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À l’écoute de ton visageTant que tu es à l’hôpital, j’écris à la cuisine, lieu le plus chaleureux de la maison en ton absence. 4 janvier 2007. Tu vas mieux. En arrivant,

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  • Àl’écoutedetonvisage

  • Tousdroitsdetraduction,d’adaptationetdereproductionréservéspourtouspays.

    ©2016,GroupeArtègeÉditionsDescléedeBrouwer10,rueMercœur–75011Paris

    9,espaceMéditerranée–66000Perpignan

    www.editionsddb.fr

    ISBN:978-2-220-06745-2ISBNepub:978-2-220-07990-5

    http://www.editionsddb.fr

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  • HospitalisationdeJanineetdébutd’unenouvelleétape

    Fin2006-début2007marqueledébutd’unenouvelleétapedenotreToietmoi…etAlzheimer.

    Dimanche31décembre2006.MaJanine,madouleur,

    Jesuiscesoircommeilyadouzeans,seul.Ausoirde laSaint-Sylvestre 1994, alors que tu étais déjà couchée, tum’assignifiéque jedevaisquitternotrechambre,mesouhaitantunebonnesoirée.

    Jet’aiembrasséeetsuisdescendum’installerpourlanuitausalon, en compagnie de mon journal. Je me suis mis à écrirepour transformer mon chagrin en mots, ma douleur encontemplation et ce qui était, en prière1. Ce soir, je suis denouveauseul,nonpasausalon,maisàlacuisineoùj’aifaitunbonfeudanslepoêlealsacien.Ettoi,tuesdanstachambreenmédical6,àl’hôpitalcivildeHaguenau.Jepeuxreprendremotà mot ce que j’ai écrit alors : J’écris, ma chérie, pourtransformermonchagrinenmots…

    Cematin j’ai pleuré quand je t’ai vue dans une des sallesd’examen, aux urgences, où tu avais été admise ce matin à 9heures.On t’avaitposédesperfusions, ton regardétaitdans levague, tu respirais, laboucheouverte.Mais ta respirationétaitdéjàmoinshaletantequelanuitprécédente.

    Quandjemesuiscouchéhiersoiràminuit,tuétaisbrûlantede fièvre, le souffle court. Le médecin de garde, à qui j’ai

  • téléphoné à 3 heures du matin, m’a toutefois rassuré, disantqu’il était normal qu’une infection urinaire entraîne lessymptômesquejeluiavaisdécrits.Cetteinfectionaétécauséepar laposed’unesondeurinaireavant-hier,à lasuiteduglobeurinaire que tu avais contracté, provoquant d’ailleurs unimpressionnantmalaise.

    Aprèslesurgencesdecematin,tuasétéadmisel’après-mididansunechambrequis’étaitlibérée.Tudonnaisdéjàmeilleureimpression dans un vrai lit, même médicalisé. Les infirmièresont volontiers accepté que je vienne te donner à manger auxrepasdusoiretdemidi, leur tempspourdonneràmangerauxmaladesétant compté.Pour toi, il faut environuneheurepourchaquerepas.Maiscesoirtuasmangétrèspeu.

    Cesoirdonc,dansnotrecuisine,jet’entendsencoremedire«passeunebonnesoirée».Puisquetumeledis,ilenseraainsi.Mais tout à l’heure, en allant me coucher seul, j’aurai quandmêmelecœurserré.Tumemanques,etjevoiscombienjesuisheureuxavectoi,mêmeatteintedelamaladied’Alzheimer.

    2janvier2007.La fièvre est tombée et tu as retrouvé ton visage lisse.

    Pourras-tuencorefaire,ensortantdel’hôpital,neserait-cequequelques pas avec mon aide ? Tu es bien entourée par lepersonnel soignant, et les examens, en l’occurrence uneéchographie, se poursuivent. Les enfants, ceux qui habitentStrasbourg, t’ont rendu visite. Les as-tu seulement reconnus ?Toujoursest-ilquetusemblaissensibleàleurprésence.

    Tant que tu es à l’hôpital, j’écris à la cuisine, lieu le pluschaleureuxdelamaisonentonabsence.

  • 4janvier2007.Tu vas mieux. En arrivant, je t’ai trouvée assise dans un

    fauteuil. Je n’ai pas dû insister pour que tu manges. Tum’asmêmedonnéunbaiser.Ilestvraiquejet’enaidonnéplusieurs,tecaressantlajoue.Tucomprendscelangagedetendresse.

    Cequeturessens,ilfautleliresurtonvisage,apaiséetlisseoutenduetfripé.Quandtut’entendsappeléepartonnom,tonvisage s’illumine. Tu sais encore que tu es Janine. Sais-tuencore,dansquelcoincachédetonâme,quetuesmaJanine?Mêmesitunelesaispas,moijelesais.Jet’aime,tusaistout,m’as-tudéclaréquandnousnoussommesrencontrés,commesiparavancetum’avaisdéléguétoutlesavoirdenotreamour.

    À17h30,onallaitdenouveauteposerunesondeurinaire,cartun’avaispasfaitpipidepuislematin.L’internecraignaitlaformation d’un nouveau globe urinaire. Il t’a laissé un sursisd’uneheure.Puis,quandl’aide-soignanteaenlevétacouche,cefutlesoulagement:pasbesoindesondeurinaire.

    Après avoir été confrontés à la dégradation de ton esprit,nousvoiciconfrontésaudysfonctionnementdetoncorps.Maisj’aimelavulnérabilitédetoncorps,commej’aimetoncœurquitremble2, l’unet l’autre,c’est toi.Nousprenonssoinetde tonespritetdetoncorps,dontjamaistonvisagenesedégrade.

    Dimanche7janvier2007.Cela n’a duré qu’un instant, mais un instant d’éternité.

    Soudain,tuasposétonregardsurlemien,unregardfurtifmaisparfaitement clair. Comme si la porte de ton âme s’étaitentr’ouverte. Comme ton premier regard qui me disait : « Jet’aime !»Cen’est pasparceque tunepeuxplusmedire ton

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  • 1.Janineetmoiavionsacheté,en1971, l’ancienpresbytèredeWeitbruch.

  • Parle-moi.Fais-moientendretavoix

    Bien qu’à partir de 2006 elle fût incapable de la formulerencore, sademande récurrente subsistait : «Parle-moi. »Maiscomment parler à quelqu’un qui ne sait plus répondre ? Enaurais-je été réduit à un monologue ? Non, car Janine merépondaitessentiellementparsonvisage.

    Et de quoi lui parler au juste ? Peu avant sa maladie, aucours de ce que nous avons appelé nosmatinées d’écriture1,Janineme dit qu’aux enfants, on parle la vie : « Ah, te voilàréveillé !Tu souris. »C’est ainsi qu’à Janine, devenue commeuneenfant,nousavonsparlélavie.

    Les malades d’Alzheimer, ayant perdu leur mémoireimmédiate,onpeutdurantlespremièresannéessebasersurleurmémoire ancienne pour leur rappeler de bons souvenirs, leurraconterleurhistoire.Iln’étaitpasrarequeJaninemeréponde:

    Tuasbienretenu.Tum’asfaitfaireunlongvoyage.Tuvois,jen’étaispasnulle.

    Maisquandlamémoireancienneàsontourestperdue,celane fonctionne plus. Janine ayant perdu ses souvenirs était enquelquesortecommeuntoutpetitenfantquin’apasencoredesouvenirs,dumoinsdesouvenirsconscients.Janinevivantsurlarive du présent, il fallait que nous lui parlions au présent.Toutefois, jusqu’en 2009, Janine répondait encore par un oudeuxmots.

  • 5décembre2007.Notrerituelducouchern’apaschangé.Levoici:

    –Bonnenuit,Janine.Jedorsprèsdetoi.Jenet’oubliepas.–Non,non.–Jepenseàtoi.–Ah!(avecunbeausourire).–Jetedonneunbaiserpourdormir.

    Tutendstaboucheverslamienne.

    10juillet2009.Rappelle-toi nos causeries du soir. Elles se terminaient

    souventpartaremarque:

    –C’estdommagequeças’arrête.Donne-moiunbaiser.

    Que sont devenues nos causeries du soir ? Serais-jemaintenant seul àparler ?Mais tonvisageécoute et attendunbaiser.Voicicequejeteraconte:

    Tuvaspouvoirdormir.Jeseraiavectoi.

    Tonvisages’éclaire.

    Tuesbelle,machérie,tuasdebeauxyeux.

    Cecomplimentnetelaisseapparemmentpasinsensible.

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  • Unecarteretrouvée

    À la mi-décembre 2009, en rangeant des documents, j’airetrouvé, comme remontée du fond du puits, une carte queJaninem’avaitenvoyée,le20mars1974,desTrois-ÉpisdanslesVosgesoùellefaisaitunecure.Lacartereproduituneaquarellede Hans Hartung (1954). Sur un fond gris-noir, un trait bleumarine comme une grande virgule, en dessous de laquelle, unpetit carré blanc ajourant la toile sombre.Voici ce que Janinem’aécrit:

    Mardi,le…jenesaisplusMonamour,monJean,Regarde cette carte, l’obscurité où demeure toutefois le

    tracé de la route que je veux faire avec toi, et la lumière quiattend,quidemeurecommeelleestentrenous.

    Jet’aime.Garde-moi.TaJanine.Puiselleaajoutéaubasdelacarte,d’uneécritureplusvive

    etplusgrande,probablementaprèsunappeldemapart,oùjeluiauraisparléduprintemps:

    Majoied’êtreàtoiestcommecelleduprintempsquivient.Jet’aimeencoreplus.Tafemme.Le20mars.

    Quand j’ai eu cette carte entre les mains, je l’aiimmédiatement relue en lien avec la maladie d’Alzheimer deJanine.

  • Mardile…jenesaisplus.Oui,lamaladied’Alzheimerfaitqu’onnesaitplus.

    «L’obscurité…»Comme si par avance elle avait parlé del’obscuritéd’Alzheimer,quiallaitlacouvrir.

    … où demeure toutefois le tracé de la route que je veuxfaireavectoi.Oui,étonnanttracédelaroutequ’Alzheimernousa fait faire, et qui n’aura pas été sans issue. Comme l’a écritAlainNoël, l’éditeur,enquatrièmedecouverturedeLaPlumedu silence, « ce livre n’est pas un témoignage de plus surAlzheimer,maislerécitpoignantd’unetraversée,àdeux,delamaladie,quis’esttranscendéeenuncheminversDieu».

    Voicidoncletracéinattendudelaroutequej’aiparcourueavecJanine,malgrél’obscuritéd’Alzheimer.Carjustement,ilyavait:

    …lalumièrequiattend,quidemeure,commeelleestentrenous.

    Pendant toute la durée de sa maladie, une mystérieuselumière attendait au fond de Janine de pouvoir affleurer sonvisage. Ces épiphanies de lumière demeuraient jusqu’à la fin,même si alors elles commençaient à s’espacer. Cette lumièredemeuraitentrenouscommelalumièredel’amour.

    Jet’aime.Oui,jusqu’àlafin,sonvisagemeledisait.

    Garde-moi…Mot si souvententendudurant lamaladiedeJanine, et déjà formulé vingt ans avant.Garde-moi, résumé del’accompagnement.Ne pas abandonner et prendre soin commedequelquechosedeprécieux.Quoideplusprécieuxquenotre

  • amour?

    «Majoied’êtreàtoi…»Commelajoiedelabien-aiméeduCantique des cantiques, joie d’un printemps plein depromesses:

    Viens,monbien-aiméAllonsauxchamps.…Nousverronssilavignebourgeonne,SisespampresfleurissentSilesgrenadierssontenfleur1.

    La joie de Janine n’aura d’égale que sa douleur de croirem’avoirperdu.

    8mai1996:

    JevoudraisrejoindreJean,Maisjenesaispassij’yarrive.Jean!Jean!Oùilest?Iln’yapersonne!Iln’estpasperdu?J’aimal,mal,mal.Jevoudraisl’avoiricidanslamaison.Demandez-lui.Dites-moicequisepasse,puisquec’estTerriblequandonnesaitpas.Jemourraiss’illuiarrivaitquelquechose2.

    «Jet’aimeencoreplus.Tafemme…»

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  • Unvisagerayonnant

    Une photographie de Janine, prise en août 2009, m’a faitdire:

    Tonsourireéclairemespagesd’écritures.J’écrisàlalumièredetonvisage.

    J’aienvoyécettephotographieàdesami(e)s.Voiciquelquesréponses:

    La photo de Janine que vous avez m’envoyée me sembleexprimer surtout l’étonnement, et elle me fait penser à cesquelquesversdeBaudelaire,quejecitedemémoire:

    «EllealesyeuxdivinsdelapetitefilleQui s’étonne et qui rit à tout ce qui reluit » (Marie M.,

    mamandeA.).

    Quantàmonamieallemande,MechthildF.,dontj’aifaitlaconnaissance grâce à l’édition allemande demon livre :FederderStille,ellem’aécrit:

    Mercipourcettenouvelle imagerayonnante (Strahlenbild)de Janine. Je l’ai posée sur le piano de telle sorte que sonsourire soit aussi pour nous. De ce visage émanent paix etbénédiction. Cela me rappelle comment nos deux fils, encorebébés,rayonnaientlorsqu’ilsvoyaientmonvisageau-dessusdeleurberceauoudeleurlandau.Ouencore,ayantbutout leursaoulàmapoitrine,ilslevaientlesyeuxversmoi,rassasiésetbienheureux(sattundselig).Oui,ilyabeaucoupdeceladans

  • levisagedeJaninesurcettephoto.

    En contrepoint du visage rayonnant de Janine, une autrecorrespondante allemande m’a écrit qu’elle rendaitrégulièrementvisiteàuneamieadmiseeninstitutionetquiest,depuisdesannées,commeunemortevivante.

    Nereconnaissantpluspersonne,elleestassiselà,sansmotdireetleregardvide(wortlosundblicklos).C’étaitunefemmeactiveayantexercédehautesresponsabilités.L’évolutiondesamaladieétaitlente,quandmourutsonuniqueproche,sonmari.Elle a alors, pour ainsi dire, perdu son visage, nereconnaissantpluspersonne.

    Oui, jepensequevotre façonaimantedevousoccuperdevotrefemmeinfluencepositivementsamaladie.

    Certes, en 2009, au bout de quinze années de maladie,Janinepouvaitaussiavoirl’airabsent.Maispresquechaquefoisquejemepenchaissurelle,danssonfauteuilousonlit,pourluiparler–etjen’étaispasleseulàlefaire–sonvisagerayonnait.

    DuvisagerayonnantdeJanineémanentpaixetbénédictiondit Mechthild. Ce qui renvoie à la magnifique formule debénédictiondanslaBible:

    QueDieutebénisseettegarde!Que Dieu fasse pour toi rayonner son visage et te fasse

    grâce!QueDieutedécouvresafaceett’apportelapaix1.

    CommentnepasvoirlevisagedeDieurayonnerdanscelui

  • deJanine?

    1.LivredesNombres6,24-26.

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  • Parl’écriturejelapétrisEnunpainentier.

    Desbijouxdevisages,commeceluideJanine,quis’inscritdonc dans une sorte de communion de visages.Desbijoux devisages, commeceluidupèredeChristianBobin,dont ildit :«Iladanslesyeuxunelumièrequinedoitrienàlamaladieetqu’ilfaudraitunangepourdéchiffrer3.»

    Le poète n’ignore pas la réalité, qu’il décrit crûment, sansidéaliser:

    Monpèreaséjournéunandansunedecesmaisonsdignesde figurer au patrimoine de l’inhumanité… J’ai vu les âmesdéfigurées, l’affreuse plaie de la résignation. J’ai entendu lesilence surtout, un tocsin de silence. Ce que j’ai vu étaitsublime, banal et terrible. Les visages clos, les paroles,absentes (…). Et pourtant : chacun de ces vieillards estimmenseetnelesaitpas,etsemoqueraitsionleluidisait.Ilfaudraitquequelqu’unailleleschercherunparun,etlessortedeleurtorpeurqu’ilsprennentpourunefatalité,unordrevenud’enhaut4.

    Ilestbienvraiquelamaladied’Alzheimeraquelquechosede fatal en raison de l’inexorable processus de pertes qu’ellecausechez lapersonnequienest atteinte.«Toutefois, commemel’aécritAnneMounic,nousexerçonsfaceàlafataliténotreparole réparatrice, en sachant bien… » Exercer cette paroleréparatrice, peut-être est-ce cela idéaliser ? Mais commentaccompagner une personne atteinte de lamaladie d’Alzheimersans justement idéaliser,ensachantbien… ?TelauraétémonaccompagnementdeJanine,pendantdix-huitans,jusqu’àlafin.

  • MadameF., quim’a interpellé à l’issue dema conférence,était accompagnée de Marinette J., amie commune. Voici cequ’ellem’aécritpeudetempsaprèslamortdeMonsieurF.:

    Madame F. a été malheureuse, jusqu’au bout, de n’avoirpaspugardersonmariàlamaisonpourlesoigner,pourqu’ilrestedanssondomaine,leslivresquiontremplisavie.C’étaitimpossible:ilnedormaitpaslanuit;incontinent,ilnegardaitpassesprotections ; ilpouvaitsemontrerviolentquand ilnecomprenait pas ce qu’elle lui demandait. C’est vraiment lamort dans l’âme, après avoir fait venir le SAMU à deuxrepriseslanuit,surlesconseilsdesonmédecin,delafamilleetd’amis, qu’elle s’est résolue à le confier à l’hôpital (àHaguenau).

    À l’hôpital,elle s’est rendue tous les jours,malgrésavuedéficiente et ses difficultés à se déplacer, pour donner à sonmari le repas de midi, qu’elle complétait par des douceursconfectionnées à la maison et qu’elle savait qu’il aimait :pudding,compote,tartesougâteauxfacilesàavaler.

    Biensouvent,elleestrevenuetristedel’hôpitalquandsonmariavaitl’airdeluireprocherdel’avoirplacéenlongséjour–c’estdumoinscequ’ellepensait.Maisparfoisaussielleétaittoutheureusequ’ilaitsouriàl’infirmièrequis’occupaitdelui,ouàsespetits-enfantsvenusluirendrevisite.

    Portant avec un grand courage sa douleur, elle a à samanière«idéalisé»,enaccompagnantsonmarijusqu’aubout,enluiparlant,enayantpourluidesgestestendres,mêmedanscetteanonymechambred’hôpital,enseréjouissantquandsonvisage s’allumait d’un sourire, même s’il ne lui était pasdestiné.

    Jusqu’auboutdonc,lemaridemadameF.estrestépourelle

  • lapersonneaimée,l’êtreaimé.

    Et si idéaliser revenait tout simplement à voir le maladecommeunepersonne?

    1.C.BOBIN,L’Homme-joie,L’iconoclaste,Paris,2012,p.137.2.J.WITT,op.cit.,p.37.3.LaPrésencepure,éditionsLetempsqu’ilfait,Cognac,1999,p.66.4.L’Homme-joie,p.135etp.136.

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  • Jusqu’àlafin,quelquechoseapasséentreJanineetmoiquiétaitdel’ordredel’émotionetdel’âme.Malgréladéfaillanceetl’altérationdesonesprit,sonâmen’acesséderésonner.Cetterésonance, je l’aivue, souvent, affleurer sonvisage. Jusqu’à lafin,jel’airegardéecommeunepersonne,inconditionnellement,malgré la misère de la chair. Je n’ai cessé de voir sa beauté,même en l’absence de sourire. Je n’ai cessé de lui écrire,l’appelantma Janine, mon amour, mon étrangère bien-aimée,machérie…Bref,unJes’adressantàunTu.

    Comment aurais-je pu alors, comme dans le film DieAuslöschung,donneràmamésangeunebecquéeempoisonnée?

    1.MärkischeallgemeineZeitung,le8mai2013.2.Résuméd’unarticledeMK.JOHNSON,JK.KIMetG.RISSEdansJournalofExperimentalPsychology:Learning,MemoryandCognition,1985;11:22-36.3.F.CHENG,Cinqméditationssurlamort /autrementditsurlavie,AlbinMichel,2013,p.72.

  • Dansl’ordinairedesjours

    Dimanche20mars2011.Je me remets d’une bronchite qui s’est déclarée jeudi

    dernier.Marc(lemédecin)m’aprescritunantibiotiqueàprendrependant huit jours. Audrey, l’infirmière, m’a donné troismasquesàutiliserauxmomentsoùjem’approcheraisdetoi,enparticulierpourlesrepas,l’aideauxtoilettesetlesoirquandjefais pour toi les derniers gestes de soins et de tendresse, àl’exception, momentanément, des baisers… Je ne t’aiheureusementpascontaminée.

    Nousavonsencemomentunbeautempsdeprintemps,maisavecunventdemars,dunord-est,dontjenem’étaispasassezméfié, ilyaunedizainede jours,en travaillantdans le jardin.Comme chaque année, les primevères multicolores tapissentl’herbedenotrejardin.Etvoicilesjonquilles,etlesviolettesentrès grand nombre. Dans le village fleurissent des forsythias.Rappelle-toi, c’était au début de ta maladie, nous nouspromenions beaucoup. Au mois de mars, justement, tu t’esarrêtéedevantundeces forsythias, ilétaitgrand,et tuasdit :« Ilestbeausansnous !…»Maispeut-ilyavoirde labeautésansquelqu’unquiregarde?

    Mercredi20avril2011.Ilyaunmoisquejenet’aipasécrit.Pourtantjen’aicessé

    de te parler et deparler de toi, tout particulièrement dansmeslettresànosamisdelaonzièmeheure.Cesonttouscesami(e)s,unebonnedouzaine,dontj’aifaitlaconnaissanceaprèslasortiede La Plume du silence et qui nous sont devenu(e)s aussiproches(aussichers)quenosami(e)sdelapremièreheure.Jete

  • discela,évidemment,enlienaveclaparaboledesouvriersdelaonzièmeheure,danslaquelleceuxquin’onttravailléqu’àpartirde la onzième et dernière heure ont été payés autant (aussichers)queceuxquionttravaillédèslapremièreheure1.

    Nous avons un temps magnifique. Soleil et 25 degrésl’après-midi. Les pommiers ont défleuri. Fleurit encore lecognassier. J’ai commencé à tondre il y a quinze jours. Lebouquet de lilas dans le couloir exhale son parfum. Je mesouviens, Janine, tu aimais le jardin.Tu t’en occupais si bien.Maintenant tu t’occupes,à ton insu,du jardindemonâme. Jet’ai appelée la puisatière de mon âme. Tu en es aussi lajardinière.

    Jeudi12mai2011.J’ai cueilli les premières fraises du jardin. Je les ai lavées,

    équeutées, coupées et mises au congélateur. Fromage blanc –quejefaismoi-mêmeavecdulaitdelaferme–sucreetfraises,le tout mixé, cela fait un délicieux dessert. Ça glisse sur lalangue.Pourtoi,desbecquéesfacilesàavaler.

    J’entends gazouiller les petites mésanges. Bientôt, elless’envoleront.

    Lundietmardi,nousavonsdenouveauputesortirdanslejardinpourlapremièrefoisdepuislemoisdeseptembredernier.Pas tout l’après-midi, mais environ deux heures, y compris ledéjeuner, car le fauteuil-coquille est quand même moinsconfortable que ton lit médicalisé avec son matelas à airdynamique.

    Après la cinquième antibiothérapie (d’une durée de sixsemaines, celle-là) depuis le mois de septembre dernier, nousavonsd’uncommunaccordentremoi-même, les infirmièreset,biensûr,lemédecin,arrêtélesantibiotiques,sansmêmefaireunnouvelexamencytobactériologiquedesurines(ECBU).Tun’as

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  • délivrance,paixprofonde.J’aisanscesseespérélemiracle…quiestvenusidifférent,

    siinattendu,simiraculeux.Jevaisessayerdevivreenfin.Déjàmon dos, mes bras, mes muscles sont libérés d’une tensioninsupportable.

    Le7janvier1969.MonsicherR.,Ilestpresquedix-neufheures.Jesuisdans

    lasalleàmangerde l’hôtelenForêt-Noire,où j’aidécidédevenirmerefairependantquelquesjours.(…).

    Jevisau jour le jourplusque jamais.Maisceque jesaissûrement,c’estquejeferaicepourquoijemesensfaiteetnonpascequelesautresattendentdemoi.Voilàmalibération.Jeseraicequejedoisêtre.Jemesurecequej’écris,carjesaiscequ’ilencoûte.

    Jemerendscomptedel’incroyabledecequim’arrive,R.,si vite. Vousm’avez connuemariée, tenant à bout de bras, sifatiguéesouvent,cefoyerquejevoulaisàtoutprixfairevivre.Etvoilàqu’ensixmoistoutéclate…Lesvieuxrêvesontlaviedure(…).

    R., je ne regrette rien. Tout se transforme, prend un sens,inattendu quelquefois. Je suis heureuse d’avoir 45 ans et desavoirleprixdeschoses.

    Jesaiscequejepossède.Je sais tellement ce que Jean me donnerait dans une vie

    d’époux.Lesavoirestdéjàtellement…

    Samedi20août2011.Machérie,Ces lettres écrites en 1968 et 1969 dormaient dans cette

    boîte comme au fond d’un puits, d’où je les ai tirées de leursommeil. Je lis ce que tu as écrit, en pensant au quatrième

  • mouvementduQuatuoràcordesenfamajeurdeBeethoven,quenous avons si souvent écouté, et qu’il intitule : Der schwerentfassteEntschluss(Ladifficileprisededécision).Iladonnélesindicationssuivantes:Grave:Mussessein? (Faut-ilquecesoit?),Allegro:Esmusssein(Celadoitêtre).Lepassagedugrave à l’allegro est comme chez toi celui de l’angoisse à ladélivrance. Comme il est léger cet allegro, quand l’âme, ladécision enfin prise, est délivrée d’un poids insupportable !Sache,machérie,quepourmoi,quitterl’ordredesdominicainsrelevaitaussid’unschwerentfassterEntschluss.Cependant,ceque j’ai reçu de l’ordre des dominicains m’a paradoxalementpermisdevivretamaladiecommeunevocation,selon lesmotsdeMarieM.Elleaditexactement:«Jesuisimpressionnéeparla façon dont vous vivez la maladie de Janine comme unevocation.»

    Tu n’aurais pas pu me faire un plus beau cadeau pour lequarantièmeanniversairedenotremariagequelaréouverturedeces lettres. « Je sais tellement ce que je possède. Je saistellement ce que Jeanme donnerait dans une vie d’époux. Lesavoirestdéjàtellement.»

    Moiaussi,«jesaiscequejepossède».Tun’asjamaisétéautantàmoiquedepuisquejet’aiperdue.T’ai-jedonnécequetuattendaisdemoidansunevied’époux?Toi, tum’asdonné«toi»:Jetedonne«moi»,m’as-tudit le jouroùje t’ai faitremarquerquetun’avaisriendanslesmainsquetumetendais4.Aujourd’hui, absolument pauvre, tu continues àme donner cequetuasdeplusprécieux:toi.Tuesmontrésorcachédanslechampdelamaladied’Alzheimer.

    1.Ibid.,p.24.2.FilsdeJanine,quiestpartienIsraël,oùils’estmarié.

  • 3.LeMoulindechampagne.4.Ibid.,p.129.

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  • Danslerayonnementdetonsilence

    Lundi13février2012.Lavaguedefroidquiadurédeuxsemainesvaprendrefin.

    Pourdemain,lamétéonousannoncedelaneige.

    Tonsilenceestcommelesilencedelaneige.Tonsilenceestcommeceluidupuits.Tumeparlescommelaneige.Tumeparlescommel’eauaufonddupuits.

    Jesuisàl’écoutedetonvisage.NousnousrencontronsDanslesilenceDenospuits.

    JevisDanslerayonnementDetonsilence.

  • DeuxjoursàParis

    Lundi12mars2012.Émotion.

    AnneMounicm’a envoyé ce courriel au lendemain demaprisedeparole,aucoursde«l’après-midipoétique»,devantlesmembresdel’Associationdesamisdel’œuvredeClaudeVigée:«Jevousremercievivementdevotrebelleintervention,quienaému plus d’un dans l’assistance. »Mon émotion était grandeaussi et j’ai dû reprendre mon souffle pour prononcer lesdernières phrases : «Aujourd’hui, le sourire de Janine,mêmeseulement esquissé, est l’épiphanie de son être. Il a encore laclarté d’une étoile qui nous guide vers elle. Et même si sonsourire s’éteint, Janine s’appelle Janine, jusque dans sonsilence.»Commej’aimeraistelirecequej’aidit.

    ExpositiondeMatisse.

    Commel’annéedernière, j’aiétéhébergéparMarie-Hélèneet Jacques, chez qui je suis arrivé le 9mars, la veille demonintervention. J’en ai profité pour aller visiter, avec Jacques,l’expositionMatisse,PairesetsériesauCentrePompidou.J’airegardélebeautableauIntérieurauviolon,avecsespersiennesentrouverteslaissantfiltrerlalumière,enrésonanceà:Situmevoyaisdel’intérieur.Danscetintérieurclair-obscur,maisoùlalumière l’emporte, un violon : symbole de ton âme musicaleémotionnelle, qu’Alzheimer n’aura pas su détruire. Ce tableauest associé auViolonisteà la fenêtre. Il n’y a demusiquequedansunintérieurouvert.

  • JemesuisattardéaussidevantletableauLeRêve,medisantquetuétaiscettefemmeendormie.As-tuencoredesrêves?Jenelesauraijamais.

    J’airegardécetteexpositionavectesyeux.

    J’étaisderetouràlamaisonlesamedi10mars,à23heures.Philippeestvenumechercheràlagare.Ilabienveillésurtoi.Madame Marinette est venue te donner à manger vendredi etsamedi soirs, en plus du repas de midi qu’elle te donnerégulièrement lesvendredis.Ellem’adit :« J’ai fait celapourmadame Janine. » J’ai étéheureuxde te retrouver et reprendreavectoinotrechapeletdesjours.

    Unelettred’A.m’attendait:

    AufuretàmesurequevousréécrivezcettegestedeJanineen trainde seperdre, cette cartede ladéfaite, cette cartedutendreàl’envers…aulieud’allerverslecreusetnuptial,l’êtresedétachedelaconnaissanceduvisageetdunomdel’aimé.Etpourtant,vousdemeurezl’aimé:enn’endoutantpas,voussauvez l’honneur de Janine. Oui, elle est, elle demeure « lafemmedeJean».

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  • Uneaubebrodéed’amour

    Juliem’aditaussiqu’ilfallaitpenserauxhabitsàtemettre,lemomentvenu.Ehbien,jet’habilleraid’uneaubequejeferaiconfectionner par les sœurs carmélites de Marienthal1. J’aidemandéàlasœurcouturièredebrodersurtonaube,enrouge,ton

    Jet’aime,tusaistout,

    parole inaugurale de notre chemin ensemble. Cette aube,brodée d’amour, sera le viatique pour ton passage sur l’autrerive.

    Mais pourquoi t’habiller d’une aube blanche ?On habillegénéralementlesmorts,parrespectpoureux,duplusbeauetduplussignificatifdeleurshabits.Mais,justement,jenevoispasdeplusbelhabitpourtoiquecetteaube,enrésonanceavectes« paroles belles » sur le vêtement, ou plutôt le dévêtement, ledéshabillement,motparlequeltuasdéfinitamaladie:

    Quim’adépouilléedecequej’avais?Quim’adépouilléedemesidées?Êtredépouillé,c’estcommeôtersesvêtements2.

    Etpuiscecri:

    Quiest-cequivam’aider?Quandest-cequ’ilyenauraunQuivasedéshabiller

  • Pourm’habiller,moi?

    Jetereliscequej’aiécritleSamedisaint,19avril2003:

    MaJanine,Camille,notreamipeintre,m’aécritunebellelettrequ’ilconclutainsi:«Retrouversanudité,soninnocence,son ignorance,Dieunousattend là.Ne lâchepas lamaindeJanine.Mêmelorsqu’elleneserapluslà,elleterelieraencoreàlasagesseetàl’amour.»

    Tamaladiet’adépouilléedetoutettum’apparaisdanstanudité,revêtuedeDieu.Jepenseàcequetum’asditaudébutdetamaladie,enjuin1995:

    Jevoudraisêtrenue,Pasdanslesensmalhonnête,Maisdanslesensdelabeauté,Delapureté.

    Tu es d’une innocente beauté.Ne faut-il pas être nu pourêtre revêtu de Dieu ? Et l’habit de Dieu est pureté, beauté,transparence.Nuditéetplénitude.Nueplénitude.

    Plusdedeuxmilleadultes vont êtrebaptisés cettenuit enFrance.Enfant,tuasétébaptisée.Jetevoisrevêtuedetarobedebaptême,baptêmequinousplongedanslamortduChristetnousfaitressusciteraveclui.Danstanuit,jetevoisrevêtuedela « Lumière du Christ », comme le chante la liturgie de lavigilepascale3.

    Commeceslignesprennentunsensnouveau,quandjepenseà l’habit dont nous te revêtirons sur ton lit demort.Ton aube

  • blanche, rappelant ton aube de baptême, sera un habit delumière.

    Maisenattendant,tuesvivante,etjecontinueraiàt’habillerde la lumière à laquelle tu m’as conduit4. Je continuerai àt’habillerdemonregardaimant.

    « Ne lâche pas la main de Janine », dit Camille. Maisjustement,ilmefaudralâchertamain.Telaisserpartir.Telaisserprendretonenvol,revêtuedetonaubebrodéed’amour.

    1.ÀquatrekilomètresdeWeitbruch,oùnoushabitons.2.J.WITT,op.cit.,p.152.3.Ibid.,p.230.4.Ibid.,p.144.

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  • l’effaceraipasdulivredevie3.À partir du don de l’aube blanche, je crois que vous

    réalisez pour Janine cette autre promesse, faite à l’Églised’Éphèse et qui concerne le manger. Ce manger, ces flansenrichisdecescoulisdefruitsrougesquevousdonnezencore,s’ilsepeut,àvotremésange.Vousannoncezceci:

    Auvainqueurjeferaimangerdel’arbredevieplacédansleparadisdeDieu4.

    Vouslalaissezallerverscetteintimiténouvellequil’attendetlareçoitpoursouper:Voiciquejemetiensàlaporteetqueje frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte,j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près demoi5.

    Bouleversante lettreque je lis,que je te liset relis,à toiàquijedonneencorelabecquée.Maisjemeprépare,accompagnédenos amis et prochesqui nous entourent, à passer lamain àCeluiquitedonneradesbecquéesd’éternité.

    1.ÉvangileselonsaintLuc2,28-29.2.ÉpîtreauxColossiens3,9-10.3.Livredel’Apocalypse3,5.4.Ibid.,2,7.5.Ibid.,3,20.

  • LebaptêmedeJuliane

    Vendredi6juillet2012.Dimanche dernier, j’ai assisté au baptême du troisième

    enfantdenosvoisinsd’enfacedenotremaison.Lapetitefillede 16 mois était vêtue de blanc, blanc comme l’aube dont,l’heurevenue,tuserasrevêtue.

    Le célébrant a demandé aux parents le nom qu’ils avaientdonné à l’enfant : Juliane.Après qu’il eut versé l’eau sur sonfront, la baptisant « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit»,ilainvitélesparents,ainsiquelesparrainetmarraineàsignerleregistredesbaptêmes.

    Comme Juliane, tu as été inscrite au registre des baptêmesen l’église saint Nicolas-d’Auvillers-les-Forges, dans lesArdennes,le28septembre1924.Tonnomn’apasétéeffacédeceregistre,ilneleserapasnonplusdulivredeVie.Alzheimernesauratedébaptiser,nieffacerentoil’imagedeDieuaunomdeQuituasétébaptisée.

  • Levisageécoute

    Dimanche8juillet2012.Beau temps ensoleillé en ce début de juillet. Une belle

    lumièrevenantlatéralementdanstachambreinondaittonvisage,yprojetantquelquesombres.Mais il était plutôt inondéd’unelumière venant du dedans quand j’ai commencé à te parler.Quelquechosepassaitentretoietmoi.Jetephotographiealorsque tu as encore, comme lemoisdernier, lespaupières closes.Mais levisage toutentierestouvert, un rien rieur, transfiguré,rayonnant.Tescheveuxargentésunpeuendésordreentourentlehaut de la tête, que soutient un coussin bleu clair, presque dumême bleu que le haut de ton pyjama, avec quelques motifsfloraux.

    Jevoistonvisagedelumièreposésuruncielbleu.Visagesiintérieuretpresquetriomphantàlafois.Unvisagedecielqui,commeceluidumoisdernier,nedoitrienàtamaladie.

    Vient alors Philippe qui se penche vers toi et te parlegaiement.N’est-ilpascomédiendemétier?Avectesyeux,ettabouche, ouverts, on a l’impression que tu bois ses paroles.Qu’est-cequ’ilt’adit?Jenesaisplus.Maisl’important,encoreunefois,cen’estpasleditmaisledire.Tonvisage,faceàceluidePhilippe,estpureécoute.C’estàcemoment-làque jevousphotographie. Magnifique image qui dit mieux que n’importequeldiscourscequ’estl’identitérelationnelle!

    Cette identité-là,après tantd’annéesdemaladie, tune l’aspasperdue,endépitdelapertedetonidentiténarrative.

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  • êtremanuit?Etlatienne?

    Lundi3septembre2012.Tu vas mieux aujourd’hui. La fièvre a baissé. La nuit

    dernière, tu as finalement bien dormi, et par conséquent moiaussi.Tuasrecommencéàmanger.Unyaourtlematinetunpeude jus d’orange ; et dans l’après-midi, une coupe de fromageblanc avec un peu de compote de pommes. Le tout enrichi dequatremesuresdepoudreprotéinée.

    Cet après-midi, j’ai cueilli des pommes, des ramboursd’hiverauxcouleursviolettes,vertesetjaunes.L’arbreplantéily a une quinzaine d’années n’est pas très haut. Beaucoup depommes,surdesbranchesquiploient,sontàportéedemain.Jen’ai presque pas besoin de l’échelle. Juste quatre ou cinqbarreauxàmonterpourattraper lespommes lesplushautes.Àquatre-vingt-deuxans il fautêtre raisonnable.Je lesuisdepuisquelquesannéesdéjà.Quedeviendrais-tusijetombais?…

    Madame Marinette m’a aidé à descendre et à ranger lespommes à la cave. Avant, c’est avec toi que je descendais etrangeaislespommes,ettutenaisàcequecesoitbienfait.C’estbeau, des rangées de pommes dans un fruitier. Et quel subtilparfumchaquefoisquejedescendsdansnotrecavevoûtée!

  • Bientôtmangers’éteindra

    Mardi4septembre2012.Je repense à ce que A. m’a écrit : « Bientôt manger

    s’éteindra. Manger rattache au temps. Ne plus mangercommence l’ultime détachement. » Aujourd’hui, tu as justemangé le yaourt dumatin. Le soir, j’ai essayé de te donner lamême chose qu’hier. Une petite portion demésange. En vain.J’airenoncé.

    Tes couches étant restées sèches depuis trente-six heures,j’aicraintque tunefassesdenouveauunglobeurinaire.Maiscematin,toutestrentrédansl’ordre.Lorsdelatoilette,Audreymemontretacoucheetmedit:

    MonsieurWitt,votrefemmeafaitpipi!

    Jeluiréponds:

    Pipipi,hourrah!

    Etdeluirappeleruneanecdoteremontantau25juillet1998.Noussommesaumilieudel’après-midi:

    Toi: Jevaisallerfairepipipi.Moi: Tuvasfairepipipi?

    Toi: Oui, pipipi hourrah1 !

    Cesoir,turespirespaisiblement.Tonvisageestdétendu.Ila

  • quandmêmeminci.Tapeauestdouce.Commechaquesoir,jetechante:

    Bonnenuitmachérie…

    Jeudi13septembre2012.Depuis trois jours, sans doute grâce aux antibiotiques, la

    fièvre a disparu.Mais tu nemanges toujours pas plus qu’unemésange.Bien sûr, comme l’a ditA., je t’ai donné ce laissez-pascal,celaissez-s’envoler,celaissez-d’ascension.Monespritditouià tonenvolée,maisc’estàmoncorpsdéfendant.Jedisoui,nonpasàcontrecœur,maisàcontrecorps.

    Jesais,toncorpsparle.Ilfautl’écouteretnepasessayerdete nourrir artificiellement. Ce serait faire violence à ton désir.Maismoncorpsparleaussidansuncorpsàcorpsaveclavieetlamort.Chaquebecquéequetuprends,oupas,c’estcommesijetouchaisdudoigtlavieoulamort.

    Mevoicidanslecombatquej’aiénoncéainsi:

    Quandonsebat,onpeutespérerlavictoire.Quand on accompagne, il faut à l’avance accepter la

    défaite.MaislavictoireremportéemalgrétoutEstd’unautreordre.

    Je respecterai donc ton désir et ne m’acharnerai pas à tenourrircontretongré.Lavictoiremalgrétoutn’est-cepasmonacquiescement à ton envol ?Mais je continuerai à te proposermesbecquées-baisers.C’estàtoi,àtraverstoncorpsparlant,demedired’arrêter.

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  • –Dis-lenous…–AimerJean.–C’estmerveilleux!

    Magnifique déclaration d’amour. Je te donne un baiser.Tuesravie.

    Lesoirdecemêmejour,jet’écris:

    Donc ce que tu feras « plus tard », c’est « aimer Jean».Mais « plus tard », c’est aujourd’hui. Il faut donc que jeconsidère tonexistence,sidépouilléesoit-elle,commeunacted’amour2.

    Eh bien aujourd’hui, dans ton état de totale dépendance,plusdépouilléequejamaisaprèsdix-huitannéesdemaladie,jedisqu’ilestvraique tum’aimes,mêmesic’està ton insu.Nem’as-tupasditunefois:

    Jenesaispascequejedonne.

    Je fais tout,c’estvrai.Et toi,ne ferais-tu rien?Tune faisrien qu’aimer. Ton existence même est un acte d’amour. Lapreuve,s’ilfautdonnerunepreuveàl’amour,c’estquetum’astransforméetmetransformesencore.

    1.J.WITT,op.cit.,p.126.2.Ibid.,p.120.

  • Pressentiment

    Dimanche25novembre2012.Mamésangebien-aimée,serais-tusurlepointdet’envoler?

    Voicilequatrièmejourquetun’asrienmangédutout.J’aiessayé, essayéunedernière fois, rienqu’avecunebecquéequitenaitdansunecuilleràcafé,pourêtresûrd’avoirbiencompris.C’était bien ça. Je n’ai plus insisté. Tu restais juste encoresuspendueàlaperfusionpourl’hydratation.

    Vendredi,j’étaisàlamessedanslapetitechapelleattenanteà l’église. Les paroles de la consécration, que je connaispourtant,m’ontparticulièrementfrappé:

    Au moment d’être livré et d’entrer librement dans sapassion, il prit du pain, le bénit, le rompit et le donna à sesdisciplesendisant:«Prenezetmangez-entous.Ceciestmoncorpslivrépourvous.»

    J’aicomprisqu’ilmefallait,avectoi,«entrerlibrementdansla passion » duChrist. Je dis « avec toi », bien que, de nousdeux,jesoisleseulàenavoirconscience.C’estmoiquivistamort, mort que tu as vécue à travers le dépouillement de tamaladie.

    « Prends et mange, ceci est mon corps livré pour toi »…Mais tu ne peux plus rien manger, ton corps le refusant. JesongeencoreàcesparolesdeGabrielRinglet :«Toutau longdesapassion,unefemmefuttransfiguréedevantmoi.Jen’avais

  • pas imaginéqu’un jour jedéposerais surmapatèneunehostieaussibrûlante1.»

    Je pressens que l’heure est toute proche où je passerai lamainàCeluiquitedonneralepaindevie.

    Lesoirdecevendredi23novembre,pendantquejeprenaismondîneràcôtédetoi, j’entendssurFrance-Musiquel’extraitInParadisumde laMessedeRequiemdeFauré.Nous l’avonsprogrammécommepausemusicaleà l’église, lorsde la lecturedeL’UltimeAccompagnement.

    La passion et le paradis…Oui, Jésus a dit au bon larroncrucifiéàcôtédelui:

    Envérité,jeteledis,dèsaujourd’huituserasavecmoiauparadis2.

    Cemême vendredi, j’ai commencé à nourrir lesmésanges.Elles me consolent de l’impossibilité à te donner la becquée.Commeestrapideetsûrleurvol!Ellesm’annoncenttonenvolauparadis.Quandtuseraspartie,lesmésangesmeparlerontdetoi…

    1.G.RINGLET,Ceci est ton corps / Journal d’un dénuement,AlbinMichel,2008,p.22.2.ÉvangileselonsaintLuc22,43.

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  • Vousnesavezpasoùilest?C’estunhommemerveilleux!Jeferaitoutelavillepourleretrouver3.

    Enrésonanceaveclesparolesdelabien-aiméeduCantiquedescantiques:

    Jemelèveraidoncetparcourrailaville.DanslesruesetsurlesplacesJechercheraiceluiquemoncœuraime.…Jel’aicherché,maisnel’aipointtrouvé4.

    «Où est Jean ? » a demandé Janine. Et aujourd’hui, c’estmoi qui demande : « Où est Janine ? » Oui, où est-ellemaintenant?Dansquellesruesduvillage,surquellesplaceslachercherais-jemaintenant?

    Parolesd’uneexiléed’elle-même:

    JenepeuxpasaimerquelquechosePuisquejenesuispasdansmonpays.

    J’enaifaitlecommentairesuivant:Dépayséementalement,Janinem’adépayséspirituellement.

    Par samaladie, ellemequitte.Mais ellem’invite àmequittermoi-même,faisantdemoiunAlzheimerspirituel.

    Elle m’a fait entendre la parole que Dieu a adressée àAbraham:Quittetonpays,taparenté,etlamaisondetonpère,pourlepaysquejet’indiquerai(Genèse12,1).

    La lecture deL’UltimeAccompagnement s’est achevée parcepoème:

  • RattrapéeparlesbrasdeDieuN’est-cepaslàMamésangeenvoléeQuedésormaisnousdevonstechercher?

    N’est-cepaslàMamésangesilongtempsnourrieQuedésormaisdans«lamaisonduPère»Tum’invitesàdéjeuner?

    N’est-cepaslàGuetteusebien-aiméeQuedésormaistum’attends?Commetum’attendaisAusalondecoiffureduvillageOùjetelaissais,letempsqu’ilfallait.

    Lepremieraoût1997DerrièrelaportevitréeTuavaisguetté…Etàmonarrivée:«Ah,tevoilà!Jet’attendaisavecjoie.Jetedonneunbaiserd’attente5.»

    Tonvisageétaitradieux.

    Unnouveaubaiserm’attend…LebaiserdemonangeetJel’espèreLebaiserdeDieu.

  • Le frère Jacques-FrançoisVergonjeanne, dominicain, aprèsavoir lu l’évangile où Jésus parle de la maison de Dieu6, aprononcé l’homélie suivante, introduite par le proverbeportugais:

    Dieuécritdroitavecdeslignescourbes…

    Nous étions vingt-trois. Vingt-trois jeunes hommes à fairenotre noviciat dominicain en 1951-1952 au couvent Saint-Jacques à Paris. Douze sont restés dans l’ordre dominicain.Les onze autres ont bifurqué sur des chemins différents. JeanWitt,frèreJean-Lucàcemoment-là,faitpartiedecesonze.Laplupart de ces onze-là, sont restésmarqués par l’esprit de lafraternité dominicaine. Ils sont restés dominicains pour unepartd’eux-mêmes.Jepeuxentémoigner.

    J’ai renouédes liensavecJeanWitt lorsque je suisarrivéau couvent de Strasbourg en 1989. J’ai redécouvert Jean sursonnouveauparcours.Danslesheuresdéboussolantesdemai68, il avait fait la rencontre de Janine au « Moulin deChampagne », près de Saverne, la maison de vacancesfamilialesqu’elleanimait,etl’itinérairedeJeanabifurquéunepremièrefois.

    Etpuis,lechemindeJanineetdeJean,devenucommun,acroisélapisted’unêtreénigmatique:lamaladied’Alzheimer.Beaucoup redoutent de faire une telle rencontre. Rencontreinopportunequiabrouillé l’identitéde Janine.L’étonnant, lemiraculeux, c’est que cettemaladie a fait bifurquer Jean uneseconde fois.Elle luia fait retrouver,d’unecertainemanière,sonitinérairedominicain,selonsontémoignage7.

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  • Uneroutedansledésert…

    Mardi18décembre2012.Tu me manques ! Mais ce manque, qui est ta manière de

    manifestertaprésence,meconsole.Ilsuffitquejefassesilencepourquejet’entendemeparleraucœur.

    Je transforme levideque tu as laissé enundésert au sensbibliquedumot:

    Ainsiqu’ilestécritdansleprophèteIsaïe:

    «Voiciquej’envoiemonmessagerenavantdetoiPourpréparertaroute.Unevoixcrie:DansledésertPréparezlecheminduSeigneur,Aplanissezsessentiers»1.

    Ilyabienlongtempsquepartamaladie–dontàprésenttuesdélivrée–tum’asconduitaudésert.Ensemblenousyavonstracéuneroute.Lemessager,c’estl’ange,c’esttoi.

    Angequidésormaisguidemespasdansledésert.

    1.ÉvangileselonsaintMarc1,2-3.

  • EtleVerbes’estfaitAlzheimer

    Mardi25décembre2012.MonpremierNoëlsanstoi.Non,passanstoi…Maisaussi

    monpremierNoël,depuisdix-huitans,sansAlzheimer.Tun’esplus enfant – infans – incapable de parole, emmaillotée etcouchéedanslacrèchedetamaladie,imagedecetautreEnfant-Infans,couchéetemmaillotédanslacrèchedeBethléem.

    Aujourd’hui, tu contemples le Verbe fait Alzheimer,nouveau-né, incapable de parole. Te voilà ange musicienchantantleGloria!

    Aujourd’hui, je ne peux plus te toucher, mais je peuxcontinueràteregarder,tecontempler,tevoir«danslalumièreàlaquelle tu m’as conduit1 ». Mais, comme Marie, qui« conservait avec soin tous ces souvenirs (de la naissance deJésus)etlesméditaitdanssoncœur2»,jeconserveavecsointesparoles recueillies dansmon journal. Continuant à te lire et àt’écrire,jecontinueenquelquesorteàprendresoindetoi,àtetoucher,àtegarder.

    Maisn’est-cepasplutôt toi,mésange devenueange, qui àprésentmegarde?

    1.Ibid.,p.144.2.ÉvangileselonsaintLuc2,19.

  • Unmoisquetut’esenvolée

    Mercredi26décembre2012.Unmoisque tu t’esenvolée…Mais tesparolesnesesont

    pasenvolées.Jelesaigardées,lesméditantdansmoncœur.

    À l’issue de la première consultation mémoire à l’HôpitalcivildeStrasbourg,le6octobre1994,tum’asdit:

    Maintenanttumetsunpointettuécris«Fin»1.

    Tu faisais allusion à notre journal à deux voix quiremplissaient alors, depuis deux ans, nosmatinées d’écriture.Maissitamaladieaeffectivementmisfinàquelquechose,autrechoseacommencé,selontespropresmots,le5octobre1995,àlasortied’unepâtisserie:

    Jevoudraisqu’aujourd’huiquelquechosecommencepournous2.

    Lues à la lumière de tamort, tes paroles prennent un sensnouveau.Oui,jepourraismettreunpointetécrire«fin»:findeta vie. Fin de mon écriture. Mais non. Depuis que, le 26novembredernier,«tonpoulsacessédebattre»,quelquechosea commencépournous.L’expérience étantnouvelle, jene saiscomment nommer ce quelque chose. Si ton pouls a cessé debattre,mamainn’apascesséd’écrire.

    Alzheimerestarrivé:Ilnenousapasséparés.

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  • photographie:tamaindroitesembleprendrelepoulsaupoignetgauche,commesituvoulaismesignifieràl’avancecommenttamortmeseraitannoncée.L’indexdetamaingauchepointéeverslehautsembledésignerleciel.

    Anne Mounic, à qui j’ai récemment envoyé cettephotographie,m’aécrit:

    Oui,entreJanineetcettestatue3existecommeuneattitudecommune, comme une sorte de profondeur muette maismusicalementexpressive,commesitoutesdeux,àl’écouted’unchantenfouidanslamémoire,nouslechantaientensilence…

    1.Notreamipeintre.2.AumuséedesUnterlindenàColmar.3.Quifait70cmdehaut.

  • Tuaschangémondeuilenunedanse

    30mars3013,Samedisaint.J’ai célébré la vigile pascale chez les sœurs carmélites à

    Marienthal1. Elles m’avaient demandé de lire la quatrièmelecture,tiréeduchapitre54duprophèteIsaïe:

    Cartonépoux,ceseratonCréateur(…).Lesmontagnespeuvents’enallerEtlescolliness’ébranler,Maismonamourpourtoines’enirapasEtmonalliancedepaixavectoiNeserapasébranlée.

    Oui,lescollinespeuvents’ébranler,commenousavonsétéébranlés parAlzheimer,mais notre amourne s’en est pas allé,notrealliancen’aurapasétéébranlée.

    Et comme j’ai aimé chanter le psaume 30 qui a suivi lalectured’Isaïe:

    Tuaschangémondeuilenunedanse,Meshabitsfunèbresenparuredejoie!

    1.Àquatrekilomètresdecheznous.

  • Nemeretienspas…

    31mars2013,dimanchedePâques.L’évangile de ce dimanche relate l’apparition de Jésus à

    MarieMadeleinelematindePâques1.Ilesttoujoursvraiquejenepeuxvoir autrementMarieMadeleine qu’à travers tes yeuxempêchésdeme reconnaître,meprenant pour le jeune hommequiatravaillédanslejardin, telleMarieMadeleinequiaprisJésus pour le jardinier2. Et Jésus aura à son égard la mêmedémarche empathique que celle qu’il a eue à l’égard desdisciplesd’Emmaüspour se faire reconnaître.Seulement,pourMarie Madeleine, il n’avait pas besoin de faire un longdéveloppementsurlesÉcritures,ilasuffiqu’ill’appelleparsonnom:Miriam!pourqu’ellelereconnaisse…etveuillesejeteràsespiedspourlesembrasser.

    MaisJésusluidit:

    Neme retiens pasainsi3,car je ne suis pas encoremontévers le Père.Mais va trouver les frères et dis-leur : jemonteversmonPèreetvotrePère,versmonDieuetvotreDieu.

    Nemeretienspas…JesuiscommeMarieMadeleine,quiadû laisser partir celui qu’elle aimait, lui donner le permis des’envoler, le permis d’ascension. C’est cela qui me frappeaujourd’hui.Jenepeux tevoirautrementqu’à travers lesyeuxdeMarieMadeleine.

    Tuesmontée vers lePère, et jemarche encore sur terre…Audébutducarême,A.m’aécrit:

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  • 1.Ibid.,p.87-88.2.Livredel’Apocalypse3,5.3. G. deNYSSE,La Vie deMoïse, éditions du Cerf, 1968, p.211.4.Ibid.,p.211-212.5.Unemoniale,op.cit.,p.53.6.Ibid.,p.72.

  • Detonobscuritévientlalumière

    Jeudi2mai2013.Dès les premiers jours de ta maladie, j’ai été confronté à

    quelquechosenoir.Le1erdécembre1994,j’aiécrit:Jecherchetonregard,maisilestabsent,plongédansjene

    sais quel abîme1.Neme reconnaissant pas, tum’as caché taface2.

    EtdansmaméditationsurPâques,enavril2003:

    Plustut’éloignesetmoinsjetevois.Maismoinsjetevois,plusjetecontemple.Jetecontempledanslanuitdelafoiette« vois » commeDieu te voit. Je ne t’ai jamaisaussi bien vueque depuis que tu m’es cachée. Je te vois dans ton mystèreineffable.

    Tanuitestdevenuemalumière3.

    J’ai appris, pendant dix-huit ans, à te voir dans le noird’Alzheimer.Pourquoin’arriverais-jepasà tevoirdans lenoirdelamort?

    Commeme l’a écrit sœurMarie-Odile, « tu tiens tes yeuxpleinsdegloiresurmesyeuxpleinsdelarmes».Maistesyeuxpleinsdegloiresontpourmoisiéblouissantsqu’ilsparaissentnoirs.Sijenepeuxvoirtonvisagedegloire,jepeuxenvoirsonreflet sansenêtreébloui.Etce reflet, commeparanticipation,estdanstonvisagededoucelumière,«merveilledepaixetdesérénité»,quetum’asdonnéàvoirdébutjuin2012,sixmoisà

  • peine avant tamort. La photographie que j’en ai faite est tonicône.

    Mais tes yeuxpleins de gloire ne se reflètent-ils pas déjàdanstonsourire,quand,àtraverslesbarreaux,tumetendstonbouquetdefiancée?

    Commealorstonsourireatraversélesbarreaux(etcommentdesbarreauxarrêteraient-ilsunsourire?),iltraverseaujourd’huilesfentesdel’éternité.

    1.J.WITT,op.cit.,p.13.2.Ibid.,p.118.3.Ibid.,p.231.

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  • Bientôtmangers’éteindra

    Escarre…

    Angesgardiens

    Cesbarreauxquiblessent

    Unantalgiquepuissant

    Dix-huitansquejet’écris

    Calmerladouleur

    Labecquéedivine

    AimerJean

    Pressentiment

    Lamésanges’estenvolée…

    Sil’undestiensperdl’êtrecher…

    Quandçasonnerapourmoi…

    LacélébrationdesfunéraillesdeJanine

    IIIToicielmoiterre

    Jeregardelecanapé

    Desfloconsd’être

    Jereviendraitevoir

    Leniddelamésange

    Visagedeprésenceetvisaged’absence

    Uneroutedansledésert…

  • EtleVerbes’estfaitAlzheimer

    Unmoisquetut’esenvolée

    Passeunebonnesoirée

    Visitesaucimetière

    Lettred’uneamieinconnue

    Desbecquéesd’éternité

    Plusbellequ’avant

    L’amour,unefacultéd’absence

    JanineetlaViergeàl’enfant

    Tuaschangémondeuilenunedanse

    Nemeretienspas…

    Danslecœurdel’écrivant

    Parlesfentesdel’éternité

    L’écriture,échelledeJacob

    Lepoirierenfleur

    Quelquechosenoir

    Tonnomnesesupprimepas,maisilestsansdescription

    Detonobscuritévientlalumière

    Lettrespourmonanniversaire

    Toussaint

    LeDieudesvivants

    Prêtel’oreilledetoncœur

  • L’espaceduNolimetangere

    L’ultimeaccompagnementdeJanine

    Commencement

    Remerciements

  • Achevéd’imprimerparXXXXXX,enXXXXX2015N°d’imprimeur:

    Dépôtlégal:XXXXXXX2015

    ImpriméenFrance