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©2017FleurHanaPremièreédition:Hugoetcompagnie,2017
34-34rueLaPérouse75016Paris
www.hugoetcie.frOuvragedirigéparSylvieGand
CollectiondirigéeparHuguesdeSaintVincentCouverture:LaetitiaKalafat
ISBN:9782755630558
CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.
SOMMAIRE
Titre
Copyright
Playlist
Avant
Chapitre1-Neufansplustard
Chapitre2
Chapitre3
Chapitre4
Chapitre5
Chapitre6
Chapitre7
Chapitre8
Chapitre9
Chapitre10
Chapitre11
Chapitre12
Chapitre13
Chapitre14
Chapitre15
Chapitre16
Chapitre17
Chapitre18
Chapitre19
Chapitre20
Chapitre21
Chapitre22
Chapitre23
Chapitre24
Chapitre25
Chapitre26
Chapitre27
Chapitre28
Chapitre29
Chapitre30
Chapitre31
Chapitre32
Chapitre33
Chapitre33
Chapitre35
Chapitre36
Chapitre37
Chapitre38
Chapitre39
Chapitre40
Notedel’auteure
Playlist
AliceinChains–Nutshell(Unplugged)AliceinChains–NoExcuses(Unplugged)DavidBowie–TheManWhoSoldtheWorldNirvana–TheManWhoSoldtheWorldBobDylan–Knockin’onHeaven’sDoorGunsN’Roses–Knockin’onHeaven’sDoorBonIver–SkinnyLoveBirdy–SkinnyLoveTheBeatles–WithaLittleHelpFrommyFriendsJoeCocker–WithaLittleHelpFrommyFriendsBobMarley&TheWailers–ThreeLittleBirdsGunsN’Roses–SweetChildO’MineMuse–DeadInsideQueen–BohemianRhapsodyTheLumineers–SlowitDownRogerGlover–LoveIsAllWillSmith–JustTheTwoofUsBrunoMars–CountonmeBrunoMars–TreasureMadonna–HolidayMika–LollipopDavidBowie–Starman
Avant
Ange
Elleaencoremislelived’AliceinChains.J’aimequandellel’écoute.Jel’observeécouter.Jepourraislaregarderpendantdesheures.Justeelle,moietlamusique.Elle sourit, les yeux fermés. Ses cils trop maquillés reposent sur ses joues. Deux éventails
miniatures. Elle tient ma main. Elle en caresse distraitement le dos avec son pouce. Doucement. Aurythmedelachanson.LesparolesdeNutshelldémarrentetelleposelatêtesurmonépaule.Jevoudraiscapturer cet instant, le conserver en moi. Tout me paraît tellement parfait qu’il me semble que cetteperfectionpourraitfacilementmeglisserentrelesdoigts.Siçadevaitarriver,jeprélèveraiscemoment,pourleconserver,enmoi.Jel’useraisàtropl’aimer.
Pourrais-jel’user,elle,àtropl’aimer?Chacunedesesrespirationssecalquesurunbattementdemoncœur.Oubienest-cemoncœurqui
se laisse hypnotiser par son souffle ? Par ses lèvres entrouvertes et ce léger sourire qui les quitterarement?Lorsquejel’aivue,cejour-là,j’aiimmédiatementsu.
Ellem’attireàelleetnousnousallongeons.Lerituelquenouspartageonsdepuisdesmoismesortdemespensées.Samainglisselelongdemajambe,elleeffleurel’intérieurdemacuisse.Jel’embrassetout en la faisantbasculer.Ma langue s’immiscedélicatementdans son sourire et caresse la sienneaurythmedelamusique.Lasensualitédenosbaisersprovoqueunfrissonlelongdemacolonne.Commechaquefois,plusquechaquefois.Aveccettesensationqueçayest,jesuisleplusheureux.Etpourtant,ellemeprouvesansaucuneffort, sansmêmes’en rendrecompte,qu’ellepeut toujoursme rendreplusamoureux.Jesuisplacéau-dessusd’elle,enappuisurlesavant-bras,lesmainsposéessursesjoues.Unécrin pour la garder près demoi. Je laissemon corps entrer en contact avec le sien, il n’est pas uneparcelledemonêtrequinesoitencommunionavecelle.Ellecommenceàondulerlebassinsousmoi.Jeplongelesdoigtsdanssescheveuxétaléssurmonoreilleravantdeprendreunpeuderecul.J’aibesoindelaregarder.J’aitoujoursbesoindelaregarder.
J’aimelavoirdansmonlit.
J’aimequ’ellefassepartiedemonunivers.Je repousseuneboucleauburndesonfront.Elleouvresesgrandsyeuxvertsetmesourit touten
déboutonnantmon jean.Samainm’entoure et je soupire contre ses lèvres entrouvertes. Jedéposedesbaiserssursatempe,sajoue,lecoindesabouche…Elleresserresesdoigtssurmoietjeposelefrontcontre son épaule en laissantmes paupières se fermer, un réflexe, en savourant les sensations qu’elledéclenche.
Elles’écartedoucement,provoquantenmoiunmanqueirrationnel.Ellemerepousseunpeuetsefaufile hors du lit. Elle fouille dans son sac de cours. Je l’attends, allongé sur le dos. Elle revient etdéposequelquechosedansmamain.Jeregarde.
—Tuessûre?Ellehoche la têteensouriant. Je l’attireplusprèset l’embrasse.Nousnousdéshabillonssansun
mot,lamusiquecontinuededéversersesnotesdansmachambre.Jeveuxprendremontemps.Elleestmince,fragile,tellementfinequ’ellen’ajamaisbesoind’enfermersespetitsseinsdansun
soutien-gorge.Etj’aimeçaautantqueçamesurprendchaquefois.Jesaisqu’ellen’enportejamais,maisle plaisir de cette découverte ne diminue jamais. Alors j’effleure sa poitrine, avec une certaineadmiration.Jeveuxquecesoitparfaitpourelle.Jecaressechaquepartiedesoncorpsavecmesdoigts,meslèvres,malangue,monsouffle…
J’aimesapeau.Douce,rosée,délicate…Jel’aimetantquec’enestparfoiseffrayant.NoExcusesdémarreaumomentoùelledéroule lepréservatif,unpeumaladroitement.Sesgestes
sonthésitants.L’imperfectiondesesmouvementsintensifielasensationquej’aid’êtrelàoùjedoisêtre,précisément. Jamais jen’aiétéaussi sûrquemaplaceétait icietmaintenant.Elleme fixe,me souritencoreetjem’accaparelentementsavirginité.Trèslentement.Jeveuxapprécierchaquesecondedecetinstant.Jeveuxeffacerlalégèrecrispationquejeperçoissursonvisage.Jeveuxqu’ellesoupire,qu’ellesentequ’ellepeutégalementmefaireconfiance.Jeneprendspas,ellen’offrepas…nouspartageons.
Ellegémit.Deplaisir,enfin.Elleplacesesmainssurmanuqueetmeramèneàelle.Ellem’embrasse, je jouis, tropvite, trop
fort,etellemeserredanssesbras.Jesaisiscetinstantanéetlerangeàcôtédetouscesfragmentsd’elle,denous,quidonnentunsensà
mavie.
1
Neufansplustard
Lise
—Lise!Voldemortm’aditquetuavaisdûpartirenurgence!JeglissemesécouteursdansmesoreillesafindepouvoirdiscuteravecLoïctoutentravaillant.Oui,
jesuisunefemme,jesuispolyvalente.—JesuischezAnnabelle,elleafaitunemauvaisechuteets’estcassélecoldufémur.Jevaisjuste
l’aideràs’installerchezelle,qu’elleprennesesmarques.—Ohnon…Tul’embrassesdemapart.—Biensûr.—Etçava,toi?—Jegère,net’enfaispas.—Non,jeveuxdire…Tuvassûrementlecroiser.—Jepréfèrenepasypenser.Presque une décennie hors de sa vie et ça y est, j’y suis.Àquelques pas de peut-être le revoir.
Quellessonteffectivementlesprobabilitésdenouscroiser?Comptetenudufaitquesesparentsviventde l’autre côté du palier d’Annabelle, elles sont plutôt élevées. Je n’ai jamais été très douée enmathématiques,maislesstatistiquesnejouentpasenmafaveur.
Lorsquej’aisuquejedevaisvenirretrouvermonamie,quiestaussimagrand-mèredesubstitution,j’ai immédiatement pensé à Ange. J’ai l’impression de revenir sur les lieux du crime…Ça ferait unmédiocrescénariodetéléfilmdel’après-midi:ellequittesonpetitamifollementamoureuxd’elle,partàl’aventuredescentainesdekilomètresplusloin,réalisequ’ellel’aimetoujours,passeàcôtédesavieetrevientenvirondixansplustard,paspourlui,maisesttoujoursamoureuse.Ahoui…c’estdouloureuxderésumermavieenunephrase,mais tellementconformeà la réalitéque jepourrais sûrementécrireunmauvaisguide.Commentpiétinersonproprecœurpourlesnuls.
—Tuparlesdeluitouslesjoursdepuisqu’onseconnaîtetlàtuvasréussirànepasypenser?J’ignore le sarcasmedans savoix. Il est en traind’anéantirmonplanqui étaitpourtantparfait et
consistaitàfairel’autruche.
—Ilnevitpluschezsesparents,ilyadoncpeuderisquequejelerencontre.—Oui,maissiçaarrive,tum’appellesimmédiatement.—Pourquoi?—Jepeuxgérertescrisesdepaniqueàdistance.—Trèsdrôle.—Tuasbesoinquejereprenneunarticle?Quelquechose?Dis-moicequejepeuxfaire.—Non, tuesgentil,maisça ira. J’aiamenédequoi travailler.Ellem’appelle, je te laisse.Sois
sage,jetefaissignedemain.Je raccrocheet sauvegardemonfichieravantde retrouvermaplusvieilleamiedanssachambre.
Vieilleparcequenousnousconnaissonsdepuis toujoursoupresque.Etpuisbon,vieilleaussicarelleaccusequatre-vingt-troisprintemps.J’essaiedenepasmontrermonchocdelavoirtoutefrêledanscegrandlitmédicaliséaumilieudesachambresiélégante.
—Ah,Mademoiselle, pourriez-vous tourner le verrou, s’il vous plaît ?Mon amie vame rendrevisiteetj’aipeurqu’ellenepuissepasentrer,ellenepossèdequelaclefdubas.
—Quelleamie?—Lise,ellerevientdansleSudexprèspourmevoir,elleestadorable…Elleaposédescongés
afindepouvoirs’occuperdemoi,jenesaispascequejeferaissanselle.Il me faut quelques secondes avant de réaliser qu’Annabelle n’est pas en train de plaisanter et
qu’elleparledemoi,sansavoirconsciencequejesuisavecelle,danslapièce.—Annabelle,jesuisdéjàlà.Sesyeuxsemblent faire lepoint,commesielleavait regardédans levague jusqu’àmaintenantet
qu’elle prenait conscience de l’instant présent. Je vois ses lèvres trembler et je m’approche pour larassurer.
—Toutvabien,jesuislàetl’infirmiervabientôtarriver.—Leverrou…Ellebredouilleens’agitant.Jenel’aijamaisvuecommeça.—Jevaisl’ouvrir,rassure-toi.—Lisedoitveniret…je…— Je suis Lise, tu te souviens ? Je suis arrivée hier et nous sommes rentrées tout à l’heure de
l’hôpital.Maintenantl’infirmiervavenirpourvérifiertespansements.Elle hoche la tête, je constate cependant qu’elle est toujours confuse. Aumoins autant quemoi,
mêmesij’essaied’avoirl’airsûredemoipournepasl’affolerencoreplus.—Ilfautouvrirleverrou,ellepourraitrepartirsansmevoir,ellen’apaslaclefduhaut…—Jem’enoccupe,toutirabien.Jeluitapotelamainetmerendsdansl’entrée.J’ouvrelaporteetm’échappeuninstantsurlepalier.
Jerefermedoucementpourqu’ellenem’entendepas,m’adosseaumuretposelamainsurmabouche.Jesensleslarmesroulersurmesjouesavantquelepremiersanglotnesemanifeste.
Ellenem’apasreconnue.
Ellenesaitpasquijesuis.J’aiunebouledanslagorgequim’empêchederespirercorrectement.Jesaisquejenedoispasme
laisseraller,maisellenem’apasreconnue!Nousnousconnaissonsdepuisquej’aiquatorzeansetellen’aaucuneidéedequijesuis!Jefermelesyeuxpourretenirmeslarmesplusfacilement,ilnefautpasqu’ellemevoiedanscetétat.Quandj’estimeêtrecalmée,jemeredresseetjel’aperçois,justelà.
Ange
Ellepleure.J’auraisdûmedouterqu’elleseraitavecAnnabelle.Non,jen’auraispaspu.Ellen’estpasrevenuedepuis…depuisqu’elleestpartie.Toutmoncorpslareconnaîtetjedéteste
l’effetquesasimpleprésenceasurmoi.J’aidéjàguérid’elle.C’estcequejepensais,c’estcequejevoulais.Cequejevoudrais.Jesuissûrquemoncœurvientdesauterunbattement,ouplusieurs.J’aileréflexedetendrelamain,
delarassurer,etjemesouviensqu’ellen’estplusàmoi.Etquejenesuisplusrienpourelle.Jeserrelesdents et les poings lorsque toute cette souffrance revient me rappeler pourquoi nous sommes deuxétrangers,àprésent.
Ellerelèvelatête.Sesyeuxsontunpeugonflés.Ellen’apaschangé.Sonéterneljean,sesDrMartins,sont-shirtdeKisscoupéaucolquiretombesuruneépaule.Son
corpsesttoujoursaussimince,unphysiqueàlaVanessaParadis.Féminineetfragileautantqueforteetdynamique.Sescheveuxsontattachésàlava-viteetplusieursgrossesbouclesrouxfoncés’échappentdetouslescôtés,entourantsonvisageconstellédelarmes.
Sesgrandsirisvertsmefixentsansciller.Elleesttoujourselle…Justeunpeuplusfemme.Justeunpeumoinscellequej’aiaimée.
Lise
Toutensachantqueçaarriverait,jenemesuispasréellementpréparéeàlevoir.C’estjusteque,là,ilestdevantchezAnnabelle.Impossibledefairecommesijen’avaispasremarquésaprésence.Jerestebloquéeun instantà l’observer.Monsouffle secoincequelques secondescoincédansmagorge,c’esttrop surréaliste. J’ai rêvé de cemoment tellement souvent que je ne parviens pas àme dire qu’il estvraimentlà.Jesensdepetitsfrissonsremonterlelongdemacolonne,lecrépitementdel’anticipationaucreux de mon ventre leur faisant écho. La peur, aussi, je n’ai jamais été aussi impressionnée parquelqu’unqu’encetinstant.
Ilatellementchangéetenmêmetemps…c’esttellementlui,aussi.Ilportesescheveuxblondsetlongs,c’estnouveau.Çaluidonneunpetitcôtérebelle,qu’ilatoujourseu,enfait.J’aimaissonallure,alors. Je l’adore, aujourd’hui. Il les a attachés endemi-queue, dégageant sonvisage fin et à la fois simasculin.Labarbe,c’estdéfinitivementnouveauetçamerappelleàquelpointlesannéesontpassé.Plusqu’uneombrenaissantesursesjoues,ellen’estpasnonplustroplongueàmongoût.Commesimongoûtavaitsonmotàdire…Sesyeuxbleusressortentd’autantplus,maisilsn’ontplusladouceurquejeleurconnaissais.J’yvoislerefletdemaculpabilité,cellequiestdevenuemameilleureamieilyapresquedixans.Ilatoujourssonlookunpeusurfeur,unpeuskateur.Exceptéquej’aiquittéungarçonetquejeretrouveunhomme.Unhommequinesemblepasravidemefaireface.
Jene l’aipasrevudepuisdesannées.Etcettequestionrevientencoreunefois :pourquoisuis-jepartie?Oui, j’aioptépour lasolution«raisonnable», j’ai faitpassermonavenirprofessionnelavantnous.C’étaitcequisemblaitlepluslogiqueàfaire.Danscecas,pourquoiai-jeregrettécettedécisionchaquefoisquej’ypense?
J’essuierapidementmeslarmesetmeredresse.Ladernièrefoisquejemesuismontréevulnérablecommeçadevant lui, il s’inquiétaitpourmoi et je comptaispour lui. Jedoisme faireviolenceetmerappeler que ce temps appartient au passé. J’avais imaginé nos retrouvailles de tellement de façonsdifférentes;aucunenesedéroulaitainsi.Jen’aimedéfinitivementpaslamanièredontilmefixe.C’estlapremièrefoisenpresquedixansquenousnousrencontronsetj’ail’impressionqueplusieursdécennies
supplémentairesn’auraientpasétéde trop. Il s’approchedemoietm’adresseunsimple signede tête,froid et impersonnel. C’est ridicule. Je lui ouvre en évitant soigneusement de le toucher, je le senstellementhostile…Ilatouteslesraisonsdel’être,jelesais.Çan’enestpasmoinsdouloureux.Jen’aipasledroitderessentircela,c’estmoiquisuispartie.Alorsjetentedereprendrecontenance:
—Tuesl’infirmier?Autempspourlacontenance.C’estl’intentionquicompte…Ilmeregardeethausseunsourcil.Jen’aipaseuaffaireàuninfirmieràdomicileavant.Jepensais
qu’ils débarquaient en blouse et sabots. Dans les hôpitaux, il n’y a rien de moins glamour qu’uneinfirmièreouuninfirmier.Latenueestmocheetinforme.Dansleprivé,cen’estvisiblementpaslecas.J’ignorais qu’un infirmier pouvait être sexy. J’essaie de ne pas tropm’attarder sur cette pensée. Sonapparitionacependantleméritedemedétournerdeladéprimequimenaçaitavantsonarrivée.Enplus,jetrouvemaquestionlégitime,mêmesijemeprendsunventmagistralenguisederéponse.
Je le précède et le minuscule trajet entre l’entrée et la chambre d’Annabelle suffit à memettreencoreplusmalàl’aise.Aprèslecoupquejeluiaifait,jenesuispastrèsrassuréequ’ilmarchederrièremoi.Nonpasqu’ilseraitcapabledemefaireunepriseninjapourm’éliminersilencieusementdanscepetitcouloir.Quoique…Onnepeut jamais jurerde rien, surtoutque jene leconnaisplus…Peut-êtrequ’ilestentraindefomenteruncouppourmefairepayercequejeluiaifaitendurer.
Ils’approchedulitetsepencheunpeuversAnnabelle:—MadameLaval,heureused’êtrerentréechezvous?Entendreànouveausavoixmeprojettedanslepassé.Lecontrasteentreletonqu’ilemploiepour
luiparleretleregardfroidauquelj’aieudroitmeconfirmequ’iln’estpasenchantédemerevoir.Iln’estprobablementpasmonfannumberone,mais si çapeut le rassurer, je lui avouerai,un jour,que jenem’appréciepasdesmasses.Vivreaveclaculpabilitédesesactes,mêmes’iln’yapasmortd’homme,mêmesicen’estpaslafindumonde,çapèse.Savoirquejel’aifaitsouffrirm’aperturbéedesannéesdurantet jen’avaispasréaliséàquelpointcefardeauétait lourd, jusqu’àmaintenant.Jusqu’àcequ’ilsoitdevantmoi.
JesourisàAnnabelleetsorsdiscrètement.Enmecognantcontre leguéridon.Jen’ai jamaisbiengérélanervosité.Jemarmonnedesexcusesetmeréfugieausalon.Jem’occupecommejepeuxenallantsurmaboîtemail,l’objectifétantdenepaspenseràAnge,quisetrouvedanslemêmeappartementquemoi.Jen’appellepasLoïc,pasquestiondeluiracontercesretrouvaillesdésastreuses.Àtouslescoups,il aurait un plan complètement foireux à me proposer. Il m’entend évoquer Ange depuis tellementlongtempsqu’ilferaitn’importequoipourneplusavoiràsupportermesregrets.Etmoiaussi,pourêtrehonnête.
—Ilmefaudraitlesordonnances.Jesursaute.J’aisibienréussiàm’absorberdansmontravailquejenel’aipasentenduarriver.Je
melèved’unbondetcherchedansmonsaclespapiersqu’onm’adonnésàl’hôpital.Jelesluitendsàboutdebras,histoiredemaintenirunedistancedesécurité.Ilnemasqueabsolumentpassonanimositélorsqu’ils’ensaisitbrutalement,etquelquechosemeditqueçaluidemandeuncontrôleintensepourne
pasperdre son sang-froid.Pourtant, il n’est pas violent de nature. Il ne l’était pas, en tout cas. Simasimpleprésencelepousseàl’être,cen’estpasbonsigne.Ilm’enveut,biensûr.Jenesuispasétonnée.Juste prise de court, je n’ai pas eu le temps de me préparer psychologiquement à ces pseudo-retrouvailles.
C’estcomplètementfaux.Biensûrquej’aieuletemps.Maisêtrelà,prèsdelui,cen’estpasdutoutlamêmechosequel’imaginer.Jeleregardemetournerledos,sesépaulesbiendroites,troptendues,etjemesouviensquec’estmoiquiluiaitournéledos…
Ils’installeàlagrandetabledelasalleàmangeretparcourtlesfeuillesdesyeux.Àprésent,ilsecomportecommesinousnenousconnaissionspas.Ilm’ignore,même.Etencore,jesuispersuadéequ’ilseraitbienpluspoliavecunetotaleinconnue.
Peut-ondirequ’onconnaîttoujoursquelqu’unaprèstantdetempsécoulésansaucuncontact?Non,c’estcequejedoisêtrepourlui:uneinconnue.J’aimeraisquececonstatnemetouchepas,maiscen’estpaslecas.J’aimeraisqu’ilmesourie,chaleureusement,qu’ilmediseàquelpointilestheureuxdemerevoir.Queçaseraitvraimentsuperqu’onailleboireunverre,pourparlerdetoutcetempspasséloinl’unde l’autre.Oui,parfois jevismavieen technicolor, commesi j’étais sousacideetque toutétaitmerveilleux.
—Jedemanderaiàuncollèguedevenir,demain.Jedoisêtrelaseuleentraindetriperetjenepeuxvraimentpasleblâmerpourça.J’aibeauavoir
donnétouslesmoisàdesassociationsdechatonssansmoustachespoursoulagermaconscience,lesfaitsrestent lesfaitset jen’ensuispasmoinsresponsabledemesactes.Heureusementquec’estdéductibledesimpôts.
— Je peux m’absenter le temps de ta visite. Annabelle sera rassurée que ce soit quelqu’un defamilierquiviennes’occuperd’elle.Toi,ellesaitquitues,tulaconnaisdepuistoujours.J’iraifaireuntouroujeresteraidansmachambre.Oudanslacuisine.Ilyalebalcon,aussi.Etjevaisarrêterdeparlerparcequejesuissûrequetuasd’autrespatientsàretrouver.
Sansluilaisserletempsd’enplacerune,jevaisàlaported’entrée,l’ouvreetm’efface,lesyeuxausol.Jelesensapprocher,ilmarqueunepauseetsort.Jepousseunsoupirdesoulagementpeudistinguélorsquejerefermeenfin.
Lavache!Latensiondisparaîtdel’atmosphère,jerespireenfin.Qu’est-cequejem’étaisimaginé?Quejepouvaisrevenirdanslecoinetnecroiserpersonne?La
dernièrefoisquejeluiaiparlé,c’étaitpourluidire«Hé,jesaisbienquetuavaisdesprojets,maisvuquej’aiétéprisedanscettesuperécoleàplusieurscentainesdekilomètres,jeproposequ’onsesépareetcommeça,chacunfaitsavie.Enplus,onest jeunes,hein,onapleindechosesàdécouvrir.Deal?»D’accord,jeneluiaipeut-êtrepasditçacommeça…jepensecependantquel’effetauraitétélemêmesiçaavaitétélecas.
—Lise…JeretrouveAnnabelledanssachambre.—Toutvabien?
Elle me sourit, elle a l’air bien plus alerte que tout à l’heure et hoche la tête avant de lancerl’offensive:
—C’étaitAnge,tul’asvu?Ellemedemandeçaaveccequimesembleêtredel’espoirdanslavoix.Jesuisenterrainglissant.
Ellem’a toujours soutenue dansmes choix, inconditionnellement. Ce qui ne l’a pas empêchée demesignalerlorsqu’elleétaitendésaccord.
—Oui,j’aivu.—Jesuiscontentequecesoitluiquis’occupedemoi.Commeilssontplusieursassociés,jen’étais
passûrequeceseraitluiquiviendrait.Ellesavaitqu’ilrisquaitdesepointeretellen’apasjugébondemeprévenir.Dommage,çaaurait
étépasmal,histoirequejepuissemepréparerunminimumetavoirl’airmoinsahurie.—Çatombebien,alors.J’essaievraimentd’adopterletondétendudelaconversationanodine.Jepensequejesuisloinde
laréussitequandjeremarquequ’Annabellemefixesansplusriendire.—Vousavezdiscuté,luiettoi?medemande-t-elleenfinenscrutantmaréaction.—Trèspeu.Sionpeutappelerçaparler…—C’estpratiquepourluidevenirfairemessoins.Ilpeutrendrevisiteàsesparents.Ildoitêtre
chezeux,d’ailleurs,ilm’aditqu’ilyferaitunsaut.Jenesaispaspourquoiellemeracontetoutça.Jelalaisseparler.—Ilmesemblequetuluidoisdesexcuses.Peut-êtrequej’auraismieuxfaitdel’interrompre,toutcomptefait.J’étaispersuadéequ’Annabelle
était l’unedesrarespersonnesquiprendraitmonparti.Jesaisqu’elledésapprouvemondépart initial,maiselleestcommeunegrand-mèrepourmoi.Ellemeconnaîtdepuismesquatorzeanset…oui,elleconnaît aussi Ange depuis longtemps.Mais j’étais sa demoiselle de compagnie, son amie, comme sapetite-fille.
J’avais rencontréAnnabelle au supermarché avecmamère.Nous étions devant le rayon fruits etlégumes et je devais choisir unmelon sans aucune idée de lameilleure façon de le faire. Annabellem’avaitpatiemmentexpliquéquel’odeur,lasouplesseduchapeauetdelatigeaidaientàsavoirs’ilétaitmûr ou pas. Ma mère nous avait trouvées en train de discuter, ça faisait bien dix minutes que nousparlions de tous les signes auxquels on reconnaît un bon fruit.Annabelle s’était présentée et lui avaitdonnésonnumérodetéléphoneennousexpliquantqu’elleavaitaiméparleravecmoietqu’ellecherchaitjustementunejeunefilledecompagnie.J’allaispouvoirgagnerdel’argentàquatorzeans,jemesentaistellementimportante,surlemoment.Biensûr,noussommesdevenuesamiesetjen’aijamaisvouluêtrepayée,j’allaischezellepourboiresesparoles.Ellemeracontaitsavie,sonpassé,cequiétaitpourmoidesaventures.Etelleestdevenueunmembredemafamilleaussiimportantquelesautres.
Les grands-mères, ça prend la défense de leurs petits-enfants, non ? Ce n’est visiblement pastoujourslecas.Jerefusedediscuterdeçaavecelle,niavecquiquecesoit,d’ailleurs.
—Jepensequ’ilyaprescription.Maintenant,repose-toiencoreunpeu,jevaispréparerledîner.Jetefaisdelasoupe?
Ellenerépondpas,alorsjeprendssonsilencepourun«oui»etm’échappe.Cettefois,j’évitelepalier,oùjerisqueraisànouveaudecroiserAnges’iln’estpasencorepartidechezsesparents.Jesorssurlebalconetm’accoudesurlarambarde.Jepleure,jeneretienspasmeslarmes.Onvadirequejemelaissecepetitmomentdefaiblesseetqu’ensuitejemeressaisis.Simonbossmevoyait,j’imaginequ’ilme dirait : «Monroe ! Quand tu auras fini de chialer, tu bougeras ton cul, je ne te paye pas à rienfoutre ! » En même temps, je ne lui ai jamais donné l’occasion de me voir pleurer. Instinct depréservation,Darwin,toutça…
Ici, rienn’achangé.Lesbalcons se touchent tous, iln’yapasd’intimitédanscet immeubleet sil’appartement d’Annabelle est un peu préservé, c’est uniquement parce qu’il est en bout de bâtiment.Personneàgauche.Àdroite,unepetitebarrièreagrémentéedelambrismeséparedubalcondesparentsd’Ange. Je me souviens des soirées qu’on passait ici, Annabelle et moi, à discuter avec Ange et safamillejusteàcôté.Avant,cetteproximitém’arrangeait.Aujourd’hui,ellemeperturbe.Annabelleauraitpudepuislongtempsfairecommelaplupartdespropriétairesetinstalleruneparoidivisanttotalementlesdeuxbalcons.Ellen’ajamaisdûéprouverlebesoindes’isolerd’eux,etc’estréciproque,ilsemblerait.Combiendefoisnoussommes-nousretrouvés,Angeetmoi,pournousembrasser,cettepetiteséparationentrenous,avantdenouscoucher?
—Pourquoitupleures?
Lise
On ne peut pas s’apitoyer tranquillement sur son sort, dans cet immeuble ? Jeme retourne.Unepetitefillehautecommetroispommesm’observe.
—J’aiunepoussièredanslesyeux.—Mamamandittoutletempsçaquandelleveutpasquejevoiequ’elleesttriste.Alors,pourquoi
t’estriste?Elle a lesmêmesyeuxbleusque lui.Cequime fait unenouvelle informationde taille à digérer
parcequejesais,enunregard,quielleest.Bienquepersonnen’aitjugébondemeprévenir.Nonpasquejemériteunemiseàjourlocale,maistoutdemême…
—J’aieuunelonguejournée.Ettoi,qu’est-cequetufaisdehors,touteseule?Tunedevraispasêtreentraindedormir,àl’heurequ’ilest?
— Je m’appelle Emma, ma maman s’appelle Marie et mon papa s’appelle Ange. Mon papys’appellepapyetmamamies’appellemamie.Ettoi?
Ellevamefairetoutl’arbregénéalogique,lademi-portion?—Lise.—Etpourquoitupleures,Lise?—Parcequejesuisfatiguée.—Moiaussijepleurequandjesuisfatiguéeetmêmequemamamanelleditquec’estparceque
j’ai attendu trop longtemps pour me coucher alors des fois je pleure et tellement que je pleure jem’endors.Tiens.
Elle s’approche de la barrière et disparaît de mon champ de vision. Elle est trop petite pourdépasser.Çamefaitsourire.
—Viens,Lise,jetevoisplus!Jelarejoinsetmepenche.Elletendsonpetitbrasencorepoteléversmoi,elletientunetétinedans
lamain.—Jenepensepasquetamamanettonpapasoientcontentsquetumedonnestatétine.
—C’est pas une tétine, c’est une tototte. Et j’en ai plein d’autres.Maman, elle a des cujés detotottespartoutparcequesij’aipasmatototte,jepleure.
—C’estquoiuncujé?—C’estdesboîtesavecpleindetotottes.—Ahoui,unQG.—C’estcequej’aidit.—Gardetatétine,tuesgentille.Jen’aipasenviedem’abîmerlesdents.—C’estpasunetétine,c’estunetototte,jet’aidit.Pourquoitudisqu’ellevat’abîmerlesdents?—Parce que c’est vrai.Après, tu vas avoir les dents en avant commeun lapin et le dentiste va
devoirteposerunappareiletçavacoûtertrèscheràtesparents.Ellem’observe,pensive,toutenplissantlesyeux.Ellenem’auraitpasconfirméqu’Angeétaitson
père, je l’aurais tout demême déduit.C’est lui en version naine et fille. Elle a de grands yeux bleusbordésdecilsnoirs,encoreplus longsqueceuxdesonpère.Peut-être tient-elleçadesamère…Sescheveuxsontblondsavecplusieursnuances,commelui…Etlesourirequiétireseslèvresàl’instantestcelui d’Ange, sans aucun doute. Elle a même hérité des petites fossettes au creux des joues. C’estgénétique,lesfossettes?Çaluidonneunairchoupinouquipourraitm’attendrirsij’aimaislesenfants.Jemedemandecequeçaauraitpudonner,unmélangedenousdeux.Est-cequ’elleauraitprismesyeuxvertsoumescheveuxchâtainfoncéquejeteinsenauburndepuistellementlongtemps,d’ailleurs,queçaseraitsûrementpassédanslesgènes.N’importequoi!Quequelqu’unaitpitiéetm’empêchedepenser.
—Oh,unpapillon!Merci.Ellesejettesurlajardinièreàl’autreboutdubalconetfaitfuirl’objetdesonsoudainintérêt.Les
enfants ont une piètre capacité de concentration… De vrais poissons rouges. Elle laisse tomber unepelucheinfâme,grise,sansforme,moche.Ledoudou.
Jeme détourne lentement, espérantm’esquiver enmode furtif-mission-commando, quand la baievitrées’ouvredansl’appartementd’àcôté.
—Emma,viens,c’estl’heuredubain!Oh,Lise!Lamèred’Angeresteinterditeenm’apercevantetmoi,jemedisquepeut-êtreceseraitlemoment
d’arrêter les bonnes surprises pour ce soir. Cette fin de journée me rappelle toutes les raisons pourlesquelles j’ai invitéAnnabelle à venir chezmoi en vacances, ces dernières années, plutôt que de luirendrevisite.J’aiiciunpassétropimportantpourespérertraverserlesprochainessemainessansqu’ilmerevienneenpleinetête.Enmoderafale.
—Hélène,çafaitlongtemps,jeluilanceenmettanttoutelajovialitédisponibledansletondemavoix.
Sourirecrispé,voixunpeutropverslesultrasons.C’estl’intentionquicompte.—Liseesttristeetellepleure.Merci,lamioche,toninterventionrenforcemacrédibilité.Surtoutqu’Angedébarqueàsontour:—Emma,tumefaisunbisou,jereparstravailler.
Benvoilà,onesttouslà,n’est-cepasmerveilleux?—Viens,machérie,papavaparleravecladamed’àcôté.Jesuisdevenue«ladamed’àcôté»,commec’estintéressant.Emmaramassesonaffreuxdoudouet
s’envaenm’adressantunpetitsigne,souslesregardsétonnésdesonpèreetdesagrand-mère.Hé,moiaussi je suis surprise, les gars, inutile deme fixer comme ça. Sans que je puisse trouver une excusevaseusepourm’enfuir,mevoiciànouveauseuleavecAnge.
—Annabellevabien?—Oui,jeprenaisjustel’air.—Tuaspleuré.Jehausselesépaules.Simplementparcequejeneperçoispasdecompassiondanssesmots,juste
unconstat.Jedevraism’estimerheureusequ’ilm’adresselaparole,jepensequ’onpeutconsidéreravoirfaitunpasenavant.
Ilrentreetrefermelaporte-fenêtresansunmotdeplus.Peut-êtrebienqu’onafaitdusurplace,enréalité.
Àpeineai-je finide faire lavaisselle après ledînerqu’on tapeà laporte.Annabelle s’estdéjàendormie et je suis sûre qu’elle n’attend personne. Cette visite imprévue ne me dit rien qui vaille.Effectivement,aprèsuncoupd’œildanslejudas,j’hésiteàm’éloignersurlapointedespieds.Allez,jene suispaspeureuse, j’ouvre. JebossepourVoldemort,bon sang !Si jepeux l’affronter lui, le reste,c’estduloukoumàcôté!
—C’esttoiquiasditàmafillequesatotottepouvaitluiabîmerlesdents?J’auraismieuxfaitd’écoutermoninstinctdesurvie.Onminimisetropl’importancedenosréflexes
primaires.Stratégienuméroun:sijenerépondspas,ilvacroirequejenesuispasvraimentlàetrepartirsans
insister.—Mamèrem’aappelépourquejeviennecalmerEmmaquirefusedeprendresatototte,carelle
s’imaginequesesdentsvonttomber!Etellenepeutpasdormirsans!Donc,onfaitquoi,maintenant?Puisquetusemblesenconnaîtreunrayonsurlestotottes.
Stratégieun:avortée.Stratégienumérodeux:nierlesfaits.—Jen’aipasditquelatétineferaittombersesdents.J’aijusteditqueçalesluipousseraitvers
l’avant,cequiestabsolumentvrai.Jemesuiscontentéed’énoncerunevéritéquidevraitd’ailleursêtretransmiseauxparentsàlasortiedelamaternitédansunpetitlivretpédagogiquequi…
—Mafilleacinqans,Queen, tupensesquec’estessentielpourelledesavoirque,oui,çapeuteffectivementluidécalerunpeulesdents?
Jesouris.Parcequ’ilm’aappeléeparmonsurnom,commeavant.Etqu’aveclajournéesurréalistequejeviensdepasser,çamefaitégoïstementunbienfoud’avoirunersatzdenormalité.Aussilointaineetobsolètesoit-elle.
Aumomentoùjesensquemonsourirel’agaceaupointdeluidonnerenviededevenirdésagréableavec moi, la porte de chez ses parents s’ouvre et je réalise que l’insonorisation est très bonne. Leshurlements stridents de la petite Emma m’agressent les tympans et je fais un pas en arrière. Si ellecontinue àbeugler commeça, ladiversion seraparfaite et jepourrai discrètementmebarricader chezAnnabelle…
—LapetiteveutvoirLise.…oupas.Ilaprisuncoupdevieux, lepère,et jemedemandes’iln’estpas luiaussienpleineconfusion,
commeAnnabellecetaprès-midi.Parcequej’aidûparlertrentesecondesetdemieaveclafilled’Angeet en plus, je n’ai aucun diplôme de parent, donc, je ne vois pas bien ce que je pourrais faire pourarrangerleschoses.
—Ellearrive,luiannonceAngesansmequitterdesyeux.Luiaussidoitêtreaubeaumilieud’undélirepsychotique.L’eauduquartierestsûrementintoxiquée.
Jemesenscertesunpeuencausepouravoirdéclenchécettesituation,cependantpas responsablenonplusdelaglumaudequisepayeunephobiedentaire,commeparhasardpileaumomentdesecoucher.Jeneveuxpasencorefairedelapsychologieparentale,maisenfin,ilmesemblequ’ilssefonttousbananerbiencommeilfaut.Sijen’aipasencored’enfant,ilyauneraisonàça.Endehorsdufaitquejen’aipasdepartenaire,s’entend.Cequiestundétail,noussommesauXXIesiècle,toutdemême.
Angemetourneledoset,aulieudecourirm’enfermeràl’abricommelaraisonmeledicte,jelesuis. Pas parce que j’adore les enfants, ni parce que j’ai une conscience, non. Simplement parce quedepuis que j’ai réalisé que j’ai fait une erreur en le quittant, ilmemanque. Ça fait dix ans qu’ilmemanque.Sijepeuxglanerquelquesminutesprèsdelui,mêmesipourçajedoissupporterlalilliputienne,jeprends.
Ilmeprécèdedanssonanciennechambrequiaétéadaptéepourenfaireunechambred’enfant.Çame faitbizarre…Ilyadu rosepartout, jemesensvisuellementagressée. Jevais faireuneoverdose.Sansparlerdeshurlements.
—Liiiiiiiiiise!L’angoisse.—Arrêtedepleurer!Ellesetétaniseenm’entendantcrier.Pourmadéfense,c’étaitmaseuleoptionpourqu’ellelamette
en veilleuse, question de logique. Que ça fait du bien de redevenir moi-même. Ah ! Finalement,fréquenterVoldemortçaconditionne,minederien.
—Bon,c’estquoicettehistoiredetétine?—C’estpasunetétine,c’estunetototte.Ett’asditquemesdentsellesallaienttomber!—Nemenspas,cen’estpasbeaudementir, tonnezvas’allonger.Non, jeplaisante, j’ajouteen
voyantsonaireffrayé,cesontdeshistoiresqu’onraconteauxenfantspour lesobligeràavoirunsensmoralirréprochable.Donc,j’aiditquetesdentsallaientêtredécaléesetqueturessembleraisàunlapinet…
Jem’interrompsenvoyantleregardassassinquemelanceAnge.—Toutçapourdirequetupeuxlareprendre,tesdentsnetomberontpas.Jetelejure.Ellenesemblepasconvaincue.Sespetitesépaulessontsecouéesdesanglotsàprésentsilencieux,
jeremarquequ’ellefaituneffortpourneplusrepartirdans lesaigus.J’apprécie.Jenesuispas trèsàl’aise avec les enfants, s’il est besoin de le préciser. Je n’ai jamais eu de petits autour demoi. J’aiquelques vagues cousins et cousines un peu partout dans le pays, je ne suis cependant assez proched’aucunpouravoirl’occasionderencontrerleurprogéniture.Quantàmesamis,ilssontcélibatairesousansenfants.Jesuispourainsidireenterraintotalementinconnu.
—Voicicequetuvasfaire:iltefautunsevrage.Cettefois,j’ignoreleregardd’Angeetjem’assoisàcôtédelapetitefille.Iln’avaitqu’àpasfaire
appelàmoi,maintenant,ilfautassumer.—C’estquoi?T’enasun?—Tudoist’habituerpetitàpetitàneplusgardertatétinepourdormir.Enplus,tonpapam’adit
quetuasdéjàcinqans,etmoiàtonâge…Jelaissevolontairementmaphraseensuspenshistoiredevoirsiellemordàl’hameçon.—T’aseumonâge?C’étaitquand?Y’atrèslongtemps,non?Salegosse.—Unevingtained’années,grossomodo,cequin’estpassilongtempsqueça.—Vingtans!Tuestrèsvieille!Patienceestmèredetouteslesvertus.—J’aivingt-septans,pourtagouverne,etjemeconsidèreencorecommeunejeunefemmedansla
fleurdel’âge.—T’aseuunetototte?—Oui,etjel’aidonnéequandj’avaistroisans.—T’enavaisqu’une?—Mesparentsétaienttrèspauvres.Alorsoui,jen’enavaisqu’une.Figure-toiquej’airencontréun
monsieurquiétaitencorepluspauvrequenous.Ilfaisaitdestravauxdansnotremaisonetilm’aavouéquesonbébén’avaitpasdetétine, ilsnepouvaientpasluienpayeruneavecsafemme.Ilsavaientdûchoisirentreacheteràmangerouune tétine.Alors je luiaioffert lamiennepourqu’il ladonneà sonbébé.
J’aitoutesonattentionàprésent.J’essaiedenepastropm’embrouillerdanslafausseanecdotequejesuisentrainderaconter.
—Jeconnaisbeaucoupdegensquin’ontpasassezdesouspouroffrirunetétineàleurbébé.Alorssituveux,tupourrasmedonnerlestiennesetmoijelesleuroffrirai.Ilfautyallerendouceur,hein,unsevragenesepratiquepasd’uncoupsinonturessenslemanqueet…
Angetoussepourattirermonattentionetj’interrompsmadigression.—Tuconnaisvraimentbeaucoupdegenspauvres?
—Unpaquet.Tun’aspasidée.Cequejeteproposepourcesoir,c’estdegardertatétinedanslamain,commeçatesdentsnecraignentrienetçatelaisseletempsdeluidireaurevoir.Tusais,lavied’unetétinen’adesensquesielleaconscienced’êtreauprèsd’unbébéquiavraimentbesoind’elle.
Ceque jepeux racontercommeâneriesquand je suis lancée.Ceseraitbienqu’Angemedisederentrerchezmoi,maintenant.
—Lestotottesontdesaventures,dansleurvie?Ellepeineàresterréveilléeetjepensequesij’arriveàlabaratinerencoreunpeu,jeseraibientôt
librederetournerchezAnnabelle.Jeregardelesdessinssurlemurtoutenreprenantmonhistoire:—Destasd’aventures.L’existenced’unetétinenes’arrêtepasquandtun’enasplusbesoin.Elle
n’estépanouiequelorsqu’ellearemplisamissionauprèsdeplusieursbébés.Siunpédiatrem’entendait, il auraitdeschosesàdiresur l’hygiènedouteusequemonrécit sous-
entend.—Alorstestétines,quandellesvontpartirchezd’autresbébésquienontvraimentbesoin,çava
êtreunpeucommeunerenaissancepourelles.Larécompenseultimec’estquandelless’aperçoiventquetun’asplusbesoind’elles,ellesontremplileurrôle,ellespeuvent…
Lamain d’Ange surmon épauleme fait sursauter. Il place l’index sur ses lèvres et je remarquequ’Emmas’estendormie.
—Depuisquandelledort?jechuchoteenlevantlatêteverslui.—Depuisqu’elleaposésadernièrequestion.—Tunepouvaispasmelesignalerplustôt?Jemelèveetsorsdelachambre.Quandjepassedevantlui,jevoisqu’ilseretientdesourire.Je
distingueàpeinesesfossettessoussabarbe, jevoudraispouvoirm’approcheretvérifierqu’ellessonttoujoursbien là.Cequiest stupide,bienentenduqu’ellesn’ontpasdisparu. J’atteins laportedechezAnnabellelorsqu’ilmedit:
—Hé,Queen…Merci.—Pasdesouci.
Ange
Ellevientseulementd’arriveretjecherchedéjàlamoindreexcusepourlavoir.Lasentirprèsdemoiravivetellementd’émotionsquejeneréfléchispas.Elleréveilleenmoitoutcequej’aienfoui.
Jenepensaisplusl’aimer.Jevoudraisêtreassezfortpour laregarderdanslesyeuxet luidirequ’ellen’estrien.Commeje
n’étaisrienpourelle.Etpuisjemerappellesonrire.Sesyeuxquipétillaientquandellemevoyaitarriververselle.Samainquiattrapaitlamienne,spontanément,chaquefoisquenousmarchionscôteàcôte.Sessautesd’humeur.Sonentêtement.Tout.Etjesais.
Lise
Jemeredressed’uncoupdansmonlit.Jenesuispaschezmoi,oùsuis-je?Ahoui…Complètementdésorientée, j’entends lasonnettede l’entréeet réalisequec’estcebruitquim’aréveillée.Je regardemon téléphone, il est déjà huit heures ! Ehmince…C’est l’infirmier ! Jeme lève,me rétame enmeprenant lespiedsdans lesdraps, attrapeunélastiqueetme faisunequeue-de-chevalenvitesseenmeprécipitantdansl’entrée.
—J’arrive!Je suis en pyjashort Star Wars et je n’ai bien sûr pas de soutien-gorge. Sur un malentendu,
l’infirmiernecapterarien.Oualors, ilseraassezpolipourfairesemblantdenepasremarquerquejeviensàpeined’émerger.
J’ouvreensouriant.
Ange
Elle vient de tomber du lit, littéralement je pense. J’aurais pu demander à Sofiane de venir, ouAnthony.Maisnon,ilafalluquejem’infligeça.
Jeluitendslaboîtequ’Emmam’adonnéepourelle.—Delapartdemafille.ElletefaitdirequelesautresQGarriverontbientôt,elledoitprendrele
tempsdedireaurevoiràchacune,avant.—Oh,d’accord.—Tuvasenfairequoi?—Lesdonnerauxpauvres?Jegrimace.—Jedéconne,jevaislesjeter,enfinsaufsituveuxlesgarderensouvenir,outafemme.—Lamèred’Emmaetmoinesommespasmariés.—Ah.—Jepeuxentrer?Ellesepousseetjemedirigeverslachambred’Annabelle.Cettefoisellenem’accompagnepas.Je
jetteuncoupd’œilpar-dessusmonépaule.Elleest toujoursà laporte,elle fixe laboîtedanssamaind’unairplutôtabsent.
Lise
Qu’est-ceque jevais faired’uneboîtepleinede tétinesmâchouilléesetcouvertesdemicrobes?J’entendsAngeetAnnabellediscuteretjesorsdemaléthargie.Jefermelaporteetmeréfugiedansmachambre.Aprèstout,iln’apasbesoindemoietjenesuispascertained’êtreréellementéveillée…OK,jemeplanque.Ilavaitditqu’ildemanderaitàuncollègue,etpourtant,ilestlà.Unepartiedemoiaenviedecroirequec’estpourmevoir.L’autresaitbienqu’ilestjustetrèsprofessionneletqu’ilfaitçapourAnnabelle.
Elle l’adore, depuis le début.Elle le connaissait avantmoi, ils ont toujours été voisins avec sesparents, et c’est commeçaque lui etmoinous sommescroisés, un jour.Puisun autre.Puisqu’ilm’aembrasséedanslesescaliersentrelequatrièmeetlecinquièmeétageoùiln’yajamaispersonneparcequetoutlemondeprendl’ascenseur.C’estcommeçaquenousnoussommesretrouvésdanslepetitboisquilongelarésidenceetqu’ons’estpelotéspourlapremièrefois.Sanslevoirvenir,c’estaussicommeçaqu’onapartagéquatreansdenosviesd’adolescents.Quatreans,quandonestjeune,c’estl’équivalentd’aumoinsledoubledansunevied’adulte.Aumoins.
—Lise?Je sorsdemachambre et jeme retrouve justedevant lui. Je suis encoredans lepassé et s’il se
penchait pourm’embrasser, il n’y a rien aumondeque je ne trouverais plus naturel.C’est incroyablecommeneufannéesn’ontpassuffiàeffacerlesquatrequilesontprécédées.
—Annabellem’aparlédesafilledécédéeduranttoutlesoin.—Hier,ellenem’apasreconnue.Jecroisqu’ellecommenceàperdresesrepères.Ilreculeetilmemanquedéjà.J’essaiedemefocalisersurAnnabelle,quiestbienplusimportante
quemesregrets.—C’estlapremièrefoisquetuconstatesça?—Çafaitdesmoisquejenel’avaispasvue.—Jecroyaisqu’elleallaitsouventenvacancescheztoi.—J’aibeaucoupdetravail.
—Ellen’apersonneàparttoi,tulesais.Le reprochedanssavoixn’estmêmepasdéguisé. Je l’encaissesansbroncher,bienqueçane le
regardeabsolumentpas.Jen’aipasàmejustifierauprèsdelui,nidepersonne.Cequin’expliquepaspourquoiçam’ennuieautantqu’ilaitunepiètreopiniondemoi.Çanedevraitpasm’atteindre.
—Tuasterminé?Jedoisl’aideràselaver.Je ledépasseet retrouveAnnabelle. Je l’entendssortirde l’appartement.Tantmieux. Il seprend
pourqui,sérieux?—Mademoiselle…Jefermelesyeuxuneseconde,letempsdemerecomposerunvisageserein.Lorsquej’aisuqu’Annabelleallaitavoirbesoindequelqu’unavecelletouslesjours,jen’aipas
hésitéunseulinstant.J’aiprismesdispositionspourletravailetj’aisautédansmavoiture.Elleetmoi,mêmesansliendesang,noussommescequiserapprocheleplusd’unefamillel’unepourl’autre.MesparentsviventenAustraliedepuismesdix-huitansetjen’aipourainsidirepersonneàparteux.Enfin,j’avais,puisqu’ilsontdéserté.Monpèreestdelà-bas,unmusicienassezconnudanssontemps,etc’estunpeul’autreboutdumonde.Annabellen’avaitqu’unefillequiestdécédéedessuitesd’unesepticémie.Sonmari,sesfrèresetsœurssonttousmortsdediversesmaladiesduesàlavieillesse.Ilnerestequ’elle.Etmoi.Alorslesreprochesd’Angeàmonégardmefontbienplusmalquejenel’auraispensé.Peut-êtreest-ce la culpabilité à son égard qui s’ajoute à celle que je ressens envers Annabelle. Si je m’étaispréoccupéeplustôtd’elle, j’auraisétélàetelleneseraitpasmontéesurcetabouretpourattrapersonplatàcouscousqu’elleestdetoutemanièreincapabledesouleverseule.Elleneseraitpastombée,neseseraitpascassélecoldufémuretnousn’enserionspaslà.
Maisavecdessi…—Annabelle,c’estmoi,Lise.Allonsàlasalledebain,d’accord?Ellehochelatête,maisjeréalisebienqu’ellenemereconnaîtpas.Jebaissesonlitaumaximum
aveclatélécommandeetj’approchelefauteuilroulantdubord.Jel’aideàs’yinstaller.Elleabeauavoirperdubeaucoupdepoids,ellerestedifficileàdéplacer.C’estcommes’occuperd’unenfant.Saufquejenemesuisjamaisoccupéed’unenfant,heureusementpourlui.
—OùestAlexandra?Jenesaisabsolumentpascommentgérerlasituation.Est-cequeçavautlapeinedeluiexpliquer
que sa fille est décédée ? Ou est-ce qu’il est préférable de ne pas la traumatiser puisqu’elle auraprobablementoubliéd’iciquelques instants?Enfin, jen’ensaisrien.Jen’aiaucuneidéedecequisepasse.Pourquoimaintenant?
Je l’aide à aller aux toilettes en préservant son intimité le plus possible et je constate qu’elle amouillésesvêtements.Jesuisunpeudépassée.Jen’aiaucuneformationd’aideàdomicile.Jefaismonmaximumpourqu’ellenes’aperçoivepasdemadécouverte.Jel’aideàprendresadoucheenévitantdelaregarder.C’estseulementquandje laraccompagnedanssonlitque jeréaliseque lesdrapsdoiventégalementêtrechangés.
—Tupeuxresterjusteunmomentdanslefauteuil?Jevaisrefairelelit,ceseraplusagréableavecdulingefrais.
—Merci,Lise.Jenesaispascommentjeferaissanstoi.—Arrêtederépéterça,tusaisbienqueçamefaitplaisir.Jesuissoulagéedevoirquesonépisodedeconfusionestpassé.Jechangelaliterieenpapotantde
toutetderien.— J’ai assez d’argent pour engager une aide-soignante, m’interrompt-elle. Tu sais que je peux
assumerlesdépensesnécessairessansproblème.Oui,jelesais.Annabelleaunpatrimoineassezimportantetelleadiverscomptesenbanquebien
garnis.Jenevoisnéanmoinspas l’intérêtdepayerquelqu’unalorsquejepeuxmechargermoi-même,gratuitement,detoutça,pendantquelquessemaines,aumoins.
Jelaréinstalledanslelit,finisdelaborderetmeredresse.—Nedispasdebêtises,jepeux…—S’ilteplaît,jeneveuxplusquetumevoiessidiminuée.—Çanemedérangepasdutoutdem’occuperdetoi,Annabelle.Aprèstoutcequetuasfaitpour
moi,çameparaîtêtreleminimum.J’essaiedemepersuaderquelesproposd’Angen’influencentpasmonentêtement.Envain.Jesais
quec’estmafaçondeluiprouverqu’ilatort.Mêmes’iln’ensaurarien.Jemeprouveàmoi-mêmequ’ilatort?Bref,ilatort,c’estçaquiestimportant.
—Jepréférerais,jevoudraisquetuconservesuneimagedemoiplusdigne.Ladignité.C’estpeut-être toutcequ’il lui resteactuellementet je suisen trainde la luidérobersansmême
m’enapercevoir.—C’estd’accord, jevaisme renseigner.Sachequandmêmeque je suis sincère,çanem’ennuie
pas.—Merci.Ellelèvelamain,faiblement,etmecaresselajoue.Pourquoiai-jel’impressionqu’elleacapitulé?—J’aiétémariéedeuxfois,tusais…Jem’assoissurleborddumatelasetposemamainsurlasienne.—Jel’ignorais.Jesuissurprisequ’ellenem’enaitpasparléavant.J’avaispourtant l’impressionqu’ellem’avait
racontétoutcequ’ilyavaitàsavoirsurelle.Toutescesheurespasséesàdiscuter…—J’étaistrèsjeune.J’avaisdix-neufans.Jel’aideàseréinstallerdanslelitetsonregardseperddansunautresiècle.Elles’anime,c’est
tellementrassurantdelavoirretrouverunepartiedel’énergiequejeluiconnais.—Je travaillais au cinéma avecmamère, tu sais quenous étionsune famille de filles. Il fallait
qu’onsedébrouilleparnospropresmoyens.Jetenaislacaisselessoirsdeséances,jefaisaisaussilacomptabilité.C’étaittrèsappréciéettellementrarechezunefemmequ’ilsétaientravisdem’avoirpour
lepeuqu’ilsmepayaient.Etmoi j’adoraisça.Lapremière foisque je l’aivu, ilvenaitpourLesDixCommandements,quisortaitàpeine.Ilétaitseuletvraimentélégant.Ilm’asouri,ilm’aremarquée.Lesclientsnemeregardaientpas,j’étaisjustelacaissière…Alorsquelui,ilaposélesyeuxsurmoi,pourdevrai.Etpuisilestrevenuàlaséancesuivante.Ilacontinuéainsichaquesemainependantdeuxmoisavantd’oserm’inviteràdîner.Nousnoussommestrèsvitemariés.Ilestdespersonnespourlesquellestuas lacertitudequ’elles ferontpartiede tavie.Pour lesquellesattendreundélai raisonnablene rimeàrien. Nous avons à peine eu le temps de nous aimer. Il a été appelé en 1958 enAlgérie, comme denombreuxautreshommesl’avaientétéavantlui,maisilétaitmilitairedecarrière,tusais.Noussavionsqueçapouvaitarriver.Iln’enestjamaisrevenu.Commebeaucoupégalement.J’étaisveuveàvingtans…
Je laisse le silence suivre cette confidence. Je sens les larmes affluer et je ne fais rien pour lesretenir. Les histoires tragiques comme celles-ci méritent qu’on ne se cache pas, qu’on les pleurelibrement.
—Alorstuvois,Lise,quandturencontresceluiquicomplètesibientonâmequec’enesteffrayant,nelelaissepaspartir.
—J’yveillerai.—Tuluiasdéjàtournéledos…Etsi ledestinleremetaujourd’huisurtonchemin,cen’estpas
sansraison.Nefermepaslesyeuxsurl’évidence.—Quelleévidence?—Ange…Jesoupire.Annabellen’a jamaisvraimentabordé le sujetavecmoi,avant.Elle saitquec’estun
terrainminé.Siellesouhaiteenparleraujourd’hui,c’estqueçadoitvraimentêtreimportantpourelle.—Tupourraisluiexpliquer,insiste-t-elle.—J’ailaissépasserpresquedixans,ilestplusquetroptardpourtenterd’expliquerquoiquece
soit.J’aifaitmondeuildecetterelationettudevraislefaireégalement.Ilaunefamille,maintenant.Ilestpasséàautrechose,faisonsdemême.
Jenevoulaispasêtresèche.Maiselleneserendpascomptequ’elleestentraindemedonnerdel’espoir.
—Alexandran’estpasarrivée?Mince,jel’aiànouveauperdue.—Jevaisfaireduthé…Jeretourneausalon,enfermelaportedecommunicationetappellelemédecingénéralistequisuit
Annabelledepuistoujours.Jemesensperdueetj’aibesoind’unsoutienmédical,neserait-cequepourm’aider à gérer la situation. Nous convenons d’un rendez-vous à domicile afin qu’il en profite pourrendrevisiteàAnnabelle,jesuisdéjàunpeurassurée.
J’essaieensuitedemechangerlesidées.J’envoieunemailàmonpatronpourluisignalerquejeneseraipasenretardsurlesdélais,etaussitôt,montéléphonesonne:
—Monroe!Tuenesoù,exactement?—J’avance,patron,j’avance.
—Nenousfouspasdanslamerde.Cettehistoiredetetirerdeuxsemainesavantlebouclage,déjà,j’ailesbonbonsquicollentaupapier!
—Maisje…Il raccroche. Stéphane Lans est un trou du cul,mais un trou du cul qui connaît parfaitement son
boulot.Ducoup,nousconsidéronstousquec’estunhonneurdetravaillersoussesordres.Officiellement.Carentrenous,nousl’appelonsVoldemortetnousfaisonsdesparissurquiseraleprochainàseprendreune soufflante du boss. Il tient le magazine Rock Your Soul depuis presque trente ans et c’est unincontournable,danslemilieu.Alorsquand,aprèsmonstage,ilm’aproposédetenirlarubrique«OldSchool»àlasuitedeceluiquipartaitàlaretraite,j’aiditoui.Personnenevoulaitdeceposte,carengénéral,lespersonnalitésévoquéessontmortesougrabataires.LesévénementssefontraresetàpartlespiliersincrevablescommeIronMaiden,AC/DCetlesRollingStones,c’estunpeularubriquequisentlanaphtalineetoùlesgroupessontàl’étatdemomie(vivanteoumorte).
Encemoment,jebossesurunarticlepassionnantquej’aiproposéenréunionéditorialeetquiafaitl’unanimité.Surlequeljerameunpeuparceque…Ehbien,parcequejeréfléchistoujoursaprèsavoirparlé.Etquedanslathéorie,faireunebattledetitresoriginauxversuslesreprisesétaitunebonneidée.Danslapratique,c’estunpeupluscomplexeet,soyonshonnêtes:jegalère.Maisj’aimelesdéfiset,detoutefaçon,sijenerendspasmonpapieràtemps,Voldemortmetomberadessus.C’estmotivant.
Jelancemaplaylistspécialementélaboréepourl’occasion.TheManWhoSoldtheWorldversionBowiedémarre,elleserasuiviedecelledeNirvana,biensûr.Cesmusiquesm’apaisentetj’arriveàmeconcentrersurautrechosequel’étatdemonamiequejevoissedégradersanspouvoirrienyfaire.
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Lise
—Donc,pourrésumer,jedoisessayerdelarecadrersurlaréalité,saufqueçanesertàrien?Jeconfirme:jesuispaumée.—Disonsquesonétatnevapass’améliorer.C’esttrèsfréquentdementalementdéclineraprèsune
fractureducoldufémur,àcetâge.C’estsouventunsignedelâcher-prise.Annabelleapprochel’âgeoùçaarrive,jenesuispasétonné.Essayezdeluiexpliquercequ’ilenestchaquefoisqu’elleseperd.
—Iln’yarienàfaire,concrètement?—Non,c’estmalheureusementirréversible.—C’estuneformed’Alzheimer?—Pasvraiment,plusunedémencesénile.Mêmesi,danslesfaits, lerésultatest lemême.Ellea
déjàpasséplusieursexamens,çaadémarréavantsonaccident,quin’arienarrangé.Ellenevousenapasparlé?
Jesecouelatête.Non,ellen’asûrementpasvoulum’embêteravecça.J’aieubeaucoupdetravail,cette année, avec les rubriques que j’ai décrochées à droite et à gauche.Elle aurait dû, pourtant, elleauraitdûsavoirquej’auraisétédisponiblepourelle.Lesparolesd’Angemereviennentenmémoireetçam’agacederéaliserqu’ilaraison.Ellen’aquemoietjen’étaismêmepaslàpourprendreconsciencedece qui lui arrivait. Je retiens mes larmes, encore. J’essaie, car si je commence à me laisser allermaintenant, je ne suis pas certaine de pouvoir m’arrêter. Et elle a besoin demoi, pas d’une versiondéfaitistedecellequejesuisvraiment.
—Vousconnaissezdesaidesàdomicilequipourraientvenirpourluifairesatoilette,ceschoses-là?Ellepréféreraitquecesoituneinconnueplutôtquemoi.
— C’est tout à fait compréhensible. Et croyez-moi, c’est mieux pour vous également. Il estsouhaitablequevousconserviezuneimagepositived’elledansvossouvenirs.
—Vousparlezcommesielleétaitdéjàmorte.
Ilsoupireenouvrantsasacochequidoitêtreaussiâgéequelui.Jenemesouvienspasl’avoirvusans. Jeme concentre sur ce détail, çam’aide à tenir le coup. Ces petites touches de normalité sontsalvatrices. Elles donnent l’illusion que tout va bien. Elles distraientmon esprit du désespoir quimepousseraitpresqueàallumerlatéléetàbaderlesprogrammespourris.Presque.
— Préparez-vous à ce que ce soit psychologiquement très difficile. Vous la connaissez depuislongtempsetlapersonnequ’elleestentraindedevenirn’aurabientôtplusriendecommunaveccellequiétaitvotreamie.
Ilsortunecartedufatrasdepapiersquidébordentdesamalletteetmelatend:—Voici les coordonnées d’une association qui fournit des aides à domicile en tout genre.Vous
devriezrapidementlesappelerafindemettreçaenplaceauplustôt.—Merci.—Nepartezpasperdante,ilsepeutquesesépisodesdeconfusionrestentsporadiques.Préparez-
vous quand même. Ce qui est réconfortant, c’est que durant l’épisode, elle-même n’a pas réellementconsciencedecequisepasse.Elleestenferméedanscetteépoquedesaviequiappartientaupassé,sansavoiraucune idéedecequi seproduitdans lemomentactuel.Elle réalisera,pendant sespassagesdelucidité,qu’elleperd lamémoireduprésent,maisellen’ensouffrirapas,elle serasimplementunpeudésorientée.C’estuneconsolation,bienmaigre,j’enconviens,maisilfautvousraccrocheràtoutcequevouspouvez.
—Jevois,d’accord…Ça en fait des informations à encaisser. Je me demande à quel moment je vais craquer et tout
envoyer valser. Je suis venue pour aider Annabelle pendant sa convalescence etme voilà à assister,totalementimpuissante,àsadescenteauxenfers…
Lemédecinestpartidepuisplusieursheures,l’aideàdomicilevadémarrerdèscesoir,Annabellem’aappeléetroisfois«Mademoiselle»etm’aencoredemandédeuxfoisoùétaitsafille.Jepensequ’onpeut considérer que c’était une journée bien remplie. Sans parler du conseil qu’ellem’a donné et quitourneinlassablementdansmatête.Ellen’auraitpasdûmediretoutça.J’avaisréussiàéteindrelapetitelueur d’espoir par rapport àAnge et la voilà ravivée. Je vais juste un peu plusme faire souffrir. Etcommej’aiunkarmamoisietpuant,c’estlemomentqueJérômechoisitpoursepointersurlebalcond’àcôté.
Il est toujours aussi beau, il lui ressemble sans lui ressembler. Il est brun, il porte ses cheveuxcourts,sesyeuxsontaussibleusqueceuxd’Ange.Ilstiennentçadeleurmère.Ilsn’ontquedix-huitmoisd’écartalors,mêmesiAngeestl’aîné,ilssontsouventsurunpiedd’égalité.Enfin,ilsétaient.Jenepeuxplusparlerd’euxcommesijelesconnaissais.L’hommequimeregarde,là,n’aplusrienàvoiraveclegarçonquim’aenvoyéemefairevoirquandjesuisrevenue.Niavecceluiquipassaitsessoiréesavecnousàécouterdelamusique,rireetmangerdespizzas.
Lorsquej’aiprévudeséjournerquelquessemainesici, j’avaisplutôtbienréussiàocculterlefaitquelafamilledemonexyvivait.Naïveetstupide…Jevaispeut-êtretoucherunmotàAnnabellesurla
nécessitéd’installerunecloisonopaqueentrelesdeuxbalcons,surtoutsijedoisypasserdutemps.—Emmam’aparlédetoi.Bonjouràtoiaussi,connard.D’ailleurs,jeneprendspaslapeinedeluirépondre.Jeprofitedelasiested’Annabellepourfaire
lepleindevitamineDtoutentravaillantsurmonarticle.J’aibienavancé,mêmesicen’estpasencoreça.Etpeuimportequivitousepromènesurlebalcond’àcôté,j’ailedroitd’êtretranquille.IlestentraindemepourrirKnockin’onHeaven’sDooretça,jenesaispassijepourraisleluipardonner,enrevanche.Donc,çaseraitparfaitqu’illaboucle.Genre,maintenant.OnnegâchepaslaversiondeDylan,quandmême,unpeuderespect!
—Tuesrevenuepourlui?—Vatefairefoutre,Jé.Bon,j’airépondu.Jenesuispastrèsdouéedanslaguerredusilence.C’est-à-direquej’aimerais
bienbossersansêtreinterrompuepartoutlevoisinage.—Laisse-letranquille.—Qu’est-cequetunecomprendspasdans«vatefairefoutre»?—Jeneplaisantepas,Lise.—Moinonplus,Jérôme.Cequeçapeutm’agacerquandlesgenss’adressentàmoienmettantmonprénomenavant,comme
sij’étaisunegaminequiavaitbesoind’êtreremiseàsaplace.Hein,Lise,noussommesd’accord,Lise,tuascompris,Lise…Jeconnaismonprénom,mercibien.Bonsang,ilm’adéjàfaitlecoupilyaneufans,cebouletplus
jeunequemoi!Ilmefaitpasserpourunsuccubedoubléd’uneveuvenoire!—Jetepréviens,je…—Quoi?Tuvasmettreuncontratsurma tête?Non?Bon,alors, jenevoispasbienceque tu
pourraisfaire.JesuisicipourAnnabelle,queçateplaiseounon.Quantàmarelationavectonfrère,elleneteconcernepas.
—Pourquoitucriessurmontonton?Ilnemanquaitplusquelanaine.—Tun’esjamaisàl’école,toi?—C’estlesvacances,jesuistoujourschezpapyetmamiependantlesvacances.—Tuparlessurunautretonàmanièce!Je l’imite en grimaçant avec une toute petite voix aiguë, ce qui fait rireEmma,mais pas du tout
Jérôme.J’adresseunclind’œilàlapetitefillequimelerendbien.Enfin,ellefermelesdeuxyeuxtrèsfort,c’étaitbiententé.
—Viens,Emma,onrentre.—Non,jeresteavecLise.—Elleadutravail.
—Absolumentpas!BonjourEmma,j’aibieneutonQGdetétines,jelefaispasserauxnécessiteuxdèsquepossible.Alors,qu’as-tufaitdebeau,aujourd’hui?
Jeneleregardepas, jesaisqu’ildoitêtreentraindetenterdem’éliminerfaçonJedi.Siçapeutl’agacer,jesuisprêteàpasserunmomentaveclaglumaude.Jenesuispasspécialementvindicativedenature,exceptélefaitqueJérômealedonderéveillerenmoilespiresaspectsdemapersonnalité.Oui,d’accord,jesuisclairementrevancharde.J’essaiedemecontrôler,onvadirequec’estunbondébut.Cen’estpasunemauvaiseidéed’accumulerdesbonspoints,sait-onjamais,qu’ilyaitvraimentunparadis,voireuneréincarnation…Etlesenfants,c’est«pointscomptenttriple»,aumoins,non?
Emmaprendunairpensifavantdedéclarer:—J’airegardéRaiponce,etpuis j’ai fait lesalonde théet tontonafaitunevidéo.Tumontres?
ajoute-t-elleàl’attentiondeJéquisembleravi.—Jen’aipasmontéléphone.—Jevaislechercher!Lamisspartencourant,manquedeseprendrelabaievitréedanslatête,faitundérapagecontrôlé
surlecarrelageetdisparaîtdansl’appartement.Jefaisexprèsd’ignorerJérômequifulminecertainement.Emmarevienttrèsviteavecuntéléphoneetmelecollesouslenez,oupresque,vuladifférencedetaille.Jemepencheunpeupar-dessuslabarrièreoùjel’airejointe.Sononclesesaisitduportableetlancelavidéoavantdeleluirendre,sansunmot.Cettegamineatoutelafamilleàsonservice,c’estévident.Elleouvre ses grands yeux bleus etm’est avis qu’elle peut demander n’importe quoi à n’importe qui, ellel’obtiendrad’unbattementdecilsetd’unpetitcourantd’airdanssesbouclesblondes.
Jeregardelavidéooùonlavoitconsciencieusementservirlethé.—C’estbien,cependant,sais-tuquelethéestvivementdéconseilléauxenfants?—Pourquoi?—Lathéinec’estcommelacaféine.Çatesurexciteetaprès,impossibledet’endormiretturends
tesparentscomplètementchèvre.Sienplus tumangesdesalimentssucrésaprèsdix-septheures,c’estterminé,tevoilàréveilléejusqu’àminuitàcourirpartoutcommeunedératée.
—Pasdethé,pasdecafé,alors?—Jamaispourlesenfants,non.—Etquandjeseraigrande?—C’estàréfléchir.Parcequecesontdesboissonsqui tachent lesdents.Alorsaprès,si tuveux
avoirlesdentsmarron,c’esttoiquivois,hein.Franchement,unejoliejeunefillequidégaineunsouriredegueuse,çalefaitmoyen.
—C’estquoiunegueuse?—Emma,c’estl’heuredugoûter,non?PiètretentativedeJérômepoursedébarrasserdemoi.—Ilestquelleheure?luidemandelapetitedemoiselle.—Quatreheuresetdemie,environ.—C’estquanddix-septheures?
—Danstrenteminutes.—C’estlongcommenttrenteminutes?—Ben…commetrenteminutes…unedemi-heure,quoi…—C’estlongcommentunedemi-heure?—Jesaispas…comme…—CommelamoitiédeRaiponce,j’interviensenjubilant.J’adorelevoiressayerdes’ensortirenéchouantlamentablement,etc’estencoreplusjouissifde
l’interrompreetdeconstaterlacompréhensionsurlevisaged’Emma.—Sijeveuxdescéréalespourmongoûter,jedoismedépêcher?C’est à moi qu’elle pose la question et je ne peux m’empêcher cette fois de lancer un sourire
étincelantdesatisfactionàJé.J’ailajubilationmodeste.—C’estça,parcequec’estbientôtdix-septheures.Si tuveux, tupeuxdemanderà tononclede
mettreunealarmesursontéléphone,commeça,tusaisquandc’estdix-septheures.Mouhahaha,jesuisfourbe.—Tonton!—Rentreprendretongoûter,Emma,j’arrive.—Àbientôt,Lise!—Àbientôt,EmmacommeMadameBovary!—C’estquiMadameMovary?—Jeteracontelaprochainefois,promis.Ellemelanceunbisoudeloinetjel’attrapeauvolavantdeledéposersurmajoue.Ellemerend
chamallow,cettegosse,jedoismereprendreouVoldemortneferaqu’unebouchéedemoi.Elleretourneàl’intérieuretmoijem’installeàlatabledejardin,devantmonordinateur,commesiderienn’était.
—Tufaischier,Lise.—Toutleplaisirestpourmoi,Jé.Jen’aiaucunscrupuleàutiliseruneenfantpourridiculisermonennemijuré.J’achèteceuxdemon
quartieravecdesgoodies,alorsjenesuispasàunecorruptionprès.D’ailleurs,jevaisenvoyerunemailaustagiaireaumagazinepourqu’ilm’enfasseparvenirunlot.Histoired’êtresûrequelagamineserademoncôtélaprochainefoisqu’onseretrouveratouslestroisavecsonconnardd’oncle.
Je relève la tête et constate que je suis seule. Je rentremoi aussi pour préparer une collation àAnnabelle.Enespérantque,cettefois,ellemereconnaîtradupremiercoup.
«Non,laisse-moi,jenepeuxplussouffrirtaprésence.Tumedégoûtes!—Jet’enprie,essaiedecomprendre!Jenesuisplusl’hommequej’étaisalors!—Tesmensongesnem’atteindrontplusjamais!Jetehais,tuentends!Adieu!Elle sortit en courant, ses longs cheveux blonds fouettant le vent avec une fougue qui n’avait
d’égalequesadéterminationàmettreleplusdedistancepossibleentrecetindividuqu’elleexécraitetsoncœurmeurtri.»
—Sérieusement?Jetrouveçatrèsmauvais,Annabelle.Ondevraitchangerdelivre.—Continue,s’ilteplaît,jeveuxsavoirs’ilessaiedelarattraper.Jesouris.Annabelleatoujoursétéfandesromansàl’eauderoseet,depuisquesavueabaissé,je
suislectriceofficielle.AucuneromanceavecFabioencouverturen’adesecretpourmoi.J’aiunecultureinquiétantedanscedomaine.Desannées80ànos jours, toutyestpassé,dumédecinaucow-boysansoublier lemilliardaire ! Je reprends doncma lecture en essayant demettre le ton dans les dialogues.Quitteàfairequelquechose,autantlefairebien.
«Lydia,monamour,écoute-moi,jepeuxtoutexpliquer!—Arrête !Nem’abreuveplusde ton venin ! Je refusede te laisser continueràme servir tes
salades!—Ellen’estrien!Ellen’ajamaisrienreprésentépourmoi!Sesyeuxbleuazur,danslesquelsLydiaparvenaitd’ailleursàlirelasincérité,lascrutaientavec
désespoir. Oui, il pensait réellement ce qu’il disait. Soudain, ce fut le désir et la fougue quiremplacèrent l’inquiétude dans le beau regard de celui qui lui avait ravi son cœur des annéesauparavant. Ses jambes devinrent aussi molles que de la gelée à la groseille et il la rattrapa dejustessealorsqu’elleperdaittotalementpied.»
—C’étaitouvert…Jemeretourned’uncoupetdécouvreAnge,tranquillementinstallécontrelechambranledelaporte,
lesbrascroisés,undemi-sourireauxlèvres.
5
Lise
Parfait.—Jecroisqu’elles’estendormie,fait-iljudicieusementremarquer.Je reporte mon attention sur Annabelle qui roupille en effet sereinement pendant que je me
ridiculise. Cette situation commence à se répéter un peu trop àmon goût. Serait-ce un coup du vieuxbonhommelà-hautquis’éclateàfairedemavieunevasteplaisanterie?
—Jevouslaisse,j’annonceenmelevant.Jemedrapedansleslambeauxdemadignité(cesromancesàl’eauderosecommencentàdéteindre
surmoi) et sorsde lapièce. J’aidumal àm’empêcherde sourire et jepensequ’Ange s’enest renducompte.Cequimedonnelafausseimpressionqueluietmoipouvonstoujoursêtrecomplices.Peut-êtrequesijepartaisencourant,enfouettantleventdemachevelurebouclée,iltenteraitdemerattraperet…C’estcela,oui.Ilesttempsquejemeprépareuneinfusion.
J’ai ramené avec moi ma tisane elfique, un mélange d’herbes apaisantes, je pense que je peuxm’octroyerunedoubledose.D’habitude je fais attention, carcepetitpaquetdeverdurecoûteun rein,maisonvadirequecesoir jemefaisplaisir.Jem’installeà la tablede lacuisinepourdégustermonbreuvagehorsdeprixquandAngemerejoint.
—Jepeuxm’asseoirunmoment?J’aiunpeudetempsavantmonprochainpatient.—Biensûr.Tuveuxuneinfusion?—Non,merci.Ilprendlachaiseenfacedemoietmefixeensilence.J’aimel’avoirsiprèsdemoi,mêmesi je
doute quemon cœur s’en remette tellement il s’emballe. Ange porte ses cheveux attachés en arrière,quelquesmèchesretombentsursonvisage,çaluivabien.Ilneditrienetçacommenceàdevenirunpeuembarrassantparceque, lui aussi, ilmedétaille sansvergogne.Oualors, jeme faisdes filmset il secontente deme regarder normalement. Ce qui est plus que probable. Il n’y a aucune raison qu’il meregardeautrement.
—IlyaunsouciavecAnnabelle?jeluidemande,inquiète.Commejel’aidit,jenesuispastrèsdouéeenguerredusilence.—Jesuispassévoirmafilleavantdevenir.—D’accord.Jenevoispasenquoi çameconcerne,mais jenevaispas le contredire. Ildoit avoirun tasde
seringuesdanssonsacàdosetjenevoudraissurtoutpasluidonnerunebonneraisondes’enservirsurmoi.Debonnesraisonssupplémentaires,s’entend.
— Elle refuse de boire son chocolat chaud à l’heure du goûter. Une idée de la raison de cettenouvellelubie?
Jeplongedansmoninfusionenréprimantunfourire.Cettegaminealechicpourtransformertousmesproposetqu’ilsseretournentcontremoi.Pourtant,aulieudem’agacer,çam’amuse.Cequienditlongsurmonâgemental.
—Ilparaîtqueçapourraitlarendre«ratée».Toujourspasd’idée?— Il se peut que j’aie éventuellement amené le sujet sur le tapis.Laisse-moi te dire que ta fille
entendcequ’elleveutentendre,carjen’aiabsolumentpasincriminélechocolat.Justelethéetlecafé.Etlesucreaprèsdix-septheures.Cequi,àmonhumbleavisdenullipare,devraitdetoutefaçonêtrepristrèsausérieux.Considèredoncquejet’airenduservice.
—Ellet’aimebien.Jehausselesépaules.C’estmignonettoutça,enfinbon,lesgosses…—Tufaissouventlalectureàvoixhaute?—Ellenedormaitpasquandj’aidémarré.Ditcommeça,cen’estpastrèsflatteur.J’endorslesvieuxenlisant.Pourtantj’aimisletonettout.Ilmesourit.Attaquedefossettesquejedistingueenfin.Soupirintérieur.Jeluirendssonsourire.Cen’estpasgrand-choseetçamefaitdubien.Legenrededétailquiestlebienvenu,surtoutdans
lescirconstancesactuelles.—Tescheveux,jenecroispasquetulesaiesdéjàeusaussilongs.Jebaisselesyeuxsurmesondulationsquim’arriventsouslesseins.Oui,c’estvrai,ilsn’ontjamais
été aussi longs. Et qu’il le remarque, c’est bête, çame fait plaisir. Il a l’air dans ses pensées. Je nerépondspas.Jelaissecetteremarqueapriorianodineprolongercetinstant.Ilsereprendrapidement:
—Annabelleétaitenforme,cesoir,ellem’areconnuetm’aditquetuavaisprisdesdispositionspourqu’uneaideàdomicileviennepasserdutempsavecelle.
Dommage, j’ai cru qu’on avait enterré la hache de guerre. Naïve et stupide, c’est confirmé.Forcément,jesuisdesuitesurladéfensive:
—Elleainsisté.Jenefuispasmesresponsabilités,sic’estcequetusous-entends.Illèvelesdeuxmains:
—Jenetereprocherien,jem’informe.—Biensûr.—Jevaisyaller.—Oui,bonneidée.—Pourquoitutebraques?Jet’aiconnuemoinstendue.Je suis tellement étonnée qu’il aborde notre passé commun que je ne réponds rien et le regarde
partir.
Qu’y a-t-il de plusmalhonnête quede donner des conseils sur la vie sexuelle des gens quand lanôtreestquasiinexistante?Ehbien,êtrepayéepour.Voilà,c’estmontaf.Enfin,celuidontpersonnenesoupçonnel’existence,àpartLoïc,biensûr.Jegèrequelquesrubriquessexoetcourriersducœurpourdesmagazinesetwebzinesféminins.Monrêve,c’estlamusique.Maissilesrêvespayaientlesfacturesetremplissaientlesfrigos,çasesaurait.Jesuispatiente,jesaisquejefiniraiparmefaireunnomdanslemilieu.
Jerépondsengénéralàtouteslesquestionsquenousrecevonsàlarédaction.C’estensuitelarédacchef qui choisit celles qui seront publiées dans cet hebdomadaire à tirage national. Et certaines sontégalementdiffuséessurlesiteInternet.J’yœuvresouslepseudoKinkyLili,dégotéparLoïc.Iladoremecharriersurlesréponsesparfoissaugrenuesquej’apporte.
Loïcmemanqueetj’aimeraispouvoirmeconfieràlui.Surtout.Nousn’échangeonsquequelquesemailsoùje le tiens informédelasituation,sansentrerdanslesdétails.Alors jem’absorbedansmesrubriquesfémininesaulieudecéderàlatentationdem’épancheretgeindreàsonoreille.Etpuisc’estplussérieux.
Finalement,jenem’ensorspastropmal,financièrementparlant.J’aimeraisallerplusloin,quandjevois des collègues qui finissent par avoir des émissions à la radio ou à la télé, forcément, çame faitrêver.Jesuismeilleureàl’écrit,c’estcertain,jenesuiscependantpascontreexplorerd’autresmédias.C’est mon truc, l’ambition professionnelle. C’est ce que je fais le mieux. Je fais aussi très bien letiramisu,maiscelaesthorspropos.Bienquemaversion,avecdesThédeLuetunecouchedepâtedeSpéculoos,soitindécentetellementelleestdélicieuse.Etcommecedoitêtreleseulplatquejecuisine,j’ai tendance à souvent le réaliser pour compenser le fait que je sois incapable de m’en sortir auxfourneaux.D’ailleurs,jedevraisenfaireun,tiens.J’aifaim.
Ambre, la nouvelle aide à domicile, vient de donner sa douche à Annabelle et je les laissetranquillementfaireconnaissance.Mêmesijesupposeque,forcément,lefaitdel’avoirlavéecréedesliensetqu’ellesontdéjàpartagéquelquechosedetrèsintime.Jelesentendsdiscuterdanslachambre.Ellerestejusqu’àvingtheuresetasouhaités’occuperdurepas.C’estellelapro,jesuislemouvement.Maisj’avouequeçamefaitquelquechosedeluipasserlamain,jemesensinutile.
Je ne suis pas étonnée d’entendre la sonnette vers dix-neuf heures trente. Une intuition. Pasforcémentdebonaugure. Je terminemabouchéede tiramisu,une tueriecomme je ledisais,et jevaisouvrir.
Lise
Angea l’airpassablement agacé,probablement les restesdenotre conversationde tout à l’heuremélangés à la nouvelle fixette de sa fille. Pour laquelle je ne me sens absolument pas responsable,d’ailleurs.
—Elleveutencoretevoir.Etcen’estpasmonidée,monpèrepensequeçanousépargneralescrisqu’onaeushiersoir.
Jeterminemacuilleréeetj’essaiedefairecommesijen’avaispasremarquéquelesyeuxdemonvoisinprovisoiresontfixéssurmeslèvres.J’espèresurtoutquejen’aipasduchocolatpartout.
—Tuas…Iltendlamain,commepourmetoucher,seravise.Jemetourneverslemiroirdel’entrée.Benoui,
j’aiduchocolatauxcoinsdeslèvres,c’esttellementplusfun,commeça.Jem’essuierapidement.—Jepréviensl’aideàdomicileetj’arrive.JeluitourneledosetvaisinformerAmbrequejesuisjusteàcôtéencasdebesoin.D’aprèsceque
je vois, elles se débrouillent parfaitement sans moi, ce qui me contrarie, et j’arrive donc dansl’appartementvoisinunpeucrispée.
—Bonsoir,Hélène.Je salue lamère d’Ange en souriant, je l’ai toujours appréciée.Même si le regard acéré que je
récolteme rappelle que j’ai fait souffrir son fils et qu’elle neme le pardonnera pas aussi facilement,voirejamais.J’ajoutecelaàmonhumeurdéjàpeuenjouéeetvaisdirectementdanslachambred’Emma.Dèsqu’ellemevoit, elle sautede son lit et s’accroche àma jambe. Je la secoueunpeupourqu’ellelâche, récolte un regard réprobateur du père de la glu et tente dem’agenouiller pourmemettre à lahauteurd’Emma.
—C’estunetétinequejevoisdanstabouche?—Cheluidisauvoircommecha.—Enlève-laquandtumeparles,sinonjenet’écoutepas.C’esttrèsmalélevédeparleràquelqu’un
labouchepleine.
Elleobtempèreetjeluifaislâchermajambeenignorantl’ombred’Angequiserapproche.—Quelest leproblème?Tusaisquej’aiunevie,quandmême?Jenepeuxpasvenirteborder
touslessoirs,c’estleboulotdetesparents,voiredetesgrands-parents.Paslemien.Saufsionmepayaitpourlefaire,exceptéquejenesuispasbaby-sitter,doncj’aimeautantquenousréglionsleproblèmeetquecelanesereproduiseplus.
—J’aimangédudessert.—Etalors?—C’étaitdusucreetilétaitplusquedix-septheures.J’avaisoublié.Papyditquec’estpasgrave
maisjeveuxpasêtreratée.—Jen’aipasditquetuseraisratée,pourcommencer.J’aiditquetucourraispartoutcommeune
dératée.—C’estquoiunedératée?—Unefolle.Ilpeuttoussotersiçal’amuse,jesuislààsademande,maintenantilfaitavecetbasta.—Tuasbrossétesdents?Ellehochefrénétiquementlatête.—Bon,çaira.J’aioubliédetedirequ’onadroitàuneexceptionsucréeendessert,lesoir.Sion
sebrossebienlesdentspendanttroisminutes,puislalangue,çapasse.Ellesetourneverssonpèreavecunairdésespéré:—J’aipasbrossémalangue!—Vas-y…Il sembleblasé.Attends,mongars, si tun’expliquespas correctement à ta fille l’hygiènebucco-
dentaire,cen’estpasmafaute!Ellesortdelachambreencourant,faitundemi-touretrevientseplanterdevantmoi:—Tuparspas,jereviens!—Faisvite,jesuisoccupée.C’esttotalementfaux,maissijepouvaisnepasavoirl’aird’unenolife,ceseraitpasmal.Ellefile
ànouveauàtouteallure.Jeprendsappuisurlesolpourmereleveretglissesuruntrucroulant.Angemerattrape,jel’entraînedansmachuteetnoustombonssurunelicorneenpeluche.Letoutenunesecondeetdemie,environ.J’enailesoufflecoupéparceque,concrètement,ilesttombésurmoi.
—Mince!Çava?Ilserelèveetmeprendlesmainspourm’aideràmeremettremoiaussisurpieds.—Jecroisqueoui…Jerelèvelatête,croisesonexpressionamuséejusteavantqu’ilnesemetteàrire.Jel’imite,c’est
sûrementunefaçonpournousd’évacuerlestressquenousavonsaccumulé.—Vousfoutezquoi?Ahben,siJérômeveutse joindreànous,pourquoipas.Jedoispouvoirm’arrangerpourqu’ilse
pètelatronche,luiaussi.Etqu’iltombesurquelquechosedebienpointu.Pileentrelesjambes.Moi,si
jepeuxrendreservice,hein.—Unebelote,jegagne.—EmmavoulaitvoirLise,enchaîneAngeenreprenantsonsérieux.—Tonton!Lisevameracontermonhistoiredudodo!s’écrielafilledemonexenseprécipitant
surmoi.Plaît-il?Elleestsérieuselademi-portion?Jelèvelesyeuxetcroiseleregard(bleuazur…jedéconne)d’Angequihausselesépaulesl’airde
dire«c’estellelaboss».—Enmêmetemps,j’aiététémoindetesdonsdenarratrice,lance-t-ill’airderien.Jerêveouilsefoutdemoi?—S’ilteplaît,Liiiiise…mesupplielanaine.—Tuvaslalaisserseuleavectafille?Aprèscequ’ellet’afait?Jel’avaisoublié,lefrangin.Cettepetiteréuniondefamilledontjenefaispaspartiecommenceà
metapersurlesnerfs.—Tonton,tun’aspas,genre,untrucàfairedansl’espace?jeluirétorque,sanschercheràmasquer
monimpatience.—Lise,jetepréviensje…—Onlalitcettehistoire?jeproposeàEmmaquimelâcheenfinlajambeetvaseblottirdansson
lit.J’entendsJésortiretjesaisqu’Angeestjustederrièremoi,cequimerendunpeunerveuse…alors
jetentedefaireabstraction.—Tuveuxquoicommehistoire?—Lapetitesirène!—Jen’aimepasl’histoiredelapetitesirène,jevaisplutôtteraconteruneversionsympathiquede
Mélusine,quiestaussiunesirène,çateva?Mêmesijeviensdetespoilerl’undesmomentsclefsdel’histoire.
—D’accord.—Alors, ilétaitunefoisunprincetrèsricheet trèsbeau,commelesont touslesprinces,quise
languissaitdetomberamoureux.—C’estquoiselanguissait?— Si tu commences à m’interrompre, ça ne va pas le faire. On ne coupe pas la parole. Et tu
regarderasdansledictionnaire.—C’estquoiundictionnaire?—Unlivrequit’expliquetouslesmotsquetunecomprendspasparceque,lui,ilaletempsetla
patienceetquec’estsonboulot.—Jesaispaslire!
— Il est temps d’apprendre, je te rappelle que l’année prochaine, tu rentres au CP. Bon, monhistoiret’intéresse?Sinonjem’envais!
Elleposesonindexsurseslèvresscelléesetjereprendsdoncmonrécit:—Ceprinceavaitsonroyaumeauborddelamer.Cequiestfortcommodepourl’histoirequinous
intéresse.Touslesjours,ilseplantaitsursonrocherpréféréets’écriaitdanslevent,vêtudesachemiseà jabot, sescheveuxcouleurdesblésondulantaugréde labrisemarine :«Pourquoinepuis-jeenfintrouverl’amour?»
Je dois sérieusement arrêter avec les livres d’Annabelle, je commence à avoir des tendancesmièvres.Emmaal’aird’apprécier,celadit.Sondoigtn’apasquittésaboucheetsesyeuxsontgrandsouverts.Elle,aumoins,reconnaîtmestalentsoratoires.Merci.
—Un jouroù il se lamentait encore, il aperçutune chevelure rousse et bouclée à la surfacedesvagues.
—C’estMésine!—Oui,c’estMé-lu-sine.Répèteaprèsmoi.Mé-lu-sine.—Mé-lu-sine.—Bien,àtonâgec’estquandmêmemieuxdenepasécorcherlesnoms.Parcontrenem’interromps
plus,tuasgâchémachute.Jedisaisdonc,ilaperçutunetêtedansl’eauetàpeinefit-ilunpasdanssadirectionqu’elledisparut.Plusieursjoursplustard,ilguettaitl’océanetpaf!
Lapetite sursaute enmême tempsque je tapedansmesmains. Je suis fandes effets de style. Jedevraispeut-êtreenajouterpourAnnabelle,c’estçalasolution!
—Voilàqu’ilserenditcompteque,enréalité,elleavaitunequeuedesirène!«Nepartezpas!»qu’illuidit,maistupenses,elleétaitdéjàaufonddel’eau.Encoreplusieursjourss’écoulèrentsansqu’ileût de ses nouvelles quand unmatin, alors qu’il commençait à perdre espoir, elle revint. «Monpèreaccepte que je vous épouse et me donnera des jambes humaines à une condition : chaque soir jem’enfermeraidansmesappartementsetvousnedevrezpasmerendrevisitesansmonautorisation.»Leprinceaccepta, ilétaitunpeudésespéréetnevoulaitpasfinirvieuxgarçon.Etpuis leroiavaitenvied’unedescendance,çacraintunroyaumesanshéritiers,c’estuncoupàattirertouslesopportunistesducoinetàsecoltineruneguerre.Y’aqu’àvoirdansGameOfThrones.Bref,Mélusinetombaitplutôtbien.Ilyeutunbeaumariage,toutça,etunsoir,alorsqueMélusines’étaitenferméedanssachambre,commeconvenu,unamiduprinceluifitremarquerquec’étaitbienétrangequesafemmefassedespetitssecrets.Piquépar lacuriosité, leprinceentrasansse faireannonceretdécouvrit sa jeuneépousedansunbacd’eau,unequeuedeserpentàlaplacedesjambes.Ellepoussaunhurlementstridentquibrisatouteslesfenêtresdupalais,cequiallaitcoûterunefortuneauroipourlesremplacer,ets’écria:«Tum’astrahie,tunemereverrasplusjamais!»,avantdesauterparlafenêtre.Celle-ciétaitparchancejusteau-dessusdelamer,çaauraitétédommagequ’ellese…
—Jepensequ’onestbonpourcesoir,faitremarquerAnge.—Jen’aipasterminé!—Laversioncensuréesuffira,merci.
Lemonden’estpasencoreprêtpourcequej’aiàluioffrir.Ils’approcheetembrasseEmmasurlefrontavantd’arrangerlescouvertures.Ellefixesesgrands
yeuxsursonpèrecommelespetitesfillessaventlefaire.Avecuneexpressionquiveutdire«monpère,cehéros».Çamefaitquelquechosedelesobservertouslesdeux.Unepetitevoixdansmatêtemeditqueçaauraitpuêtremafamille.Etçamefaitfrémird’horreur,parceque…uneenfant.
Jemelèveetadresseunclind’œilàmanouvellecopineavantdem’éclipser.J’arriveàpeineàlaported’entréedechezAnnabelle,jesensqu’ilestderrièremoi.
—Merci.Jenesaispaspourquoi,tafranchiseluiplaît.Jemeretourneetluidemande:—Ettoi?—Moiquoi?—Est-cequetumedétestestoujours?Ilmeregardesansriendire.Jen’arrivepasàdéchiffrercequipassedanssesyeux.Dommage,avec
Edward,dans la romanceque je lisaisàAnnabelle,çaavait l’air si simple.Malheureusement,mavien’estpasunromanetjeneparspasgagnanteavecun«etilsvécurentheureux»souslebras.
—Jesuisdésolée,tusais…pourtout.Jenevoulaispas…—C’était il y a longtemps. J’ai tourné la page,me coupe-t-il dansmes pathétiques excuses qui
arriventdetoutefaçondixanstroptard.Bizarrement, ça neme rassure pas du tout.Au lieu deme dire que c’est chouette qu’il nem’en
veuille plus, je suis déçue qu’il ne ressente plus rien pour moi. Peut-être bien que, finalement, jepréféreraisqu’ilmedéteste.
—Tumemanques.Réfléchiravant,parleraprès.Cen’estpourtantpascompliqué.Maisnon,ilsembleraitquej’ensois
incapable.Etàenjugerlechocsurlevisaged’Ange(cettefoisjedécryptesanssouci),cen’étaitpaslameilleure chose à dire. J’ignore pourquoi j’ai balancé ça. En plus, il est avec la mère d’Emma.Madéclarationest clairement inappropriée.C’estpourquoi jeme réfugiedans l’appartementet referme laporteavantqu’ilnepuisserépondrequoiquecesoit.
Avecunpeudebol,demainilauratoutoublié.
Ange
Quandjelavoiss’éloignerdemoi,commeça,c’estsonpremierdépartquejerevis.Ellequivientmetrouver,distante.Moiquinecomprendspasimmédiatement.Ellequimeditqu’elleaétéacceptéedanscetteécole,àcinqcentsbornes.Qu’elleabesoindefaireunepause.Unepause?Jemesouviensnepasavoirintégrétoutdesuitecequ’ellevoulaitdire.Unepause?Jenevoulaispasarrêter,moi.Jevoulaistoutluidonner,passermavieavecelle.Ellen’avaitpasledroit.Nidepartir.Niderevenir.
7
Lise
Siquelqu’unmecroisaitmaintenant,jesuisconvaincuequ’ilappelleraitleservicepsychiatriqueleplusproche.Jesuisdanslacaged’escalier,ennuisetteencotontellementlavéequ’elleestplusgrisequeblanche.Recroquevilléesurladernièremarche,celleoùilm’aembrassée,lapremièrefois.Jemebercedoucement en imaginant ce que ma vie aurait pu être si je ne l’avais pas laissée m’échapper. J’ail’impression d’avoir été oubliée sur le bord de la route à un moment donné et d’avoir assisté audéroulementdesannéescommeunespectatrice.De loin.Sansaucunepossibilitéd’interactionavec lesévénements qui me concernent pourtant directement. J’aurais voulu crier pour qu’onm’entende, qu’ilm’entende.Aulieudeça,c’estcommesij’avaisouvertlaboucheetqu’aucunsonn’avaitvouluensortir.Justeungoûtamer,celuidesregrets,etaucunepossibilitédelefairepasser.
Jesaisbienquejesuispathétique.J’aifaittellementd’effortspendanttoutcetempsloindeluiquej’aipresqueréussiàmeconvaincremoi-mêmequej’allaisbien.
Presque.Ilarefaitsavie,biensûrqu’iln’allaitpasm’attendre!Biensûrqu’ilestallédel’avant!Alorspourquoi,moi,jen’aipasréussiàmedétacherdenous?Jesuisprobablementplussensible
qued’ordinaireàcausedelasituationavecAnnabelle.Ellearéveilléenmoidesblessuresquin’avaientjamaisvraimentcicatrisé.Etdelavoirsiaffaiblie,siprochedelafindesavie,c’estunpeucommesiquelqu’unvenaitremuerlecouteaudanslaplaie.Avant,celuiquimemotivaitetmepoussaitàaffronterlesobstaclesaulieudelesfuir,c’étaitlui.Or,celuiauqueljedoisfairefaceaujourd’hui,c’estlui.
Etluifairefacemeterroriseplusquejenelepensais.Jememetsàavoirdesinsécuritéssurtout.Ets’ilmetrouvaitmoche?Jen’aipastellementchangédepuislelycée.Jesuistoujoursaussimince,tropminceaupointquejesuisplusembarrasséequ’autrechosesijemetsunsoutien-gorge.Jelèvelesbrasetil se barre àmoitié. Ange aime peut-être les femmes bien formées et ilme voit toujours comme unegamine.Etmescheveux,ilsneressemblentàrien,jelesaitoujourslaissésfaireleurvie.Jelescoloreenauburn,oui,maissinon,c’estassezchampenfriche,commecoupe.Jevoisbienqu’ilmefaitperdremes
moyens,jenesuispasdugenreàmesoucierdecequelesautrespensentdemoi.Maisiln’estpaslesautres.Ilestplus,tellementplus.
—Tunedevraispaslaisserlaported’Annabelleouverte.Ilest là,devantmoi,enbasdesescaliersoù jeme trouve, lesmainsdans lespoches.Commesi
c’était la chose la plus naturelle aumonde qu’on se croise ici tous les deux.Comme si nous ne nousétionspasarrêtés.
—J’entendssiquelqu’unarrive.—Tunem’aspasentendu.—Tuesvenupourmefairelamorale?Parcequecen’estvraimentpaslemoment.Alorssituveux
bienmelaisserpleurertranquillementetrevenirunautrejourpourtelajouergrandsage,mesjérémiadesetmoiapprécierions,merci.
Jeme lève pour ponctuerma tirade agacée et à peine ai-je fait un pas qu’il gravit les quelquesmarchesquinousséparent,m’attrapeparlepoignetetm’attireàluiavantdemepoussercontrelemur.Ilmefixeensilenceetjen’oseniesquisserungesteniparler.Jerestefigéesoussonregardauquelilm’estimpossibledemesoustraire.Sabouchen’estqu’àquelquescentimètresdemoi, je senssonsouffle serépercuter sur la mienne à chaque expiration. Il respire fort, comme s’il tentait de se contrôler.J’entrouvre les lèvres pour envoyer un peu plus d’air à mon cerveau, ses yeux suivent aussitôt lemouvement.Samainvientdoucement seposer surmagorge,délicatesseencontrasteavec lapressionexercéeparl’autresurmonpoignet.Commes’illuttaitentrel’enviedemoietlebesoindes’éloigner.Oulecontraire.Jelelaissefaire,jesavourechaquesecondesiprèsdelui.Etquandsesyeuxreviennentauniveaudesmiens,j’ignorecequ’ilylit,maisçasembleêtreledéclencheurquiaraisondesoncontrôle.
Ilnem’embrassepas;ilprendmeslèvres.Ilnemecaressepas;ilmerevendique.Il n’y a aucune tendresse dans ses gestes. Seulement une frustration longuement contenue, une
revanche,unsoldedetoutcompte.Ilplaquesesmainssurmesépaulesetsalanguepénètremabouchesansdouceur.Jen’enveuxpas,dedouceur…c’estparfait. Ilm’embrassecommes’ilvoulait rattrapercesneufdernièresannées.D’uncoup.Jeluirendssonagressivitéenagrippantsescheveux.Ilssontdoux,jelemaintienscontremoi.Sabarbecaressemesjouesetlesirriteunpeu,aussi.J’aimeça.Cemélangedesensationscontradictoires.Sesdoigtsdescendentlelongdemesbrasetviennentenserrermataille.Ilmesoulèveet j’enroule les jambesautourde lui. Ilmemaintientàsahauteurenmesoutenantsous lesfesses.Jamaisilneromptlecontactentrenoslèvres.Jamaisiln’ouvrelesyeux.Jamaisilnemedonnelasensationd’êtreàmaplace.Etpourtantjenemesuisjamaissentieaussiadéquatequ’encetinstant.Sesyeuxdemeurentfermés,ilsm’ignorent.Lesmienslescrutent,imprimentchaqueimagedeluiaufonddemesrétines.Jenesuispascertained’êtrebienéveillée, jesuisconvaincuequecequenousfaisonsnenousrendrapasservice,maisçam’estégal.Ilmeveut,jeleveux,c’estl’essentiel.
Etsoudain,c’estcommes’ilreprenaitconsciencedel’instantprésent.Ilmereposeausol.Appuiesonfrontcontrelemien.
Soupire.Ets’enva.Jeme rajuste. Je redescends jusqu’au troisièmeétageetme faufile sansbruitdans l’appartement.
J’aiseizeansetjerentreaprèsavoirfaitlemur.JelefaisaissouventpourretrouverAngeetcettenuitaungoûtdepasséquinemedéplaîtpas.
Jesuisdansunétatvaseuxetj’ignoresijevaisensortir.Àmoinsquecenesoitsimplementlechocde ce qui s’est produit dans les escaliers. Ou plutôt de ce que je pense qui s’est produit, car jemedemandedeplus enplus si jen’aipas fantasmé toute la scène.Prismesdésirspour la réalité.Etmatisaneauprixprohibitifnem’aidepasdutoutàreprendrecontactavecleprésent.Dèsquejemelaisseunpeualler, jeressensseslèvressur lesmiennes,salanguedansmabouche,ses…OK.Ilest tempsquej’aillesousladouche.SurtoutquejedoisreprendrecontenancepoursavisitematinaleàAnnabelle.
Quandjesuisenfinhabilléeetprésentable,onsonneàlaporte.Ilaunpeud’avance,j’essaiedenepas tropm’emballer quant à la significationde ce timing. J’essaie. J’échoue. J’ouvre la porte, unpeufébrile, j’avoue, et je me ramasse la tête la première. Métaphoriquement parlant, bien sûr. Je n’aiabsolument aucune idée de qui est le type sur le palier. Il est clairement infirmier puisqu’il lit uneordonnanceetquebon…nousn’attendonspersonned’autre.
Cetype,là,vientdémolirencorepluslespréjugésquej’avaissurlesinfirmiers.Ilalescheveuxunpeu longs sur le front et les côtés, bouclés, avecunvague air deHughDancy tout jeunot. Il est assezgrand, mince, et je n’ai jamais vu un mec aussi bien sapé. Je veux dire… je me sens complètementpouilleuseàcôtédelui.Ilrelèvelatêteetmesourit.
—Bonjour, je remplaceAnge,cematin. JeviensvoirAnnabelle.VousdevezêtreLise?JesuisAnthony!
Hé,attention,tropd’enthousiasmetuel’enthousiasme,monpetit!Etpuis,leretouràlaréalitéestassezcash.Silemonsieurpouvaitm’excuseruninstantquejeramassemesdentsquijonchentlesol.
Angeenvoieunremplaçantetilestfortprobablequeceremplaçantsachepourquoiilleremplace.—Entrez.Jeleguidejusqu’àlachambreoùAnnabellesomnoledevantlatélévisionetjeleslaissepourles
soins. Si ma fierté se demandait comment gérer la confrontation post-nocturne, elle vient d’avoirl’occasiondes’aplatir lamentablement.C’était tellementhorriblepour luid’imaginermevoiraprèscequis’estpassé?Rude.Chiennedevie.Etlamèred’Emma,danstoutça?Legarçonquejeconnaissaisn’auraitjamaiseuuncomportementd’enfoiréavecelle,etl’homme?
Jen’aipastropletempsdem’appesantirsurmonmisérablesortqu’onsonneànouveauàlaporte.Aurait-il eudes remordsdeme laisser commeunevieille chaussette encaisser son esquive ?Ahnon.C’estl’aideàdomicile.Jel’avaisoubliée,celle-là.
—Bonjour,Lise!NotreAnnabelleabiendormi?melance-t-elleensouriant.Elleatropdedents.Ellesourittropdebonmatin.EtdepuisquandAnnabelleest«notre»quoique
cesoit?
—Oui,trèsbien,elleestensoinsavecl’infirmier,là.—Annabelleestprêtepoursatoilette,nousinterromptjustementleremplaçantd’Ange.—Bonjour,jesuisAmbre!J’abandonnedansl’entréel’aideàdomicileetl’infirmierengrandeconversationetm’installesurle
balcon.Avecunpeudechance(c’estcela,oui,ellesembletellementmesourireaujourd’hui),Jéneserapasdans lecoin. Il fautbienqu’ilbosse, luiaussi,àunmoment.Etpuis jenevaispasmeconfineràl’intérieur avec un temps magnifique comme celui que nous avons ces jours-ci, juste par crainte decroiserdesmembresdelafamilledemonex.JebossepourVoldemort,jenecrainspersonne.MéthodeCoué.
Lise
—Monroe, j’ai besoin de toi pendant deux jours.Des interviews à gérer et je n’ai personne dedispo.
—Etvousavezpenséàmoiparcequejenemetrouvequ’àcinq-centskilomètresetquejesuisenvacances?
—Jet’attendslasemaineprochaine.—Çanevapasêtre…Etvoilà!Ilaencoreraccroché!Cetypeestimbuvable!J’étaisprêteàmeremettreàbosser,mais
puisquec’estcommeça,jevaism’octroyerunepetitesiesteenmêmetempsqu’Annabelle.
—Tudors?Dis,tudors?Tudors?—Quoi?J’ouvrelesyeuxetconstatequejesuisseule.Bien.Simaintenantjememetsàentendredesvoix.—Tudorsplus?La naine. Encore elle. Elle me traque, je crois. Je me lève et m’approche de la séparation qui
m’arriveàhauteurdeshanches,enbâillant.—Tuesencoredehorstouteseule,sanssurveillance?Tafamillen’adoncaucunsenspratique?—Lebalconestprotégé,mamieelleadit,alorsjepeuxvenirsijeveuxparcequepapyilamisdes
protectionsetqu’ilyarienpourgrimperalorsmoijepeuxsortirquandjeveuxfautjustequejelediseetc’estpasdangereux.
—Qu’est-cequetuveux?J’aidutravail.Lise…reprends-toi,c’estjusteunegosse…—Tuaspromisdemeparlerd’EmmaMovamy,merépond-elle,paslemoinsdumondevexée.Je pose les avant-bras sur la barrière et appuiemonmenton dessus pour être plus oumoins au
niveaudelaglumaude.
—Bo-va-ry.Répète.—Bo-va-ry.—Tuvoisquandtuveux,tuyarrives.—C’estqui?—C’estunehéroïnederoman.—C’estquoiunehéroïne?Misère,jenesuispassortiedel’auberge.— C’est le personnage principal de l’histoire. Dans Mélusine, c’est Mélusine l’héroïne. Dans
MadameBovary,c’estEmmaBovaryl’héroïne.Tupiges?Elle hoche la tête, l’air très concentré. Faut que je fasse attention à ne pas trop lui raconter de
bêtises,elle serait fichued’êtreencore traumatiséepour trois fois rien.Et j’aicommequidiraitenvied’évitersonpaterneletsononclependantunpetitmoment.Sic’étaitpossible…ceneseraitvraimentpasduluxe.
—Donc,Emmaestmariéeàunmédecin,saufqu’ilesttrèsennuyeux.—Ilveutjamaisjoueravecelle?—Voilà, c’est ça. Il ne s’occupe que de ses patients. Et Emma, elle aime les belles robes, les
livres,sepomponner,joueràlagrandedame.Maisquequandsonmarirentredutravail,ilveutmangersasoupeetallersecoucher.Emmas’ennuie.
—Etilluiarrivequoi?—Sijeteledis,çategâcheratoutelasurprisepourlejouroùtuleliras.Etcrois-moi,tulelirasau
moinsunefoisquandtuserasàl’école,c’estunesortedebizutagelittéraire.—C’estquoiunbizutage?—Tuasbrossétesdentsaprèstonpetitdéjeuner?jeluidemandesanstransitionhistoiredetenter
denoyerlepoisson.—Ouiet j’aimêmebrossémalangue!melance-t-elle toutefièreavantd’ouvrir laboucheetde
tirersapetitelanguerose.—C’estbien.Bon,maintenantjevaisretournertravailler.—Tu travaillaispas, tudormais.Desfoismamanfait lasieste,quequandsonamoureuxestà la
maison.—Tuveuxdiretonpapa.—Non,monpapac’estpasl’amoureuxdemamaman.Ilsm’aimentmoimaiseuxilss’aimentplus
d’amour.Alorsmamanelleaditàpapades’enalleretpapailaditd’accordmaisqu’ilvoulaitmevoir.Alors maintenant, ils s’aiment comme des amis mais pas comme des amoureux. Et puis ils criaientbeaucoupelleaditmaman,maismoijesaispasj’étaistroppetiteetmêmequepapailditqu’ilsn’étaientmêmepasdanslamêmemaison.
J’essaiedenepasexécuterunepetitedansedelajoieenapprenantqu’Angeetlamèred’Emmanesontplusensemble.Ceneseraitpascharitablepourlapetiteetçanesignifiepasqu’iln’apasquelqu’und’autredanssavie.Jemereconcentresurlebabillagedelademoiselle.
—Etmamanellefaitlasiestequequandsonamoureuxestlàpourpasquejesoistouteseule.Alorssonamoureux,ils’appelleAlain,etbeniljoueavecmoiauxPetShop.
—C’estquoiça,despetsdequoi?—Non,desPetShop.T’enasjamaisvu?Jevaisenchercher!Pas le temps de trouver une parade, la voilà repartie en mode bolide dans l’appartement. Elle
revientmoinsd’uneminuteaprès,unecaissedejouetspresqueaussigrandequ’elledanslesbras.—Ça,c’estmaboîtedePetShopquandjesuischezpapyetmamie.Regarde!Mêmequemaman,
elleaunecopineetsafilleelleest tropgrandemaintenantetellevoulaitplus joueravecsesPetShopalorselleadonnétoutçaetplusmêmemaisj’enaigardéàmamaison.Parcequemamanelleditqueçacoûteunbrascespetitesbestiolesalorsonpeutpasenachetermaisc’estpasgraveparcequelacopinedemamanelleadonnédestasetdestasdePetShop.
Jesuisessouffléerienqu’àl’écouter…Ellemetendunetortuedetroiscentimètresdelong,àlatêtedémesurée.—Y’auraitpascommeunsoucideproportionsàtonbestiau,là?—Jesaispas.Çaveutdirequoi?—Non,laissetomber.Etilsfontquoitesanimauxdifformes?—Jevaistemontrer.Lavoilà partie à sortir tout ce qui se trouvedans la grosseboîte enplastique. Je rapprocheune
chaisedelaséparationetm’yinstalle,àgenouxpourêtreàunebonnehauteur.—JefaislavilledesPetShop,y’alemarchanddeglaces,ledocteurdesanimaux,lecoiffeur…Ellemebalancel’inventaire toutenplaçantméticuleusementchaqueélémentà l’endroitprécisoù
elle estime qu’il doit se trouver. Ça faitmal deme l’avouer,mais je commence àm’attacher à cettegamineetcen’estfranchementpasunebonneidée.Aumomentoùjemedemanded’ailleurscommentçasefaitqu’ellesoitlivréeàelle-mêmeaussilongtemps,j’aperçoislamèred’Angederrièrelabaievitrée.Elle est installée surun fauteuil et tricote ennous jetantdes regards réguliers.Aumoins, ellen’apasbrandiuncrucifixenm’aspergeantd’eaubénite.Danslasituationactuelle,jeconsidèrecelacommedupositif.Jem’accrocheàcequejepeux.
—Tiens,toitufaislechien.—Heu,t’esmignonne,jepréfèreêtrelatortue,etdeloin.Cechienaunetêtedemutant.File-moila
tortue.Ellemeredonnelatortuedontlecrâneestgonfléàl’héliumetnousdémarronsunjeuderôlesquine
mepassionnepas…danslequelellemettellementdemotivationque,malgrémaréputation,jen’aipaslecœurdel’interrompre.
Uneheureplustard,jesuissauvéeparlamèred’Angequirappellesapetite-filleàl’intérieur.—Turevienspourlegoûter?Onn’apasfini.Encoreunefois,ellemeregardeavecsesgrandsyeuxbleusauxcilsquejejalouse(ondiraitqu’elle
portedumascaraetmoi,pouravoircerésultat,jedoisenmettredixcouches…)Etdonc,jeluiprometsderevenirpourseizeheurestrente.
—Tuvaspasassezvite!—Jesuisunetortue,pardéfinition,j’avancelentement.—Onn’aqu’àdirequetatortue,ellevavite!—Matortueadéjàunegrossetêteetsubitundéséquilibredesoncentredegravitéàcausedeça,
laisse-latranquille.—Tuvasêtreenretardpourtonrendez-vouschezlecoiffeur!—T-Rexn’apasunseulcheveusurlecaillou!Queveux-tuquelecoiffeurfasse?Elleréfléchituninstantetsouritd’uncoupdetoutessesdents.Cequiestunpeuinquiétant,carelle
al’airtotalementmachiavéliqueetçanemeditrienquivaille.Ellerentreetjelavoisparleràsagrand-mère.Celle-ciluitendquelquechoseetEmmarevientencourant,toutefière,brandissantunpetitpoingtriomphantsousmonnez.
—Onvaluifairedescheveux!Elle tient des brins de laine violette entre ses doigts et semble convaincue qu’elle vient d’avoir
l’idéedusiècle.—Lise,vousdésirezunthé?Oh,bonjourAnge.SiAmbre, l’aideàdomicile,n’étaitpas intervenue, jen’auraispasrelevé la tête.Jen’auraispas
réaliséqu’Angeestdevantlabaievitréeouverte.Jen’auraispasremarquéqu’ilnousobserve,safilleetmoi.Et jeneseraispasen traindemedemanderdepuiscombiende temps ilespionnenotrepartiedePetShop.
—Pasdethé,merciAmbre.—Emma,tuveuxbienaidermamieàpréparerlerepas?Alorsque jemesuisdemandé toute la journéepourquoi ilm’avaitévitée, j’iraisbien,moiaussi,
aidermamieàpréparerledîner…Bienentendu,personnenemelepropose.—Tut’entendsbienavecelle.— De ce côté de la barrière, je pense qu’elle est la seule avec qui c’est le cas. Alors aussi
misérablequeçapuissemefaireparaître,j’apprécie.—Pourcettenuit…—Ne te fatigue pas, unmoment d’égarement, j’ai compris. Lemessage a été très clair. Et si tu
pouvaisépargnerunchouillemafiertéennem’expliquantpaspourquoitum’évitesenenvoyantl’undetescollèguesàtaplace,ceseraittrèsaltruistedetapart.
—Unmomentd’égarement?Jecroisquejeviensdefaireuneboulette.—Tuvoiscequis’estpassécommeunmomentd’égarement?répète-t-il.—Ehbien…toid’abord.Voilà,prisederisqueminimale.Surunmalentendu,lasituationvareveniràmonavantage.Àmoins
qu’ellen’aitjamaisvraimentétédemoncôté?
Ange
Jenesaispascequimegonfleleplus.Qu’elleparled’unmomentd’égarementouqu’elles’imaginequejel’aisciemmentévitée.Detoutefaçon,quoiquejedise,çatomberaàcôté.Jelevoisdanssafaçond’êtresurlaréserve.
—Jesuispassétevoirentredeuxpatientsparcequejevoulaisqu’onenparle.Ettumebalancesqueturegrettes?
—Jen’aipasditça,jevoisbiendequitienttafille.Tuentendscequetuasenvied’entendre.J’aidit que j’avais déduit de ton absence ce matin que tu considérais cette nuit comme un momentd’égarement.
—Quoi,cettenuit?Jemeretourneetfaisfaceàmonfrèrequial’airtrèsremonté.Etquisemêlesurtoutdecequinele
concernepas.—C’estuneconversationprivée,Jé.—Tunevaspasencoretelaisservampiriserparcettetraînée?—Oh!Jesuislà,hein!Etjetesignalequetanièceestjustederrièretoi.Jetelaisset’amuseràlui
expliquercequetuviensdedire!luilanceLiseavantdepivoteretderamassersonordi.—Queen,attends…—Jenesuispascontrediscuteravectoi,maistantquetonfrèreseradanslecoin,permets-moide
m’éclipser.—Vilaintonton!Tuasfâchémonamie!—Emma,retourneavecmamie,soismignonne,j’arrive…—Non!Vilainpapaaussi!TuveuxpaspartagerLise!EtLisec’estmonamie,pastatienne!Et
Liseelles’appellepasQueen,elles’appelleLise!—Ondit«pas la tienne», la reprendLise.Sinoncen’estpas français,or,Emma, tuescensée
parlerfrançais.
J’ignorelesoupiragacédemonfrère,notequemafilleatoutesonattentionfixéesurLisequ’elleadule pour je ne sais quelle raison, et entendsmamère appeler tout lemonde à l’intérieur. C’est lemomentquemonexchoisitpours’enfuirenadressantunsignedelamainàEmma,évitantsoigneusementdemeregarder.Ellefermelaporte-fenêtreetjemeretrouveseulsurlebalconavecmonfrère.
—Onpeutsavoircequiteprend?—Ettoi?Elledébarqueetdeuxjoursaprèstuesdéjàentrainderamperdevantelle!—Enquoiçateconcerne?—Cen’estpasellequit’aramasséàlapetitecuillèrequandellet’alarguépourallerfairesavie!
Cen’est pas elle qui t’a aidé à t’en sortir quand tu touchais le fond !Et quand tu devais prendre cesputainsdemédocspour réussirà t’extrairede ton lit lematin,cen’étaitpasnonplusellequiétait là.Alorsc’estplutôtàmoidetedemandercequiteprend!
JesavaisquemaruptureavecLiseavaiteudesconséquencesdésastreusessurunpeutoutlemonde,répercussionslogiquesdemonétat.Maisj’ignoraisqueJéenavaitautantsouffert.Jepensaisquej’étaisleseulàenavoirbavé.Jenel’aijamaisvuaussiénervé.
—Etquiluiaditdesebarrerquandelleestrevenue,laqueueentrelesjambes?C’estgrâceàmoisitun’espasretombédanssesbrasaupremierbattementdecils!Elleseraitrepartie,cettenanaestunegirouette!Lapreuve,ellefoutquoi,là?
—Dequoituparles?L’airétonnédeJémeconfirmequejenesuispascenséêtreaucourantdecequ’ilvientd’évoquer.—Elleestrevenue?Quand?jeluidemandeentâchantdeconservermoncalme.La dernière chose dont j’ai besoin, c’est qu’Emma entende une dispute entre mon frère et moi.
Mêmesielleestàl’intérieur,cettegamineestdéjàpasséeparuneambiancemerdiqueentresamèreetmoi,ellen’avraimentpasàencaisserautrechosedugenre.Jen’aimeraispasqu’ellenoussurprenne.
—C’estsansimportance,tente-t-ild’éluder.Jesuissurlabrècheetçadoitsevoirsurmonvisage,carilenchaîne:—Unmoisaprèsêtrepartie,elleestrevenue.Ellevoulaittevoir,elledisaitqu’elleavaitcommis
uneerreur,qu’elledevaitterécupérer,qu’ilfallaitquetuluipardonnes.Qu’elleallaitchoisiruneautreécoleet toutescesconneriespourallégersaconscience.Elleavait justeréaliséqu’ellenes’ensortaitpasseule,c’esttout!Ellet’auraitencorefaitsouffrir!C’étaitreculerpourmieuxsauter!Jeluiaiditdesetireretelletenaittellementàtoique,tuvois,elleestpartiesansinsister.
—Etdoncçanet’apastraversél’espritquej’auraisaiméêtreaucourant?Tum’asprispourunassisté?C’estdemaviedontonparle,là!
Ilmeregardesansriendire.Jenem’énervepassouventet je faisun immenseeffortpournepashausserlavoix.
—Tuavaisl’intentiondemeledire,unjour?Tumecachesd’autrestrucsquimeconcernent?Ilsecoue la têteet jevoisqu’ilserre lespoings le longdesoncorps.Jen’aimepasmedisputer
aveclui,maisjen’enrevienspasqu’ilm’aitmentiausujetdeLise.—Autrechosequejedoissavoir?
—Tusaiscequejepensed’elle.Tusaisquejeserailàsielletefoutencoreenl’air.Maisessaiederéfléchir,cettefois.
—Jen’ai pas besoinde tes conseils. Je n’ai pasbesoinqu’onvivemavie àmaplace. Juste…oublie-moiquelquetemps.Jedoisdigérercettehistoire.
Jérentresansrienajouteretjemeretrouveseulsurlebalcon.J’entendsunbruitetmeretourne.—J’aioubliémonchargeur…Ellesembleaussichoquéequemoi.Jesuisconvaincuqu’elleaentendul’aveudemonfrère.—Tuétaisrevenue?Ellehausselesépaules.—Lise,tuvoulaisencoredemoi?Ellemesourit,undecessourirestristesetdéfaitistes.—Jéaraison.C’était ilya longtemps,onachacunsuivinotrechemin.Çaneserviraitàriende
ressasser.—Tunem’asriendit.—Tonfrèrem’enaempêchée.J’auraisputrouverunautremoyen,jepensequ’ilestdanslevrai,
j’auraispuinsister.Maisjet’auraisfaitplusdemalqu’autrechose.Je l’observe,etceque j’ai ressenticettenuiten lavoyantdans lesescaliersme revientdeplein
fouet.Unepartiedemoivoudraitreprendrelàoùnousnousétionsarrêtésilyapresquedixans.L’autrevoudraitqu’ellerepartecommeelleestvenueetquejepuissecontinuermavie.
Sanselle.Sans l’imageque j’aid’elle, allongéesurmon lit, sesbouclesemmêléesaprès l’amour, sesyeux
brillants,seslèvresgonfléesdem’avoirtropembrassé.Non,pastrop.Jamaistrop.Jenepeuxpaslalaisserreveniretpourtant,jesensqu’ilsuffiraitd’unrienpourquejelasuppliede
mepermettreànouveaudesouffrirpourelle.J’aiparfoisl’impressionqu’avoirmalàcaused’ellevautmieuxquedenerienressentirsanselle.
Aumomentoùjem’apprêteàfaireuneconnerie,àluidiretoutça,elleprendladécisionpourdeuxetretourneseréfugierdansl’appartementd’Annabelle.
Maintenantquej’aiuneraisondevivre,maintenantquejesuiscapabled’affrontercemondeseul,maintenantquej’airefermécetteplaiesanssonaide…ellerevient.
Ange
—Tadam!Emmaseplantedevantmoi,lesbrasenl’airetunimmensesouriresurlevisage.Parfois,ellearrive
àmecouperlesouffle,commeça,justeenmesouriant.—C’estdesfoulards?—C’esttouslesfoulardsdemamie.Etmamiemêmequeelleaditquejepouvaisjoueravec.Alors
jemesuisdéguiséeetelleafaitdesnœudspourqueçatienneparcequesinononvoyaitmesfessesetmamieelleaditqu’unejeunefillenedoitpasmontrersesfesses.
Elletournesurelle-même.Jesuisassissursonlitetellemefaitsondéfiléenriant.Jemerappelledecemomentoùilsl’ontdéposéedanssonpetitberceauenplastiqueetoùellem’a
regardéavecsesgrandsyeuxbleus.Personnenemecroit,maisàcemoment,ellem’asouri.Maries’étaitendormie,c’étaitjusteEmmaetmoietmaviequichangeait,là,danssonregardbienéveillé.
—JepeuxallersurlebalconpourmontreràLise?ParcequeLiseelleestsouventsurlebalcon,alorsjeveuxluimontrermarobedefoulards.
—Viensmefaireuncâlin,plutôt.—T’asbesoind’uncâlin?Ellesautesur le litetsehissesurmescuisses.Elleposesespetitesmainsgluantesde jenesais
quoisurmesjouesetunbisousurmonnez.—Jedoisallertravailler.Tuserassageavecpapyetmamie?—Mamieelleditquejesuistoujourssage,quejesuislaplusgentilledespetitesfillesetqu’elleva
fairedelatarteauxpommespourlegoûter!—Tum’engarderas?Ellehochelatêteets’échappedéjàpourjoueràautrechose.J’aimadosedesourirespourpartir
bosser.Je jetteunœilà laported’Annabelleenpartantetdescendsrapidement lesescaliersavantdefaireuneconnerie.
Lise
Jeprofiteque l’aideàdomicilene reviennepasdescoursesavantaumoinsuneheurepourallerm’installeravecAnnabelle.
—Ah,Mademoiselle, pourriez-vous téléphoner à l’école dema fille ?Elle a encore oublié songoûterpourl’école.Elleesttellementtêteenl’air.
Jemeconcentrepournepascraquer.Contrairementàcequ’onpourraitpenser,cen’estpasplusfacile parce que ça devient une habitude. Non. Je n’ai jamais rien eu de plus difficile à faire qued’encaisserlefaitquecettefemme,avecquij’aitantpartagé,meconsidèrecommeuneinconnue.Etelledevientelleaussiuneinconnueàmesyeux.Jenesaispassimonplanpeutluifairedubienoupas,maisjevaistenteretjeverraibien.Monbutétantd’évoquersonpassé,celuioùellesemblebloquée.
—Annabelle,j’aimeraisquetumeparlesdetonpremiermari.Cen’estque lorsqu’ellecommenceàmeraconterque jemedisquecetteexpérienceaunepetite
chancedeluiêtrebénéfique.—Ils’appelaitAndré.Ilétaitbeau,sivoussaviez.Unedecesbeautésfroidesetarrogantes,mais
j’aitoutdesuitevuautraversdecettebarrièrequ’ilmettaitentreluietlesautres.Lapremièrefoisquejel’ai aperçu, il était en costume. C’était tellement rare à cette époque de voir les hommes bien vêtus,surtoutdansmonquartier,que toutes les femmes le regardaient.Lui,c’estmoiqu’ilvoyait. Jemesuissentietellementimportantedanssonregard.
Jel’écoute,j’enregistrechacunedesesparoles,j’observesesyeuxpétilleretsesjouesrosirquandelle évoque leur premier baiser. Chaste baiser, sur la joue, du bout des lèvres. L’homme qu’ellemedécrit avait desmanières de gentleman.Ça a un certain charme. J’étaismoi-même traitée comme uneprincesse,sansallerjusque-là.Angen’ajamaiseuhontedevantsespotesdedirequ’ilpréféraitpasserlasoiréeavecmoidevantunfilmplutôtqued’aller jouerau footaveceux. Ilme tenait toujours laportequandonentraitàlacantine.Cegenredepetitsdétailsquejeconsidéraisalorscommeacquis.
L’étéavantdepartir,jemesuislassée.Stupidement.J’imaginaisunenouvelleviequim’attendait,danslagrandeville,etjenem’yvoyaispasaveclui.Lejouroùjesuisrevenue,complètementperdue…
Jem’ensouviensencorecommesic’étaithier.Pascommesiçadataitd’ilyadixans.—Tusais,Lise,toutlemondeadroitàunedeuxièmechance.Legrandamour,onnelecroisepas
deuxfois.JeregardeAnnabellequimereconnaît,etrienquepourça,j’aimecemoment.J’ailasensationque
cesinstantsdeluciditévontêtredeplusenplusrares.Etdoncdeplusenplusprécieux.—Tuasraison,j’ensuisconsciente.—Etquevas-tufaire?—Luidemandercettesecondechance.Elleme sourit, je lui prends lamain et nous restons à profiter du silence apaisant… jusqu’à ce
qu’Ambrefassesonentrée.—Vousnedevinerezjamaiscequim’estarrivépendantquejefaisaislaqueueàlacaisse!Je m’éclipse pour ranger les courses et la laisse distraire Annabelle avec ses aventures au
supermarché.C’estentreunpaquetderizetuneboîtedethonaunaturelquejetrouvelecouragedefairelepremierpas.Etpourça,jevaisêtresournoise.
—Hé!Laglumaude!—C’estquoiuneglumaude?EmmarelèvelatêtedesavillePetShopetmelanceungrandsourire.—C’estuneglumixéeavecungrumeau.Unpetittruccollantdontonnepeutpassedépatouiller.Un
enfant,quoi.Elleacquiescecommesic’étaitlogiqueetqu’ellecomprenaitparfaitementdequoijeparle.Jemets
monplan«reconquêted’Ange»àexécutionenattaquantd’abordlefront«progéniture».—Regarde,j’aidescadeauxpourtoi.Jeluitendsmesmainsdanslesquellesjetienslesdifférentsobjetspublicitairesquelestagiairem’a
envoyéspourelle.Unstylo,unbloc-notes,unemini-lampedepoche,unporte-clefs,desmarque-pagesetd’autresbricoles.Sesyeuxbrillentcommesijedétenaisunmerveilleuxtrésor.Alorsquec’estdu«madeinChina»enplastiquedebassequalité.Inutiledebrisersesillusions.
—Dis,tumerendraisunpetitservice?—Oui…merépond-elle,totalementhypnotiséeparlesgoodies.—Tonpèreserabientôtdanslecoin?—Ilestlà,ilboitducaféavecmamieettontondanslacuisinemêmequejeluiaiditqueçafaisait
des tachesmais lui il a dit que c’était pas vrai qu’il avait toujours budu café et qu’il n’avait pas detaches.
—Tuiraislechercherpourmoi?Ettuveuxbienresterdanslesalonetcriertrèsfort«boulet»situvoistontontonarriver?Répèteaprèsmoi:boulet.
—Boulet.—Bien,alors,tupeuxfaireça?—D’accord!—Tiens,prendstoutça,tupourrasmontreràmamie.
Jeluifourretoutsonmagotdanssespetitesmenottesqu’elleramènecontreellepournerienfairetomber.Elledémarreauquartdetour,commetoujours,etAngearrivemoinsd’uneminuteaprès.
—Unsouci?—Pasdutout.Jevoulaisqu’onparle.Tuascinqminutes?—Jenetravaillepas,cetaprès-midi.—As-tuenviedediscuter?Jeveuxêtre sûrequ’il sera réceptif. J’aibesoindecrever l’abcèsunebonne foispour toutes. Je
n’aimepaslesnon-ditsetilenplaneungrosdepuisqu’ilm’aembrassée.—Jet’écoute.Ilcroiselesbras,onvoitbienqu’ilprendsoindesoncorps.Focus.Jedisais…—Ausujetdel’autrenuit,jeneregretteabsolumentpascequis’estpassé.Monseulregretestque
tusoisparti.Jefaisunepause,aucasoùilsouhaiteenplacerune,finalement.—Jecroyaisquec’étaitunmomentd’égarement?finit-ilparlâcher.—Tut’esenfui,pourquoi?—Jenesuispascommetoi,Lise.Avectoi,toutestsimple.Tuveuxquelquechose,tuleprends.Tu
neleveuxplus,tulejettes.—J’aichangé.Jesaisprécisémentcequejeveux,pourquoijeleveux,commentjeleveux.Etje
n’aiaucuneintentiondelejeter.—Etqueveux-tu?—Toi.
Ange
Elleme balance ça avec un aplomb que je lui envie. Elle a toujours assumé ses sentiments, sesdésirs,maislà,c’estautrechose.
C’estunaveu.Ellereconnaîts’êtreplantée.Jevoudraisquecesoitaussisimple.Passercettebarrière,laprendredansmesbrasetreprendrelà
oùnousnousétionsarrêtés.Saufquecen’estpassifacile.
Lise
—Donne-moiunechance.Jen’aipaseul’opportunitédetemontrerquejeregrettais.Jeveuxjusteunechance.
—Tuasachetélacomplicitédemafilleavecdestrucsenplastique.—Oui.—Tunefaismêmepassemblantd’êtreembarrassée?—Non.—J’aibesoinderéfléchir.—Faisdoncça.—Boulet!Boulet!Boulet!Parfait timing, le frangin.Sur ce, ayantdit ceque j’avais àdire, je retourneà l’intérieur.Ambre
vientimmédiatementmechercher.—Annabellem’aditquetufaisaislalecture?—Oui,elleaenviequejelisepourelle?—Etmoiaussi!—Allez,çamechangeralesidées!—TuétaisavecAnge?Jen’aipaspum’empêcherdevoir…tuleconnaisbien?—Onsortaitensembleaulycée.Longuehistoire.Malterminée.Lestyletélégraphique,jenesuispassûrequeçafasseaugmentermacotedepopularité.Maisbon,
dequoiellesemêle,hein?—Etvousdeux…Non,maisc’estvrai,elleseprendpourqui?C’estmoiquigèreunerubriquedecourrierducœur…
mercibien.—Tuveuxlerécupérer.— Je suis si transparente ? Ce n’est pas bon, ça. Je suis censée devenir Voldemort, pas Sissi
impératrice.
—Pardon?—Rien,allonslirecetteromance.JelaprécèdedanslachambreetreprendslelivrelàoùnousnousétionsarrêtéesavecAnnabelle.
Depuishier,noussommesdansuneromancehistorique.
«Leduclâchalajouvencelle,quimanquades’effondreràsespieds.Jamaisellen’auraitdûlelaisser l’embrasser ! Jamais elle n’aurait dû accepter de le recevoir en l’absence de sa mère. Ilméritaitsaréputationdelibertin,elleenétaitàprésentcertaine.Mêmesiseslèvresrougiesparcebaiserenredemandaient.Toutsoncorpsavaitsentilapuissancedesmusclesdel’hommequiluijetaitàprésentunregarddetriomphe.L’arrogancequ’ellelisaitdanssesyeuxn’étaitquelerefletd’uneâmetroplongtempscorrompue.Elles’essuyaprestementlabouchedureversdesamaingantéeetseredressaavecautantdedignitéquesesjuponsleluipermettaient.»
—Tiens,ondiraitmoi.Ladignitéenberne,c’estmonmodepardéfaut.Annabellesouritàmarépliquealorsqu’Ambreal’airvraimentcaptivée.Incroyable.Jen’arriverai
pas à comprendre comment on peut encore vendre des schémas ressassés inlassablement depuis desdécennies.Jepoursuislalecture,pluspourpenseràautrechosequeparenvie.Moncoupd’éclatavecAngecommenceàm’inquiéter,c’estl’adrénaline,ça.Elleretombe,etforcément,jeréalisequejemelasuisjouéekamikaze.Maintenant,soitj’assume…soitjem’enfuis.Jepeuxfaireça,remarque.Àprésentqu’Annabelleaquelqu’unavecelle,ilmesuffiraitd’augmenterlesheuresd’Ambreoudecombineravecunedesescollègues…Ethop,nivuniconnu,jeretourneàLyon.Jepeuxrevenirdetempsentemps,lesweek-ends.Avec un peu de chance, je ne croiserai pasAnge.Voilà, çame paraît plutôt pasmal. Lapolitiquedel’autruche,endéfinitive,c’estsûrementlemeilleurplan.Ilfiniraparsedirequetoutn’aétéqu’uneillusionet…
—Lise,onsonneàlaporte,tuveuxquej’yaille?Jesorsdemespensées,abandonnantmonplanplusquemédiocre,etsecouelatête.—Non,continuelalecture,tuasl’airpluspassionnéequemoi,detoutefaçon.Jeme lèveetvaisouvrir.Cen’estpas l’heurede l’infirmier, j’aidoncmapetite idéesurqui se
trouve derrière la porte. Ce qui annihile mon plan d’évasion. Et sinon, le coup de l’interruption ensonnantàlaporte,çavariedanslarégion,desfois,oupas?
10
Lise
Je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit, il m’attire dans le couloir et m’entraîne entre lequatrième et le cinquième étage. Là il me fait face, pose ses mains sur mes épaules et me regardefixement. Je sens son souffle sur mes lèvres, ses mains qui remontent sur mon cou, ses yeux quim’observent,légèrementplissés.Ilfaitunpasetjemeretrouvecoincéeentrelemuretlui.Etpourrienaumondejenechangeraisdeplace.Letempss’étire,jen’osepasparler.Jeprofitedelachaleurdesespaumessurmapeau,jefermeraisbienlespaupières,maisjeveuxlevoir.J’aibesoindelevoir.Jesais,jeleconnaisencore,jesaiscequ’ilfait.
—J’ignorecommenttedonnerunechance,murmure-t-il.Ilmeditnon,ils’ouvreàmoietmemontrelemalquejeluiaifait.—Jenesuispassûrd’êtrecapabledetefaireconfiance.Jet’avaistoutdonnéettuespartiesansun
regard.Littéralement,Lise.Lejouroùtum’asquitté,tunet’espasretournéeuneseulefois.Jesuisrestédevantchezmoi,commeuncon,enmedisantquetuallaisfairedemi-tour,quec’étaitencoreunedetesblaguesquinefontrirequetoi.Tuesmontéedanstavoitureettun’asmêmepaslevélesyeuxsurtonrétro.Tum’aseffacédetavieenquelquesminutes.
Jenerépondsrien.Jen’aiaucunedéfense,ilsecontented’énoncerlavérité.Oui,j’avaisprismadécisiondepuis quelques semainesdéjà, et oui, c’était très égoïste demapart.Carmoi, j’avais eu letemps d’encaisser le changement. Je m’étais habituée à l’idée de vivre sans lui. Je ne me suis pasréveillée un matin en me disant « Tiens, si je quittais Ange ? » Non, c’est venu progressivement etpendantquejeréalisaisquenotrecouplenemeconvenaitplusetquejevoulaisessayerdevivreautrechose,ailleurs,luiplanifiaitdéjànotreavenir.Iln’avaitaucuneidéedecequiallaitluitomberdessus.Biensûrquelechocadûêtreatroce.Laréciproquel’auraitététoutautant.
—As-tulamoindreidéedecequej’aivécuaprèstondépart?Jenepouvaispasvivresanstoi,Lise,jecroyaisquejenelepouvaispas.Despsy,desmédocs,desangoisses…Tusaiscequec’estdese réveiller lematinetden’avoiraucuneenviede se lever?Den’avoirplus rienqui tedonneenvied’avancer?
Ilposesonfrontcontrelemien,fermelesyeux,inspireprofondémentetmarqueunepauseavantdereprendre:
—Etlà,tudébarques,turéveillesenmoitoutcequej’avaisréussiàenfouirparcequeçamefaisaittropmal.Enunjour,Lise!Un.Seul.Jour.Jen’aipasréussiàresterloindetoivingt-quatreheuresentesachantrevenue.Cequis’estpasséicil’autrenuitn’auraitjamaisdûavoirlieu.Jenesuispasprêtàtelaisserànouveauentrerdansmavie.Jesuisdésolé,jenesuispasprêt.Jen’aiplusconfianceentoi.
Cen’estpas lemomentdepleurer.C’estsaconfession,soninstant.Jenevaispaspleurer.Parcequejesavaistrèsbienquec’étaitlerisque.Jesavaisqu’ilyavaitplusdechancesqu’ilmerepoussequelecontraire.C’estquandmêmerudeàentendre.Tantqu’onadel’espoir,c’estfaciledeseraccrocheràdesdétails…Saufquelà,jenevoisplusd’espoir.Ilnemefaitplusconfiance.
Ilposesespoucessousmesyeux.Peut-êtrebienquejen’aipasréussiàcontenirmeslarmes,enfindecompte…Ilmeserrecontre luiet j’entouresa tailledemesbras.Jemesens tellementàmaplace,commeça,quej’enoublieunesecondequec’estsûrementsamanièredemedireaurevoirunebonnefoispourtoutes.Ilcaresseunpeumescheveuxavantdemurmurer:
—Jevoudraisvraimentencorecroireennous,maisjenepensepasenêtrecapable.Quandilrecule,jebaisselatête.Parhonte,parembarras,parcequejeneveuxpasvoirlafaçon
dontilmeregarde.Ils’éloigne,descendlesescaliersetmequittepourlapremièrefois.Ilmequittesansm’avoirdonnémachance. J’aimeraisdirequec’est logique, je l’aiquitté sans luidemander sonavis.Saufquejenesuispasaussimagnanime.Jesuisencolère,jesaiscequejeressenschaquefoisqu’ilmeregarde.Jesaisqu’ilaaussiressentiça.
Jelesais.
—Tuessûre,Lili?Tudoisvraimentyaller?JemepencheversAnnabelleetdéposeunebisesursajoue.—Jereviensdansquelquesjours,net’inquiètepas.Çavavitepasser.Ilfautabsolumentquejesois
présentepourlebouclage.Jerèglecesoucietjeseraideretour.Finalement,jenepensaisjamaisdireçaunjour,maismonpatronmesauvelamise.Jenepeuxsimplementpasresteràcôtédechezsesparents.Prendrelerisquedelevoirdébarquer
pourlessoinsd’Annabelle,c’estau-dessusdemesforces.Dansunesemaine,ilneseraplusnécessairedechangersespansementsetelleattaquera la rééducation.Lesprobabilitésde lecroiser, si j’évite lebalconetlaglumaude,serontdoncassezfaibles.Toutestunequestiondestratégie.
J’avaistellementenviequ’ilnousdonnecettesecondechance…Jepourraisdirequejetombedehaut,maisjesavaisqueçanepouvaitpasêtreaussifacile.Toutcommejevoulaisvraimentcroireàunenouvelleopportunitéderéparercequej’aibrisé.Maisjenesuispasdugenreàmelamenterenattendantquelavieveuillebienarrangerleschoses.Alorsjevaisfairecepourquoijesuispayéeetbougermonpetitcul,pourparaphrasermontyrandepatron.Cequivamedonnerl’opportunitédetravaillersurmondeuildel’espoirquej’aipuentretenir.
Ambreetsescollèguesvontse relayer,Annabellenesera jamaisseulechezelle.Quelques joursd’immersionautafsouslesordresdeVoldemortetjeseraiànouveaucapabled’affronterlasituation.
J’attrapemonsacdevoyageetdescendsauparkingdusous-solrécupérermavoiture.Mesgestessont automatiques, je suis un peu anesthésiée. C’estmameilleure protection contre la réalité.Ne paslaisserladéceptionetlesregretss’incrusternécessitedesefocalisersurautrechose.Mefairemartyriserpar mon boss sera une parfaite diversion. Et puis les groupes à interviewer sont intéressants, ça mepermetdefaireautrechosequemarubriqueoumoncourrierducœur.
Aumomentoùjesorsdelarésidence,j’aperçoisEmmaetsonpèreauborddupetitbois.Ellemefaitdegrandssignes.Jen’aipaslecœurdel’ignorer,alorsjem’arrêteenfaisantmonmaximumpourneregarderqu’elle.J’ouvremavitreengrandetelles’approcheensautillant.Jevois les jambesd’Angejustederrièresafille.
—Tuvasoù?Laspontanéitédesenfantsestrafraîchissante.Aveceux, toutestsimple.Entoutcas, ilsn’ontpas
l’airdesecompliquerl’existenceavecdestasdeprincipesàlacon.—Jevaistravailler.—Où?—Chezmoi.—C’estoù,cheztoi?—C’estloin.Elleposesapetitemainsurlereborddemaportièreetsesoulèvelepluspossible.J’aiconscience
quesonpèreécoutenotreconversationetçamemetmalàl’aise.—Tureviensquand?—D’iciunesemaine,peut-être…—Pourquoit’asdeslunettesdesoleilalorsqu’ilfaittoutmoche,aujourd’hui?Oui,enfin,quandjedisaisquetoutétaitsimple,peut-êtreunpoiltrop.Cettegaminepourraitbosser
pourlesservicessecrets,avecsonsensdel’observationquinelaisseabsolumentrienpasser.—Parceque.Jedoisyaller,maintenant.—Emma,recule-toi.J’auraispréférénepas l’entendreparler.Ruminer la situationensilencemesembleplus facileà
gérerquesaproximité.Voilàdequoimeconforterdansmadécisiondemebarrerleplusvitepossible.Si le croiser quelques minutes me fait cet effet, ça en dit long sur ma capacité à appréhender notrepresquevoisinage.
—JeparleàLise-euh!Cettegosseestpirequ’unpitbull.—TuviendrasencorejouerauxPetShopavecmoiquandtureviens?T-Rext’attend, ilest triste
sanstoi.Ettontonesttropnulpourfairedesvoixrigolotes.Jesoupire,c’estdurdeluirésister.
—Onverra, d’accord ? Je ne vais rien te promettre parce que je ne sais pas du tout si je vaispouvoirvenirjoueravectoi.
—T’estriste?—Pasdutout.—Encolère?—Non.—Fatiguée?—Passpécialement.—Pourquoitumeparlespasgentil?—Ondit«pasgentiment»ou«méchamment»mais«parlerpasgentil»,cen’estpascorrect.—Pourquoitumeparlespasgentiment?Elleesttenace,bonsang!—Jevaisvidermonréservoirsijeresteencorepapoteravectoi.J’aiplusdecinqheuresderoute
quim’attendent, alors,Emma, heureuse d’avoir fait ta connaissance,mais là, il faut que tume laissespartir.
—Lise,soisprudente.Jenevoispascequeçapeutluifaire.Jenevoispaspourquoiilmeparle,d’ailleurs.—Pourquoituluidisd’êtreprudente?Jen’attendspas,jecommenceàremonterlavitre,elleenlèvesesmainsetretournedanslesjambes
desonpère.Quandjesuissûredenepasl’écraser,jeredémarreetm’éloigne.Cettefois,jelèvelesyeuxdans le rétroviseur. J’ai un peu demal à y voir clair étant donné que je pleure encore. Et qu’il faiteffectivementgris,alorsleslunettesdesoleil,c’estpeut-êtreunpeudangereux.Jelevois,ilmeregardepartiretcettescèneaungoûtdedéjàvu.Saufquecettefois,c’estluiquineveutplusdemoi.Parlonsretourdekarma…
JelancemonlecteurMP3etSkinnyLovedeBonIverremplitl’habitacle.Jenesaispassilebossvaêtrepartant,carjefaisquelquesdigressions.Jem’éloigneducôtéoldschoolparcequ’aprèsquelquesrecherchesj’aitrouvédesreprisesdemorceauxrécentsquipeuventallerdansmonsens.LareprisedeBirdyesttellementfadeàcôtédel’original…Cen’étaitpeut-êtrepaslemeilleurmomentpourécoutercettechanson,enfait.Lesparolesmerenvoientàmapropremisère.Oui,fichukarma.
Ange
—PourquoiLiseellepart?—Jenesaispas.Emmas’accrocheàma jambeet je laprendsdansmesbras.Cemoment, je l’aidéjàvécu,mais
aujourd’hui,j’aimafille.Etçafaituneénormedifférence.Elleseserrecontremoietdéclare:—Jepeuxtecoiffer?Etparcequejesuiscegenredepère,jeluidisouietnousrentronschezmesparents.Jesaisqueje
vaismettredesheuresàdémêlermescheveux,maisçavautbienlesbondsdejoiequ’ellefaitàl’idéedejoueràlacoiffeuseavecmoi.
Lise
—Coucou,Papa!J’essaied’avoirl’airenjoué.Jen’aipasenviedelesinquiéter,surtoutqu’ilsn’ypeuventrien.Ils
ontétélespremiersàtenterdemedissuaderdequitterAnge.Àl’époque,nousformionslecoupleidéal.Jepensequej’aichoquétoutlemonde.Mêmenosamis.Ilsvoyaientennousl’imagedel’amoursolide,çaleurdonnaitl’espoirqu’euxaussifiniraientpartrouverça.Tuparles.Mesdoutesetmoi,nousavonsbienternicetteimage.
—Tuessurlaroute?—Oui,jereviensdechezAnnabelle,jevaisjustebosserunpeu.—Riendeneuf?TuasrevuAnge?Ilssontpeut-êtreàl’autreboutdumonde,maisilssontperspicaces.—Etcetribute,alors,çaavance?jetentedefairediversion.Desartisteslocaux,australiensdonc,sesontlancésdansunalbumhommageàmonpère.Ilaeusa
notoriété,là-bas,mêmesisonsuccèsaétélimitéendehorsdecesfrontières.EnFrance,parexemple,ilestpasséassezinaperçu.Pourtant,c’estlàqu’ilestvenuvivre.IlarencontrémamèreenAngleterre,ilfaisait la première partie, avec sa guitare et samotivation. Elle était dans le public. Une histoire degroupie,saufquecen’étaitpasdeluidontelleétaitfan.C’esttoutdemêmeavecluiqu’elleafini.Dèsqu’ilsontvuquejeconstruisaismavie,ilssontpartisretrouverlafamilledemonpèreetsonpaysquiluimanquaient.Jesuispersuadéequeçaluiafaitbeaucoupdebien,àmonpère,d’êtreànouveaudanssonunivers.Mêmeprèsdevingtansplus tard.Jenesuispasétonnéedu toutquecesmusicienssouhaitentenregistrerlestitresdeJeffMonroe.Ilamarquésonépoque.Etlà,ilsrevisitentsessuccèsaveclui.Jel’écoutemeparlerduprojet,del’avancement,ilesttellemententhousiastequejesaisquel’éloignementvautbienl’étincellequej’entendsdanssavoixetimaginedanssesyeux.
—Bon,tamèreveutteparler.Préviens-nousquandtuarrives.—Lise,machérie,alors,tuasvuAnge?Ilssontperspicacesettenaces.Jesaisdequijetiens…
—Oui,Maman,jel’aivuetnon,iln’yarienàdire.Commentsepassenttescours?Mamère est prof de yoga, etmême si je tente parfois d’exécuter quelques postures qu’ellem’a
enseignées, je n’ai pas vraiment suivi sa voie.À son grand désespoir.Mais tout ce qui les intéressem’intéresseégalement,c’estcequinouspermetaussideconserverunliensolide.Lesdétails,cespetitsriens…
—Mafille,quandtuessaiesdenoyerlepoisson,jesaiscequeçasignifie.Commetuesauvolant,je vais faire comme si je te croyais, je te fais confiance pourm’envoyer un compte-rendu par email.Allez,concentre-toisurlaroute,noust’embrassons,soisprudente.Et…
—Oui,promis,jevousenvoieunmessagedèsquej’arrive!
11
Lise
—Monroe!Quoi, encore ? Je suis revenue depuis deux heures et il trouve déjà le moyen de me reprocher
quelquechose.Ilentredansmonbureau,laportetapecontrelemur.Aujourd’hui, ilaunjeandéchiré,uneceintureavecunegrossebouclequin’aabsolumentaucunesignificationphallique(ironie)etsont-shirtestunoriginaldelatournéeTheWalldesPinkFloyd.Çamefaitmaldelereconnaître,maisilestsexy,cetrouducul.Ilposelesdeuxmainsàplatsurmespilesdepapiers:
—Jeveuxundossiersurtonpèreetcetribute.—Nousenavonsdéjàdiscutéet…—Est-cequej’aidit«jevoudrais»?Est-cequetum’asentendutedemandertonavis?—Non.—Pourlemoisprochain,pourlehors-série.Nemeremerciepas.—Patron,je…—Tusaiscequiseraitmerveilleux,pourtoi?Quej’acceptedetelaisserbosseràdistancequelque
tempspourquetupuissest’occuperdetavieilletante.—Cen’estpasmatanteet…Vousmefaitesduchantage?—Ceseraitpratique,non?—Jepeuxcontinueràposerdescongés.—Tunem’aspasprévenuasseztôt.—Vousêtesvraiment…—…tonpatron,oui.Ilsortcommeilestvenu.Engrandconnard.Jedisaisdonc,oui,ilestsexy,saufquedèsqu’ilparle,
lecharmeestrompu.Quelquesminutesaprès,Loïcpasselatêtedansleréduitquimesertdebureau:—Welcomeback?—C’estcela,oui…
—Siçapeutterassurer,onenatousprispleinlatête,lasemainedernière.Aveclehors-série,ilestencoreplusimmondequ’habituellement.
—J’aientendu,Saurin,etlaflatterienetemèneranullepart!Mince,lebossétaitdanslecoin.Ehoui,moncollèguealemêmenomqu’unemarquedecassoulet.
Chacunportesacroix.JemesuisfaitappelerMarilyntoutemonenfancealorsque,biensûr,jesuisloind’avoirledixièmedusex-appealqu’ellepossédait.Ici,onatouslemêmeennemi,ducoup,onseserrelescoudes.MêmequandonaunnomdeconservecommeLoïc.
—Grillé.Enmêmetemps,jenesuisplusàçaprès.Ilm’adéjàmenacéplusieursfoisdem’envoyercouvrirlesanimationsenmaisonsderetraite.
Je ris avec lui, notre patron a toujours des menaces qu’il ne met jamais à exécution et nous lesavons.CarStéphaneLans nemenace pas, il agit.Lorsque sa vengeance nous tombedessus, on ne ledécouvrequetroptard.Quandilnenousresteplusquelesyeuxpourpleurer.
—Alors,ceretourauxsources?medemandeLoïcens’installantenfacedemoi.—Monroe,Saurin!Vousavezdeuxminutespourvousraconterlapauvretédevosvies,çadevrait
suffire.Ensuite,autravail!—Sérieusement,ildevraits’envoyerenl’airplussouvent,çaledétendrait,jemarmonne.—C’estuneproposition,Monroe?Minceàlafin,iladesoreillesbioniques?—Annabelle n’a plus toute sa tête, c’est dur, j’annonce à Loïc, en ne prenant pas la peine de
répondreàmonpatron.—Jesuisdésolé,elles’enrendcompte?—Jenepensepas,c’estçaquiestrassurant.—Etsinon,tuasretrouvédumondedetonadolescence?Ilneperdpaslenord,biensûr.Iln’apasloupémapiètretentatived’esquivedanslesemailsque
nousavonséchangésetdanslesquelsj’aiprissoindenementionnerqueletravailetAnnabelle.Luiaussiestdel’espècetenace.
Jesoupire.Loïcetmoinoussommesrencontréspendantnosétudes.C’estmêmegrâceàluisij’aieu ce poste.Et aussi parce que le vieux croulant qui tenaitma rubrique partait à la retraite, bien sûr,j’étaisaubonendroitaubonmoment.Ilmeconnaîtbien,c’estmonmeilleurami.Etlà, ilsaitquej’aibesoindeparlerd’autrechosequedecequiarriveàlamémoired’Annabelle.Bienque,entrenous,s’ilavaitabordéunautresujetqueceluidemonex,carc’estbienlàqu’ilveutenvenir,jenesuispasdupe,jen’auraispasétécontre.Celadit,s’ilyabienunepersonneàquijepeuxparlerdeça,c’estLoïc.Jesuisdugenreàapprécierl’auto-flagellationetilnesepassepasuneseulesemaine,depuisneufans,sansquej’évoquemonerreuretqu’ilmepousseàtenterdelarectifieraulieuderesteràmelamenter.Non,geindre n’est pas dansmon caractère, excepté en ce qui concerneAnge.On a tous nos faiblesses, lamienneauncorpsderêveetdesfossettesassassines.
—J’ai croiséAnge.Figure-toique l’Universa trouvéçaéclatantde l’envoyer lui pour faire lessoinsàdomiciled’Annabelle.Ilestinfirmier.Jenesavaismêmepasqu’ils’intéressaitàça.Ilvoulait
devenirmécano,quandonétaitensemble!—Lesgenschangent.—Commetudis.Ilaunefille.Unefille!Jen’enrevienspasqu’Annabellenem’aitjamaisriendit.—Jecroyaisquec’étaitunsujettabou.Elleasûrementvouluteprotéger.—Oui,tuasprobablementraison.Enfinbref,jemesuisunpeujetéeàsespiedsenluidemandant
unedeuxièmechance.—Etvutonairenjoué,j’endéduisqu’iln’estpaspartant.Jehausselesépaules.—Fautquejefileenreportage.—Onsort,cesoir.Onvatechangerlesidées,Queen.C’estAngequim’atrouvécesurnom,lapremièrefoisquenousnoussommescroisés.Jeportaisun
t-shirtdemonpère,celuidelatournéeMagicTour1986.JeffMonroem’adonnétoussest-shirtsparcequ’ilsaitquejesuisfan,c’estlemeilleurgroupedetouslestemps,ilfautdire.Etdepuis,lesurnomestresté.Unmémentoquimeramènesanscesseàlui.Pendantpresquedixans,j’aifaitsemblantdepouvoirpasseràautrechose.Alorsque,enréalité,toutmerappellecequenousavonsété.
J’essaiedemeconcentrersurmonboulotparcequejenesuisdéjàpasdansmonélémentaveclesinterviewsdechanteursjeunesetvivants,sienplusjelaissemessoucisentravermontravail,jevaismeprendreunepluied’injuresdelapartdubossetjenesuispascertained’êtreenmesuredelesencaisser.
—Sérieusement?Loïcmeregarded’unairdésolé.Ilsaitcequim’attend.— Je t’assure.Dixminutes, je n’ai réussi à poser que trois questions parce qu’il était tellement
défoncéqu’illuifallaituntempsfoupouralignerdesmotsdedeuxsyllabes.Le boss va être ravi, l’interview pour laquelle il m’a demandé de revenir au journal a été un
véritablefiasco.Lechanteurétaitstone,voireplus.Jenecomprendsmêmepasquelemanageraitlaissélesjournalistesl’approcherdanscetétat.Quandjedisquejepréfèreécriresurdesmortsoudestypestellementconnusqu’ilsn’ontengénéralpasletempspourdespetitsjournalistesdansmongenre…Aumoins, on sait à quoi s’en tenir.Bien sûr, dans les années 60 et 70, ils prenaient tous des substancesillicites.Exceptéqu’ilslegéraientplutôtbien.Attention,jenecautionnepas,jedisjustequ’àpartdesbouletscommeMorrisonouJoplinquiontréussiàsetuer…breflesexceptions,quoi,ilsassuraientdesconcertsetdesentretiensettoutcequeleurstatutdemandait.Lesjeunesd’aujourd’hui,c’estpluscequec’était.Iln’yaqu’àvoirdesvidéosdelived’AmyWinehousecomplètementshootéequinesesouvenaitmême pas des paroles de ses propres chansons. Je sais, je sais, on ne dit pas de mal des morts. Iln’empêchequeMickJaggersurscène,défoncé,lesgensenavaientquandmêmepourleurargent.
—Voldemortvatetomberdessus,m’annonceLoïcavecunbrind’angoissedanslavoix.Personnen’aimesefaireremonterlesbretellesparlepatron.Personne.Mêmeànotrepireennemi,
onnelesouhaitepas.Etnotrepireennemi,c’estlui,c’estdire.
—Jesais,c’estpourquoij’aibesoind’uneautrebièreafindemepréparerpsychologiquementausavonquim’attenddemain!
12
Lise
—Putain,Monroe,tunemesersvraimentàrien!Ça faitdixminutesque je l’écoute sedéfouler surmoi. Jem’ensuisprisplein la tête, et leplus
sympa,c’estquejepensequetoutlequartierenaprofité.—Cen’esttoutdemêmepasmafautes’ilavaitprisjenesaisquellesubstance!—Démerde-toi,bordel!Ilestexcluqu’onpublieunarticleavectroispauvresquestions!—Jenesuisrestéequedixminutes!— Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans « démerde-toi » ? As-tu l’impression que ta vie
m’intéresse?Fouslecampavantquejedécidedeteremplacer.Je retourne dansmon bureau et jememets à écrire tout ce que je peux sur la rencontre éclair.
J’inventeunpeudestrucs,rienquipourraitporterpréjudiceaugroupe.Jefaismonmaximumpoursauvermesmiches.Montéléphonemedistraitdematentativedesauvetage.L’éditricedumagazineféminindanslequeljedonnedesconseilsamouretsexotombeàpicpourmechangerunpeudel’ambiancejoyeusedemonpatron.
—Bonjour,Lise,tuasfaittasélectionpourlemoisprochain?—Salut,Cynthia.Non,pasencore,jet’envoieçad’icideuxoutroisjours,çaira?—Aucunsouci.Ettonamie,commentçava?Que ça fait du bien de communiquer avec quelqu’un qui n’essaie pas de m’assassiner à coup
d’insultes.—Çaira,c’estgentildedemander.Tusais,elleestâgéeetbon…—Monroe!—Fautquejetelaisse,Voldemortarrive!Jeraccrocheprécipitamment.Monautrerédacchefa l’habitude,ellenem’entiendrapasrigueur.
Dommage,unedesraresinteractionshumainesdelajournéesirapidementgâchée.—Tuattendsquoipouralleràtonrendez-vous?
Mince.Jen’avaispasvul’heureet jevaisêtreàlabourre.Jeneluirépondsmêmepaset jefilefaire la deuxième interview, en espérant que, cette fois, personne ne soit sous LSD. Mon poste n’ysurvivraitpas.
Monrépit futdecourtedurée. J’aibouclé l’interviewet roulé tout l’après-mididu lendemain. Jesuisdansmavoiture,surlaplacedeparkingd’Annabelle,etj’attendsdetrouverlecouraged’ensortir.Je ne peux décemment pas passer la nuit ici. Quoique… quand j’y pense… Ce serait peut-être plusprudentquederisquerdecroiserAnge.
Descoupssurmavitremefontsursauteret je tourne la tête,pourmeretrouvernezànezavec lefameuxAnthony.Jedescendslafenêtreetilmesourit.Fourbe.Ilssonttousfourbesavecleursouriredepubpourdentifrice.
—Salut,jepensaisbienquec’étaittoi.Ah,onsetutoie,maintenant?—Annabellevabien?Toutvabien?Non, jene suispas sur lepointd’hyperventiler.L’avantageestqu’il doit connaître lesgestesde
premierssecours,vuqu’ilestdumétier.—Non, toutvabien !Rassure-toi ! Je suisvenuchercherAmbre.Ellem’adit que tuprenais la
relève,cesoir.—C’estexact.—Onmonteensemble?—Heu…D’accord…Pourquoi est-il si sympaavecmoi ?C’est louche. Jevois ce typepour ladeuxième fois et je le
trouveeuphoriqueenpermanence.Jemedemandes’ilsedrogueous’ilfaitsimplementpartiedecesgenstoutletempsjoyeux.Etdoncagaçants.Etbienhabillé,enprime.Çadoublemonagacement,carjesuisencoreenjean,DrMartinsett-shirt.J’ail’habitudedemesentiraussigracieusequ’unporte-manteauàcôtédelaplupartdesfilles,maispourlesmecsj’aisouventdelamarge.
J’attrapemasacocheRockYourSoul,lebossexigequ’onl’utilisepourfairedelapub,commesilemagazineavaitbesoindeça…Jerécupèremavalisedanslecoffreetl’infirmiermelaprendd’officedesmains.Enplusilestgalant:décidémentlouche.
—Ilt’aditquijesuis,c’estça?—Jesaisquitues,iln’apaseubesoindemeledire.TuesfandeRockYourSoul?medemande-t-
ilenmontrantmasacoche.—J’ytravaille.—Arrête,tumecharries?—Tuconnaislarubrique«OldSchool»?—Biensûr!Jesuisfan!Attends…Lise…LiseMonroe.C’esttoi?C’estlapremièrefoisquejerencontrequelqu’unquisaitquijesuis.Jesuisémue.—Oui,c’estmoi.
—J’adoretesdossiers!—Merci,c’estgentil.Ilmelaissepasserdevant,dansl’ascenseur.—Sérieusement,jesuisabonnéàcemag’depuistellementd’annéesquej’aiuneétagèreréservée!—Vraiment?Sijedisçaàmonboss,ilvaavoirunorgasme!Jel’aiditoujel’aipensé?Jecroisquejel’aiditvulesourirequ’ilarbore.—Jeveuxdire…Çaluiferaplaisir.—Ildoitmemanquer…allez…s’ilmemanquecinqnuméros…c’estleboutdumonde.—Tumediraslesquels,onatoujoursquelquesexemplairesdechaquesortie,aubureau.C’estlesourire,l’enthousiasme,lefaitqu’ilaimemarubrique…J’aienviedeluifaireplaisir.Les
portes de l’ascenseur s’ouvrent alors que nous sommes en grande discussion surmon papier dumoisdernieret,quandnousréalisonsquenoussommesarrivésaubonétage,nousdécouvronsAnge.Quin’apasl’airravi.
Jecomprendsqu’iln’avaitsûrementpasenviedemecroiser,maisenfintoutdemême.Sonregardvadesoncollègueàmoi,etdemoiàsoncollègue,etilsembledeplusenpluscontrarié.Est-cequ’ilconsidèrecommeunetrahisonquesonpotem’adresselaparole?Jen’avaispasréaliséqu’onenétaitaupointdemettreun embargo surmapetitepersonne.C’en serait presque flatteur si cen’était pas aussihumiliant.
Jereprendsmavalisedesmainsd’Anthonyetm’esquive.Jelesentendsmurmurerdansmondosetjefaiscommesijen’avaisrienremarqué.
—Liiiiiiiiiise!Voilà que la naine recommence avec les ultrasons. Elle se jette sur moi avant que je n’aie
l’opportunitédemebarricaderchezAnnabelle.Ambresortàcemoment-làetlamèred’Angearriveencourantderrièresapetite-fille.C’estformidable,toutlemondeestlà.MaviepourrieentechnicoloretDolbysurround.
—Ambre,jesuislà,tupeuxyaller.Emma,jeteverraiplustard,d’accord?Ellesembledéçue,maislà,c’estunpoiltroppourmoitouteseule.—Lise?Jen’enrevienspasqu’ilm’adresselaparole.Jefaissemblantdechercherquelquechosedansmon
sac.N’importequoi.Unchewing-gum?Quelquechose?J’entendsl’ascenseurrepartir,laported’àcôtéserefermer,et jesaisquenoussommesseuls, luietmoi.Jesuisvraiment tentéedem’engouffrerchezAnnabelleenl’ignorant,saufquejenesuispasunefroussarde.J’aisurvécuàdeuxjoursimprévusavecVoldemort,jepeuxlefaire.Jemeretournedonc,unmagnifiquefauxsourireplaquésurlevisage.
—Tuasfaitbonvoyage?Ilestsérieux?Ilveutvraimentsavoirça?Monsourirenetientpasetjel’observeensilence.Jene
saisvraimentpasquoiluidire.—Écoute,pourcequejet’aidit…—Jesuisfatiguée,jevais…rentrer…et…jedoissurveillerAnnabelle.
—Jepeuxvenir?Pardon?—Ellen’apasdéjàeusessoins,cesoir?—Si,mais…—Qu’est-cequetuveux,Ange?Parcequetum’aspourtantbienfaitcomprendrequetunevoulais
plusrienavoiràfaireavecmoi.Ilresteplantélà,avecsonjeanuséqu’ilremplitparfaitementlàoùildoitl’être,nonpasquej’aie
remarqué,cen’estpasmongenre.Ilaunt-shirtnoir,uni,sescheveuxsontlâchés,sesbrascroisés.Jem’appuiecontrelemuretjesoupire.
—J’aimeraisqu’ondiscute.—Jet’aidemandéunedeuxièmechance,tun’as…—S’ilteplaît.—Ange?La nana qui vient de parler et se tient devant la porte vient de s’échapper d’une agence de
mannequins,c’estça?—Marie,pasmaintenant.—Maisjedoisyaller.Ilneseretournemêmepaspourluirépondre:—Ehbien,vas-y.—TudoisêtreLise.Elles’approchedemoietmetendlamain.Jelaregarde.Jeleregarde.Oh.CetteMarie.Lamère
d’Emma.Jeserresamain,etellemesourit.Bizarrement,sonsouriremefaitflipper.—J’aientendudiretellementdemaldetoi,situsavais.Jepensequej’avaisraisondeflipper.Elleexerceunepressionplusforteetnerelâchepasmamain.—Marie,laisse-nous.Jene l’ai jamaisvus’adresseraussiagressivementàquiquecesoit.Angen’estpasd’unnaturel
méchant,ilestdétenduetaimetoutlemonde.Enfin,saufmoi.Maisçanecomptepas.—Excuse-moi,j’aienfinl’opportunitéderencontrercellequit’amisdansl’étatdanslequeltuétais
quandjet’airécupéré.Ilétaittemps,aprèstoutescesannées.Elleme tient toujours, je suisàdeuxdoigtsde luienvoyermonpoingdans la figure.Saufque je
n’arrivepasàmesouvenirs’ilvautmieuxgarderlepouceàl’intérieurdesautresdoigts,oupas.Etjen’aipasenviedemefairemal.Etjenesuispasviolente,enfin…jepensaisnepasl’être.Exceptéquelà,toutdesuite,j’aidespulsionssauvages.
—Marie,va-t’en.Ellefinitpardétournersonattentiondemoietpartir,enclaquantsestalonscommeuneprincesse.Et
biensûr,elleprend lesescaliers.Parcequ’onne récoltepasdes fessescomme lessiennesenprenantl’ascenseur. Je choisis toujours l’ascenseur. Machinalement, je regarde par-dessus mon épaule pour
vérifiermoncul.Biensûr,ilestloind’êtrerebondietmusclé,etbref,j’aiunpetitculunpeuplat,quoi…Peut-êtrequ’ilfaudraiteneffetquejeprenneplussouventlesescaliers.
—Lise,jepeuxvenirunmoment?Oh,pardon,j’étaisencoreperduedanslemomentsurréalisteoùtonexmetombaitdessus…
Ange
Elleestlà,totalementinconscientedel’effetqu’ellearriveencoreàproduiresurmoi.Chaquefoisquejelavois,c’estcommesicesannéesn’avaientpaseulieu.Commesijepouvaisnousimaginer,dansmachambre,AliceInChainsenfond,elleetmoi.
Jem’approcheunpeu,maisjesensquejelaperds.Ellen’apaschangé.Elles’échappedanssonuniversetjelatiensparcefil,celuiquilarelieàmoidepuistoujours.Jepensaisqu’ellel’avaitcoupé.Iln’ajamaisétéplussolidequemaintenant.
C’esteffrayant.J’aimeraisêtrecapabledeluitournerledos.Jedoissavoir.Jeveuxsavoir.Alorsjefaisànouveau
unpasverselleetjeluiposelaquestionquim’ahantédepuis…quimehantetoujours:—Pourquoi?
Lise
—Entre.Jenepeuxpasluirépondresurlepasdelaporte.Jenesuismêmepassûredepouvoirluirépondre
dansdescirconstances idéales.Quellesseraient lescirconstances idéales?Dansmes fantasmes, jeneseraispaspartie.Alors, forcément, lasituationactuelleest loind’êtrecellequimefacilite leschoses.D’unautrecôté,jeneméritepasvraimentquecesoitfacile.J’aibesoindemebattreunpeu.Etmêmes’iln’esttoujourspasprêtàmedonnerunesecondechance,jeluidoislesexplicationsqu’ilmedemande.
Ilmesuitetjelelaissepasserdevantdanslesalon:—Jevaisvérifierqu’Annabellen’abesoinderienetj’arrive.Il va s’asseoir sur un fauteuil et je m’échappe quelques instants, en prétextant le bien-être
d’Annabelle,alorsqu’enréalitéc’estlemienquiabesoindecettepausesalvatrice.Elledort.Ellenem’offrequequelquessecondesderépit.Etjesuisdéjàderetourauprèsdelui.—Jemefaisuneinfusion,tuveuxquelquechose?Jegagnedutempsetjesaisqu’ilenaconscience.Fidèleàlui-même,ilmelaisseprendrecetemps.
Il était celui qui écoutait, patient, attentif. J’étais celle qui prenait des décisions sous le coup del’émotion.Ilm’équilibrait.Ilsavaitcommentréagirpourm’apaiser.Illesaittoujours.Çamefaitautantdebienquedemaldeconstaterça.
—Jevaisenprendreune.Il se lève etme suit dans la cuisine. Je fais ces gestes du quotidien quime semblent d’un coup
gauchesetmaladroits,parcequ’ilestlà.Commesisaprésencechamboulaitlasimplicité.—Ilneresteplusquedeuxjoursdesoins,elleseremetbien,m’annonce-t-il.Ilsaitquej’aibesoindecedélaipourparlerdecequ’ilsouhaiteaborder.—Vraiment?—Jepensequesiellepratiquecommeilfautsarééducation,ellepourraremarcher.Avecuneaide,
biensûr,unecanne.J’aidéjàvudespersonnesâgéesdanslamêmesituations’ensortirconvenablement.—C’estunebonnenouvelle.J’étaissûrequ’ellenepourraitplusmarcher.
—Elleétaitenforme,avant.Çavaaider.—Jenesavaispasquetuvoulaisdevenirinfirmier.Jerestefaceàlabouilloireenattendantquel’eausoitchaude.J’aibesoindecelapsdetemps,cette
parenthèsebanale,avantdeleregarder.—Jel’ignoraisaussi.C’estvenuplustard.C’estlapremièrefoisqu’ilévoquecettepartiedesavieavecmoi.Lesilencequisuitmefaitdubien.Jusqu’àcequejelesente,justederrièremoi.Ilpasselesbras
autourdematailleetm’attireàlui.Ilneditrien.Jen’osepasbouger.Jerestecontrelui,cetteculpabilitétellementprésenteentrenousm’empêchantdeprofiterpleinementdececontactinattendu.Inespéré.
—Tum’astellementmanqué,Lise.Tumemanquestellement.Sonaveumefaitfrissonner.Àmoinsqu’ilnes’agissedesesmainsquiseglissentsousmont-shirt.
Ousonsoufflesurmoncou.Jerestefigée,j’aipeurderomprelecharme.Jelesenstrembler.Trembler?Non. Je le sens pleurer. Jeme retourne lentement et il enfouit son visage entrema joue et mes
cheveux. Ses larmes roulent surma peau et je le serre contremoi, je le rassure comme je peux.Mesdoigtss’entrelacentàsescheveuxetjelemaintienslà.
Jelelaissepleurermonerreur.
13
Ange
Jenesaispascombiendetempsjerestedanssesbras,àlalaisserabsorberladouleurquejeportedepuistoutescesannées.Jenesuismêmepassûrqu’ellesachevraimentparoùjesuispassé.
J’étaisdévasté.Anéanti.Je réalise que je lui en veux toujours. Je pensais être passé à autre chose, mais c’est encore
douloureux.Trop.C’estpourçaque jenepeuxpas luidonnercequ’ellemedemande.Unedeuxièmechance?Une
deuxièmechancepourquoi?Medétruireànouveau?Suis-jeprêtàluiconfierlesarmesquipourraientunefoisdeplusmefairetoucherlefond?
Non.J’aiEmma,maintenant,jenepeuxplusmepermettredepartiràladérive.Alorsjemeredresse,me
détourne, et elle n’esquisse pas le moindre mouvement pour me retenir. J’ai besoin de mettre de ladistanceentreelleetmoi.C’esttroptôt.Neufansontpassé,etc’estcommesic’étaithier.
Qu’ellemequittait.Qu’elleétaittoutpourmoi.Quejen’étaisplusrienpourelle.
Lise
Ilreculeetprenddeladistance.J’entendsl’eaubouillirdansmondosetjelaissepasserquelquessecondesavantdemelancer,enfin:
—J’aicruquejedevaisexister,seule.Sanstoi.Sansnous.Meprouverquejepouvaisyarriver,justeparmoi-même.Jepensaisvraimentmerendreservice,m’éloignerdetoipourm’affirmer.Jemesuistrompée,tum’asmanquédèslespremiersinstantsloindetoi.Jesuisrevenue,Ange,jevoulaisréparercequej’avaislaisséderrièremoi.Tonfrèrem’apersuadéequejen’étaispascedonttuavaisbesoin.Quetuseraismieuxsansmoi.Jemesuisditqu’ilavaitsûrementraisonpuisquej’avaismoi-mêmepenséavoirbesoindecettedistanceentrenous.Jesuisdésolée.
—Tuesdésolée?Jeleregardesansriendire.Jenevoispasquoiajouter.—C’esttout?Tuvoulaisvoirsituétaisheureusesansmoi,tuasfoutuenl’airdesannéesdema
vieettuesdésolée?—Tupréfèresque je tediseque jene le suispas?Tuattendsquoidemoi?Que j’inventeune
excusequiseravalableàtesyeux?Parcequelavéritéestlà:j’aiprisunedécision,jemesuisplantée,jel’airegrettée.Chaquejourdepuis,jem’ensuisvoulud’avoirétéaussistupide,tuveuxentendreça?Tuveuxentendrequejeregretted’avoirécoutéJé?Quej’aiessayédereveniraprèsça,maisquejen’aipaseulecouraged’assumer?Queveux-tu,Ange?Quejet’expliqueque,chaquefoisquejepensaisàtoi,j’avaisl’impressionqu’onm’enlevaitunmorceaudemoi-mêmepourmerappeleràquelpointj’avaisdéconné?C’esttout,oui.Etçamesemblesuffisant!
J’entendsAnnabelles’agiterdansson litetAngesepasse lesmainssur levisageenévitantmonregard.
—JedoisallervoirAnnabelle.—Emmam’attend.Jeleregardepartiretvaisaidermonamieàserendreauxtoilettes.Unefoisqu’elleestànouveau
bienallongéedanssonlit,j’aibesoindem’immergerdansleboulot.C’estcequejefais,c’estmontruc.
Je m’occupe l’esprit le plus possible. Je m’installe devant mon ordinateur, au salon, oubliant moninfusionquejen’aiplusenviedeboire…Etjemetsmesécouteurs.WithaLittleHelpFrommyFriendsdesBeatlesm’aideàm’évaderetjetravaillesurmonarticle,passantensuiteàlaversiondeJoeCockeret enchaînant les morceaux pour y puiser l’inspiration qui n’est pas franchement au rendez-vous cestemps-ci. Je réfléchis aussi à l’article surmon père. Je sais que, pour compenser l’interview loupée,même si ce n’est absolument pasma faute, je dois fournir un article qui tienne la route et, avec uneexclusivitésurl’albumquisepréparepourl’hommageàmonpère,jedevraismerattrapersanssouci.
Je m’immerge ailleurs, je détourne les yeux de l’image d’Ange s’éloignant et me reprochant ensilencelemalquejeluiaifait.Quejeluifaistoujours.
C’est la première sortie que nous faisons, Annabelle et moi. Ambre nous accompagne et jecommence à m’accommoder de sa présence.Même si je n’ai pas été très enthousiaste quand je l’airencontrée.Jem’habituecependantàelle,à l’idéequ’ellefaitpartiedenotrevieetque«notre»vie,c’estcelled’Annabelleetmoi,danscettenouvellesituation.Fortheureusementpournous, l’immeuble,bienqueplustoutjeune,estaménagépourpermettreauxfauteuilsroulantsdecirculer.Nousavonsdoncpumanœuvrersansaucunecomplication.Mêmel’ascenseurestassezgrand,cequinousarrangebien,carjenesaispassinousaurionspunousensortirànousdeuxsansprovoquerunecatastrophe.C’esttoutàfaitmongenredefairetomberdanslesescaliersunevieilledamedéjàdiminuée.
Noussommesdans lepetitboisqui longelarésidenceetAnnabelleapprécie lapromenade, je levois.Ellesouritetacetairsereinquilafaitplusressembleràelle.Nousnousinstallons,Ambreetmoi,surunbanc,Annabelleàcôtédenous.Nousprofitonsuninstantducalme.Ici,pasderoute,pasdebruitsdevoituresoudelaville.
Tropdesouvenirs.La première fois qu’Ange etmoi sommesvenus dans ce petit parc, j’avais quinze ans, ça faisait
quelques mois que nous étions ensemble et nous nous sommes assis sur un banc. Nous avons passél’après-midi ànousembrasser.Quand il avaitglissé lamain sousmon t-shirt, jen’avaispasprotesté.J’enavaisenvie.Ilétaitlepremieràmetoucher,là.Jesavaisqu’iln’étaitplusvierge,jemesentaisenconfiance,justement;iln’étaitpasenterraininconnu.
—Alors,oncontinue?proposeAmbre,mesortantdemessouvenirs.Je souris, car, en fin de compte, nous nous sommes toutes les trois prises au jeu des romances
mielleusesetnoussommesconvenues,d’unaccordtacite,d’attendred’êtreréuniespourpoursuivre.Jeprendslelivredepochequej’aiapportédansmonsacetquiaunecouverturedélicieusementridicule.Fabio se tientde face, enkilt, uneépéedeVikingà lamain (nepaschercher le rapport) etune jeunefemmeenrobedéchiréeestjetéeàsespieds,l’airtotalementéperdue,levisageamoureusementtournévers lui.Uneespècedemélange improbableentreConan leBarbareetBraveheart, le toutà la sauceannées80.Unvrairégal.
«AlorsqueDuncanchevauchaitverselle,sescheveuxauventetsonkiltsesoulevantàchaquefoulée,dévoilantlesnœudsdesmusclesdesescuisses,ladyMargaretrestaitfigée,subjuguéeparla
beautébruteetbestialequiémanaitduregarddebraisefixésurelle.Biensûr,ellen’ignoraitpaslesmanières peu recommandables de ces barbares desHighlands.Mais une infime partie de son êtrefrémissait à l’approche de lamontagne puissante et imposante qu’était son ravisseur.Elle soupiralorsqu’ilarrêtasamontureàseulementquelquescentimètresd’elle.DouxJésus,cethommen’avait-ildoncaucunrespectpourlavied’uneladydesonrang?»
Jesuisépatéeparleshéroïnesdesromancesquenouslisons.Ellesn’ontpasunmillilitred’instinctdesurviedanslesang,etpourtant,ellesfinissenttoujoursaveclebeaugossequi,lui,entre-temps,retiresa virilité et l’abandonne sur le palier dès qu’il entre dans la chambre à coucher.Ce qui est fort peucommodepourlascèneérotiquequisuit…Annabelleenraffoletellementquec’estdevenuunjeuauqueljemeprêtevolontiers.Mêmesi,encoreunefois,elles’estendormie.Cettemaniecommenceàdevenirvexante,àlalongue.JemetourneversAmbre:
—Alors,cettesoiréeavectoninfirmier?—Jepourraisterenvoyerlaquestion.Jenerépondsrien.TechniqueVoldemort.—Jenepensepasqueçavalefaire,finit-elleparrépondre.Ilest…Commentdireça…—Gay?—Non!Elleéclatederire:—Réservé,jenecroispasqu’ilsoitsurlamêmelongueurd’ondequemoi.—Ettuasdécouvertçaenunesoirée?—J’aiunesortedesixièmesens,pourlesmecs.Etlui,crois-moi,iln’estpasintéresséparuncoup
d’unsoir.—Etça…c’estmal?—Jenecherchepasunehistoiresérieuse, j’aienviedem’amuser. Jesorsd’undivorcepas très
joli.—Jevois,tuasbesoind’unetransition.—C’estcedontj’aienvie,oui.Mêmesicen’estpascequemeditmoninstinct.Etquandjevoisla
petiteEmma…Çanetedonnepasenvied’enavoiruneàtoi?—Pasvraiment,non.Enfin,jenesuispasuneréférence.Jepensequej’aiétélivréesanshorloge
biologique.Etpuis,jen’aiquevingt-septans,j’ailargementletempsdevoirvenir.—Moiçametravaille…pasfacileàconcilieraveclafameusetransition.Oh!Regarde!Ellepointequelquechosesurlesoletjevoisdébarquerunetortue.Enfin,débarquer…cen’estpas
fulgurantnonplus.Elleavancetranquillement…Cen’estpassouventqu’onenvoit,lestortuessauvagesnesontpaslégiondanslecoin.Jemelèveetm’accroupispourlaregarderdeplusprès.
—Elle est adorable ! Je voudrais lamontrer àEmma.Sauf que le temps d’aller la chercher, latortueaurafilé.
—Surveillelabête,jevaisvoirsisagrand-mèrepeutl’amenerici.Sic’estmoiquidemande,ceseratoujoursmieuxquel’exdesonfilsquiluiabrisélecœur.
Jepréfèrenerienrépondre.Je vérifie qu’Annabelle dort bien et qu’elle ne risque pas de glisser du fauteuil. Je remonte la
couverturesursesjambesetreportemonattentionsurlatortue.—Alors,T-Rex,tuvasrencontrerEmma,tuvasvoir,ellevatefaireuneperruqueviolette,tuvas
adorer.
Quelquesminutesplustard,T-RexesttoujoursdanslecoinetEmmaarrive…avecJé.—Lise!Ambreelleaditquet’asunesurprise!—Viensparlà!Ellemerejointets’accroupitsurlesoldanslamêmepositionquemoi.Etd’uncoup,ellevoitla
tortue.Ellepousseunpetitcriquimefaitperdreuncertainpourcentagedemescapacitésauditives.Elleestravie,doncmoiaussi.Cettegamineexacerbemonpetitcôtémasochiste.
—C’estT-Rex!hurle-t-elleentapantdanssesmains.—Tul’asreconnu,toiaussi!Attention,interdictiondelatoucher.Ambre nous imite et commence à discuter avecEmma. Je comprends ce qu’elle voulait dire par
«j’enveuxune»,elleaclairementuninstinctmaternelquinedemandequ’àtrouversacible.Jedevraisd’ailleurssurveillerqu’ellenesebarrepasavec lapetite.Jemeredresseparcequebon, j’aimalauxcuisses,jen’aipluscinqans!
—Jé.—Lise.Jevaism’asseoirsurlebancenréajustantlacouvertured’Annabellequiétaitdéjàbienenplace.
Çam’occupeetçamedonnesurtoutunebonneraisondenepasprêterattentionàJérôme.—Tuluiasfaitquoi,hier?medemande-t-ildesadoucevoixquidégoulined’amabilité.—Dequoituparles?—Monfrère.Ah.Ils’assoitàcôtédemoi.—Pourquoituneleluidemandespas?Ahoui,j’oubliais,peut-êtrequ’ilnetefaitplusconfiance,
maintenant.Nousneparlonspastropfort,histoirequ’Emmanenousentendepas.Aucunrisque,cependant:elle
estpassionnéeparlesdeuxpasetdemiquelebestiauafaitsdepuissonarrivée.—Tuétaisd’accordpourqu’onluicachetavenue.Tum’enveux,Lise,maistuétaisdemonavis.Ilaraison,jeluienveuxunpeutrop.Iln’empêchequejeletiensenpartiepourresponsabledela
misèreémotionnelleetsentimentaledans laquelle jevisdepuispresqueunedécennie.J’étaisd’accordparcequej’étaisperdueetqu’ilm’apersuadéequejenepourraisplusrienapporterdebonàsonfrère.Jenesuisplusd’accordd’avoirétéd’accord…sijepuisdire.
—C’étaiteffectivementlecas.J’aitoutdemêmesouffert,Jé,necroispasquetonfrèresoitleseulàavoirmorflé.
—Tun’étaispaslàpourlesortirdutrou.—J’aiessayéd’êtrelà.—Pourtoi,parcequetutesentaismisérable.Tuseraisrepartie.—Tuspécules,tun’ensaisrien.—Detoutefaçon,ilafiniparrencontrerMarie.—Ilssontrestéslongtempsensemble?Ellel’aaidé?—J’aimeraistedirequeoui,parcequej’aimeraistefairesouffriraumoinsunpeu,quetusaches
paroùilestpassé.Maisnon.Çan’apasduré.—Pourtant,Emman’aquecinqans…—Ilsontrecouchéensembleunsoir,ilsétaientbourrés,cen’étaitpasprévu,ilsn’étaientplusen
coupledepuisuneéternité.Tuveuxsavoirpourquoi?Jenesuispascertainedelevouloir, jesenscependantquej’aibesoind’entendreça.Jehochela
tête.—Lise!
14
Lise
—Elleestàtoi?medemande-t-elleenmontrantlatortue.—Non,elleestàlanature.—Maissionlalaissedanslaforêt,jenelaverraiplus?—C’est comme ça qu’elle sera heureuse, crois-moi. Les animaux sont faits pour vivre dans la
nature,enliberté.—Alorsauzoo?—C’estmal.—Pourquoi?Jem’assoisàmêmelesoletellevientnaturellements’installersurmesgenoux.Jefaiscommesi
son coccyx n’était pas en train deme broyer la cuisse et la prends dansmes bras. J’ignorais que lesenfantspouvaientavoirlesospointus.
—Dis-moi,Emma,siont’enfermaitdansunecage,toutletemps,etquedesgensvenaienttevoir,pourteprendreenphoto, te jeterdelanourriture, teregardervivre,allerfairepipi,manger,dormir…est-cequetuseraisheureuse?
Jel’observeréfléchir,sesminisourcilsfroncés,etjelatrouvebelle.Ellemerappelletellementsonpère.
—Non,c’esttoutpetit,unecage.— Les animaux, c’est pareil. Leur vraie maison, c’est la nature, pas une cage. Tu comprends
pourquoinousdevonslaisserT-Rexdanslaforêt?—Chezmoi,c’estpasunecage!—Non,maisc’estlamêmechose.Ilyadesmurs,deslimites.Ellen’estpaslibred’alleroùellele
souhaite.Alors, nous pouvons dire que nous viendrons la voir ici de temps en temps si tamamie estd’accord.EtsiT-Rexdécidedenousfaireunepetitevisite,commeaujourd’hui,tantmieux.Sinon,nousdevonslalaissertranquille.D’accord?
—D’accord!Jepeuxluifaireuneperruque?
Jesensquecettepauvretortuevaperdredixansd’espérancedeviedurantlestroisminutesqu’ellevapasserparminous.Jel’avaisprévenuepourlaperruque,elleestrestée…Tantpispourelle!
—Jenesuispassûrequ’elleapprécie.—Etjepeuxvenirjoueravecelle,ici?—Tudevrasdemanderàtesparents.Moi,jesuisd’accord.J’aitoutàfaitconsciencedemettreAngedansunesituationdélicateparceques’ilditnon,ilaurale
mauvaisrôle.Alorsjerectifie:—Jepeuxt’yaccompagner,situveux,ets’ilssontd’accord.Déjà,onpeutfairequelquesphotos
avecmontéléphone,commeça,tuaurasunsouvenir.—Jevaisdemanderàpapa,cesoir!—Enattendant,jesuissûrequetontonestd’accordpourqueturestesunpeu,hein,Jé?Jerelève la têtepourm’apercevoirqu’ilnousobserveensouriant.Jénem’apassouriuneseule
foisdepuisquejesuisrevenue.Jelecomprends,maisçafaitplaisiràvoir.Nousétionsproches,luietmoi.Ilétaitunpeucommeunpetitfrère.Cen’estpasgrand-choseetcesourireestcertainementdestinéàEmma…c’esttoutdemêmeagréable.
Pendantqu’Emma tentaitde faire tenirdes feuilles sur lacarapacedeT-Rexafinde ladresseràdevenir livreuse de colis pour PetShop, j’ai pris plusieurs photos.Nous avons passé un bonmoment.Annabelle s’est réveillée, elle était elle-même, elle nous a tous reconnus et a apprécié la présenced’Emma.J’ail’impressionquecettegamineetsaspontanéitéfontdubienàtoutlemonde.Ensuite,ilabien fallu rentrer. Jé a récupéréEmmapour legoûter et je suis surpriseque lui etmoiayons réussi àpasserunmomentcôteàcôte.Sansnousadresserlaparole,certes…maissansnousentretuernonplus.C’estcequej’appelleunélémentpositifdansmajournée.Jemeraccrocheàcequejepeux.
Depuis,j’aibouclémoncourrierducœuretrenvoyélefichieràCynthiapourlacorrection.Jen’aienrevanchepasdutoutavancésurmondossierdumoispourlarubriquedeRockYourSouletjemesuisencoremoinsoccupéedel’articlesurmonpèrepourlehors-série.
JevaisplutôttenircompagnieàAnnabelleetlaretrouvedanssachambre.—Jet’aipréparéunthé.Jeposelatassesursatabledechevetetellemeregardeensouriant.Jesuisrassuréedevoirqu’elle
mereconnaît,j’appréhendetoujourssesépisodesd’absences.—Alexandra,qu’as-tufaitàtescheveux?Lesbouclesvontlesabîmer!Ohnon,maintenantellemeprendpoursafille.—Annabelle,c’estLise…—Tusaisquetonpèren’aimepasquetutouchesàtacoiffure,tuesencoretropjeune!Tun’asrien
àmefairesigner,pourl’école?—Etsitumeparlaisd’André?—Commentes-tuaucourant?OhmonDieu,ilnefautpasquetonpèrel’apprenne!Ellecommenceàs’agiter,àpaniquer.Etmince,jefaisvraimentn’importequoi!
—Annabelle,toutvabien,personnenevariendireàpersonne,c’estnotresecret.—Ilfautmelepromettre!Jenepeuxpasmepermettrequetoutlemondesachequejesuisveuve,
Martialnes’enremettraitpas!—Non,jet’assurequ’ilnelesaurapas.Auboutdequelquesminutes,jeneparvienstoujourspasàlaconvaincrequetoutestsouscontrôle
etquesonpassé resteradans lepassé.Et jesuis lessivée.Paniquée.J’aichaud,honte, jenesaisplusquoifairenicommentlefaire.Jesensmonsangpulserdansmestempesenrythmeavecmarespiration.Jeperdspiedparcequejenesuispasarméepourgérerlasituation.C’estlemomentquechoisitAmbrepourrevenirdesapauseetprendrelarelève.Ellemesuitdanslecouloiretfermelaportedelachambred’Annabelle.
—Ellenet’apasreconnue?—Ellem’aprisepoursafille.Etpuisj’aiparlédesonpremiermari,etelleapaniqué.Jenesais
vraimentpascommentfaire,jeluiaiprovoquéunecrisedepanique!—Calme-toi,çaarrive.Mêmeàmoi.Sors,vatepromener,prendsl’air.Détends-toietreviens.Je
m’occuped’elle.—Merci.Jenemelefaispasdiredeuxfois,j’attrapemontéléphone,aucasoùelleaitbesoindemoi.Même
sijesaisquejefaisplusdedégâtsqu’autrechose…Etjesorsdelarésidence.Jemedirigeverslepetitbois, presque en courant. Quand j’y arrive, je m’appuie contre un arbre d’une main et laisse enfinl’angoisse s’exprimer. Je pleure, je sanglote, j’ai dumal à respirer. Je ne sais plus comment gérer lasituation. Je plaque lamain surma bouche, j’essaie deme contrôler. Je nemaîtrise plus du toutmesémotions, jeneme reconnaisplusnonplus.Cen’est plus elle.Cen’est plusmoi.Cettemaladienousbouffelentement.Jecommenceàretrouvermonself-controllorsquej’entendsdespasderrièremoi.Jemeredresse, il n’est pas question que je me donne en spectacle. Alors j’avance, pour m’éloigner dupromeneur. Je sens unemain surmon épaule et jeme retourne brusquement,mon téléphone brandi enavant, comme si je pouvaisme défendre avec ce petitmachin dont l’écran se brise dès qu’on souffledessus.Angesetientdevantmoi,inquiet.Alorsjefaiscequejefaisaistoujours,avant:jemeconfieàlui,çamevientnaturellement.
—Ellenesaitplusquijesuis,situl’avaisvue,ellen’aaucuneidéedequijesuis!Ellem’aprisepoursafilleetj’aivoululuichangerlesidées,etelleapaniqué,alorsjenesavaisplusquoifaire!Ellenemereconnaîtplus,Ange,jefaistoutdetravers!
Etjerépètemonimpuissanceensanglotantànouveau.Ilm’attrapeparlesépaulesetm’obligeàleregarder:
—Cen’estpastafaute,elleestsurledéclin,Lise,ilfautquetul’acceptes.Cen’estpastafaute,medit-ilplusfermement.
Mes jambesnemesupportentplusalors jemedégageet rejoins lebanc leplusprocheoù jemelaisse tomber. Je renverse la tête en arrière, ferme les yeux, et tente de stabiliserma respiration.Meretrouver faceàcettepersonneque jeconnaisdepuispresquequinzeans, réaliserque jen’existeplus
pour elle,même si c’est uniquement dans une fenêtre de son temps, jeme suis sentie…vide. Inutile.Commentpeut-onêtreannihilédel’espritdequelqu’un,commeça,enunclaquementdedoigts?
Jel’entendss’installeràcôtédemoi.Ilestcalme.C’estcommeçaquejeleconnais.Çamerassure,carilestfamilier,sansl’être.C’estunrepère,quin’enestplusun.C’estmalgrétoutmonrepère.
—CequetuasfaitpourEmma,aujourd’hui,j’appréciebeaucoup.—Tuvienssouventlavoir.J’aibesoinqu’ilmechangelesidées.Ill’acompris.—Jefaisdespetitesvisitesquandjepeux.Onestquatreassociéspournepasavoiruntafdefou,
justement.Certainsjours,jecourspartout,jen’aipasletempsdemeposerpourmanger.D’autres,c’estpluscalme.Aujourd’hui,c’estlecas.Etpuislesautresn’ontpasd’enfants,alorsons’arrangetoujourspourqu’ilsprennentlespatientstôtlematinettardlesoir.Jefaislacomptapourcompenser.
C’est bizarre, lui quime raconte sa vie.Moi qui l’écoute.Comme si nous pouvions rattraper letempsquejenousaifaitperdre.Commes’ilpouvaitvouloirlerattraper.Ilneditplusrien.
Jemeretourneverslui.Ilregardedevant, ilestunpeucrispé,tranquilleenapparence,cependantpastoutàfaitdétendu.
—Jet’aivraimentabîmé…Ilmefaitface, ilnerépondpas.Iln’estpasnécessairequ’ilmeleconfirme.Jelevois.Alors je
l’observe.Sonvisageestbienpluscarré,iladéfinitivementperdulesrondeursdel’enfanceetlabarbeserait là pourme le rappeler si j’avais un doute. Il ne ressemble pas à son père, ni à samère, il neressemble qu’à lui. Ses yeux clairs sont plus durs qu’avant, parce qu’avant ilme regardait commeonregardequelqu’unqu’onaime.Maintenant…
—Tum’asfaitsouffrir,oui,maisjem’ensuisremis.—Moipas.Illaissepasserquelquesinstantsavantdereprendre:—Moinonplus,avoue-t-ilfinalement.Je soupire. Jenepeuxpeut-être rienpour l’étatmentald’Annabelle, j’ai toutdemêmebesoinde
réparercequej’aimoi-mêmebrisé.—Jenesaispasquoifairepourarrangerça.Dis-moicommentjepeuxt’aideràallerdel’avant.Tu
veuxquejeparte?JepeuxemmenerAnnabellechezmoietdisparaîtredetavie.Elleadoreêtrechezmoi,jetrouveraiquelqu’unpours’occuperd’ellependantquejetravailleet…
—Non.Ilserapprochelentementdemoietjen’arrivepasàdétournermesyeuxdessiens.—Tun’asplusledroitdepartir.Je ne saisis pas bien ce qu’il veut dire. J’ai peur de comprendre et à la fois d’être à côté de la
plaque.Il lève lamainet lapose surma joue. Je ferme lesyeuxetprofitedececontact inattendu.C’est
exactementcequ’ilmefallait,etjesuissûrequ’illesait.Jenousenfermedansunebulle,horsdutemps,etjesavouresaproximité.Ilsouffleplusqu’ilneparle:
—Sijenenousdonnepasunesecondechance,jenesauraijamaissitoietmoionauraitvraimentpuêtrenous.
15
Lise
Jenesuispascertained’avoirbienentenducequ’ilvientdemedire.Alorsjeleregardeenclignantstupidementdesyeux.
—Lise?—Tuveuxnousdonnerunedeuxièmechance?—Jevoudraisessayer,ettoi?Jemerapprocheunpeudelui,jetendslamainetlaposesursanuque,soussescheveux.Ilferme
lesyeuxetvientàmoncontact.Jemedétends.—Ilfautquejeretournetravailler,murmure-t-ilavantdesaisirmamainetd’ydéposerunbaiser
surlapaume,enm’observant.—D’accord.Ilsourit.Unregard,unsourire,unepromesse.Ilaunteleffetsurmoi,justeenétant…lui.Underniersoupir,ilselèveets’enva.Jenem’habituepasàlevoirpartir.Jen’aipasvraimentletempsdem’attardersurcetteannonce,
montéléphonesonne.Impossibledefiltrer.—Boss.—Monroe,alors,monarticle?—J’ytravailleet…—Mauvaiseréponse.Ilraccroche.AvecVoldemort,leretouràlaréalitéesttoujoursbrutal.Etefficace.
Ce début de soirée est plutôt calme. Ambre regarde une émission avec Annabelle. Je me suisinstallée dans le salon avecmon ordinateur pour travailler. Tout compte fait, j’avance bien dansmesarticles, c’est toujours ça de pris et c’était le plan. Çame rappelle ma première année à l’école de
journalisme.Jen’avaispasd’amis,pasdeviesociale,j’avaisdonctoutmontempspourtravailleretjen’aijamaiseud’aussibonsrésultatsquecetteannée-là.Etpuisj’airencontréLoïc.
Jeviensdeplacerlepointfinalaucourrierducœurd’undesmagazinespourfillespourlequeljebosseenfree-lance,quandontapeàlaporte.Jeneconnaispasbeaucoupdepersonnesquiviennentnousrendre visite et mon cœur s’emballe stupidement à l’idée de le voir parce que je sais que c’est lui.Depuishieretsaconfession,jefaismonpossiblepournepastenircomptedetoutcequimepasseparlatête.Etentroispetitscoups,ilréduittousmeseffortsànéant.J’ouvre.Ilsetientbienlà,sonsacàdossuruneépaule. Ilporteun jeansombrebootcutet j’essaiedenepasêtredistraitepar l’impressionquecepantalonaétéfaitsurmesure.Jeremonteleregardjusqu’àluietlepetitsourirequejeremarqueaucoindeseslèvresmeprouvequ’iln’estpasdupeetqu’ilabiencomprisquej’étaisentraindelemater.Iltientsafilleparlamain.Cequimefaitl’effetd’unedouchefroide.Surtoutquecequej’airemarquéenpremier,cesontlescuissesd’Ange,etensuite,seulement,j’aicaptéquelaglumaudeétaitlà.
—J’aibesoind’unservice.Lamèred’Emman’estpasenville.Ons’estmalcomprisavecmesparents,ilspensaientquej’avaismasoiréedelibreetenontprofitépouraccepteruneinvitationchezdesamis.Jeneterminepasavantvingtetuneheures,letempsderentreret…
—Tuveuxmeconfiertafille?Jeluidemandeçapourvoirsij’aibienassimilécequ’ilessaiedemedire.Non,parcequedesfois,
surunmalentendu…—Ellet’aimebien.Jebaisselesyeuxsurlapetitedemoisellequibâilleàs’endécrocherlamâchoire.Ellen’ariendit
depuisquej’aiouvert,c’estétrange.—Tul’asshootée?Elleestbiensilencieuse…—Elledevraitêtreaulitdepuisunedemi-heure.—Heu…Ehbien…—Je tedemande justede lacoucherdanssachambre,chezmesparents,etd’icideuxheuresau
maximum,jeprendslerelai.—Jenesaispassic’estunebonneidée.—Tuveuxpasmegarder?C’estuncoupbas,ça.Ellemefaitunregarddepetitchiotabandonné.—Tuasbienquelqu’unquiestavecAnnabelle?—Oui,enfinlesenfantsetmoi…S’ilarrivequoiquecesoit,je…—Ellevajustedormir.Lise,s’ilteplaît,jesuisdanslamerde.—Grosmot!faitremarquerEmmaenlevantsonvieuxdoudoumoisi.Jelesconsidèreunmoment.Bon,ceseraitvraimentvachedemapartdelesplanter.Monaltruisme
meperdra.—JevaisprévenirAmbre.J’espèrepourluiqu’iln’apasfaitsemblantdenousdonnerunedeuxièmechancejustepouravoir
unenounousurlemêmepalierquesesparents.Jelevivraisassezmal,etluiaussi,unefoisquejeme
seraisvengée.
—Tunedevraispasdéjàdormir?—Oui,maiscesoirc’estunpeulafête!Cettegamineestincrevable.NousavonsjouéauxPetShop,rangélachambre,lutroislivres,etelle
a toujoursunepêched’enfer.Uneheureet je suisdéjàépuisée.Quand jepensequ’ellebâillait, toutàl’heure.
—Emma,tuétaisépuiséelorsquetonpapat’aamenée,pourquoituesencoreréveillée?—Mamamandittoutletempsquesijemecouchetroptard,aprèsc’esttoutfichule.—Tuveuxdire«fichu»?—C’estcequej’aidit.—Etdonc,engros,tudeviensinsupportable.—Non,mamamanditpasça.Elleditquejedoispasmanquermonheuredudodo.Ben,çamefaitunebellejambedesavoirçamaintenant,surtoutquesonpèremel’adéposéeaprès
sonheuredecoucher.Jesensquejemesuisbienfaitavoir,danscettehistoire.—Tuvasdevoirtecoucher.—D’accord.Tudoismechanterunechanson.—Pardon?—Mamiemechantetoujoursuneberceuseetmamanaussi,alorstoiaussi.—Non,jenecroispas,monpetit.—Situnechantespas,jen’arriveraipasàdormir,etsijenedorspas,aprèspapaditquejepète
lesplombs.—Papaavraimentditça?Çaneluiressemblepas,luiquimeprendlatêtedèsquej’aiunepetitediscussionuntantsoitpeu
réalisteavecsafille.—Non,çac’estAlainquil’adit,l’amoureuxdemamaman,maispapailaditqu’ilavaitraison.—Tuvois,argumentdepluspourallerdormir.—Avecunechanson.—Jeneconnaisaucuneberceuse.—Tupeuxchantercequetuveux.Je réfléchisunmoment.Commentse fait-ilquecettegosse finisse toujoursparobtenircequ’elle
veutdetoutlemonde?Voilàl’originedesenfantsrois!Enmêmetemps,hein,cen’estpaslamienne!J’improvise une version moins rythmée que l’original de Three Little Birds et ça a l’air de
convenir.Preuvequelesgossessontd’uneautreespèce,parcequej’aitoujourschantétrèsfaux.Riendutalent demonpère ne s’est faufilé dansmesgènes.Elle se blottit sous sondrap, sonhorrible doudoudélavé/déchiré/puant dans les bras. Quand je termine, elle me dit que je dois recommencer, quenormalement c’est trois fois. Elle a desTOCou quoi, cette gamine ? Jem’exécute parce que je sensqu’elle va bientôt s’endormir et je ne voudrais pas louper le coche. Effectivement, avant la fin de la
troisièmechanson,elledort.Jemelèveavecmoultprécautions,jenemepensaispascapabled’exécuterunescèneauralenti.Jesuiscontented’avoirrangélachambre,çam’évitedemecasserlafigureentrelelitetlaporte.Jeluilaisselapetiteveilleuseàcôtédulitetéteinsleplafonnier.Jefermedoucementlaporteetsoupiredesoulagementquandjeréalisequ’ellenegrincepas.Voilà,c’estpastoutfichule,elledort,lanaine!Jem’apprêteàm’installerausalonenattendantleretourdesonpère,quandonm’attrapepar-derrière, un bras bloquant les miens, enroulé autour de ma taille, une main sur ma bouche,m’empêchantdehurler.
—C’estmoi…Nedisrien,ellealesommeilléger.Jenesaispassijevaisréussiràconvaincremoncœurdereprendreunrythmenormalaprèsça…Je
suisrassurée,cen’estqu’Ange…quiseprendpourunninjacommando!Ilm’entraîneavec lui,nous fait entrerdans la salledebainsansme lâcher,à reculons,pivoteet
appuie son dos sur la porte pour la refermer. Il n’allume pas la lumière. Samain se relâche surmeslèvres.Jem’immobilise.Jenesaispascequ’ilveut.Jenesaispaspourquoiilfaitça.Jecroisjustequ’ilabesoind’avoirlecontrôle.Alorsjelelaissem’attirercontrelui.
Ange
Chaquefoisquej’essaiedem’éloignerd’elle,jetrouveuneraisondem’approcher.Unpeuplusprès.Jelasenscontremoietjesuisderetour,neufansenarrière.Dansmachambre.Dansmonlit.Danssesbras.Jesaisquejejoueaveclefeu.Jen’enaisimplementrienàfaire.J’aibesoind’elle.Jen’aijamaiseuautantbesoind’elle.Jeneveuxpasqu’ellem’arrête.Jeveuxqu’ellemerendeletempsperdu.Lasentircontremoi,c’est
reprendrelàoùnousnoussommesarrêtés.Nousn’enétionsqu’auxprémicesdenotrevie,jeveuxplus.Jelaveux.Elle.
Lise
Ilpasseunemainsousmont-shirtetl’autrevientdégagermescheveux.Ilplongelevisagedansmoncouetm’embrasse,justesousl’oreille.Iln’arienoublié.Jefrissonnedanssesbras.Ilcaresselentementmonventre.Jesenssapeaucontrelamienne,sonsoufflequimefrôle,lesbattementsdesoncœurcontremondos,laperfectiondecetinstant.
Ilsoupire.Jeposelamainsurlasienne.Sesdoigtsremontentsousmapoitrine.Ilexpirelentement.Commes’ilessayaitdeconserverunsemblantdecontrôle.
—Queen?Son pouce frôle la frontière entre ce qui est convenable et ce qui peut tout faire déraper, ilme
demande l’autorisation d’aller plus loin. Je remonte le bras en arrière et l’attrape par la nuque.Mesdoigtsglissentdanssescheveuxalorsquelessienssefraientuncheminentremesseins.Mesyeuxsesonthabituésàl’obscuritéetjedistinguenotrerefletdanslemiroirquinousfaitface.Ilm’embrasseencoredanslecou,descendjusqu’àmonépaule,remonteetmordillelelobedemonoreille,avantderepartir.Jel’observedéposerdesbaiserssurmapeau.Jenousobserve.Etriennem’ajamaissembléaussinaturel.Àsaplace.Luietmoi.Çafaitsens.
Jegémisdoucementquandsapaumeeffleurelapointedurcied’undemesseins,puisl’autre.Pourunefois,jeremerciemontourdepoitrinequim’évitedem’encombrerd’unsoutien-gorge,etjepensequeluiaussileremercie.Jeperçoissonérectioncontrelebasdemondos.
Ma respiration est de plus en plus hachée, je nous espionne dans le reflet qu’il n’a pas encoreremarqué.Jemenourrisdenous.Cenousquimemanquetant.Sansdélaissermapoitrine,sonautremaindescendets’arrêteàl’élastiquedemonlegging.Ilattend.Jenebougepas.
—Combien?Ilmurmuretoujoursetimmobilisetoussesmouvements.—Quoi?—Aveccombiend’autresas-tucouché?Ilmedemandevraimentça?
—Lise,insiste-t-ilquandjenerépondsrien.—Trois,jesouffleenattendantsaréaction.Samain se resserre un peu surmon sein.Ce n’est pas douloureux, c’est possessif.Ce n’est pas
inconfortable,çam’exciteencoreplus.—Tupensaisàmoi?Je retiensma respirationquelquessecondes.Commentpeut-il savoirça? Ilpincemonseinet sa
voixsefaitplusautoritaire:—Réponds-moi.—Chaquefois…Cedevaitêtrelaréponsequ’ilespérait,carilglisseenfinsamainsousmesvêtements.Mesdoigts
secrispentsursanuqueavantdedescendrelelongdesoncorpsjusqu’àsonérection.Ilmordillemoncouetreprendsescaresses.Ilmepénètrededeuxdoigtssansrencontreraucunerésistance,jegémis,ilme serre plus fort contre lui. Son index et son majeur entament un mouvement de va-et-vient brutal,soutenu.
Ilmesignifiequec’estluiquiestauxcommandes.Sonpoucevients’appuyerplushaut,salangueimitesonmouvementcirculairesousmonoreille.Jelecaressepar-dessussonjeanavantdem’immiscersoussaceinture.Ils’éloignedemoiletempsd’ouvrirsesboutonsetdemelaisserplusdemarge.Unesecondeplustard,noscaressesreprennentdanslesilencedenossoupirs.Jeresserrelesdoigtsautourdelui.J’aimelesentir,chaud,intense,surmapeau.
Je sais, je sens que je vais basculer d’ici quelques secondes. C’est comme si mon corps avaitreconnu le sien. L’orgasme monte lentement, j’en savoure chaque seconde avant qu’il ne plaque ànouveaulamainsurmabouchepourétouffermesgémissements.Jelemords,ilmerendlapareilledansmoncou.Jelaisselavaguedeplaisirm’envahir.C’esttellementplusquetoutcequej’aipuressentir…Jemeserrecontrelui,m’agrippeàsonbras,ressenschaquemillimètredemoncorpsencontactaveclesien. Je gémis mon plaisir contre sa paume, son souffle chaud effleurant mon oreille. Il ralentit sesmouvements, relâche doucement son emprise… Je redescends lentement tout en reprenant mesmouvements,quej’ai interrompus.Iléjaculeensilence, le liquidetièdedesonplaisirs’écoulantentremesdoigts.
Etc’estlecalmeplat.Jeretiremamainetilmetendmachinalementuneserviette.Jen’aipasquitténotrerefletdesyeuxunseulinstantetc’estseulementquandilrelèvelatêteque
sonregardyaccrochelemien.Ilmesouritavantdemedemander:—Etlà,tuaspenséàquelqu’und’autre?Jemetsunmomentàimprimersaquestion.Ilestsérieux?—Ange…—Dis-moi.—Non,biensûrquenon.—Bien.Jeteremerciedet’êtreoccupéed’Emma,jevaisvérifierqu’elledortbien.
Ilretiresesmainsdemoietjeressensunvideimmense.Mêléàl’humiliationetàl’orgasmequejeviensd’avoir,jenesaispascommentjetiensencoredebout.Ilmerepoussedélicatementpourouvrirlaporte et sortir. Je n’attends pas qu’il revienne de la chambre de sa fille, je comprends que je suiscongédiéeetjem’enfuischezAnnabellesansmeretourner.
Ange
Elleetmoi,c’esttrop.Tropdesouvenirs.Tropd’émotions.Jepensaisvraimentquej’étaiscapabledenousdonnercettechance.Etj’enaienvie.Jeréalisejuste
àquelpointtoutçamedépasse.Cetteintensité.Cenousmefaitpeur.Jenesaispascommentfaire.Commentluifaireconfiance.Commentreprendrelàoùnousnoussommesarrêtés.Lasituationm’échappe,mesréactionsm’échappent.
16
Lise
—Lise?Je relève la tête.Lamatinéeestpasséedans le flou total. Je suis enpilote automatique.C’est le
mieux,parcequesijecommenceàpenseràcequis’estproduithiersoir,jevaismerendrecomptequec’étaitunevengeancede lapartd’Angeet jene suispasconvaincuede réussir àdigérerça.Alors jebosse surmon article, je fais leménage, je lis pourAnnabelle, je nem’arrête pas une seconde pourpenser.C’esttropdangereux.
JeregardeFrançoisequifroncelessourcils.EllessontquatreàserelayerpourAnnabelle.Jesaisquemaprésencen’est plus indispensable,mais je n’arrivepas àme résoudre à partir. J’ai besoinderester là, de la voir, çame rassure. Et puis il y aAnge, bien sûr, qui fait partie de la raison demaprésenceici.
Annabelleetmoisommesconvenuesqu’ellevoulait toujoursquelqu’unde«neutre»prèsd’elle,étantdonnéqu’elleenalargementlesmoyens,carmêmeserendreauxtoilettesluiestencoreimpossibleseuleetellerefuseàprésentquejem’enoccupe.Sauflesoir,quandellen’apaslechoix.Françoiseestla plus âgée de toutes ces aides à domicile qui défilent.Elle approche la soixantaine, elle est un peucommeuneMamieNova.Elleportecesblousesd’intérieurabsolumentimmondes,etsurelle,çarenforcejustesonalluredegrand-mèregâteau.Elleestbienveillanteet,mêmesielleparaîtunpeuâgéepourcetravail, elle le fait bien. Annabelle l’apprécie, elle la prend souvent pour une voisine. Françoise estdouceetattentionnée.Etlà,jevoisbienqu’ellesefaitdusouci,alorsjemecolleunmagnifiquesourireartificielsurlevisage.
—Désolée,j’étaisconcentrée,vousdisiez?—Jevaisyaller,Ambredevraitarriverd’iciunepetiteheure,çaira?—Biensûr,pasdeproblème.Riendespécial?—Sonétatnes’estpasaméliorédepuiscematin,jepréfèrevousledire.—D’accord,merciFrançoise,àdemain.Elles’envaetjerejoinsAnnabelledanssachambre.
—Ah,Mademoiselle.Savez-voussimafilleaappelé?—Non,désolée,personnen’atéléphoné.J’aiprislepartiderentrerdanssonillusion.Jen’aipaslecœurdeluirappelerchaquefoisquesa
filleestmorte.Etpuis,de toute façon,ellenemecroiraitpas.Elleestcoincéedans jene saisquelleépoqueetriennipersonnenepeutl’ensortir.Tenterdelaramenerauprésentn’apourconséquencequed’accentuersaconfusion.Quandelleestdanscetétat,ellemeprendpourl’unedesaidesàdomicileetjenelacontredispas.Jechoisisunlivreetluifaislalecture.
Unmomentaprès,onsonneàlaporte.Ahsi.J’aicomprismonutilité,ici.Ouvrirlaporte.Jepassemavieàouvrircettesatanéeporte!CedoitêtreAmbre,pourtantellesaitquejeneverrouillepas.JelaisseAnnabelleavecuneémissiontéléviséequisemblelapassionner.
—Surprise!Loïclèvelesbras:d’uncôtéiltientunsacdevoyage,del’autreunsacdecourses.—Cocktailetgâteauxapéritifs!m’annonce-t-ilensouriant.Jesuisàdeuxdoigtsdepleurer.C’estridicule.Laprésenced’unamiestexactementcedontj’avais
besoinaujourd’huietc’estcommes’ilavaitanticipécela.Ilestparfait.Enfinnon,maisjemecomprends.—Mais…comment…Voldemort?—Lequatorzejuillet,Lise,jefaiscequejeveuxdemesjoursfériés.Jesuistellementàcôtédetoutquej’avaiscomplètementoubliéladate.—Tuesvenujustepourunjour?—Non,pasvraiment.—Explique-toi.—Tucroisquejepeuxsquatterpendantdeuxjours?Etentrer,peut-être?Lebossm’envoiepour
unarticleetjet’embarqueavecmoi!—Ah!Jesavaisquetun’étaispaslàuniquementpourmesbeauxyeux!—Ellealesyeuxrevolver…semet-ilbêtementàchanter.—Merci!Jemejettesurluietleserredansmesbras.—Jetombeàpic,àcequejevois.Tuvastoutmeraconter.Jereculeetluifaissignederentrer.Aumomentdefermer,j’aperçoisAngeenface,laportedeses
parentsouverte,etleregardqu’ilmelanceesttellementagressifquej’enresteclouéesurplace.—Installe-toiausalon,j’arrive.J’ignorel’airsurprisetcurieuxdeLoïcavantdesortirdanslecouloir.—Ange…Illèveledoigtpourmefairesigned’attendre,rentrechezsamèreetressortquelquessecondesplus
tard, toujours aussi contrarié. Il m’attrape par le poignet et me traîne dans les escaliers jusqu’auquatrièmeétage.
—Tumefaismal,lâche-moi!
Jenesaispascequiluiprend,riennepeutjustifiersonattitudedeCro-Magnon.Jeneleconnaispascommeça!Ils’arrêteentrelesdeuxétagesetmeplaquecontrelemur.Saufquecettefois,iln’yaaucundésirdanssesyeux,niailleurs.
—Dis-moiqu’iln’yaquemoi,medemande-t-il,lesdentsserrées.—Dequoituparles?Pourquoies-tuénervé?—Quic’est?—Loïc?—Quiestcetype?—Uncollègue!Qu’est-cequiteprend?—Justemoi,Lise.—Quoi?—Jeneveuxpersonneentretoietmoi.—Iln’yapersonneentretoietmoi!—Seulementmoi.Jeréalisequ’iln’estplusencolère,ilapeur.C’estmoiquil’aimisdanscetétat?Est-cequejel’ai
complètementfoutuenl’air,émotionnellementparlant?Parcequel’hommequej’aienfacedemoin’aaucuneconfiance.Nienlui,nienmoi.Etj’ailacertitudequec’estàmoiquejedoiscedésastre.Jeposelesmainssurlessiennes,toujoursancréessurmesépaules:
—Regarde-moi.Ilcessedefixerunpointsurlemuretserecentresurmoi.—Seulementtoi.Ilposesonfrontcontrelemienetsecalmelentement.—Jenepeuxpasfaireça,Lise.Jenepeuxpas.—Fairequoi?—Tefaireconfiance,jenevaispasyarriver.—Iln’yapersonned’autre,crois-moi.—Jenesaispassijepeux.Je relève la tête et l’embrasse.Doucement.Dubout des lèvres. Parce que s’il veut vraimentme
repousser,jenesouhaitepasm’imposer.Ilmerendmonbaiser,justeuneffleurement.
Ange
Jenesaispassijepeuxyarriver.Malanguevientcaresserlasienne,mesmainsremontentdanssoncou.Jeréussisàmedétendre.Les
siennesseposentsurmatailleetm’attirentcontreelle.Plusprès.Jamaisassezprès.Jeluiaitoutdonné.J’aitoutperdu.—Seulement toi… répète-t-elle chaque fois que sa bouche s’éloigne de lamienne une seconde,
avantd’yrevenir.Plusintense.Plusexigeante.
Lise
UnefoisAngerepartitravailler,sansunmotdeplus,jeretrouveLoïcengrandeconversationavecAnnabelle.Ilsseconnaissentbien,touslesdeux.Ilssesontvuschaquefoisqu’elleestvenuepasserdesvacanceschezmoi.Ilfaitpartiedesraresamis,vraisamis,quej’ai.Jesorsbeaucoup,jefréquentepasmal de personnes. Mais tout est plus ou moins superficiel. Avec lui, c’est le contraire. Tout estauthentique,ilsaitquijesuis.
—Lili!Tunem’avaispasditqueLoïcdevaitvenir.Jesuistellementsoulagéedevoirqu’ellenousreconnaîtquejepourraispleurer.Oualors,c’estce
quivientdeseproduiredans lacaged’escalierquime faitceteffet. J’aidumalà suivreAngeet, enmêmetemps,jesaisquej’aichamboulésesrepèresetquejedoisluilaisserletempsd’assimilermonretour.
—Jel’ignorais,ilnousafaitunesurprise.—C’estunetrèsbonneidée,Loïc.Turestesquelquesjours?—Deuxjours,troistoutauplus.Etj’aiapportédequoifairemonfameuxcocktail!—Ah,demieuxenmieux!JesourisdevoirAnnabelles’enthousiasmer.Ellem’aconfié,unefois,quesielleavaiteuquelques
décenniesdemoins,Loïcauraittoutàfaitétéàsongoût.Monamin’estpascequ’onappelleunegravuredemode,ilestplutôtducôté«tropmince»,délicat,peut-êtreunpeuefféminé,maisilauneprésenceetuncharmeincroyables.Ilsourit,etc’estfoutu.Saufquejesuis immunisée,Angeacomplètementruinémeschancesdevraimentcraquerpourquelqu’und’autre.Etmalgrésonpetitairà laLeePace, jesuistotalementhermétiqueàsestentativesdecharmedontiluseetabusepourfairepasserlesplusgrossesconneriesdontilestcoutumier.
IlyatoujourseuunjeudeséductioninnocententreluietAnnabelle.Ilestassezgentilpourlejouersansmalaise.Etaujourd’huiplusqu’unautrejour,jeluisuisreconnaissanted’êtrelà,pourelle.Etpourmoi.
Ilmelanceunregardquejetraduispar«toi,tuvastoutmeraconter»etjesuissauvéeparlegong.Ambredébarque:
—Bonjour,lesfilles!Oh,etlegarçon…JefaissigneàLoïcdemesuivreet,aprèslesprésentationsdontjenemechargemêmepas,ilme
retrouveausalon.—J’aibesoind’unemiseàjour.Quiestcettenana?Quiestcetype?—Ambreestl’unedesaidesàdomiciled’Annabelle,elleveutunpèrepoursonfuturenfant.Ilgrimace.Ehoui,cen’estpasvendeur,maisjenemenspasàLoïc.—Angec’est…benc’estAnge.—C’estluitonAnge?—Arf,nedispasçacommeça,jedéteste.C’estAnge,justeAnge.—Ettum’avaiscachéqu’ilétaitunpeupsychopathe,parceque…—Ilestblessé,eninsécurité.C’estmafautes’ilestcommeça.—Jevois…—Jecroisquej’aibienfoutuenl’airsoncapitalconfiance.Jesoupireenm’affalantsurlecanapé.—Arrêtedegeindresurmonlit,mefait-ilremarquer,tuvasymettredemauvaisesondes.—Jenegeinspas.—Ettonplan,c’estquoi?—Commentça?—Pourlereconquérir,toutça…—Jen’aipasvraimentdeplan.Ilsaitquejeregrette,quejetiensàlui.Presquedixansontpassé,
jenem’attendspasquetoutredeviennecommeavant.Nousavonschangé,luicommemoi.—Quiêtes-vousetqu’avez-vousfaitdeLise?Parcequetumesemblesbiensage,d’uncoup!—J’aitoujoursétéquelqu’underaisonnableet…—Jepréfèreallerpréparerlecocktailqu’entendreça!—Ilesttreizeheures!—C’estbiencequejedis.Jelesuisàlacuisine.—Bon,etc’estquoicereportage?—Tudevraist’asseoir.Je fais cequ’ilmedit et attends. Il sort les bouteilles de jusde fruits et d’alcool de son sacde
courses.—Tusaisqu’ilyaunfestivaldejazzdanslecoin?—Beurk.Oui,lejazzetmoi…mauvaisecombinaison.—Jesais,lejazzc’est…bref,nousnesommespaslàpourjuger.Toujoursest-ilque…
Ils’interrompt,letempsdechercherunsaladierdanslesplacards.Iln’estjamaisvenuicietilfaitdéjàcommechezlui,ilestàl’aisepartout.Sanssontempéramentavenant,nousneserionsprobablementpasamis.Ilestarrivéversmoiàl’écoledejournalisme,alorsquejem’appliquaisàtravaillerdansmoncoin et à éviter toutes relations sociales. Je sais qu’Ange amal vécu notre séparation. Je ne l’ai pasforcémentmieuxgérée.Dujouroùj’aiprisconsciencedemonerreur,j’aifaitunelonguedescentedansla déprime. SansLoïc, je ne serais peut-être pas remontée.L’avantage quand on touche le fond, c’estqu’ilsuffitdemettreunboncoupdepiedpourrejoindrelasurface.Jenel’aipasfait,àlaplacejem’ensuisprisunauculetçam’aaidée.Alorsoui,noussommesliésparquelquechosedebienplusfortquel’amitié.
—Allez,balancel’info!—TheEdgeseralà,engueststar,lebossaeul’infoetilveutquenouscouvrionslasoirée.—Tudéconnes?—Jesuislà,tupensesqu’ilm’auraitlaissévenirsansunebonneraison?—Non?Quand?—Demainsoir.—Etilestd’accordqu’onyailleàdeux?C’estlouche.—Ilveutquejefasselesphotos,iladit,jecite«Monroen’estpasfoutuedefaireunephotoquine
soitpasfloue,vas-y,Saurin,etnefoirepasça,pourunefois!»—Mesphotossontartistiques.—C’estcequejeluiairépondu.Jelèveunsourcilinterrogateuretilhausselesépaules:—C’estcequejeluiauraisrépondusij’avaiseulecouraged’affronterlebosspourtoi.Autanttu
saisquejet’aime,autantjetiensàmonjob.—Iltefaitpeur,avoue.—Biensûrqu’ilmefaitpeur!OnparledeVoldemort!Ilcontinuesonmélangedanslesaladieret,mêmesic’estencoretôtpourattaquerl’apéro,l’odeur
medonneenvied’ygoûter.—Bon,etcetAnge,alors…tuvasfairequoi?—Jelelaissedécider.Ilsaitcequejeveux,c’estàluidefaireleprochainpas.Jeneluiparlepasdel’épisodedelaveille.Sûrementparcequ’ilestautanthumiliantquepersonnel,
etjen’aipasenviequ’ilsemetteàélaborerdestasdethéories.
—J’adorecesvacances…murmuremoncollègue.Loïc et moi sommes installés sur les fauteuils du balcon, dossiers allongés au maximum, mon
ordinateursurlatable,diffusantdelamusique.J’aifermélabaievitréepournepasdérangerAnnabelle.Sweet Child O’ Mine démarre et je sirote un cocktail avec mes lunettes de soleil sur le nez : quedemanderdeplus?Jememetsàchanterpar-dessusAxl.Loïcsejointàmoi.
Non,cenesontpasdesvacances,maisnousfaisonssemblantetçafaitdubien.
Ange
Jeretournetravaillerdansunétatdeconfusionquimedérange.Jenesuispascommeça.Ellemepousseàêtreunautre.Mesréactionsnemeressemblentpas.Jen’aimepasceluique jedeviensàsoncontact,celuiquin’apastournélapage.
Jecessedepenseràelle,jesaisfaireça.Jedoismeconcentrersurcequej’aiàfaireet,commetoutescesannées,jelatiensmentalementàdistanceafinqu’ellenemeperturbepasdavantage.
17
Lise
Loïcetmoiavonsdécidédecuisinerunpouletcocopourledîner.Jenecuisinejamais,cen’estpasmontruc.Àpartletiramisu.Bref,ilaproposéçaetj’enaieuenvie.Nousn’avionsnipoulet,nilaitdecoco,alorsnousvoilàpartis,enbus,ausupermarché.Enbus,parcequenousavonsclairementabusédesoncocktailetqu’iln’étaitpasquestionqu’undenousdeuxprennelevolantdanscetétat.Jesuisdevantle rayonvolailles et je sensque jevaispaniquer.Pourquoiya-t-il autantdechoix? Jeveux justedupoulet!J’aitropbu.Siunanimalavecdesailes,quinepeutmêmepasvoler,mefaitperdremesmoyens,c’estmauvaissigne.
—J’ailanoixdecoco!crieLoïcendébarquantavec…deuxnoixdecoco.Unedanschaquemain.Jememetsnerveusementàrire.—Quoi?—C’estdulaitdecocoqu’ilnousfaut!Vavoiraurayondesproduitsdumonde,untruccommeça.
Etreposecesnoixdecoco.Tuseraisfoutudet’entaillerlamainàtenterd’enouvrirune,bourrécommetul’es!
Ilgrimaceenimaginantlascène,hochevigoureusementlatêtequandilcomprendquej’airaison,etrepartd’oùilestvenu.Jemeconcentresurlaviande.Pourquoijen’aipaschoisid’alleracheterlelaitdecoco?C’étaitunemissionsimple!Enmêmetemps,quandjevoiscommentLoïcéchouepitoyablement,jesuispeut-êtreplusàl’abriavecdesoiseauxquinevolentpas.
—Lise?JemeretourneetAnthonymeregardebizarrement.Oualors,c’estmoiquiaiunœilquiflirteavec
l’autre.Çapeutarriver,quandonseconcentretropfort.Disdonc,ilfaitsescoursesfringuécommeunmannequinCalvinKlein,lui.Jedoisavoirunethéoriedugenre:pourêtreaussibienhabillé,ildoitêtregay.Maisçaferaitdemoiquelqu’undetrèssuperficieletlimitehomophobe,non?Etpuis,cen’estpascommesijepouvaisluidemanders’ilestgay,çanesefaitpas.Mince,jel’aijustepenséouvraimentdemandé?Ilneditrien,ouf,jemesuiscontentéedepenser!
—Anthony,quellebonnesurprise!Quefais-tuici?
—Heu…descourses?—Quellecoïncidence!—Tuasbu?—Unpetitcocktailinnocent,jeluirépondsenagitantmollementlamaindevantsonnez.—Vousêtesvenuscomment?—Enbus!Tumeprendspouruneinconsciente?—Queeeeeeen!J’ailelaitdecoco!Loïcseplanteàcôtédemoi,toutsourire,ilaprisaumoinsdixbriquesdelaitdecoco.—Tunemeprésentespas?Cen’estpastrèspoli,mefait-ilremarquerenfaisant tomberuneou
deuxbriquesausol.—LoïcSaurin,commelesconserves,jeteprésenteAnthonyl’infirmier,commel’infirmier.—Encoreuninfirmier?Ilyaunélevage,danslecoin?—Jesuisenvoiture,lemieuxestquejevousramène,nousproposeAnthonyquisembledeplusen
plusinquiet.Lesautresfoisoùnousnoussommesvus,ilétaittoutcontent.Pourquoiiltirecettetronche?—Jecroisqu’ilapeurqu’on fassedesconneries…jemurmureàmonacolytequin’estplus là.
Loïc!Ilseredressed’uncoup,mefaisantsursauter:—Jeramassaiscequetuasfaittomber,tuauraispumedirequetuavaisdéjàprislelaitdecoco!Ilsoupireexagérémentetrepartenrâlant.—Vousavezbucombiendeverres?JemeretourneversAnthonyquej’avaiscomplètementoublié.— On n’a pas compté en verres. On a bu un saladier. On a mangé des biscuits apéritifs pour
absorber,onn’estpasfous!—Tudoisacheterautrechose?—Unoiseauquinesaitpasvoler!Regarde-moicechoix.Nous,onveutjustecuisinerunpoulet
coco.Ilattrapeunpaquetdefiletsdepouletetlemetdanssonpanier.Loïcrevientavecseulementdeux
briquesdelaitdecocodanslesmains.—Venez,onvapayer,etjevousraccompagne.—Onpeutprendrelebus,tusais,c’estcommeçaquenoussommesvenus,jeluifaisremarquertout
enlesuivant.— Je n’arrive pas à croire que, demain, nous allons rencontrer TheEdge ! lâcheLoïc, toujours
extatique.—TheEdge?—Oui,maischut!C’estunsecret.Iljoue,demainsoir.Viensavecnous,jet’aimebien.—Ilnepeutpasveniravecnous,Loïc,iln’apasdecartedepresse.—Ilpeutvenirdanslepublic,s’ilteplaît,Lise,disoui!Jel’aimebien.C’estnotreami!
—Tuneleconnaismêmepas,commentpeux-tudireça?Maismoiaussijel’aimebien.Invitons-le.Anthony,est-cequetuveuxvenirvoirTheEdgeavecnous,demain?
—Tuesjournaliste,toiaussi?demande-t-ilàmoncollèguequiregardelesPEZentêtedecaisse.—Oui,jetienslarubrique«Danslesbacs»danslemagazineoùontravaille.—J’auraisadoréterencontrerdansd’autrescirconstances,Loïc.Jevaistelaissercuveravantdete
direquejesuisfandecemagazine.—Disdonc,toi,tuportesunslim!Unslim!Ettuasl’airdenousjugerparcequ’onaunpetitpeu
lâchélapressionenbuvantquelquescocktailsmaison.D’ailleurs,onadequoirefaireunsaladier,vienslegoûterettuaurasdupouletcocoendessert!
—Endessert?—Pour éponger l’alcool, quoi.Onnevous apprendpas ça à l’écoled’infirmiers ? lui demande
Loïc,deretourparminous.Anthonysourit.—Voussavezquoi?Jevaisaccepterl’invitationparcequejenesuispasdumatin,demain.Etcette
histoiredepouletcocom’adonnéfaim.—Tun’espascensétravailler,lesoir?jeluidemandesuspicieusement.—Ilestvingtheurestrente,Lise,heureusementquej’aifinidebosser.—Neleprendspasmal,jenevienspasnonplusdetetraiterdeglandu!Ilmeregardesansriendire.C’estcequej’aifait?Disdonc,qu’ilestsusceptible,cepetit!—EttuviendrasavecnousvoirTheEdge?lanceLoïcavecdestrémolosd’espoirdanslavoix.Mon collègue arrivemême à refaire les yeux de chiot égaré, comme la fille demon ex. Il faut
absolumentquej’apprennecetruc.Nouspayonsnosachatsetmontonsdans lavoitured’Anthony.Quand ildémarre,DeadInside se
lanceàfond.—Ah!Tusaisquej’aichroniquécetalbumdanslenumérodumoisdernier?Loïcestvraimentderetourparminous.Ouf,j’aieupeur.—Jesais,j’aiétéglobalementd’accordavectonavis.—Globalement?Etvoilà,c’estparti.Jedécrocheparceque,oui,j’adoreMuse,ceseraitunehérésiedenepasles
aimerquandonconsidèrequecegroupes’inspiregrandementdes«classiques»durock,enyapportantsatouche,biensûr.SaufquejenesuispascommeLoïc.Décortiquerlesmorceaux,lesalbums,chercherlapetitebête…cen’estpasmontruc.Jenesuispascritiquemusicale.Jenelesécoutepasdiscuter,jemelaisseporterparlavoitureetdéjànoussommesarrivés.
—Quicuisine?nousinterrogeAnthonyensegarantsurleparkinginvités.—Lise.—Loïc.Nousavonsréponduenmêmetemps,cequinousfaitéclaterderire.Oui,ilnousenfautpeu.Nous
sortonsdelavoitureetmontonschezAnnabelle.Jecroisqu’onparleunpeutropfort.Ilestencoretôt,
nousn’auronspasdesoucipourtapagenocturne.Quandnousarrivonssurlepalier,j’ailasurprisededécouvrirAnge,assisdanslesescaliers.—Viens,Anthony.C’estl’amoureuxdeLise,laissons-lesseuls.Jevaist’expliquerquiilest,essaie
demurmurerLoïcenentraînantAnthonychezAnnabelle.Jedisbien«essaiedemurmurer»,carenréalité,ilaparlétrèsfortetjevoisqu’Anthonyestàson
maximumdeself-controlpournepasrire.Ange,enrevanche,al’airtendu.Encore.Jem’assoisàcôtédeluietcommejesuisbienentamée,monfiltredelaparoleestquelquepartentrel’ÉquateuretlepôleSud.
—Tudevraist’envoyerenl’air,Ange,çatedétendrait.—Tuasbu?—Pourquoitoutlemondemeposecettequestion?—Tuasbu.Ilsefrottelesyeuxetcommenceàserelever.Jeleretiensetl’obligeàserasseoir.Enfin,jepense
qu’ils’estrassisdesonpleingréparcequedéjà,àjeun,jedoutederéussiràl’obligeràfairequoiquecesoit…alorsavecundemi-saladierdecocktailquicouledansmesveines,encoremoins.
—Tunem’aspasdonnétonnuméro,donne-moitonnumérodetéléphone,Ange.Jeluitendsmonportableetl’observeyentrersonnuméro,sansprotester.Ilmelerend,l’airlas.—Est-cequetuasenviedem’embrasser,maintenant?Moij’enaienvie,maisjenesaisjamaisde
quoituasvraimentenvie.Tuvasencoremesignalerquejedoismetireraprèsm’avoirfaitprendremonpied,Ange?Outuvasenfinassumercedonttuasenvie?
Ilme fixe sans rien dire.Cedevrait être un indice pourmoi, celui quim’encourage au repli, onrentreàlabase,lesgars,personnen’estéternel…toutça.Jeprofited’avoirducourageliquidepleinlecorpspourcontinuer:
—Tum’enveux,c’estnormal.Jem’enveuxaussi.Maistumemanques.Vraiment.Beaucoup.—Jepréfèrediscuteravectoiquandtuserassobre.—Jet’aimeencore,tusais.Jenecroispasavoircessédet’aimer,enfait.Cettefois,j’aibeauplaquerlamainsurmabouche,jesaisquejel’aiditetpasseulementpensé.
C’estunemissionsuicide.Loïcn’auraitpasdûmelaisserseuleavecAngeetundemi-saladier,jamais.Jeluiferaipayersonaffrontànotreamitié.
—Tunesaispluscequetudis,rentreetcuve,melance-t-ilenserelevant.—Jedoisfaireunpouletcoco,jen’aijamaisfaitdepouletcoco,jenesaispascommentonfaitun
pouletcoco.Tusais,toi?—Oui,jesais.—Jet’inviteàmangeravecnous,ettumemontrerascommentfaire?—Jenesuispassûr,je…—Etdemain,tuviendrasvoirTheEdgeavecnous?—Lise,je…—Ettum’embrasseras,encore?Etencore?Parcequej’aimequandtum’embrasses.
Ilm’aideàmeleveretm’accompagnechezAnnabelle.Quelquesinstantsplustard,nouscuisinonsunpouletcocoavecLoïcquiprépareunnouveausaladier.Françoiseestpartiejusteaprèsnotreretour.AlorsAnthonyvavoirAnnabelledetempsentemps,jusqu’àcequ’elledorme.Nousessayonsdenepasfairetropdebruit.Elleatoutesatête,cesoir,etelleveutqu’onprofited’êtretousensemble.
Ange
Ellesouritbeaucoup.Àmoi,surtout.Jesaisqu’ellen’estpastotalementelle-même.Oualors,ellel’est.Là.Sansinhibitions.AnthonydiscuteavecLoïc.Ellereprendunelouchedecocktail.Jesuistentédeluidired’arrêter.Jen’aiaucundroitdeluidireça.Alorsjelaregardefaire.Elles’essuielecoindeslèvresetremarquequejel’observe.Ellemesourit.Encore.Ellevientversmoiets’assoitsurlecanapé.Sacuissecontrelamienne.Elleposelatêtesurmonépauleetprendmamain.
18
Lise
—J’aiuneatrocegueuledebois…—Tuviensdemepiquermaréplique.Nouserronscommedeuxzombiesdanslacuisine.Jenemesouviensplusexactementdel’heureà
laquelle la soirée s’est terminée. Jeme souviens par contre que nous avons bu plus de la moitié dudeuxièmesaladier ànousdeux, car,mêmesiAnthonyn’étaitpasdumatinpour lespatients, il voulaitresterassezsobre.QuantàAnge,jenemerappellepasl’avoirvusaouldetoutemavie.Certaineschosesnechangentpas.
—Quandjepensequ’ondoitallerécouterdujazz,cesoir.Dujazz!—Nem’enparlepas.—Silebosssavaitça,iljubilerait,carc’estlapunitionsuprême.—Jenesaispas,Lise…lefeud’artificed’hiersoirc’étaitpasmalcommesupplice.—C’esttonsaladier,ça.Nousavalonsnosaspirinesetjefaisgrillerunpeudepain.Ambredébarquedanslacuisineetjelui
faissignedebaisserd’unton.Sonenthousiasmedonneraitenvieàn’importequienétatpost-cuitedesecreverlestympansavecdesclousrouillés.
—Oh…jevois,vousavezpasséunebonnesoirée!—Ambre,cesoir,tupourraisvoirsiquelqu’undel’agencepeutvenir,nousavonsunreportage?—Loïcmel’adéjàdemandé,hier,toutestarrangé.C’estmoiquivaisrester.—Merci,c’estsuper.Jesuisvraimentuneorganisatriceencartonpâte.JesuiscenséeêtreicipouraiderAnnabelle,gérer
sonquotidien…et jenepensemêmepasàprévenirquand jedoism’absenter.Heureusementquemoncollègueaplusde jugeotequemoi.AmbrerepartpouraiderAnnabelleàfairesa toiletteet toutescespetiteschoses.
—TusaisquetuasinvitéAnthony,cesoir?jedemandeàLoïcavantdeprendreunebouchéedetartine.
—EttoituasinvitéAnge.—Tunedevraispluspréparercecocktail,ilnenousfaitaucunbien.—Jetrouveçaparfait,aucontraire.J’aimebienAnthony,ilestsympa.EtpuisAngeettoi…vous
êtesquandmêmeensemble,non?—Franchement,jen’enaiaucuneidée.—Vousaviezl’air.—Jepensequej’étaisenmode«yolo»,etluiaeupitiédemonstatutdenanabourréeetnem’a
pasrepousséeuniquementàcausedeça.—Tuverrasbiencesoir.Nouspartonsendébutd’après-midi, j’aiconvenuavecAnthonyqu’ils
nousretrouvaientsurplace.—Commentpeux-tuêtresaouletaussiefficace?Quelesttonsecret?—Sijeteledis,ilfaudraensuitequejetetue.Ilselèveetvafairejenesaisquoidanssachambre.Lajournéevaêtrelongue…
Mes lunettes de soleil sur le nez, une autre aspirine prise en prévention,me voilà sur le site dufestivaldejazz.Déjà,desgroupessontinstalléssurplusieursscènes.Ilyalascèneprincipale,etilestdecoutumepourlesmusiciensamateursdeseplacerunpeupartoutdanslavilleetçapeutrapidementvireràlacacophonie,surtoutquandonestallergiqueàcegenremusical,commemoi.C’estunpeuunefêtedelamusiquequidureplusieursjoursetquiestdédiéeaujazz.Jecroisquej’ailanausée.
—Courage,souviens-toiquenoussommeslàpourlui.—Qu’est-cequ’ilvientfairedansunfestivaldejazz,d’ailleurs?jedemandeàLoïcensortantma
bouteilled’eaudemonsac.Noussommesenpleinmoisdejuillet,onmeurtdechaud,j’ailagueuledebois,etenplus,jedois
mefarcirdujazz.Serait-ceunepunitiondivinepourtousmespéchés?Jepensequej’aiexpié,là,c’estbon.
—Vasavoir…Ilasûrementétéinvité.Ilhabitedanslecoin,ilconnaîtforcémentdumonde.—Bonoseraaveclui,tupenses?—Non,j’endoute.Lebossnousl’auraitdit.—Dommage…Lesvraiesstars,engénéral,cen’estpasànous,les«bleus»,queVoldemortlesconfie.Nousn’en
rencontronspourainsidire jamais.Surtoutquenos rubriquesnes’yprêtentpas.Alorsbon,TheEdge,c’est quandmêmequelqu’un, je ne vais pas en plus râler. Je persiste à dire que c’est louche. Je suisconvaincuequeLansestaucourantpourmonaversionenvers le jazzetqu’ilessaiedemefairepayermescongésimprévus.Quiseterminentd’ailleursdansdeuxjourset,sijeveuxpouvoirresterencoreunpeudanslecoin,jevaisdevoirluipondrel’articlesurmonpère,etrapidement.
Nousnouspromenons,lebossveutaussiuncompte-rendugénéraltantquenoussommeslà.Jen’aipasdiscutédirectementavecluiàcesujet, jen’enpensepasmoins.Lemagazines’appelleRockYourSoul,pasJazzYourSoul…Jesuissûrequ’ilnevapaspubliernotrearticle,maisbon…
Lamusique est insupportable, surtout sur les scènes« impro». Je souffre en silence et remercieLoïcenleprenantdansmesbrasquandilrevientd’unepharmacieoùilaachetédesbouchonsd’oreilles.Béniesoitcetteinvention.
Vers vingt heures, il reçoit un coup de fil et, à voir sa tête, je doute qu’il s’agisse de bonnesnouvelles.Ilraccrocheetsetourneversmoi:
—TheEdgeneviendrapas.—Quoi?Tuveuxdirequ’ons’estcoltinéceshorriblesgroupestoutelajournéepourrien!Une femme à côté de moi me jette un regard assassin. Oui, c’est vrai que je devrais peut-être
attendredeneplusêtreenterritoireennemipourcritiquerouvertementlejazz.Jesavaisquelepatronsefoutaitdenous!—Tuaslenumérod’Anthony?—Non,j’aiceluid’Ange,jeleluiaiextorqué,hiersoir.Malheureusement,jemesouviensdechaqueseconde,dechaqueinstant,dechacunedemesparoles
etactionsdelaveille.Jen’avaisaucunecensure,jen’aipasnonplusdetroudemémoire.Jepourraissimuler,fairecommesi…Exceptéquejenejouepasàça,pasaveclui.Jeveuxqu’ilmefasseconfiance,jedoisêtrehonnête.
Jel’appelleetilrépondàlapremièresonnerie:—Oui?Jemesouviensdecettemaniequ’ila toujourseuedenepasdire«allô»commetout lemonde,
maisdedire«oui».Jemesouviensdetout.C’estjustequel’entendre,çaconcrétise.—Ange,c’estLise.—Toutvabien?Etjemerappelleaussiqu’ilestsurprotecteuretque,parfois,çam’agaçait,carj’avaisl’impression
d’avoir une nounou. Et ça m’a tellement manqué, toutes ces années, d’avoir quelqu’un qui s’inquiètevraimentpourmoi.Quisepréoccupedemonbien-être.Etdequijepeuxaussimepréoccuper.
—Oui,noussommesaufestivalavecLoïcet,finalement,TheEdgeneviendrapas.Alors,onnevapasyrester.Saufsivousêtesdéjàenroute.
—Non,Anthonyasondernierpatientdansdixminutes.—Parfait,çavousévitedevenirpourrien.Alors,heu…—Tuveuxpasseràlamaison?Lamaison?Chezlui?—ViensavecLoïc.Jem’étaisarrangéavecMariepourqu’ellegardeEmma,cesoir.Onadoncla
soiréedelibre.—D’accord,oui,bonneidée.Onpeutpasseracheteràmanger.—Oncommanderadespizzas,jet’envoiel’adresseparSMS.Ilraccrocheetjesourisbêtement:c’estluiquivientdefaireunpasversmoi.J’avaisabsolument
besoindeça,surtoutaprèsmoncomportementd’hiersoir.Unindicequecen’estpasunilatéral.
Loïcsonneàlaporte.Jesuisimpressionnée,Angevitdansunemaison.Jeveuxdire,lesloyerssontexcessivementchersdanslarégionetsonboulotd’infirmiernepeutpaspayerautantqueça.Lavillaestgrande,enplus.
Unefemmenousouvre.Etquandjedis«unefemme»,c’estunenanaquidoitavoirmonâgeetquiressembleeffectivementàune femme.Alorsquemoi, j’aimesDoc,monéternel jeanetundébardeur,moulant,certes(iln’yapasnonplusgrand-choseàmouler),saufquelecôté«sexy»estannihiléparl’inscriptionWackenOpenAir quime faitpasserpouruneadopourqui les festivalsdemetal sont lachoselaplusimportantedanssavie.Cequin’estpastroploindelavérité,celadit.D’habitude,çanemeposeaucunsouci.Cettenana,dontlesjambesdoiventfairedixkilomètres(etelleneportemêmepasdetalons),alemot«classe»tatouésurlefront.Métaphoriquementparlant,bienentendu,jenemesentiraispassimisérableàcôtéd’ellesic’étaitvraimentlecas.Enplus,elleal’airgentille,ellenoussourit.Elleauraitpuavoirl’airpimbêche,çam’auraitaidéeàladétesterpourêtresi…parfaite.Qu’est-cequ’ellefaitchezAnge?Ilnepeutpasavoirunecopineets’êtrecomportécommeil l’a faitavecmoi, jesaisqu’iln’estpascommeça.Iln’étaitpascommeça.
—VousdevezêtreLiseetLoïc,entrez.Ellenecessedesourire.Jeregardemonami,illuirendsonsourire.C’estcontagieux,leurtruc?—Noussommessurlaterrasse.Ellenousfaitsignedepasserdevant.Etenpluselleadebonnesmanières.Toutenmarchant,elle
nouslance:—JesuisAudrey,jetravailleavecAnthonyetAngeetvousallezrencontrerSofiane,lequatrième
infirmierducabinet.Je parie qu’elle a couché avec tout le monde.Mince, je viens vraiment de penser ça ? Je suis
mesquine.Etpathétique.C’est seulement quand jeme retrouve face à Ange que jeme rends compte que c’était une très
mauvaise idée de venir ici. Si je fais discrètement demi-tour et que je pars sur la pointe des pieds,combienya-t-ildechancespourqueçapasseinaperçu?
Noussommessurlaterrasse,Anthonyestautéléphone,ildit«Oui,MadameBoulon,bonnesoiréeàvousaussi»etraccrocheavantdesetournerversnous:
—Pastropmalàlatête,aujourd’hui?Aucunechanced’esquive.Jemeforceàsourireet,heureusement,Loïcestplusdétenduquemoi.—L’horreur,aveccette…musique!Non,cen’estpasdelamusique,hein,Queen?JevoisAngefixerLoïc.—Queen?demandelequatrièmequiselèvepourvenirànotrerencontre.—Oui,c’estcommeçaquelemecdeLisel’appelait,ellem’aracontéçaunsoiroùj’avaisencore
faitdemonfameuxcocktail,depuisc’estresté.Unangepasse.Sijepuisdire.Cesoir,Loïcn’apasl’excusedudemi-saladieretjesensquejevais
devoirm’enprendrephysiquementàlui.Lefrappertrèsfortavec…heu…mesclefsdevoiture,voilà.Ce
seralongetdouloureux.—Sofiane,seprésentelenouveauennoustendantlamain.Purée,cesyeux.J’aipresqueenviededirequ’ilssontradioactifs.Ilaaussidestatouagessurles
bras,danslecou,tellementquejen’arrivepasàendistinguerlesmotifs.C’estleseulànepasavoirdebeaux cheveux, tout simplement parce qu’il a la tête rasée.Audrey a les siens brun foncé, brillants etjoliment structurés avec une frange épaisse et droite dont pas un petit frisottis ne dépasse. À bien yregarder, j’ai l’impression d’avoir débarqué dans une pub Fructis. C’était dans les conditions pourintégrerlecabinet?JesuissûrequesiSofianeselaissaitpousserlessiens,ilsseraientclasses.Jesaisquejesuisjolie,jenefaispasdanslafaussemodestie.Maislà,jemesensmiteuseàcôtéd’eux;jemesuis vaguement tressé les cheveux cet après-midi quand il commençait à faire trop chaud, depuis, desmèchesontfoutulecampdel’élastiqueetcommejesuisdugenreànepasm’ensoucier,j’aisûrementunecoiffure«ausautdulit».
JeserrelamaindeSofianeetnouslesuivonsautourdelatable,oùunapéritifnousattend.JerestedocilementprèsdeLoïc,j’aibesoind’unallié,quandjesensqu’onm’attrapelamain.Angem’attireenarrièreetjem’assoisd’officeàcôtédelui.Ilnelâchepasmamain.Jesourissansleregarder.
Ange
C’estplusfortquemoi.J’aibesoindemontrerqu’elleestavecmoi.Jenesavaispascommentelleréagirait.Ellesourit.J’aimevoirquejesuisàl’originedesessourires.Audreynousregardeducoindel’œil.Ellemesouritaussi,jeresserremesdoigtsautourdeceuxde
Lise.Elleexerceunepressionetserapprocheunpeuplus.C’estunpas.Jenesaispasoùnousallons.Maisc’estunpas.
19
Lise
Nouscommandonslespizzasetlesconversationss’animent.Angeestassezsilencieux.C’estlui.Ilatoujoursétéceluiquiécoute,pasceluiquiparle.D’habitude,jefaispartiedeceuxquiontlatchatche.Saufquecesoir,j’aitellementconsciencedesaproximitéquejemeconcentrepournepasdireetfairen’importequoi.LoïcsuffitdansledomaineduWTF.
Angelâchemamainetposelasiennesurmanuque,sousmescheveux.Ilafaitcegestetellementsouvent…avant…IlécouteSofianequiluiparledesmenusdelasemaine.
—Vousêtescolocataires?jedemande,unpeusurprise.—Oui,nousvivonstouslesquatreici,merépondAnthony.Cela explique la présence d’Audrey et j’ignore si je dois être soulagée parce que c’est normal
qu’ellesecomportecommechezelleétantdonnéqu’elleestchezelle…ousijedoism’inquiéterdelasavoirsiintimeavecAnge.
—Sérieux,Ange,tusaisquetuasvingt-neufans?jelecharrieunpeuenmetournantverslui.—Queen,chérie,c’estlemomentoùtun’espascenséetemoquer,m’indiqueLoïc.Oups.Jesenslamaind’Angesecrispersurmanuqueavantdesedétendreànouveau.C’estfurtif,maisje
voisbienqu’ilesttendu.—Onétaitdeux,audépart,m’expliqueAnthony.C’estpratiquepourpayersesétudes,tusais.—Lesétudes,etlapaternité,ajouteAnge.Ahoui,j’avaisoubliécedétail.Papaàvingt-quatreans,forcément,çacompliqueunpeulavie.—Tunebossaisplusdanslamécanique?—J’aipassémondiplômeetj’aichangédevoie,merépond-ilsansentrerdanslesdétails.Çamefaitbizarrededécouvrirtoutçasurlui.Laconversationdévieunpeusurquelquessouvenirs
deleurformationàl’écoled’infirmiersetAngeneserelaxepastellementàcôtédemoi.Jeprofited’uneenviepressantepourtenterdem’éclipseretmetourneversAnthony:
—Tupeuxm’indiquerlestoilettes?
—Jet’accompagne.—Non,jem’enoccupe.Ah,doncAngenem’ignoraitpasvraiment. Ilécoutait.Fourbe.Ilse lèveet je lesuis.Unétrange
silences’installedansnotredosalorsqu’ilmeconduitàl’intérieur.Ilentredanslasalledebainetfermelaportederrièremoi.
—Heu…Jeveuxfairepipi,pourdevrai,cen’étaitpasuneruse,jeluifaisremarquer.C’estvrai,jen’aipaspuallerauxtoilettesdel’après-midiàcefestival,ilfautabsolumentquej’y
aille,là.—TuascouchéavecLoïc?—Je…quoi?Il est vraiment, vraiment en train de me faire perdre ma patience. Il y a quelques minutes, je
décidaisdeluilaisserdelamarge.Orlà,ilvatroploin.—Tum’astrèsbienentendu.—Ilfautquetuarrêtestonnumérodejalouxpossessif,Ange.Cen’estpastoi.Ilpassesesmainssursonvisageets’appuiecontrelaporte.Sesbrasretombentsurlecôtéetilme
fixe.Jenedisrien,j’aipeurdetoutcequejepeuxdireoufaire.J’aipeurparcequechaquemot,chaquegeste,chaqueregardpeutm’éloignerdeluiaulieudenousrapprocher.Jenesuisquetropconscientedesafragilité.
—Jesais.Jesuisdésolé,j’aiquandmêmebesoindesavoir.—Non.Noussommesjusteamis.Nousnenoussommesjamaisembrassés,situteposaisaussila
question.—Ilt’appelle«chérie».—C’estunpetitnomaffectueux.Riendeplus.—Ilt’appelleaussi«Queen».—Onpeutenparleraprès.Jesuisdésoléedecasserl’ambiance,jedoisabsolumentfairepipi.Ilsortetjefermeleverrouderrièrelui.Sérieusement?Mercimavessie,parcequejeneveuxpasluimentiretj’ailasensationquemaréponsenevapas
luiplaire.Jeréfléchisàcommentaborderlesujettoutenmelavantlesmains.Jeprendsmontemps,mesmainsn’ontjamaisétéaussipropres.Quandjesors,jesuissoulagéedevoirqu’iln’estpluslà.Jusqu’àcequejel’aperçoivesurlecanapé,danslesalondevantlequeljedoispasserpourrejoindrelaterrasse.Impossibledefairecommesijenel’avaispasvu.Ilselèveetvientàmarencontre.Ilmetendlamain,jelaprendsetilnousentraînedansuneautrepartiedelamaison.
Sachambre.Quandnousétionsensemble,sachambreétait le lieuoùnouspassions leplusde temps.Nousne
pouvionspasaller chezmoi,monpèren’auraitpasétéd’accord.Les rockersne sontpas toujours lesparentslespluscool.Alorsquesesparentsn’étaientpassouventlàetnousavionsdoncl’opportunitéd’ypasserbeaucoupdetemps.Seuls.
Il referme la porte et je n’ai plus vraiment le temps de réfléchir à ma stratégie. Il me poussedoucementcontrelemuretplacesesmainsautourdemonvisage,àplat.
—Pourquoiilt’appellecommeça?—Ilaracontél’anecdoteet…—Laisse-moireformuler:pourquoilelaisses-tut’appelercommeça?—Parcequetumemanques,Ange.Etquejefaiscequejepeuxpourcompensertonabsencedans
mavie.Etçafaitcertainementdemoiquelqu’undepathétique,j’enaiconscience.C’estcommeça.Voilà,c’estdit.—Jen’aimepasquetuflirtesavecAnthony.—Pardon?Jetentedel’éloignersaufque,commejeledisais,jenesuispasenmesuredel’obligeràfairequoi
quecesoit.—Laisse-moisortir.Turacontesuntasdeconneriesàlachaîne,c’estridicule.Tuesridicule.—Jesais.Jesaistoutça.Jen’ypeuxrien.Jepourraisnepastemontreràquelpointjemesensen
insécuritéavectoi.Jepourraisfairesemblantdebienvivretonretour.Jeneveuxpas.J’aibesoinquetusaches.
Ilaraison.Cen’estpaspourçaquec’estplusfacileàencaisser.—JeneflirtepasavecAnthony,nousdiscutonsparcequenousavonsunpointcommun.Jene te
feraisjamaisça,Ange.—Tuespartie.—Etjesuisrevenue.—Jenelesavaispas.—Maintenant,tulesais.—Cen’estpas…—…plusfacile,c’estpareilpourmoi.—Avant…Avant,j’étaistellementsûrquetum’aimaisvraiment.Ettuespartie.Jenedisrien.Ilsecontented’énonceràhautevoixcequenoussavonstouslesdeux.
Ange
Jen’aijamaissugarderquoiquecesoitpourmoi.Pasavecelle.Dèsl’instantoùjel’aivue,jesuistombéamoureux.Etjeleluiaidit.Elleari.Alorsjeluiaidemandéd’êtremapetiteamie.Etelleacesséderire.Ellearougi.Elleaditoui.Etjel’aiaiméependantquatreansencroyantquec’étaitréciproque.Est-cequeçal’étaitvraiment?J’aimepenserqueoui.Pourtant,elleestpartie.Chaquefoisquej’essaiederéfléchir,dem’éloignerd’elle…jereviens.Plusfort.Toutestmagnifiéavecelle.—Jet’aimais,jen’avaissimplementpasréaliséàquelpointc’étaitlecas,souffle-t-elleenfermant
lesyeux.Je n’ai plus envie de parler. Alors je me penche vers elle et l’embrasse. D’abord lentement,
délicatement,meslèvresrecouvrentlessiennesqu’elleentrouvredéjà.Malangues’yglisse,lasiennelaretrouveetjedeviensplusexigeant.Moinstendre.Jelaisselarancœurs’exprimerdanscetéchange.
Jeluiaitoutdonné.Jeveuxencoretoutluidonner.Jeveuxenêtrecapable.Laretrouvermedonnel’impressionderespireraprèsuneapnéeinfinie.Siellesavaitlepouvoirqu’ellepossèdeencoresurmoi,melaisserait-ellefaire?Peut-elle être aussi sûre qu’elle en a l’air de vouloir à nouveau faire partie dema vie ?Deme
vouloirdanslasienne?
20
Lise
Cettenouvelleversiondeluimeplaît.J’apprendsàaimercethommecommej’aiaimél’adolescentqu’ilétait.Sesmainsdescendentlelongdemoncorpsets’ancrentsurmeshanches.Ilm’attireàlui.Jesenssonérectioncontremacuisse.Jesaisqu’ilveutquejeréaliseàquelpointilmeveut.J’oubliequenoussommesattendusdehors.
Jeneveuxplusperdredetemps.Jeneveuxplusleperdre,lui.J’aiperdupresquedixansdelui.Denous.Sa langue prend possession de ma bouche et je le laisse m’imposer son rythme. Je place mes
paumessursesjouesetfaisunpasenavant.Ilrecule.Ilmelaisseguider.Jel’amènejusqu’àsonlitetilm’entraîneaveclui.Nousnousallongeonssansromprelebaiser.Sesmainsagrippentmesfesses.Ilnousfaitroulersurlematelasetjemeretrouvesouslui.Ils’éloigneunpeuetlaissecourirsonregardsurmoi.
—Jeneveuxpassavoir,jeluidisdansunsouffle.—Quoi?—Combien,comment,quand…Jeveuxjusteêtresûrequetueslà,cesoir,avecmoi.Justemoi.—Justetoi.Ilm’embrasseencoreetc’estpluspressant,moinsprécautionneux,plus…Toujoursplus.Jefaispassersont-shirtpar-dessussatêteetillejetteausol,sansunregard.Parcequesesyeuxne
mequittentpas.Lesmiensobserventsoncorps,que jeconnaissibienetquim’estpourtant totalementinconnu.Ilselèveetvafermerleverroudelaporte.Etlà…jebloquesursondos.Pasuniquementparcequec’estlapremièrefoisquejelevoistorsenudepuisdesannées,non.
—Ange!Quandas-tu…Ilseretourne,réalisantcequ’ilvientdememontrer,involontairement.—Quandtuespartie.DeuxlionsentourentleQdeQueen,aucentreduquelsesituelacouronne,letoutsurmontéparle
crabeetlephénixemblématiquesdugroupeanglais.Lelogos’étired’uneomoplateàl’autreetdémarre
delabasedesanuquejusqu’aupremier tiersdesondos.Sous le logo, leprénomEmmaest tatouéenlettresgothiques.Pasunseultraitn’estencouleur,dunoir,desdétailsetbeaucoupd’émotionressortentdecetatouagequejedécouvreensilence.Jecroisquejevaispleurer.Passimplementparcequejesuislà,avec lui, tout le temps.Aussiparcequ’ilyasafille, justeàcôté.Etqu’ilmemetaumêmeniveauqu’elle.
Jemelèveetlefaispivoter.Jetraceduboutdesdoigtslapreuveéternelledel’amourqu’ilapumeporteràuneépoque.Sapeausecouvredefrissonsquisuiventlecheminqu’uneaiguilleadessinésousson épiderme. La culpabilité ne m’a jamais quittée, mais elle n’a surtout jamais été aussi évidente,accusatriceetinsupportablequelà.Sousmesyeux.Rappelimmuabledesconséquencesdemesactes.Jereculeet retournem’asseoir sansparveniràdétacher le regarddesondos. Il se retourne, lamâchoirecrispéeetuneexpressionindéchiffrablesurlevisage.
Jelefixesanssavoirquoidire,quoifaire.Ilrevientseplacerau-dessusdemoi,enprenantappuisursescoudes.
Ange
Jeluiaifaitpeur.Ellemeregardeànouveau,jeretiensmonsouffle.Sesmainsglissentdansmescheveux.—J’aimetescheveux,commeça.Lâche-les,s’ilteplaît.Jeretirel’élastiquequilesretenaitenarrièreetilstombentautourdesonvisage.Ellesourit.—Est-cequetumepardonneras?Jel’embrasse.Jepréfèrenepasrépondre.Jenepeuxpasluipromettreça.
Lise
Jesuisalléetropvite.Biensûrquec’estencoretôtpourdéciderdemepardonner.Maintenant,sic’estcommeçaqu’ilmefaitpayer…jeveuxbienexpiertoutemavie.
Jelaissemesdoigtscourirlelongdesontorse,jedécouvrelecorpsdeceluiquim’étaitsifamilier.Ilsetendunpeuquandj’arriveàlaceinturedesonjean.
—Dis-moid’arrêter,etj’arrête…jesouffleentredeuxbaisers.—Jenesaispas,Lise,jenesaispascequejeveux.Jelesenstellementperdu.Alorsjeremetslesmainsdanssescheveux,jel’attireplusprès.Jesuis
prêteàlelaisserhésiteretàseservirdemoi.Jesuistellementdésespéréequandils’agitdeluiquejenemesouciepasdesconséquences.Sijamaisjedoisleregretter…Non.Jeneregretteraipas.
Pendant toutescesannées, j’ai rêvéde lui,penséà lui.Tous les jours.Les regrets,onapprendàvivre avec. Le manque, c’est déjà plus difficile. Je n’avais pas mesuré l’importance de ce manquejusqu’àcequejelerevoie,ilyadeuxsemaines,devantchezAnnabelle.
C’est lui qui devient plus intense, d’un coup. Il fait tomber ses barrières, il se laisse porter parl’instantetj’accueillechaquecaresseensoupirant.Ilm’attireàluiletempsd’enlevermondébardeuretsesyeuxmedétaillent.Non,jeneporteànouveaupasdesoutien-gorge.Luietmoisavonsquejen’enaipasbesoin.Ilm’atoujoursditquemesseinsétaientparfaitscommeilsétaient.Ilconnaîtmoncomplexesurmapoitrinepresque inexistante. Il pose sesmains surmoi, ses pouces en effleurent les extrémitéssensibles et sa langue, ses lèvresviennent les remplacer tour à tour.Sanscesserdemordiller, lécher,embrasser,ildéfaitmonjean.JeretiremesDocenm’aidantdemestalons,ilyabienlongtempsquejen’enattacheplusleslacets.Jel’aideàenlevermonpantalon,ilnemerestequemaculotte.Ilserelève,deboutdevantmoi,etouvrelentementsaceinture.Durantletempsinfinietinsupportablequ’ilprendàsedéshabiller,sesyeuxsepromènentsurmoncorps.Ilreprendsesmarques.Jen’aipasbeaucoupchangé,lui oui. Ses cuisses sont tendues, son ventre plat et ferme. Je me redresse sur mes coudes pour merapprocherdelui.Quandilenlèvesonboxer,mesyeuxnequittentpaslessiens.Jefaisglissermaculottesurmesjambesetm’endébarrassed’uncoupdepied.Luinonplusneromptpaslecontactvisuel.Iltend
lamainverssatabledechevetetjel’entendsouvriruntiroir.Jeneclignemêmepaslespaupières,j’aitroppeurdebrisercetinstant.
Ilposelepréservatifsurl’oreiller,àcôtédemoi,ets’agenouilleentremescuisses.Illesécarteunpeuplusetc’est seulement lorsqu’ildéposedesbaisersdemongenouà l’intérieurdemacuissequ’ilcessedemeregarder.Jefrissonnesous lesillagehumideque laissesa languesurmapeau.Il remonteplushautetjemelaissetomberenarrière,lasensationesttropforte.Ilmefaitceteffet.Ils’immobilisealorsjeredresselatêteetilmesourit.Lecoindesaboucheserelève,unepromessemuettequiaccentuelatensionquemeprovoquecetteattente.Ilneluifautqu’unesecondepoursepositionnerexactementlàoù il doit être et mes mains se placent naturellement sur sa tête, maintenant le contact. Les siennesremontentjusqu’àmapoitrineetilsesouvient,ilenpincedoucementlespointesdurciesetjegémis.
—Jamais…unautre…jamais…commeça…Jenesaispaspourquoi,jeressenslebesoindelerassurer.Mesparolessontsaccadées,impossible
d’êtrecohérente.Jepensequ’ilacompris,carjesensseslèvress’étirerànouveauenunsourirecontrema peau sensible. Il me pince un peu plus fort, comme pour me signifier qu’il apprécie, et c’est ledéclencheurd’unorgasmequimefaitoublieroùnoussommes.Jecrieenrelevantlebassin,ilsaisitmeshanchesetmemaintientenplace.Mespoingsserefermentsurledrapetjesuisobligéedeluidemanderd’arrêter,carleplaisirsetransformedoucementensensationimpossibleàsupporter.
Il remonte jusqu’àmoi enm’embrassant, partout, avant de plaquer ses lèvres surmoi. Jamais iln’avait faitça,avant.Çam’estégal,malangue trouve immédiatement lasienneet jem’accrocheà lui,avecunsoupçondedésespoir,mesjambesautourdesataillecommeunétauquimerassure.Quandnousreprenonsnotre respiration, il attrape lepréservatif et lemet enplace sansmodifier notreposition. Ilentreenmoid’uncoup,m’arrachantunnouveaucri.Jecroisqu’ilvameprendrefort,vite,brutalement.Maisils’immobiliseetm’observe.Jen’aipasretrouvémonsouffle,pascomplètement.Seslèvressonthumides de moi. Il sort, lentement, et rentre à nouveau, à fond, je gémis. Il reste silencieux. Il estconcentrésurmoi.Ilnebougeplus.
—Encore…jelesupplieenmurmurant.—Encore?Sonairsefait joueur, jerépondsdelamêmefaçon.Ils’amuseavecmoi.Ilveut jouer.Çaneme
dérangepas.Jesoulèveleshanchesetilmepénètreavantdeseretirercomplètement.—Ange…Qu’est-cequetufais?—Jetel’aidit,jenesaispas.Jen’aipaslamoindreidéedecequejefaisavectoi.Ilm’annonceçacalmement.Iln’estpasénervé.Ilaunemaîtrisedeluiabsolumentincroyable,étant
donnélescirconstances.—Ettoi,Lise,qu’est-cequetufais?—Cequetuvoudras.Oui, j’en suis là, à vouloir tout lui donner. Sans restriction.Quitte à y laisserma santémentale.
Quitteàsouffrir,après.Parcequ’ilyauraunaprès.—Tuasditquetum’aimaisencore.Jenetecroispas.
Ilveutparlerdeça,maintenant?Ils’assoitsurlelit,contrelemur,àcôtédemoi.Jeneréfléchispas.Jemeplacesursescuisses,
mesjambesdechaquecôtédesoncorps.Jemepositionnejusteau-dessusdesonérection,ilnebougepas,ilmeregarde.
Alors je le prends enmain etm’assois sur lui, doucement. Il aspire un peu d’air, signe quimerassure,carjenesuispasdutoutsûredemoi.Pasdutout.Jeprendsappuisursesépaulesetcommenceàbouger, lentement. Ses mains viennent enserrer ma taille. Malgré lui, j’ai l’impression. Il n’essaiecependantpasdem’arrêter.
—Jen’attendspasquetumecroiesaprèstoutescesannées.Jesaisquec’estdifficile.Ilhochelatête.—Jenevaispasnonpluscesserdet’aimerjusteparcequetuneveuxpaslecroire.Sesdoigtssecrispentsurmapeau.—Cen’estpasgravesitun’aspasconfianceenmoi.C’estnormal.Jevaisregagnertaconfiance.—Oui?—Oui.Etjevaisteréapprendreàm’aimer.Ilsourit.Jel’embrassesansinterrompremesva-et-vient.Ilaccentuelerythmeenmesoulevantplus
vite.Mes seins frôlent son torse, sa langue caresse la mienne, je gémis, plus fort, il me prend, plusfermement.Jeperçoisl’instantprécisoùiloubliesesdéfenses.Celuioùilmesoulèvepourm’allongersurledos.Celuioùilrevientenmoi,sesmainsattrapantl’arrièredemesgenouxetécartantmesjambes.Celuioùilmedonnedescoupsdehanchestellementpuissantsquej’enrestelesoufflecoupé.Celuioùiljouit en moi avant de se laisser retomber contre mon corps encore brûlant de lui. Sa respiration estfrénétique, il se retire. Il enlève le préservatif. Je l’observe y faire un nœud et s’essuyer avant del’enfermerdansunmouchoir.Ilnemeregardepas.Jen’aimepasça.Jemeredressepourmerhabiller.
—Oùtuvas?—Je…Ilm’arrachema culotte desmains,m’oblige àme rallonger et pose le drap sur nous. Ilm’attire
contreluietcaresselentementmondos.Et là, toutdesuite, iln’yaaucunautreendroitoùjevoudraisêtre.Aucun.
Ange
Jenel’aijamaisprisecommeça.Nousavonstoujoursététendres,délicats.Jesuisbien,avecelle.Jel’embrassesurlefront.Ellerelèvelatêteetposeseslèvressurlesmiennes.—Tum’aimerasencore…murmure-t-elleentredeuxbaisers.Jeneluirépondspas.Jeneluidispasqueçaatoujoursétéelle.Jeneluidispasqueceneserajamaispersonned’autre.Jeneluidispasquedepuiscejouroùjeluiaidemandéd’êtreofficiellementmapetiteamie,quand
nousavionsquatorzeans,iln’yajamaiseuqu’elle.Etquejel’aimedéjàcommeavant.Jel’aimeencorecommeavant.
Lise
Je crois que je me suis endormie. Excepté que quand j’ai fermé les yeux, j’étais dans les brasd’Ange.Etlà,iln’yapluspersonne.Vais-jedevoirm’esquiverdiscrètementafindenecroiseraucundesescolocataires ?Unedélicieuseodeurmechatouille lesnarines. Jeme redresse, ledrapglisse,mesyeuxs’habituentàl’obscurité,sûrementparcequ’unefaiblelampedechevetestallumée.
—J’avaisfaim.Jesursaute,jen’avaispasdutoutvuqu’ilétaitlà.Monpremierréflexeestderemonterledrap.Il
tendlamainetm’enempêche.—J’aimetevoir.—Ilestquelleheure?Ohmince!Loïc!—Ildortdanslachambred’amis.Toutlemondeestcouché,ildoitêtrequatreheures.Pizza?Hein?Heu…Leréveilestunpeuflou,là…—Jenepeuxpasmettreunt-shirtjustepourmanger?jeluidemandeengrimaçant.Ilsecouelatête.—Tut’eshabillé,toi.Ilselèveetretiresonboxer.OK.Égalité.Mangeonsàpoil,faisonscommesinousvivionsdansune
communauté naturiste àTahiti. PourquoiTahiti ? Je ne sais pas, sûrementmon cerveau qui se la jouesolo…Bonsang,ilestquatreheuresdumatinetj’essaiederéfléchir,çanemeréussitpasdutout.
—Satisfaite?—Très.Ilmetendunepartetjeconstatequemonestomacnepeutpasvivred’amouretd’eaufraîcheetde
visiononirique:jesuisaffamée.Nousmangeonsensilence.Jemangetrop,jen’arrivepasàm’arrêterquand j’aime, je suis gloutonne. Alors quand j’ai enfin l’impression que mon ventre va exploser, jem’allongesurledos.Ilmerejointaussitôt.
—Dorsavecmoi.—Detoutefaçon,jenepeuxplusbouger.
Iléteintlalumièreetjemerendorsaussitôt.
Ange
Leréveilsonne.Jedoismeleverpourpartir travailleret,mêmesi j’adorecequejefais, jen’aijamaiseuautantdemalàquittermonlit.Elleestlà,etj’aipeurdesortirdelapièceetderéaliserquetoutçan’étaitquelefruitdemonimagination.
—Hum…ilestquelleheure?—Sixheures,tupeuxdormir,Queen,jedoispartir,tupeuxrester,toi.—Jepeux?Savoixestendormie,jenesuismêmepassûrqu’ellesoitvraimentréveillée.—Oui,reste.Jel’embrassesurl’épaule,remontelentementjusquedanssoncou.Jelavoissourire.Etjefaisce
quejen’aienaucuncasfaitavant.Niavecelle,niavecpersonned’autre.
Lise
Jerêveoùilestentraindemefaireunsuçon?—Ange!Il ritets’éloigne,probablementparcequ’ila réussisoncoup.Cerire…Son rire…C’estunson
dontjenepourraijamaismelasser.—Tum’asmarquée!—Oui.—Jenesuispastachose!—Non.Tuasraison.—Viensici…Il s’approche et il pense sûrement que je vais l’embrasser. Ce que je fais. Jem’assure juste de
laissermoiaussiunetracejustesoussonoreille.Jelesensdurcircontremacuisse.—Jedoisvraimentpartir,ilyauratoutdemêmedesconséquences.Sansréfléchir,jeréplique:—Ilyatoujoursdesconséquences.Jenedoispasm’exprimerquandjesuisàmoitiéréveillée.Ildevraitilyavoirquelqu’unavecmoi
pourm’empêcherdefairecegenredechose.Gâcherl’instantprésent.Uncenseur.—Toujours.Et en plus, il est d’accord avecmoi.C’est à se demander pour quelle équipe je suis, parce que
clairement,jeneprêchepaspourmaparoisse.—Merci.Ilseredresseetmeregarde.—Dequoi?—Dem’avoirpermisd’entrerànouveaudanstavie.Ilfermelesyeuxetselaisseallercontrel’oreiller.
—Ilest trop tôtpourparlerdeça.Jenesaispluscedont j’aienvieoupas.Jeveuxjuste…toi.Nous.
Jeleprendsdansmesbrasetposelatêtedanslecreuxentresonépauleetsoncou.—Tum’as.—Pourcombiendetemps?—Jenevaispaspartir.—Tuenessûre?—Certaine.—Onverraça.Unpasenavant,deuxenarrière.Jedétestecettedanse,jenepeuxcependantpasluienvouloir.Ce
n’estpasparcequej’aieuaveclui,cettenuit,lemeilleursexedetoutemaviequ’ilvacommeparmagieeffacertoutcequ’ilaenduréàcausedemoi.Ilselèveetjeleregardes’attacherlescheveux.Iln’apashontedesoncorpsetilabienraison.Jesuissûrequesijebavesurl’oreillerçan’aurarienàvoiravecmonsommeil.Ilremetsonboxer,attrapedesvêtementsdanssonarmoireetm’annoncequ’ilvaprendreunedouche.Jemerendors, ilestbeaucoup trop tôt, ila raison.Etpuissi jenepeuxplus le regarder,aucunintérêtàgarderlesyeuxouverts.
21
Lise
—Jet’assurequejenet’enveuxpas,merépèteLoïcpourlaénièmefois.JenousramènechezAnnabelleet,sans luidonner tous lesdétails, je luiaiquandmêmeprésenté
mesexcusespourl’avoirlâchementdélaisséhiersoir.Deretourdans l’appartement,nousallonssaluerAnnabellequiestdansunmauvais jour.Et je le
vois directement à l’air navré queme lance Élodie, une des aides à domicile, quand elle sort de lachambrepournouslaisserlaplace.
—Mademoiselle…Ah,Monsieur,vousdevezêtrel’infirmier!Peut-êtrequevous,vouspourrezmerépondre,carpersonnen’estcapabledemedireoùsetrouvemonmari!
Jem’assoisàcôtédulit,surlefauteuil,etluisouris.Loïcestrestéàlaporte,interdit.Ehoui,c’estsonpremier épisodeet il connaît assezbienAnnabellepourêtre choqué.Sur lemoment, lespremierstemps,jepensaisquejenem’habitueraispas.Commequoi…ons’habituemalheureusementàtout.
—Annabelle,tonmariestendéplacement.Tutesouviens?Elleal’airperduedurantquelquessecondeset,d’uncoup,lacompréhensionselitsursonvisage.—Biensûr!Oùavais-jelatête?Merci,Mademoiselle.Enfinquelqu’unquisaitcequisepasse
danscettemaison.Auriez-vousl’obligeancedemettrelatélé?Masérievadémarrer.Eneffet,Kojakestsurlepointdecommenceretjesuisépatéeparsonaptitudeàsesouvenirdece
genrededétailsinsignifiantsetàenoublierd’autres,nettementplusimportants.Commelefaitquesonmarietsafillesontdécédés,entreautres.Jenechercheplusàcomprendre,iln’yapasdelogiquedanslasénilité. Juste un gros foutoir impossible à suivre et je vis avec parce qu’il n’y a rien d’autre que jepuissefaire.Lavieillesse,cen’estpasbeauàvoirquandonestdiminuécommel’estAnnabelle.C’estsûrementpourçaqu’onenvoie lesvieuxdansdesmaisons,cachés,commeçaonnelesapassouslesyeux.C’estfacile:onleséloigne,onleurrendvisitedetempsentemps,pourlaforme,surtoutpoursapropreconscience.Etpuisonleslaissemourirentreeux.C’estpolitiquementincorrectdeparlerdeça,parcontre.Alorsonn’enparlepas.
—Annabelle,voudrais-tuunpeudelectureoupréfères-turegardertasérie?jeluipropose,parcequejelavoisfroncerlessourcilsdevantl’écran.
—J’aidéjàvucetépisodeaumoinstroisfois.Ilssemoquentvraimentdumonde,àlatélé!Sur ce, elle enlève une pantoufle et la jette sur le poste ! J’éclate de rire, Loïc ne sait pas trop
commentréagiretellesetourneversmoiensouriant:—QuandjesuivaisAmour,GloireetBeauté,jenevousracontepaslenombredefoisoùmasavate
aatterrisurlatélé!Heureusement,j’aitoujoursdesIsotoner,jen’aijamaisriencassé.Bonsang,ilsnousprennentpourdesdemeurés,non?
—Jesuiscomplètementd’accordavectoi!Quedirais-tu,àlaplacedumaniaquedessucettes,depasserunmomentavecFabio?
—C’estuneexcellenteidée!Jemelèveetvaischercherunnouveauroman,carnousavonsterminéledernier.Cettefois,j’arrête
monchoixsurunecouvertureoùFabioestentenuedepirate,çaal’airdesepasserauXVIIIesiècleouquelquepartparlà.Enmêmetemps,lecontextehistoriqueneservantquedeprétexteàlaromance,ons’en foutunpeude savoirquandetoù l’histoire sedéroule.Cequi est important, c’estqueFabioestencoretorsenu,etça,cesontleslivrespréférésd’Annabelle.Jeneluienaipasfaitlaremarque,orj’aibienvucommentellelorgnesurlacouverturependantquejelis.Autantluifaireplaisir.
« Scrutant l’horizon, une main en visière sur son front, le capitaine Knight (je sens venir lachevaleriedecepiratedudimancherienqu’àsonnomconnoté)souriaitdéjàenpensantaubutinquil’attendait sur l’île qu’il s’apprêtait à rejoindre d’un jour à l’autre. Le vent et lamer avaient étéclémentsavec luiet,endehorsd’unefemmepourréchauffersacouche, ilne luimanquaitrien.Seshommesétaientheureuxettravailleurs,sonnavirefilaitsouplementsurlesflotsetilsavaientaccostétroisvaisseauxbritanniquessurlechemin,dequoirenflouerlacale.Laprisonnièrel’observait,illesentait.Bienquelatentationfûtgrande,ilserefusaitàabuserdesonpouvoiretpunissaitdufildel’épéetouthommedesonéquipagequis’adonneraitauviol.Ilconservaitunsouvenirtropvifdesamère subissant les derniers outrages. Non, il ne serait pas de ces barbares qui usaient de leursupérioritésurles femmes.Alorsil l’ignorait,seconvainquantquesoncorsagedéchirénemontraitpasunboutdeseinqu’ilauraitadoréempaumer…»
—Loïc,c’est lemomentoù tudevrais t’éclipser,car il sembleraitque j’aiepiochéune romancehistoriqueérotique.
Ilesttoujoursàlaporteets’amusevisiblementdemalecturethéâtrale.—Voyons,jeunehomme,venezplusprès!Vousallezvoir,cetteaideàdomicilen’apassonpareil
pourlireleshistoiresdeFabio!—QuiestFabio?nousdemande-t-ilenprenantplacesurlachaise,aupieddulit.—Quiest…Non!Jesuischoquée!s’écrieAnnabelle,unemainsurlecœur.Ellenesaitpeut-êtrepasquinoussommes,elle saiten revanchequiestFabioetaconservéson
humour.Pour ça, je suis contentequeLoïc reste avecnous et provoque sabonnehumeur.Même si jerisqued’enentendreparlerunmoment,demeslectures…
—Liiiiiiiiiise!Li-seuh!Liiiii-iiii-iiiii-seuh!—Jecroisquequelqu’unt’appelle,dehors,mefaitremarquerLoïcenriant.Iln’estpasencoremidiet jesaisqu’ilvarepartiraprèsmanger,car iln’aplusaucuneraisonde
rester.Quantàmoi,encorequelquesjoursetilmefaudrauserdemarelationavecuncertainJeffMonroesijeveuxpouvoirresterloindelarédactionuneoudeuxsemainesdeplus.Noussommesdoncinstallésausalonàdiscuterquandcemélodieuxsonretentit.
—C’estEmma,lafilled’Ange,jeluiexpliqueenmelevant.Jesouris,ons’habitueàcesbestioles,bizarrement.Jesorssurlebalconetjevoissapetitemain
s’agiterderrièrelabarrière.Jem’approcheetmepenche:—Bonjour,Emma.—Ah,Lise.Jet’appelledepuisuneviedesrats!—Jenesuispassûrequetuemploiescetteexpressioncommeilfaut,jeluifaisremarquer.—T’étaisoù?—Àl’intérieur,avecunami.—Tureparsplusàtonchez-toi?—Paspourlemoment.—OnpeutallervoirT-Rex?—Quitegarde,tesgrands-parents?—Non,c’estmamamieetmonpapyquimegardent.—C’estcequejedis.Vademanderlapermission.Ellepartendérapagecontrôlé,commetoujours,etj’attendspatiemmentsonretour.C’estHélènequi
arrive,quelquessecondesaprès.—Bonjour,Lise.—Bonjour,Hélène.Emmaaimeraitallervoirlatortue,danslepetitbois.—Oui,jesuisaucourant.Angenousaditqu’ellepouvaityalleravectoi.—Seule?—C’estunproblème?Tupréfèresquejevienne?—Non,jesuisjusteétonnée.—Qu’iltefasseconfianceavecsafille?Oui,moiaussi.Etbam,danslesdents,Lise.Vousreprendrezbienunuppercut,pourlaroute?—Bon,alors…Jelaretrouvesurlepalier?Jevouslaramènedansvingtminutes,pourlerepas?—Trèsbien.
—Alors,tucroisqu’ellevavenir?—Jenesaispas,çam’étonnerait, tusais.Elleestpeut-être loinet le tempsqu’ellearrive,nous
seronsremontéesàl’appartement.Oumortesdevieillesse.
Noussommestouteslesdeuxaccroupiessurlesol, làoùnousavonsaperçulatortue, ladernièrefois.Iln’yamêmepasl’ombred’unecarapace.
—Monpapaestcontent.—Ahoui?—Oui,c’estmamanquiledit.—D’accord.—Etmoi,simonpapaestcontent,jesuiscontente.—C’estnormal,onappréciequelesgensqu’onaimesoientheureux.—J’aimemonpapa.—Etjesuissûrequ’ilt’aimeaussi.—Oui,etmamamanaussiellem’aime.Etmamamanelleditquemonpapa,ellenel’ajamaisvu
contentcommeça.— Emma, par hasard… c’est à toi que ta maman a dit ça, ou tu écoutais une conversation de
grands?—Jevoulaisjustefairepipi,etelleparlaitavecsonamoureux,alorsj’aipasfaitdebruitpourpas
me faire gronder parce que j’ai pas le droit de me relever. Alors comme j’ai pas fait de bruit, j’aientendu.EtelledisaitàAlainquemonpapa,c’étaitbiendelevoirsouriant,mêmesic’estàcausedecette tépassequi était revenue rienquepour lui faire encoreplusdumal.Alorsmoi, cette tépasse, jel’aimepasdutoutparcequejeveuxpasqu’onsoitvilainavecmonpapa.
Je déglutis difficilement, le temps de me rassembler, parce que visiblement je suis la pétasseévoquéeparlamèred’Emma.Go!TeamLise,go!
—Nousdevrionsremonter,onessaieradereveniraprèsmanger,sitamamieestd’accord.—TucroisqueT-Rexvaêtreencorelà,unjour?—Jenesaispas,onpeutespérer,çanecoûterien.NousnousrelevonsetEmmametsapetitemaindanslamienne.—J’aiunsecretàtedire,m’avoue-t-ellesurlechemindelarésidence.—Jeteprometsdenepaslerépéter.—J’aiunamoureuxsaufquepersonnelesaitparcequec’estunsecret.—Oh,etquiestcepetitchanceux?— C’est Raphaël, c’est le voisin. Il a cinq ans, comme moi, je crois que lui, je suis pas son
amoureuse.—Pourquoitudisça?—Ilarrêtepasdem’embêter.Hier,ilm’atirélescheveuxetaprèsiladitquej’étaismoche.Oh.Purée.Ilvafalloirquejeluiexpliquelapsychologieinverséedesmecs…—Tusais,lesgarçonsnesaventjamaiscommentmontrerqu’ilssontamoureux.Alorsilsfontdes
chosesunpeubêtes.—Commequoi?
—Commetirerlescheveux.C’estpasbien,parcequequandonaimebienquelqu’un,onneluifaitpasdemal.Maiscommejetedisais,c’estbête.
—Ilditquejesuismoche.—Tuteregarderasdansunmiroirtoutàl’heureettuverrasquetuesloind’êtremoche.J’avaisune
copine,enmaternelle,àpeuprèsàtonâgeetelle,lapauvreelleétaitmoche.Cen’étaitpassafaute,onne pouvait pas dire que la nature l’avait gâtée. Bref, je sais reconnaître quelqu’un demoche. Et toi,Emma,tunel’espas.Nevapasnonplust’imaginerquetoutvatetombertoutcuitdanslebecparcequetuasdebeauxyeuxbleusetdebeauxcheveuxblonds,commetonpapa.Niparceque tuas lesmêmesfossettes que lui, et pourtant, ce sont des armes létales, les fossettes. Personne ne peut y résister.Cependant,danslavie,ilnesuffitpasd’avoirunjolivisage,ilfautméritercequ’ona.Ettonvoisin,ilestimpressionnéparcequetuesjolie,cen’estmalgrétoutsûrementpaspourçaqu’ilestamoureuxdetoi. Car, crois-moi, il l’est. Je suis certaine qu’il aime jouer avec toi, qu’il te trouve intéressante,rigolote…Donc,non,tun’espasmoche,nelaisseaucungarçonteconvaincredeça.Maisnemisepastout sur tonapparence.Etne le laissepasnonplus t’embêter, dis-luique s’il t’aimebien, il doit êtregentilavectoi.
Jem’embrouilletouteseule.C’estlafauted’Ange,aussi.J’aitellementpeurdelafaçondontcettegamine va transformer mes propos que je me contredis et m’emmêle les pinceaux dans mon propreraisonnement.
—Tutrouvesquemonpapaestbeau,aussi?Detoutcequejeviensdeluidébiter,c’estlà-dessusqu’ellebloque.Elleaunradar?Salemioche.—Oui,Emma,jetrouvequetonpapaesttrèsbeau.—Moiaussi,saufquec’estmonpapaalorsiladitqu’ilpeutpasêtremonamoureux.Etilapas
d’amoureuseettoi,t’asunamoureux?—Non,pasencemoment.—Benalors,tupourraisêtresonamoureuse.Parcequetoiaussituesbelle.Mamamanelleadit
queça l’énervaitparcequ’elleauraitbienaiméquetusoismochemaisque tuétaisbelleetqu’elle tedétestaitencoreplus.
—Tamamanmedéteste?Quellesympathiquepetitedécouverte…Enmêmetemps,ellemevoitcommeunepétasse,j’aurais
pum’endouter.—Elleaditqueoui,c’étaitencorequandjedevaispasêtrelà…—Emma, tu dois vraiment arrêter d’écouter les discussions de grands qui ne te concernent pas.
Parceque,unjour,tuvasentendrequelquechosequipourraittefairebeaucoupdepeine.Commela foisoù j’aidécouvertquemonpoissonrouge,Gudule,étaitmortetquedans lebocal,
c’étaitunautrepoisson.Unusurpateur.Jemesuistellementsentietrahiequej’aifaitlagrèvedelafaimpendantdixminutes.Ettrentesecondes.Maisy’avaitdesMilkyWaydansleplacard,aussi…pourmadéfense…
—Ouimaisdesfois,jefaispasexprès.
—Essaiedetecontrôler,danscecas.Noussommesarrivéesdevantlaportedel’appartementdesesgrands-parents.—Retrouve-moisurlebalconavectamamieaprèsmanger,onverrasielleestd’accordpourqu’on
retournesurveillersiT-Rexrevient.Emmas’accrocheàmajambedanscequisembleêtreuncâlin.Je tapotemaladroitementsondos
avantdesonneretquesagrand-mèrenelarécupère.
Loïcestparti, jemesenssansallié.Cesoir, aucuneaideàdomicilenedoitvenir,cequi tombebien, carHélène n’a pas poussé la trêve au point deme laisser conduire sa petite-fille dans un boissombrelanuit.Annabelledortdepuisdix-neufheurestrenteetjetravaillesurmadeuxièmerubriqueducourrierducœurquandjereçoisunemaildemonpère.Ilestbienentendud’accordpourm’aideràécrireunarticlesurleprojet,ilenaparléauxautresmusiciensetRockYourSoulétantuneréférencedanslemilieu francophone de la musique, ils sont tous partants. Il va me donner la liste de ce que je peuxévoqueretcequidoitabsolumentresterentrenous.Jen’aimepasfaireça.Nonpasquejen’aimepasécriresurmonpère.Jel’aidéjàfaitàmaintesreprises,jen’aijustejamaisproposémesarticlespourlapublication.J’ail’impressionquec’estunpistondéloyaletjenesaispas,c’estmonpère…
Montéléphonevibre,mesignalantquej’aireçuunSMS.
22
Lise
«JESUISCHEZMESPARENTS.JEPEUXPASSER?»Je souris devant l’écran, et jeme reprends quand je vois dans le reflet que j’ai l’air totalement
demeurée.«JEVIENST’OUVRIR,ANNABELLEDORT,NESONNEPAS.»
Jemelèveetm’arrêtedevantlemiroirdel’entrée.Mescheveuxsontlâchésetunpeufouillis.Jeneportepasdutoutdemaquillage.Jesuisenjeanett-shirtdeQueen,monpréféréquineressembledoncplusà riendepuis lesannéesque je l’use.Bah…Iladéjàvupire,mêmesic’était ilyauneéternité.J’ouvrelaporteetilestlà,faceàmoi,lesmainsdanslespochesarrièredesonjean.Ilm’observe,latêteun peu penchée. C’est quoi, son plan ? Me faire tomber dans son lit à coup de poses sexy etdécontractées?Ilsourit,etvoilà,qu’est-cequejedisais…lesfossettes…
—Tuessaiesdemeséduire?—Tupensesquej’essaiedeteséduire?Typiquement lui.Me répondre par une question. J’ouvre la porte plus en grand et lui fais signe
d’entrer.Jelesuisausalonetilprendmamainavantdem’entraîneravecluisurlefauteuil.Ilm’installesursesgenouxetmesinquiétudesretombentd’uncoup.J’avaispeurqu’ilneregretteetnefassemachinearrière.Àlaplace,ilm’embrasseetmetientserréecontreluiavantdefinalementmurmurer:
—Tum’asmanqué.Toujourshonnête,Ange.Jamaisdenon-dits.Onfonceet,éventuellement,onréfléchitaprès.J’aime
ça.C’estrafraîchissant.Mêmesijen’aiplusl’habitude.—Tum’asaussimanqué.Pendantneufans.Sérieusement, est-ce que quelqu’un pourrait m’aider à ne pas remettre cette erreur sur le tapis,
genre…touteslescinqminutes?L’auto-flagellation,çavaunmoment,là,çavireaumasochismepuretsimple.
Ilsoupireetmefixedesesyeuxdélavés,quelquesmèchesencadrentsonvisage,jetendslamainpourlesrepousserenarrière.
—Loïcestparti?—Oui,toutàl’heure.—TuasvuEmma?—Oui.Ettoi?—Non,samèreestvenuelachercheravantquej’arrive.—Jenesuispassûred’avoirbiencomprisvotresystèmedegarde.—Mariea lagarde,maiscommeelle travailleetquesesparentsnesontpasdans la région, les
mienss’occupentd’Emmapendantlesvacances.Etjesuiscensél’avoirunweek-endsurdeux.Après,ons’arrangeentrenous,laprioritéc’estEmma.
—Maislà,ellen’estpaslà?—Non.—Tuesvenupourmoi?—Biensûr.Je l’embrasseensouriant,commeça,si j’ai l’airaussidemeuréequetoutà l’heure, iln’ensaura
rien.Jesuislareinedeladiversion.—Commentétaittajournée?jeluidemandequandjesuissûrequemonexpressionn’estplusaussi
béate.Nous n’avons pas encore parlé de son travail, ni dumien.Cette communication qui nous était si
naturelleavantmemanque,elleaussi.—Dure.Éprouvante.J’aibesoinquetum’aidesàmechangerlesidées.—Est-ceque tu essaies dememettre dans ton lit, après avoir tentédeme séduire avec ta pose
«hey,baby,youknowyouwantme»?—Mapose«heybaby»?medemande-t-ilenriant.—Alors?—Non,tutetrompes.Cesoir,c’estdanstonlitquej’aimeraisaller.Jefermelesyeuxpourmeconcentrer.Jeresserreunpeulescuissesetcemouvementneluiéchappe
pas.—Aide-moiàmedétendreaprèsunelonguejournéedetravail,Queen…Jemelèveetilm’imite.J’inclinelatêteenarrièrepourlevoir.C’estquoicettemanied’avoirl’air
beau gosse dans n’importe quelles fringues ? Il a juste un jean tout déchiré, un t-shirt qui a connu demeilleurs jours,desbasketset il répandsonsexappealautourde luicommesic’était journéesportesouvertes«Angeàvolonté».Vraiment,c’estindécentetcertainementpaséquitable.Jeluitourneledosavantdedireoufairen’importequoietjel’entendsmesuivredansmachambre.Ilenfermedoucementlaporteetlaisselalumièreéteinte.
Ange
J’aipenséàelletoutelajournée.Voilàpourquoiçaaétédur.Jelarevoyaissubmergéeparleplaisir,hiersoir,jouissantcontremeslèvres.Jelarevoyaissurmoi,bougeantsoncorpssurlemien.Jelarevoyaismesourire.Jelarevoyaismedirequ’ellem’aime.Etj’aieubesoindelavoir.
Lise
Je prends samain et nous conduis vers le lit. Annabelle dort comme un bébé, je sais que nouspouvonsprofiterd’unmoment,touslesdeux.
Je me place devant lui et lui enlève ses chaussures. Je prends le temps de remonter les mainslentement le longde ses jambes, jusqu’àattraper lebasde son t-shirt. Ilm’aideà le retirer. Jedéfaisensuite son jean et le descends sur ses cuisses, son boxer suivant lemouvement jusqu’au sol. Il est àprésent nu devant moi et seule la lumière du réveil me donne une idée de ce que j’aimerais mieuxdistinguer.
—Nebougepas,jeluiordonneavantd’allerallumer.Ilestlà.Sanspudeur,ilestjustelui.Etvraiment,c’estdéjàbeaucoup.Jepasselalanguesurmes
lèvres,presque involontairement.Presque,parceque je sais l’effetqueçapeutavoir sur luiet je suissatisfaitedevoirsesyeuxensuivrelacaresse.Jeprofitequantàmoidecequim’estoffert.Monregards’attardesursontorse,sonventre,sonérection…
—Ange,tuesclean?—Jelesuis.Ettoi?—Oui.Jen’aipasmesrésultatsavecmoi.—Jetefaisconfiance.—Tupeux.Jetefaisaussiconfiance.—Tuprendslapilule?—J’aiunimplant.Ilhochelatête.«Jetefaisconfiance.»Iln’apasidéedel’impactquecesmotsontsurmoietjenevaispaslelui
dire.Unpasaprèsl’autre,jeneveuxpasallertropviteetluifairepeur.Iln’aprobablementditçaqu’enrapportavec les tests…J’aimeàpenserquec’estdéjàpasmal,questionconfiance. J’ai tout le tempscette impression que les années qui nous ont séparés n’ont pas eu lieu.Que nous nous contentons dereprendrelàoùnousenétionsrestés.Etj’aitropdemalàcontinueràfaireavecluicommejeferaisavec
n’importequi.Cettepreuvequ’ilmecroit,qu’ilestprêtàabandonnerlepréservatifaussitôtdansnotrenouvellerelation,c’esténorme,pourmoi.
Jem’agenouilledevantlui,ilsuitchacundemesgestesavecapplication.Jefaisglissermesmainssur ses cuisses, elles se rejoignent à l’intérieur et je le touche légèrement.Àpeineun effleurement. Iltressaille.Jesouris. Ilseredresseunpeu. Ilveutmevoir.Çam’exciteencoreplus.Commesi j’avaisbesoindeça.
Jemepenche en avant etmes cheveux retombent commeun rideau autourdenous.Ma langue lefrôle un peu avant que je le prenne totalement dans ma bouche. Il jure et s’assoit, rassemblant mescheveuxdanssesmainsetlesenroulantautourdesonpoing,dévoilantmonvisage.
Mamainseplaceàlabasedesonsexe,jenepeuxpasleprendreenentieralorsjefaisensorted’intensifiersonplaisirlepluspossible.Jerelèvelesyeuxetsonregardnemelâchepas.Jecroisquejevaisjouiralorsqu’ilnemetouchemêmepas.Etjecroisquejem’enfous,siçaarrivaitjen’auraismêmepashonte.C’estAnge,c’estmoi.
Ange
Elleal’airtellementvulnérable,àgenoux,seslèvresautourdemoi.Etàlafois,sidominatrice.Jevoudraisnepasluimontreràquelpointellem’atteint.J’ensuisincapable.Jeveuxqu’ellemevoie.Moi.Etriend’autre.Etpourça,jenepeuxrienluicacher.Elle glisse autour de moi, un peu maladroitement, totalement elle. J’aime qu’elle ait pris cette
initiative.J’aimequ’elletestedescaressesduboutdelalangue,guettemesréactions,adaptesatechniqueetaccentuemonplaisiràchaqueseconde.Elles’appliqueàfairedecemomentuneexpérienceàlafoisnouvelleetroutinière.Ellereprendsesmarques,jelaredécouvre.Ellegémitetlavibrationdesalangueserépercutedanstoutmoncorps.Ellesait.Ellesentquejelaregarde.Ellerelèvedetempsentempslespaupières etme lance cet air dedéfi.Alorsquec’est ellequi est àgenouxdevantmoi.Vulnérable etdominatriceenmêmetemps.Elleaspireunpeud’airetsesjouessecreusent.
Lise
Ilgémit.Cequej’aimeentendrecesonrauqueremonterdanssagorge.C’estpresqueanimalet,sansavoir le tempsdecontrôler, jegémisaussi,plus fortque tout à l’heure.Le sonest étoufféparcequ’iloccupetoutl’espacedansmabouche.Jeneréfléchispas,demamainlibre,jedéfaismonjeanetlaglisseensuitedansmaculotte.Jesuistendueetjedoismesoulager,maintenant.
—Queen…Jereportemonattentionsurluietilm’observe.Non,ilregardemamain,celleaveclaquellejeme
caresse.Ilaimecequejeluifais.Cequ’ilvoit.Seslèvressontentrouvertes,jeretiremamaindemonjeanetjecontinueenmodeinstinctif:jelaremontejusqu’àluietjeglissemesdoigtsdanssabouche.Ilfermecomplètementlesyeuxetsucemonindexetmonmajeurengémissant,agrippantmonpoignetpourm’empêcherdelesretirer.Alorsils’éloignesoudainementdemeslèvresetm’attrapeparlatailleavantde m’embrasser. Fort. Sauvagement. Sa langue prend possession de moi pendant que ses mains medéshabillent.Jel’aideet,bientôt,nospeauxentrentencontactsansplusaucunobstacle.Ilm’allongesurle litetcelui-cigrincedèsqu’ilmerejoint. Il réagitaussitôtetmesoulèvedanssesbrasavantdemeporter contre lemur. J’entoure sa taille demes jambes et il se place juste àmon entrée, attendant…Quoi?
—S’ilteplaît…—Lise,tuveuxçacomment?Sarespirationestcourte.Ilmeregardesansciller.—Fort.—Fort?—Trèsfort.Ilmepénètrecommejel’aidemandéetjem’accrochedesdeuxmainsàsescheveux.Lessiennes
sontsousmesfessesetmemaintiennentàlabonnehauteur.Ilmeprendcommejamaisilnel’avaitfaitavant.C’estencoreplusbrutalqu’hieretc’est toutesa rancœurqu’ilexorcise, je lesens.Avant,nousfaisionsl’amourprudemment,ennousdécouvrantetentestantcequedesadolescentssontcenséstester.
Maintenant,noussommesadultesetnousnousredécouvrons.Jesaisaussiquenousnefaisonspasencorel’amour parce qu’il n’est pas prêt.Alors je le laisse faire comme il en a besoin, çame convient. Jeprendstoutcequejepeux.Jeveuxtout,pasjustelesbribesd’unsouvenirquin’estplus.
Jeleveuxaupassé,auprésent,etaufutur.Lui.Telqu’ilestmaintenant.Telqu’ilaévoluéenl’hommequimedonnedescoupsdehanchesetcontre
quimoncorpsseheurtedanslaplusdélicieusedescollisions.Unpetitcrim’échappe,ilmebâillonnedeses lèvreset jegémisencore,etencore,etencore.Etcen’estpasassez.Etc’est trop.Etc’est tout. Ils’enfonceenmoisanshésitation,plusvite,plusfort,plus…toujoursplus,encoreplus.
—N’arrêtepas…jelesuppliecontreseslèvres.—Caresse-toi,Queen…Mamainsefraieunpassageentrenoscorpset je laissemesdoigtsmemenerà l’orgasme;c’est
rapide, c’est puissant et je jouis tout aussi intensément. Il me suit de près et un léger tremblementaccompagnesessoupirscontremapeau.Ilmereposeausoletrécupèredesmouchoirssurmatabledechevetavantdes’agenouillerdevantmoietd’essuyerdélicatementmescuisses.Ildéposedesbaiserssurmonventreet,quelquessecondesplustard,ilm’entraînesurlelitetnousnousallongeons.Ilsemetsurlecôtéetm’attirecontrelui,mondossecollantàsontorse,sesmainsvenantseposersurmonventre.Nospeauxsontmoites,çan’aaucuneimportance.Jemesensbien,commeça.
— Je ne peux pas dormir là. Je veux juste rester, un peu, murmure-t-il à mon oreille avant dem’embrasserdanslecou,encore.
—J’aimequeturestes.—Jenedoispasm’endormir.—D’accord.Jesuisdéjàmoi-mêmeentraindesombrer.
J’ouvre les yeux et il est au-dessus de moi, les bras tendus. Il me regarde. Dans d’autrescirconstances,çapourraitêtreflippant.Là,jesuisjusteheureusedelevoirm’observer.
—Jedoisyaller.—J’aidormilongtemps?—Unepetiteheure.—Désolée.Ilsebaissepourm’embrasser.Ilfaitdespompes?—Tuneseraispasentraindefrimer,là?—Exact.Alors,çat’impressionne?—Pasvraiment.Il remonte, redescend, m’embrasse et recommence plusieurs fois. Bien sûr que je suis
impressionnée,sijefaisça…non,jerectifie,jenepeuxpasfaireça.
Jesuisfourbe,jeconnaissespointsfaibles,alorsjelechatouilleauniveaudescôtes.Ilmetombedessus.Jen’auraispasdû.Ilm’écrase.Ilnousfaitrouleret jemeretrouveallongéesur lui,sesmainsagrippantmesfesses.
—Jenevaispastenterdet’impressionner,jelepréviens.—Tun’enaspasbesoin.Ildéplaceunemain surmanuqueetm’attirepourm’embrasser, ànouveau.C’est commesinous
tentions de rattraper tout le temps perdu parma faute. Le sexe est démentiel avec lui, tellement plusintense que dansmes souvenirs,mais je sens plus que ça.Nous reconstruisons la connexion qui nousunissait,elleétaitencorelà,justeenveille.
Etj’adoreça.
Ange
Ellesait.Jen’aipasbesoindeleluidire,ellelesait.Jelevoisdanssesyeux,quandellemeregarde.Elleestenterrainconquis.Etj’adoreça.
23
Lise
—Alors?C’est sa façon de me dire bonjour… Je craque. Je… Je vais vraiment porter plainte pour
harcèlement!—Jesuisdessus,boss.—Tupeuxresterencoreunesemaine.—Quoi?Toutçapourunesemaine?C’estvraiment…—Cen’estpasquecequeturacontesn’estpaspassionnant,Monroe,jen’enaijusterienàfoutre.Jen’attendsmêmepasqu’ilraccroche,jeledevance.Enfin,ilnes’enrendraprobablementmême
pascompte…peuimporte,çamesoulage.—Abrutide trouduculdeconnarddemerde ! je lanceàmon téléphone,histoiredepousser le
soulagementunpeuplusloin.—Sic’étaitEmmaetpasmoiquisetrouvaitsurlebalcon,tuauraisquelquesexplicationsàfournir.Angeestpenché,lescoudessurlabarrièreet,toutdesuite,monhumeurfaituntroiscentsoixante.
Je lui souris etme lèvepour le rejoindre. Jemehisse sur la pointedespieds et l’embrasse. Il souritcontremeslèvres.
—Jet’aimanqué?—Nesoispasimbudetapersonne,Ange.Çanetevapas.—Jenesuispasimbu,j’aimesavoirquejetemanque.—Commentçasefaitquetusoislàaubeaumilieudel’après-midi?—Tumemanquais.—Turevienschaquefoisexprèspourmevoir?Il passe les mains dans mes cheveux et m’embrasse encore. Je ne pense pas me lasser de ça.
Commentai-jepumelasserdeça?Commentai-jepucroiremelasserdeça?—C’esttrèségoïste,jelefaispourmoi.—J’aimequandtueségoïste,nechangerien.
—Emmaestchezsamèreceweek-endet jene travaillepas.Vienschezmoi.C’estune requêteégoïste,précise-t-ilensouriant.
—Toutleweek-end?—Oui.Situpréfères,justeunejournée.Ouunsoir,ou…Tellementsûrdeluiuninstanteteninsécuritéceluid’après.—Jeviendrai,jelecoupeavantqu’ilnemeproposedeneresterqu’uneheure.—Jepassetechercherdemainsoir.
—Lili,machérie,viens…Jem’assoissurlelitetprendslamainqu’Annabellemetend.Noussommesdansundesesrares
instantsdelucidité.—Tusaisquetoutestàtoi,n’est-cepas?Jegrimace.—Ettoi,tusaisquejenesouhaitepasenparler.J’aipeurqu’ellenenousportemalheur.Oui,toutestàmoi.Ellen’aaucunefamilleàquiléguersonpatrimoineetnousavonsfaitensorte,
pouréviterdesfraisinutiles,qu’ellemelègueleplusdebienspossibledesonvivant,enenconservantl’usufruit.Cetteétapeaétédifficileàvivrepour toutes lesdeux,carquandonse rendchez lenotairepoursignercegenredepapiers,onalemot«décès»quiplaneau-dessusdenous.Etpersonnen’aenviedepenseràça.Exceptéqu’ilfauts’enoccupertantqu’onestencorelà.Jesuisdonclaseulebénéficiairedutestamentd’Annabelle,jen’aijustepasenvied’ypenser.
—Nousavonsdéjàparlédelamaisonderetraite…—Non.—Lili,soisraisonnable,tum’avaispromis.—Non.—Lise!Cettefois,elleprendsontonautoritaireetj’aiànouveauquatorzeans.Jemeconcentrepournepas
pleurer,c’estdéjàassezdifficilepourelle.C’est justequecette idéem’est insupportableet jesais, jesaisquejen’aipaslechoix.Jeneveuxsimplementpasl’accepter.
—Tupeuxresterici,tulesais,onvas’organiser.Jepeuxécrireàdistance,j’aid’autresarticlesenréservepourconvaincremonpatrondenepastravailleràlarédaction.Jeneveuxpasenvisagerla…
—Moi,jeleveux.—Tun’espasmieux,cheztoi?Elleregardeautourd’elle.—Jene suis plus chezmoi, je ne suismêmeplusdansmon lit.Des inconnus se relayent àmon
chevet.Cen’estpluschezmoi.—Biensûrquesi!Etàlamaisonderetraite,ceneserapasmoinsdesinconnus.—Tusaiscequejeveuxdire.J’aidéjàprismesdispositions.
—Quoi?Quand?—Lasemainedernière,j’aidiscutéavecAmbreet…—Jenesuispasd’accord!—Cen’estpasloin,tupourrasvenirmevoirquandtuveuxet…—Jepeuxtevoiricitouslesjours!Cettefois,jeneretiensplusmeslarmes.Jenesupportepascetteconversation.Jenevoismêmepas
pourquoinousdiscutonsdeça!—Bonsang,Lise,j’aibesoinquetuconservesdemoiunautresouvenirqueça!C’estlapremièrefoisqu’elles’énervecontremoi,j’enrestemuettedestupéfaction.—Jesuisdiminuée,jenepeuxmêmeplusmedéplacerchezmoisansuneaide!Laisse-moipartir
avecunpeudedignité!—Tuvasvivreencorelongtempset…—Lili,medit-elleplusdoucementenserrantmamain,noussavonstouteslesdeuxquebientôtjene
tereconnaîtraiplusdutout.Regardedansletiroir…Jerenifleenouvrantlatabledechevetetensorsundossier.Oui,elleatoutprévuetçanedatepas
de la semainedernière. Je suis sûrequ’elle a commencé à s’enoccuperquand elle a eu sespremiersépisodesdeconfusion.Lemédecinm’avaitprévenuequ’elleétaitcommeçadepuisunmoment,déjà.Etellenem’avaitriendit.
—Quandj’étaispetite,magrand-mèrevivaitavecnous,commence-t-elleàmeraconter.Jeposeledossieretluiaccordetoutemonattention.—Elledevenaitdépendantepourtout,elleétaitaveugle,etelleperdaitlatête.Jedevaism’occuper
d’elle.Nousdevions toutesnousoccuperd’elle.Nousn’avionspasvraiment lechoixà l’époqueet iln’étaitpasquestiondefairevenirdesétrangerspourgérerça.Leshistoiresdefamille,nouslaissionsçadanslafamille,çanesefaisaitpasd’impliquerdespersonnesextérieures.Aujourd’hui,quandjepenseàma grand-mère, ce n’est pas la personne quim’a appris à faire des nattes, quime faisait récitermesleçons ou qui cuisinait un bon risotto quime revient enmémoire. C’est celle qui nous criait dessus,mouillaitsesvêtementsplusieursfoisparjouretbavaitàtable.
Ellelaissepasserquelquessecondes,sûrementpourquej’assimilebiencequ’elletentedemefaireadmettre.
—Jeveuxquetutesouviennesdemoicommejel’aiététoutemavie.Sijereste,tonsouvenirleplusrécentdemoiseracettevieillefollequiestincapabled’allerseuleauxtoilettes.
Jecomprendsoùelleveutenvenir.Cen’estpaspourçaquejel’accepteniquejesuisd’accordavec elle.C’est son choix et, de toute façon, ellenemedemandepasmonavis, ellem’informede sadécision.Parcequ’elleaencore lapossibilitédeprendredesdécisionsparelle-même,en toutétatdecause.Etjenepeuxpas,jen’aipasledroitdeluienleverça.
—Appellelamaisonderetraiteetdis-leurquejesuisprête,s’ilteplaît.—Iln’yaurapasdeplace,c’estcertain,jeluirépondspresqueensouriant.
—Machérie,j’ailesmoyensdemepayerlamaisonderetraitehautdegamme,crois-moi,ilyaurauneplace.Jevaisdormirunpeu,maintenant,jesuisépuisée.
Je l’embrasse, elleme serre dans ses bras qui sont de plus en plusmaigres… et je la laisse sereposer.Jenevaispasappeleraujourd’hui,j’aibesoind’undélaipourassimilerlanouvelle.Jesorssurlebalconavecmonordinateur,jevaismechangerlesidéesavecletravail,commetoujours.
24
Lise
Hier,jen’aipaspumedécider,alors,cematin,parrespectpourAnnabelle,j’aiappelé.Biensûrqu’ilyauneplacequil’attend:ellelaréservedepuisdesmois!Ellepayeàperteenprévisiondecemoment!Elleavaittoutmanigancé,etmaintenant,jen’aipluslechoix.
—Ellet’adit?JeregardeAmbrequivients’asseoirenfacedemoi,àlatabledelasalleàmanger.—Oui.—Jesaisqueçavaêtredifficile,dis-toiquec’estmieuxpourelle.L’établissementqu’ellepeut
s’offrirestlemeilleurdelarégion,elleyserabienettupourrasallerlavoirquandtulesouhaites.—Jen’aipasmonmotàdire,detoutefaçon.—Nesoispasfâchéecontreelle,elleabesoindesentirtonsoutien.Tueslapersonnequicompte
leplusdanssavie,tusais.—Jenesersqu’àouvrirlaporte,jemarmonne.—Quoi?—Non,rien.—Tuasbesoind’aidepourpréparersesaffaires?—Non,merci.Jevaislefairemoi-même.—Tuassadated’admission?—Dansdeuxsemaines.Jevaisannulermonweek-endchezAnge,d’ailleurs,jeveuxprofiterde…—Situfaisça,elles’envoudra.—Jeveuxpasserdutempsavecelleet…— Lise, elle veut que tu vives, pas que tu la veilles comme une mourante. Fais comme tu le
souhaites, je te dis juste ce que je pense de la situation. J’ai malheureusement souvent vu des cassimilaires.
—J’ail’impressiondel’abandonner.—ParschezAnge,etlundi,raconte-luitonweek-end.
Jesaisqu’Annabelleveuteffectivementquejefassecommesiderienn’était.Commesiellen’étaitpasentraindeperdrelatête.Deperdresonidentité.Deperdresesrepères.Demeperdre.Non,c’estmoi qui la perds, en réalité. Le médecin m’a bien expliqué que, pendant ses épisodes, elle n’a pasconsciencedelasituation.C’estdoncsurtoutmoiquilevismal.
Après avoir décidé d’aller passer les deux jours chez Ange comme prévu, j’ai reçu un SMSm’avertissantqu’ilavaitdeuxpatientsenplusparrapportàsonplanninginitial.Jeluiaiproposédemerendreseulechezlui,c’estplussimple.J’aijusteprisunpetitsacàdosavectroisaffaires,jenesuispasloinsij’aibesoindequelquechose.Ilestplusdevingtheuresetj’entendsdubruitàl’intérieur.Ilsfontunefête?Jesonneàlaporteetc’estSofianequivientm’ouvrir.
Regardradioactif,soupirintérieur.Ilauneguitaredeconsoleenbandoulièreetilsouritdetoutessesdentsenmevoyant.—C’estQueen !hurle-t-ilpar-dessus sonépauleavantdeme lancer :Angen’estpasencore là,
viensme regarder botter le cul d’Anthony àGuitarHero, ça te fera patienter. On est surBohemianRhapsody,justement.
J’ail’habitudedejoueràcejeuavecLoïc,etdeluibotterlecul.EnparticuliersurleschansonsdeQueen,celavasansdire.Ilsreprennentleurpartieaudébutetjem’installesurlecanapé.C’estSofianequi joue etAnthony enchaîne avec lemêmemorceau. Il craint clairement à ce jeu. Je ricanebêtementquandsonscores’affiche:s’ilavaitjouécontremoi,j’auraispulvérisécechiffre.Ilsetourneversmoi:
—Uncommentaire,Lise?—Jepeux?jeluidemandeavecmonairleplusinnocentenstock.—Jet’écoute.—J’aihontepourtoi.SofianeritetAnthonymetendlaguitare:—Jet’enprie,montre-nousl’étenduedetestalents.—Oh,j’aifroissétonamour-propre?Toutesmesconfuses…Jeletaquineunpeu,depuislasoiréeauxsaladiersdecocktail,nousavonsdépassélestadeoùje
faissemblantd’êtretimide.—Jesensqueçavaêtremarrant,annonceAudreyenarrivantdanslesalon,lescheveuxhumides.
Bonsoir,Lise.Elleestbelle.Jepourraistomberamoureused’elleenunregardsij’étaisdansl’autreéquipe.—Salut!jeluirépondsensouriant.Jemelèveetprendslaguitare:—Anthony,commejesuisquelqu’und’honnête,jevaisjouerlemêmemorceauquevous.—Faisdoncça.Honnête,mesfesses,oui.Jesuisexcellentesurcetitre,iln’acependantpasbesoindelesavoir.Il
croiselesbras,jepensequ’ilestvraimentvexé.J’avaisuncopainàl’écoledejournalismequinejouaitque pour gagner. Il était très mauvais perdant. Au point de faire la gueule pendant deux semaines si
j’avaislemalheurdelebattreàn’importequeljeu.Jereconnaislesmauvaisperdantsdeloingrâceàlui,ilssonttoussurlemêmemodèle.Etcommejesuisdenatureàappuyerlàoùçafaitmal,j’ajoute:
—Net’inquiètepas,jet’accorderailedroitdepleurersurmonépaule.Je lance lachansonet,biensûr, j’explose tout : le scored’AnthonyetceluideSofiane.C’esten
plein triomphe qu’Ange débarque. Il a l’air fatigué. Je rends la guitare à Anthony et le rejoins dansl’entréedusalon.
—Hé,çava?Il ne répond pas,m’attire contre lui etm’embrasse. J’ai tout à fait conscience du fait qu’il nous
donneenspectacledevantsescollèguesetamis.Jesaisqu’ilfaitçaparcequ’ilabesoindemontrerquenous sommes ensemble. Je ne suis pas fan des démonstrations de possessivité ni même desdémonstrations en public de quoi que ce soit. Mais je le laisse faire, ça le rassure. Et ma seulepréoccupationestdefaireensortequ’ilsesentebien.
Illibèremeslèvres:—Maintenant,çava,medit-ilenfin.Jevaisprendreunedouche.—D’accord.Jereculealorsilmeretientcontrelui.—Viens.Ilm’entraîneavecluietjen’aimêmepasunregardenarrièrepourlesautres.Probablementparce
quej’aipeurqu’ilsaienttoutentenduetbon…jenesuispasdugenreàm’exhiber,commejeledisais,etjelesconnaisàpeineet…
—Arrêtedepenser,Queen.Tuvaspasser tout leweek-end iciet jen’aipas l’intentionde fairecommesijen’avaispasenviedetoichaquefoisquejeteregarde.
Commentpeut-ilsavoircequisepassedansmatête?Enviedemoichaquefoisqu’ilmeregarde?Ilrécupèredesvêtementsdanssachambre,sansjamaismelâcherlamain,etnousconduitensuite
danslasalledebain.Ilm’assoitsurlecouverclerabattudestoilettesetallumel’eau.J’ail’impressiond’êtreunepoupéeet la féministeenmoi tapedupied.Saufque,hé…soyonssérieuxuneminute,c’estAnge.Ilmedonnecequejevoulais:toutesonattention.Jenevaispasd’uncoupmelajouerrebelle.
—Raconte-moitajournée.—Tuveuxquejeteparledecequej’aifaitaujourd’hui,pendantquetutemetsàpoildevantmoi?—C’estça.Il enlève son t-shirt et je commence à lui répondre, sans perdre une miette du strip-tease qu’il
m’offre.—J’aitravaillé.Ilretireseschaussures.—J’aiaussiappelélamaisonderetraitepourAnnabelle.Ils’immobilise.—Çava?
—Biensûr,pourquoiçan’iraitpas?Il vient devantmoi et s’accroupit en prenant appui surmes genoux. Son visage se retrouve à la
mêmehauteurquelemien.—Lise,jetedemandesiçava.Jen’aimepasquetumementes.Etlà,tumemens.—D’accord.Çanevapasdutout.J’ail’impressiondel’envoyermourirailleurs,commesic’était
honteux.—C’estsadécision,tufinirasparl’accepter.—Jesuisprêteàm’occuperd’elle.—Etellenelesouhaitepas.Ilm’embrassedoucementetposesesmainssurmesjoues:—Tuagiscommeillefautenrespectantcequ’elledésiretantqu’elleestlucide.Ilserelèveetdéboutonnesonjean.—J’aiaussibattuAnthonyàGuitarHero.EtSofiane,j’ajoutepourallégerl’atmosphère.—J’aivuça.—Monpatronmefaitduchantagepourquej’écriveunarticlesurmonpère.Alorsjel’écris.—Tonpatronaraison,tuauraisdéjàdûl’écriredepuislongtemps.—Peut-êtrequej’aidéjàpubliéunarticlesurlui…—Non.—Non?Ilenlèveseschaussettes,etilnerestequesonboxer.Labuéeenvahitlentementlapièceetj’essaie
demaintenirmonregardau-dessusdelaceinture.Cequin’aidepasvraiment,car,detoutefaçon,ilestbienfoutupartout.CeVsurseshanches…ilfaitchaud,c’estladouche,c’estmalaéréici,j’étouffe…
—J’ailuchaquearticlequetuaspupublier,Queen.Tun’asjamaisparlédetonpère.Surcettedéclaration,ilfinitdesedéshabilleretrentredanslacabine.Hein?C’estçasonplan?
M’avouerqu’il suitmacarrièreetallersecacherdans ladouche?Jeme lèveetmeplacedevant lesparoisvitréesquej’entrouvre:
—Tumelis?Ilmejetteunregardpar-dessussonépaulepuismesourit.—Ange,tumelis?—Sijet’avouequejetesuisdepuisledébut,tuvaspenserquejesuisungrandmalade?—Maintenantquetuenparles…Jefaissemblantd’évaluermadécisionquandilmefait face.Desgouttesd’eauruissellentdeses
cheveux,jedéglutis.Ilcommenceàselaver,sansmequitterdesyeux.Jenesaispluscequejevoulaisdire.Jerefermelaporteetjel’entendsrire.Ilsefoutdemoi,maishonnêtement,çam’estégal,ilpeutsemoquerdemoitantqu’ilveutdumomentquejeprofitedesonrire.
Quiricochesurlesparoisdeladouche.OK,jesuiscuiteetlesromancesdeFabioontdéfinitivementeumapeau.Cetypemetientdansle
creuxdesamainetjesuissûrequ’iln’enamêmepasconscience.
—Maintenantçasuffit!J’ai lamaindevant lesyeux :monsieurest làen trainde répandresesondesdesexytudepartout
autourdelui.—Espèced’exhibitionniste!Jeme lève pour sortir et ilm’attrape pourme ramener contre lui, sesmains surmon ventre. Je
frissonneenrepensantàladernièrefoisoùnousnoussommesretrouvésdansunesituationplusoumoinssimilaire.Exceptéqu’ilétaithabillé,etlà,ilneporterien.
—Ange,tescolocatairessontréveillésetjusteàcôté.—Çanet’apasdérangée,l’autresoir…Ilmurmuredansmonoreilleavantdem’embrasserdanslecou,biensûr.Monpointfaible.Jegigote
unpeupourmedégager.—Tun’appréciespas?—Nedispasn’importequoi,biensûrquej’apprécie.Onnepeutjustepass’enfermertoutleweek-
endpours’envoyerenl’air.—Si.Onpeut.—C’estembarrassant!Ilmelâcheetserecule,ensilence.Jemeretourne.Jen’aimepassonexpression.—Ange,cequejeveuxdirec’estque…—Jet’embarrasse?—Non,pastoi!Qu’onexposenotreviesexuelle,oui.—Tun’étaispascommeça,avant.—Nousnesommesplus«avant».Noussommes«maintenant».Jel’aiditunpeuplussèchementquejenel’auraisvoulu.Jefermelesyeuxquelquessecondes,le
tempsdetrouverlesmots.Quandjelesrouvre,ilaenrouléuneservietteautourdesatailleetmetourneledos.Cequi nem’aidepasbeaucoup, car j’ai sous le nez la preuvegravéedans sa chair qu’ilm’alongtempsaiméeensouffrant.Jem’approchedoucementetposelamainsursontatouage.Ilseraidit.J’entracelescontoursduboutdesdoigts,commel’autrejour.
Ange
Jeplaquelesmainsàplatsurlemurdevantmoi.Jetentedeconservermoncalme.Jenemereconnaisplus.Pourquoijeluiprendslatêtepourcegenredeconneries?
Lise
—Ange…Ilnebougepas.Jeprendsl’initiativedepasserlesmainsautourdeluietdeleserrercontremoi.Il
est tout à fait capable de me repousser si c’est ce qu’il veut. Je n’ai pas l’intention de m’enfuir aumoindreobstacle.Bienentenduqueçanepeutpasêtrefacile,c’estaussicequidonnesavaleurànotrerelation.Entoutcaspourmoi,c’estimportant,unesorted’expiation.
Ilseredresseetposesesbrassurlesmiens.—Tunem’embarrasserasjamais,jeluidisdoucement.—Jesais.—Tantmieux.—Jevaism’habilleretoniravoircequeSofianeapréparépourlerepas,c’estsonsoir.—Jepeuxresteravectoi?—Biensûr.Jelerelâcheetl’observependantqu’ilmetdesvêtementspropres.Sonjeantoutdéchiré,unt-shirt
uni, ilattrapeunepartiedesescheveuxet lesattacheendemi-chignon…Noussortonsdans lecouloirlorsquelespremièresnotesdeSlowitDowndeTheLumineersrésonnentdepuislesalonetjesouris.Jesuisfandelabandeoriginaledemavie.Jemeretourneverslui.Ilmerendmonsourire,jeluifaissigned’approcher.
—Danseavecmoi.—Ici?—Ici.Jeposelesmainssursanuque,ilm’attirecontrelui,majouesursontorse.Ilglisselesdoigtsdans
mescheveuxetenretirelepicquilesretenait.Illelaissetomber,maisniluinimoin’yprêtonsattention.Lesbattementsdesoncœursontréguliersàmonoreille,lesmienss’accélèrentdèsqu’ilmetouche.
Nousnebougeonspresquepas,justesescaressessurmondos,lentesetéthérées.Seslèvreseffleurentmonfrontavantdechuchoter:
—Toietmoi,Lise…
Ange
Elleetmoi.Jel’attendais,jen’enavaispasconscience.Etc’estseulementlorsqu’elleestlà,dansmesbras,que
jeréalise.Toutescesannéesàmesentirincomplet.Àcaused’elle.Jefermelesyeux.Jerespire.Maintenant,elleestlà.Elleetmoi.
25
Lise
—Vousfaitesuneboumetvousnenousavezmêmepasprévenus?JemeretourneetSofianenousregardeensouriant.Angeseposteàcôtédemoietm’attrapeparla
taille.—Quandvousaurezfinidevouspeloter,labouffeestprête.—Onnese…—OK,onterminevite,alors,luirépondAnge.Çalesfaitrire.C’estbiendesmecs.Brisermonmomentromantique,commeça.Saccagerlabande
originaledemavie,sansaucunrespect.NoussuivonsSofianejusquesurlaterrasse.—Lasagnes!nousannonce-t-ilpendantquenousnousasseyonsautourdelatable.—Alors,Lise,commenttrouves-tunotresalledebain?medemandeAnthonyenmeservant.Oh,jevois.Ilsevengedelaracléequejeluiaicolléeàlaconsoleenessayantdememettremalà
l’aise.—Elleesttrèsbienagencée,jemecontentederépondreenévitantdeleregarder.Ettoi,tun’aspas
troppleurésurtonmisérablescore?—Coupbas,Queen,coupbas…—Laissez-latranquille,intervientAudreyenmettantunetapesurlebrasd’Anthony.Vousvoulezla
fairefuiretqu’ellenerevienneplus?Oui,alors,commentdire…Lesilencetenduquisuitm’obligeàreleverlesyeuxetAngelafusille
duregard.Vite,unerepartie…—Jenepeuxpaspartir,Angeagarésavoiturederrièrelamienne.C’étaitnul,Sofianeéclatepourtantderireet latensionretombe.Onl’aéchappébelle.Jeposela
mainsurlacuissed’Angeetilentrelacesesdoigtsauxmiens.Lerepaspeutsepoursuivresurunenotepluslégère.
—Tubossessurquoi,encemoment?medemandeAnthonyquial’airdebienvouloirenterrerlahachedeguerre.
—Jetermineunarticleoùjefaiss’affronterdeschansonsoriginalesetdesreprises.Etj’écrisaussisurmonpère.
—Tonpère?—JeffMonroe,jenesuispassûrequetuleconnaisses,iln’estpastrès…Jen’aipasletempsdefinirmaphrase,ils’estlevéd’unbondetadisparudanslamaison.—J’aiditquelquechosequ’ilnefallaitpas?j’interrogeAngeenmetournantverslui.Ilhausselesépaulesetcontinuedemanger.Anthonyrevientavecun33tours…demonpère!—C’estcollector,ça!Tuconnaismonpère?—Tonpère?Sérieusement?—Benoui,sijeteledis.—Ange,tulesavais?Ilhausseencorelesépaules.—Tulesavaisettunem’avaisrienditalorsquetuconnaismesdisques!Çanet’estjamaisvenuà
l’idée,quandtulesparcourais,demedire«tiensaufait,jeconnaiscemusicien»?—Jeneleconnaispasvraiment.—Arrête,tuconnaisbienmonpère,Ange.—Jeneleconnaisplus.Pourquoi tous les sujets de conversation reviennent sur nous, mon départ, tout ça ? C’est une
malédictionouunefaçondemerappelerquejesuisenterrainminé?C’estréussi,entoutcas.—Lise,jepeuxtedemander,tusais,unautogr…Jelèvelamainpourlefairetaireetsorsmontéléphonedemapoche.—Encemoment,ilestsixheuresdumatinenAustralie.Cequiveutdirequesionattendencore
deuxheures,onpeutl’appeler.—Tudéconnes?—Non,ilseraravi,iladorerencontrerdesconnaisseurs,etenFrance,iln’yenapasbeaucoup.Je
suisépatéequetuaiesunvinyled’époque.—Pourdevrai?Vraiment?Sérieux?Merci!—Nemeremerciepas,ilestbavardetturisquesd’ypasserlanuit.—Jet’adopte!lance-t-ilenriantetenm’attrapantparlesépaulespourmefaireuncâlin.JesensAngeseredresseretjeremetsmamainsursacuisse,j’exerceànouveauunepetitepression.
Ilfautqu’ilsupportequed’autrespersonnesmetouchent,surtoutquandc’estsansarrière-pensées.—Ducoup,tunem’enveuxplusdet’avoirbattuàlaconsole?—Neparlonspasdechosesquifâchent.—Sofiane,teslasagnessontvraimentpasmal,maisalorslegras…lanceAudrey.—C’estbon,parcequec’estgras.—Facileàdirepour toi,continue-t-elle.Tumanges, tumanges, tumangeset tuneprendspasun
gramme!
Ilssemettentàargumentermaisunpetitbouletdecanondébarquesurlaterrasseet,aussitôt,Angeretirelamainqu’ilavaitposéesurmanuque.
—Papa!Papa!Papa!Mamanelleaditouique jepouvaisvenirdormirchez toicesoirparcequ’avecsonamoureuxilsvoulaientalleraucinéma!
Ilselèveetprendsafilledanssesbrasavantdesetournerverssonexquiarrivetranquillementensouriant.Genre,lananaelleestcommechezelleicietçam’agaceunpoil.
—Ellevoulaitvraimenttevoir.—Ettuasperdumonnumérodetéléphone,c’estpourçaquetun’aspaspumeprévenir?—Ellevoulaittefairelasurprise.—Liiiiiiiiise!Maman,regarde,c’estLise!Emmasedébatpourdescendredesesbrasetvientd’offices’asseoirsurmesgenoux.—Sofiane, tu sais qu’avecLise on a trouvé une tortue, la tortue elle s’appelleT-Rex, et on est
allées lavoir l’autre jourmais elle est pas revenue.AlorsLise elle adit qu’on retourneraitmaisquepeut-êtreellereviendraitpasmaisquec’étaitpasgraveparcequelatortueelleestàlanatureetellealaliberté.Alorson…
Lebabillagedelapetitefillecouvreladiscussiondesesparentset,vuleursexpressions,j’aienviededirequecen’estpasplusmal.
—Hein,Lise?—Quoi?—Quetuvaspasrepartirdanstonchez-toimaintenant?—Alorsdéjà,ondit«cheztoi»,le«danston»estentrop.Etoui,jetel’aidit,jerestepourle
moment.—Heinqu’onaunsecretquec’estquenousqu’onlesait!—Tuasdéjàmangé?—Nonparcequemamanelleaditquecesoirc’estSofianequifaitàmangeretSofianeilfaittout
le tempsdeschosesbonnesetmamanelle cuisinepas alors elle aditquec’étaitpas lapeinequ’elles’embêtequeSofianeilfaisaittoujourstropetquejepourraismangeravecpapa.
—Tiens.Jeluidonnemafourchettequ’elleattrapedanssonpetitpoingferméenmeregardantavecdesyeux
admiratifs:—Jepeuxmangeraveclagrandefourchette?—Ben…Tunevaspast’énucléeravec,rassure-moi?—C’estquoi?—Mange,jetesurveille.Jemerappellequenousnesommespasseulesetremarquequetoutlemondenousscrute.—Quoi?J’aiditungrosmot?Desfoisçapeutm’arriversansm’enrendrecompte,jesuisconditionnéeavecmonpatron.
—Non,meconfirmeEmma,t’aspasditdegrosmot.Saufsiénuquéc’estungrosmotparcequejeconnaispascemotalorsjesaispas.
—Cen’estpasungrosmot,larassureAngeenreprenantsaplace.Marie est partie, je nem’en suismême pas aperçue.Bon débarras. Enfin, elle aurait pu dire au
revoiràsafille,maisjevaisgardercetteremarquepourmoi.—Papa,t’asvu?Liseellem’adonnésafourchette!—Oui,j’aivu.Tuneveuxpasqu’onajouteunechaise?—Non,jemangeavecLise.EtmêmequeLise,elleestd’accord,heinLise,quetuesd’accord?—Seulementsitunebougespastropparcequetuaslesosduc…coccyxpointus.Ouf, j’ai faillidire«cul»,bellepirouette, je suis fièredemoi.Ellemeregardeencoreavecde
grandsyeux.Jelanceunclind’œilàAnge,fièredemoi:—Eh,t’asvu,papa,j’aifaillidireungrosmot!J’aifaitattention,jenel’aipasdit.AnthonyetSofianericanentetjesurprendsAudreyquisourit.Parcontre,sonair«lapetitemaison
danslaprairie»enmeregardantavecEmmadanslesbras…jesensquejevaismallevivre.Aprèsmanger,Angeconduitsafilleàlasalledebainetj’aideàdébarrasser.—Emmaestvraimentfandetoi,ondirait,meconfieAudreyquandnoussommestoutes lesdeux
danslacuisinependantquelesgarçonsfinissentdenettoyerlatable.—Oui,ondirait.Jel’aimebien,aussi.—Jepensequ’ellet’aimeautantparcequetuesnaturelleavecelle.Moi,lesgamins,j’aitendance
àgâtouiller.—C’estsûrementparceque,toiaussi,tuenveuxunàtoi.Ambre,l’aideàdomicile,estenpleine
période«jedoismereproduire»,ducoupellefaitcommetoi,elledevientunchouilledemeurée.Alorsquefranchement,jen’aipasbesoind’unenfantdansmavie,jemeportetrèsbiensans.Etjenemesenspasattendrie,enfinjusteunpeu,doncjesuismoi.
—SiAngeettoic’estsérieux,tuaurasunenfantdanstavie,quetuleveuillesounon.—Peut-êtrebien,oui,exceptéqu’ellefaitsesnuitsetneporteplusdecouches,jel’aibienjouée,
hein?Elleritetjecachemonmalaisederrièreuneoudeuxautresblaguesvaseuses.Jen’yavaisjamais
vraimentpensé.Quandjesongeà«demain»,jevoisAnge,etmoi.Etj’avaiszappélanaine.Alorsqu’ilestévidentqu’elle faitpartiedupackaging.Angeest livréavec.Jen’aipasenvied’avoircegenrederesponsabilités.
—Ettoi,pasdecopain?jeluidemandepourchangerdesujet.Subtile,Lise,subtile.—Non.—Çan’entrepasdanssonplanetpuissalisteestsurréaliste,lanceSofianeenposantsatassede
cafédansl’évieretenrepartantausalon.—Quelplan?Quelleliste?
—J’ai une idée assez précise demon avenir, déclare-t-elle avec tellement d’aplomb que jemedemandesic’estmoiouellequ’elleessaiedeconvaincre.
—C’estbiendesavoircequ’onveut.Maisjenevoispaslerapportaveclefaitd’avoiruncopainoupas.
Elleposesontorchonets’appuiecontrel’évieravantdereprendre:— Je veux un homme avec qui je partage tout. Ou presque. Il faut que nous ayons des points
communs.Qu’il aitune situationprofessionnelle stable, aussi, c’est importantpourpouvoir fonderunefamille.Etilfautqu’ilsoitsérieux.
—Donccettehistoiredeliste,c’estvrai?—Oui,tuveuxlavoir?Sofianeentredanslacuisineetsemarreenallantjeterlesmiettesdelatableàlapoubelle.—Quoi?luidemandeAudrey,unpeutendue.—Lavien’estpasuncontedefées,cequetucherches,çan’existepas,luirépond-ilenluitournant
ledos.— Bien sûr, si tes critères se fondent sur ton comportement, mes désirs doivent te sembler
utopiques.Ilseretourneetcroiselesbras,onal’impressionquecen’estpaslapremièrefoisqu’ilsontcette
discussion.J’essaiedemefairetoutepetite.—Moncomportement?—Oui, tonattitudedegaminqui traversesaviecommesic’étaitundes jeuxvidéoquetuaimes
tant.Grandis,unpeu,Sofiane.—Situétaisréaliste,tuverraisquelaperfectionqueturecherches,elleestlà.Devanttoi.Ilhausseplusieursfois lessourcilsavecunairdébilesur levisage.J’aicruuneminutequ’ilsse
prenaientvraimentlatête.Ouf,ondiraitquec’estsurtoutleurmodedecommunication.—Liiiiiise!—Emma,répèteaprèsmoi:Lise.Unseul«i».Etnecriepas,parle.—Lise.—Bien.Queveux-tu?Jem’accroupisàsahauteur.ElleporteunpyjamaHelloKittyetsesbouclesblondessontlâchéeset
luiarriventdanslebasdudos.Jetueraispouravoirdescheveuxaussibeaux.C’estunepetitefille,jenelatueraispas,biensûr…
—Papailaditquesitudisoui,tupeuxmeracontermonhistoireetmechantermachanson.— Papa est mignon, mais il n’essaierait pas, par hasard, de me refiler la corvée de
l’endormissement?Ellemeregarde,étonnée:—Papaestpasmignon,t’asditquetuletrouvaistrèsbeau.Untoussotementmefaitreleverlatête.Angeestdansl’entréedelacuisineetilsourit,visiblement
satisfaitdecequesafillevientdedire.Jelèvelesyeuxauciel:
—Net’emballepas,jenepouvaisdécemmentpasréduirelesillusionsdecettepetitefilleànéantenluiavouantquejetrouvesonpèretoutjustepotable,sansplus.
Illèveunsourciletsouritdeplusbelle.—Potable?—Àpeine…—Lise!—Oui,j’arrive.Ellem’entraînedanslapiècequisesituejusteàcôtédelachambred’Angeetj’essaiedesuivrele
mouvement.Jesoupçonnecettepetited’êtrehyperactive.
26
Lise
JeretrouvetoutlemondeausalonetfaissigneàAnge:—Papa,tafilleveutunbisou.—Arrêtedem’appelercommeça,c’estglauque.Jesouris,biendécidéeàcontinuerà l’embêteravecça.Mêmesi jesuisd’accord,c’estglauque.
Arf,troptard,ilm’apourrimondélire,là.C’estplusqueglauque.Ilselèveetmefrôleenpassantàcôtédemoiavantdememettreunetapesurlecul.Jesursauteet
mefrottelafesse.Çafaitmal!—Queen,c’estpasl’heure,là?medemandeAnthony.—Ah,pardon,j’avaisoubliéqu’ilyavaitunautreenfantdontilfauts’occuper,cesoir.Jelerejoinssurlecanapéensouriantetprendsmontéléphone.Monpèredécrocheàladeuxième
sonnerie,ilatoujoursétéunlève-tôtetenplus,encemoment,ilssontensessiond’enregistrement.Ildortdoncpeu,carsoncerveauestsansarrêtenaction.
—Lise,toutvabien?Tuaseumonderniermail?—Oui,papa,jel’aibienreçu.Jevoulaisteprésenterquelqu’un,onpasseenvisio?Tuesdécent?—Biensûr!JeplaceletéléphoneentreAnthony,quiestétrangementsilencieux,etmoi.Levisagedemonpère
apparaîtsurl’écran.SofianeetAudreyserapprochent,curieux.—Hello!Ilaunfortaccent,dix-huitansàvivreenFrancen’ontpassuffiàlegommer.J’adoresonaccent,ce
sontsesracines.Etdonc,lesmiennes,mêmesijenesuisalléequ’unefoisenAustralieetquepourmoi,là-bas,c’estsurtoutCrocodileDundeeet«P.Sherman42WallabyWaySidney».
—RegardecequemonpoteAnthonyavaitdanssacollection!Jelèveledisquequipeutvraimentêtrequalifiédecollectoretmonpèresiffled’admiration.—Incroyable!Jenepensepasenavoirunexemplairemoi-même!
—Sansdéconner?lanceAnthonyquiaenfinretrouvésavoix.—Enchanté!Jeff,luirépondmonpère.—Oh,jesaisquivousêtes!—Papa,jepeuxtelaisseravecAnthony?Làc’estSofianeetvoiciAudrey.—Bonjour,toutlemonde!EtAnge,ilestlà?Jevoudraisbienluidirebonjour,avant!—Moiaussi,coucoumachérie!ajoutemamèrequivients’incrustersurl’écran.Justement,voilàAnge,avecEmmadanslesbras.—Ellem’ademandélapermissionderesterunpeuavecnous,àcauseduboucanquevousfaites,
sejustifie-t-ilennousvoyanttouslesquatreautourdemontéléphone.—Vousfaitesquoi?demandeEmmaennousmontrantdudoigt.—Oh!C’estsafille!Passe-luiletéléphone,Lise!—C’esttesparents?m’interrogeAnge.—Liseelleadesparents?ajouteEmma.Lasituationm’échappe,jelesens.JemelèveettendsletéléphoneàAnge.—Bonjour,Ange!TudoisêtreEmma!Qu’elleestbelle!Elleteressembletellement!Simamèren’arrêtepasdemonterdanslesaigus,jevaisdevoiragir,etvite.—Bonjour,mamandeLise.MêmequeLise,elleaditquej’avaislesmêmescheveuxetlesmêmes
yeuxquemonpapaetquemêmequenosfossettesc’estdesarmespétales.Jeretirecequej’aiditplushaut.Jevaisvraimentfinirpartuercettegosse.Angesouritetéchange
quelquesmotsavecmonpèreavantdemerendreletéléphonequejefaispasseràAnthony,quiselancedansuneconversationmusicaleavecl’unedesesidoles.
—Nosfossettes,hein?murmureAngeàmonoreillependantqu’EmmaetAudreyfontuncoloriagesurlapetitetable.
—Tais-toi.—Unearmepétale?—Sérieusement,Ange,juste,tais-toi.—Lise!Cettegamineestpirequ’unemouleaccrochéeàsonrocher.—Papa!TusaisqueLise,etbenelleapasd’amoureux.Alorscommetoitun’aspasd’amoureuse,
moij’aiditàLisequetupouvaisêtresonamoureux.MaisLiseelleapasditsielleétaitd’accord.Ellenousregardetouslesdeux.—Alors?Tuesd’accord?medemandeAngeensetournantversmoi.—Hein?—Disoui!Disoui!crieEmmaentapantdanssesmains.Sofianesemarre,ilsedélectedemevoirdansunesituationplusqu’embarrassante.Jemevengerai.—Emma,cesontdeschosesdontlesgrandsdoiventdiscuterentreeuxettudevraisdéjàdormir,de
toutefaçon.—Tuneveuxpasêtremonamoureuse?lanceAngeavecunairblessé,unemainsurlecœur.
—T’escon,arrête!—Grosmot!hurleEmma,mefaisantsursauter.—Pardon,pardon.Oui,d’accord,jeserail’amoureusedetonpapa.Je suis contente de voir que ça en fait rire aumoins un. Je sens quemes oreilles sont rouges et
heureusement,mescheveuxlâchés.Jehaislesgosses.
—Elledort…soupireAngeensejetantsurlelitàcôtédemoi.ToutlemondeestcouchésaufSofiane.D’aprèscequej’aicompris,ilvapasserlanuitàjouerà
desjeuxvidéoausalon.Cequiestuneinformationimportante,quejen’aillepasfairepipienculotte…JeposemonlivresurlechevetetmetourneversAnge:—Cettegamineestunfléau.—Oui,etmaintenant,tuesofficiellementmonamoureuse.Jelefrappesurleventre,çalefaitrireetilm’attiredanssesbras.Jemeretrouveallongéesurlui.— Ce qui veut dire que je vais pouvoir t’embrasser devant elle, te tenir la main, et ne pas
m’inquiéter,carellesaitquetuesmonamoureuse.Ah oui.C’est sérieux.Non pas que çam’effraie, juste… je suis étonnée qu’au bout de quelques
semaines,ildécidedem’intégrerautantdanssavie.Dansleurvie.—Elleapeurqueturepartes,m’annonce-t-ilenglissantlesmainssurmanuque.—Jesais,ellemeledemandesouvent.—Elledoittenirçadesonpère.—Jenevaispastelaisser,Ange.—Tuvasbiendevoirrepartirbosser.—Jetrouveraiunesolution.J’aienvied’êtreavectoi.—Etmoi,c’estdetoi,dontj’aienvie.Ilrelèvelebassinetjeperçoistrèsclairementlasuiteduprogrammedelasoirée.Jepensequ’ilest
tempsd’arrêterdeparlerdesafille.
—Lise.Lise.Lise.Lise.Lise.—Quoi?jehurleenmeredressant.—Tudors?Elleestsérieuse?Elleadesenviesdemort,sijeune?Jepourraisessayerdel’atomiseravecmon
haleinedumatin,fraîcheurreblochon.—Papailaditque…—Attends,déjà,baissed’unton.Ilestquelleheure?—Jesaispaslirel’heure.J’attrapemontéléphoneetilest…sixheurestrente?—Emma,j’aibesoindedormir.—Ouimaispapailaditque…
—Sérieusement,ilesttroptôt.Pourquoituesdebout?—Jedormaisplus.—Etoùilest,tonpère?Iltelaissevenirréveillerdesbravesgenscommeça?—Papailaditquejepouvaisteréveillerparcequetuavaisassezronflétoutelanuit.Quoi?Jeneronflepas!—Emma,monpetit,jeneronflepas.—Iladitquetudiraisça.—Pourquoitunevaspasretrouvertonpèrependantquejemerendors?—Ouimaispapailaditquetuseraisd’accordpourdessineravecmoi.—Pasauréveil,non.Jevoissalèvreinférieurequicommenceàtrembler.Sesyeuxquis’humidifient.Jetiendraibon.—Plustard,d’accord?—JevaischercherAudrey.Audreyelleveuttoujoursjoueravecmoi.Oui,etsij’étaissonpère,jeveilleraiàcequ’ellenet’embarquepas,aussi…Cesjeunesfemmes
dontl’utérusleschatouillesontdevéritablesdangerspublics.—Faisdoncça.—T’esplusmacopine.—Jepeuxvivreaveccetteidée.Elle sort de la chambre en marmonnant et je retourne dans mon précieux sommeil. Pas pour
longtemps,cependant.—Tuviensdedireàmafillequetunevoulaisplusêtresonamie?Toutçapourdormir?Ellea
cinqans,Lise!Personnen’adoncaucunrespectpourlesommeild’autrui,danscettemaison?Jemeredresseetenvisagesérieusementd’utilisermonarmededestructionmassivebuccalecontre
lepère,maintenant.—Iln’estmêmepasseptheures,c’estleweek-end,tuasenvoyétafillemeréveillerpourqueje
fasseuncoloriageavecelleetc’estellequiadécidédeneplusêtremonamie.—Ellepleure.—Lesenfantspleurent,parfois.—Jen’aimepasvoirmafillepleurer.—Ehbienhabitue-toi,parcequeceneserapasladernièrefois.—J’avaisoubliéquetuesunevraiegarceauréveil.—Moi,jesuisunegarce?—Toutàfait.Ilsortetfermelaporte.Cequivientdesepasseresttellementsurréalistequejen’arrivepasàme
rendormir.Moi,unegarce?Et lapetiteEmmaquimène tout sonmondeà labaguette, çanedérangepersonne,enrevanche?
Manuitdéfinitivementabrégée, jeme lèveetmebarricadedans la salledebainpourunebonnedouche,unpipietunbrossagededentsréglementaire.Mescheveuxneressemblentàrien,jedécidedeleslaisserfaireleurvie,c’estpeineperdue,detoutefaçon.Jepasseunjeanetunt-shirt,restepiedsnus,etjemerendsàlacuisineàlarecherched’unpeudethé.
—Bonjour,Cruella.JemeretourneetSofianeestassisàtableavecunetassedecaféetunsourireunpeutropironique
pourêtreagréable.S’iln’avaitpasceregarddefolie,jelefrapperais.—Tudisçapourmescheveux?—JedisçaparcequetuasréussiàfairepleurerEmma.C’estunegossequetoutlemondeadoreet
ellenepleurepassouvent.Donc:bonjour,Cruella.Jeluifaistotalementface,lesmainssurleshanches:— Cette gamine décide de ne plus être mon amie, je lui dis que ça me convient, et c’est moi
Cruella?Elleestvenuemeréveilleràsixheurestrentepourquejefasseundessinavecelle.Est-cequejesuislaseuleadulteavecunminimumdebonsens,danscettemaison?
—Jedisjusteque,maintenant,tuvasdevoirt’arrangeraveclepère.Jefermelesyeuxuninstant.Jesuisàjeun.J’aibesoindeprendredel’énergieavantdecommencer
àvraimentêtrelagarcequ’Angem’accuseêtre.Jenesuispasdumatin,certes,maisunegarce?Ilavaitoublié?Ilnem’avaitjamaisditça,avant.Visiblement,illepensait.
—Sofiane,papailaditque…Lise!Turonflesplus!Tuviensjouer?Tiens, la revoilà en mode poisson rouge, elle ne se rappelle même pas qu’elle est censée me
détester.—Jevaisprendremonpetitdéjeuneretensuite,jeviendraijouer.—Jepeuxresteravectoi?—Situessage,oui.—Jesuissage.ElleposeunindexsurseslèvresclosesetjedemandeàSofiane:—Ilyaduthé?Jeboiraisvraimentunebassinedethé,là.—Oui,Audreyboitdecetruc,Audrey!crie-t-ilensuite.—Quoi?luirépond-elledepuislesalon.—TuasduthépourCruella?—Hein?—Laissetomber,jelanceàSofianeenmeretenantderire.—Allez,jevaismecoucher,bonnenuit!enchaîne-t-ilenallant…secoucher.Normal,quoi.Jenerelèvemêmepasmonnouveausurnom.J’aimecettehabitudequelesgensme
trouventdespetitsnomsets’iléprouvel’enviedem’enchoisirun,aussipeuflatteursoit-il,çaveutdirequ’ilm’aimebien.Sinoniln’enplaisanteraitpas.Ilm’appelleraitcommeçadansmondos.Alors,oui,çamefaitplaisirdemesentirintégréemêmesi,pourça,j’aidûfairepleurerunepetitefilledecinqans.Hé…Nopain,nogain!
Çafaituneheurequejesuislevéeetjen’aipasrevuAngedepuisqu’ilm’atraitéedegarce.OK,maintenantquejesuisbienréveillée,jepensequej’aiméritécetteinsulte.Nonpasquej’aiel’intentiondel’admettreàhautevoix,ilnefautpasdéconner,nonplus.
—Regarde,c’estbeau?—Oh…C’estun…un…une?—C’estuncœur!C’estpourmonamoureux,chuchote-t-elle,qu’ondoitpasledireparcequec’est
unsecret.—Ah,uncœur,oui,donc…etsijetefaisaisunmodèleettulerecopies?Parcequelà,jepense
quetoncœurestunpeutropavant-gardisteetlemonden’estpasencoreprêtpourcetteformed’art.J’aipeurquetonamoureux,jemurmureàmontour,nesoitpasassezouvertd’espritpourserendrecomptedumessageconnotédanscetteœuvre.
—D’accord.Jenesuispascertainequ’elleaittoutcompris,ellen’estcependantpascontrariante.Jeprendsune
feuilleblancheety traceuncœur.Ellem’observeavecattentionet je suis assez fièredevoirqu’elleparvienttrèsbienàlereproduire.
Fière?Ce n’est pasma fille, je n’ai pas à être fière ou pas fière. Il y avait un truc dans le thé bio et
commerceéquitablequem’arefiléAudreyavantdepartirjenesaisoù?—Regarde!Ellemetendsafeuilleetjeluifaissignequec’estparfait.—Ettoi,ilestpourquitoncœur?—C’étaitjustelemodèle.—T’asqu’àlefairepourmonpapa,c’esttonamoureux.—Oui,Lise,pourquoitunelefaispaspourmoi,toncœur?Jerelève la têteet ilnousregarde.Depuiscombiende temps?Aucuneidée.Après tout,c’estun
psychopathedesonpropreaveu,ilnousespionnepeut-êtredepuisuneheure.Ilmesouritetjeluirendsson sourire. J’ai toujours eu un faible pour les tueurs en série. J’ai envie de le rejoindre et del’embrasser, mais je ne suis pas sûre de ce qui est autorisé ou pas devant Emma. Alors je le laisseprendrel’initiative.
Ange
Jen’aijamaisrientrouvédeplusnaturelqu’elle.Ici.Chezmoi.Avecmafille.Jelesregarde,ellesmesourienttouteslesdeux.Emmaselèveetseprécipitesurmoi,ellesauteetjel’attrapeavantdelahissersurmesépaules.Jem’approched’elle,m’agenouilledevantsonfauteuiletplacemonvisagedevantlesien.—TuvasfaireunbisouàLise?Parcequec’esttonamoureuse,t’asledroit.Commentj’aipuoublierquemafilleétaitlà,auxpremièresloges?—J’ailedroitd’enfaireunàtonpapa?luidemandeLise.—Benoui,c’esttonamoureux.Lisesouritencoreplusets’approchedemoi,avantdedévieretdedéposerunbaisersurmajoue.
Puisdemurmureràmonoreille:—Commejesuisunegarce,c’esttoutceàquoituaurasdroit.Elleselèveetpartverslachambre.
27
Ange
Elleestallongéesurlelit,àplatventre,devantsonordinateur.Sesécouteursdanslesoreilles.Ellenem’entendpasarriver.
Jefermelaporte,leverrou,etjem’approchelentement.Jem’accroupisàcôtéd’elle.Elleperçoitmaprésenceetpousseuncriensursautantetjememetsàrire.C’estlegenredejeux
débilesquej’adorais.Avant.Maintenant.Jecommenceàneplusvoirladifférence.
Lise
—Tuesdingue?Moncœurneva jamaisréussiràs’enremettre.Ce types’estdonnépourmissionderéduiremon
espérancedevie?Foutuninjacommando!—SofianevavoirsasœuretenprofitepouremmenerEmmafairedumanège.—Etçanécessitequetumefoutesunetrouillebleuepourmel’annoncer?—Audreyestsortie.—Jesais.—Anthonytravaille.—Oh.—Oui,«oh».Noussommesseuls.Ettun’asdoncaucuneraisond’êtreembarrassée.Jesuistouchéequ’ilpenseàça,luiquiavaitl’airtellementennuyéparmaréaction,hiersoir.—Oui,saufquejetravaille,là.Inutile de préciser que je réponds à des lettres de lectrices qui ont des soucis dans leur relation
amoureuse.Nousn’ensommespasencoreaupointoùjepeuxluidévoilermesautrespersonnalités.Ceseraittireretmarquercontremapropreéquipe.Jesaisquej’ail’instinctdesurvied’unepetitecuillère,maisbon…
—Continue.Tunevasmêmepasterendrecomptedemaprésence.J’aidesérieuxdoutesparceque,dèsqu’ilestprèsdemoi,moncerveauenvoietousmesneurones
secoucheretjesuisenmodeLoveIsAll.Avecledélirepsychédéliqueduclipet toutcequivaavec,bienentendu.CetypeestunpeumadosepersonnelledeLSD.
Je retiremes écouteurs et fermemonordinateurque jevaisposer sur lebureau. Je suis toujourspiedsnus,jeneperdsdoncpasdetemps.Jeretiremonjeanenlefixant.Jenepensepasmelasserunjourdeleregarder.Etjesaisquecen’estpasuniquementliéàsonphysique.
C’esttoutcequ’ilreprésente.C’estsonregardquisuitmesmouvementsetglissesurmoiavecbienplusquedudésir.
Ilm’aime toujours. Il ne le dit pas, je le vois. Je le connais.Et cette certitude, c’est lemeilleuraphrodisiaquequisoit.Çaetsoncorpsderêve,bienentendu.Jesaisquemavisionestbiaisée,toutestsubjectif,etc’esttantmieux.Pourmoi,ilestparfait.
—Tunedoispastravailler?Jeneluirépondspas.Ils’assoitsurleborddulitetmeregardelaissertombermonpantalonausol.
Jefaispassermont-shirtpar-dessusmatêteetilseretrouveaussitôtparterreégalement.—Est-cequetupossèdesunseulsoutien-gorge?—Pourquoifaire?—Simplecuriosité.Jesuisenculotteet ilconserveabsolument toutesamaîtrise.Cepourraitêtrevexant,saufque je
voistrèsbienl’effetquejeluifais,entresescuisses.Jem’appuienégligemmentsursonbureau,lesmainsdechaquecôtédemeshanches,surlerebord.Jecroiselesjambesetluisouris.
Ilattend.Jeremontelentementunemainlelongdemonventre,entremesseins,moncou…etprendssoinde
léchermon index etmonmajeur, sans le quitter des yeux. Il défait le premier bouton de son jean.Laréactionestimmédiateetjesaisdéjàquej’auraispumepasserd’humidifiermesdoigts.Mamainrepartensens inverseet ilouvreunautrebouton. Il se redresseetenlèveson t-shirt.Quand ilme regardeànouveau,jesuisdéjàentraindemecaresser.Ilselèveetjecroisqu’ilvamerejoindre.Aulieudeça,ilsecontentedesedéshabillertotalement.Jemepénètrededeuxdoigtsetmonpoucejoueplushaut.Del’autremain,jetouchelapointed’unseinetsesyeuxsebraquentsurmapoitrine.
Ilsecaresseentrelescuissesd’unemainetl’autreenserresonérection.Sérieusement,pourquoijesuislàentraindemetoucheralorsquejepourraisletoucher,lui?Jerefusepourtantdemettrefinàcejeu,jel’ailancé,etjesuistropexcitée.
Ange
Cequ’ellefaitmeplaît.Cequ’ellemefaitmeplaît.Vraiment.Lavisionqu’ellem’offreestparfaite.Seslèvressontentrouvertes.Sapoitrinesesoulèveaurythmedesarespirationsaccadée.Sesyeux
brillentdedésir.Etd’autrechose.Pourmoi.
Lise
—Lise…—Hum?—Viens.Jesouris.Jenelerejoinscependantpas.Ilcraquelepremieretselèvelentement,sanscesserdese
caresser.Jecroisquejevais…Oui,troptard,l’orgasmemetombedessusetilmeregardeprendremonpiedenavançantversmoi,décuplantlessensations.Sesyeuxnequittentpaslesmiensunesecondealorsquejegémissousmesdoigts.C’estrapide,intenseetpercutant.Lorsqu’ilestjustedevantmoi,ilattrapemonvisagedanssesmainsetm’embrasse.Jem’accrocheàsesbraspendantquesa languepénètremabouche. Nos dents s’entrechoquent, c’est presque violent, c’est comme ça que je l’aime. Quand il selaissesubmergerparsessensationsetqu’ilsedonnetoutentieràmoi.Sansretenue.Sansregret.
Ilmesoulèveetnousconduitsurlelit.Ilretiremaculottesansjamaiscesserdem’embrasser.Etilestenmoi.Doucement.Lentement.Toutendélicatesse.
J’ouvrelesyeux.Lessiensmescrutent.Ilseretiresurlemêmerythmeetjeretiensmonsoufflejusteavantqu’ilnerevienne,sanshâte.Mesmainssefaufilentdanssescheveux,jeleveuxprèsdemoi.Seslèvresnequittentpaslesmiennesunseulinstant.
Ange
Jeluifaisl’amour.Pouravant.Pourmaintenant.Pournous.
Lise
Jem’oublie.C’estlui.Justelui.Ilreculeunpeusonvisagedumien.Seslèvresmemanquentdéjàetj’appréciechaquesecondeàle
regarder.Ilbougesanshâteenmoi.Chaquefoisqu’ilmecomble,j’aspireunpeud’air,etchaquefois,ses yeux dévient sur ma bouche avant de revenir aux miens. Je perçois précisément l’instant où ils’abandonneenmoi.Samâchoiresecrispe,sespaupièresretombentetilgémit,imperceptiblement,avantdes’allongersurmoi.
Ilseretireetglissesurlecôté.Jememetsfaceàlui.Etnousnousregardonsensilence.Ilremonteledrapsurnoscorpsquisetouchentpresque…presque.
Nosrespirationssecalquentl’unesurl’autre.Ilnesouritpas,moinonplus.Ilouvrelabouchepourparler…—Papa!Papa!Papa!J’aieulepompon!Papa!J’aieulepompon!Jesouris.Ilfermelesyeux.J’enprofitepourmerapprocheretl’embrasser.Ilposelesmainssurma
taille etmemaintient contre lui quelques secondes avant de se lever et d’attraper unmouchoir. Je leregardeserhabillerpourretrouversafille.Monsourirerefusedesefaner.Jenesaispasdutoutoùnousallons,mais tantquenousyallonsensemble, lerestem’estégal.Etça,çasuffitàmerendreheureuse.Alors je sais que j’ai probablement mon air de demeurée… Or, rien ne pourrait avoir moinsd’importancequeça…Jeleregardesedirigerverslaporteetquandilsort,jemelaisseallersurledos,unbrasentraversdesyeux.Etjesourisplusencore.Monventregargouilleetcen’estpasdelafaim.Si,peut-être…delui…
Soudain,seslèvress’écrasentsurlesmiennesetilm’embrasseprécipitammentavantderepartir.Jenepensepasquejepuisseavoirl’airplustartequemaintenant.
Ange
Ellemeperturbe.J’allaisluiavouercequejeressensetjesaisqu’ellelesait.L’interruptiond’Emmal’afaitsourire.Elleauraitpus’agacer.Ellem’asouri.Elleesttellementparfaitedansmaviequejenemesouviensmêmepluscommentjepouvaisvivre.Sanselle.
Lise
—Queen!Jesorsdelasalledebainoùjemesuisrafraîchieaprèscetintéressantinterlude.Sofianem’attend
ausalon.—OùsontAngeetEmma?jeluidemandeendécouvrantquenoussommesseuls.—Surlaterrasse.Çatedit?Ilmetendunemanettedeconsolevintage.—Queljeu?—Yes!Personneneveutjamaisjoueravecmoi!Ondiraitungamin,j’aidumalàl’imaginerentraindedonnerdessoinsàdespatients.—StreetFighter?Jetepréviens,jen’aiaucunetechnique,j’appuiesurtouslesboutonsàlafois.—Tantmieux,j’aiunechancedegagner,commeça.Jem’installesurlecanapéàcôtédeluietildémarrelejeu.Jechoisismonpersonnageetluilesien.
Personneneseraétonnédevoirquej’aioptépourChunLi.Unpeudegirlpowanefaitpasdemal.Nous jouons quelques parties et je dois reconnaître que ma méthode porte ses fruits, au grand
désarroideSofianequipesteàcôtédemoi.Jem’apprêteàeffectueruneprisedontjen’aiaucuneidéedecomment je l’accomplis,quand lepetitbolideblondseplantedevantmoi.Piledevantmoi.Jenevoisplus rienetSofianeenprofitepourmemettreKO. Jeme lèved’unbond, laboucheouverte,un indexaccusateur sur lamioche.Et puis jeme souviens qu’elle n’a que cinq ans.En plus, elleme sourit detoutessespetitesdentsdelait.Jecomptementalementjusqu’àdixetparviensàmontouràsourire.
— Emma, ma grande, ça ne se fait pas de se mettre devant l’écran quand quelqu’un joue à laconsole.
—Ouimaispapailaditquetudevaisvenirlevoir.—Pourquoiiln’estpasvenumechercherlui-même?—Papailadit«vachercherLise,jemesensmal,etresteavecSofiane».
28
Lise
Jeposelamanetteetsorsencourantdanslejardin.OùjetrouveAngetranquillementallongésurunechaiselongue,deslunettesdesoleilsurlenez,lesmainsderrièrelatête.
—Tuvasbien?jeluidemande,encoreunpeuinquiète.—Oui,çava,merci.Jefermelesyeuxetcomptejusqu’àdix,ànouveau.Çaferaitdésordresijelefrappais,là?Avecle
balaiquiestposécontrelemur,parexemple.Aprèstout,Sofianeaussiestinfirmier,ilpourralesoigner.—Queen…—Attendsuneminute,j’essaied’éviterdetefairedumal.Violemment.Je m’approche de lui et mets un coup de poing sur son bras. Il n’a même pas l’air de s’en
apercevoir.Ilm’attrapeparlatailleetm’allongesurlui.Jen’essaiepasdemedégager,jesaisqueceseraitdel’énergieperdue.
—Teslèvres,s’ilteplaît.Enmême temps, comment rester contrariée dans ces conditions ? Je l’embrasse et il bouge son
bassinsousmoi.—Tafillesetrouveàquelquesmètresetellepeutdébarquern’importequand.Jeteconseillede
calmertesardeurs.Ilsecontentedemesourireetdes’appuyerunpeupluscontremoi.—C’estmoiquidoiscuisinerpourledéjeuner,tum’aides?Jericane.—Quoi?—Jenecuisinepas,Ange.—Dutout?—Simettreunplatsurgeléaufourouaumicro-ondesestconsidérécommedelacuisine,alorsje
cuisineunpeu.—L’autresoir,tuétaispourtantpartiepourfaireunpouletcoco,c’estdelacuisine,ça.
—C’était l’idée de Loïc. Et j’avais un demi-saladier de cocktail enmodeAquasplash dans lesveines,çanecomptepas.
—Viens,faisonsdetoiunefemmebonneàmarier!déclare-t-ilenselevant.Je le suis sans rien dire. Parce que je ne veux pas entendre dans cette plaisanterie plus que ce
qu’ellen’est.Uneplaisanterie.
Ange
Touteslesexcusessontbonnespourlagarderprèsdemoi.Saufquequandelleestlà,jeneréfléchispas.Etjedisdeschoses…quivontluifairepeur.«Bonneàmarier»?J’essaiedemeconvaincrequec’estàcausedel’irrigationsanguine.Quandelleestprèsdemoi,le
sangsebarredemoncerveauetdescendentremesjambes.Chaquefois.Maisjesaisquec’estplusqueça.
Lise
Cuisineravecmoi,c’estprendredesérieuxrisques.Ilacependantl’aird’yteniretjel’aiprévenu.—Emma,viensavecnous,onvapréparerlerepas!lance-t-ilàsafilleenpassant.Ilrevientsursespas,m’entraînantdanslafouléepuisqu’ilmetienttoujours.—Sof,tutefousdemagueule?TujouesàStreetFighterdevantelle?—Grosmot!ditEmma.Jesembleêtrelaseuleàl’entendre.—Y’apasvraimentdedétails,hein…—Putain…—Grosmot!hurleEmmaennousfaisanttoussursauter.Si jamaisellehésitepourunecarrière future, jepropose«alarmehumaine».Sincèrement, entre
elleetsonpère,jepensequejevaisdevoirfaireunexamenducœurdanspeudetempspourvérifiers’iln’apastropsouffertdeleursinterventions.
—Onfaitquoiàmanger?demande-t-elleàAnge.Ellefiledanslesjambesdesonpèresansavoirl’airperturbéeparlesimagesdujeuvidéo.—Unesalade.—J’aimepaslasalade,moi.—Ellearaison,jelasoutiens,nousnesommespasdeslapins.—Onn’estpasdestortuesnonplus,ajoute-t-elle.Etlestortuesmangentdelasalade.—Toutàfait,jeconfirmeenluisouriant.Angenousregardetouràtour,jecroisqu’ilessaiedeconserversapatience.—Onpeutmettrepleindebonneschosesdansunesalade,tente-t-ildeplaider.—Sinon,Emmaetmoi,onvas’acheterdesfritesetdeshamburgers!jeproposeensautillant.Mince,lagossedéteintsurmoi.Oualors,j’aitoujoursétécommeça?—Oui!Oui!Desfrites!Etunjouet!Etunballon!—Lise…
Sontonestunpeumenaçant.Psychopatheenvue,prudencerequise.—C’estmoiquinousinvite,jepréciseenhaussantlesépaules.C’estleweek-end,onneveutpas
mangerdel’herbe,hein,Emma?—Jevotepour,jeviensavecvous,s’incrusteSofiane.—Merci,mec,tum’aidesvachement,là.—Ange,touslesweek-endstunousfaisdelasalade.—Audreyappréciemessalades.—Audreyn’yconnaîtrien.Tuluidonneraisunboutdecarton,elleteremercierait,carilneserait
nitropgras,nitropsucré,nitropsalé.Jerisunpeuparcequejecommenceàcomprendrecommentellefaitpourêtreaussibienfoutue.En
fait,ellenemangepas.Commentn’yavais-jepaspenséavant?—Bien, d’accord, allez vous prendre votremalbouffe, je prépare quandmême une salade pour
Audreyetmoi.Ilestvexé,ondirait.—Teammalbouffe!crieSofianeenlevantsamainpourqu’Emmatapededans.—Teammalbouffe ! répète-t-elle en riant et en cognant sapetitepaumedans celledix foisplus
grandedeSofiane.JesourisàAngequimedévisage.Jesuissûrequ’ilmetientpourresponsable,maisenfinbon,dela
salade…C’estleweek-end,ilfautselâcherunpeu.
—J’aileventrequivaexploser,nousannonceSofiane,allongésursachaise.—Çavouschoquesij’ouvreleboutondemonjean?jedemandeenl’imitant.—Moiaussi!Moiaussi!Emmaprendlamêmeposequenouspendantquesonpèredébarrasselatable.—Thé…jegémisentendantlamainverslui.—Tut’escrueauresto?—Nesoispascruel,jenepeuxplusbouger.—Situavaismangédemadélicieusesaladeauxcœursdepalmier,tupourraisallertepréparerton
thé.Maiscommetut’esgoinfréedejunkfoodetquetun’espluscapabledebouger,tudevrasfairesans.—Tun’asaucunepitié!jeluicriealorsqu’ilentredanslamaison.—Jevaism’enpréparer,jet’enfaisun,nebougepas.—MerciAudrey,j’apprécielasolidaritéféminine.—Jepeuxavoiruncafé?luidemandeSofiane.—Moiaussi!Moiaussi!—Emma,n’avons-nouspasdéjàeucetteconversation?—Ahoui.Alors,toi,Lise,tuveuxdesdentstachéesetmoches?—Jen’enboispasassezpourça.—Tucroisquetuescapabledetetraînerjusqu’auxchaiseslongues?medemandeSofiane.
—Jepensequejepeuxlefaire.Emma?—Moiaussi!Moiaussi!J’ail’impressiond’avoirmonmini-moiaccrochéàmonombreenpermanence.J’ailachansonde
WillSmithversionAustinPower,JustTheTwoofUs,quimeviententêteetjerisenimaginantEmmaenmodèleminiaturedemoi.Nousnousjetonssurleschaiseslongues.Nousenfaisonsprobablementunpeutrop…C’estlemomentdeladigestion,unesiesteestlabienvenue.
—Sof,bouge.J’ouvreunœiletAngesaisitlaplacedesonpotequivas’installerplusloinenrâlant.Angeprend
mamainetEmmavientseblottirsurlui.—Cro-Magnon,jemarmonne,etjel’entendsriredoucement.—Lise,tujouesauxPetShopavecmoi?—Dansunpetitmoment,d’accord?Làjepensequejevaisdormirunpeu.—Moiaussi!Moiaussi!Monpetitclonelâchesonpèreetmontesurmachaiselongue.Elles’allongeàcôtédemoietson
mini-brasvientseposerentraversdemonventre.Elleestsimignonnequejen’aipaslecouragedeluidirequejerisquedevomirsielles’appuietropfortsurmonestomacenpleinedigestion.Angeresserremamain,jeleregarde.Sesyeuxsontcachésderrièreseslunettesdesoleil,orjesaisqu’ilmeregardeaussi.Ilnousregarde,safilleetmoi.Cen’estdoncvraimentpaslemomentdevomir.
—Lise.Lise.Lise.Lise.Lise.Lise.—Emma,tudoisarrêterdemeréveillerdecettefaçon.—JeveuxécouterBébéLilly.—Ben,vaécouterBébéLilly,tun’aspasbesoindemoipourça.—Si,parcequepapaetSofianeilssontentraindesoignerlavoituredeSofianeetAudreyellefait
duménageetmoijesuistouteseule.Jemeredresseetregardecepetitmachinmefairesonairdechiotabandonné.Damned!Àtousles
coups !Enplus, je suismalgrémoi chamallowen constatant qu’Ange aime toujours autant fourrer lesmainsdanslecambouis.Çamerassure,commeunrepère…
—EtoùtuveuxécouterBébéLilly?—Surtonordinateur.—Allez,viens…Je me lève et elle me suit effectivement comme un petit chien heureux qu’on lui accorde de
l’attention.Quiaditqu’éleverdesenfantsétaitcompliqué?Jetrouvequejem’ensorsvraimentpasmal.Nousrécupéronsmonordinateurdanslachambreetrevenonsnousinstallersurlaterrasse,sousle
parasol.Ilfaittropbeaupours’enfermeràl’intérieur.Oufaireduménage.Oudelamécanique.Jevais surYouTubeet cherchece fameuxBébéchanteur.Et là, c’est ledrame. Je restebloquée
quelquessecondesfaceà l’horreurquise jouedevantmesyeux.Puis je reprendsmesespritsetcoupetoutavantdemetournerversEmmaquifaisaitdespetitsbondssurplace.
—Stop.Tun’aspasledroit.Cecin’estpasdelamusique.—Si,BébéLillychante,c’estdelamusique.—C’estunhologramme,moche,avecunevoixinsupportable.—Maismoijel’aime!—Non, tucrois que tu l’aimes parce que personne n’a pris le temps de temontrer ce qu’est la
véritablemusique.—C’estquoi?Jeréfléchisuninstant.J’ouvremabibliothèquemusicaleetcommenceàparcourirlesartistesetles
albumsquiyfigurent.Ahvoilà,parfait.JelanceCountonmeetlesyeuxd’Emmabrillentquandellemedit:
—C’estSammy!Héhé,jesuisfourbe.JeconnaiscedessinanimédePixaretc’estuncoupbas…C’estmafaçonde
l’éloignerdecetruchideuxqu’ellem’afaitécouteretquim’aprovoquéunsyndromepost-traumatiqueirréversibledestympans.
—C’estBrunoMars,répèteaprèsmoi.—BrunoMars.—Bien,aprèsjetemetsuneautrechansondelui.Etjeveuxtevoirbougertonboule.—C’estquoimonboule?—Jeveuxdiretesfesses.Nerépètepasàtonpapaquej’aidit«boule»pourparlerdesfesses,ni
àtamaman.Enfait,nelerépèteàpersonne.C’estnotredeuxièmepetitsecret.Ellehochevigoureusementlatête.JepasseàTreasureetjemelèveavecellepourdanser.Jevois
Audreyparlabaievitréeavecunchiffonàlamain.Quifaitlapoussièreunsamediaprès-midiaveccetemps?Je luifaissignedenousrejoindre.Jesuissûrequ’ellevientuniquementpourpasserdutempsavecEmmaet combler son instinctmaternel exacerbé,mais elle vient, c’est tout cequi compte.Nousdansonstouteslestrois.Etenplus,çam’aideàéliminercequej’aimangé,jedépensedescalories.J’aivraimentdebonnesidées.
Emmatapedanssesmainsetn’aabsolumentaucunrythme.Enfin,jenepeuxpasrésoudretoutessestaresmusicales en une fois.Déjà, jem’occupe de lui faire un lavage de cerveau par rapport au bébéflippant.
Mon lecteur est en random et j’ai absolument de tout dans ma bibliothèque. C’est pour ça queHolidaydeMadonnaprendlerelai.Jenesuispasunegrandefandecettepériode,maisEmmaal’aird’apprécieralorsbon,oncontinuel’éliminationduhamburger.Jeconnaisbiensûrlesparolesparcœur,j’ai eu mes annéesMadonna, comme toute fille qui se respecte. Et je constate que c’est pareil pourAudrey.C’estbiendelavoirêtrenormale,commeça.Ellequiatoujoursl’airderéfléchiràchacundesesgestes,elleselaissealleretçalarendplushumaine.
Unmouvementme fait tourner la tête. Sofiane et Ange nous observent depuis l’autre bout de laterrasse.Emmalesremarqueaussi.
—Papa,regarde,onécoutedelavraiemusique!
Oui, bon, ce n’est pas encore tout à fait ça,mais c’est déjà plus de la vraiemusique que bébé-psycho,çaira.
—Papa,regarde,jebougemonboule!Salemioche ! Sofiane éclate de rire etAnge s’approche de nous. J’arrête de danser quand il se
plantedevantmoi:—Sonboule?Jemedemandebienoùelleaentenduça.—Aucuneidée,jerépondsenprenantmonairdechiotabandonné.Visiblement,jenedoispasavoirsaisiletruc:ilnefléchitpas.—Ohflûte,c’étaitnotresecret,pardon,Lise,melanceEmmaquiaremarquéquejesuissurlepoint
demefaireengueuler.—Cen’estpasvraimentungrosmot,jeplaidepourmadéfense.Ilneditrien.— Ce n’est pas très joli, j’en conviens, ce n’est pas non plus comme si j’avais dit le mot qui
commenceparunc.Ilcroiselesbras.—Ellenelediraplus,heinEmma?Ellenem’écouteplus,elledansemaintenantsurLollipopavecSofianeetAudrey.—Jenelediraiplus.Il est fort, mince. Je n’aime pasme faire engueuler en silence.Mamère usait toujours de cette
techniquedeprisonniersdeguerreetjecraquaissystématiquement.Ilagitesonindexpourquejem’approchedelui.Jememéfie,jeneveuxpasmeprendreunefessée,
enplus.Ilm’attrapeparlatailleetmesouritenfinensemettantàdanseravecmoi.—Ellet’afaitécouterBébéLilly,c’estça?—C’étaithorrible,jesuistraumatisée.—Hum…Jemedemandecequ’onvapouvoirfairepoureffacercesouvenir…—J’aiuneidée,maisjenediraisrien.Jen’aipasenviedemefaireencoregronderpouravoirdit
deschosesinappropriéesdevantunepetitefille.Illaissesesmainsflirteravecmesfessesethausselessourcilsplusieursfois.Jeluirépondssurle
mêmemode.EtEmmas’accrocheàmajambe:—MoiaussijeveuxdanseravecLise!
Ange
Jelesregardedanser.Sourire.Rire.
29
Lise
—J’aimet’avoirici.NousprofitonsqueSofianeetAudreyjouentavecEmmapourpasserunmomenttouslesdeux.Ange
estsurunedeschaiseslonguesetjesuisassisedevantlui,entresesjambes,mondoscontresontorse.Ilm’embrassedans lecou,memordille l’oreille,meditqu’il aimeque je sois là. Je suiscomplètementalanguiedanssesbras,jesavourecetinstant.
—J’aimeassezêtrelà,aussi,jeluirépondsenm’installantunpeuplusprèsencore.—Jepourraism’habituer.—Mêmesijesuisunegarceauréveil?—Jesuissûrdepouvoirtrouverunmoyendetemettredebonnehumeurauréveil.—Hum…Jesuispersuadéequeçavautlecoupd’essayer.Ilm’embrasseencore.—Est-cequej’aibeaucoupchangé?jeluidemandeencaressantsesbras.—Non.Unpeu.J’aimecellequetuesdevenue.C’estaussisimplequeça.Jesouris,satisfaite.—Quandtuesrevenue,quet’aditmonfrère?medemande-t-ild’uncoup.Jen’aipasspécialementenviederepenseràcetteépoque.Ilestvraiquenousn’enavonsjamais
discuté.C’est peut-être lemoment de crever l’abcès unebonne fois pour toutes.Alors jeme retournecomplètement,passemes jambespar-dessus les sienneset jeme retrouveassisesur lui. Jeprendssesmainsdanslesmiennes.
—Ilm’aditquetuavaissombrédepuisquej’étaispartie.—Ettuesquandmêmerepartie?—Non,j’aiessayédetevoir.Ilsn’ontpasvoulu.—Ils?—Tesparents,tonfrère…Jelescomprends,tusais.—Pasmoi.Ilsn’avaientpasledroitdeprendrecettedécisionàmaplace.
Jevoisbienqu’ilsecontrôleetqu’ildigèremallanouvelledemonretourinitial.Biensûrquejeleurenveux,maisjerefused’êtrelacaused’unedisputeentreeux.Jetentedeminimiserleurinitiative:
—C’étaitàcausedemoisituétais…—Endépression.Jen’avaispasmisdemotsurcequ’ilavaitvécuet jen’aurais jamaiscruqueçaavaitétéaussi
difficile.Jenedisrien.Jenesaispasquoidire.Jeneconnaispasladépression,nideprèsnideloin.J’aibiendépriméaprèsnotreséparation,rienquinesoitpourtantaussiintense.Est-cequeçasignifiequejel’aimaismoinsqu’ilnem’aimait?Ousimplementquenousnegéronspasnosémotionsdelamêmefaçon?
—J’auraispréférésavoirquetuétaisrevenue.Quetun’enavaispasrienàfoutre.—Ange,jen’enaijamaisrieneuàfoutredetoi.Jesuispartieparcequej’étaispersuadéequeje
devaisfairepassermonavenirprofessionnelavantnous.Nousétionsencoretrèsjeunesetjen’étaispassûredecequejevoulais.J’aichoisilavoiedelaraison.Jesaisquej’aieutort.
—Tuesrevenue,insiste-t-il.J’ail’impressionqu’ilabesoindesepersuaderquec’estceretourquialeplusdevaleur,etpas
mondépart.—Dèslepremierjour,j’airéaliséquejen’auraispasdûtelaisser.J’aid’abordeuhonte.Etpuis
j’aiétéprisedansl’administratifaveclarentréequiarrivait.Moninstallation…Bref…J’aimisunmoisàrevenir.C’étaittroptard.
—Non.—Si,c’étaittropfrais,aussi.Tum’envoulaissûrement.—Jet’envoulais.Beaucoup.Tuasététellementégoïste.—Jel’aiété.Parfois,j’aimeraisbienluidirequecequiestfaitestfait,passonsàlasuite.Ceseraitcependant
niercequ’ilatraverséetjeluidoisdeluiaccorderça.—C’estbienquetusoisrevenuepourAnnabelle.Maissiellen’avaitpasfaitcettechute,serais-tu
revenue?—Pourtoi?—Oui,pourmoi.—Non.Jelelaisseencaissermaréponse,jepréfèrejouerlacartedel’honnêteté.—Comprends-moi,presquedixanssontpassés,jenemesentaisplusledroitdedébarquerdansta
vie.Jepensaisquetum’envoulaistoujours.—C’étaitlecas.—Tuvois,j’aiétébieninspirée.Jemerapprochedelui,mesjambesdepartetd’autredudossierdelachaiselongue,monvisageà
quelquescentimètresdusien:—Cequicompte,c’estmaintenant,non?
Ilhochelatête.Jeposedoucementmeslèvressurlessiennes,sanslequitterdesyeux.Jesouris,luiaussi,jepensequ’ilabesoind’unmomentpourdigérercettediscussion.Toutcommemoi.Çaaquelquechosedebouleversantetàlafoisapaisant,deparlerdupassé.Denotrepassé.
—Jevaisallerunpeutravaillerdanslachambre,d’accord?Ilposelesmainssurmatailleetm’embrasseencore.
Ange
Elleentredanslamaison.Chaquefoisquejelavoiss’éloignerdemoi,çamefaitunpeumoinsmal.Jerepenseàcequemonfrèrem’adit,surlemoment.Quejen’avaispasledroitdemelaisseraller
pourunefille.Unefille.Personnenecomprenaitquecen’étaitpasn’importequellefille.C’étaitLise.C’étaitavecelleque
jeprévoyaisdepassermavie.Fonderunefamille.Vieillir.Etellem’atoutpris.D’uncoup.Dujouraulendemain,ilnemerestaitplusrien.Biensûrquej’avaisledroitdeporterledeuilde
notrerelation.J’attendais qu’elle revienne. Je guettais son appel. Je ne mangeais plus. Je ne dormais plus. Je
restaisallongédesheuresàfixerleplafondetàl’attendre.Desheures.Desjours.Desmois.Et puis un matin, ça a été un peu moins difficile. Je crois que le jour où j’ai arrêté les
antidépresseursaétéledéclic.Letournant.Jen’avaisplusbesoind’eux.Jen’avaisplusbesoind’elle.J’aidumoinsréussiàm’enconvaincre.EtEmmaestarrivée.Peut-êtrebienquej’aitransférémonamoursurelle,j’avaisbesoindedonneràmafillecedontLisen’avaitpasvoulu.
Pendant toutce temps, ilssavaient.Je leurenveux,àJé,àmesparents.Plusque jen’acceptedel’admettre.Jesaisqu’ilsontvoulumeprotéger,maisjemesensdépossédédemavie.Jesuispasséàcôtéd’elle,àcaused’eux.Jevoudraisréussiràleurpardonnerleursdécisions.
Ilsm’ontprivéd’elle.Maintenantjevaisbien,malgréledoute.Elleestlà,maispourcombiendetemps?
Lise
—Soiréeciné!nousannonceSofianealorsquejedessineencoreavecEmma.Ce type marche à quelque chose, c’est obligé. Parce qu’il est tout le temps de bonne humeur,
motivé…parfoisc’estusant.—Onvaaucinéma?demandeEmma,pleined’espoir,délaissantcetespècedepâtéquiestcensé
représenter…Heu,non,jenesaispasdutoutcequeçareprésente.Pourtant,Audreys’extasiesurchacundeses
dessins,saufquemoi,jereconnaisquel’artabstrait,çam’échappe.—Mieux,luirépondSofianesurletondelaconfidence,onamènelecinémaàlamaison.—Commentonfait?—Onchoisitunfilm,onéteintleslumières,onmangedupop-corn,etenplus,onpeutmettrepause
pourallerfairepipi.Cedernierargumentsemblelaconvaincre.—Yaquoiaucinéma,cesoir?Oui,quepeut-onregarderavecunegaminedecinqanssansavoirenviedesecreverlesyeuxavec
desballesdeping-pongauboutdequelquesminutesdechansonsetdeclichésàvomir?JesuiscurieusedevoircequeSofianevaproposer.
—Jechoisis…Chihiro!—C’estquoi?—Tuvasvoir,tuvasl’adorer.—Queen!Viensvoir!hurleAnge.JemelèveetEmmatirelebasdemont-shirt:—Pourquoidesfoistut’appellesQueen?—Ça,c’estparcequej’aitouteunecollectiondet-shirtsdeQueen.—C’estquoi,Queen?—Ungroupedemusique,lemeilleurdetouslestemps.
—Ilssontoùtest-shirts?— Je t’en montre un après, d’accord ? D’abord je vais voir ce que ton papa veut puisque,
manifestement,utilisersesjambesestau-delàdesescapacités.JeretrouveAngedanslachambre.Danscettemaison,lesgensnesedéplacentpasquandilsveulent
separler.Ilshurlentd’unepièceàl’autre.C’estunefaçondecommuniquercommeuneautre.Ilestvautrésursonlit,torsenu,etmesourit.—Qu’est-cequisepasse?—Rien,jevoulaistevoir.—Oh,ettunepouvaispastelever,parceque…—Parcequej’avaislaflemme.—Jevois,c’étaitunetoutepetiteenviedemevoir,alors.—C’estça.—Tum’asvue?Jepeuxrepartir.Leregardqu’ilmelanceestsanséquivoque.Ilagitel’indexpourquejelerejoigne.Jem’accroupis
àcôtédulit.—Mercidepasserdutempsavecmafille.—Tun’aspasbesoindemeremercierpourça.Sijen’enavaispasenvie,jeneleferaispas.—Jesais,jemesouviensdecematin.—Tuavaisraison.Jesuisunevéritablegarceauréveil.N’envoiepastafilleenmissionsuicide,la
prochainefois.—Laprochainefois?Mince,iln’avaitpasprévudemeré-inviter?Ilritenvoyantmonairembarrasséetm’embrasse.
Ange
C’estrassurantdeconstaterquejenesuispasleseulàhésiter.Àm’interroger.Àavoirpeur.Àdouter.
Lise
—Çatefaitrire?—Oui.C’estsûrementparcequej’aimel’idéequetut’imaginestraînerdanslecoin.—Tunepensaisquandmêmepastedébarrasserdemoiaussifacilement?—D’autresseraientpartiesaprèsavoirentenduBébéLilly.—Jenesuispaslesautres.—Non.—Maintenant,jedoismontreràtafillemont-shirtdeQueen.J’ensorsundemonsacetretrouveEmmaausalon.— Tiens, la glumaude, regarde, et souviens-toi bien de ce groupe, nous ferons une session
découverte,demain.—C’estledessinquepapailasursondos!s’écrie-t-elleendécouvrantlelogo.Alorspapaaussi,
ilaimeQueen?Hum…Ledélicieuxdoublesensdecettephraseaprioriinnocente…—Oui,papaaimeQueen.PapaadoreQueen,même,lancel’intéresséenarrivant.JemeretourneetobserveAngenousrejoindre.Ilmefaitaussilecoupdudoublesensoujeprends
mesdésirspourdesréalités?—Ça,c’estunesurprise,marmonneSofianeenobservant la scène.Onnes’étaitabsolumentpas
renducomptequetonpapaaimaittantQueen.Letonironiquequ’ilemploien’échappeàpersonne,exceptéàEmma,bienentendu.Elleestencore
dans ce cocon d’innocence et naïf qu’on quitte dès qu’on découvre que le père Noël est un complotgouvernementaletquelesBeatlesfumaientdespétards.
—Unsouciavecmesgoûtsmusicaux?luidemandeAngeenvenants’installersurlecanapé,àcôtédesafille.
Ellegrimpeaussitôtsursesgenoux.Illaprenddanssesbrasetluisourit.
—Papa,tuparlesdeQueendut-shirtoudeQueen-Lise?Parcequetul’appellescommeçadesfoisetelleditquec’estparcequ’elleaunt-shirtavecledessinquetuasdanstondos.
—Lesdeux,Emma.MaisjepréfèreQueen-Lise,deloin.Je les observe parler demoi en souriant. Sofiane semarre, pour changer.Quand il aura fini de
gâchertousmesbeauxmoments,ilpourranousfairesigne,legeektatouédeservice.—Commejeledisais,c’estunesurpriseincroyable,dit-ilavantdeselever.Jevaisvoircequefait
Audreydanslacuisine,jevaisessayerd’éviterqu’ellenousrefileencoredesgrainesdejenesaisquoienguisederepas.
—Moiaussi!Moiaussi!EmmasautedesbrasdesonpèrepourpasserdansceuxdeSofiane.C’estpratiquequandonacinq
ans, on n’a même plus besoin de marcher. Grandir, ça craint. Je vais m’assoir à côté d’Ange et luidemande:
—Jenesuispassûred’avoirbiencompris,parcequetudisquetuaimesQueen,alorsj’aimeraisbienquetuprécisestapensée.
—Tuparsàlapêcheauxcompliments?—Moi?Jamais.Cen’estabsolumentpasmongenre.Je fais semblant dem’offusquer. Bien entendu que je pars à la pêche aux compliments.Un petit
regonflaged’egodetempsentempsnefaitdemalàpersonne.—Hum…J’aimetesyeux,mêmesitutemaquillestoujourstrop.—Cen’estpasvrai,jemetsàpeineunpeudemascara.—Unpeu?—J’ailescilsnaturellementépaiset…d’accord,jemetsplusieurscouches,jesoupireensouriant.Ilm’adéjàvuetellementsouventaunaturelquelecoupdelananaparfaitesansartifices,jenepeux
pluslefaireaveclui.—J’aimetanuque.Jefermelesyeuxuninstantpourprofiterdesamainquibutinemoncouduboutdesdoigts.— J’aime aussi tes seins, souffle-t-il plus doucement, en laissant retomber samain qui frôlema
poitrineetvientseposersurmacuisse.Jemetourneunpeuverslui.—Jet’aime,toi.
30
Lise
J’arrêtederespirer.La première fois qu’ilm’a dit qu’ilm’aimait, nous venions de nous rencontrer. Ilm’a demandé
d’êtresacopineparcequ’ilavaiteuuncoupdefoudre.Jem’étaismoquéedelui.Aprèsça,iln’acessédeme ledire, tous les jours, jusqu’à ceque je le quitte.Onpourrait croirequede l’avoir si souvententendudanslepassérendraitcetaveubanaletsanssurprise.C’esttoutlecontraire.
Je sais la valeur que ces trois petitsmots ont pour lui. Il ne le dirait pas s’il ne le pensait pasvraiment.C’est là toutelaforced’Ange.Ilmedonneunpeudeluidanslesmotsqu’ilchoisit toujoursavecattention.Pourmoi.Parcequ’ilveutque je l’entende, icietmaintenant.Jemepenchevers luiet,justeavantquemeslèvresn’entrentencontactaveclessiennes,jeluisouris.
Jeneluidiraipas.Pasmaintenant.Jeveuxqueçaaitplusdesignificationqu’unesimpleréponse.Jechoisirai le moment précis où je veux le lui redire, moi aussi. J’attendrai l’instant idéal d’être saperfectioncommeilestlamienne.
C’estdéjàdimanchesoir. J’aiadorémonweek-end.Jen’aipresquepas travaillé…Cen’estpasgrave,j’aiprofitédechaqueinstant.Exceptépeut-êtrelesréveilsauxauroresd’Emma.Dimanchen’apasété plus prolifique en grassematinée que samedi, j’ai pourtant essayé d’êtremoins garce. Sans grandsuccès.Aumoins,sonpèreacomprisetl’agardéeloindemoiletempsquej’émerge.
Nous savourons unmoment de calme,maintenant qu’elle est rentrée chez elle. Audrey amis unreportageàlatélé,Anthonyn’estpasrentrétarddesatournée,SofianejoueàlaGameBoy(cetypeatouteslesconsolesvintagepossible)etjesuisvautréesurAnge.Ilpassedistraitementlamaindansmescheveux,caressemanuque,etrecommence.Jecroisquejevaism’endormirtellementjemesensbien.Pourmadéfense,jesuisréveilléedepuisbientroptôt,jen’aipaseumonquotadesommeil.
C’estmarrantcommejemesensàl’aisealorsquelaplupartdespersonnesdanslapièceétaientdesinconnusilyaàpeinedeuxsemaines.Je…mince,montéléphone.Décidément,impossibledes’extasier
sursonbonheur,cestemps-ci.Jedécrocheenmeredressant.—Monroe,j’aibesoind’unarticlebouche-trou,millecinqcentsmots,jemefousdusujet,ilmele
fautpourdemain.—Maisonestdimancheet…Lepetitenfoiréadéjàraccroché.—Unsouci?medemandeAngequin’apasperduunemiettedecetteconversationunilatérale.Oui, donc ilm’a juste entendue tentermollement de protester. Je sais queLans nem’écoute pas
quandjeparle,maisc’estplusfortquemoi,jedoismanifestermondésaccord,çamedonnel’impressionqu’ilmeresteunpeudedignité.Mêmesiçanesertàrienàpartmedécrédibiliserencoreplus.
—Jevaisdevoirrentrer,j’aiunarticleàécrire.Pourdemain.—C’étaitprévu?m’interrogeAnthonypendantquejemelèveetm’étire.—Non.Lebossordonne,j’obéis.Jeviensvraimentdedireça?Bah,inutiledefairesemblantd’êtreunerebelle.—Jevaischerchermesaffaires.—Jeviensavectoi.Angemesuitdans lachambreetmeregarde ramassercequi traînepar terre. Jen’avaispaspris
grand-chosepour cesdeux jours, or je suis dugenre àm’étaler et j’en aimis partout. Je retrouvemadeuxièmechaussuresouslelit.Ilneditrien,pourtantjevoisbiensonpetitsourireencoin,là.
—Quoi?jefinisparluidire,unpeuagacéeparsonmutisme.—Jemedisaisjustequecertaineschosesnechangentpas.—Commequoi?Jem’assoissurleborddulitetenfilemesDoc.—Commetonbordel.—Ah.Çava,j’aitoutramassé.—Tonbordelm’amanqué.—Maniaquecommetul’es,permets-moid’endouter.Ilvientseplacerdevantmoi,accroupi.Ilprendappuisurmesgenouxetm’embrasseavantdeme
lancer:—Toutm’amanqué.—Tuesmasochiste,c’estunfaitavéré.—Tuneveuxpasrestertravaillerici?—Travailler?Avectoidanslecoin?Ilmesouritetmelanceuneattaquefrontaledefossettes.Jemesurprendsparfoisàvouloirqu’ilse
rasepourmieuxlesvoir.Maisjeréalisequej’aimetropcettebarbequimechatouillechaquefoisqu’ilm’embrasse.Bon,lesfossettes.Jesuisplusfortequeça.Ilsouritencoreplus.Peut-êtrebienquejesuisunefaiblefemme,aprèstout.
—Tumelaissestravailler?—Promis.
Jenelecroispasuneseconde.Cen’estpasgrave,jemerattraperaicettenuit,sibesoin.Jeretiremeschaussures,ilnebougepas.
—Qu’est-cequetufais?—Rien.—Pourquoiturestesplantélà?—Jetelaissetravailler,commeprévu.—Non,làtuexhibesencoretasexytudeet…—Masexytude?—Rangetesfossettes,jedoistravailler.Vraiment.Je me lève et le contourne pour aller m’installer à son bureau. Je dois bien avoir un embryon
d’article quelque part dans mes dossiers. Histoire de démarrer sur quelque chose et éviter la pageblanche,c’esttoujoursplusmotivant.Ducoindel’œil, jeperçoisdumouvement,alors,commejesuistropcurieusepourrésister,jeregarde.Anges’estallongésurlelitetilm’observe.
—Tunefaisrien?—Jen’aipasdetafàladernièreminuteundimanchesoir,doncnon,jenefaisrien.—Tunedoispaspréparerlerepas?—Nope.—Prendreunedouche?—Nonplus.—Rangerunpeu?—Inutile,Audreys’enestchargée.—Tuvasdoncresteràm’espionnercommelevoyeurquetues?—C’estça.—Jedoisvraimenttravaillerettufaisleplay-boy,là.—Hum…Sexytude…Play-boy…Jecroisquetumetrouvesirrésistible.Jemetourneversluietfroncelessourcils:—Tunemetrouvespasirrésistible,aussi?—Jepensequejelesuisplusquetoi.J’aidesarmeslétales.—C’estpetit,ça.J’aiaussidesarmes.—Oui,saufquelestiennes,tudoistedéshabillerpourlesutiliser.Moipas.—Absolumentpas.Jepeuxtoutàfaitréussiràteséduireenétanttouthabillée.—Queen,pourjouerdanslacourdesgrands,ilfautenavoirlesmoyens.—Sijemesouviensbien,hiermatin,c’esttoiquiascraqué,non?—Tun’aspasunarticleàécrire?Classique. Jeprouveque j’ai raisonet,d’uncoup,mon travaildevient important. Jeme retourne
faceàmonordinateuret,cettefois,jemeconcentrepourdebon.JenesuispascommeceshéroïnesdesromancesdeFabioàmelaisserguiderparmesdésirsou…enfinsi,jelesuishabituellement,maispaslà.ParcequesiVoldemortmetombedessus,aussiinjustesoitlasituation,jevaisenentendreparlerun
moment. Je trouve un article que j’avais prévu pour dans deux mois. Il y a quelques semaines, j’aiinterviewéundisquairesurlequeljesuistombéecomplètementparhasarddansunepetiteruedeLyonetje m’étais dit que ça pourrait faire un sujet intéressant étant donné que c’est un métier en voie dedisparition.Cequ’ilyadepratiqueaveclesinterviews,c’estqu’ilsuffitdebroderunpeuautourethoponalebonnombredemots.J’avaismêmefaitquelquesphotosvraimentpasdégueulasses.Ilnemeresteplusqu’à…
—Jenetedérangepas?Non,tupenses,jen’aiaucunproblèmeàmeconcentrerpendantquetumelècheslecou.Etpuislà,
quandtumordillesmonoreille,jenem’enrendsmêmepascompte.Jeneteparlepasdecettemainquivientdes’incrusterdanslecoldemont-shirtetqui…voilà,cettemainquicaressemonsein.Jenem’enaperçoispresquepas.
—Jecroyaisquetudevaismelaissertravailler,jesouffleenmeredressantunpeusurlachaise.—Tu es une femme, je suis sûr que tu peux faire deux choses enmême temps.Enlève ton jean,
Queen…—Ange…Laporteestouverteet…Ils’éloigne.—Fermée,lance-t-ilentournantleverrou.Ilrevientderrièremoietapprocheseslèvresdemonoreille:—Lise,fais-moiplaisir,retiretonjean.—Pourquoifaire?jechuchote,déjàexcitée.—M’occuperpendantquetutravailles.Jem’ennuie.Jemelèveetenlèvemonpantalonsansmeretourner.Commejeledisais,inutiledefairesemblant
d’êtreunerebelle.—Avantdeterasseoir,retireaussitaculotte,ceserafait.—T’esgonflé,quandmême…Ilritetfaitpivotermachaisesur lecôtéavantdem’embrasser…puisdevirermapetiteculotte.
Mont-shirtmecouvrejusqu’àmi-cuisses,jenemesenspascomplètementvulnérable.—Assieds-toi.Jeluiobéisparcequ’ilaencoreceregarddemâledominantetquej’aibeaufairelamaligneetla
ramenersansarrêt, jesuisenréalitéexactementcommeleshéroïnesdeFabio.Faible.Guidéeparmeshormones.C’esthonteux,complètementhonteux.Exceptéquejen’aimêmepashonte.
—Parle-moidetonarticle…murmure-t-ildesavoixpré-sexe.Oui, il a une voix pré-sexe. Plus basse, avec des accents provocateurs qui envoient des ondes
directementàmonentrejambe.Letypeestillégalementarmé.Ils’agenouilledevantmoietposelesmainssurmescuissesavantdelentementlesécarter,sansmequitterdesyeux.Etils’immobilise.Ilmeregardeensilence.
—Quoi?—Tuneparlespas,jenebougepas.
—Vraiment?—Vraiment.—Oh.Alors.Heu…—Quelleéloquence,tuneseraispasjournaliste,parhasard?—Trèsdrôle.Ilm’embrasseàl’intérieurdelacuisseets’interromptaussitôt.—Oui,alors…Jemepromenaisenvilleavecunecopineet…Salangueremontepilelàoùjelavoulais.J’enperdslaparole.Ilarrête.—Queen…—Tunevaspasmedirequeçat’intéressesérieusementquejeteraconteçapendantquetu…tu
sais…—Non,eneffet,maisjeneveuxpast’éloignerdetontravailetqueçameretombedessus.Ahbenpourça,ilnefallaitpasdémarrer,aussi!—Ons’enfout,continue…Ilmesouritsanspourautantrecommencer.Ilesttêtuetjesuisexcitée,donc…—D’accord,jesuisentréechezcepetitdisquaireetj’aidiscutéaveclepropriétaireet…Ilajoutedeuxdoigtsqu’ilintroduitenmoisanscesserdepromenersalanguedehautenbas.Jene
peuxpasparlerduvieuxtypequivenddesdisques.Paspendantqu’il repliesesdoigtsà l’intérieurettouchecepointhypersensiblequimefaitsursauter.
—Ange,situarrêtes,jetefrappe.Jelesenssourirecontremoiet,heureusementpourlui,ilpoursuit.Ilattrapemajambeetlaposesur
sonépaule.Jem’appuiesurledossieretagrippesescheveux,jem’assurequ’ilnebougeplusdelàtantque je n’ai pas prismonpied. Il caressema jambe sans cesser un instant demedonner ce que je luidemandesilencieusement.L’orgasmemontelentement,maisjesensqu’ilarrivedéjà…Jememordslalèvrepouréviterdecrieretd’alertertoutlemonde.Ilssonttousinfirmiers,àtouslescoupsyenaunquidébarqueraitavecsatroussedesecoursenpensantquej’aiunsouci.Jelèvelebassinàsarencontreetlesgémissementsfranchissentmeslèvressansquejenepuisselescontrôler.Jecroisquejesuisdiscrète,jecrois.
QuandjeredescendssurTerreetouvrelesyeux,ilmeregardedelà,enbas.Mapoitrinesesoulèveenrythmeavecmarespirationsaccadée.
—Tuasunarticleàécrire,Lise.—Tunet’ennuiesplus?Il se lèche les lèvres. Puis les doigts. Je crois que je vais avoir un orgasmemultiple juste à le
regarder.Ilramassemaculotteetmelaremetméticuleusementavantdesereleveretdem’annoncer:—Non,jenem’ennuieplus.Tupeuxtravailler,jevaisbouquiner.—Mais…—Saufsituasuneautreidée…—Ceneseraitpassérieux…
Ilreparts’installersurlelit,commesiderienn’était.Vraiment?Jelaissemont-shirtretombersurmonépaule,exagérément,etjemepenchebeaucouptropenavant
pourramassermonjean.—Queen…—Pardon,jetedérange?jeminaudeenprenantunepauseridiculementaguicheuse.Purée,jeviensdemedéboîterlahanche.Commentfontlesallumeusesprofessionnelles?—Pasdutout,continue…—Commentça?Jenevoispasdequoituparles.Ilposesonlivre,seredresse,croiselesbrasetattend.Jemesensd’uncouptrèsempotée.Etma
hancheme lance. J’improvise. Je jettemon jeanplus loinetmordillemon indexenprenantunairquej’espèreinspiré.Ilrit.
—Tutefousdematechniquedeséduction?jeluidemande,vexée.—C’estça,tatechniquedeséduction?—Ben…Jen’enaipasvraiment,alorsoui,çadoitêtreça.Ilgrimace.Jemelaissetombersurlachaise.—Tuabandonnesdéjà?s’étonne-t-il.—C’estfacilepourtoi,tuesjuste…toi…etçamarche.Moi…—Toic’estpareil.—Vraiment?Ilhausseunsourciletmoilesépaules.Etjeparlesansréfléchir:—Combien?Sonairdevientsérieuxetjesaisqu’ilcomprendmaquestionetquejen’aipasbesoind’élaborer.
Jepensaisnepasvouloirsavoir,exceptéquemaintenant,alorsquejetenteeffectivementdeleséduire,jemedemandesid’autresl’onttentéaussi.
—Cinq.Jedéglutisetj’essaiedefaireunemoyenne.J’aitoujourséténulleencalculmentalalorsjelaisse
rapidementtombermesstatistiques.—Chaquefois,medit-ild’uncoup.—Quoi?—Jepensaisàtoi,chaquefois.Onn’oubliepassapremièrefois.Onpeutoubliercertaineschosesparcequelecerveaudoitfaire
dutri,libérerdel’espacesurledisquedur.Maisonn’oubliepassapremièrefois.Lamienneétaitaveclui,alorsçameparaîtévidentden’avoirjamaiscessédepenseràluietdecomparerlestroispauvrestypesquin’ontfaitquepasserdansmavieaprèslui.Or,Ange…jenesuispassapremièrefois.
—Pourquoi?jeluidemandesanslequitterdesyeux.—Çaatoujoursététoi,Lise.Depuisquejet’aivuedanslecouloir,devantchezmesparents.J’ai
su.—Oui,pourtanttum’envoulais.
—Beaucoup.Maisjet’aimaisplusquejenet’envoulais.Jemelèveetlerejoins,jemeplaceàcalifourchonsurluietl’embrasse.
Ange
Jen’arrivepasàluimentir.J’aibesoindeluidire.Tout.Moi.Elle.
31
Lise
Je n’ai pas pu racontermonweek-end à Annabelle. Depuismon retour, elle n’a pas eu un seulinstantdelucidité.Ambrem’aparléduleuretçan’apasétéaussidifficilependantdeuxjours.Jesuisrassurée.
J’aicommencéàrassemblersesaffaires.Lamaisonoùellevaallerdansunpeuplusd’unesemaineestvraimentunétablissementhautdegamme.Ellepeutmêmeapporterdesmeublessielle lesouhaite,pour garder un environnement familier. Pour le moment, je m’occupe de ses vêtements, ses effetspersonnels,jeveuxpouvoirvérifierçaavecellequandelleneserapaspartiedansuneépoquedesaviequin’estplusdepuislongtemps.Uneépoqueoùjen’existaispas,etlorsqu’elles’yplonge,jenesuispluspersonne.C’estprobablementçaquiestleplusdifficileàgérer.Lavoirs’éloignerdemoietnepass’enapercevoiralorsquejesouffredechaqueannéesupplémentairequinousséparedanssonesprit.
UnSMSmesortdemespensées:«JEPEUXPASSERDANSDIXMINUTES,4°?»
Jesourisetluiréponds:«OK»Jefinisdeplierlelingequej’aisortidel’armoireetindiqueàFrançoise,quiestdegardecematin,
quejesorsquelquesminutes.Jemonteentrelequatrièmeetlecinquièmeétageetilm’yattenddéjà.Cepetitrendez-vousclandestinadesalluresderevivalquimeplaisent.Ilmesouritetnousneperdonspasdetempsàparler.Ilm’embrasselonguementavantdesereculer:
—Jedoisyretourner.—Tunedevraispasfairededétourjustepourmevoir.—J’étaisdanslecoin.Etçaenvalaitlecoup.Ilm’embrasserapidementetdescendlesescaliers.Speedflirting…—Oh,pardon,Lise,jepensaisquepluspersonnenevenaitsepelotericidepuisdixans…Le vieux monsieur du dessus passe tranquillement devant moi. Mince, et moi qui croyais que
personneneprenaitjamaislesescaliers,surtout!
—Bonjour,MonsieurPonlois.—Jefaismonexercicedujour!melance-t-ilavantdedisparaître.Jesuisraviedel’apprendre.
Ange
Toutelasemaine,jevienslavoir.Toutelasemaine,elleserenddisponible.Jel’embrasse.Etjerepars.Toutelasemaine,etcen’estpasencoreassez.
Lise
Toute la semaine, il s’est arrangé pour venir me voir dès qu’il a eu un moment. Nous ne noussommespasvusendehorsdecesinstants,carilaeudeshorairesdécalés.Alorsquandilm’aproposéderevenir passer leweek-end chez lui, jeme suis débrouillée avec les aides à domicile etme voilà deretourdansleursalon,àjoueravecEmma.
—Jesuistonpère.J’y mets le ton, l’effet de style et tout. Mon Playmobil n’est peut-être pas le vrai Dark Vador,
pourtant,avecsonarmuredechevaliernoir,jetrouvequ’ilenaunfauxair.Emmasoupire:—Heu…non,c’estpaslui,sonpère.Sonpèrec’estleroietluic’estlevilainchevalierquiveut
pasquelaprincesseellesemarie.—Tusais:StarWars…Toutça?—Lise, elle a cinq ans, elle n’a pas encore vuStarWars,m’informeAudrey comme si j’étais
intellectuellementlimitée.Moijedis,iln’yapasd’âgepourdécouvrirLukeSkywalker,etsurtoutHanSolo.—EtSofianeneluiapasencorefaitregarderlefilm?jem’étonne,connaissantunpeulegeek.— J’ai presque six ans, nous fait remarquer Emma en se redressant, comme si ça allait la faire
paraîtreplusâgée.—Sixans,c’estlebonâgepourcommencertonéducation,intervientAnthonyensevautrantsurle
canapé.Hein,monpetitAngelot?Ilesttempsdemontreràtafilleunvraibonfilm.Angenerelèvepas.JecroisquequandAnthonyl’appelle«monpetitangelot»,ill’ignore.Etplus
ill’ignore,plusAnthonyaimel’appelercommeça.C’estétrange,parcequ’icijemesensvraimentchezmoi.Jeremarquecesdétails.Alorsquejesuis
du genre à apprécierma solitude, à aimer avoirmesmoments tranquilles. Dans cettemaison, surtoutquandEmmaest là, c’est rarementpossible.Et çanemeposeaucun souci.C’estprobablement lié aublondinetquiessaiedeliredanslefauteuilenfacedemoi,malgrélebordelambiant.Jepensequ’avec
lui je pourrais vivre à peu près n’importe où. Enfin, pas dans un bidonville quand même, faut pasdéconner.Jemecomprends.
Mon téléphone vibre dans ma poche, m’empêchant de me perdre à nouveau dans des déliresfabiesques.
—Ambre?Toutvabien?—Lise, je suis désolée, elle est encore tombée, nous partons aux urgences avec les pompiers !
bafouille-t-ellealorsquej’entendseffectivementduremue-ménagederrièreelle.Jeme lève en abandonnantmon chevalier noir etme rends dans la chambre pour récupérermes
chaussures,monsac,toutencontinuantàparler:—Commentça,elleesttombée?Personnenelasurveillait?—Si,bien sûr,maiselleaprofitédumomentoù je suisalléechercher son thépourpasserpar-
dessuslabarrièredulit.Jefermelesyeux,jenedoispasm’enprendreàAmbre,cen’estpassafaute,onnepouvaittoutde
mêmepasattacherAnnabelle.Qu’est-cequ’ellefaisaitàescaladersonlit?J’aidûposerlaquestionàhautevoix,carellemerépond:
—Elledisaitqu’ellevoulaitunnouveauFabio,jesuisdésolée,Lise.—Cen’estpastafaute,jevousrejoins.SaletédeFabio!JeraccrocheetAngearrivedanslachambre:—Lise?J’enfilemesDocsansmeretourner:—Annabellepartauxurgences,elleesttombée,jedoisyaller.—Jet’accompagne.—Non,çaira,resteavectafille.—Elleal’habitudequelesautress’occupentd’elle.AudreyetAnthonypeuventlagarder.Ilfautquejerestecalme,m’angoisserneserviraàrien,elleestaveclespompiers,elleestentrede
bonnesmains.J’attrapemonsacetyfourremontéléphoneavantdesortirdelachambre.Mince,Ange,jel’aioublié!Jerevienssurmespasetprendssamain:
—Pardon,je…—Onyva.Detoutefaçon,mavoiturebloquelatienne.Ilm’entraînederrièreluietexpliquevitefaitlasituationenpassantausalon.Emmanousregarde,
inquiète,alorsjem’approched’elle:—Toutvabien,Annabelles’estjustefaitunboboalorsonvaallerlavoirets’occuperd’elle.Ellehochelatête,sansavoirl’airrassurée.—Tusais,lesdocteurssontavecelle,onvajusteluitenircompagnie.TupeuxveillersurAudrey
etAnthony?Parcequetusaisquesionleslaisseseuls,ilsvontfairen’importequoi.Tupeuxaccomplircettemissionpourmoi?
—Oui!Etmêmequesic’estmoiquilesgarde,ilsdoiventfairecequejedis?
—Exactement.Et tusais,à l’hôpital, ilyacesbarresauchocolatdanslesdistributeurs,onn’entrouvequedanscesmachines.Jet’enrapporteraiune,ceseratarécompensepourm’avoirrenduservice.Ettuaurasmêmeledroitdelamangeraprèsdix-septheures.
—TupeuxallervoirAnnabelle,moijegardelamaison.Jeluitendslamain,ellelaserreetjemerelève.Angemeregardebizarrement.Qu’est-cequej’ai
dit,encore?IlvientprendreEmmadanssesbras,faitunsignedumentonàAnthonyetnoussortons.—Ambret’aditquoi,exactement?Je lui répète les maigres informations que je possède et nous roulons vers l’hôpital, qui n’est
heureusementpastrèsloin.
Angeadûrepartirpourvoirsafilleavantdelareconduirechezsamère.Ilestrestéunmomentavecmoi,ilaparléauxinfirmières.Àmoi,iln’apasditgrand-chose.Iln’acesséd’avoirceregardétrangedepuisquenoussommespartisdechezlui.J’essaiedenepasm’inquiéter,nousétionstouspréoccupésetilétaitsûrementenmodeprofessionneldelasanté.
Annabelleasubiuneopérationenurgence.Àprésent,elleestremontéeenchambre,oùAmbreetmoi l’attendions. Annabelle a donc rouvert sa première fracture qui n’était pas encore complètementguérie, bien sûr, c’était trop récent. La rééducation va être bien plus compliquée, à présent. Pour lemoment,elledortetj’enprofitepourredireàAmbrecequejeluirépètedepuisdesheures:
—Cen’estpastafaute,çaauraitpuarriversouslasurveillanceden’importequi.—Oui,mais…—Non,pasdemais,sérieusement.Etpuisregarde,ellevabien.Tout en le disant, je sais que c’est un mensonge. Je sais que son état mental risque fort de se
dégraderaprèscenouveauchoc.J’aidéjàappelélamaisonderetraite,touteslesdispositionssontprisespourqu’elleypasse sa convalescence, car c’estunétablissementmédicalisé,bienentendu.Annabelleavaitvraimenttoutprévu.Saufpeut-êtresafolleattirancepourFabio.
—Jenecomprendspaspourquoiellen’apasattenduquejereviennepourmedemanderunlivre.Enplus,ellen’yvoitpasassezbienpourlire!s’étonneAmbre.
—Ellen’avaitpasl’intentiondelelire.—Commentça?—Ellematelescouvertures,jeluichuchoteenriant.—Non?—Ehsi.Elleéclatefranchementderireetjesuiscontented’avoirréussiàladétendre.Jeculpabiliserais,à
saplace.—Lesvisitessontterminées,Mesdames.—Oh.Jesuiscommesafamille.—Voussavez,ellevadormir jusqu’àdemainmatin, jevousconseilledereprendredesforceset
vouspourrezreveniravantl’heureofficielle,m’annoncel’infirmièreensouriant.
Jeme lève, elle a raison, je suisdéjà fatiguéeet rester à la regarderdormirne rendra service àpersonnequandjeneseraibonneàrien,demain.
—Mince!Jen’aipasmavoiture!Jesuiscomplètementàcôtédemespompes.—Onvapartageruntaxi,jedoisdetoutefaçonrécupérerlamiennechezAnnabelle.Ça,çam’inquièteencoreplus:Ange,quiestsiattentionnédenature,n’amêmepasréaliséqueje
meretrouvaiscommeuneconnesansmoyendetransportparcequemavoitureestchezlui.
32
Lise
Encoreunefois,jedétestemeretrouverseulechezelle.Rienqu’àl’idéeque,bientôt,ellen’yvivraplusdutoutetquejevaisdevoir…quoi?Vendre?Jenepeuxpasm’yinstaller,mavien’estpasici.Mince,qu’est-cequejefous?Pourquoijesuislà,entraindeconstruirequelquechoseavecAnge,alorsquemontravail,monappartement,mesamis,toutestàdescentainesdekilomètresd’ici?
J’aidéconné.J’aifaitl’autrucheparcequejevoulaisvraimentêtreànouveauavecluietmaintenant,quoi?Enplus,ilnem’apasappelée,ilestplusdevingtetuneheuresetilnem’adonnéaucunsignedevie.Jenevaispaspaniquer.
Ohsi,jepanique.Montéléphonevibre.Jelecherchefrénétiquementdansmonsac.Pourquoij’aitouscestrucsdans
monsac?Jeletrouveenfin,c’estAnge.—CommentvaAnnabelle?—Elledormaitquandjesuispartie.—Tueschezelle?—Oui,je…—J’arrive.Ilraccroche,enmodeVoldemort,etjesouris.C’estexactementcedontj’avaisbesoin,saprésence.
Etmoinsdevingtminutesplus tard, il est là. Ilme faitungroscâlinet je ferme lesyeuxpournepaspleurer.Ça ne servirait à rien et la situation n’est pas si catastrophique, n’est-ce pas ? Ilme conduitjusquesurlecanapéetjemeblottiscontrelui.Nousneparlonspas,ilestjustelà,etc’estprécisémentcequimefaitdubien.
Ange
Jevoudraisfairepluspourelle.Jen’aimepaslavoirtriste.Abattue.Fatiguée.Jepeuxluimontrerquejesuislà.Pourelle.
Lise
Jemeréveilledansmonlit.Ilestallongéderrièremoietmeserredanssesbras.C’estlemilieudelanuit.Jebougeunpeu,ilseredresseaussitôt.
—Désolée,jenevoulaispasteréveiller.—Jenedorspas.Jedoispartir.Jevoulaism’assurerquetuvasbien.Jemeretourneetluifaisface:—Merci.Ilmeserreunpeuplus.—Tudoispartirmaintenant?Ilesttroisheuresdumatin…—Jedémarrematournéetôt,jedoismechanger,récupérermonsac…—Biensûr,oui.Ilselèveetjeveuxl’imiter,maisilposelesmainssurmesépaulesetmerallonge:—Dors,jereviensdemain.Ilm’embrassevitefaitsurlefrontetiln’estdéjàpluslà.
Cematin,elleme reconnaît.Cequiestcomplètementparadoxal,carelleest shootéeà jenesaiscombiendecalmantscontreladouleur.
—Jesuisdésolée,Lili,jenesaispascequim’apris.—C’estlepouvoirdeFabio,net’enfaispas,tun’espaslapremièreàabandonnertoutelogique
pourlui.—Ambrevabien?—Elleaeutrèspeuretelleculpabilise,çaluipassera.—Ilsveulentmegarderjusqu’àdemain.—Etlamaisonderetraitet’attendpourtaconvalescence.—Tuesenpaixaveccetteidée?
—Pastotalement,maisjesaisque,pourtasanté,c’estcequ’ilyademieuxàfairepourlemoment.—Jelepenseaussi.Elletendlamainetjelasaisis,uneminuteplustardelles’estrendormie.C’estagréabled’avoireu
unéchangecohérentavecelle.Peut-êtreundesderniers…Lesmédecinsm’ontprévenueetontconfirméma crainte qu’après ce genre de choc, étant donné son étatmental actuel, le déclin risque d’être plusrapide.Detoutefaçon,c’est inévitable,maintenant laseuleinconnuec’est lavitesseà laquelleellevas’enfermerdanssonpassé.
JedoisretrouverAngechezlui,cesoir.IlsfinissenttousasseztôtetSofianecuisine.Avantça,jedois passer à lamaison de retraite voir si tout est prêt d’un point de vue administratif, puis faire unpremier voyage avec les affaires d’Annabelle. Nous sommes convenues que, pour le moment, ellen’apporteraitpasdemeubles, lasituationétanturgente,nouspasseronscetaspectenrevueunpeuplustard.
Ma journée file sansque je trouve le tempsdemangernimêmedemeposer. Jeveuxqu’elle sesentebienaccueilliealorsjefaismonmaximumpourdécorersonnouveaulieudevieavecsesphotos,deuxtableauxquiétaientaumurchezelle,j’aiaussiapportéquelquesbibelotset…mêmesicesontlesarmesducrime…j’aiprisseslivresdeFabio.Jemesuisfaitleplaisirdedessinersursonvisaged’undesromansquenousavionsdéjàlus.C’estsalvateuretçam’évitedetropm’énerverquandjepenseàlaraisonstupidequiaramenéAnnabelledansunlitd’hôpital.
Lorsque j’aienfin terminé l’aménagementdesanouvellechambre, jeprendsunmomentpour toutobserver.Jem’imprègnedeslieuxenmerépétantcommeunmantraquec’estcequ’ilyademieuxpourelle,c’estcequ’ellevoulait,elleyserasoignéeetsurveillée.Laculpabilitémerongetoutdemême.Cardepuis toujours, j’ai unpoint devuebien arrêté sur lesmaisonsde retraite, lesmouroirs…Jamais jen’auraiscruyavoirrecourspourAnnabelle.Jen’aipasvraimenteul’opportunitéderésister,commentluirefusercequ’elledemandelorsqu’elleestlucide?Ceseraitl’infantilisertotalementetjenepeuxpasluifaireça.Alorsj’occultecetteculpabilité,carilnes’agitpasdemoi…ils’agitd’elle.
JesonnechezAnge,j’entendsdeséclatsdevoixàl’intérieur.Ilssontentraindes’engueuler?Laportes’ouvresurSofianequiporteunmignonpetittablierautourdeshanches.Commentsefait-ilqu’untypeaussimâlenesoitpasridiculeavecuntablierdecuisinièrealorsquemoi,sij’enporteun,c’estfourireassuré?
—Ange!Elleestlà!hurle-t-il,avantdememurmurer:neluienveuxpastrop…—Dequoi?Angedébouledansl’entréeetilavraiment,vraimentl’aircontrarié.—Tufoutaisquoi?Heu…mondeparallèle,bonjour?—Jet’appelledepuisdeuxheures!—Jen’ai pas entendu, bonsoir à toi,Ange. Je suis raviede te voir.Moi aussi,Lise, çame fait
tellementplaisirquetusoislà.Jet’enprie,Lise,entredonc,nerestepascommeuneconnesurlepasde
laporteà tefaireengueulerparunespècedeconnardquin’aaucuneconsidérationpour la journéedemerdequetuviensdepasser!jefinisparcrieravantdetournerlestalons.
J’arrive devant ma voiture avec des larmes de colère qui menacent de s’échapper. Non, pasquestiondeluidonnerlasatisfactiondevoirqu’ilpeutm’atteindreaussifacilement.Oùsontmessaletésdeclefs?Ilfautvraimentquejefasselevidedanscesac!
—Queen,je…—Neme«Queen»pasaprèsl’accueilquetuviensdemefaire!Bon,ben,tantpispourleslarmes.Jecroisdetoutefaçonquemadignitéestalléeseplanquerquand
j’aicommencéàmedonnerenspectacledanslarue.—J’aicruquetuétaispartie,murmure-t-ilenévitantmonregard.—Quoi?—Tunerépondaispas,jesuispasséchezAnnabelleettun’étaispaslà.J’aifiniplustôt,jevoulais
venirtechercherettunerépondaispas…Il a l’air en totale panique. Je fouille dansmon sac et en sorsmon téléphone.Ah oui. J’ai sept
appelsenabsence,troismessagesvocauxetneufSMS.Tousd’Ange.Ilacomplètementpaniqué.—J’aioubliéd’enleverlemodesilencieuxensortantdel’hôpital.Jeconstateçapluspourmoi-mêmequepourmejustifier.—J’aivraimenteupeur.—J’aicompris,çanetedonnepasledroitdemeparlercommetul’asfait.—Jesais.J’aidéconné.Mais…—Oui,j’aicompris,tuaseupeur.Jetrouveenfinmesclefs.—Jeneveuxpluspasserlasoiréeavectoi.Jet’appelleraiquandjeseraicalmée.Jemontedansmavoitureetilalebonsensdenepasessayerdem’enempêcher.Jeneleregarde
pas,jenedoispasleregarder,jesuissûrequesonairdésolémeferaitchangerd’avisetjenedoispaslelaissersecomportercommeçaavecmoi.Iln’apasréfléchiuneseconde,c’estévident,cars’ill’avaitfait, il aurait compris que,Annabelle étant à l’hôpital, je n’allais pas l’abandonner. Je préfère ne paspenseraupeudecréditqu’ilaccordeànotrerelation.Çamemettraitencoreplusencolèreetjeseraisfoutuedeluiroulerdessus,puisdefairemarchearrièrepourl’achever.Aulieudeça,jedémarreetjesuistellementénervéequ’ilmefauttroisessaispourparveniràpasserlapremière.Jefaiscommes’iln’étaitpasentraindemeregarderpartir.Etjeréalisequ’iladéjàvécucettescène,àquelquesdétailsprès,etquejenesuispasprêteàluiinfligercereplay.Jesouffleunboncoupavantdecouperlecontact.
Jesorsetm’avanceverslui.Ilmefixesansriendire,lamâchoireserrée,lesbrastenduslelongdeson corps, les poings fermés. Je passe devant lui sans m’arrêter et rentre dans la maison. Je vaisdirectementdanssachambre,yposemonsac,etjem’appuiedesdeuxmainssurlebureauletempsderetrouvertotalementmoncalme.Jel’entendsentreretfermerdoucementlaporte.Jenebougepas.Ilseplacederrièremoi,sansmetoucher.
—Pardon.
Il passe sesbras autourdema taille et jemedétends aussitôt. Je saisqu’il est fragile,mais j’aivraimenteuunejournéedifficile.Jenepeuxpastoutgéreràlafois.J’aibesoind’unepause.
—J’aiaménagélachambred’Annabelleàlamaisonderetraite,jechuchote.—Jesuistellementdésolé,Lise.Jemeretourneetilmeserredanssesbras.Alorsbon,maintenantquej’ysuis,jepleuresansretenue
parce que j’ai cumulé, aujourd’hui, et qu’à unmoment, il faut bien que ça sorte.Et je ne vois pas demeilleurendroitquelesbrasd’Angepourm’autoriseràouvrirlesvannes.
Je suis rentréechezAnnabelle justeaprès le repas.L’ambianceétait tendue,de toute façon,et jen’avaispasbesoindeça.J’aicrucomprendrequ’Angeavaitunpeupétélesplombsquandilaimaginéque je l’avais quitté. Il a gueulé sur tout le monde.Même Audrey et sa patience n’ont pas résisté àl’attitude qu’il a eue avec eux. J’ai prétexté une migraine et suis retournée chez moi après l’avoirembrassérapidementsurlepasdelaporte.
Chezmoi.Non,chezelle.Chezmoi,cen’estpasici.Ils’estmontrédistantduranttoutlerepasetjen’arrivepasàsavoirsic’estparcequ’ilavaitpeur
d’êtreallétroploinous’ilétaitencoresouslechocdemondépartquin’enétaitpasun.Jepréfèremettreçade côté,demain j’accompagneAnnabelle à lamaisonde retraitemédicalisée et jeveuxêtre à centpour cent disponible pour elle. Ma vie sentimentale peut attendre vingt-quatre heures avant d’êtreanalysée.Jepassemontempsàtoutanalyseretj’aiparfoisenviedemedire«vis,bordel!»
Ange
—Qu’est-cequetufous?JerelèvelatêteetAnthonymeregardebizarrement.—Quoi?—Liseestseule,ellealaisséAnnabelleenmaisonderetraitetoutàl’heure.Jerépète:qu’est-ce
quetufous?Jeluimontrelelivrequejesuisentraindelire.Ilestdemeuré?—Situn’aspasl’intentiond’alleravecelle,j’yvais,moi.—Pardon?—Elleestseule,Ange.Elle traversedesmomentsdifficileset turestesvautrédansunfauteuilà
lirealorsqu’elleabesoindetoi.Jenepensaispasquetupouvaisêtreunsigrosconnard.Jel’observemettrelaconsoledeSofianedansunsacetattraperlaguitareaupassage.Ilsedirige
versl’entréeetjelerattrape,l’obligeantàseretourneretàs’arrêter.—C’estquoitonproblème?EnquoiçateconcernecequefaitLiseetavecquielleestet…—Non,tuasraison,çanemeconcernepas.Toi,oui.Pourtant,tun’espasavecelle.—Jenousrendsserviceàtouslesdeux.—Tupeuxdévelopper?—Annabelleestenmaisonderetraite,Lisevaretournerchezelle.Emmaetmoi,nousallonsnous
retrouvercommedeuxconssurletrottoiràlaregarderpartir.Jenepeuxpluslaregarderpartir.—Alorsc’esttoiquipars?Jenerépondspas.J’aiinlassablementtournélasituationdansmatêtedepuishier.Depuisquej’ai
cru qu’elle était partie.Depuis que j’ai réalisé qu’elle avait déjà trop d’importance dans nos vies, àEmmaetmoi.Depuisquej’aicomprisqu’elleallaitrepartir.
Etquandellerepartira,ceseramafilleetmoi.Encore.Sanselle.—Sais-tuàquelpointc’estdifficilede tomber surquelqu’unqui teveutvraimentdans savie?
Non?Parcequemoi, je lesais.Etdeschances, tupensesquetuenaurascombien?Tudevraisavoir
hontedenemêmepasessayer.Jedonneraisn’importequoipourêtreàtaplace.Jenedistoujoursrien.Nousneparlonsjamaisdeça,cettediscussionquenousavonseueunsoir
arroséetquifaitpartiedessujetsquenouslaissonsdecôté,luietmoi.Sonpasséetlemiennepeuventpas être comparés. Je comprends ce qu’il veut dire.Mais ça ne change pas la façon dont je vois lasituation.Jeveuxautantêtreavecellequej’aipeurqu’ellemequitteànouveau.Qu’ellenousquitte.
—Abruti.Ilsedégageetsort.Etjenefaisrienpourl’enempêcher.
Lise
—Anthony?Qu’est-cequetufaislà?Ilmesouritetramasseunsacdesportquiétaitàsespieds:—J’aiamenéGuitarHero.J’aiunerevancheàprendre.—EtAnge?J’aibienconscienced’avoirl’airdésespérée,maisjen’aipaseudenouvellesdelajournée.Iln’a
pas réponduquand j’ai appelé. Iln’apas répondunonplusàmesSMS.C’estde luidont j’aibesoin,maintenant.LaisserAnnabellelà-bas…çaaétébienplusdurquejenemel’étaisimaginé.
—Ilneviendrapas,Queen.Ilabesoind’unpeudetemps.Jemedécalepourlelaisserentreretj’assimiledoucementcequ’ilestentraindemedire.—Commentça,«ilabesoindetemps»?Dutempspourquoi?Dequoituparles?Ilsoupireetseretourneversmoi:—Ilajustebesoindecomprendrequetufaispartiedesavie.Laisse-luiquelquesjours.—Jenecomprendspas,ilnem’ariendit,il…—Ilnedirarien.Ilestdugenreàtoutgarderpourlui.—Mais…—Lise, fais-moi confiance, il va revenir vers toi. Juste, sois patiente, ne l’abandonnepas, il va
revenir.Mêmesiondoits’ymettreàplusieurspourqu’illecomprenne,ilreviendra.Ilreviendra?Jenesavaismêmepasqu’ilétaitparti.Jeclignedesyeux,unpeusonnée.Ilposeles
mainssurmesépaulesetmelance:—Bon,onselafait,cetterevanche?
33
Lise
Deux jours. C’est le silence radio depuis deux jours. J’essaie de faire confiance à Anthony, ilconnaîtmieuxAnge quemoi. Il vit avec lui depuis des années et sait comment il fonctionne. Je suisfranchementsouslechoc.Pasunmessage,rien.C’estcommeçaqu’ilmequitte?C’esttoutcequenotrerelation représente pour lui ? Je suis peut-être partie en le mettant devant le fait accompli sans luidemandersonavis,ilyaneufans,maisj’aieulecrandeluidireenpersonnequec’étaitterminé.Çamedonne envie de débarquer chez lui et de le mettre face à ses responsabilités, qu’il soit obligé dem’expliquer.Mince!Unpeuderespect!Jen’yvaispas,uniquementparcequ’Anthonym’ademandédeluilaisserunpeudetemps.
Maisjenesuispaspourautantenpaixaveclasituation.Jepenseàlui,toutletemps.J’aimalauventreenimaginantqu’ilneveutplusdemoi.J’aipeur,j’aivraimentpeurquecesoitterminé.Quecettefois,ilsedisequ’ilestmieuxsansmoietqu’ilmetournedéfinitivementledos.Jenemangepas,rienn’ade saveur, ou elle ne m’atteint pas. J’ai l’impression d’être dans une bulle et d’entendre le mondeextérieurloin,trèsloindemoi.Caruneseulepenséeoccupemonesprit.
Lui.Cequ’ilavécuquandjel’aiquitté,c’étaitça?Cemanquetellementintensequ’unepartiedemoi
sembleavoirdisparuenlaissantunimmensevide.Savoirquel’autresedétache,s’éloigne,etqu’onrestesurlebordducheminàleregarders’éloignersansréussiràleretenir…c’étaitça?Jeluiaivraimentfaitvivrecetenfer?Lasensationden’êtreplusentière,etceslarmesquinesetarissent jamais,c’étaitsavie,aussi?
Et enmême temps, je suis en colère, je lui en veux. Je navigue entre désespoir et ressentiment,agacementetapitoiement,l’envied’êtreavecluiet…non,justed’êtreaveclui.Mêmesafillearéussiàmerendreaccro.
Quandonsonneàlaporte,cematin,jem’yprécipiteparcequejesaisquec’estlui,çanepeutêtrequelui.Ilmedoitaumoinsuneexplication,non?Saufquecen’estpaslui,c’estlefacteurquimetendun
recommandé,àmonnom.Jesignemachinalementetvaism’installersur lecanapépour l’ouvrir.C’estunelettred’Annabelle.
Ange
Jen’yarrivepas.J’aiprismontéléphonevingtfois.JesuisallédevantchezAnnabelleaumoinsautant.Jen’yarrivepas.Jerepenseàlapremièrefoisqu’elleestpartie.Etjem’éloigne.
Lise
—Tufaisquoi?Jelèvelenezdemonordinateuretj’essaiedenepastropm’apitoyersurmonsortendécouvrantla
petite main potelée d’Emma qui s’agite au-dessus de la barrière, sur le balcon mitoyen. Parce queforcément,ellemerappellesonpèreetcequejesuisentraindeperdre.Jemelèveetmecomposeunmagnifiquesouriresurlevisage.J’aisûrementl’airpluscrispéequ’heureuse,onfaitcequ’onpeut.
—Bonjour,Emma,commentvas-tu?—J’aifaitcacamoualorsçavapastrèsbien.Maiscesoironvavoirlefeud’artificeparceque
c’estlafêteduquinzeaoût,mamieelleadit,alorsjedoisplusêtremaladepouryaller.Jemeretiensderirefaceàlaspontanéitédesadéclaration.Lesenfantssontformidables.Enmême
temps,jeluisuisreconnaissantedemefairerire,carcen’étaitpasgagné.Mêmesic’estbienmalgréelle.—Tudevraismangerdurizetdescarottes.—Mamieelleaditqu’ellemefaisaitdurizparcequeçaempêchelecacamou.—Tamamieatoutàfaitraison.—Tureviendrasavecmoichezpapacommel’autrefois?—Jenepensepas,j’aibeaucoupdechosesàfaire.—C’estpasvrai,tuessurtonordinateur.—Oui,c’estmontravail,justement.—L’ordinateurc’estpasuntravail,c’estpouracheterdeschosesouregarderdesvidéosdechats
toutmignonsquifontdesbêtises.—Non,çasertaussiàécrire,parexemple.Etmoi,montravail,c’estd’écrire.—Tupeuxl’amenerchezpapa,tonordinateur.—J’aibesoindecalmepourmeconcentrer.Comment expliquer à cette gamine que son père neme veut visiblement plus dans les parages ?
Impossible,doncjetrouveuneexcusefoireuse,saufquecettepetiteesttenace.—Ouimaismoijeveuxjoueravectoi.
—Danslavie,Emma,onn’apastoujourscequ’onveut.—Ouimaistoituavaisditqu’ontermineraitnotrehistoire.—Onpeutlafinirmaintenant,situveux.—Non,parcequemesPlaymobililssontchezpapa.Damned,elleestpirequetenace.—EtsionjouaitauxPetShop,plutôt?—J’aipasenvie.—Danscecas,jevaisretournertravailler.Elles’envaenboudant.Jevaisencoremefaireengueulerparcequej’aifaitpleurerlamioche.Ah
non.Ilnemeparleplus,doncilnepourrapasm’engueuler.Voilà,toujoursvoirlepositif,toujours.
—Turentres?medemandeLoïc.Jecaleunpeumieuxmontéléphonecontremonépauleetrassemblemonlinge.—C’estça,jeparscematin.—Ettuneleluidispas?—Non.Ilnerépondpasautéléphone,jenevaispasnonplusramperdevantchezlui.—Tunejouespasunpeuaveclefeu?—Saurin,tuesdequelcôté?—Letien,biensûr,letien!Etdepuisquandtuarrivesàt’exprimercommeVoldemort?Jesuistrop
jaloux,j’aieupeurdetoipendantuneseconde!—Àforcedel’entendremeparlercommeça,jepensequejeprendssestravers…Eh,çaveutdire
quepeut-êtreunjourjepourraiêtrerédacchef,moiaussi!Il ritetnousnousdonnonsrendez-vousendébutdesoirée.Jeraccrocheetvaissur lebalcon.Le
pèreestpeut-êtreunabruti,lafillen’acependantrienfaitpourmériterça.Jel’entendsjouerdepuisunmoment,alorsjem’approchedelabarrière:
—Emma,viensvoir.Elleselèveets’approcheensouriant.Elleadéjàoubliéqu’hierellem’envoulaitàmort.J’adore
cettegamine.—Jevaisdevoirm’absenter,alorsjevoulaisteledire.—Tuvascheztoi?—Oui.—Ettuvasrevenirquand?—Jenesaispasdutout.Tiens…Jeluidonneunpapieroùj’ainotémonnumérodetéléphoneetmonadresseemail.— Si ta maman est d’accord, tu peux lui demander de m’écrire un email de ta part, tu peux
m’envoyerdesphotos,oudesSMS.Jeterépondrai,d’accord?Elleprendlafeuilleetlaserredanssonpetitpoingfermé.—Tuvasrevenir,quandmême?
—Biensûr,tusaisqu’Annabelleestdansunenouvellemaison,etcettemaisonn’estpastrèsloind’ici.Alorsjereviendrailavoir.Etquandj’irailuirendrevisite,jepasseraiparicipourvérifiersitueslà,d’accord?
Ellehochelatêtesanssemblertrèsrassuréepourautant.—Jedoisyaller,tumeprometsdem’écrire?—Jesaispasécrire.—Tumeprometsdedemanderàtamamandem’écriredetapart?Tuluidiscequetuasenviede
medire,etellel’écrira.Enfin,j’espèrequ’ellen’estpascruelleaupointderefuseràsafillederesterencontactavecmoi.
Étantdonnéquelepèreestauxabonnésabsentsencequimeconcerne,jesaisquejenepeuxpascomptersurlui.Alorsjepréfèrem’enremettreàlamère,mêmesinoussommesloind’êtreamies.
—Çapue!Tun’aspasaéréuneseulefoisenunmois!—J’avaistaclefencasdesouci,iln’yapaseudesouci.—Heureusementquejen’ainiplantevertenichat…Jerâleenmarmonnanttoutenouvrantlesvoletsetlesvitres.Monappartementmesembleétranger.Commesicen’étaitpaschezmoi.Alorsqueçafaitcinqans
quej’aiemménagéici.—Benjustement,tudevraispeut-êtreprendreunchat,tusais,pournepasmourirtouteseule.—Net’enfaispas,quandonmeurtvieillefille,lacoutumeveutqu’unchatapparaisse,commeça,
onrestefidèleau«vieillefilleàchat».Ilritalorsquemablaguen’estvraimentpasdrôle.Jeluisuisreconnaissantepoursapitié.Oualors,
ilritparcequejustementmablagueestnulle.Çamevaaussi.—Voldemortveuttevoirdemainmatin.—Jesais.—Tuvastenirbon?—Biensûr.Aveccequejeviensdemeprendredanslagueulelasemainepassée,Voldemortneme
faitabsolumentpaspeur.
Ça,c’étaitavantd’êtreassiseenfacedelui,danssonbureau,laportefermée,sonregardacéréfixésurmoi.Maintenant,j’aipeur.
—Monroe,tum’asprispourl’arméedusalutouuneautreconneriecaritativedanslegenre?—Non.—Tuterendscomptedecequetumedemandes?—Oui.Jevouslaisselechoix.—C’estunsuperchoix,ça.—J’aiapprisaveclemeilleur.
Jeluisouris,jefaissemblantd’êtresûredemoi,carcetypepeutsentirlapeur.—Laflatterienet’apporterarien.—Vousdécidez,etmoi,jenechangeraipasd’avis.—Fouslecamp,Monroe,jeneveuxplusjamaisvoirtatronchedanslecoin!Monsourires’efface.Mince,jenepensaispasqu’il…— Et ramène ta fraise pour les deux réunions éditoriales mensuelles ou je te fais passer aux
corrections!Jetentedecachermajoie,ilréduitenmietteslesgensquiosentêtreheureux.Jem’échappedeson
bureausansmeretourner.Loïcm’attenddans lecouloiret je lève lepoucepour lui signifierquemonplanfonctionne.Nousneparlonspas,Lansauneouïesurdéveloppéeetilseraitfoutudechangerd’avisjustepournousfairepayernotrebonnehumeur.
Nousnousenfermonsdansmonbureauetchuchotons:—Etmaintenant?—Maintenantj’aiunappartemententieràredécorer.Loïcestaucourantdecettelettrequej’aireçuelelendemaindel’entréed’Annabelleenmaisonde
retraite.Elleavaittellementtoutprévuqu’elleavaitdemandéàladirectricedepostercecourrierdesapartlejourmêmedesonarrivée.Jesuisàlafoistouchéequ’elleaittoutprévucommeça,etàlafoistristeparceque je réaliseàquelpoint elleavait anticipécequi seproduit actuellement.C’estunpeucommesielleavaitplanifiésamort.Exceptéqu’ellen’estpasmorte,bienentendu.Quelquepart,pourmoi, lapersonnequ’elleétaitmeurtàpetit feu.Ladémencesénile,Alzheimeretassimilés…c’estunepremièremort.D’abordc’estl’espritdelapersonnequis’enva,ensuitesoncorps.Nous,lesprochesquirestons,nousfaisonsnotredeuildèslapremière.
J’essaie de ne pas m’attarder sur ces pensées déprimantes. Loïc me propose une excellentediversion:
—Jepeuxt’aider?—Jenedispasnon,çavaêtrebeaucoupdetravailettoutàdistance.Surtoutquejedoism’occuper
demonappartementenparallèle.—Tuneveuxpasperdredetemps…—Exactement.—Ettuvasleluidire?—Absolumentpas.—Jetesensenmodevengeance.—Non,mêmepas.—Unpeu?—Jesaiscequejeveux.Jesaiscequ’ilveut.Parfois,ilfautprendreleschosesenmain,tuvois.
Pourdeux.Etlà,c’estàmoidem’encharger.—Tuneluienveuxpas?
—Dequoi?C’estmoiquiairéduitànéantsoncapitalconfiance.Jegèrelesconséquencesdemesactes.
—Jesuisfierdetoi.—Attendsdevoirsij’arriveàarrangerleschoses.—Bon,oncommencequand?—Quandtuaurasfaittonboulot,Saurin!Jenetepayepasàcancanerdanslescouloirs!—Techniquement,nousnesommesplusdans lecouloiret jemedemandes’iln’apasplacédes
microsdanstouteslespiècesdelarédaction…marmonneLoïcenrepartanttravailler.Jemeposelamêmequestion.Oualors,notreboss,c’estuneversionmodernedel’hommequivalait
troismilliards.Oui,çamesembleplusplausible.
Lesoirmême,nousnousretrouvonschezmoiet, toutenfaisantmescartons, jediscuteavecLoïcpendantqu’ilsurfesurInternetpourcommenceràtrouverdesidées.Annabelleaététrèsclaire,elleveutque je m’approprie les lieux, que je place ses affaires dans un garde-meuble. Elle m’offre deuxpossibilités,ellenem’imposerien.Jepeuxdéciderdevendre,pasmaintenant,biensûr,puisqu’elleenaencorel’usufruit.Etjepeuxm’yinstaller.Jen’aipasréfléchiunesecondeavantdechoisird’yvivre.Dèsl’instantoùj’ailusalettre,j’aisuquec’étaitcequejevoulais.
Pourelle.Pourlui.Etbiensûrpourmoi.
33
Ange
—Papa,pourquoiLiseelleestpaslà?—Oui,c’estvraiça,pourquoi?demandeAnthonysansquittersonassiettedesyeux.—Elleétaitoccupée,mange,çavaêtrefroid.—Pourquoit’esfâché?—Oui,c’estvraiça,pourquoi?—Anthony,ferme-la.—Grosmotoupasgrosmot?—Machérie, intervientAudrey,cen’estpasunvraigrosmot,maiscen’estpas trèspoli, alors
c’estquandmêmeinterdit.Letéléphoned’AnthonyvibreetilsouritenlisantleSMSqu’ilvientderecevoir.—Pourquoit’essicontent?luidemandeEmmaquineperdjamaisriendecequisepasseautour
d’elle.—Parcequejereçoisunmessagedequelqu’unquicomptebeaucouppourmoi.—C’estqui?—Lise.Ilsefoutdemagueule?ElleluienvoiedesSMSdepuisquand?—Moiaussiellem’aenvoyéunmessagesurletéléphonedemaman!Jemetourneversmafilleetjesupposequej’ail’airaussiahuriquejelesuis.—Liset’adonnédesnouvelles?—Benoui,etjeluiaiécritunemail.C’estmamanquil’aécritparcequemoi,jesaispasécrire.
Alorsjeluiaidittoutcequ’elledevaitécrireetelleluiaenvoyéetmêmequeLise,toutdesuite,ellearépondu.AlorsmamanelleafaitunephotodemonvillagePetShopetelleaenvoyélaphotoàLiseetmêmequeLiseelleaditquec’étaittrèsjolietquejeluimanquaisalorsmoiaussijeluiaiditqu’ellememanquaitetaprèsmamanelleaditquec’étaitl’heuredudodoalorsonaarrêtédeluiécrireetjesuisalléeaudodo.
Depuisquej’aidécidéquejen’étaispasassezfortpoursupporterqu’ellemequitte,jelafiltre.Çafaitdéjàdeuxsemainesqu’ellen’essaieplusdemecontacter.C’estexactementceque jesouhaitaisetpourtant,çamefaitmal.Vraimentmal.Maviesanselle, j’aidéjàdonné,et l’avoirvécuunepremièrefoisnerendpasmadécisionplusfacile.JefaiscequimesembleêtrelemieuxpourEmmaetmoi.Etpourtant, je n’arrive pas à voir le positif. Elle n’a fait que traverser mon quotidien et déjà elle memanque.
J’aurais voulu qu’elle se batte plus pour nous. Elle accepte tout ça comme si elle s’y attendait,comme si c’était ce qu’elle avait attendu. Pouvoir la toucher, lui sourire, l’embrasser, me fondre enelle… Une addiction développée en quelques semaines et qui me bouffe de l’intérieur lentement, àchaqueinstantpasséloind’elle.
LesregardsdeSofianeetAnthonym’accusent.Audreydégoulinedepitié.Emmasouritmoins.Etmoi…Moi?Jesaisquejemecomportecommeunconnard,c’estplusfacilecommeça.Pourmoi.Paspourelle.
—Pourquoitufaisça?Anthonyterminelavaissellependantqu’AudreyetSofianeregardentuntrucavecEmmaàlatélé.
J’enprofitepourréglermescomptesaveclui.—QuandSofianecuisine,ondébarrasseetonfaitlavaisselle,tutesouviens?—Nejouepasauconavecmoi.Iléteintl’eauetseretourne.Ils’appuiecontrel’évier,avecsonairdétachéetdétendualorsqueje
suisàfleurdepeau.—Tul’asviréedetaviesansmêmeluifourniruneexplication.J’aiprislaplacequetuaslaissée
vacante.—Pardon?—Jenevoispasoùestlesouci.Tuneveuxplusd’elle.Qu’est-cequeçapeuttefoutre?—Tucouchesavecelle?—Quecesoitlecasounon,çaneteregardepas.Çaneteregardeplus.Etjelarespectetrop,moi,
pourteparlerdeça.Jevoisrouge.Jeluifoncedessusetluienvoiemonpoingdanslafigure.Justeàcemoment,Sofiane
débarque etm’empêchede continuer à le frapper.Anthonyn’amêmepas essayéde sedéfendre. Il serelèvedusoloùjel’aifaittomberetmeregardeensouriant:
— Je me demande si Lise rend visite à Annabelle, ce week-end. Je suis sûr qu’elle pourraits’occuper de soigner ma lèvre. Oh, attends, dans son SMS elle me disait qu’elle était là et qu’ellem’attendait.
Il passe la langue sur la coupure que j’ai provoquée et sort. Sofiane est plus fort que je ne lepensais,jen’arrivepasàmedégager.
—PourquoitudansesavecSofiane?Emma entre dans la cuisine et me regarde bizarrement. Sof éclate de rire dansmon dos. Jeme
libère.—Moiaussi!Moiaussi!Illaprenddanssesbrasetlafaittourner,jesaisisl’opportunitépourallermecalmer.
Lise
—Anthony?Qu’est-cequ’ilt’estarrivé?—Ange.Jelefaisentreretfermederrièrelui.—Wow…Disdonc,deuxsemainesseulement!s’exclame-t-ilendécouvrantlehalld’entrée.—Cen’est pas terminé, il reste encore deux semaines et ça devrait être bon.Ne changepas de
sujet:vousvousêtescognésaccidentellement?—Oui,c’estça,sonpoingestaccidentellemententréencontactavecmalèvrealorsquejepense
qu’ilvisaitlenez.Ilseretourneversmoietmefaitunclind’œil.—Angenesebatpas,enfin,iln’étaitpascommeça,avant…—Ilnel’esttoujourspas.Jel’aiprovoqué.—Quoi?Pourquoi?—Jepeuxalleràlasalledebain?Jedoisquandmêmedésinfecter.Jelesuisetilseplacefaceaumiroiravantd’ouvrirlasacochequ’ilavaitenbandoulière.—Pourquoil’as-tuprovoqué?—Ilavaitbesoinquejeluirappellecequ’ilperd.Iltamponnesalèvreavecunecompresseimbibéededésinfectant,s’observeetsourit.—Aïe,ceconaunesacréedétente.Jenel’aipasvuvenir,mêmesijel’aibiencherché.—Jenecomprendspas,tuesmasochiste,toiaussi?Jesuisentouréedegensbizarres.—J’œuvrepourlebiencommun.—Tuluiasditquoi,pourlepousseràboutcommeça?—Quej’avaisprissaplace.Ilseretourneetmefixe.Jecroisquej’ailaboucheouverte.—Alors,onselafait,cettepartie?
—Tumériteraisquejetefrappeaussi.—Dis-toiquec’estrassurant,çaletouche.—Jesaisqueçaletouche.Jen’avaispasbesoinquetulepoussesàtefrapperpourlesavoir.Ilva
s’envouloiretjemesensvraimentcommeuneYokoOno.—Jeprépareleterrainpourtoncome-back.— T’as raison, faisons cette partie, ça me permettra de te mettre une raclée, métaphoriquement
parlant,biensûr.Carjetepréviens,jenesuispasviolente,tun’arriveraspasàm’obligeràtefrapper.Ilrit.Etgrimace.Bienfait.Jevaisfairepleindeblaguespourqu’ilrigoleetqu’ilaitmal.Malgrémoi,jesourisenallantausalon.Unepetitepreuvequ’ilm’aimetoujours,oudumoinsqu’il
tientàmoi, çane faitpasdemal.Mêmesi c’estpeut-être juste soncôtéalpha«Lisemienne, toipastoucher»quiparle.Jedécidedemedirequec’estparcequ’iltientàmoi.J’aibeauavoirl’airsûredemoncoup,avoirfaitl’autruche,semblerdéterminée…jenepeuxpasêtrecertaineàcentpourcentqu’ilmelaisseralerameneràmoi.
Nousnousinstallonssurlecanapéetjerepenseàcequ’afaitAnthonypourmoicesdeuxdernièressemaines.Iladûbriserjenesaiscombiendecodesquelesmecsontentreeux.Ilm’aracontécommentAngesetraînecommeuneâmeenpeinequandiln’estpasautravail.Ilm’arépétécequ’illuiavaitdit,laraisonpour laquelle il a coupé soudainement lesponts. Ilm’a appelée tous les soirs, a renduvisite àAnnabelledèsqu’ilapu.Quoiqu’ilarrivepourlasuite,j’aigagnéunamietc’estdéjàénorme.MêmesiLoïcmefaitunecrisedejalousieparcequ’ils’inquiètedesavoirs’ilatoujourslaplacedemeilleurami.Lui,ilvaresterlà-bas,etforcément,nousallonsmoinsnousvoir.Jel’airassuréenluidisantque,mêmesiLansavaitacceptéqueje travailleàdistance, jedevaisvenirauxdeuxréunionsdustaffquiavaientlieuchaquemois.Çavamecoûteruneblindeenaller-retour,d’ailleurs.Jen’aipasosédemanderàmonpatrondefairepasserçaenfraisprofessionnels,c’estmoiquiaivoulum’éloigner,àmoid’assumercesdépenses.Pouratteindremonobjectif,jepaieraispourtantbienplus.Sanshésiter.
—ToietAmbre,alors…J’ose enfin lui poser des questions plus personnelles.Ma curiosité prend toujours le pas surma
bonneéducation.Ilhausselesépaulesetpasselapointedelalanguesursalèvregonfléetoutengrimaçant.—Elleesttrop…—Ellechercheungéniteurpoursonfuturenfant,jecrois.Ilseretourneversmoiaveclesyeuxgrandsouverts.—Sérieux?J’aiplutôteul’impressionqu’ellevoulaits’amuser.—Aussi.Ettoi,tun’aspasenviedet’amuser?Ilhausselesépaulesetretourneàlaconfigurationdujeu.—Enfin,situn’aspasenviedeparlerdetoutça,jecomprends.Maiscommetuesaucouranten
détaildemavieprivée,ceneseraitquejusticequej’ensacheunpeuplus.—Jeneparlepasdeça,eneffet.Cequevousavez,Angeettoi,j’auraisaiméqueçam’arrive.—Etpourquoiçanet’arriveraitpas?
—J’aitendanceàpousserlesgensàs’éloignerdemoi.Ahoui,desuite…C’estbien,Lise,pourmettrel’ambiance,tuesautop.—Onpartàquelleheure,demain?Leplan,c’estd’allerchercherLoïcetdevérifieraveclesdéménageursquetoutestparé,puisde
revenirlesattendreici.Grossejournéeenperspective,maisc’estsurtoutladernièreétape.—Tôt.Alors,onselafaitcettepartie?Cetypeestuneénigme.Ilal’airdebonnehumeurH24etpourtant,là,j’aitouchéunpointsensible
etjevoisunpeucequisedissimulesouslacarapace.Lefaitqueçam’ennuieetquejevoudraispouvoirl’aider prouve qu’il a commencé à prendre une grande place dansma vie. Sans prévenir. Je ne doissurtoutpasdireçaàLoïcoujevaisêtrebonnepourunesoiréesaladierafind’expier!
Ange
Iln’apasledroit.Jesuisentraindedevenirfouàl’imagineravecelle.Jesaisquejenedevraispas.C’estmoiquiaivouluça.PasAnthony!Non,ilnemeferaitpasça,paslui.Etpourtant,jeledétestedelavoir,defairepartiedesavie.Quefait-elleencemoment?Touslesjours?Cette histoireme rend dingue. Ilsme rendent tous dingue. Je sais que je nous ai amenés à cette
situation,maisj’auraispréférécouperlesponts.Pasquemonamiconstitueunlienentreelleetmoi.J’essaiedemecalmer,demedétendre,jesuisleseulresponsabledecequim’arrive.Maisentrela
théorieetlapratique,jenegèreabsolumentpaslesconséquencesdemesactes.
Lise
AnthonyetLoïcpoussentlesdernierscartonsetvoilà.J’aidéménagémavie.Enfin,jedisçacommesic’étaitfait,maisilmeresteencoretoutàdéballeretinstaller.
—C’estincroyablecequevousavezfaitaveccetappartement,nouslanceAnthony.—C’estvrai,ons’estbiendébrouillés,luirépondLoïcennoustendantdesbières.Nousprofitonsdelachaleurdecettefindumoisd’aoûtetallonsnousinstallersurlebalcon.—Sansl’argentqu’Annabelleavaitprévupour,nousn’aurionsjamaispuaussibiennousensortir.—Cettefemmeestincroyable,ajouteAnthonyavantdeprendreunegorgée.Ilgrimacelorsquelegoulotentreencontactavecsaplaietoutefraîche.Jenesuispasàl’aiseavec
lasituation,jen’aimepaslatournurequeçaprendetj’espèrevraimentqu’ilsvontenparler.Jesuisconfiante,bizarrement.Jesuispeut-êtretotalementàcôtédelaplaque,pourtantj’aiunbon
pressentiment.Jenemefaispastropdesouci.Angememanquequandmême,saprésenceprèsdemoimemanque.Sesregards,sessourires,savoirqu’ilestlà…Maisjesuissereine.Jesoupireetmerecentresurl’instantprésent.
—Etmaintenant?demandeLoïccommes’ilavaitsuivilecheminementdemespensées.—Maintenantj’aidescartonsàdéfaire,jevaisenavoirpourdesheures.—Jevaist’aider,annonceLoïc.—Tun’aspaslechoix,tupassesleweek-endicietj’aibienl’intentiondetemettreautravail.—Jesuisdetournée,cesoir,sinontusaisquejet’auraisaidéeavecplaisir,melanceAnthonysans
aucunremordsdanslavoix.—Nemenspas,jesaisquetuesderepos.Tum’asdéjàbienaidée,jevaisfairecommesijete
croyais.Etparpitié,neprendsplusd’initiative.—Jevousabandonne,Sofianecuisine.EtcommeAngeetAudreysontenmodegrainesetpissenlits,
ilfautenprofiter.—Ilsvousfilentdespissenlitsàbouffer?s’indigneLoïc.
—Non,maisçanem’étonneraitmêmepasqu’ils lefassent.Ducoup, jesavourechaqueplatqueSofianenousprépare.Ilcuisinedeplusenplusgras,pourcompenser.
Anthonys’envaetnousnousretrouvonscommedeuxpetitsvieuxcourbaturés,Loïcetmoi,àtournerledosàlatonnedecartonsquinousattend.
—Moi je dis, on s’ymetmaintenant, on fait lemaximumavant de dormir et comme ça, demainmatin,onsepayeunegrassematinée,mepropose-t-il.
—Deal.
—Liiiiiiiiise!Etvoilà,unedizainedejourssanslavoir,elleadéjàreprissesvieilleshabitudesinsupportables.
Siellen’arrêtepasaveclesultrasons,jevaisavoirunemigraineetdevenirgarce.—Emma,necriepas.Jemesuiscouchéetard.—Tujouesavecmoi?—Jeviensdemeréveilleretjem’apprêtaisàprendremonpetitdéjeuner.Loïcadûrepartirhiersoir,ilpréféraitfairelarouteduretouràlafraîche.Onavouluenprofiterle
pluspossible.Résultat,cematin,j’aiquandmêmedumalàémerger.—Etaprès,tujouerasavecmoi?—Oui,enplusjevaist’annoncerunebonnenouvelle.—J’aimelesbonnesnouvelles.—Maintenant,ici,c’estmamaison.—Pourdevrai?—Oui,pourdevrai.—Alorstuviendraschezpapa?—Lise?Anges’approchedelabarrière.Deuxsemainessanslevoiretj’aitoujoursautantdemalàresterde
marbreenleregardantavancer.Bouger.Justeêtrelui.Seulementdeuxsemaines,enfait.J’ail’impressionqueçaaétébeaucouppluslong.Ilal’airtendu,ilpeut.J’essaiequantàmoidenepasluimontrercequeçamefaitdelerevoir.J’essaiesurtoutdemaîtrisermesmainsparceque,spontanément,j’aitendanceàleprendredansmesbras.Jetentedenepaspasserlalanguesurmeslèvrescommej’enaienvie.Etjefaistoutmonpossiblepourignorerlacontractiondemonestomacquandils’arrêtejustedevantmoi.
—Papa,t’asvu?Liseelleestlàalorsellevavenircheztoiparcequec’esttonamoureuse.Intéressant,ilneluiapasparlédeladécisionunilatéraledemettreuntermeànotrerelation.—Emma,vavoirmamie,jevaisdiscuteravecLise.—Liseelleaditqu’ellevajoueravecmoiaprèssonpetitdéjeuneretqu’elle…—Emma,soismignonne.Ohoh.Jenelesenspasbien,là.C’estlapremièrefoisquejel’entendsparleraussisèchementàsa
fille.Anthonym’aprévenuequ’ilétaitunevéritable têteàclaquesdepuisqu’ilacoupélespontsavec
moi.Enfinquandmême,safille,quoi…Jeluisourisetelles’envalatêtebasse,ellemefaitdelapeine,cetypen’apasdecœur.
—Tuesrevenue?—Tiens,tum’adresseslaparole?JemelajoueAnthony:jeprovoque.C’estplusfortquemoi.Carmêmesijesaisqu’ilseprotège,
jeluienveuxmalgrétoutunpetitpeu.J’aieubeauêtreaucourantdesamisérableexistencesansmoi,çan’apasrenduplusfacilelamiennesanslui.
—Jecroyaisquetuétaispartie.—Commentpeux-tusavoircequejefaispuisqueturefusesdeprendremesappels?—TuvoisAnthony?—Oui,jel’aivuhier,parexemple.—Ilnetravaillaitpas,hier.—C’estsûrementpourçaqu’ilétaitdisponiblepourpasserdutempsavecmoi,lui.—Tucouchesaveclui?—Vatefairefoutre,Ange.Tun’asvraimentriencompris.—Pourquoilui?Tupeuxavoirn’importequi.—Non, pas n’importe qui. Je te voulais toi. Et tum’as éjectée de ta vie sansmême une petite
explication!Il me regarde en serrant les mâchoires. S’il s’imagine qu’il m’impressionne… Je bosse avec
Voldemort,mongars, ça fait des annéesque je pratique l’intimidation et il en faut pluspourme fairepeur.
—Tupensesvraimentque,mêmepasquinzejoursaprèstoi,jemeferaissauterpartonpote?C’estça,l’estimequetuasdemoi?Etdelui?
Ilsembleprendreconsciencedesaconnerie.Jen’enaipasterminéalorsjereprends,sanslelaisserenplacerune:
—Tuétaistellementsûrquej’allaisencorepartirquetum’astournéledos,sansmêmeessayerdesavoircequej’avaisprévu!Tunenousméritespas!
Je crie de plus en plus fort et d’un coup, je remarqueEmmaderrière la porte-fenêtre.Elle nousobserveaveclesmainssurlesoreilles.Commesicen’étaitpaslapremièrefoisqu’elleétaittémoindecegenredescène.AlorsjemetaisetjereportemonattentionsurAnge.Jem’approcheetmurmure:
—Bienentenduquejen’aipascouchéavecAnthony!Tudevraisavoirhonted’avoirpenséçadeluietdemoi!Etjeviensd’emménagerdanscetappartement,jetravailleici,maintenant.Alors,Ange,tuvois,tunecroyaispeut-êtrepasassezennouspournousdonnerunechance,maismoi,oui.Saufquelà,toutdesuite,jen’aipasenviedetevoir.
Jepivotesurmestalons,ramassemonplateaudepetitdéjeuneretjeleplantelà.Finalement,danslathéoriec’étaithonorabledenepasluienvouloir,maisdanslapratique,çafait
dubiendelâcherunpeudelest.Sansdéconner,ilseprendpourqui,boucled’or?
Ange
Jesuisunabruti.Unputaind’abruti.
35
Ange
—Pourquoitunem’aspasditlavérité?—Parcequetunelaméritaispas.—Jet’aifrappé!—Jel’avaisbiencherché,jenet’enveuxpas.—Jesuisdésoléd’avoircruque…—Jen’enairienàfoutre,detesexcuses.Cen’estpasauprèsdemoiquetudoist’excuserdet’être
comportécommeleplusgrosconnardquelaTerreaitporté.Jeneprotestepas,ilaraison.—Ellenem’écouterapas.—Non,c’estcertain.Jel’aivue,hiersoir.Elleétaittrèsencolère.—Vousêtesamis…—Ilesttempsquetut’enaperçoives,oui.—Elleestrestéepourmoi.—Oui.Pourtoi,etpourEmma.—Etelleneveutplusmevoir.—Tuvois,quandtuveux,tucomprendsvite.Jefile,j’aidutaf.—Jefaisquoi?—Ahça,débrouille-toi.Jesuisdanssoncamp,pourlecoup.Anthonysebarreetmelaisseavecmesregrets.J’aidequoifaire,avectoutcequej’aidéconné.
Lise
Je luimontre les photos de l’appartement, elle les regarde en souriant. Elle est dans un fauteuilroulantetc’estbiendenepluslavoirdanscelit.Jedoisavouerquecettemaisonestagréable.Onn’apasl’impressionderentrerdansunhospiceavecdesvieuxentraind’agoniseràtouslescoinsdecouloir.Même si, en réalité, c’est probablement le cas. Avec tout ce qu’on peut entendre sur ce genred’établissement,Annabelleafaitlebonchoix.C’estunechancequ’ellepuisseselepermettre,d’ailleurs.Ellemerendmontéléphoneetsoupire:
—Jesuisvraimentheureusepourtoi,Lise.Tavieatoujoursétéici.—Tupenses?Ellesaitplusdechosesquemoi,alors…—Biensûr.Angeétaitlà,c’étaitlàquetudevaisêtreégalement.Jeneluiaipasditque,entreluietmoi,cen’estpaslicornesetarcs-en-ciel.Ellen’apasbesoinde
sefairedusouci.Alorsjemecontentedesourire.—UnpetitFabio?jeluipropose.Ilmeresteunedemi-heureavantque ledéjeunernesoitservi. Jevaisessayerdevenirplusieurs
foisparsemaine,àdéfautdeluirendrevisitetouslesjours.Ilyaquarante-cinqminutesdevoitureetjesaisqu’ellenedépéritpas,elles’estdéjàfaitplusieursamies.Jelessoupçonnemêmed’avoirmontéunfan-clubdeFabio,maisjen’aipasencoremenémapetiteenquête.
«Depuisqu’ilssontmorts,jesurvisplusquejenevis.Jerevoisinlassablementcetaccidentdevoiturem’enlevantmonbébé,monmari,etl’usagedemesjambes.»
Oh.Mon. Dieu. Moi à sa place, je me taille les veines avec une feuille de papier. Annabellem’encourageàcontinueretjesensquelemédecinquisechargedelarééducationdel’héroïnevaselafaire.Jenedisrien,jen’aimepasspoiler.
Ange
—Non,tufaispascommeilfaut!Liseellem’amontréetc’estpascommeça!—Jefaiscequejepeux,Emma.—Benc’estpastrèstrèstrèsbeau.—C’estl’intentionquicompte.—Çaveutdirequoi?—Çaveutdirequemêmesijenesuispasdoué,j’essaie.Ellereprendsondessinet je l’observeseconcentrer.Eneffet,elles’ensortbienmieuxquemoi.
Peut-êtrequejepeuxéchangernosfeuilles,l’airderien?
Lise
Annabellem’a reconnuependant toutemavisite, je prends çapourun élémentpositif et c’est ensouriantquejerevienschezmoi.
Chezmoi.Jenesaispassijem’yferaiunjour.Ici,çaatoujoursétéchezelle.Ellesavait.Alorselleamis
toutcetargentàmadispositionpourquej’enfassemonchez-moi.Commechaqueaprès-midi,jem’installesurlebalconpourtravailler.Voldemortestdixfoisplus
surmondos, comme si le fait de bosser de chezmoi lui donnait des pouvoirs supplémentaires. Ilmeharcèledecoupsdetéléphonequidurenttroissecondesetdemieetdurantlesquelsilaboiedesordresauxquels iln’attendpasde réponse.Alors jesuissérieuseet,malgré les tentationsdene rien faire, jebosse.Travaillerdechezsoidemandebienplusdedisciplinequejenel’imaginais.
—Lise!Tueslà!Surtoutaveclapetitevoisinequej’aietquidoitêtreplusfutéequ’ellen’enal’air,carelles’est
bienrégléesurmeshoraires.—Emma,commentvas-tu?—J’aiducourrierpourtoi!—Vraiment?Lefacteurs’esttrompédeboîte?jeluidemandeenallantlarejoindreàlabarrière.—Non,c’estmoilefacteur.Ellemetenduneenveloppeetattend.—Tul’ouvrespas?—Jedoisl’ouvrirdevanttoi?—Benoui.Jedécachèteetensorsunefeuillepliéeenquatre.—Oh,tuasrefaituncœur,jeteremercie.Franchement, elleadesprogrèsà faire, cen’estpas trèsaupoint. J’avaismêmeeu l’impression
qu’elleavaitcomprisletrait,ladernièrefois.C’estcequejedisais:jem’absentequelquessemaineset
lavoilàquirégresse.C’estdommage.Enfin,çarestemignon.—C’estpasmoiquil’aifait,c’esttonamoureux,monpapa.—Hein?Jeretireceque j’aidit, iln’estvraimentpasréussi,cecœur.C’estmêmeunmisérableersatzde
cœur,pourtoutavouer.—Oui,monpapailaditqu’ilvoulaittemontrerqu’ilesttonamoureux.Alorsjeluiaiditquemoi
j’avaisdessinéuncœurpourmonamoureuxetaprèspapailaconnunotresecretparcequej’avaisoubliéquec’étaitunsecretmaisalorsiladitqu’ilallaitaussitedessineruncœur.
Il ne s’imaginequandmêmepasqu’il va réussir àme récupérer avecunminablepetit dessindeniveaumaternelle?
—Alors,jedisquoiàpapa?—Àquelsujet?—Tu l’aimes son cœur ou tu l’aimes pas ?Parce que papa ilm’a dit que quand je te donne le
dessinjedoisattendredevoirsituescontenteousituespascontenteetquesituespascontentec’estpasgraveparcequ’ilteferad’autresdessins.
Okay…On va peut-être éviter de l’encourager dans cette voie, car ce n’est visiblement pas sondomaine,ledessin.
—Oh.Ehbien…dis-luiquecen’estpaslapeinedemefaired’autrescœurs.—Tuescontente?C’est sacrément vicieux d’envoyer sa fille pour cettemission. J’ai le choix entre lui faire de la
peineetluidirecequ’ilvoulaitentendre.Sicen’estpasdelamanipulation,jenesaispascequec’est.—Oui,jesuiscontente…C’esttrèsgentilàlui,maisçanesuffirapas.—Çaveutdirequoi?—Çaveutdirequesitonpapaveutvraimentmemontrerqu’ilestmonamoureux,ilvadevoirfaire
plusqu’undessin.Ellesemetàréfléchirenfronçantlessourcils,j’aipeurqu’elleneseprovoqueunemigrainetant
elleestconcentrée.—Jedoisunpeutravailler,maintenant,parcequetusaisquemonchefesttrèsvilain.—Voldemort,onl’aimepas.—Voilà,doncilfautvraimentquejefassemontravail.—Jepeuxteregarder?C’estunpeucreepy,maisbon…—Oui,tuessage,hein?Elleplacesonindexsurseslèvreset,moinsdecinqminutesaprès,n’ytientplus:—Mamanelleaditquedansunesemainec’estlarentrée.EtjevaisallerauCP.T’esdéjàalléeau
CP?—Oui,quandj’avaistonâge.—C’étaitilyatrèstrèstrèstrès…
—Oui,onacompris,merci.Quellesalegamine.—Etmamanellem’aachetéunnouveaucartableetmêmequ’ellem’aachetédeshabitsjustepour
quejesoislaplusbellepourlarentréeetmêmequeRaphaëlaussiilvaêtreauCPetque…C’estparti,elleestlancée,impossibledel’arrêter.Jelaissemonarticledecôté,jebosseraicesoir.
Aprèstout,sielleestàl’écoleàpartirdejeudi,jedevraispouvoirrattrapertranquillementmontravail.Je me souviens comme j’étais montée sur ressorts les veilles de rentrées, l’avant-veille aussi, en yrepensant.Jel’écoutemeracontersespetiteshistoiresd’enfant.Sessoucissontdérisoiresparrapportàcequil’attenddanslavie,maispourelle,cesontlesplusimportantsaumonde.Etçam’amusedelavoirs’enflammerpourunehistoiredetrousse,ouparcequ’ellenesaitpasdansquelleclasseseraRaphaël.Mêmesijepensequed’iciuneheure,siellegardecedébit,jevaisavoirunehémorragieauniveaudestympans.Mabontémeperdra.
Commechaquematin,jepréparemonplateaupourprofiterdesderniersbeauxjoursdeseptembresurlebalcon.J’ouvrelesvoletsetjeresteinterdite.Mapremièreréactionestdemedirequequelqu’unestvenusurmonbalcondurant lanuitetque jenemesuisaperçuederien.Onauraitpume tuersansmêmequej’aieletempsdemedéfendre.Jemerassureenmedisantquejesuisautroisièmeétageetquejesuisdoncrelativementàl’abri.Etpuisjesouris:j’aimesoncôtépsychopathe.Cequienditlongsurlemien,d’étatmental…
Ange
—Tuasfaitquoi?—J’ailaisséuntrucsursonbalcon.—Jevoulaisêtresûrd’avoirbiencompris.Mercilespotes,jemesenssoutenu.—Jetrouveçatrèsromantique,Ange,bravo.Heureusementqu’elleestlàpourremonterleniveau.—C’étaittonidée?demandeAnthonyàAudrey.—Pasdutout,ilsedébrouilletoutseul.—J’auraisdeviné…marmonneSofiane.Remontre-moilaphoto.Iltendlamainetjeluidonnemontéléphone.Jevoulaisimmortaliserlascène,onnesaitjamais…On y voit le 33 tours de l’Unplugged d’Alice in Chains posé sur la table, avec une enveloppe
décoréed’uncœurquej’aidemandéàEmmaderéaliserpourmoi.Jeneleurdispasqu’ellecontientunefeuillesurlaquelleunseulmotestinscrit.
Pardon.J’aipeurdetoutavoirfoutuenl’air.J’aipeurparcequ’elleafaitapparaîtrechezmoidesréactionsdontjenemecroyaispascapable.
Lasoupçonner,elle.Lesoupçonner,lui.C’étaitridiculeetstupide.Maispirequetout:nepasluilaissercettechancequejeluiavaispromise.Voilàsûrementmapireerreur.
—Elleestcomplètementbarréesielleretourneavecunpsychopathecommetoi,melanceSofenmerendantmonportable.
Jehausselesépaules.Jesuisdésespéré.Alorsoui,sielleestcomplètementbarrée,çameconvient.—Elleaditqueledessinnesuffiraitpas,jemejustifie.—Ettuenasdéduitqu’ilfallaitt’introduireillégalementchezelle?Aubeaumilieudelanuit?—Jefaiscequejepeux,etpuis«illégalement»,çava.J’aijustepassélabarrièreet…OK,c’est
ladéfinitiondel’entréepareffraction.
—Jetrouveçatrèsbien.Audreymetapotelamainetjevoislesdeuxautresquisemarrent.Sérieusement,j’aimeraisbienles
y voir. Et enmême temps, j’aimérité chaque foutage de gueule quemes tentatives de rattrapage auxbranchesprovoquentchezSofianeetAnthony.
Lise
—Alors lamaîtresseelleaditquec’étaitpasbiendefrapperalorsmoi j’aiencorepleurémaisÉlodieelleafaitunevilainetêteet lamaîtressel’apunieaucoinmaismoijevoulaispasqu’ellesoitpunieparcequemêmesiellem’atapéec’estquandmêmemacopine,alorsRaphaëliladitqu’ilétaitpasamoureux avec des rabocheuses mais moi j’avais pas raboché c’est la maîtresse qui avait vu quandÉlodieellem’apousséealorsmoij’aipleuréencoreplusetmaintenantj’aiplusdecopineetj’aiplusd’amoureux.
Elletientsonvieuxdoudoucradinguedanssesbrasetalalèvreinférieurequitremble,commesielleallaitseremettreàpleurer.Ehbienmonvieux,lavied’uneenfantdesixansestbienplustrépidantequedansmes souvenirs.Etbienplus trépidanteque lamienne en cemoment, je dois l’avouer.MêmeVoldemort se fait discret et j’en viendrais presque à avouer que ses agressions téléphoniques memanquent.
Bon,deuxjoursd’écoleetc’estdéjàDallasauCP.—Commenttedireça…Pourcommencer,siRaphaëln’estplustonamoureuxàcausedeça,c’est
qu’iln’envautpaslapeine.—Commetoiavecmonpapa?—Quoi?—Benoui, iladitquesi tunevenaisplusàsamaisonc’estparcequ’ilavaitétévilainettoitu
voulaisplusêtresonamoureusealorsluiilétaitdésolémaisdesfoisêtredésoléçasuffitpasmaismoij’aipascompriscequ’ildisaitalorsiladitquej’étaistroppetiteetquejecomprendraiquandjeseraigrande.Maismoi je luiaiditque jesuisauCPalors jesuisdéjàgrandemais iladitqu’ilparlaitdequandjeseraiencoreplusgrande.
—Disonsquequandtufaisquelquechose,desfois,ilvasepasserd’autreschosesaprès,àcausedecequetuasfait.Parexemple,Élodies’estmalcomportée,ellet’apoussée,tuaseumal,lamaîtressel’avue…Laconséquencedesesactesestqu’elleaétépunie.Donctuvois,siellenet’avaitpasfrappée,elleneseraitpaspunie,c’estsafauteàellesielleestpunie.
Jenecroispasqu’ellecomprennetout.Entoutcas,ellem’écouteavecapplication.—Etmonpapailafaitquoidevilain?—Jenepensepasquecesoitàmoideteledire.Etpuistusais,cesontdeshistoiresd’adultes.—Ettoituveuxpasluipardonner?Moij’aipardonnéàÉlodie,déjà.—C’estunpeupluscompliquéques’ilm’avaitpoussée.—Ilt’atirélescheveux?Parcequesic’estça,toit’asditquec’étaitpourtemontrerqu’ilétaitton
amoureux.Quemêmesic’étaitbêtec’était çaalors t’asqu’à luidirequec’estbêteetqu’ildoit te lemontrermaispasentetirantlescheveux.
—Non,ilnem’apastirélescheveux,ilnem’apasfrappée,nibousculée.Riendetoutça.—Alorsilt’aditquetuavaisgrossi?Parcequel’amoureuxdemaman,unjour,illuiaditçaet
mamanehbienelleaétéfâchéeetilluiaachetédesfleurspoursefairepardonnermaismamanelleaditquesesfleursellessentaientmauvaisalorsmoij’aisentimaisellessentaientpasmauvaisalorsAlainiladitquejepouvaislesgarder.Maismamanelleestrestéefâchéelongtemps,longtemps,longtemps.
Jetournelatêteetessaiedevoirlatailledemoncul.Non,jen’aipasgrossi.Ilesttoujoursaussiplat,malheureusement.Alorspourquoicettegamineproposecetteidée?
—Tutrouvesquej’aigrossi?jeluidemande.Onditquelavéritésorttoujoursdelabouchedesenfants.—Benjesaispas.—Peuimporte,non,tonpapanem’apasditça.—Alorstuvasluipardonner?—Oui.
36
Lise
—C’estunbeaucadeau.—Oui,c’enestun.—Maistun’aspasdeplatinevinyle.—Si,maintenantj’enaiune.—Tuenasachetéunejustepourécoutertonuniquedisque?Jehausselesépaules.Loïcposel’albumd’AliceinChainssurlatablebasseetlachevillesurson
genou.Ilprendsonairsérieux.J’aipeur.—Tuvasluipardonner,là,non?—Biensûr.—Pourquoitulefaisattendre?— J’ai été occupée. Sa fille a eu sa rentrée des classes. L’occasion ne s’est pas présentée, tout
simplement.—Tutefousdemoi?—J’espéraisquetunet’enapercevraispas.—Çafaitdeuxsemainesquetuesrevenue,Lise.—Jen’avaispasréaliséquetutenaislescomptes.Ilm’agace.Ilaraison.—C’estquoilevéritablesouci?—Etsionallaittropvite?Commequandjesuisrevenue.Noussommesalléstropviteetilaeu
peur.Tuvois,làjesuissûredemoi.Jesaiscequejeveux.Maislui,est-cequ’iln’apasbesoind’encoreunpeudetemps?
—C’estquoi,ça?Ilmemontredumentonlapiled’enveloppesdécoréesdecœurs.Jesaisquec’estEmmaquilesa
faits,ellem’avendulamèche.Maisl’intérieur,çaneconcernequesonpèreetmoi.Jelesaitrouvéesglisséessouslaporte,unechaquejour…
—Deslettres.—Deslettresd’Ange.—Oui,etalors?—Alorsiln’apluspeur.CQFD.N’attendsplus.Ilaraison.Jesuissûredemoi,maisj’aipeur.Delefairefuir,encore.—TuaslecadeaupourAnthony?—Biententé,lechangementdesujet.Lavérité,c’estquedansseslettres,ils’estmisànu.Etsurtout,ilm’acollélavéritésouslenez.La
moche.Celleoùilavécuunedépressionqu’ils’efforcedemedécrire.Etmêmesiçaresteabstrait,jelisla douleur de ces moments entre les lignes. Je m’en veux. Je ne sais pas si lui pourra vraiment mepardonnerunjour,maismoi,jedouteêtrecapabledemepardonner.
—Loïc,situfaisletourdusalonencoreunefois,jetejettedubalcon.—Jecroyaisquetun’étaispasviolente?—Encemoment,toutlemondemepousseàl’être.Toiycompris.—Jesuisimpatient!J’aihâtedevoirsatête!—Nousnepartironspasavantaumoins troisheures, rends-toiutile, faisunpeudeménage,par
exemple.Lafêted’anniversaired’Anthonyestl’événementlepluspalpitantquinoussoitarrivéàLoïcetmoi
depuisdessemaines.Nousavonsétéoccupésentre l’appartementàrénoveret lebossquisevengedemon nouveaumode de travail. Et puis à distance, forcément, difficile de sortir ensemble. C’est notrepremièresoiréedepuisunbailetilestpirequ’ungosse.MêmeEmmaestpluscalme!C’estdire…Parcequejelasoupçonnedéfinitivementd’êtrehyperactive.Àmoinsquetouslesgaminssoientcommeçaet,bizarrement,cetteidéeneréveilletoujourspasmonhorlogebiologique.
—Onpourraityalleràl’avance,cen’estpascommesinousneleconnaissionspas.—Çanesefaitpas.—Tuparles,tuaspeurdecroisertonAnge.—Appelle-leencoreunefois«mon»angeettupassesvraimentpar-dessuslebalcon.Lachutede
troisétagesnetetuerapeut-êtrepas,maisjepensequetuaurasdesacrésdégâts.Il s’en va bouder dans sa chambre et ne revient que deux heures plus tard. Je suis sûre qu’il a
roupillé.—Bon,tupeuxallert’habiller,là,c’estpresquel’heure.Jebaisselesyeuxsurmesfringues.—Jesuishabillée.—Tunepeuxpastepointeràunesoiréed’anniversaireenjeanett-shirt.— Si, je le peux. Je ne vais pasme déguiser juste parce que toi, tu avais envie demettre une
chemise.—Unsouciavecmachemise?
—Pasdutout,lescolspelleàtartereviennentàlamode,ilparaît.Lesarcasmeneluiéchappepasetj’aidroitàunmagnifiquedoubledoigtd’honneur.—Faisaumoinsquelquechosepourtescheveux.—Jerêveoutuashonted’êtrevuentraind’arriveravecmoi?—Honte,peut-êtrepas…—D’accord,jevaismechanger.C’estuniquementpourneplust’entendregeindre.Je choisis un jean skinny, j’enfilemesDoc par-dessus, je change de t-shirt et je garde un t-shirt
quandmême.C’estunBowiedel’époqueStarman,mince,siçacen’estpaslaclasse.J’aiencorecoupélecolet ilme tombesur l’épauledemanièresexy.Enfin, jecrois.J’espère.Bref,ça ira.Etpourmescheveux…Bah,jemefaisunchignonquidetoutefaçonsedésintégrerad’iciunepetiteheure,c’estjustepourqueLoïcnepuissepluslaramener.Jeleretrouvedansl’entrée.Ilsoupireetsecouela tête, l’airdésespéré.
—Tunepouvaispasfaireuneffortetmettre,jenesaispas…unejupe?—Jet’emmerde.Voilà,tumepoussesàêtregrossière.Nouspartons,iltientlecadeaupourAnthonyserrécontrelui,doncaucunrisquedel’oublier.Quand
jepensequec’étaitmonidée…Jesuiscertainequ’ilvaessayerd’enrécupérertouslesbénéfices!J’aimêmedûfaireleforcingpourl’empêcherdeleluiamenerlejourpiledesonanniversaireenusantdetoutlebonsensdontilestcapable,pasbeaucoup,pourluifairecomprendreque,oui,Anthonyestducinqoctobre,maislafêteestlesamedisuivantetqueçanesefaitpasd’arriverlesmainsvides.
Pas étonnant que je gère plutôt bienEmma, sans le savoir, j’ai eu un entraînement de choc avecLoïc.
Ange
Jesuisnerveux.Jenesuispasdugenreàl’être.Maisjelesuis.Jesaisqu’ellevabientôtarriver.JeregardeAudreys’agiterpourproposeràboireetàmangeràceuxquisontdéjàlà.Çam’occupe.— Inquiet ? Tu as peur qu’elle t’ignore ?Qu’elle se pointe avec son nouveaumec ?Qu’elle te
frappe?—Merci,Sof,jemesensd’uncouptellementmieux.—Derien,monpote,moisijepeuxrendreservice.Enquelquessemaines,elleaconquistoutlemondeet,àpartEmma,jen’aipersonnedemoncôté.
Elle ne compte pas vraiment, elle m’aime d’un amour inconditionnel, elle n’a pas trop le choix. Ethonnêtement, si jen’étaispasmoi, je luidiraisque jeneméritepasd’avoirquiquecesoitdansmonéquipe.
Ellem’aaidéàtransmettreàLisetoutesceslettresoùjeluiraconteendétailcequej’aivécudurantsonabsence.Celled’ilyadixans.Mereplongerdanscettepériodeaétéplusfacilequejenelepensais.Carelleest là,maintenant,et jesaisqu’elleest làpourrester.Mais j’avaisbesoinqu’ellecomprennecommentj’aipuenarriveràêtreaussiconavecellecetété.
Lise
—Onluioffreenmêmetemps.—Mais…—Onl’attrapechacund’uncôtéetonluioffreensemble.—Mais…—C’étaitmonidée.Alorssituneveuxpasfairecommeça,c’estmoiquiluidonnetouteseule!—D’accord.Ilsonneetjetireunpeudemoncôté,cariln’arrêtepasd’accaparerlecadeauverslui.—Loïc…jelemenace.Sansaucuneffet,dèsqu’Anthonynousouvre, il ramène lepaquet à luid’uncoup,bien sûr, je le
lâche,parcequesinonceseraitrisquerdel’abîmer…Etilluilanceun«joyeuxanniversaire»tonitruant,tout en le lui tendant. Il trépigne, il faitdepetitsbondsagaçants. J’ai enviede lepousserduhautdesescaliers.Quelsalegamin…
—Merci!Entrez,presquetoutlemondeestlà!—Justepourquecesoitclair,cecadeau,c’étaitmonidée.J’embrasseAnthonysurlajoueetentreenplantantLoïc.Ledealétaitdedirequec’étaitnotreidée
àtouslesdeuxetdoncquelecadeauétaitdenotrepartàtouslesdeux.Maisaveclecoupbasqu’ilvientdemefaire,c’estchacunpoursoi!
—J’aisuivimonimpulsion,Lise,désolé!—Troptard.—Jenerecommenceraiplus!Ilesttoutpenaud.Bienfait.—Tun’enauraspasl’occasion.Jenepartageraiplusmesidéesavectoi.—Jevaisnouschercheràboire.—Faisdoncça.—Liiiiiiiise!
Emma me saute dessus et s’accroche à ma jambe. Je la secoue un peu, elle comprend vite,maintenant,elleal’habitude.Ellemelâcheetjememetsàsahauteur.
—Bonsoir,Emma.Qu’avons-nousditàproposdunombrede«i»dansmonprénom?—Unseul.—Etqu’avons-nousditàproposdemajambe?—Quejenesuispasunchien.—Bien.Jesuistendue,c’estclair,j’engueuletoutlemonde,cesoir.—Putaindebordeldemerde!hurleAnthonydansmondos.—Grosmot!Grosmot!Grosmot!l’imiteEmmadel’autrecôté.Lescrisenstéréo,c’estlepied.—Ilaouvert!Ilaouvert!surenchériLoïcenreprenantsespetitsbonds.JemerelèveetmeretournepourvoirAnthonyfoncersurmoietmeserrerdanssesbras.Adieu.Je
viensdeperdredeuxou trois côtes.Hé…çane sert à rien les côtes, c’est surfait, jedevraispouvoirvivresans.
—Merci!Merci!C’estparfait!Par-dessussonépaule,j’aperçoisAngequinousobserve.Ilestassissurleborddelatablebasse
dusalonetilmesourit.JeluirendssonsourireetAnthonymelibèreenfin.—Pourêtrehonnête,parcequejenesuispascommecertains,jepréciseenregardantLoïc,j’aieu
l’idée,maisjen’auraispaspuyarriversansLoïc.Ducoup,ilssefontuncâlindemecs.Letructrèsmâle,aveclabonnetapedansledosetleserrage
viril d’avant-bras.Un câlin demecs, quoi.Onn’appelle cependant pas ça un câlin, ça ne respire pasassezlatestostérone.C’estuneaccolade.
Anthonyfeuillettesonmagazineavecdesétoilespleinlesyeux,ondiraitungosseetpasuntypequifêtesesvingt-neufans.Lehors-sérien’estpasencoresortiettoutel’équipel’asigné.MêmeVoldemortasigné. Enfin… il a fait une sorte de croix sous l’édito. Je ne suis pas sûre que ce soit sa véritablesignatureetLoïcadéjàeu lecouraged’aller luidemanderça,onn’allaitpaschipotersur le rendu. Ilparaît qu’il a lancé quelque chose du genre « même à plusieurs centaines de bornes,Monroe arriveencoreànousfairechier».Cequinem’étonnepasuneseconde.
Jesaisqu’ilestentraindem’observer.Jelevoisducoindel’œiletjefaismonpossiblepournepasavoir l’airde le remarquer.Parceque jene saispasdu tout commentnousallonsnous retrouver.Alorsj’essaiedeprofiterdelasoirée,jenesuispaslàpourlui,nipournous.JesuislàpourAnthony.
—Unpetitfour?Audreyseplantedevantmoiavecunplateauchargédebonnespetiteschosesminiaturesàmanger.—Tuastoutfaittouteseule?—Oui,c’estsainet…—Nemedispas cequ’ily adedans, jevais juste…goûter, tu sais…Etmedirequec’estpas
forcémentdupissenlit.
—Hein?—Bravoentoutcas,tuasbienbossé.—Merci.Jefileàlacuisinechercherdesboissons.Ilyapasmaldemondeet jeneconnaispersonne.Cen’estpasgrave.J’aimebienvoirAnthony
heureuxquipapillonned’ungroupeàl’autrepourparleravecchaqueinvité.Jesuisentraind’observertoutçaquandjelesensderrièremoi.Jen’aipasbesoindevérifier,jesaisquec’estlui.Ilposeleboutdesdoigts surmonépaule,celleoùmon t-shirtestcensémedonner l’air sexy,et il les faitdescendredoucement jusqu’à mon poignet. Il les entrelace aux miens et nous restons un moment immobiles,silencieux.Jusqu’àcequejefasseunpasenarrièreetquejesoiscontrelui.Ilneditrien.Ilestjustelà.
Ange
Ellemelaisselatoucher.
Lise
Nousrestonscommeçaunmoment.Dansnotrebulle.Etc’est leroide lafêtequimesortdecetinstantparfait:
—Queeeeen!GuitarHero!JesensAngeriredansmondos.Ilresserremamainavantdelalâcher.Letempsquejereprenne
vraimentmesespritsetmeretourne,iln’estpluslà.JeretrouveAnthonyetnousjouons,jenelelaissepasgagner.Anniversaireoupas, cen’estpasmongenre.Etpuis ça lui fait unbutdans lavie,demebattreàce jeu.Si je le laissaisgagner, ilperdraitsa raisondevivre. Ilprofitede ladiversionque lasonnette de l’entrée lui offre pour éviterma jubilation humiliante. Il revient avec deux hommes et lesprésenteànotrepetitgroupe:
—Lesgars,voiciMicheletDavidquiviennentd’emménageràcôté!NouslessaluonsetDavidpointelaconsoledudoigt:—GuitarHero!Quijoue?S’ensuitunecompétitionoù jemefais laminerparce typedébarquédenullepart. Jenesuispas
aussimauvaiseperdantequ’Anthony,mais je jouepourgagner.EtAnthonyserégaleàmevoirperdre.Lesheuresdéfilent,jen’arrivepasàremontermonscoreetjefinisparprétexteruneenviedefairepipi.Peut-êtrebienquejesuisaussimauvaiseperdantequ’Anthony,finalement…
Lorsquejereviensausalon,jenevoisplusAnge.Jenesaispasoùilest,Emmaestpartieavecsamèredepuisunmomentdéjà.Jeresteencoreunpeuet,quandjeremarqueLoïcvautrésurlecanapé,àmoitiébourré,moitiéendormi,jedécidequ’ilesttempsderentrer.
—Tun’espassortable,jemarmonneenletraînantjusqu’àlavoiture.Jem’installe au volant et découvre une enveloppe coincée sousmon essuie-glace. Je ressors en
pestant pour l’enlever et sens quelque chose de lourd. Je reconnais un des cœurs d’Emma dessus. Jel’ouvre.
Ilyajusteunefeuilleblanche,cettefois.Pasdelonguelettrem’expliquantàquelpointj’aipulefairesouffrir.Ilascotchéuneclefdansuncoin.Laclefdechezlui?JeregardeLoïcquiroupille,latête
enarrière et laboucheouverte. Jevaisdoucement jusqu’à laported’entrée etm’assurequepersonnen’est sur le point de partir. J’aurais l’air complètement abrutie en train de fureter comme unecambrioleuse.Jeretire laclefdelafeuilleetessaiedelamettredanslaserrure.Oui.C’est laclefdechez lui. Je fais troispetitspasdedansequand j’entendsdubruità l’intérieur,et je reparsencourantjusqu’àlavoiture.Jedémarreunpeubrutalement.Loïcneréagitmêmepas.
37
Lise
Qui peut bien sonner un lundi matin à même pas huit heures ? J’hésite entre faire comme si jen’avaisrienentendu,dansl’espoirdemerendormir,etallerpassermamauvaisehumeursurl’intrusquiose.Lundi,c’estsacré.Jevaisfairemagarce,tiens,puisquelarumeursoutientcettethéorie.Jemelèveet enfile un short histoire de ne pas ouvrir en t-shirt/culotte. Sait-on jamais, que ce soit le voisin dudessus… Un coup d’œil dans le judas et je commence à paniquer. Qu’est-ce qu’il fait ici, avec sasexytudematinale?
Allez,courage,Lise,tupeuxlefaire.J’ouvre.J’attends.Ilmeregardelentementdehautenbas,puisdebasenhaut.Etshortoupas,j’ail’impressionqu’il
estdetoutefaçonentraindem’imaginersansrien.—Tumemanques.Ilposesamainsurmanuqueetm’attireàlui.Ilmeserredanssesbrasavantdemurmureràmon
oreille:—Sorsavecmoi,cesoir.Jesavourel’instantetmeblottiscontrelui.Jeprofitedesesbrasautourdemoi,sonsoufflesurmon
cou…—Lise?—D’accord.Ilm’embrassesurlajoue,mesouritets’éloigne.Jeretournemecoucher,emmenantdansmonlitla
sensationd’Angeavecmoi.
Ange
Jesouriscommeunconenretournantàlavoiture.Elleaditoui.
Lise
J’ailesmainsmoites.Jemesuischangéecinquantefois,cequiesttotalementridiculepuisquej’aifiniparopterpourunjeanetunt-shirt,commetoujours.J’aimismonpréféré,deQueenbiensûr,coupéau col comme le sont tous mes t-shirts. J’ai failli mettre un soutien-gorge, je n’ai juste pas réussi àremettrelamaindessus.Jemesenscommeàunpremierrendez-vous,empotéeetmaladroite.Alorsquenousn’ensommespluslà.Iln’ajamaisétéquestiondereprendredezéro.C’estimpossible.Nousnousconnaissonstropbienpouroublierlepassé.
Quandilsonne,jeprendsunegrandeinspirationetessaiedemeconvaincrequejelemérite.Quejeméritequ’ilmedonneenfincettedeuxièmechance.
—Liiiiiiiise!—Emma,bonsoir.Qu’avons-nousditpour…—Unseuli,pardon.Elleal’airtoutepenaude.Alorsjeluifaisunepetitetapotesurlatête,pourlaféliciter.Ellesourit.
C’esttellementfaciledeselamettredanslapoche.Sitoutpouvaitêtreaussisimple.—Papailaditquecesoironsortaittousensemblealorsmoij’aiditqu’onn’avaitqu’àallerfaire
unpique-niquemaispapailaditquet’avaispeut-êtrepasenviealorsmoij’aiditqu’onn’avaitqu’àtedemanderetAudreyelleaditmaissic’estunebonne idéealorsellenousapréparéunpanieravecàmangeretmoij’aiditqu’onn’avaitqu’àallervoirsiT-Rexelleétait làetpapailaditc’estLisequidécidealorsLise,tuveux?
J’ai retenumon souffle pendant toute sa tirade, par réflexe et habitude, et je prends une grandeinspirationavantquemoncerveaunesoitprivéd’oxygènetroplongtempsetquejecommenceàdiredesconneries.Enfin,mêmebienalimenté,ilendébitedesinepties,moncerveau.
—D’accord,faisonsça.—Alors il faut une couverture parce qu’Audrey elle a dit qu’on semet par terre pour faire un
pique-niquemaispapa il apaspensé à la couverture alorsmoi j’ai ditmaisLise elle apeut-êtreunecouverture.
—Entrez,jevaischercherça.Ilsavancentjusqu’ausalonetjesuissecrètementsoulagéequ’Emmasoitlà,carelleentretientàelle
seule la conversation.Ange reste silencieux et j’essaie d’éviter son regard. Je suismal à l’aise. J’ail’impressionquecetteséparationdequelquessemainesmepèseplusquelaprécédentequiaduréneufans.C’estparadoxal.Illogique.N’importequoi.C’estpourtantcommeçaquejelevis…
Jerécupèreunvieuxplaiddansunplacardetlesretrouveausalon.—Onyva!Onyva!Elle fait desbonds etme rappelle étrangementLoïc, le soir de l’anniversaire d’Anthony. Je suis
certainequ’ilvaadorerlacomparaisonquandjevaislaluimentionner.Jefinisparleverlesyeuxsursonpèreetàcemoment,c’estellequ’ilregarde.Alorsj’enprofitepourl’observer.Ilal’airfatigué,Anthonym’aditqu’ill’entendaitsouventfairedusport,lanuit,danssachambre.Delamuscu,cegenredetrucsoùmêmesionmepayecher,trèscher,jeneleferaipas.D’aprèslui,ilcogitebeaucoupets’angoisseparcequ’iln’estpassûrquesaboulettepeutêtreréparée.Iln’aaucuneidéed’àquelpointjemeficheroyalementdecequis’estpassé.Jeveuxsimplementquenousrepartionssurdebonnesbases,cettefois.Commentpeut-ils’imaginerunesecondequ’aprèsl’avoirquitté,ilyaneufans,jepourraisluienvouloird’avoireudesdoutes?
Ange
Jesenssonattentionsurmoi,jeconcentrelamiennesurmafille.Jeveuxluilaisserletemps.Nouslaisserletemps.
Lise
—Iln’yaquedestrucssains,danscerepas.—Audreyl’apréparé.—Onvaavoirladalle,jefaisremarquer.Manger équilibré, bio, tout ça, c’est bon pour la santé. Enfin moi, c’est pas deux crackers aux
grainesdecourgeetàl’emmentalallégéettroisroulésdejambondedindemaigreaufromagefraisà0%quivontmecaler.
—Moij’aimepasça.Emmachipote,etjeréalisequesijedonnaislebonexemple,peut-êtrebienqu’ellelesuivrait,vu
quec’estmoncloneminiature.Effectivement,jem’extasiesurlesbrochettesdecruditésàtremperdansunesauceallégéeetellem’imite.Entrenous,cen’estpasmauvais,c’estsûr.EtpuisAudreyadûpasseruntempsfouàpréparertoutça.J’arrêtederâler.Iln’yapasdepissenlit,c’estunrepasréussi.
—JevaischercherT-Rex!nousannonceEmmaens’installantàsonposted’observation.Elleaprisunmorceaudesaladequ’elleaposésurlesoldevantelleetjenel’aijamaisvueaussi
silencieuseetimmobileplusdequinzesecondesd’affilée.Cettetortueadespouvoirsextraordinairesetellenelesaitprobablementpas.C’estunpeuTortueGéniale.Enmoinsvicieuse…
—J’appréciequetusoisvenue,cesoir.JemetourneversAngeet,cettefois,c’estmoiqu’ilregarde.—J’apprécied’êtrevenue.—J’aidéconné.Ilmarqueunepause,observesafilleunmomentavantdereprendre:—Jesuisdésolédenepasavoireuconfianceentoi.Ennous.—Jesais.—Etje…—Arrêtedeteflageller.Noussommesdeuxàavoirdéconné.Chacunsontour.Jetediraisbienque
jesuisdésoléedecequejet’aifaittraverser,maisçamesembleassezminableàcôtédecequetuas
effectivementvécu.—Alorsnedisrien.—Oui,mais…—Embrasse-moi.Ilsepencheversmoi.Jesensmoncœuraccélérer,commesic’était lapremièrefois.Enquelque
sorte,çal’est.Ilposeseslèvrescontrelesmiennes,délicatement,nousnenoustouchonsqu’àceniveau,cepetitpointdecontactquiréveillepourtanttoutlerestedemoncorps.
Uneffleurement.Unautre.Salanguequicaressedoucementmabouche.Sesyeuxouvertsquimefixent.Lacertitudeque,cettefois,c’estlabonne.
Ange
Seslèvres.Sonsouffle.Sapeau.Elle.
Lise
Ils’éloignedoucement,àregret,jelesais,jelesens.Jeluisouris.—Tum’asmanqué.—T-Rex!JemetourneversEmmaet,effectivement,j’aperçoislatortues’avancerparesseusementverselle.
Elle s’approchede la salade et semble la renifler.Ça renifle, une tortue ?Peut-être bienque ça a duflair…Elleencroqueunpetitbout,cequiprovoqueuncouinementdelapartd’Emmaqui,jeleremarqueavecplaisir,faitvraisemblablementuneffortpournepaspartircomplètementdanslesaigus.
Angeprendmamain.Jenel’aimêmepasentenduserapprocher.Jeresserremesdoigtsautourdessiens.
38
Lise
—Jel’aivue,hier.Vousaviezraison,ellemepardonne.—Biensûrqu’elletepardonne,Ange.—Jen’enétaispassisûr.—Parcequetuesunhommeetquevousêtesincapablesdevoircequevousavezsouslenez.Jesuisdanslecouloir,justedevantlachambred’Annabelleàlamaisonderetraite.J’aifaillientrer
aumoment où j’ai entendu la voix d’Ange. J’ai été tellement surprise de le savoir ici que jeme suisarrêtéenet. Je saisque je suis en traind’espionner et queçane se fait pas.Lacuriosité est unvilaindéfaut,blablabla…J’aitentéd’expliqueràEmmaqu’onnepouvaitrienrécolterdebonenécoutantauxportes, j’ai essayé d’y croire. Soyons honnêtes une minute : qui, en entendant parler de soi, feraithumblementdemi-touralorsqu’ilpeutrester,incognito,àécouter?Pasmoi.
—Commentvoussentez-vous?—Oh,tusais,ceclub…Noussommesbiend’accordquetun’enparleraspasàLise?Ellevoue
unehainefaroucheàFabiodepuismasecondechute.—Jenedirairien,comptezsurmoi.Jevois,çacomplotedansmondos.Etjenepeuxmêmepasm’enoffusquerpuisquejenesuispas
censéeêtreaucourant.— Bon, alors, nous avons lancé un vote pour élire la plus belle couverture. Nous en avons
sélectionnéunedizaineetlesavonsexposéesdansleréfectoire.Ladirectriceamisànotredispositiondes bulletins qu’elle a imprimés exprès. Toutes les résidentes peuvent voter. Les résidents aussi…Cependant,jemedoutequ’ilsneserontpasnombreux.Mêmelesfamillespeuventvoter.
—Jepeuxvoteralors.Dites-moilaquellevousvoulezquej’élise.—Lahuit,sansaucunehésitation.Elleditçaavecuneintonationcoquine.CettemaisonderetraitemedévergondemasageAnnabelle!
Jesavaisquec’étaitunemauvaiseidée!—J’iraimettremonbulletinavantdepartir.
—Merci,Ange.—Non,merciàvous.—Jesuisheureusequetuviennesmevoir.—C’estnormal.Vousnousmanquez,là-bas.—Lisearefaitl’appartement,tuasvu?—J’aieuunaperçu,hier.Elleafaitdubontravail.—Oui,jesuiscontentequ’elleaitchoisiderester.—Voussaviezqu’elleresterait.Ilneluiposepaslaquestion,ildéclarecelacommeunfaitétabli.Ellemeconnaîtsibien.Mieux
quemoi-même.—Bienentendu.Elleesttêtue.Pourtantellesaitcequ’elleveut,maintenant.—Oui,elleesttêtue,c’estuneuphémisme.Espècedesalepetitcomploteur.Ilmecritiquequandjenesuispaslà.Attendsunpeuquejefasse
lalistedetesdéfauts.Ilssemarrentsurmoncompte.Jemesenstrahie.Jevaisdevoirmevenger.Mêmesic’estAngequi
subiramoncourroux,carçamesemblesacrémentlâchedem’enprendreàunevieilledamedansl’étatd’Annabelle,ceseraitfrapperunefemmeàterre.Luipeutencaisser.
—Tul’auraisvue,déterminéeàneplusjamaismelireunseullivresiFabioestencouverture!J’aidûuserdemonarmefatale.
Jerêve!C’étaitdoncça,cesyeuxdechiotabandonné?Pourquoitoutlemondeparvientàlesfaire,saufmoi?
—Cen’estpasl’heuredevotreclub,d’ailleurs?—Si,maiscommeLisenousespionnedepuisunmoment,jevaisd’abordluidirebonjour.Ehmince.Grillée.Commenta-t-ellesu?—Lemiroir,Lili,lemiroir,répond-elleàmaquestionmuette.Jelèvelatêteetjesuiseffectivementenpleindanslerefletdumiroirquifaitfaceàlaportedela
chambre,etdoncaulitd’Annabelle.J’envisagependantuninstantdem’enfuir.Dequoiaurais-jel’airsijecèdeàmacouardise?Àlaplace,j’avancelentement,latêtebasse,etentredanslachambre.
—Jenesuislàquedepuis…—…dixminutes,complèteAnnabellepourmoi.Jerelèvelesyeux,ellesourit.—Jesuisdésolée,jen’aipaspurésister.Jecroise le regardd’Angequisouritégalement, lesbrascroisés.Ohçava,hein. Ilsauraient fait
pareilàmaplace.Onvapeut-êtrem’épargnerlalapidationenplacepublique,merci.Surtoutquecen’estpasmoiquiparled’euxdansleurdos.Enfin,si,jelefais,biensûr.Jem’arrangesimplementpournepasmefairesurprendre,c’estlabase,toutdemême.Unedesemployéesarriveàcemoment,lessauvantdemesremarquesdéplacées.
—MadameLaval,c’estl’heuredevotreclub!
—Unclub,alors?jeglisseensouriant.—Lili, jepensequ’aveccequetuviensdefaire,tupeuxm’épargnertondiscourssurl’influence
néfastedeFabiodansmavie.—Vas-y,jeterejoinsdansunmoment.—Oh,tunousferaisunelecture?Commentluirefusercepetitplaisir?—Biensûr,choisissezlelivreetj’arrive.—MêmeunavecFabioencouverture?—Oui,mêmeunavecFabio.Sonsourirevauttouteslesconcessionsàmonembargo.Quandellessontsorties,Angeselèveets’approchedemoi.—Tum’enveux?—Ai-jeunebonneraisondet’envouloir?—Jenesaispas,j’aiditquetuétaistêtue,tun’étaispascenséeentendre.—Jepensequ’unbisoupourraiteffacerl’affrontsubi.Ildéposeunchastebaisertoutsagesurmonfront.Jelemaintienscontremoi,l’attirepourquenos
lèvressetouchent,lesmainssursanuque,etilnerésistepasquandmalanguesefaufiledanssabouche.Ilsourit,même.
Jefinismalgrétoutparlelibérer,onestunpeudansunemaisonderetraite.Ilreculed’unpasetmesouritavantdepassersonpoucesurlecoindemabouche.
—Tuvienssouventlavoir?jeluidemande.—Quandjepeux.—Tuauraispumeledire.—Pourquoi?—C’estgentil,jesuissûrequ’elleestravie.Etpuis,ellenousareconnustouslesdeux.—Elleadetrèsbonsmoments.—Oui,j’aivu.J’ail’impressionqu’elleestheureuse,ici.—Elleadelacompagnie,çalachange,elleadoreça.Tuasentendupourlevote?—Oui,alors, toiaussi tucraquespourFabio?C’est lescheveuxblonds,c’estça, tune résistes
pas?—Jepréfèrenepasrépondre.Viens,allonsvoterpourlahuit.Ilpasse sonbrasautourdema tailleetnousvoilàen routepour sceller ledestindecespauvres
couverturesdésuètes.Fabioestimmortel.
«Labrises’immisçaitdanssescheveuxqu’elleportaitlâchésdepuisqu’elleétaitrevenueàlacampagne,danslamaisonfamiliale.Jamaisellen’auraitcruquelanaturepouvaitluifaireautantdebien.MaisdepuisqueJonathan l’avait trompée,depuisquesonuniverss’étaitécroulé, iln’yavaitrienqueNickyn’était prêteàaffronter.Retaper lademeure familialedont elle venait d’hériter lui
semblait le meilleur moyen de ne pas s’apitoyer sur sa vie. Un bruit la fit se retourner. Elle seretrouvafaceàuninconnuqui ladépassaitd’aumoinsunetête.Elledut leverlementonafindeleregarder dans les yeux.Des yeux d’un gris semblable à celui que les nuages créaient dans le cielténébreuxquiannonçaitunprobableorage.L’hommeétaitmusclé,beau,tentant…etreprésentaittoutcequ’ellecherchaitàfuir.
—Quiêtes-vous?—Lecharpentier,nousavonsrendez-vous.Elle s’admonesta unegiflementale pour avoir oublié la venuede l’entrepreneur qu’elle avait
contacté afin qu’il établisse un devis pour tous ces travaux qui étaient hors de sa portée. Ellel’observaquelquessecondesensilenceavantdesereprendre:
—Oui,bienentendu.Lesmusclesdesonbas-ventresecontractèrentlorsqu’ilsouritetdévoilaunefossettesurchaque
joue.»
—Ah.Jelesavais.Iln’yapasquemoiquisuissensibleàcetatout!SileshéroïnesdeFabiosefontavoir,d’unecertainefaçon,çamerassure.Alorsquebon,ellesse
fontavoiràpeuprèsparn’importequelattributmasculin.—Monpremiermariavaitdesfossettessurlesfesses,déclareRoberta.—Oh,jen’enaijamaisvu!s’exclameAnnabelle,biencurieuse.L’air de rien, je prends mentalement des notes pour proposer un article sur ce phénomène qui
semblemêmefaireragechezletroisièmeâge.D’ailleurs,çamedonnecarrémentuneidéed’articlesurletroisièmeâgeengénéral!
—Moi,j’enaivu,deloin.Enfin,c’étaitunephotosurInternet,avoueLouise.Quequelqu’unlesarrête,jesensqueçavacomplètementdéviersurdugrandn’importequoi,cette
histoire.—Lesfossettessurlepostérieursontbienplusravageusesquecellesdesjoues,affirmeRoberta.
Monpremiermarisavaitqu’illuisuffisaitdem’agitersesfessessouslenezpourobtenircequ’ilvoulaitdemoi.Absolumenttoutcequ’ilvoulait.Ilamêmetentéd’userdecestratagèmelorsdudivorce!
—Pourquoi avoir quitté un homme tellement irrésistible ? je lui demande, épatée qu’elle ait putournerledosàcesarmesillégales.
—J’avaisrencontrémondeuxièmemari,ilavaitunecicatriceausourciletdesfossettesauxjoues.J’ainaïvementcruqueçapesaitpluslourddanslabalance.Or,letempsm’aprouvéquelesfossettessurlesfessessontimbattables.
Ladiscussionsepoursuitunmomentautourdecequifaisaitcraquercesdameschezleshommes.Enfin,jenesaispaspourquoijeparleaupassé,ellesmesemblenttoutestrèsalertes,encore.Jesuissûrequejepourraisfaireunbonpapiersurlesujet.
Lescommèresévoquentlesatoutsdeshommesqu’ellesontfréquentésdansleurvie,tombanttoutesd’accord sur le faitque les fossettes sont loindevantdans le classement.Etmoi,bienentendu,onmeparledefossettes,c’estàAngeque jepense. Iladûrepartir travailleraprès ledépôtdenosbulletins
dans l’urne de l’élection du Fabio le plus sexy. Nous ne nous sommes pas donné rendez-vous. Nousavançons doucement, tranquillement, et je dois admettre que çame plaît.Cette nouvelle séduction, cetemps que nous prenons à nous apprivoiser à nouveau. Cette véritable deuxième chance. Ça crée unetensionsexuellequirisquedenousexploseràlafiguretôtoutard,maishé,çaprometdesretrouvaillesintenses…
—Lise?Jereviensdanslaconversationetplusieurspairesd’yeuxcurieuxmefixent.—Quoi?—TupensaisàAnge?medemandeRoberta.—Vousleconnaissez?Ellessemettentàglousser.Glousser!Ondiraitunpoulaillerenpanique.—Bienentendu !Chaque foisqu’ilvient rendrevisite àAnnabelle, elle apourmissiondenous
l’amenerici,danslasallecommune.—Pourmission?jedemande,craignantdecomprendredequoiilretourne.— Il ne nous arrive pas souvent d’avoir de beaux jeunes hommes en chair et en os à admirer…
Alorsoui,c’estunemissioncapitale.Lapréservationdenotresantémentaleestenjeu.Jerêve.Cesgrands-mèressontdesobsédéesenpuissance!—VousmatezAngequandilvient?—Bentiens,onvasegêner,ajouteÉléonore.Non, sérieusement, elles commencent à me faire peur. Je dois protéger Ange de cette bande de
cougarsenchaleur.
C’estlapremièrefoisquej’utilisemaclef.Saclef.Enfin,laclefdechezlui.Jesuismalàl’aiseparcequejen’aipasprévenuquejevenais.Jesaisqu’ilestseul,c’estlejouroùilfaitlacomptaetjeconnaisvaguementleshorairesdesautres.Jepourraissonner,m’annoncer.Maisj’aimaclef,j’aienviedem’enservir.Symboliquement,çacomptebeaucouppourmoi.Alors j’entre,sansbruit.Jemedirigedirectementverslebureau.Laporteenestouverteetj’ytrouveAngeentraindecompulseruneliassedepapiers,concentré.
Ellesontraison,à lamaisonderetraite,ceseraitvraimentdommagedenepasprofiterdelavuequ’iloffre.Ilaremontésescheveuxdansunélastiqueenunchignonquisemarieparfaitementavecsabarbe.Ilestentenuedécontractée.Jenevoispascequ’ilporteenbaset,àenjugerparlet-shirt,jemedoutequ’ilasonjeantoutdéchiré.Ilnem’apasencorevue,alorsjel’observe.J’hésiteàleprendreenphotoàsoninsu…
Ilrelèvelatête,j’aidûbougerunpeuetlemouvementaattirésonattention.Ilneditrien.Moinonplus.Jegardelesyeuxrivéssurlui.Ilselève,lentement.Trèslentement.Chaquepasqu’ilfaitversmoimeprovoqueune contraction entre les cuisses, je nevauxpasmieuxque les vieilles de lamaisonderetraite.Jemedemandecequ’ilpenseraitdesesavoirréduitàl’étatdetoy-boy.
Ils’arrêtejustedevantmoi,m’obligeantàreleverlatêtepourconserverlecontactvisuel.
—Tuvoulaisquelquechose?—Toi?Ilsourit.Jemehissesurlapointedespiedsetposeleslèvrescontrelessiennesquinecessentdesourire.
Malangueretrouverapidementlasienne,sesmainss’ancrentsurmatailleavantderemonterlentementlelongdemondosetdes’immobilisersurmanuque.Lesmiennesseglissentdanslespochesarrièredesonjeanavantdeleramenercontremoi.Plusprès.
Ange
Plusprèsd’elle.Toujoursplus.Jamaisassez.
39
Lise
Nous sommes allongés dans son lit, habillés, et nous nous embrassons. Comme si nous étionsredevenusados.Etencore,jemesouviensquelorsquenousétionseffectivementadolescents,nousavionslesmainsbienplusbaladeuses.
Il a délaissé sa compta pour passer un moment avec moi, pour profiter de ce rare moment desolitudedontnousbénéficions.Ils’écarteunpeudemoietjereprendsmonsouffle.Difficilement.
Je laisse ma main se promener du bas de son dos, où elle se trouvait, jusqu’à l’arrière de sacuisse…puisjelaramènesursonérection.Ilfermelesyeuxetunpetitsoupirluiéchappe.Jelefrôlelentement, sanscesserd’observerses réactionssursonvisage. Jedéfais son jeanet je le libère. Je lerepoussesur ledosetdescendsendéposantde légersbaisers sur lechemin. Jusqu’àarriverentre sescuissesoùjecaressetoutesalongueurduboutdelalangue.Ilfrémit,jel’entoureetcommencedesva-et-vient qu’il accentue en soulevant le bassin et en venant à ma rencontre.Mes lèvres se posent à sonextrémitéavantdes’entrouvrirpour leprendre leplus loinpossible. Ilgémit, jesouris, il resserre lesdoigtsdansmescheveux,jesuisexcitéeetjeveuxplus,tellementplus.
Ilgémitencore,monnom,monsurnom,ilrejettelatêteenarrièreetappuiesesmainssurmatête.Jetrouvelebonangle.Jejoueaveclalangue,lesdents,légèrement…Ilaccompagnemesmouvementsdeshanches.Jem’agrippeàsacuissedemamainlibreetcreuseunpeulesjoues.Ilsursaute,jelerefais,iljure. Il se redresse et je le prends plus loin, le plus loin possible, comblant le reste avec ma mainreferméesurlui.Iltireunpeumescheveux,jelesensseraidirsousmalangue,jelegardeenmoi.Iltentede m’avertir à nouveau, je n’ai pas l’intention de me reculer. Il jouit. Fort. J’avale chacun de sesgémissements.Jelecaresseencoreunpeu,ilestànouveauétendu,jemerelève.
Ilestmagnifique.Allongé,lesyeuxfermés,encoresousl’effetdel’orgasmequejeluiaiprocuré.Savoirquejesuiscapabledelemettredanscetétatmefaitunbienfou.Danstouslessensduterme.—Vienslà…
Ilm’attiredanssesbrasetjemeretrouveallongéesurlui.Sesmainsseposentdirectementsurmesfesses.
—Tonculm’amanqué.Jesouris.Bêtement.J’aiprobablementmonairdedemeurée.—Teslèvresm’ontmanqué.J’accentuemonexpressionbéate.—Tum’asmanqué.—Jesais.—Restemangeravecnous,cesoir.C’estSofianequicuisine,ajoute-t-ilpourm’inciteràaccepter.—D’accord.—Jedoistravailler,avant,finirlacompta.—D’accord.—Tupeuxresterici,ouveniravecmoi,tufaiscommetuveux.Neparspas.—D’accord.Jecroisquej’aibuguépourdebon.—Dis-moid’arrêter,situneveuxpas.Ildéplacesesmainspourdégrafermonjean.Jemetortilleunpeupourluidonnerunmeilleuraccès.
Ilmefaitbasculersurledosetseretrouveau-dessusdemoi.Ilretirelentementmonjean,sansmequitterdesyeux.Qu’est-cequeçam’amanqué.Pasuniquementça,biensûr,carcetteintimitévabienau-delàdusexe.Medonnerentièrementàlui,luiconfiermoncorps,sansaucunerestriction.
C’estmamanièredeluimontrerquerienn’achangé.Ilenlèvemont-shirtet,commechaquefois,ilretientsarespirationaumomentoùilréalisequejene
portepasdesoutien-gorge.Ilesttoujourssubjuguéalorsquejen’enportejamais.Etça,ceregard,cetinstant…c’estparfait.
Ilmeregardequelquessecondes.Jenesuispasembarrassée.Jamais,avec lui.J’aimel’observerlorsqu’il fait ça. Que ses yeux glissent surmoi en une caresse abstraite dont l’effet est pourtant bienconcret.Là.Entremescuisses.Jebougeunpeuetsesyeuxreviennentauxmiens.Ildescendsurmoi,seslèvresdémarrant justesousmonoreille, traçantunsillonhumidejusqu’àmonventre,mesjambes,puisplushaut,justelà.Ilmepénètrededeuxdoigtsalorsquesalanguedessinedepetitscercles,unpeuau-dessus.Ilmemaintientcontreluid’unemain,l’autrejouanttouràtouravecchacundemesseins.Jesaisquejenevaispastarderàjouir,ilm’atropmanquépourqueçadure.Jesenslespremièresvaguesdeplaisir monter : paresseuses, incertaines, crescendo… et je soulève instinctivement le bassin quandl’orgasme est à son paroxysme. Sesmainsmemaintiennent contre lematelas et il neme relâche quelorsquejelerepoussedoucement,tropsensiblepourensupporterdavantage.
Marespirationesthachéelorsqu’ilserallongeau-dessusdemoi.Ils’essuieleslèvresdudosdelamainavantdedéposerunepluiedebaisersdansmoncou,surmesépaules,messeins,partout.Jesuisencorestoneetilprofitedecetinstantvaseuxpourmurmureràmonoreillequ’ilm’aime,qu’ilestdésolé,qu’ilnemelaisserapluspartir,qu’ilm’aime.Encore.Toujours.
Ange
Nousnoussommesendormis,j’ignorecombiendetemps.Jemeréveille,excité,samainentremesjambesetseslèvresdansmoncou.Ellemeguideenelle.
Jevoudraisluifairel’amour.Maisj’aibesoindeplus.Elleaussi.Jemeconcentresursonvisage.Surleplaisirquej’ylis.Pourmoi.Etjeneretienspasmesgestes.
Lise
Unegoutte de sueur roule de son front à son nez.Tombe surmes lèvres. Je sors la pointe de lalanguepourlarecueillir.Ilm’embrasseavecautantd’empressementqu’ilnecessedes’enfoncerenmoi.Il soulève l’unedemes jambeset la replie surmapoitrine. Je le sensmieux, jegémisdesurprise. Jedéfais ses cheveux qui retombent autour de nous et en attrape une poignée pour l’attirer à moi. Ilm’embrasse,c’estdésordonné,brouillon,passionnéetjerelèvel’autrejambepourqu’ilpuisseassouvircebesoinanimalquenousavonsl’undel’autre.Iljouitsoudainementetsalanguevibrecontrelamienne,avantqu’ilneselaisseretombersurmoi.Ilm’écraseunpeu.Jem’enfous.Sonsouffleesterratique,lemienaussi.Ilglissesurlecôtéetm’attirecontreluiavantdepasserlamainentremescuissesetdemecaresser.Quelquessecondessuffisentàprovoquerl’orgasmequiattendaitdesedéverserenmoi.
—Queen!Anthony me saute dessus. Littéralement. Je suis sur le canapé, et maintenant, je suis prise en
sandwich entre les coussins et lui.Heureusement qu’il estmince, avec un peu de chance, je sauve unpoumonoudeux.
—Anthony…tum’écrases.—Désolé.Çamefaittellementplaisirdevoirqueleblondinetafinalementarrêtédefairelecon.Ilseredresseetm’aideàmerasseoir.—Leblondinetestjustelà,luifaitremarquerAngequisembleêtreaussiravidevoirsonpoteme
toucherquelorsquejeluiaiannoncéqu’ilétaitlefantasmelepluspopulairechezlesfemmesdeplusdequatre-vingtsans.
— Tu restes manger ? C’est Sof qui cuisine, me demande Anthony en ignorant totalement laremarqued’Ange.
—C’estleplan.—Jevousdérange?
—Tut’ensorsavectonarticlepourlesreprises?Ehoui,j’aiétéobligéededemanderundélai,àcourtd’inspirationpouraborderlesujetd’unpoint
devuecomparatif.—Oui,jepensequej’aitrouvélebonangled’attaque.—Hého…Jesuislà,lesgars.—Super,tumeferaslire?—Biensûr.—Sinon,jepeuxvouslaisserdiscuter…—Ange,rends-toiutile,vanouschercherdesbières,luilanceAnthonysansleregarder.Jerisqueuncoupd’œiletj’aienviederire,jemeretiens.J’aipeurqu’àforceilleprennevraiment
mal.Saufque,sincèrement,iltireunedecestronches…—Tunepeuxpasyaller,toi?Etlaissermacopinetranquille?—Tacopine?Ellet’aditqu’elleétaittacopine?Silence.—Lise,tuessacopine?Jesensqu’ilvaéclaterderired’uninstantàl’autre.Etjepriepourqu’ilsoitaussifortquemoiet
parvienneà résister. Il se foutde lagueuled’Ange,et jevaismemettredansunesituationdélicate sijamaisilcèdeetritouvertement.Carjeseraisalorsobligéedememarreraussi.Cen’estpascharitableetAngeesttellementeninsécuritéparrapportàlasituationqu’ilneréussit,lui,pasdutoutàmasquersessentiments.Illesportecommeuneenseignelumineuseclignotanteau-dessusdesatête.
—Non,jemurmureàAnthonyquiestsurlepointdecraquer.—Si!C’esttrop…—J’ailoupéquelquechose?nousdemandeAnge,deplusenplusvexé.Jesecouelatêteenserrantlesdentspour…troptard.Anthonyéclatederireenserenversantsurle
canapéetjefaisappelàtoutmonself-controlpournepaslesuivre.—Jevaisnouschercherlesbières,jelanceavantdemeleverprécipitammentetdem’enfermeràla
cuisine.Je lesentendsargumenter,Angeapourtant l’airdefinalementnepas tropmal leprendre.Jesuis
convaincuequ’ils’enveutencored’avoirfrappéAnthonyet,ducoup,illelaisseluimenerlaviedure.—Salut,tuasl’airépanouie.Je tourne la tête etAudrey se tient à côté demoi, tout sourire. Sauf que le sien, de sourire, est
sincère,innocent.LemienétaitmachiavéliqueenpensantàAngeetAnthony.—Bonsoir,Audrey.Jem’occupedesbières,tuenveuxune?—Avecplaisir.Alors,tuesderetour?—Jenesuispaspartie,jeluifaisremarquer.J’aimequelasituationsoitclaire.Cettefois,jen’aipasfui.—Jesais,jevoulaisdire,ici,àlamaison,avecnous.—Oui,jesuisderetour.
Je lui souris et lui tends sabièreavantd’enattraper trois etnous retrouvons lesautresau salon.Sofiane arrive un moment après et nous accompagne en buvant quelques gorgées de la bouteilled’Audrey,avantd’allerpréparer lerepas.J’aimeceretourà lanormalité,mêmesicettenormalitén’apas été très longue, j’ai quandmême l’impressionqu’elleprend lepas sur les annéesquenous avonsvécuesséparés.
AngediscuteavecAnthony,Audreymeracontesesdernièrestrouvaillesenmatièredehealthyfood.Toutvabien.
—Jen’aimepasquetut’enailles.—Cessedefairel’enfant,Ange.Jesuispartievingt-quatreheures.Ilmeserreunpeupluscontrelui.Noussommessurlepalierdemonappartementetilnesemblepas
avoirl’intentiond’enbouger.—Onpourraitrentrer.—Oui,pardon.Ilmerelâcheetmesuitàl’intérieur.Nousnousinstallonsausalon.—Raconte-moitajournée,jeluiproposeenm’allongeantetenposantlatêtesursescuisses.—Ons’entape,demajournée.C’estmaintenant,quicompte.—Tunemedisjamaisrien.Ilsoupireetfermelesyeux.Jeneveuxpaslepousseràmefaireentrerdeforcedanssavie,mais
j’avouequejecommenceàmevexer.—C’est dur, Lise. J’ai des patients pour qui tout va bien et qui vont guérir rapidement, j’en ai
d’autresquisontenfindevie,d’autresquiontuneviedemerde.Onvientd’avoircettenouvellepatiente,unegamine,elle…
Ilpassesesmainssursonvisageetreprend:—Quandjerentrelesoir,jen’aipasenvied’enparler.Jesuisobligédefairelapartdeschoses,
sinon je ne tiendrais pas.On fonctionne tous commeça.Onquitte le dernier patient de la journée, onprofitedutrajetderetourpourfairelatransition,etonpasseànotrevie.
—Oh.Jenesavaispas,jecomprends.Désolée.Jemeredresseetl’embrasse.J’auraispumedouterdetoutça,jen’yavaisjamaisvraimentréfléchi.
Etmalgrétout,enm’expliquantpourquoiilnesouhaitepasaborderlesujet,jemesuissentieimportante.—J’aiquelquechosepour toi! je lui lanceensouriant,désireusedechanger l’ambianceunpoil
alourdie.Ilhausseunsourcilpendantquejefouilledansmonsac.Vraiment,ilfautquejefasseletri,unjour.
Jesorsdestasdetrucsquej’étalesurlecanapéentrenousparcequejen’arrivepasàremettrelamainsurcequejecherche.Ilm’épargnetoutcommentairesurlebordeldemonsacàmain,cedontjeluisuisextrêmement reconnaissante. J’ai conscience qu’un couteau suisse, un protège-slip vieux de plusieursannées(neuf,hein,fautpasdéconner),unpaquetdechewing-gumsvide,delaficelleàrôtietunebougieparfuméenesontpasincontournablesdanslekitdelajeunefemmeactivequiserespecte.Enfinjetrouve
lapetitepochette,quejeluitends.Jeramassemondésordrependantqu’ill’ouvre.Ilsouritetjemetsmonsacparterrepourmerapprocherdelui.
—Jesuisdéçu…—Hein?Ilsefoutdemoi?Jeluifilelaclefdechezmoietenplusilrâle?—Tuauraispumefaireunjolidessin.—Ettefilerdescomplexes?Non,jesuismagnanime,moncher.—Jevoisça.Ilm’allongesurledosetm’embrassedanslecou,justelà,justeàl’endroitoùilsait…Ilsaitqueje
nepeuxpasluirésisterquandilm’embrasselà.Enmêmetemps,soyonshonnête,jen’aiaucuneenviedeluirésister.
—Commentveux-tuquejeteremercie,Queen?memurmure-t-ilàl’oreille.Étant donné qu’il a glissé unemain sousmon t-shirt et qu’ilme pince doucement le sein tout en
appuyantsonérectionentremescuisses,j’aiunpeudemalàm’exprimer.Alorsilrépètesaquestion.—Fort…jesouffle.—Fort?—Hum…
Ange
Jelaregardefermerlesyeuxetsourire.Jeladéshabillelentement.Ellelesouvreetnesouritplus.—J’aidit«fort».—Têtue?—Tuveuxque je te fasse dumal,Ange ?Tu essaies demepousser à te frapper ? J’ai des tas
d’objetscontondantsdansmonsacàmain, j’aimêmeuncouteausuisse. Imagines-tu les tasdesévicescorporelsquejepourraist’infliger,avec?
Jerisetellefroncelessourcils.Alorsjeretiremont-shirt,etmonjeansuitrapidementlemêmecheminsurlesol.Ellem’attireà
elle.Elleestbelle.Jeleluiaidéjàdit?Jenesaisplus.—Tuesbelle.Sonregards’adoucit.—Merci.—Nemeremerciepaspourça.—Jeteremerciesijeveux.Têtue.C’estvrai.Jelafaistaireenlapénétrant.Fort.Elleaspiredel’aird’uncoupsecetgémit.—Plus,mesupplie-t-elleenplaquantlestalonssurmesfesses.Sesmainss’accrochentàmanuque,lesmiennessontautourdesonvisage.Jelaregardesanscesser
deluiobéir.Ellesaitqu’ellepeutmedemandern’importequoi.
N’importequand.N’importecomment.Jeleferai.
Lise
—Caresse-toi,Queen.J’ouvre lesyeuxet ilm’observe.Toujours.Ça suffit àm’exciterencoreplus. Je saisque jevais
jouirrapidement,pourtantjeluiobéis.Parcequ’ilpeutmedemandern’importequoi.N’importequand.N’importecomment.Jeleferai.Mesdoigtsseposent,là,jecommenceàmecaressertoutenpercevantsesmouvementsenmoi.Je
savaisquejenetiendraispaslongtemps.Ilm’embrasseetabsorbechaquecrideplaisirqu’ilprovoque.Plusfort.Avantdemerejoindre.Brutalement.
Ilsereposesurmoietnousreprenonslentementnotresouffle.—Liiiiiiiiiise!—Tafillemetraquesurlebalcon.—J’entends.—C’estgravesiçanemecontrariepas?—Elletemèneparleboutdunez,toiaussi.—Liiiiiiiii-seuhhhhh!Lisssssssss-euh!Liiiiiiiiiiiiiiise!—Cettegosseestuneplaie.Jelepousseetilmeregarde,choqué.—Tuvasyaller?Ahnon, il n’est pas choqué par ce que j’ai dit au sujet de sa fille, juste parce que je compte la
rejoindre.—Lesvoisinsvontfinirparporterplaintepourtapagenocturne.—Ilnefaitpasvraimentnuit.—Disdonc,c’esttafille.Tun’asaucunepitié.—Aucune.
Ilm’attrapeparlatailleetmeramènecontrelui.—Elleattendra,jenet’aipasvuedepuishier,j’ailapriorité.—Quelpèreindigne!Il sourit alors que sa fille beugle sans se décourager. Jeme relève etme rhabille et il semet à
bouder.—Tusais,Ange,jesuisvraimentoutréequetumefassespasseravanttafille.—Jene te faispaspasseravantelle, jedis justequ’elleest tenace, tuauraispuattendreunpeu
avantd’yaller.—Incroyable…Tusaisquej’aiuneamiequitravailleauxservicessociaux?jelemenace.JesorsretrouverEmmaquis’arrêteenfind’alertertoutlequartier.—Lise!Jefaisunclubdesfilles,tuveuxenfairepartie?—Ilyaquidanstonclub?—Toietmoi.EtjevaisdemanderàAudrey.—Unclub?Etmoi?demandeAngeennousrejoignant.—C’estLisequej’aiappelée,pastoi.Toit’esqu’ungarçonetmoilesgarçonsilsm’énerventalors
jefaisunclubquepourlesfilles.—T’asentendu,boucled’or?Vafaireàmangerpendantqu’ontientnotrepremièreréunionduclub
defilles.Je tendsmonpoingàEmmaqui tapededansavec le sien.Ange rentreenboudant,encore. Jeme
feraipardonnerplustard.Jen’aiplusl’intentiondem’éloignerdelui.Jamais.
40
Ange
Jemetslelived’AliceInChainssursaplatine.Ellemefait signed’approcher,unpetit sourireencoin. Jem’assoissur leborddesonbureauet
croiselesbras.Elleplacesesmainssurseshanchesetpenchelégèrementlatêtesurlecôté.Sesyeuxseplissentetsonsourires’élargit.
Elleavancelentementversmoi,prédatrice,jescrutechacundesesmouvements.Elleneportequesonvieuxt-shirtdeQueenquiluiarriveàmi-cuissesetdescendsuruneépaule.
Elleestbelle.Sexy.Elleselaissetomberàgenouxdevantmoi.Jemeredresseunpeu.Ellesourittoujoursetmeregarde
par-dessoussescils.Toujourstropmaquillés.Deuxéventailsminiatures.Elleouvremonjeansansmequitterdesyeux.Mêmequandellemeprendentreseslèvres,c’estmon
visage qu’elle regarde. Je soupire. Elleme caresse. Je gémis. Je prends appui des deuxmains sur lerebord.Elleserelèveets’éloigne.
Ellereprendsaplacedevantlelitetmefaitànouveausigned’approcher.Depuis que je suis tombé amoureuxd’elle, je nem’en suis pas relevé.Et je ne veuxpas que ça
arrive.Jamais.
Notedel’auteure
J’ai toujours l’impression d’être à une remise de prix comme les Oscars quand je rédige desremerciements.Jenesaisjamaiscommentcommencer!Ilyatellementdepersonnesquitravaillentsurunlivre,encoulisses,quej’aipeurd’oublierdenommerquelqu’un.Etsij’oubliequelqu’un,quelssontlesrisquesquejefinisseavecuncontratsurmatête?D’oùcetteinquiétudeprochedel’angoisse…
Onpourraitcroirequel’auteurestunacteurimportantdansleprocessusdecréationd’unroman,enréalité,iln’enestrien.Jemelacouledouce,etvoicitouteslespersonnesquiontvraimentbossésurcelivre!
Jacinthe,pourcommencer,quiaétélapremièreàdécouvrirl’histoired’Ange.Tuasdonnévieauconceptde«l’hommesanssupport»(comprendrequ’Ange,danslatoutepremièreversion,passaitsavieappuyé : contre un mur, l’encadrement de la porte, une table… c’était sa passion). Merci pour tesrelectures,tesaviséclairésettesremarquessanspitiéquim’ontaidéeàavancer.
Sylvie,biensûr,quiacruencettehistoirepourtantsansprétention,quil’adéfendue,soutenue…etatravaillédessusparlasuite.Merciàtoid’êtreàlafoismonamie,monéditrice,mapsy,moncoachdevieetmonbinômefaçonlesVamps,toutcelaselonnoshumeurs!Justeunconseil:arrêtedefairetombertontéléphone.Etlemien.Enteremerciant.
Cess, pour ta traque des détails comme la séparation du balcon qui nous a valu une discussionillustrée,entreautres.Mercid’êtreunvéritableœildelynx,demerassureretdem’avoiraccompagnéetoutaulongdecepremiertome,etlesautres!
Bérengère, merci de m’avoir fait rire quand tu tombais sur des passages bien ridicules. Je mesouviendrai toujoursmaintenantducoupdelacalculatricedanslepantalondeyoga!AvecCess,vousêtesmonéquipedechocetjesaistoujoursoùvoustrouverpourvousharcelerdemesincertitudesetdemesangoisses,commedepotinsetautresparolesparfoisbientropaudacieuses!
Lucie, tes avis éclairés, ton sens de la conquête dumonde et tes remarques aviséesm’aident àavancer,parfoismêmesansquejem’enrendecompte.Onlesaura,tôtoutard,dussions-nouscréernotrepropre créature hybride de Godzilla, Loki et Ben Barnes. Ou peut-être qu’il ne vaut mieux pas,
finalement… Merci de m’accompagner dans cette aventure souvent intense qu’est l’écriture. Longuecarrièreàtoidanslaromance,lepolar,lefantastique…
Jane, unebelle rencontre inattendue !Merci à toipour tes trucset astuces,nospapotages, et lessous-titresdestomesdecettesériequisontcentpourcentdetoi!Quoiqu’ilsepassemaintenant,onyarrivera!
Lily, ma community manager personnelle qui fait aussi office de bêta lectrice, psy, coach demotivation etpartner in crime, tout simplement !Merci d’êtremontée dans le train de cette aventureparminosinfirmierspréférés!
Ma maman, Francette, ne l’oublions pas. Merci pour tes relectures, ta traque de la coquillerécalcitrante,tonabsencederemarquequandtulisunescèneérotiqueécritepartafille(quiétaitencoreun bébé il n’y a pas si longtemps !). Présente depuis le début, tu ne pouvais pas échapper à cesremerciements!
Mafille,Élanor,monmari,Alexis,etlechat,bienentendu,Chewbacca.Mercipourvotrepatience,carvivreavecuneauteureenretardsursonplanning,c’estgérerunemaisonpresqueàl’abandon,etvouslefaitessansjamaismelereprocher.Vousêtesautop!Parcontre,onmangequoi,cesoir?
Et comment boucler ces remerciements sans mentionner toute l’équipe des éditionsHugo NewRomance ? Lesattachées de presse, je vous fais un spécial big up, parce que vous le valez bien,toutes!MaisunepenséeparticulièrepourOlivia,Stéphanie&Marionavecquij’aitravailléendirect(ainsiqueMarie,MagalietDéborahsijen’oubliepersonne,carlesAPchezHugoçamefaitcommelesseptnains,ilm’enmanquetoujoursune!).Laëtitia,unspecialthanksaussipour lemagnifique travailsurlescouvertures!Léo,mercipourletravailfinalsurletexte!HugoBoss,mercid’avoircruenmontexte,si tumechercheslorsdubilan, jerisquedem’êtreplanquéequelquepartenLaponie(saufsicetome 1 cartonne, là je serai joignable). Et tous les autres, que je vous connaisse ou pas, toutes cespersonnesdel’ombrequifontquecelivrepeutexister:merci!Ah,onmesouffledansl’oreillettequesijeneremerciepasMélusine,laCMHugo(etpaslasirènedel’histoireracontéebrillammentparLise),elleferaensortequemonlivren’apparaissenullepartsurlesréseauxsociaux.Onl’aéchappébelle!MerciMélusined’avoirproposéd’êtremonesclavepersonnelle!Unjour, je t’offriraiunechaussette,promis!Etunpetitclind’œilàlarambardedel’autrecôtédelaroute…
Etparcequ’ilyabeaucoupdemonhistoireetdemoidansceroman,plusqueçan’ajamaisétélecas,mercideprendreletempsdelelire,vousquitenezcelivreetmesoutenez,chacunàvotrefaçon!Jevous donne rendez-vous, je l’espère, pour l’histoire d’Anthony. Il paraît que [texte supprimé parl’éditricepourcausedegrosspoil](non,jeplaisante,jefaisdufauxteasing,pourquevousvousjetiezsurleprochaintome!)(çaafonctionné?Nonparceque,surunmalentendu…onnesaitjamais!).
Fleur