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« Alternance politique : avancer en arrière » Extrait du 7 Lames la Mer http://7lameslamer.net/alternance-politique-avancer-en-955.html Courrier des internautes « Alternance politique : avancer en arrière » - Domin lé dan nout dé min - Courrier des internautes - Date de mise en ligne : lundi 16 juin 2014 Description : On s'est ému ces derniers temps à propos de la Médiathèque Cimandef, à Saint-Paul. Au-delà de ce cas particulier se pose la question des effets pervers de l'alternance politique, ou plutôt de la manière dont elle est conduite. Copyright © 7 Lames la Mer - Tous droits réservés Copyright © 7 Lames la Mer Page 1/6

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« Alternance politique : avancer en arrière »

Extrait du 7 Lames la Mer

http://7lameslamer.net/alternance-politique-avancer-en-955.html

Courrier des internautes

« Alternance politique :

avancer en arrière » - Domin lé dan nout dé min - Courrier des internautes -

Date de mise en ligne : lundi 16 juin 2014

Description :

On s'est ému ces derniers temps à propos de la Médiathèque Cimandef, à Saint-Paul. Au-delà de ce cas particulier se pose la question des effets pervers de

l'alternance politique, ou plutôt de la manière dont elle est conduite.

Copyright © 7 Lames la Mer - Tous droits réservés

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On s'est ému ces derniers temps à propos de la Médiathèque Cimandef, à Saint-Paul. Au-delàde ce cas particulier se pose la question des effets pervers de l'alternance politique, ou plutôtde la manière dont elle est conduite.

Le projet de Zénith de Saint-Denis

Le phénomène n'est pas nouveau, loin de là. Rappelez-vous, au niveau régional, le Tram-train et la Maison desCivilisations et de l'Unité Réunionnaise, au niveau municipal, le Pôle océan à Saint-Denis, l'hippodrome à Saint-Paul,au niveau intercommunal, le Zénith, d'abord prévu à Saint-Denis, puis au Port (qui sait s'il ne resurgira pas dans uneautre commune ?). La pratique est tellement généralisée que ceux-là mêmes qui, aujourd'hui, s'estiment victimes ontprocédé de façon identique : ainsi l'unanimité au sein du TCO pour le projet du Zénith s'est fissurée au gré desdivisions idéologiques et des rivalités communales.

Gâchis

Nous vivons dans un pays où la commande publique est un élément moteur majeur de l'activité économique.Une île de superficie limitée exige que nous fassions ici même le maximum pour offrir des emplois aux habitants. Unpays a besoin également de se représenter à travers des ouvrages symboliques forts, image de soi à offrir auxautres. Dans ce contexte, l'abandon de projets à l'étude ou proches de leur réalisation est du gâchis sur tous lesplans. On gaspille en pure perte le travail intellectuel de l'élaboration du projet, le temps de recherche desfinancements, l'argent public déjà investi, les subventions garanties. On sacrifie également celles et ceux qui ontsuivi des formations spécifiques pour s'insérer dans ces projets.

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Le projet de Zénith du TCO au Port

Certes, la politique est la confrontation de conceptions sociétales différentes. Les priorités se déclinentdiversement dans les programmes présentés à l'électorat qui choisit en fonction de l'attrait de ces projets et aussi deses propres préoccupations. On appelle cela le jeu de la démocratie. Dans cette logique, il paraît normal qu'ayantgagné telle ou telle élection, la nouvelle équipe au pouvoir applique son programme. Mais, de fait, on a trop souventl'impression que l'essentiel du programme consiste à marquer sa différence, son opposition, parfois jusqu'àl'obsession, avant et après l'élection. L'équipe précédente était nulle, l'actuelle sera excellente, veut-on faire croire àtout prix.

D'où les discours tellement excessifs qu'ils frôlent l'imposture : on fait une description catastrophique d'unecommune, ce qui permet de se poser en sauveur à la manière de Zorro et de faire de multiples promesses. Mêmediscours catastrophé, après l'élection, sur l'état des finances avec l'avantage, cette fois-ci, d'expliquer que lespromesses faites ne pourront pas être tenues, à cause de l'équipe précédente ! Le tir de barrage est souvent dirigécontre un ou deux projets-phares. On se souvient comment la campagne des Régionales de 2010 s'était concentréecontre le Tram-Train et surtout contre la MCUR : débat passionnel plein de hargne où il était difficile d'exposer desarguments rationnels. Il n'est pire sourd qui ne veut entendre. Out le débat démocratique !

Effacer le passé

C'est pourquoi, sitôt l'élection passée, la nouvelle équipe inaugure souvent son règne en mettant fin aux projetsprécédents : le Roi est mort, vive le Roi ! C'est comme un duel : on ne se bat pas à l'épée et il n'y pas mort d'homme,mais le gagnant détruit l'oeuvre du perdant, là est sa victoire. Les projets ne sont pas étudiés pour eux-mêmes, maiscomme le symbole de tel ou tel parti, de tel ou tel camp. Plus que la volonté de construire une société où l'on pourramieux vivre, il semble que les candidats soient animés essentiellement du désir d'afficher leur marque personnelle,en effaçant à tout prix celle des prédécesseurs et cela jusque dans le détail. Par exemple, on change le logo d'uneville que la population s'est approprié depuis longtemps.

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Le projet de Tram-Train

Les projets qui ont été ainsi sacrifiés concernent souvent l'aménagement et la culture, autrement dit notremanière de vivre ensemble, de nous déplacer, nos échanges, nos créations, notre relation à la nature et au monde,et cela pour aujourd'hui et pour demain. L'enjeu de ces projets est un changement fondamental des modes depenser, de faire, d'être. Il est vital.

Remettre en cause le tout-automobile au profit d'un mode de déplacement collectif et écologique était une amorcede changement de société, sinon de civilisation. Donner à voir, à nous qui vivons dans cette île et à ceux de dehors,la rencontre jamais achevée des cultures présentes sur cette terre, était pour la MCUR une invitation à êtresoi-même dans l'ouverture au monde. Comment comprendre qu'un tel objectif ait été refusé sinon que, justement,être soi-même, l'assumer et le dire fait peur ? Quand on entend aujourd'hui les commentaires culturels etanthropologiques sur ce que le MUCEM de Marseille (Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée) aapporté à la ville et à la région, aux divers publics et aux créateurs, comment ne pas regretter que Saint-Paul, lieuoriginel du peuplement, et La Réunion tout entière soient privées de ce rayonnement ?

Détruire ou construire ?

Si chaque élection est l'occasion de casser un projet, on comprend que La Réunion peine à se développer : àchaque échéance électorale, on remet en question des projets majeurs. En fait, on piétine, pire ! on recule et surtouton n'y croit plus. Au lieu d'être un outil de construction d'une société en mouvement, cette politique épuise les forcesvives d'un pays dans une bataille perpétuelle.

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La médiathèque Cimendef, dont la construction est déjà bien avancée.

Le gâchis, il frappe aussi malheureusement les employés des collectivités : de la mise au placard — quelleformule terrible dans sa banalité ! — au déplacement arbitraire ou encore au non renouvellement de contrat.Conséquence des promesses de campagne électorale : on déplace pour placer celles et ceux à qui on a fait miroiterun emploi. La même logique est appliquée aux associations. Là encore, pas d'évaluation du travail accompli, maisune suspicion idéologique qui suffit à les condamner.

Il y a là quelque chose qui ressemble à l'arbitraire d'un pouvoir personnel qui se pense tout-puissant. « Car telest notre bon plaisir », disaient jadis les rois. Dans cet esprit de l'ancienne aristocratie, on peut se demander sicertains édiles ne se voient pas liés à jamais à leur territoire communal, comme un prince à sa principauté ou un chefde famille, un paterfamilias (dé)voué à ses enfants... C'est pourquoi, ils réapparaissent après plusieurs années d'uneabsence qu'on a crue trop vite définitive, et retrouvent « leur » fauteuil.

Finalement, on peut se demander ce qui motive beaucoup de candidat(e)s aux élections. L'intérêt général ? Lebien commun ? La volonté d'engager leur énergie au service des autres ? La plupart semblent plutôt fascinés par lestatut d'élu(e) et sa charge symbolique. En effet, le terme d'élu n'est pas banal. Entre connotation religieuse (« l'élude Dieu ») et investissement affectif (« l'élu de coeur »), l'élu se sent choisi, distingué parmi d'autres, reconnu danssa valeur unique. Il n'est pas sûr que l'élection démocratique soit dépouillée de tout sens sacré et que l'individu éluse limite à sa fonction, à ses propres yeux comme aux yeux du public.

Le pouvoir, pour quoi faire ?

Or c'est le sens de cette fonction et surtout les charges et responsabilités qu'elle implique qu'il faudrait expliciter etsouligner. Technicité et complexité des dossiers, contraintes budgétaires, étroitesse des marges de manoeuvre,difficulté à prioriser les actions, longueur des délais de conception et de réalisation des projets différente du rythmeélectoral, tout ceci exige de nombreuses qualités. En plus d'un engagement complet et d'une mobilisation descompétences, une conscience aigüe des conséquences des décisions à prendre est nécessaire.

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« Alternance politique : avancer en arrière »

Le projet de la Maison des Civilisations et de l'Unité Réunionnaise (MCUR)

Réduire l'enjeu d'une élection à une promotion personnelle, à une satisfaction narcissique enlève au politiqueson sérieux. Si « la » politique s'apparente trop souvent à une compétition pour un poste, à une bataille où tous lescoups sont permis, à une quête du pouvoir pour le pouvoir, « le » politique est une invitation à réfléchir ensemblepour répondre à des questions fondamentales, vitales. Quels sont les problèmes prioritaires à traiter ? Commentmettre en oeuvre et valoriser toutes les compétences productives et créatrices ? Quelles ressources voulons-nousdévelopper ? Quels sont les moyens, économiques, mais aussi politiques, dont nous disposons pour cela ?Comment nous situons-nous par rapport à notre environnement régional ? Bref, quelle Réunion voulons-nousconstruire, pas à pas ?

Dans la période actuelle, il semble que cette dernière interrogation ait été gommée. Le débat collectif sur lescontours de la société réunionnaise souhaitable a laissé place à la fragmentation des forces politiques, au repli surdes intérêts particuliers avec les « frontières » communales comme horizon, même si l'on vise plus loin. De cet oublide l'essentiel, de cette absence de vision d'ensemble, on est sans doute tous plus ou moins responsables. Faut-ilrappeler que les élus ne détiennent leur pouvoir que du libre choix des électrices et électeurs ? Au XVIe siècle, LaBoétie cherchait à comprendre comment une multitude d'individus pouvait endurer les excès d'un tyran qui ne tenaitson pouvoir que de cette multitude. En notre siècle, en démocratie, l'interrogation de l'auteur de « Discours de laservitude volontaire » a gardé toute sa force.

Anne-Marie Grondin

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