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Point de vue : La légende d'Hiram en Franc-maçonnerie Jacques HOSTETTER D.E.A. de l'Institut d'Etude des Religions et de la Laïcité, ULB réponse significative : "Plutôt la mort que de dévoiler le secret qui m'a été confié". Outre le fait qu'Hiram ne veut courir le risque de perturber l'édification du grand œuvre en trahissant la tradition dont il est le gardien, cette parole a également une portée alchimique. Il faut que le blé tombé en terre meure pour que la transmutation puisse s'opérer. La racine phénicienne et sémi- tique d'Hiram signifie "Frère élevé" ou "lieu sacré et inviolable". Hiram n'a pas violé le secret maçonnique et s'est élevé parce qu'il s'est sacrifié au bénéfice d'une cause supérieure. Soupçonnés d'être eux-mêmes scélérats, les compagnons lors de leur initiation à la maîtrise, seront disculpés et reconnus matures, persévérants et dignes de recevoir un plus haut salaire. Mais ils auront à cœur de méditer sur cette tentation toujours possible pour l'homme de vouloir s'accaparer d'un non dû, par le détournement de l'usage des outils nécessaires à la construction. Si elle ne l'a pas inventé, la Franc-Maçonnerie exploite toute la richesse du symbolisme qui, contrairement à l'allégorie qui est l'illustration d'une idée abstraite par une image concrète, n'impose rien et ouvre des possibilités de conceptions illimitées. C'est pour- quoi, selon Irène Mainguy, il est le langage initiatique par excellence, reliant le présent au passé et au futur 4 . Ainsi, dans la légende d'Hiram, le troisième compagnon en portant le coup fatal grâce à un maillet, promu premier architecte du tem- ple, voire rival de Salomon, per- sonnifiant d'une part, une sagesse et une connaissance égales à celle d'un souverain connu pour sa capa- cité à résoudre des énigmes et, d'autre part, incarnant l'idéal démocratique appelé à triompher de la royauté. La symbolique maçonnique innove dans sa relation avec le mythe d'une façon générale, et le mythe fondateur en particulier. Ainsi, selon Raoul Berteaux et Irène Mainguy, "la réalité du mythe concerne la réalité de l'être et non l'authenticité de l'événe- ment historique" 1, 2 . Autrement dit, si tous les maçons sont cons- cients que l'histoire d'Hiram est légendaire, cela n'enlève rien au fait qu'ils perçoivent, grâce à cette narration actualisée par le rituel, "une dimension cachée de la réali- té humaine qui met en action la fonction symbolique et analogique d'éveil de l'intuition spirituelle" 3 . Ce n'est pas l'histoire, même amplifiée d'Hiram, qui parle au maçon, mais bien son assassinat par trois compagnons qui, en par- tie à leur insu, vont ouvrir une nou- velle ère à la Connaissance. Les maçons, en chemin vers la maîtri- se, vont intégrer que les secrets qui leur ont été et qui leur seront trans- mis ne leur appartiennent pas en propre, mais à la collectivité des frères à laquelle ils ont promis par serment de garder le secret. Ce secret ne pouvant être valablement transmis qu'à quelqu'un qui a été jugé digne de le recevoir par ses futurs pairs, par l'exemplarité de sa vie et la qualité de son travail. La légende prête à Hiram cette Aux alentours de 1725, posté- rieurement à la publication du Livre des Constitutions d'Ander- son, dont la première parution ignore le grade de Maître, un Franc-maçon composa le récit dra- matique du meurtre d'Hiram, architecte de Salomon, par trois compagnons décidés à lui arracher de force les secrets de la maîtrise. Dès 1733, les Loges de Londres basèrent plusieurs de leurs rituels sur cet homme qui, selon les Ecritures hébraïques, vint se mettre au service du roi d'Israël. Cette évocation choqua un cer- tain nombre de maçons théistes qui considéraient qu'il s'agissait là d'une invention saugrenue, rédigée en contradiction avec le texte biblique, qui ne voit en Hiram qu'un fondeur de cuivre et d'airain (cfr la Bible, 1er livre des Rois, chapitre 7, versets 13 et suivants). Si l'on ne peut trouver de justi- fication biblique à la légende selon laquelle Hiram aurait dirigé la construction du temple et comman- dé les apprentis, compagnons et maîtres bâtisseurs, et s'il y a lieu de penser qu'Hiram s'en tint à des tra- vaux de métallurgie (cfr les livres des Rois et des Chroniques), il faut noter que son habilité fut soulignée par le roi Salomon en personne (cfr 2e livre des Chroniques, chapitre 2, versets 13 et 14). Dans les temples maçonniques, réalisés à l'image du temple de Jérusalem, les deux colonnes du porche, nommées Boaz et Jakin, rappellent son œuvre de fondeur. Toutefois, c'est davantage pour les besoins d'un symbolisme initia- tique de haute valeur que ce modeste personnage biblique fut 21 Reliures 23 Automne-Hiver 2009 L’apport des textes fondateurs Reliures 23

-La Légende d'Hiram

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Article sur un fondement franc maçon, la légende d'Hiram par Jacques HOSTETTER, D.E.A. de l'Institut d'Etude des Religions et de la Laïcité, ULBL'article analyse la dimension symbolique de l'usage de cette légende et sa dimension histoirique

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Point de vue :

La légende d'Hiram en Franc-maçonnerie

Jacques HOSTETTERD.E.A. de l'Institut d'Etude des Religions et de la Laïcité, ULB

réponse significative : "Plutôt lamort que de dévoiler le secret quim'a été confié". Outre le faitqu'Hiram ne veut courir le risquede perturber l'édification du grandœuvre en trahissant la traditiondont il est le gardien, cette parole aégalement une portée alchimique.Il faut que le blé tombé en terremeure pour que la transmutationpuisse s'opérer.

La racine phénicienne et sémi-tique d'Hiram signifie "Frèreélevé" ou "lieu sacré et inviolable".Hiram n'a pas violé le secretmaçonnique et s'est élevé parcequ'il s'est sacrifié au bénéfice d'unecause supérieure.

Soupçonnés d'être eux-mêmesscélérats, les compagnons lors deleur initiation à la maîtrise, serontdisculpés et reconnus matures,persévérants et dignes de recevoirun plus haut salaire. Mais ilsauront à cœur de méditer sur cettetentation toujours possible pourl'homme de vouloir s'accaparerd'un non dû, par le détournementde l'usage des outils nécessaires àla construction.

Si elle ne l'a pas inventé, laFranc-Maçonnerie exploite toutela richesse du symbolisme qui,contrairement à l'allégorie qui estl'illustration d'une idée abstraitepar une image concrète, n'imposerien et ouvre des possibilités deconceptions illimitées. C'est pour-quoi, selon Irène Mainguy, il est lelangage initiatique par excellence,reliant le présent au passé et aufutur4.

Ainsi, dans la légende d'Hiram,le troisième compagnon en portantle coup fatal grâce à un maillet,

promu premier architecte du tem-ple, voire rival de Salomon, per-sonnifiant d'une part, une sagesseet une connaissance égales à celled'un souverain connu pour sa capa-cité à résoudre des énigmes et,d'autre part, incarnant l'idéaldémocratique appelé à triompherde la royauté.

La symbolique maçonniqueinnove dans sa relation avec lemythe d'une façon générale, et lemythe fondateur en particulier.Ainsi, selon Raoul Berteaux etIrène Mainguy, "la réalité dumythe concerne la réalité de l'êtreet non l'authenticité de l'événe-ment historique" 1, 2. Autrementdit, si tous les maçons sont cons-cients que l'histoire d'Hiram estlégendaire, cela n'enlève rien aufait qu'ils perçoivent, grâce à cettenarration actualisée par le rituel,"une dimension cachée de la réali-té humaine qui met en action lafonction symbolique et analogiqued'éveil de l'intuition spirituelle"3.

Ce n'est pas l'histoire, mêmeamplifiée d'Hiram, qui parle aumaçon, mais bien son assassinatpar trois compagnons qui, en par-tie à leur insu, vont ouvrir une nou-velle ère à la Connaissance. Lesmaçons, en chemin vers la maîtri-se, vont intégrer que les secrets quileur ont été et qui leur seront trans-mis ne leur appartiennent pas enpropre, mais à la collectivité desfrères à laquelle ils ont promis parserment de garder le secret. Cesecret ne pouvant être valablementtransmis qu'à quelqu'un qui a étéjugé digne de le recevoir par sesfuturs pairs, par l'exemplarité de savie et la qualité de son travail.

La légende prête à Hiram cette

Aux alentours de 1725, posté-rieurement à la publication duLivre des Constitutions d'Ander-son, dont la première parutionignore le grade de Maître, unFranc-maçon composa le récit dra-matique du meurtre d'Hiram,architecte de Salomon, par troiscompagnons décidés à lui arracherde force les secrets de la maîtrise.

Dès 1733, les Loges deLondres basèrent plusieurs deleurs rituels sur cet homme qui,selon les Ecritures hébraïques, vintse mettre au service du roi d'Israël.

Cette évocation choqua un cer-tain nombre de maçons théistes quiconsidéraient qu'il s'agissait làd'une invention saugrenue, rédigéeen contradiction avec le textebiblique, qui ne voit en Hiramqu'un fondeur de cuivre et d'airain(cfr la Bible, 1er livre des Rois,chapitre 7, versets 13 et suivants).

Si l'on ne peut trouver de justi-fication biblique à la légende selonlaquelle Hiram aurait dirigé laconstruction du temple et comman-dé les apprentis, compagnons etmaîtres bâtisseurs, et s'il y a lieu depenser qu'Hiram s'en tint à des tra-vaux de métallurgie (cfr les livresdes Rois et des Chroniques), il fautnoter que son habilité fut soulignéepar le roi Salomon en personne (cfr2e livre des Chroniques, chapitre 2,versets 13 et 14).

Dans les temples maçonniques,réalisés à l'image du temple deJérusalem, les deux colonnes duporche, nommées Boaz et Jakin,rappellent son œuvre de fondeur.Toutefois, c'est davantage pour lesbesoins d'un symbolisme initia-tique de haute valeur que cemodeste personnage biblique fut

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1. Raoul Berteaux, La voie symbo-lique, Editions Edimaf, 1984, p. 65-87. REL9001 Prix Rel.: 17,10 e2. Irène Mainguy, La symboliquemaçonnique du troisième millénaire ;Editions Dervy, Paris, 2006, p. 370-409. REL12278 Prix Rel.: 20,39 e3. Ibidem, p. 3704. Ibidem, p. 44 à 51

détourne un outil de création enoutil de destruction et de mort,mais permet aussi à Hiram de s'af-franchir des plans matériel et psy-chique pour le faire accéder à lamaîtrise spirituelle totale.

Si le franc-maçon se réfèrevolontiers aux légendes et récitsanciens, il privilégiera toujoursl'approche morale, anagogique etésotérique, à l'approche littérale,historique et allégorique. Le rituel,tellement important en Franc-maçonnerie, n'est en réalité qu'unensemble de symboles mis enaction ; des symboles qui puisentleurs racines dans les anciensmythes et légendes mais qui,grâce à la ritualisation, quoique néde l'instant événementiel, ledépasse et l'affranchit des servitu-des et du temps. Le maçon seréapproprie la richesse de lamythologie par le rituel qui luiindique et balise le chemin qu'ilest invité à parcourir.

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LES SOURCES CHRÉTIENNES DE LA LÉGENDE D'HIRAM Avec 1 Cédérom Philippe LANGLETClaude GAGNE (Préfacier)Dans cet ouvrage, l’auteur s'efforce d'étudier la légende à travers plus de cin-quante versions différentes pour y trouver le fil conducteur, la trame unifica-trice, en dehors de toute exclusive obédientielle ou rituelle.On découvrira un important corpus de textes de référence auquel se référerpour alimenter sa réflexion. Les études proposées ici s'efforcent de dégagerla structure profonde de la légende sans refuser les sources chrétiennes.Philippe Langlet met en lumière un vaste tissu de textes religieux, faits d'em-prunts bibliques directs mais aussi de réminiscences ou d'emprunts indirects.Dervy, 27,50 eREL14025 Prix Rel.: 24,75 e