« A l'heur e qu'i l est, Marine L e Pe n est favorite · 2017-05-09 · l'idéal européen. Sans la France ou l'Allemagne, il n'y a plus d'Europe. Si Marine Le Pen est élue le 7

Date : 03 MAI 17

Pays : BelgiquePériodicité : QuotidienOJD : 90091

Page de l'article : p.12-13Journaliste : Daniel Couvreur

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UNE FICTION AU REALISME INQUIETANT

Et si contre l'avis des sondeurs,Marine Le Pen l'emportaitdimanche ? Ils avaient prévusqu'Obama deviendrait président,prédit le Brexit et l'élection deTrump. Dans le roman graphiqueen trois tomes de « La Prési-dente », Francois Du r paire,Laurent Muller et Farid B ou djel-lai dessinent la victoire de tousles dangers : celle de MarineLe Pen. & LES ARENES/DEMOPOLIS

« A l'heure qu'il est,Marine Le Pen

estfavorite »

PRÉSIDENTIELLE

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ENTRETIEN ̂ ^^^^^^H

L e 7 mai, la France pourraitélire pour la première fois

une Présidente de la République.Emmanuel Macron sera-t-il suf-fisamment rassembleur pour em-pêcher le Front national d'entrerà l'Elysée ? Pour les trois auteursde La Présidente, l'avance de Ma-cron dans les sondages est fragile.L'historien François Durpaire, ledessinateur Farid Boudjellal etl'éditeur Laurent Muller ont étu-dié le programme de Marine LePen en profondeur. Ils nousdisent à quoi ressembleraient laFrance et l'Europe, si les électeurslui confiaient les clés du pouvoir.

Aucun institut de sondage nedonne Marine Le Pen vainqueurau second tour de l'électionpresidentielle. L'écart minimumentre les deux candidats est deneuf points. Vous pensez qu'ellepeut encore l'emporter ?François Durpaire Ce qui est in-téressant, c'est d'aller chercherl'analyse des plantages britan-nique et américain. Quatre fac-teurs l'expliquent. D'abord l'in-termittence du vote : les sou-deurs sont incapables de nousdire qui ira vraiment voter le7 mai. On peut très bien se re-trouver face à une démobilisa-tion au second tour. C'est cequ'on appelle le coefficient d'in-termittence. Aux élections amé-ricaines, au lieu d'avoir135 millions de personnes quise déplacent, il n'y en a eu que130 millions et ce sont les S mil-lions qui ont fait ladifférence.Le deuxième facteur,c'est le coefficient delabilité. En clair au-jourd'hui, on peutavoir un électeurd'extrême gauche, mélencho-niste, qui vote à l'extrême droiteau second tour. Le même phéno-mène peut se produire avec desfillonistes. On peut même envi-sager que des gens qui ont votéPS se retournent en faveur duFN. Les électeurs ne se fixentplus comme autrefois de ma-

nière définitive sur un camp ouun candidat. Ça complique letravail de prévision.Le troisième élément, c'est le co-efficient de soudaineté. Aujour-d'hui, tous les événementscomptent double. La brasseriede la Rotonde, où EmmanuelMacron a fêté sa victoire avecses amis avant l'heure, çacompte double. Whirlpool aus-si. Et le débat télévisé de mercre-di soir comptera double égale-ment. On l'a vu aux Etats-Unis,onze jours avant le vote, quandle FBI avait relance l'affaire desmails de Hillary Clinton. Cesallégations ont réellement pesésur l'issue des choses.Enfin, le dernier facteur clé,c'est le coefficient de radicalité.En clair, les sondeursconnaissent mal le pays,comme l'exprimait Paul Krug-man dans un éditorial du NewYork Times. Le pays inconnu,c'est celui des électeurs cachés ou« timides ». L'électeur de Do-nald Trump ou de Marine LePen se sent moins en connivenceavec les instituts de sondagequ'un électeur de Macron.L'écart entre Emmanuel Ma-cron et Marine le Pen peut doncparaître considérable dans lessondages. Mais si l'on tientcompte de ces quatre coeffi-cients, on voit que l'écart mesu-re Etat par Etat aux Etats-Unisentre Donald Trump et HillaryClinton à la veille du secondtour était comparable à celuiqu'on observe entre Marine LePen et Emmanuel Macron. Ilfallait que Trump fasse bascu-ler le Michigan, la Pennsylva-nie, l'Ohio, le Wisconsin... et il afait carton plein car il étaitdans une dynamique positive.Si Marine Le Pen maintientune dynamique comparable,elle peut donc encore l'emporter.Pour moi, à l'heure qu'il est,Marine Le Pen est favorite.

Autant le rejet de Jean-Marie LePen avait été massif, autant laprésence de sa fille audeuxième tour ne provoque pasdu tout la même vague

d'émotion ?Laurent Muller Personne nesemble réagir, alors que c'est unevraie menace pour le pays. C'estterrible d'en arriver là !F. D. Non seulement il n'y a pasun million de gens dans la ruemais ceux qui sont dans la ruen'ont pas le même message qu'ily a quinze ans. En 2017, on estplutôt dans le « ni ni » : ni LePen ni Macron. La France res-semble à ces pays des Tropiquesoù l'on attend le cyclone. On vit

dans une sorte detorpeur qui précède lacatastrophe.

Jacques Chirac avaitrefusé d'affronter Jean-Marie Le Pen. Emmanuel

Macron a accepté de débattreavec Marine Le Pen. Il a raisonde relever le gant ?F. D. Non. Pour moi, c'est une er-reur stratégique majeure. Le FNest un parti démocratique. Sesreprésentants ont été élus. Maisce n'est pas un parti qui s'ins-crit dans le champ républicain.On est démocrate quand onparticipe aux élections, qu'onest un parti légal. Mais on n'estpas républicain quand on veutréserver l'école publique auxnationaux, quand tout son pro-gramme est fondé sur la discri-mination entre nationaux etétrangers. Le fait de participerau débat de mercredi valide lefait que Marine Le Pen est dansle champ républicain. En Bel-gique, vous avez choisi demaintenir un cordon sanitaireautour des partis d'extrêmedroite. Les médias français ontfait le pari inverse. Ils ont inté-gré l'extrême droite plutôt quede l'exclure. On arrive mainte-nant au bout de l'échec de cettestratégie car le 7 mai, la démo-cratie peut tout simplementsceller le sort de la République.Rappelez-vous du coefficient desoudaineté. Si Macron s'ef-fondre lors du dêbat de mercre-di, tout sera remis enjeu. On sesouvient de ce qui s'est passéavec Sarkozy, qui pensait nefaire qu'une bouchée de Hol-lande et ce fut l'inverse. Macron

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fait courir un risque à la Répu-blique. S'il n'avait pas accepté ledébat, il aurait été critiquemais on serait vite passé à autrechose. Il aurait pu saisir l'occa-sion de rappeler les valeurs ré-publicaines pour justifier uncordon sanitaire.L. M. Qu'est-ce que Macron a àgagner dans ce débat ? Il n'estpas habitué à ce genre d'exer-cice.

Quels sont les principaux dan-gers de son programme pour laFrance et pour l'Europe ? LeBrexit et l'élection de Trumpn'ont pas précipité la Grande-Bretagne ni les Etats-Unis dansla crise annoncée. Pourquoi('installation de Marine Le Pen àl'Elysée serait-elle une cata-strophe ?F. D. Au Royaume-Uni commeaux Etats-Unis, il est trop tôtpour tirer un bilan. Les consé-quences de l'élection ne sont pasencore là. Par ailleurs, les Bri-tanniques ne se sont jamaiscomportés comme des membresapart entière de l'Union. Ici, onparle d'un pays fondateur del'idéal européen. Sans la Franceou l'Allemagne, il n'y a plusd'Europe. Si Marine Le Pen estélue le 7 niai, c'est terminé. C'esttrès clair. Elle veut une Europedes nations, celle de 1913 : l'Eu-rope nationaliste. Elle a long-temps sous-estime l'attache-ment des Français à l'Europe.Maintenant, elle la met enavant mais c'est d'une autre Eu-rope qu'il s'agit. EmmanuelMacron devrait concrètementexpliquer aux Français quicomptent s'abstenir au

deuxième tour ce que ça risquede leur coûter. La France n'estpas non plus les Etats-Unis, quirestent la première puissancemondiale et peuvent peut-êtres'en sortir tout seuls, en faisantdu protectionnisme. La Francesans l'Europe, avec des fron-tières fermées, deviendrait lacible du monde entier, qui lui fe-rait payer au centuple chaquemesure protectionniste.

L'état d'urgence mis en place

« Le seulcontre-pou-voir, c'estlarue. Le payspourraitbasculerdans le chaos »LAURENT MULLER

par François Hollande ne serapas levé. Si elle est élue, MarineLe Pen serait d'emblée uneprésidente dotée de « super-pouvoirs » ?

F. D. L'état d'urgence dans lesmains de Marine Le Pen, cen'est pas la même chose qu'entrecelles de François Hollande.Forte du mandat des Français,de son élection démocratique, delois votées par ceux qui l'ontprécédée, elle pourrait aller trèstrès loin. La France est de tousles pays développés, le seul quifonctionne avec un régime pré-sidentiel sans véritable contre-pouvoir parlementaire. C'est liéà l'histoire des institutions de laV" République, qui se sontconstituées dans un momenttrès particulier, celui de laGuerre d'Algérie.L. M. Le seul contre-pouvoir,c'est la rue. Par conséquent, lepays pourrait basculer dans lechaos, voire l'insurrection. Onl'a vu en mai 68. L'arrivée aupouvoir du FN provoqueraitune dégradation rapide de la si-tuation économique, si MarineLe Pen applique son pro-gramme. Cela signifierait uneperte de pouvoir d'achat, uneaugmentation de l'inflation etdu chômage... tous les élémentsseraient réunis pour que ça ex-plose avant la fin de son man-dat.F. D. La France a une traditionpopulaire d'insurrection contreles tyrans. L'un des monumentsdu patrimoine français, c'est letableau d'Eugène Delacroix, Laliberté guidant le peuple. Cettetoile est celle de toutes les révo-lutions.Il y aurait probablement desmouvements de rue très rapide-ment. Mais l'état d'urgence au-torise des mesures exception-nelles de maintien de l'ordre. Etça pourrait alors dériver vers

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un régime totalitaire f art.

Beaucoup de Français se disentpourquoi ne pas essayer ? Si çane fonctionne pas, on reviendraà l'ancien système...F. D. Le premier objectif de notrelivre, c'est de montrer qu'il fautà la fois sortir du déni et dè lanormalisation. Marine Le Penpeut être au pouvoir et si elle yparvient, ne croyez pas que c'estun parti comme un autre. Çapourrait durer. Les institutionssont faites pour qu'elle puisses'y maintenir.

A la fin de son mandat, laFrance serait transfigurée ? Onne pourrait plus revenir au pointde départ?F. D. Aux Etats-Unis, les insti-tutions sont plus fortes que leprésident. En France, c'est lecontraire. Si Marine Le Penremporte les présidentielles, elle

pourrait, dans la foulée, obtenirune centaine de députés. Elle bé-néficierait de ralliements de Ré-publicains comme ChristineBoutin, derrière laquelle il y ales gens de laManifpour tous etde Sens commun, cette droitedont on entend peu la voix maisqui a failli sauver la peau deFrançois Fillon. Avec leur ap-pui et celui du parti Debout laFrance, elle pourrait gouvernerimmédiatement. Nicolas Du-pont-Aignan serait son Premierministre et le FN a suffisam-ment de cadres pour occuper lepouvoir et gérer l'exécutif. Elleprévoit une révision constitu-tionnelle via référendum, dèsseptembre 2017. Marine Le Penveut supprimer les régions, re-tourner à la France des com-munes, des départements et dela Nation, la France tradition-nelle, rn

Propos recueillis parDANIEL COUVREUR

Vladimir Poutine,Marine Le Penet Donald Trump :trois imagesdu pouvoir fort.© LES ARENES/DEMOPOLIS

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le parti « On vit à l'époque des liberticides 2.0 »Pourquoi Marine Le Pen ne fait-elle plus peur à personne oupresque ?F.D Elle recouvre le discours réeld'un paravent de respectabilité.Le FN a gommé ses aspérités, no-tamment en matière d'antisémi-tisme. Mais le discours est plus fa-cile à lisser que ce qui a construitle parti. Si on interroge les Fran-çais, la plupart répondent que

« Sa concep-tion de la pré-

férence natio-nale n'est pastrès éloignéedè celle du fas-cisme italien »FARID BOUDJELLAL

c'est elle qui défend le plus la laïci-té. En réalité, Marine Le Pen dé-

fend l'école privée catholique etfait croire le contraire. Aimé Cé-saire, le poète de la Martinique,disait qu'une civilisation qui ruseavec ses principes est une civilisa-tion moribonde. Avec Marine LePen, on est dans le parti de la ruse.Elle s'est « dcscxtrémisée », tandisque la société française se « droiti-sait ». Du coup, son discours ren-contre mieux le pays. Le seuil detolérance à l'intolérance s'estabaissé.

En quoi Marine Le Pen a-t-elleréussi à se distinguer de l'héritagede son père ?F.D. Elle n'est pas née de la Guerre

froide comme son père, mais de lamondialisation. Marine Le Penn'est plus dans l'extrême droiteclassique. Elle tient à la fois undiscours étatiste proche de l'ex-trême gauche, tout en reprenantdes êléments identitaires chers àl'extrême droite. Après, elle a aussiune vraie stratégie de conquête dupouvoir que son père n'avait pas.Enfin, c'est la seulefemme en posi-tion d'accéder pour la première

fois à la présidence de la Répu-blique française. La dimensionfé-minine n'est pas innocente. Surson affiche électorale, elle montreson genou, une attitude à la foissymbolique et glamour. Montrerle genou peut aussi être interprétécomme un geste anti-islamiste, à

la manière d'une Marianne répu-blicaine qui ose dénuder une par-tie de son co rpg...

Le FN reste un parti liberticide ?F.D. Jusque dans sa structurationinterne, Je culte du chef et l'autori-tarisme sont au cœur du parti.Quand le secrétaire des jeunes FNest invité dans un média, et que lejournaliste le présente comme leprésident des jeunes du FN, Ma-rine Le Pen appelle la chaîne et re-met le gamin d'équerre, en leurrappelant qu'il n'y a qu'une prési-dente au FN. En 4O ans, le partin'a connu que deux présidents : lepère et lafitte. Ce n'est pas un mo-dèle démocratique... Et puis on vità l'époque des liberticides 2.0. Lesopposants ne vont pas foi cémentfinir en prison à la manière desanciens dictateurs. Il y a des fa-çons de faire plus insidieuses, quiferont que les citoyens ne pour-ront plus vivre de la mêmefaçon.Il faudra peut-être que vous hé-bergiez certains d'entre nous...

A entendre Marine Le Pen, le FNne serait plus un parti d'extrêmedroite. Peut-on la croire ?F.D. Le soubassement raciste, xé-nophobe, identitaire est toujourslà, même s'il faut lire entre leslignes. Elle veut supprimer la bi-nationalité pour les Sénégalaismais pas pour les Russes. Pourune question de culture ? De cou-leur de peau ? Elle met juste un

peu d'eau dans son vin sur un cer-tain nombre de choses comme tousles populistes. Sa vision de la na-tion est fondée sur les racines eth-niques. Derrière le discours gaul-lien, le fondement est pétamiste.f.B. Sa conception de la préférencenationale n'est pas très éloignée decelle du fascisme italien théorisépar Mussolini.

Elle cherche à réconcilier pétai-nisme et gaullisme : c'est compa-tible?F.D. Absolument pas ! Elle ruseencore : l'antisémitisme, le néga-tionnisme sont recouverts. Dansl'histoire de France, très claire-ment, la vraie France, c'est laFiance libre. Et elle est à Londres,chez de Gaulle !

Marine Le Pen pourrait trouver saplace aux côtés de Trump et dePoutine, des hommes qui in-carnent eux aussi un pouvoirfort?F.D. Elle pourrait avoii une proxi-mité avec les deux et jouer la carted'une France indépendante à la deGaulle, capable déparier d'égal àégal avec Trump et Poutine. Ma-rine Le Pen pourrait se poser en ri-vale internationale de TheresaMay, qui a une proximité avecTrump mais pas avec Poutine. LeFN a le soutien financier desRusses enplus... rn

Propos recueillis parDA.CV.

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Les auteurs de « La Présidente » à la rédaction du « Soir » : Farid Boudiellal, Francois Durpaire et Laurent Muller, t BRUNO DALIWONTE

La Présidente 3,La Vague ^^

y FRANCOIS DURPAIRE,LAURENT MULLER,FARID BOUDJELLALLes Arènes/ Demopolis110p., 20 €

« Ensemble laFrance Hl n'ya pas de verbechezMacron.C'est statique,vide de sens »FRANCOIS DURPAIRE

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