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C expo 20 affaires culturelles L’art de la collection L’Espagnole Alicia Koplowitz acquiert depuis une trentaine d’années, via son entreprise, les tableaux des plus grands artistes. La femme d’affaires nous donne aujourd’hui, au musée Jacquemart-André, un aperçu de cet incroyable stock, à travers un parcours étonnant. Texte : Jeanne Gaudin Plus loin, on est marqués par la lumière et le pittoresque teinté de mélancolie des tableaux de Francesco Guardi. S’engage ensuite une passionnante virée vers la modernité, abandonnant en chemin toute représentation fidèle de la réalité. Quand Egon Schiele livre sa Femme à la robe bleue (1911), la forme du corps est à peine esquissée à l’aquarelle, et se fait par là-même émouvante, subtile, tellement vivante. S’il en est un autre qui sait transmettre cette même énergie, c’est bien sûr Vincent Van Gogh, exposé sur le mur adjacent. Son Vase avec œillets (1890) respire tellement la vie qu’on peine à le qualifier de nature morte. Les incroyables empâtements de peinture qui le composent donnent à voir les mouvements du pinceau, le geste de l’artiste. Ces magnifiques tourbillons de matière sem- blent animés d’une force propre, extraordinaire. Ils hypnotisent, atteignent l’âme et la transportent vers un ailleurs vertigineux de vie. Que la simple représentation d’un bouquet de fleurs touche ainsi l’être profond de celui qui la regarde, qu’elle le grandisse, qu’elle l’élève, est un sentiment renversant… proche de l’essence même de l’art. L’expérience se poursuit avec une même inten- sité devant la gigantesque toile N°6 de Mark Rothko (1954). Physiquement happé par une vague de vibrations colorées, le visiteur se trouve ébloui, positivement dépassé par la force de cette œuvre, qui donne le tournis et brouille les repères. Dans cette expérience immersive, la surface bidimensionnelle du tableau se fait environnement. De cette abs- traction métaphysique naît alors une impres- À gauche : Femme à la robe bleue, 1911, Egon Schiele. Aquarelle et crayon sur papier, 47,9 x 28,8 cm. © Coll. Alicia Koplowitz / Grupo Omega Capital Ci-dessus : Femme au grand chapeau, 1906, Kees Van Dongen. Huile sur toile, 100 x 80,5 cm. © Coll. Alicia Koplowitz / Grupo Omega Capital / ADAGP, Paris, 2017 A NOUS PARIS Ce melting-pot artistique d’une grande richesse, organisé de façon chronologique, nous fait voyager de l’Espagne à Paris en passant par l’Italie, du XVI e siècle à nos jours. Au fil de la visite, on croise Zurbarán, Tiepolo et Canaletto, mais aussi Toulouse-Lautrec, Gauguin, Van Gogh et Picasso, ou encore Giacometti... Autant de figures majeures qui ont marqué l’histoire de l’art. Dès l’entrée, c’est une Vierge à l’enfant peinte par Francisco de Zurbarán au milieu du XVII e siècle qui accueille le visiteurS: harmo- nieuse douceur des couleurs, tendresse du geste maternel… L’œil est attiré quelques mètres plus loin par une collerette de dentelle d’une ampleur démesurée. Lorsque Juan Pantoja de la Cruz réalise le portrait de la duchesse de Bragance en 1603, il parvient avec brio à ren- dre compte de la richesse de son costume d’apparat, grâce à un soin extrême porté aux détails et à une maîtrise technique inouïe. Avant de quitter l’Espagne pour rallier l’Italie, on se laisse pénétrer par les couleurs incroyablement lumineuses et vivantes des tableaux de Francisco de Goya, de la fin du XVIII e siècle. Dans la salle suivante, on ne peut s’empêcher de tendre le visage au plus près des vues de Venise peintes par Canaletto au XVIII e siècle… Tant de précision, tant de finesse pour repré- senter architectures et présences humainesS! Vierge à l’Enfant avec saint Jean-Baptiste, vers 1659, Francisco de Zurbarán. Huile sur toile 119 x 100 cm. © Collection Alicia Koplowitz / Grupo Omega Capital

© Musée Rodin (photo H. Lewandowski)....expo 20 a fa i r es c ultur lle s L’art de la collection L’Espagnole Alicia Koplowitz acquiert depuis une trentaine d’années, via son

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Page 1: © Musée Rodin (photo H. Lewandowski)....expo 20 a fa i r es c ultur lle s L’art de la collection L’Espagnole Alicia Koplowitz acquiert depuis une trentaine d’années, via son

C

expo 20affaires culturelles

L’art de la collectionL’Espagnole Alicia Koplowitz acquiert depuis une trentaine d’années, via sonentreprise, les tableaux des plus grands artistes. La femme d’affaires nousdonne aujourd’hui, au musée Jacquemart-André, un aperçu de cet incroyablestock, à travers un parcours étonnant.Texte : Jeanne Gaudin

Plus loin, on est marqués par la lumière et le

pittoresque teinté de mélancolie des tableaux

de Francesco Guardi.

S’engage ensuite une passionnante virée vers

la modernité, abandonnant en chemin toute

représentation fidèle de la réalité. Quand

Egon Schiele livre sa Femme à la robe bleue

(1911), la forme du corps est à peine esquissée

à l’aquarelle, et se fait par là-même émouvante,

subtile, tellement vivante. S’il en est un autre

qui sait transmettre cette même énergie, c’est

bien sûr vincent van Gogh, exposé sur le mur

adjacent. Son Vase avec œillets (1890) respire

tellement la vie qu’on peine à le qualifier de

nature morte. Les incroyables empâtements

de peinture qui le composent donnent à voir

les mouvements du pinceau, le geste de l’artiste.

Ces magnifiques tourbillons de matière sem-

blent animés d’une force propre, extraordinaire.

Ils hypnotisent, atteignent l’âme et la transportent

vers un ailleurs vertigineux de vie. Que la simple

représentation d’un bouquet de fleurs touche

ainsi l’être profond de celui qui la regarde, qu’elle

le grandisse, qu’elle l’élève, est un sentiment

renversant… proche de l’essence même de l’art.

L’expérience se poursuit avec une même inten-

sité devant la gigantesque toile N°6 de Mark

Rothko (1954). Physiquement happé par une

vague de vibrations colorées, le visiteur se

trouve ébloui, positivement dépassé par la

force de cette œuvre, qui donne le tournis et

brouille les repères. Dans cette expérience

immersive, la surface bidimensionnelle du

tableau se fait environnement. De cette abs-

traction métaphysique naît alors une impres-

À gauche :Femme à la robebleue, 1911,Egon Schiele.Aquarelle et crayon sur papier, 47,9 x 28,8 cm.© Coll. Alicia Koplowitz /Grupo Omega Capital

Ci-dessus :Femme au grandchapeau, 1906,Kees VanDongen. Huile sur toile,100 x 80,5 cm.© Coll. Alicia Koplowitz /Grupo Omega Capital /ADAGP, Paris, 2017

A NOUS PARIS

Ce melting-pot artistique d’une grande

richesse, organisé de façon chronologique,

nous fait voyager de l’Espagne à Paris en

passant par l’Italie, du xvIe siècle à nos jours.

Au fil de la visite, on croise Zurbarán, Tiepolo

et Canaletto, mais aussi Toulouse-Lautrec,

Gauguin, van Gogh et Picasso, ou encore

Giacometti... Autant de figures majeures qui

ont marqué l’histoire de l’art.

Dès l’entrée, c’est une Vierge à l’enfant peinte

par Francisco de Zurbarán au milieu du

xvIIe siècle qui accueille le visiteurS: harmo-

nieuse douceur des couleurs, tendresse du

geste maternel… L’œil est attiré quelques mètres

plus loin par une collerette de dentelle d’une

ampleur démesurée. Lorsque Juan Pantoja de

la Cruz réalise le portrait de la duchesse de

Bragance en 1603, il parvient avec brio à ren-

dre compte de la richesse de son costume

d’apparat, grâce à un soin extrême porté aux

détails et à une maîtrise technique inouïe. Avant

de quitter l’Espagne pour rallier l’Italie, on se

laisse pénétrer par les couleurs incroyablement

lumineuses et vivantes des tableaux de

Francisco de Goya, de la fin du xvIIIe siècle.

Dans la salle suivante, on ne peut s’empêcher

de tendre le visage au plus près des vues de

venise peintes par Canaletto au xvIIIe siècle…

Tant de précision, tant de finesse pour repré-

senter architectures et présences humainesS!

Vierge à l’Enfant avec saint Jean-Baptiste, vers 1659,Francisco de Zurbarán. Huile sur toile 119 x 100 cm. © Collection Alicia Koplowitz / Grupo Omega Capital

Page 2: © Musée Rodin (photo H. Lewandowski)....expo 20 a fa i r es c ultur lle s L’art de la collection L’Espagnole Alicia Koplowitz acquiert depuis une trentaine d’années, via son

21affaires culturelles

Le Penseur Auguste Rodin, Le Penseur sur chapiteau, plâtre. Musée Rodin, Paris

© Musée Rodin (photo H. Lewandowski).

Rodin

L’exposition du centenaire

22 mars > 31 juillet

Grand Palais

sion d’apesanteur calme et exaltante. « Toute

peinture qui ne témoigne pas du souffle de

la vie ne m’intéresse pas ». Alors que planel’agréable menace du syndrome de Stendhal,les mots de l’artiste résonnent plus que jamaisavec justesse dans l’espace d’exposition. Lesfigures féminines sont par ailleurs très pré-sentes dans la collection d’Alicia Koplowitz. Àl’issue de la visite, on garde particulièrementen mémoire les ombres vertes et les lèvresrouges du visage de la Femme au grand cha-

peau de Kees van Dongen (1906). Le longcou et les yeux noirs, sans pupilles, deLa Rousse au pendentif d’Amadeo Modigliani(1918). La présence énigmatique et longiligne,à la fois forte et fragile, de la Femme de Venise

d’Alberto Giacometti (1956).C’est alors que l’on se prend à rêver… Et si,comme Alicia Koplowitz et bien d’autres, l’op-portunité nous était donnée de composer notrepropre collection, à notre imageS? Elle se feraitle reflet de nos émotions, rencontres et sou-venirs, une émanation de notre être profond.

Quelle expérience renversanteque celle de se balader phy-siquement dans notre muséepersonnel, dans notre collec-tion idéale, qui n’aurait alorsplus rien d’imaginaire. Et quelbonheur d’inviter les autres,comme le fait aujourd’hui Ali-cia Koplowitz, à la visiter._

De Zurbarán à Rothko :Collection Alicia Koplowitz -Grupo Omega Capital.Jusqu’au 10 juillet au muséeJacquemart-André, 158, boulevard Haussmann, 8e.M° Saint-Augustin/ Miromesnil/Saint-Philippe du Roule. Tous les jours de 10 h à 18 h (le lundi jusqu’à 20 h 30). Entrée : 13,50 € / 10,50 € (réduit).Tél. : 01 45 62 11 59 / www.musee-jacquemart-andre.com

Femmes au bord de la rivière, 1892, Paul Gauguin. Huile sur toile 31,8 x 40 cm. © Collection Alicia Koplowitz / Grupo Omega Capital