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| Le Picton n° 202 | Juillet Août 2010 | 1 Bord de mer, chemins, prés, bois, marais... recèlent des plantes aux propriétés étonnantes ! NATURE Pierre CHENNEBAULT* C onnaissez-vous la « théorie des signatu- res » ? Ce principe essentiel de la méde- cine médiévale repose sur la règle simi- lia similibus curantur, c’est-à-dire « les semblables soignent les semblables ». L’exemple de la noix fait référence en la matière : les deux cerneaux de son amande ressemblent si bien aux circonvolutions du cerveau humain que les Anciens ont pensé qu’elle devait être bénéfique à celui-ci... Et en effet, les études scientifiques valident cette observation : la noix étant riche en sérotonine, un neurotransmetteur indispensable au fonctionnement de certaines fonctions cérébrales, elle est recomman- dée pour stimuler lesdites fonctions. Les exemples abondent, la médecine moderne jase... Soigner, croquer, parfumer… Observons plutôt la pulmonaire repérée au bord d’un chemin longeant la côte de Fouras... Ce sont les taches blanchâtres de la feuille qui, évoquant celles d’un poumon malade, ont décidé en son temps de son utilisation pour les affections… pulmonaires. Et ce sont ses racines qu’on utilisait pour soigner ce type de maladie. Aujourd’hui, la plante soulagerait toux, bronchites et autres maux de gorge... Observer, montrer, démontrer, voilà les principes d’Anne Richard 1 , notre guide de « haute nature ». Et c’est dans cet esprit que nous partons à la découverte des diverses plantes poussant aux quatre coins du pays Rochefortais : bord de mer, chemins, prés, bois, marais... On apprend ainsi à connaître, reconnaître, À l’écoute des plantes … du côté de Fouras PHOTO PIERRE CHENNEBAULT PHOTO MG Citadelle de Fouras. . Pulmonaire officinale. LA ROCHELLE Fouras * [email protected] 1. Anne Richard, botaniste et passionnée de nature, anime des conférences et des stages sur la reconnaissance et l’utilisation des plantes sauvages. Voir son blog : http://afleurdemaree.blogspot.com

À fleur de marée, balade nature - fouras plantes jl...sommes de s’étonner une nouvelle fois devant ce prodige de la nature. Le plantain lancéolé Couper la tige à sa base et

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Page 1: À fleur de marée, balade nature - fouras plantes jl...sommes de s’étonner une nouvelle fois devant ce prodige de la nature. Le plantain lancéolé Couper la tige à sa base et

| Le Picton n° 202 | Juillet Août 2010 | 1

Bord de mer, chemins, prés, bois, marais... recèlent des plantes aux propriétés étonnantes !

N A T U R E

Pierre CHENNEBAULT*

C onnaissez-vous la « théorie des signatu-res » ? Ce principe essentiel de la méde-cine médiévale repose sur la règle simi-lia similibus curantur, c’est-à-dire « lessemblables soignent les semblables ».

L’exemple de la noix fait référence en la matière : lesdeux cerneaux de son amande ressemblent si bien auxcirconvolutions du cerveau humain que les Anciensont pensé qu’elle devait être bénéfique à celui-ci... Et en effet, les études scientifiques valident cetteobservation : la noix étant riche en sérotonine, unneurotransmetteur indispensable au fonctionnementde certaines fonctions cérébrales, elle est recomman-dée pour stimuler lesdites fonctions. Les exemplesabondent, la médecine moderne jase...

Soigner, croquer, parfumer…Observons plutôt la pulmonaire repérée au bord d’unchemin longeant la côte de Fouras... Ce sont lestaches blanchâtres de la feuille qui, évoquant cellesd’un poumon malade, ont décidé en son temps deson utilisation pour les affections… pulmonaires. Et cesont ses racines qu’on utilisait pour soigner ce typede maladie. Aujourd’hui, la plante soulagerait toux,bronchites et autres maux de gorge... Observer, montrer, démontrer, voilà les principes d’AnneRichard1, notre guide de « haute nature ». Et c’est dans cet esprit que nous partons à la découverte des diverses plantes poussant aux quatre coins du paysRochefortais : bord de mer, chemins, prés, bois,marais... On apprend ainsi à connaître, reconnaître,

À l’écoute des plantes… du côté de Fouras

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PHOTO MG Citadelle de Fouras. .

Pulmonaire officinale.

LA ROCHELLE

�Fouras

* [email protected]

1. Anne Richard, botaniste etpassionnée de nature, anime desconférences et des stages sur lareconnaissance et l’utilisation desplantes sauvages. Voir son blog :http://afleurdemaree.blogspot.com

Page 2: À fleur de marée, balade nature - fouras plantes jl...sommes de s’étonner une nouvelle fois devant ce prodige de la nature. Le plantain lancéolé Couper la tige à sa base et

utiliser. Ici, on croque une feuille d’obione couvertede cristaux de sel, là, on déniche l’étonnante petitefleur de fragon, plus loin on cueille2 quelques fleursde sureau qui serviront à parfumer un apéritif...La quête s’effectue au pied des carrelets, sur les rempartsdu fort Vauban, sur l’île Madame, sur l’île d’Aix, dans lesmarais du Liron... Voilà la salicorne, tiens, une petitepimprenelle, oh le bel adonis goutte de sang...Chemin faisant, on goûte les trouvailles cueillies à fleurde sable, à fleur de mer, à fleur de terre. La nature sauvagese mange avec élégance, voire un rien de préciosité.

C’est qu’elle est goûteuse, la nature, crue, cuite, ensalade, en gratin... Il faut savourer les jeunes poussesdu tamier, croquer la carotte sauvage, ne pas confondrela petite oseille sauvage au goût acidulé avec les jeunespousses d’arum toxique, discerner mâche et épilobe...

Place à la découverte…

La bette maritimeC’est l’ancêtre de nos betteraves. Ses feuilles sonttendres, fondantes et, bien que la plante pousse àprofusion à proximité de la mer, leur saveur n’estpourtant que légèrement salée. Elles se mangent cruesen salade, cuites comme des épinards ou même endessert dans des tartes sucrées. Les racines se prépa-rent à la façon des betteraves du commerce – à l’eau,sous la cendre, au four...Les nombreuses recettes proposées autour de la betteindiquent son intérêt : salade de moules et saumonfumé aux bettes marines, foie de lotte en papilloteavec chutney de racine de bette marine, farci aux septplantes, soufflé chaud à la bette marine, joues de lotteen habits verts de bettes marines, maigrette de l’es-tuaire farcie aux bettes marines et crevettes, tartare debar sur une feuille de bette, abats d’agneau en brochet-tes de fenouil avec feuilles et côtes de bettes, tarte auxpommes au thé et à la bette marine confite... De quoimettre l’eau – de mer – à la bouche !

Vol au-dessus d’un arum Au printemps, l’arum ouvre délicatement sa robeverte en forme de cornet, dévoilant l’arrondi de soncorps et l’élégance de sa tenue tendrement vanillée.On en mangerait si on était de l’espèce qui en mange,de l’espèce qui s’y laisse prendre… Justement, envoilà un ! Un de l’espèce qui s’y laisse prendre : unpuceron ailé. Un insecte qui, par l’odeur alléché,plonge étourdi dans le joli décolleté. Quand ilcomprend le danger, il est trop tard et la bestiole, netrouvant aucune prise où s’accrocher, dégringole aufond de la gaine végétale. Au-dessus, une couronned’épines dorées s’est dressée, lui interdisant toutesortie. L’insecte se retrouve ainsi prisonnier dans la« chambre des fleurs » où il tourne, bruissant furieuse-ment des ailes... et semant à son insu, le pollen qu’unautre arum piégeur a déjà déposé sur son dos. Suit le miracle de la fécondation... Sitôt les fleursfertilisées, la couronne dorée se dessèche, libérant laporte de la chambre. S’en avisant, le puceron file sansbarguigner vers la sortie, bousculant au passage lesfleurs mâles de la plante... qui le chargent d’unnouveau pollen. Enfin libéré, on l’entend vrombir audessus de l’arum, jurant qu’on ne l’y prendra plus. Il s’y fera pourtant reprendre, foi d’arum !

2 | Le Picton n° 202 | Juillet Août 2010 |

Salade de moules et saumon fuméaux bettes maritimes

Ouvrir les moules avec du vin blanc

et des échalotes. Décoquiller, mariner

avec de huile d’olive et une pointe de

Tabasco – à réaliser la veille. Faire une

citronnette avec l’huile de la marinade,

fleur de sel et jus de citron.

Choisir des feuilles – de jeunes pousses, petites et vert pâle – bien fraîches.

Mélanger avec les moules égouttées et la citronnette. Dresser en dôme

sur une assiette, parsemer les champignons émincés et le saumon taillé

en lanières. Décorer avec quelques coquilles de moules.

2. Avec autorisation de cueillir caril faut ménager les espèces rares...

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Obione.

Bette maritime.

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La sauge des présElle tient sa gueule grande ouverte au soleil. Quandun insecte volant vient la visiter, un ingénieuxsystème de levier fait basculer la tête de ses étaminessur le dos de l’intrus qui repart « la besace » couvertede pollen. Notre guide nous en fait la démonstration :elle cueille une tige d’herbe et simule l’arrivée de l’in-secte en l’introduisant délicatement dans la fleur.Abusées, les étamines se courbent jusqu’à venirtoucher la brindille.Nous voilà convaincus. Tout de même, le brind’herbe à peine lâché, on s’étonne de le voir s’envoleren bourdonnant...

L’orchidée abeilleComment ne pas s’y laisser prendre ? On dirait véri-tablement une abeille occupée à butiner la fleur !Et le promeneur de s’extasier un long momentdevant cet étonnant mimétisme. Cependant, à peinetourne-t-il le dos, que l’abeille se détache de la fleurpour s’en aller butiner un peu plus loin... une autreorchidée... qui ressemble alors comme une sœur àcelle qu’elle vient de quitter. Et le touriste que noussommes de s’étonner une nouvelle fois devant ceprodige de la nature.

Le plantain lancéoléCouper la tige à sa base et former une boucle venants’enrouler autour de la hampe. En imprimant uncoup sec sur celle-ci, la boucle vient buter sur la têtede la fleur qui, brusquement éjectée, part commeune flèche. Avec un peu d’adresse, on décoche ainside jolies banderilles porteuses de sourire. Olé !

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Arum.

Cigogne blanche, marais du Liron.

Sauge des prés.

Une orchidée, l’ophrys abeille.

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Le cabaret des oiseauxLa cardère sauvage est une plante bisannuelle pouvantatteindre 1,50 mètre de hauteur. Les propriétés agrip-pantes de sa fleur épineuse étaient autrefois utiliséespour carder la laine. Ses feuilles opposées soudées deuxà deux autour de la tige forment une espèce de cuvetteoù s’accumule l’eau de pluie.… Et les oiseaux de venir s’abreuver3 dans ce petitétang, en sifflotant les dernières trilles à la mode.

Arracheur de dentTous les goûts sont dans la nature. Et les parfumsaussi. Ainsi retrouve-t-on les fragrances subtiles del’abricot en froissant une feuille de primevère oucelles de l’ananas en chiffonnant l’inflorescence de lacamomille suave. La feuille de la grande bercerappelle le parfum de la mandarine, celle de la cristemarine le goût du citron... Et c’est en pelant uneracine de la benoîte commune que l’arôme du clou degirofle remonte aux papilles – et rappelle les soinsdentaires, car son pouvoir anesthésiant est utilisé parles chirurgiens-dentistes...

Le navet du diable La bryone dioïque est une plante de la famille descourges – cucurbitacées. Son bourgeon ressemble assezcurieusement à un caméléon...Il faut remarquer « l’agilité » de ses vrilles qui lui permet-tent d’évoluer dans son environnement. Elles s’accro-chent et s’enroulent en hélice autour des branches enformant deux boucles de sens contraire...Et si ce bourgeon était un caméléon déguisé en bryone !Cela ne serait pas la première fois que l’animal troque-rait son vêtement contre un autre...

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3. Version « poétique »... et peu crédible.

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Cardère.

Criste marine.

Arbousier.

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L’arbre aux fraisesCes fruits orangés qui virent au rouge vif quand ilsparviennent à maturité, semblent bien trop engageantspour être honnêtes. Pourtant, la nature, qui nous aappris à être méfiants, joue cette fois-ci « cartes surtable » – ou plutôt « couleurs sur table » – : les fraisesdes arbres, dont le goût rappelle celui de l’abricot, fontd’excellentes confitures, compotes ou autres marme-lades. On peut aussi les distiller pour produire uneeau-de-vie et ses feuilles sont même utilisées endécoction. Quant aux racines, leur infusion est utilepour lutter contre l’hypertension artérielle...

Collier de perles finesOn connaît l’huître perlière. Mais connaissez-vousl’herbe aux perles ? Sa fleur est d’un charmant bleucobalt... Ne vous arrêtez pas au bleu : allez fourragerdans les feuilles de la plante et découvrez ses fruits...De jolies perles blanches qu’il sera, hélas, difficile demonter en collier...

La nature est notre jardinComme on le voit, il n’est pas nécessaire d’aller dansune réserve naturelle pour trouver des plantes éton-nantes. Inutile non plus de courir à l’autre bout dumonde : tout est là, autour de nous... Le littoral du

Poitou-Charentes offre une nature diverse et variée.Plantes odorantes, culinaires, médicinales, décorati-ves, mais quelquefois aussi... perfides.La salicorne, plante bizarre au goût venu d’ailleurs, dontle succès aurait tendance à occulter ses petites sœurs dupeuple de l’herbe ; le maceron, tombé dans l’oubli – onle trouvait sur les marchés il n’y a pas si longtemps – ; la grande ciguë, poison « socratiquement » renommé ; la criste marine, plante grasse à l’odeur acidulée ; la soude, dont les cendres étaient jadis utilisées pourfaire la lessive ; le tapis de ficaires, où se cachent parfoisquelques morilles : les herbes folles pas si folles...Reconnaître les plantes, apprendre à les utiliser,comprendre les mécanismes ô combien ingénieux de lapollinisation, voilà une façon de se rapprocher de la terre,de raccourcir la distance entre l’homme et la nature. Développement durable, économie des ressources natu-relles, respect de l’environnement... Loin d’être unpillage, les cueillettes sauvages modérées, « raisonnées »,dans notre formidable région du Poitou-Charentes,permettent une réelle prise de conscience de la fragilitéde notre planète en (re)tissant les liens homme-nature.« Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nousl’empruntons à nos enfants4. » ■

Vin de fleurs de sureauIl faut utiliser du sureau noir, Sambucus nigra. Sambucus, du latin sambuca,

désignait un instrument de musique fait en bois de sureau – dans certaines

contrées, le sureau est nommé hautbois...

À faire en mai, époque de la floraison. Pour confectionner un litre de rosé :

20 g de fleurs de sureau (uniquement les petites fleurs, sans les pédoncules) ;

200 g de sucre ; 100 ml d’alcool à 40°.

Mélanger le tout. Agiter régulièrement pendant quarante jours. Filtrer, mettre

en bouteille. Le vin de sureau est un délicieux apéritif qu’il convient de servir frais.

Bibliographieet sources

• Anne Richard, PierreVaillant, La cuisine des plantes sauvages, Geste éditions, 2007.

• Anne Richard, PierreVaillant, Cuisiner avec les plantes sauvages, Geste éditions, 2010.

• Articles de presse d’AgnèsLanoëlle, J.-L. Richard (Sud-Ouest) et AN (Le Phare de Ré).

• W. Lippert, D. Podlech,Gros plan sur les fleurs,Nathan, 2009.

• Pierre et Délia Vignes,L’Herbier des plantes sauvages, Larousse, 2007.

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4. Propos attribués au grand chefindien Seattle de la tribu desDuwanish.

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Carrelet devant le fort de l’Aiguille,Fouras.

Quand la bryone dioïque joue au caméléon.

Herbe aux perles.