c’est qu’elles sont depuis la fin des années 1990 observées et

jugées par une partie du public, initiée à la publicité, qui en maîtrise les codes, et qui

n’hésitent plus à condamner les actions les moins responsables.

Plusieurs solutions s’offrent aux annonceurs, comme la mise en place de logiques de

partenariat, l’investissement dans des programmes d’actions très concrets, qu’il s’agira

bien évidemment de communiquer par la suite au public, le soutien à des organismes

d’intérêt général, les actes de mécénat, ou enfin la création de fondations spécifiques.

L’Atelier est en soi un cas singulier. Créé il y a plus de trente ans, il se veut par

essence innovant, et est parvenu, au cours de son histoire, à faire ses preuves, pour

apporter aujourd’hui au groupe BNP Paribas une image d’entreprise à la pointe des

nouvelles technologies, et soucieuse d’entretenir des relations avec un réseau important de

professionnels.

Mais, comme nous l’avons vu, si l’impératif de la preuve en communication est

essentiel aujourd’hui, il ne peut suffire à lui seul à fonder le discours corporate. Il n’est

qu’un élément, fondamental au sens propre, d’une réflexion plus large, plus globale, plus

stratégique aussi, que toute entreprise soucieuse de son image doit mener. Et il est

important de le souligne : pour être pertinente, la communication corporate doit avant tout

être cohérente.

D’autant qu’à trop vouloir prouver, on finit par éprouver le public, qui recherche

peut-être avant tout un juste milieu entre un discours incantatoire et une démonstration

froide par la preuve. Comme le disait Blaise Pascal dans ses Pensées, « les preuves ne

convainquent que l’esprit ». De fait, pour créer une relation affective avec les différents

publics de la marque - ce qui est aussi l’un des objectifs de la communication corporate, il

n’est pas dit que la preuve soit la meilleure solution.

54

Il n’empêche, pour prétendre au Grand prix Effie de l’efficacité publicitaire, qui

réunissait à la fin de l’année 2009 au théâtre de Paris les professionnels de ce secteur, les

nominés devaient avoir présenté un dossier, quelques jours auparavant. Ce, pour

permettre au Jury de délibérer et faire son choix. Or, l’un des critères fondamentaux, pour

juger de la campagne de communication présentée dans ce document, reposait justement

dans la capacité des professionnels à présenter des pièces à convictions, des preuves

tangibles établissant que leur opération de communication avait bel et bien porté ses

fruits, et suscité une première vague d’adhésion de la part du public.

En d’autres termes, si Nespresso a remporté le Grand prix Effie de l’efficacité

publicitaire, à l’hiver 2009, c’est d’abord et avant tout parce qu’il a apporté, preuve en

main, et avec son agence, les résultats d’une longue opération fructueuse. Preuve est donc

faite de l’importance, aux yeux des professionnels, de ce nouvel impératif de

communication corporate.

55

Bibliographie

Ouvrages de référence :

Bernard ARNAULT, La Passion Créatrice, Paris, Plon, 2000.Jean BAUDRILLARD, La société de consommation, Denoël, 1970.Marie BENILDE, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raisons d’agir, Paris, mai 2008.Nicolas BORDAS, L’idée qui tue, Eyrolles, Paris, 2010.Philippe BRETON, La parole manipulée, éditions La Découverte, Paris, 1997, 2000.Pascal BRUCKNER, L’Euphorie perpétuelle, essai sur le devoir de bonheur, Grasset & Fasquelle, Paris, 2000.Les Désobéissants, Désobéir à la pub, éditions Le passager clandestin, Le Pré-Saint-Gervais, 2009.Jean-Marie DRU, Beyond disruption, changing the rules in the marketplace, Wiley, New-York, 2002.Jacques ELLUL, Propagandes, Economica, Paris, 1990. Eulalio FERRER, « La crisis de la publicidad », Communicacion, n°36, Barcelone, 1978.HARPER & ROW, A theory of cognitive dissonance, New York, 1957.Naomi KLEIN, No Logo, Actes Sud, Paris, 2002. Jacques LENDREVIE & Arnaud De BAYNAST, Publicitor, Dunod, Paris, 2008. Gilles LIPOVETSKY, L’ère du vide, Essais sur l’individualisme contemporain, Gallimard, Paris, 1983. Blaise PASCAL, Pensées, Flammarion, Paris, 1993. Ignacio RAMONET, dans son ouvrage Propagandes silencieuses, Galilée, Paris, 2000.Nicolas RIOU, Peur sur la pub, ED Organisation, Paris, 2004. Blaise PASCAL, Pensées. Christian SALMON, Storytelling, la machine à raconter des histoires et à formater les esprits, éditions La Découverte, Paris, 2007-2008.Nathalie SARRAUTE, L’ère du Soupçon, Gallimard, Paris, 1956.

Articles consultés :

Stratégies : n°1346 - 7 avril 2005. n°1569 - 10 décembre 2009.n°1577 - 18 février 2010.n°1581 - 18 mars 2010.n° 1588 - 6 juin 2010.

CB News, n°1026 - 22 septembre 2009.CB News, n°1057 - 10 mai 2010. Marketing Magazine n°133 - 1 septembre 2009. « Bic et Orange vont sortir un portable “prêt à l’emploi”», NouvelObs.com, 12 juillet 2008.

56

Webographie

http://thebrandbuilder.wordpress.com/2010/03/22/greenpeace-vs-nestle-how-to-make-sure-

your-facebook-page-doesnt-become-a-pr-trojan-horse-part-1/

blog Les échos : http://www.lesechos-formation.fr/fo/catalogue/formations/communication/

communication-corporate/presentation.html?PHPSESSID=nblle9hl0cj1im92d9qh7jd8f2

« culture pub », en ligne : http://www.dailymotion.com/video/x8uwwi_le-greenwashing-vue-par-

culture-pub_tech

site de l’ARPP les rapports de recommandations 2006, 2007 et 2008.

site « marketing-étudiant ». En ligne.

http://www.marketing-etudiant.fr/actualites/communication-entreprise-environnement.php

Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=YLIbIdgrIaE&feature=related. En ligne.

site du GRI, en ligne. www.globalreporting.org. Consulté le 2 juin 2010.

site « Les parenthèses de l’Atelier » (http://parentheses.atelier.fr)

« Les Français à l'heure de la consommation responsable et du développement durable », article du

magazine Stratégies datant du 25 juin 2009. En ligne.

http://www.strategies.fr/etudes-tendances/tendances/119042W/les-francais-a-l-heure-de-la-

consommation-responsable-et-du-developpement-durable.html.

Article en ligne : http://www.lsa-conso.fr/pourquoi-castorama-change-de-slogan,42671.

site de Publicis Consultants. En ligne. www.publicis-consultants.fr

Article de l’Atelier. En ligne : http://www.atelier.fr/reseaux/10/18022010/reseaux-sociaux-regles-

entreprises-impact-client-compagnie-aerienne--39394;39485.html

Blog en ligne www.joelapompe.net.

Site de l’Admical en ligne : http://www.admical.org/default.asp?contentid=55.

« Panorama Ernst & Young des Fondations d’entreprise 2010 ». Site http://www.cf-fondations.fr/

agenda-et-actualite/actualite/panorama-ernst-young-des-fondations-dentreprise-edition-2010.

Site de la Fondation : http://www.fondation-louisbonduelle.org/france/fr.html En ligne.

site de la Fondation Total : http://fondation.total.com En ligne.

57

Annexes

Programme écolaboration Nespresso :

58

« EDF Bleu Ciel » :

59

« McDonald’s : responsable avant tout » :

60