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16 Compagnonsétranger « La Voûte Nubienne » Un exemple de développement économique et solidaire au SAHEL Un toit La redécouverte d'un concept ancestral À l’instar de nombreuses histoires, il est parfois des évidences qui se font jour le plus simplement du monde. Il en est ainsi de l’association « la Voûte Nubienne », qui a démarré à travers l’intérêt d’un maçon, Thomas Granier, pour les peuples africains et pour l’architecture de terre, la plus largement répandue dans le monde encore actuellement. Thomas Granier parcourt l’Afrique depuis plus de vingt ans, et son chemin le conduit en 1998 vers ce beau pays qu’est le Burkina Faso. C’est autour de la construction d’un tout petit abri en terre, sorte de mausolée qui protégeait alors une sculpture en terre en bas-relief d’un ami sculpteur du village de Boromo au Burkina, que tout est parti. Le couvrement de ce fameux petit abri par une charpente, qui s’est rapidement trouvée sous une forme courbe avec des briques inclinées, a conduit Thomas et d’autres amis à se pencher sur cette idée originale d’utiliser cette forme voûtée pour pallier la construction de toits en tôles, inconfortables et très chers, largement répandus en Afrique sahélienne. En effet, au Burkina Faso et dans l'ensemble de l'Afrique sahélienne, d'après l'ONU, plus de la moitié de la population sahélienne (environ 150 millions de personnes) n'a pas accès à une solution d'habitat décente. Le bois de construction disparaît et ces populations doivent ainsi puiser dans leurs faibles budgets pour se couvrir de tôles totalement inadaptées qui les plongent dans un véritable cercle vicieux de pauvreté. Un métier Compagnon maçon de La Voûte Nubienne, pour renverser la problématique de l'habitat sahélien. Les premiers maçons ont été formés en direct sur les premiers chantiers de Séri et de ses voisins à Boromo. Cela s'est fait par un modèle de transmission bien connu chez nous, de l’apprenti au Compagnon. Thomas et Séri ont rapidement compris que l’idée n'était pas de faire, mais d'apprendre à faire et de tisser, à Boromo et alentours, un réseau de maçons indépendants mais solidaires. Ce modèle s’est rapidement avéré efficace : de nombreuses maisons villageoises ont été construites sur des modèles de constructions de maison à géométrie variable au regard de la taille des familles et des besoins, et même des dispensaires, bâtiments administratifs, lieux de cultes, etc. Mais une fois les premiers maçons formés, les premières voûtes bâties, et les modes de transmissions bien compris, le marché s'est un peu essoufflé. Thomas et Séri ont alors compris qu'une nouvelle étape devait être passée : comment amorcer, dans chaque village, chaque province, chaque région sahélienne, un véritable marché pour diffuser à grande échelle la Voûte Nubienne ? En 2 ans, Thomas a validé le concept technique avec son ami Séri Youlou, cultivateur burkinabé. Ensemble, ils ont standardisé, simplifié au maximum le concept. Mais pour renverser cette problématique, une solution technique seule ne suffit pas : il faut la vulgariser, au plus vite, et pour le plus grand nombre, en amorçant un marché. Cela commence par la formation de premiers maçons burkinabés à Boromo. Pour ce faire, ils créent ensemble une association, l'Association « la Voûte Nubienne » ou AVN. C’est autour de la construction d’un tout petit abri en terre, sorte de mausolée qui protégeait alors une sculpture en terre en bas-relief d’un ami sculpteur du village de Boromo au Burkina, que tout est parti. 0517 • Compagnons 198.indd 16 17/05/11 15:33

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Compagnonsétranger Compagnonsétranger

« La Voûte Nubienne »Un exemple de développement économique et solidaire au SAHEL

Un toit

La redécouverte d'un concept ancestral

À l’instar de nombreuses histoires, il est parfois des évidences qui se font jour le plus simplement du monde. Il en est ainsi de l’association « la Voûte Nubienne », qui a démarré à travers l’intérêt d’un maçon, Thomas Granier, pour les peuples africains et pour l’architecture de terre, la plus largement répandue dans le monde encore actuellement.

Thomas Granier parcourt l’Afrique depuis plus de vingt ans, et son chemin le conduit en 1998 vers ce beau pays qu’est le Burkina Faso. C’est autour de la construction d’un tout petit abri en terre, sorte de mausolée qui protégeait alors une sculpture en terre en bas-relief d’un ami sculpteur du village de Boromo au Burkina, que tout est parti.

Le couvrement de ce fameux petit abri par une charpente, qui s’est rapidement trouvée sous une forme courbe avec des briques inclinées, a conduit Thomas et d’autres amis à se pencher sur cette idée originale d’utiliser cette forme voûtée pour pallier la construction de toits en tôles, inconfortables et très chers, largement répandus en Afrique sahélienne. En effet, au Burkina Faso et dans l'ensemble de l'Afrique sahélienne, d'après l'ONU, plus de la moitié de la population sahélienne (environ 150 millions de personnes) n'a pas accès à une solution d'habitat décente. Le bois de construction disparaît et ces populations doivent ainsi puiser dans leurs faibles budgets pour se couvrir de tôles totalement inadaptées qui les plongent dans un véritable cercle vicieux de pauvreté.

Un métier

Compagnon maçon de La Voûte Nubienne, pour renverser la problématique de l'habitat sahélien.

Les premiers maçons ont été formés en direct sur les premiers chantiers de Séri et de ses voisins à Boromo. Cela s'est fait par un modèle de transmission bien connu chez nous, de l’apprenti au Compagnon. Thomas et Séri ont rapidement compris que l’idée n'était pas de faire, mais d'apprendre à faire et de tisser, à Boromo et alentours, un réseau de maçons indépendants mais solidaires.

Ce modèle s’est rapidement avéré efficace : de nombreuses maisons villageoises ont été construites sur des modèles de constructions de maison à géométrie variable au regard de la taille des familles et des besoins, et même des dispensaires, bâtiments administratifs, lieux de cultes, etc.

Mais une fois les premiers maçons formés, les premières voûtes bâties, et les modes de transmissions bien compris, le marché s'est un peu essoufflé. Thomas et Séri ont alors compris qu'une nouvelle étape devait être passée : comment amorcer, dans chaque village, chaque province, chaque région sahélienne, un véritable marché pour diffuser à grande échelle la Voûte Nubienne ?

En 2 ans, Thomas a validé le concept technique avec son ami Séri Youlou, cultivateur burkinabé. Ensemble, ils ont standardisé, simplifié au maximum le concept.

Mais pour renverser cette problématique, une solution technique seule ne suffit pas : il faut la vulgariser, au plus vite, et pour le plus grand nombre, en amorçant un marché.

Cela commence par la formation de premiers maçons burkinabés à Boromo.

Pour ce faire, ils créent ensemble une association, l'Association «  la Voûte Nubienne » ou AVN.

C’est autour de la construction d’un tout petit abri en terre, sorte de mausolée qui protégeait alors

une sculpture en terre en bas-relief d’un ami sculpteur du village de Boromo

au Burkina, que tout est parti.

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Un marché

Former des « vulgarisateurs » de la VN pour amorcer le marché à grande échelle.

Thomas et Séri ont remarqué l'absence d'un chaînon indispensable au développement du marché : le vulgarisateur.

Son rôle, jusqu'à présent joué par Thomas et Séri, consistait à faire tout un travail de sensibilisation dans les villages, d'organisation des équipes, de coordination et de partage d'expérience, afin d’amorcer, de dynamiser, de fluidifier et d’autonomiser le marché.

C'est une véritable méthode baptisée « AMORCE » car il s'agit d'amorcer le marché dans divers villages et provinces.

Le point principal du vulgarisateur est de prendre le temps du dialogue avec les populations et de s'assurer que le message

passe. Or pour cela, il faut trouver une « bouche » locale, convaincue par la technique et convaincante localement : un maçon de Boromo ne sera pas aussi crédible dans le village voisin que le chef du groupement paysan de ce village. C'est donc cette personne « clé » qu'il faut repérer car elle va permettre de faire émerger un premier groupe de clients et d'apprentis (la « porte »). Une Clé + Une porte, et le vulgarisateur peut « ouvrir » le marché.

Pour ce faire, il va envoyer un « compagnon-maçon  », qui requiert les compétences techniques et humaines pour conduire une équipe et surtout pour accélérer la formation.

Le maçon va construire des maisons et former des maçons. Au bout d'un certain temps, le vulgarisateur considèrera qu’il y a suffisamment de maçons formés et de voûtes construites pour que le marché s'autonomise et que le soutien d'AVN ne soit donc plus nécessaire.

Cette méthode a été affinée il y a deux ans. Baptisée « AMORCE », elle est encore en cours de test, mais la croissance du marché reprend déjà, à partir de plusieurs pôles distants, éloignés de Boromo, prouvant pour le moment sa pertinence.

Le challenge pour Thomas et Séri est désormais d'être capable de former un maximum de vulgarisateurs. Or, sur le même modèle que pour les maçons, le compagnonnage peut aussi exister pour les vulgarisateurs. C'est donc tout le but de Thomas et Séri : insuffler un mouvement de formation et de transmission du savoir entre les vuglarisateurs. AVN cherche notamment à former des personnes issues des nouvelles provinces ciblées (car elles connaissent ainsi déjà bien le terrain), et membres d'institutions locales (ONG ou autres permettant de formaliser le partenariat et de lancer de véritables « franchises »).

L'investissement social, pour payer les formations et le déploiement

AVN propose à des investisseurs sociaux de financer la formation de ces vulgarisateurs locaux.

Les premiers bénéficiaires n'ayant pas les moyens de payer la formation, ces « investisseurs sociaux » sont des ONG, des coopérations décentralisées européennes, des fondations diverses, ou de simples citoyens qui, comme vous et moi, avec 5 € ou plus par mois, permettent ainsi de faire avancer le mouvement (les petites briques font les grandes maisons).

En échange, AVN affecte aux investisseurs sociaux des parts de programme qui sont valorisés par des retours d’impact non plus financiers, mais humains. Il s'agit de

Portrait de l'auteur : un Compagnon français au Burkina

Pierre Le Signor participe depuis deux ans, comme collaborateur bénévole auprès de ce mouvement humain plein d’énergie, et éprouve un réel plaisir et d’homme et de Compagnon à vivre cette aventure.

Il a investi 2% du chiffre d’affaires de son entreprise pour fabriquer un moule qui peut reproduire une dizaine de maquettes de communication comme supports didactiques pour les salons de l’association.

Pierre a récemment réalisé une mission de collectage sur les « pratiques de mise en œuvre des enduits ». Ceci afin de pouvoir permettre d’ici quelque temps d’affiner et de valider des techniques relevées sur place et offrir un support sous forme de guide technique pour les maçons AVN.

C’est une très grande leçon que de vivre avec des personnes qui vivent avec moins de un euro par jour, pour la plupart. Les pays en développement ne sont pas riches pécuniairement, mais riches d’une intensité sociale où le collectif est mis au service du plus grand nombre.

Nous avons beaucoup de leçons à prendre sur notre objectif ultra consumériste au regard de séjours chez nos frères Africains du Sahel.

Hassan Fathy, qui est l’architecte qui a participé à une première renaissance de « la voûte nubienne » dans les années cinquante en Égypte, avait écrit un livre intitulé Construire avec le peuple.

Le village qu’il a construit pour déplacer « les gournis », pilleurs de tombes de père en fils, n’a jamais été habité, bien qu’il soit la copie conforme du premier. Chassez le naturel, il revient au galop, dit-on, et c’est une réalité.

Au regard de ces douze années du mouvement AVN, je pense que la leçon « Construire avec le peuple » a été enfin appliquée à la lettre, et croyez moi, les Africains qui ont acheté des VN les habitent, eux, leur maison…

L'objectif d’AVN est de permettre aux 150 millions de Sahéliens d’accéder à un habitat décent et durable le plus rapidement possible. Notre méthodologie est un levier considérable pour permettre ce challenge, mais la force de cette aventure est dans le réseau de Compagnons qui la soutiennent.

Chiffres clés

• 10 ans de vulgarisation• 1000 Voûtes Nubiennes bâties • 100 Compagnons maçons formés. • 2000 tonnes de CO2 économisées• 400 000  € d'économies locales

générées• 40 % de croissance du marché local

de la VN

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CompagnonsvoyagesCompagnonsétranger Compagnonsculture

X – Rencontre avec Jordi Savall

Pratique, recherche et transmission des savoirs : relire l’œuvre d’art

Au mois de septembre dernier, Eric de Chassey, l’actuel directeur de l’Académie de France à Rome, a initié un séminaire de recherche mensuel permettant à chaque pensionnaire qui le souhaite d’établir un dialogue entre son propre travail et celui d’une personnalité invitée sur son initiative. La séance que j’ai animée le 25 mars 2011 a été pour moi l’occasion de convier Jordi Savall, violiste, chef d’orchestre et musicologue, venu spécialement de Barcelone pour échanger sur le thème « Pratique, recherche et transmission des savoirs : relire l’œuvre d’art ». Alors que rien à priori ne semble réunir la pratique de la musique ancienne de Jordi Savall et mon travail de tapissier, un tableau conservé au musée du Louvre permet néanmoins d’expliciter le sens d’une telle rencontre dans le cadre de ce séminaire. Au-delà du clin d’œil anecdotique que procure le sujet représenté (une basse de viole appuyée par le musicien contre un tabouret garni par le tapissier), l’histoire de la réception de ce tableau nous interroge sur le sens que nous prêtons aux œuvres. Alors que la mention « Boyer fecit 1693 » inscrite sur le cahier de partitions peint

était interprétée par les historiens de l’art comme la marque du compositeur (aucun peintre de ce nom n’étant alors connu, ni de compositeur d’ailleurs…), la signature apocryphe «  J B Oudry 1734 » apposée à une date inconnue a longtemps leurré le regard des amateurs comme des spécialistes, écartant tout soupçon sur la paternité de la toile. De fait, cette œuvre a été perçue comme une nature morte de l’un des grands maîtres du genre au début du XVIIIe siècle, destinée à être présentée au mur pour susciter réflexion ou délectation. Il en fut ainsi au moins depuis la fin du XIXe siècle, lorsque le tableau était accroché dans la chambre du docteur Louis La Caze dans son hôtel du boulevard des Italiens, puis sur les cimaises du Louvre après le don fait par ce collectionneur en 1869. Au début des années 1970, l’acquisition par ce même musée d’une nature morte signée « Boyer 1709 »a suscité la relecture de la mention « Boyer fecit 1693 » du tableau qui nous intéresse, et l’attribution de ce dernier au peintre Michel Boyer. Dès lors, non seulement l’auteur et la date de l’œuvre ont été révisés, mais également la fonction première de cette toile peinte : il s’agit en fait, non pas d’une nature morte destinée à la méditation, mais d’un devant de cheminée à vocation plus prosaïquement fonctionnelle et décorative. L’angle de vue de ce tableau, au sens propre comme

Chroniques médicéennes

pourcentage de maçons formés, de tonnes d’équivalent CO2 stockés (bilan carbone excellent de la terre), de m2 de voûtes nubiennes construites, etc.

Conclusion

I l a fallu beaucoup de courage, de persévérance et d ’opiniâtreté pour, doucement mais sûrement, faire accepter aux premiers Sahéliens de procéder à un changement d’architecture, et notamment pour pallier cette impasse de construction en tôle et ciment, de plus en plus étendue dans les pays africains.

Tout était à faire, montrer, démontrer, convaincre, af franchir les peurs , et persévérer…

Entre 2000 et 2007, Thomas s'est investi en temps et en argent pour soutenir à bras-le-corps ce challenge, prouvant que tout est possible lorsque l’on détient une des idées les plus géniales du XXe siècle, à savoir insuffler un changement à grande échelle, à terme endogène, avec les hommes.

Aujourd ’hui , l ’as sociation a permis l ’émergence d ’un véri table marché qui englobe producteurs (maçons) et consommateurs (clients), marché qui reste encore à densifier et à étendre.

Ainsi AVN est en train de remporter un des challenges les plus gratifiants qui est de permettre à une population de renouer avec une architecture pertinente et adaptée, et d’accéder à un confort d’été comme d’hiver considérable, tout ceci avec la mère du monde, qui est notre bonne vieille Terre.

Article co-écrit par

Pierre Le SignorL’Humilité de Brest ComPagnon Passant maçon du devoir

et

Antoine HorelloudireCteur du déveloPPement

la voûte nuBienne

+33 (0)6 98 21 70 [email protected] : lavoutenubienne

Michel Boyer (Le Puy 1668 - Paris 1724).

Devant de cheminée. Basse, cahier de musique et épée. Signé et daté Boyer fecit 1693.

Huile sur toile. 81 x 99 cm. Paris, musée du Louvre (inv. MI 1094).©

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