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Alors voilà, ça s'appelle « Seconde Première Terminale » , écrit en vermicelle empâté par l'acrylique, et ça résume un peu tout ce que je raconte en cours depuis maintenant vingt deux ans que j'envoie des candidats au Bac à coefficient 6. Ça devait s'appeler « l'Art raconté aux enfants ou les mécanismes de la création artistique ». Ça fait 1mx1m. À l'origine c'est un petit dessin que j'ai quelques fois fait « au tableau » pour expliquer à mes élèves... Le cadre (programme de première, l'œuvre et le lieu) est la convention qui signale au spectateur que ce qui est à l'intérieur est d'une autre nature que le réel qui l'entoure, et l'or, ou plus souvent le doré, sert à prévenir que attention les yeux, y en a pour du pognon ! Donc il n'y a pas de cadre à proprement parler, mais j'en ai « peint » un, il fait partie de l'image ; après des tentatives piteuses avec les produits du commerce des marchands de couleurs, je me suis payé le luxe de le faire faire à la feuille d'or. Yves Klein et Peter Blake en ont bien usé dans leurs tableaux ! D'accord, ça fait un peu caprice, mais ça fait aussi plus vrai. Comme le cadre pompeux est souvent travaillé en volume avec des petits angelots joufflus, des feuilles de je ne sais quoi ou des motifs décoratifs, j'ai « figuré » ces reliefs avec les fortes paroles de ceux qui ont selon moi le mieux cerné la question, qui permettent d'en faire le tour (du tableau) sinon de l'épuiser. La citation de Léonard m'a été l'occasion de céder à ce penchant navrant qui consiste à dire des conneries, celle-ci vient du fond des âges. « Cause à mon cul, ma tête est malade », c'est un vieux slogan de Hara Kiri. Cosa mentale, ma tête est malade, c'est lamentable, on reconnaît bien là mes erreurs de niveau de langue ou ma tendance à plomber mon propre propos (allitération en pr) pour ne pas me prendre trop au sérieux ; j'ai d'ailleurs longuement (mais sans doute pas assez) hésité à écrire Léonard devint fou, devin fou ou de vin fou... parce qu'il faut tout de même être un peu pété de la tête pour consacrer son existence à autre chose qu'à trouver un abri, bouffer, copuler et dormir. Bah ! En cherchant bien, on trouve là dedans des références à Malevitch, Beuys et Pollock, et je me suis retenu d'en ajouter d'autres qui me démangeaient furieusement car j'avais grande envie de tout mettre (de mettre tous les maîtres). On peut encore penser « abstraction cercle carré », ce courant d'artistes acétiques capables de s'émouvoir de la beauté des mathématiques.

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Page 1: « Seconde Première Terminale

Alors voilà, ça s'appelle « Seconde Première Terminale » , écrit en vermicelle empâté par l'acrylique, et ça résume un peu tout ce que je raconte en cours depuis maintenant vingt deux ans que j'envoie des candidats au Bac à coefficient 6.

Ça devait s'appeler « l'Art raconté aux enfants ou les mécanismes de la création artistique ». Ça fait 1mx1m. À l'origine c'est un petit dessin que j'ai quelques fois fait « au tableau » pour expliquer à mes élèves... Le cadre (programme de première, l'œuvre et le lieu) est la convention qui signale au spectateur que ce qui est à l'intérieur est d'une autre nature que le réel qui l'entoure, et l'or, ou plus souvent le doré, sert à prévenir que attention les yeux, y en a pour du pognon ! Donc il n'y a pas de cadre à proprement parler, mais j'en ai « peint » un, il fait partie de l'image ; après des tentatives piteuses avec les produits du commerce des marchands de couleurs, je me suis payé le luxe de le faire faire à la feuille d'or. Yves Klein et Peter Blake en ont bien usé dans leurs tableaux ! D'accord, ça fait un peu caprice, mais ça fait aussi plus vrai. Comme le cadre pompeux est souvent travaillé en volume avec des petits angelots joufflus, des feuilles de je ne sais quoi ou des motifs décoratifs, j'ai « figuré » ces reliefs avec les fortes paroles de ceux qui ont selon moi le mieux cerné la question, qui permettent d'en faire le tour (du tableau) sinon de l'épuiser. La citation de Léonard m'a été l'occasion de céder à ce penchant navrant qui consiste à dire des conneries, celle-ci vient du fond des âges. « Cause à mon cul, ma tête est malade », c'est un vieux slogan de Hara Kiri. Cosa mentale, ma tête est malade, c'est lamentable, on reconnaît bien là mes erreurs de niveau de langue ou ma tendance à plomber mon propre propos (allitération en pr) pour ne pas me prendre trop au sérieux ; j'ai d'ailleurs longuement (mais sans doute pas assez) hésité à écrire Léonard devint fou, devin fou ou de vin fou... parce qu'il faut tout de même être un peu pété de la tête pour consacrer son existence à autre chose qu'à trouver un abri, bouffer, copuler et dormir. Bah ! En cherchant bien, on trouve là dedans des références à Malevitch, Beuys et Pollock, et je me suis retenu d'en ajouter d'autres qui me démangeaient furieusement car j'avais grande envie de tout mettre (de mettre tous les maîtres). On peut encore penser « abstraction cercle carré », ce courant d'artistes acétiques capables de s'émouvoir de la beauté des mathématiques.

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L'étoile dorée matérialise l'œuvre, qui cristallise à la rencontre entre le perçu et le projeté, le donné et le construit, ce que le réel nous fait connaître de lui même et l'interprétation que nous en avons (de Marseille). Le soleil ensemence la terre, permet la vie et la révèle en même temps, c'est la Création avec son grand C [A = « que la lumière soit »]. L'étoile dorée, c'est le mascaret, la rencontre de deux mouvements, celui de la lumière qui me porte l'image de ce qui s'offre à moi (en la réfléchissant) d'une part -->1, et de mon intention, de ma volonté inquisitrice de l'appréhender d'autre part -->2, le comprendre, l'élucider [B = « Faire la lumière sur »]. Pour la petite histoire (de l'Art) au moment d'écrire élucider je me dis qu'éthymologiquement, ça doit bien avoir quelque chose à voir avec la lumière... Je lance donc une recherche et à la première adresse visitée je tombe sur une repro de Chardin (voir plus bas), œuvre que j'avais donné à analyser aux élèves il y a... oh... bien longtemps !!! Rhâââ, c'est trop bon, le hasard validant !

Ci-contre le réel dans ses trois dimensions, les trois ordres : minéral, végétal, animal. C'est juré, dans mes prochaines incarnations je serai successivement géologue, botaniste et zoologue (ou zoologiste, je sais plus) !

Pour les légendes, je tiens à rassurer, je n'ai pas lu les ouvrages auxquels elles font référence. Ou pas vraiment, ou pas complètement. Mais les titres sont tellement parlants qu'ils se suffisent à eux-mêmes et qu'ils me suffisent à moi.

Que la lumière soit Faire la lumière sur

L'esprit des fromesÉlie Faure/Épicure

Du spirituel dans l'ArtKandinsky/Pythagore

L'association de « l'Esprit des Formes » de Élie Faure avec Épicure et de « du Spirituel dans l'Art » de Kandinsky avec Pythagore m'est venu en écoutant France-Culture dans la voiture un matin en me rendant au boulot. J'avais même noté que l'étoile-œuvre relevait à la fois de Platon et d'Aristote, mais je ne me souviens plus pourquoi, hormis que la forme qu'elle prend dépend de l'identité de l'observateur...

À plusieurs reprises au fil des ans des élèves un peu surpris m'ont interpellé sur le mode « mais m'sieur, c'est de la philo ?! »- « pas vraiment, mais on parle bien de la même chose » et je les branchais sur l'alchimiste, celui qui portait sur le réel

le triple regard (♪) du scientifique, du littéraire et de l'artiste,unique moyen de transformer symboliquement la merde en or, ce que seuls savent encore faire aujourd'hui les artistes (Manzoni, « merde d'artiste en boite » et Wim Delvoye, « Cloaca »)Tant qu'on y était à flirter avec les penseurs, j'ai collé le crayon rouge et bleu sur l'oreille du regardeur, le rouge-sang pointe en bas vers le sol, la terre-mère, l'observé, le côté dionysiaque, et le côté bleu vers le ciel, l'aspiration apollonienne, histoire de régurgiter ce que j'ai compris de Nietzsche dans « naissance de la tragédie », qu'au bout de vingt pages j'en avais déjà griffonné trente de notes et de petits schémas. Du coup je ne suis pas allé beaucoup plus loin...

Par ailleurs ça me démange un peu d'écrire au dos du tableau :Parce que la terre est ronde et la voûte céleste...

juste pour le balancement de la phrase, et de toute façon, ça ne se verrait pas.

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Et voici mes quatre évangélistes, de mauvais tirages-imprimante collés sur des petits trucs en forme de tableaux, avec des clous sur les côtés pour tendre la toile que ça fait tellement « de nature artistique » qu'on en achète pour sa maman quand on lui offre une mallette de peinture et un chevalet pour son anniversaire, noël ou la fête des mères (lorsqu'on a épuisé tout l'électroménager)...

Chardin, qui dans « le singe peintre » nous dit que le singe singe l'homme comme l'homme singe Dieu dans le jeu de la création, Chardin dont Cézanne disait : « Chardin ? Un malin celui là ! »

Vélasquez, qui restera pour toujours le plus grand (♫), je fis d'ailleurs il y a quelques années une puissante analyse des « Ménines » que même ce bon Michel Foucault n'a pas vu ça dans les 26 pages qu'il y consacre en introduction du fameux « les mots et les choses ».

Vermeer, qui ne savait pas dessiner les mains mais qui donne dans son « allégorie de la peinture » la plus pertinente réponse à Vélasquez, comme je le développe dans l'analyse sus-mentionnée, (dont je vous fais grâce ici)(♪♫)

Et enfin le Baudelaire de Courbet, pour tout ce qu'il dit de judicieux dans ses « Écrits sur l'Art », dans quoi j'ai puisé mon meilleur sujet de dissert : « la modernité c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, cette moitié de l'Art dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable ».

Dans son autoportrait, Norman Rockwell avait foutu sur le coin supérieur droit de son tableau-dans-le-tableau, des cartes postales de « maîtres » et si je me souviens bien (j'ai laissé le bouquin au lycée) on y trouve Dürer, Rembrandt, VanGogh et Picasso, qui ne sont pas des mauvais chevaux, même si VanGogh et Picasso m'emmerdent passablement me fatiguent un peu mais Dürer est mon premier (et seul) bouquin de distribution des prix (en sixième, et pour seulement un troisième accessit de dessin, je n'ai d'ailleurs jamais vraiment pardonné à la prof de ne pas avoir saisi tout de suite à qui elle avait affaire...) bouquin que je traîne donc depuis 59 - 11 = 48 ans, et qui est aussi au lycée dans l'armoire de la salle d'arts plastiques, et j'ai plaisir à repérer les élèves qui flashent dessus :-)

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Encore une chose, le petit T en bas à droite... pittura en italien, et non pintura, écriture réflexe qu'on trouve pourtant sur le web en plus grand nombre d'occurrences. Faire la faute et la corriger en rouge, c'est juste pour faire plus prof ! Et encore encore, un élève a demandé « pourquoi un fil à plomb ? » Oui, pourquoi ? Je sais pas, comme ça, parce que je l'avais, parce que c'est celui de mon grand père et que je le trouve très beau avec son fil rouge ; parce qu'il est délicatement ouvragé et qu'il fait une très élégante flèche pour pointer finement de toute sa lourdeur le réel sous nos pieds, nous mettre le nez dessus, ou dedans. Et sans doute parce qu'il faut un fier aplomb pour vous proposer tout ça, non ?

Enfin... Les cartes postales...Je souhaitais faire figurer ces bons apôtres dans leur version carte postale, j'avais tout ça dans mon bordel, mais à chaque fois que j'en trouvais une j'avais perdu les trois autres. J'ai donc improvisé, recouru à une solution de remplacement (leçon numéro deux, les enfants, la création artistique, c'est trouver des palliatifs, des contournements ; l'œuvre résultant toujours d'une intention modifiée par les difficultés rencontrées en cours de réalisation. Rebondir sur le hasard, se laisser réorienter, là est le secret). Ce n'est que lorsque j'ai eu terminé que je les ai retrouvées toutes les quatre en rangeant mon atelier...

comme je les avais réunis sur pas mal d'années, ça prouve au moins que je crois à ce que je dis...

(♪) & (♪♫) des textes de cours ou des réflexions que je regrouperai peut-être un jour dans une version écrite de « l'art raconté aux enfants », si je ne me vautre pas complètement dans la pratique comme c'est plutôt mon intention.(♫) À la question « quoi de neuf en peinture ? » Dali répondait : « Vélasquez ! »

PS : pour Rockwell, renseignement pris, je les avais dans le désordre... mais à la réflexion, vu tous les autoportraits identifiables de Picasso qu'on connaît, je me demande si des fois Rockwell ne se foutrait pas un peu de sa gueule ?Hey ! Vous avez vu ? Il s'appuie sur la règle, comme Vermeer et le singe de Chardin !

Catastrophe ! Je me rends compte à l'heure où nous mettons sous presse que j'ai oublié d'y faire figurer la parabole de l'arbre de Paul Klee !!! Tout est à recommencer !

Dernière minute : je vais peut-être rajouter un p'tit papier avec un arbre dessiné d'sus dans la main libre du « regardeur »...

Rappel de la fameuse parabole pour nos amis distraits

[...] Notre artiste s'est donc trouvé aux prises avec ce monde multiforme et, supposons-le, s'y est à peu près retrouvé. Sans un bruit. Le voici suffisamment bien orienté et à même d'ordonner le flux des apparences et des expériences. Cette orientation dans les choses de la nature et de la vie, cet ordre avec ses embranchements et ses ramifications, je voudrais les comparer aux racines de l'arbre. De cette région afflue vers l'artiste la sève qui le pénètre et qui pénètre ses yeux. L'artiste se trouve ainsi dans la situation du tronc. Sous l'impression de ce courant qui l'assaille, il achemine dans l'œuvre les données de sa Vision. Et comme tout le monde peut voir la ramure d'un arbre s'épanouir simultanément dans toutes les directions, de même en est-il de l'œuvre. Il ne vient à l'idée de personne d'exiger d'un arbre qu'il forme ses branches sur le modèle de ses racines. Chacun convient que le haut ne peut être un simple reflet du bas. Il est évident qu'à des fonctions différentes s'exerçant dans des ordres différents doivent correspondre de sérieuses dissemblances. [...]

Paul Klee in « Théorie de l'Art Moderne »