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« L’Intelligence culturelle · pourquoi et à quelles fins l’intelligence économique doit-elle intégrer la culture dans sa ... changements qu’il exige ; apparition de l’idée

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« L’Intelligence culturelle »3 févier 2011, UNESCO, Paris.

Hervé Cronel, Organisation Internationale de la Francophonie, Conseiller spécial du Secrétaire général pour les questions économiques

Résumé :L’exemple de la Francophonie permet-il d’apporter une réponse à la question de savoir si, pourquoi et à quelles fins l’intelligence économique doit-elle intégrer la culture dans sa matrice d’analyse et dans l’élaboration de ses stratégies ?La Francophonie constitue une puissance réelle et un ensemble doté d’une cohérence certaine. Cependant elle est hétérogène du point de vue de l’économie et du développement, ce qui explique sans doute pourquoi elle pourrait accroître son influence de façon comparable à son poids démographique, linguistique et culturel.Mais par ses prises de position en faveur de la diversité linguistique et culturelle, et son action en appui au partage et aux échanges entre espaces culturels, elle a contribué à une prise de conscience de nombreux opérateurs économiques: le bon fonctionnement de l’économie et le développement ne dépendent pas uniquement de l’investissement et de mesures financières ou budgétaires. Une claire analyse des contextes historiques, sociaux et culturels est un facteur décisif pour élaborer des stratégies positives et faire des choix gagnants.L’ensemble des valeurs qu’elle promeut, appuyé par la défense vigoureuse d’un système multilatéral équitable et équilibré constitue en lui-même une doctrine, qui peut influencer les décisions de ses pays membres.

Depuis 1945 la vision stratégique de la culture est passée par quatre étapes :

-L’affrontement des blocs et la guerre froide, de 1945 à 1990 : domination des idéologies politiques et économiques au service desquelles la culture devait se mettre ;- la Transition : prise de conscience des dimensions culturelles du phénomène et des changements qu’il exige ; apparition de l’idée du « soft power » et de l’« influence » ;- le Choc des Civilisations : la culture prend place au centre d’un affrontement dont les déterminations économiques et politiques sont minimisées et qui conduit à un point de vue stérile et archaïque ;- la mondialisation : la prise de conscience de la globalisation des phénomènes physiques, économiques et financiers pose la question de l’apparition d’une culture mondiale également et de son rapport avec les cultures issues de l’histoire.

Dans ce contexte quelle est la place de la culture dans la matrice d’analyse de l’Intelligence économique : pourquoi doit-elle y figurer ? dans quel but ? L’exemple de la Francophonie permet-il d’apporter une réponse ?

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A – La Francophonie, une langue mondiale : que représente la Francophonie ?

La Francophonie est porteuse d’une puissance constatable :

- 75 États membres et observateurs (plus du 1/3 de l’ONU) ;- des programmes fondés sur une expertise reconnue depuis au moins 40 ans

(coopération culturelle et linguistique, réseaux de professionnels et de chercheurs mondiaux, connaissance des milieux et des contextes ;

- des opérateurs spécialisés (AUF, TV5MONDE, AIMF…) et des instances telles que l’APF ;

Cette « puissance francophone » se manifeste de façon visible…- adoption de la convention sur la diversité des expressions culturelles ;- engagements volontaires et contraignants contenus dans la Déclaration de Bamako

et le Vade-mecum relatif à l’usage du français dans les organisations internationales

… et invisible : 32 États et gouvernements ont le français comme langue officielle

Production de droit (règlement et loi + jurisprudence)Activité terminologique (création et normalisation)Traduction (de et vers)Atout pour l’emploi… (enquête TNS-Sofres : entre 89% et 97%)

Et, dans le cas de politiques linguistiques (OPALE)Protection des consommateurs et des salariésTissu associatifOutil d’intégration des migrants allophonesObligations de diffusion culturelle (soutien aux secteurs concernés)

Le Français reste une des Langues officielles des organisations internationales (officielle et de travail)

Enjeu démocratiquePlurilinguisme comme gage d’efficacité

La Francophonie constitue un Espace politique spécifiquement structuré (Sommet, conférences, Bamako+10, APF, AIMF)

Dialogue Nord-Sud et solidaritéDémocratie et droits de l’Homme (Bamako et Saint Boniface)Paix, prévention et résolution des conflits (l’ONU fait appel et reconnaît l’expertise francophone).

La Francophonie constitue également un Espace scientifique et pédagogique

116 millions d’apprenants (+13% entre 2007 et 2010) ; entre 0,9M et 1 million de professeurs dans tous les pays du monde :

Langue d’enseignement (20aine de pays + filières francophones)Progression y compris comme langue étrangère (+5,7%)

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Alliances françaises (1000 dans 130 pays ; +3% en 2009), lycées français (465 ; +4% en 2010)Exception européenne / croissance asiatique (+16%)Demande de français (Afrique du Sud, Tanzanie, Angola, Ghana, Botswana, Zambie…)

un Espace universitaire759 établissements dans 90 pays2000 bourses de mobilité42 campus numériques (22 en Afrique, 6 en Asie, 5 au MO, 4 en ECO, 4 océan Indien et 1 Caraïbe).

Enfin un Espace de partage linguistique (langue première mais localisée / langue de l’environnement immédiat / langue étrangère)

Coopération terminologique, lexicographique, orthographique…Recherche sur et promotion des langues « partenaires » : exemple des bi-grammaires (fulfulde, wolof, mandingue, lingala, songhay, zarma), des 9 guides du maître (créoles) et du guide du formateur pour l’arabe.

C’est aussi un Espace médiatique mondial

2e réseau mondial de télévision, TV5MONDE : 207 M de foyers dans 200 pays et territoires ; 55 M de téléspectateurs par semaine (10 langues), 25000 hôtels…RFI (35,6 M d’auditeurs en 12 langues ; 600 correspondants), AFP (bureaux dans 165 pays en six langues), Euronews (diffusée en 8 langues dont le français)Des journaux en français et des heures de français sur les ondes de beaucoup de pays.3e langue d’Internet (sous réserve) MAIS force des usages sociaux non estimée.

C’est enfin un Espace culturelLittérature (dont prix Nobel), chanson, films, théâtre, contes...Festivals et marchés francophones : humour (Marrakech), théâtre (Limoges), chansons (La Rochelle, Montréal, Spa), cinéma (Cannes, Namur et Carthage), édition (Paris, Montréal, Beyrouth), MIP-TV…Catalogue numérisé de l’image francophone (janvier 2011)Bibliothèque numérique francophone229 Centre de Loisirs et d'Animation Culturelle dans 17 pays d’Afrique et de l’océan Indien (entre 2008 et 2010, 6 M d’utilisateurs)1600 projets audiovisuels (200 longs-métrages) depuis 1988 (plurilingues)Prix Ibn Khaldoun-Senghor (français/arabe), Kadima (en pulaar et du swahili en 2009), prix des cinq continents, du jeune écrivains francophone…Fonds francophone des inforoutesTV5MONDE+Afrique (juin 2010) : séries, documentaires, infos…

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Mais cette puissance se manifeste-telle aussi en un Espace économique ?

Il existe des éléments constitutifs d’une espace économique francophone, fondé non seulement sur la langue, mais aussi sur des modèles partagés, à travers :

Des réseaux professionnels : notaires, comptables, géomètres, médecin, ingénieurs, universitaires, avocats : mais ils sont largement inexploités.Des réseaux d’influence : Réseau Normalisation et Francophonie, « école francophone » disciplinaires (droit, sociologie, histoire, mathématiques, journalisme…)Des organisations à vocation économique : la Conférence Permanente des Chambres Consulaires Africaines et Francophones (CPCCAF), le Forum Francophone des Affaires ;

Pour ces groupes, l’usage du français est bien constitutif. Mais il est encore vécu soit comme une caractéristique élémentaire, un vécu sur lequel on s’interroge peu, soit comme une facilité issue de l’histoire plus que comme un avantage comparatif à mettre en valeur.Comme il existe une grande hétérogénéité des situations et des structures, des environnements physiques et institutionnels, des produits et des clientèles, l’usage du français n’est plus le premier élément déterminant dans les choix de marchés des opérateurs économiques. Il joue cependant toujours un rôle, essentiellement complémentaire.

B - Quelle valeur stratégique pour la langue ?

Face à un discours qui fait de la langue un pur outil de communication, qui serait « transparent » et sans lien avec quelque contexte que ce soit, la Francophonie souligne le rôle stratégique de la langue :

1. Dans les relations inter-identitaires, dont on constate la densification dans et par les contacts au sein des sociétés, voir en chaque individu, relié à différentes communautés.

2. Pour la production de biens et services occupant une place économique de plus en plus essentielle :

Les industries culturelles ou « créatives » (et même l’audiovisuelle seule) : pour mémoire elles sont le 1er poste d’exportation des Etats-Unis ;Le marché de la connaissance (dont l’éducation), la production et l’accès aux ressources numériques et aux industries de la langue associées ;

Exemple de l’émergence du secteur « musique du monde » dans l’industrie musicale mondiale qui a permis à des artistes caribéens, de l’océan Indien et d’Afrique d’émerger et de tirer parti de la spécificité de leurs univers musicaux, pour en retirer une reconnaissance et des bénéfices considérables.

3. Par les effets économiques induits :

Valeur symbolique monnayable liée à une langue (pour le français, le luxe, l’élégance, la gastronomie…)

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Avantage comparatif qui réduit l’investissement de départ [la présence, voire la domination d’une langue et d’une approche qui lui est propre dans un secteur constitue un atout qui permet des économies en amont (séduire, convaincre, se comprendre) et en aval (traduire)] et génère du profit (part de marché, quel que soit le secteur)

D’après le rapport Davignon (commandé par la Commission européenne en 2007) qui cite l’étude ELAN (945000 entreprises interrogées en 2005) qui estime que, faute de compétences linguistiques, 11 % des PME européennes du secteur de l’exportation subissent sans doute un manque à gagner ; il ressort de l’enquête que, sur une période de trois ans, la perte moyenne par entreprise est de 325 000 euros, soit plusieurs millions d’euros au total (en 25 et 40 M€)

D’après un rapport de François Grin (2005), la domination de la langue anglaise dans les échanges fait économiser 17 à 18 milliards d’euros par an au Royaume-Uni.

• Par ailleurs la normalisation installe des standards dont la proximité plus ou moins grande avec une langue et ou une manière de voir ou de faire porte en elle des conséquences économiques : coût direct (acquisition, traduction) et indirect (appropriation, formation professionnelle, mise en conformité, handicap du dernier entrant…)

• Enfin en ce qui touche l’existence de deux grandes traditions de droit, la tradition civiliste – ou droit continental ou encore romano-germanique – et la tradition de la Common Law anglo-saxonne, la question de la langue est essentielle, car les concepts de base des deux systèmes sont essentiellement différents et doivent faire l’objet de transposition qui vont beaucoup plus loin que la traduction (exemple de l’inadéquation « avocat/lawyer »)

Conclusion

Conformément aux ambitions exprimées par Léopold Sédar SENGHOR, aux origines de la Francophonie, du fait du statut du Français et des effets historiques que cela a produit, un ensemble de règles et de comportements s’est constitué au point de pouvoir être considéré comme une doctrine originale des relations internationales. Prônant une approche des cultures autres par l’enracinement de chacun dans sa propre culture, le poète-président a de façon prémonitoire exprimé les enjeux d’une globalisation culturelle positive.

Parmi ces enjeux, le rapport apaisé entre les langues et les cultures constitue un acquit francophone fait qu’il faut encore approfondir et analyser, dans le contexte contemporain (mise en œuvre de la convention UNESCO et gestion des conflits), pour en faire le socle d’une stratégie et d’une politique : c’est l’objectif fixé à la Francophonie pour son prochain Sommet de 2012.

Cette politique, par définition ouverte et coopérative, conçue comme la rechercher d’une articulation positive entre les aires linguistico-culturelles, pourra servir, face à de multiples conflits en cours, de modèle et contribuer ainsi, tout en préservant les intérêts bien compris de chacun, à l’amélioration des relations entre les hommes et leurs sociétés et à la valorisation des apports propres à chacune de ces aires.

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