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étude PAR JACQUES DUPR * ET JULIETTE FAVRE Marques de PGC et patrimoine culturel La pérennité des marques dépend de leur aptitude à s adapter ux évolutions cultu elles et à co pter plusieurs générations au no bre de leurs conso mateurs. f II I I l I II II. Il II II If Culture (dictionnaire Hachette) : « ensemble des activités soumises à des or es socialeme t et historiqueme t différenciées et des modèles de co porte e t transmissibles par l éducation, propre un groupe social déter i é ». Au vu de cette définition, il est clair que les marques que nous conso ons font partie intégrante de otre p tri oine national et de notre culture. De la même façon, les marques appartiennent de manière différenciée - selon leur puissance, leur ncienneté, leur communication/ position ement - à notre histoire collective. Loin de nous pourtant l ambition, en tant qu’institut d études des ventes des PGC à partir des sorties de caisses, de réaliser u e étude sociologique poussée sur le thème « arque et culture ». No s n’aurions aucune légiti ité en la matière, notamment en apportant une vision globale et non onographique des milliers de marques qui co osent le paysage de notre consommation. Toutefois, à partir de différents tra aux effectués récem ent, nous pouvons apporter quelques éclairages généraux. Les grandes marques nationales dans notr consommation aujourd hui. Il y a quelques mois, nous avions réalisé un dossier pour le compte de l ILEC, visant à examiner le poids des grandes marques et leur évolution à moyen terme. Nous avons complété ces infor ations en intégrant des données sur leur âge. Nos investigations couvrent l ensemble des Directeur Inslghts et Communication IRI. "Inslghts anager IRI. page 98 - la revue des marques - n°95 - juillet 2016

La revue des marques juillet 2016

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étude PAR JACQUES DUPR * ET JULIETTE FAVRE

Marques de PGCet patrimoine culturel

La pérennité des marquesdépend de leur aptitude às adapter ux évolutionscultu elles et à co pterplusieurs générationsau no bre de leursconso mateurs.

f II I I l I II II. Il II II If

Culture (dictionnaire Hachette) : « ensemble des

activités soumises à des or es socialeme t ethistoriqueme t différenciées et des modèles deco porte e t transmissibles par l éducation,

propre un groupe social déter i é ».Au vu de cette définition, il est clair que les marquesque nous conso ons font partie intégrante de otrep tri oine national et de notre culture. De la même façon,les marques appartiennent de manière différenciée - selonleur puissance, leur ncienneté, leur communication/position ement - à notre histoire collective. Loin de nouspourtant l ambition, en tant qu’institut d études desventes des PGC à partir des sorties de caisses, de réaliseru e étude sociologique poussée sur le thème « arque etculture ». No s n’aurions aucune légiti ité en la matière,notamment en apportant une vision globale et non

onographique des milliers de marques qui co osentle paysage de notre consommation. Toutefois, à partir dedifférents tra aux effectués récem ent, nous pouvonsapporter quelques éclairages généraux.

Les grandes marques nationalesdans notr consommation aujourd hui.Il y a quelques mois, nous avions réalisé un dossier pour lecompte de l ILEC, visant à examiner le poids des grandesmarques et leur évolution à moyen terme. Nous avonscomplété ces infor ations en intégrant des donnéessur leur âge. Nos investigations couvrent l ensemble des

Directeur Inslghts et Communication IRI."Inslghts anager IRI.

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marques réalisant plus de cinquante illions d eurosen 2015. L étude porte sur 271 marques, qui représent ntglob lement près de 50 % de nos achats PGC et près desdeux tiers de nos ach ts de a ques (hors MDD).

L ancien eté de ces m rques. Les marques de notre panieractuel, nous les conso ons depuis toujours ou presque :leur âge moyen est de soixante-dix-neuf ans (et mê e deprès de quatre-vingt-dix ans si nous pondérons par leurchiffre d’affaires I) ; quatre-vingts (36 %) d e tre elles sontplus que centenaires.

L'âge des 271 marques de PGC de plus de 50 M€ (CA)au sein des GC

Pour les plus jeunes, un tiers des marques sur le marché sonttransgénérationnelles, elles ont accompagné durant touteleur vie leurs p rents, grands-parents et ê e arrière-grands-parents. Les arques qui ont entre quatre-vingt-dixet ce t ans, que nous pourrions dénommer les marques« génération Aznavour ou Elisabeth II » sont des marquesque tous les Français connaissent et ont consommé, etqui font donc partie de notre patrimoine commun : Fleury

ichon, Ricard, Bonduelle, Lactel, Petit Navire, Haribo, A ora,Gemey, Materne, Label 5, Joker, Mlxa, Bordeau Chesnel,Gerblé, Brassard, Orangina, Babybel, Lesieur, La vache quirit, Spontex, Mentos, Lutti, Heudeb rt, Mercurochrome, BN,Danone. Rassurons-nous, les marchés des PGC ne sont pasfigés pour autant : soixante-neuf marques ont (commela fameuse ménagère cible) moins de cinquante ans etquatorze d’entre elles sont apparues au xxie siècle.

Leur dynamique à court terme. Les grandes marques defabricants sont dynamiques. Leu s ventes ont progressé de

près de 14 % en cinq ans, cinq points de plus que l'ensembledes marchés PGC (+10 %) I Les m rques de moins de cinquanteans prog essent certes plus vite (+ 23 %), mais les centenairesprogressent à la même vitesse que leurs marchés.

Évolution des g an es marques entre 2010 et 015

Tauxe

croissa ce

Pourcentagede marques à

+ 10 %

Total13,8 57g andes m rques

oins de 50 ans 20,7 70De 50 à 100 a s 13,2 53Plus de 100 ans 8,8 47

Trois marques particulièresde la généra ion Glizab th IIBonduelle, Fleury Micho et Mlxa, trois grandes ma quesd'un âge moyen équivalent à celui de l ensemble desgrandes marques, prog essent chacune de près de 30 % encinq ans. Fortes de leurs racines, les grandes marques sedévelop ent g âce au lancement de nouvelles référe cessur leurs marchés historiques, ou de nouveaux produits surdes catégories péri hériques, en phase avec les tendancesculturelles actuelles. Bonduelle, quatre-vingt-dix ans ettoujours spécialiste du légume, réalise en 015 deux tiersde ses vente avec ses références de quatrième gamme,salades ou légumes surgelés. Les références de snacking,produits « sans » et bio sont pa mi les p emières ventesde Fleury Michon. Mixa ne s’adresse plus seuleme t auxmamans pour le soin de leur bébé, 70 % des ventes de lam rque se font dans d’autres catégories d'hygiène beauté.Le mode de distribution des grandes marques évolue,en phase avec notre culture d achat. Presque toutes lesgrandes marques, hors produits frais naturellement,sont disponibles sur Amazon; certaines d'entre ellespropose t également de la ve te directe de uis leur siteWeb ou des boutiques éphémères, ne laissant pas auxseules jeunes marques de prêt à porte ou de déco cecanal de distribution très tendance. De même, via Twitterou Facebook par exemple, elles entretiennent avec leursacheteu s une grande proximité : la relation directe avecle consommateur n'est pas l'exclusivité des marques trèsrécentes ou des circuits cou ts. Fleury Micho épond trèsrapidement et régulièrement ux questions concerna tla provenance des produits ou les modes de p oduction,Mixa est épaulée par les « youtubeuses » our conseiller

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ses consommatrices, Bonduelle est la marque de grandeconsommation qui inspire le plus confiance, selon unsondage O inion Way.De toute évidence, les gr ndes marques qui ne vi ent pas surleurs acquis et qui s adaptent aux changements de la sociétéet aux mouve ents des générations erdurent et continuentde s intégrer dans notre p trimoine. Bien sûr, d'autres, aussipuissantes que les récédentes à un oment donné maismoins réactives, s'éteignent lentement, ais sûre ent. Lesmarques qui ne sont pas arrivées à passer d'une génération àl autre deviennent au mieux des madeleines de Proust (mais« brandées » !), des marques « vintage » our une générationparticulière. D' utres peuvent être immolées sur le templede la rationalisation ou de la mondiali ation. Les exemplespersonnels de l un des auteu s sont les fameux MistralGagnant et Coco Bo r (évoqués par Ren ud) ou Ch mbourcy« oh oui 1 », son lieu d'habitation.

Les autres marqu s patrimoniales.Bien sûr, l ancrage dans notre consommation ne se limitepas aux seules grandes arques institutionnelles etincontournables à dimension nationale. LaFrance est constitué de territoires caractériséspar leur histoire et leur géographie, en d autrestermes par leur culture propre. P r ailleurs,tout au long du xxe siècle, notre pays a été uneterre d'immigration, et aujourd hui une partimportante de sa po ulation a des r cinesétrangères.

Les rques locales et égionales. Toutes lesétudes menées au cours des cinq dernièresannées auprès des acheteurs montraient leurattachement renforcé à leur environne entgéographique et au marque locales. Cesmarques locales répond ient à plusieursaspirations complé entaires du consommateurdu début du ie siècle.

• Un souci d'identification culturelle dans

une société perçue comme de plus en plusmondialisée, et de ce fait impersonnelle.• Un désir de soutenir l'économie locale ourégionale en difficulté et, au premier chef, lesagriculteurs et les industries ali entaires de

la région.• Une conscience écologique, avec en toile defond la volonté de limiter les é issions de CO .

.1 r_ i

• Une recherche de lus en plus marquée pour des produitssains et de qualité, et de manière sous-jacente avec l idéequ un producteur local ne pouvait (se permettre de)tro per son environnement géographique i édiat.

Afin de pouvoir porter une appréciation quantitative decette tendance de consommation, qui e pouvait êtrequ'une nième déclaration d intention (peu suivie de réalité),IRI a mené à plusieurs reprises depuis 2013 de premièresinvestigations sur ces marques locales. Nos plus récentstravaux ont été présentés lors des dernières journéesannuelles de l'IF . algré une définition restrictive, nousavons u identifier un peu plus de 1 800 fabricants locauxau travers de nos bases de données. Bien sûr, leur chiffred'aff ire consolidé reste très faible : il s’établit en effet à1,3 milliard d’eu os en 2015. Sans commune mesure avecles grandes marques étudiées précédem ent. Toutefois,ce arché progresse de manière assez fo te : + 20 % decroissance entre 2010 et 2015, soit plus rapide ent que lesPGC, et ême plus rapidement que les grandes marques- qui semblaient les cham ionnes de la croissance. Lacartographie par département de leur implantation est sans

Poids local et régional

I Supé ieu à 2,4% L J 1,2 à 2,4 0/0

! 0,8 à 1,2 % Inférieur à 0,8

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doute plus spectaculaire. Elle est en effet sans équivoque :la puissance des m rques locales corres ond à des identitésrégionales fortes com e la Bretagne, la Ve dée, le Paysbasque, le Nord-Pas-de-Calais, l Alsace ou la Savoie (cf. ca te).Cette géographie des rques locales correspondégalement au maintien de langues et dialectes, signeévident de la volonté de sauvegarder une culture s écifique,quelquefois contre le pou oir central ou ce tralisateur. Ils agit enfin de régions qui sont en périphé ie et souventdisposent de frontières avec d’autres pays et d autrescultures. À l’inverse, les marques et fabricants locaux sontm rginaux au sein d’un bassin parisien élargi qui cou replus de 50 % du ter itoire.

Marques/culture et i igration. Dans le cadre dela réd ction de cet article, nous avons p océdé à desinvestigations (à vocation exploratoire) sur les marques« étrangères ». Nous nous sommes otamment intéressésà quelques marques portugaises assez emblématiquespour l communauté lusit nienne. Sans t op de surp ise,nous retrouvons une très forte concentration dans lesdépartements de l b nlieue parisienne, m is égalementdans des régions qui ont accueilli de forts contingentsportugais (Loiret et Loir-et-Cher notamment). Laconsommation de certaines marques est donc, même ausein de nouvelles générations, une manière de conserverun lien avec leur pays, leur histoire et leur culture.Les marques thématiques des distributeurs. Certainsdistributeurs ont créé de véritables marques, qui ont pourvocation de s’intégrer pleineme t dans notre patri oineen jouant otamment sur nos traditions gastrono iqueslocales, à l instar de Reflets de France et de Nos régionsont du talent.

Qu il s agisse de très grandes marques à vocation nation le,de marques à dimension géographique plus limitée ou demarques étra gères,celles qui s insc ivent dans notrehistoiresont celles qui arrivent à éviter l'écueil des change entsnaturels des générations en s'adaptant et en se renouvelant.Les marques pparten nt à notre culture commune, ànotre pat i oine historique bénéficient dès lors d'unsupplément d’âme et d'image qui leur permet d'enregistrerdes perform nces très positives. Les industriels en sontconscients, au point que certains relancent aujourd'hui desm rques restées en som eil et qui appartenaient à notreculture commune. Mais il convient sûrement d’identifiercelles qui ont encore ce potentiel, celles qui n'ont pas subide ruptures trop fortes dans le temps et qui dépassent l simple cadre de la nostalgie passéiste (voire réactionnaireou rétrograde), tsl

une grande marque locale

La marque Malo a souvent été considérée commel'emblème de la marque locale forte au sein des PGC.Notre ancien dirigeant, Olivier Géradon de Vera, la citaitvolontiers dans ses co férences en signalant par exempleque son absence dans un magasin de sa région ouvaitêtre le symptôme d une méconnaissance de sa zone dechalandise et relevait de la faute professionnelle grave.La Centrale laitière malouine est le fruit de l'histoirebretonne : elle est apparue juste après-guerre pourrépondre à une directive du gouvernement de l'époquevisant à approvisionner l'ensemble du territoire nationalen lait frais. Malgré sa taille et la structure concentréede son activité, il s'avère que cette marque phare n'entrepas dans notre définition des marques locales de 2015(ni même de 2010 d'ailleurs). Elle ne représente en effet« que » 46 % dans son fief historique constitué de quatredépartements. Si nous observons ses résultats au coursdes inq dernières années, ils sont très illustratifs de lacapacité des marques locales (que l'on pourrait qualifierde traditionnelles) à se développer. Entre 2010 et 2015,son chiffre d’affaires a crû de près de 57 % au niveaunational. Dans son fief historique (départements 35, 22,56 et 29), elle a progressé, notamment via l innovationet la diversification, toujours sur son cœur de marché,de près de 30 %. Dans sa zone secondaire d influence(Normandie et Pays de l Loire) et en Île-de-France (régiondans laquelle elle était déjà bien implantée), ses ventesont augmenté de près de 50 %. Enfin, elle a doublé sesventes dans le reste du territoire national, même si ellereste quasiment absente dans l'ensemble du grand Est etdu Sud de la France. Sans enfert eme t dans une culturelocale étouffante, Malo est l'e emple qu une marque quidispose de raci es profondes peut se diffuser et rejoindreà terme, sans reniement de son ancrag géographique, laatégorie des grandes (comme l'ont fait en leur temps lesarques observées dans notre première partie).

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