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Projet de la Bible inclusive « Au commencement était le Verbe (la Parole), et le Verbe était avec Dieu ; et le Verbe était Dieu. » (Évangile selon saint Jean 1:1) Tous les écrits bibliques pointent vers le Christ ; c’est pourquoi, à la fin de la proclamation des saintes écritures dans l’Église, nous pouvons dire : « Parole du Seigneur ! » Qu’est-ce que la Bible ? Le mot « bible » vient du grec τ βιβλία , qui est un pluriel : « les livres ». Ainsi, la Bible n’est pas vraiment un livre, mais une bibliothèque. Avant que Dieu s’incarnât, les premiers livres sacrés naquirent au sein du peuple de Dieu dans la première alliance. La plupart des livres de l’Ancien Testament ont été rédigés en hébreu ; certaines parties en ont été écrites en araméen, langue sémitique parlée par le peuple hébreu après le retour de l’exil. Quelques trois siècles avant notre ère, ces écritures ont été traduites en grec par une septantaine de savants juifs de la diaspora d’Alexandrie, ce qui valut à cette version grecque le nom de Septante. La langue vernaculaire du Christ et de l’Église de Jérusalem a été l’araméen ; cependant, le Nouveau Testament a été rédigé en grec, qui était la langue de culture, et c’est principalement dans la Septante grecque qu’a puisé l’Église pour citer l’Ancien Testament dans le Nouveau. La méthode selon laquelle l’Église a gardé les écrits a été la proclamation de ceux-ci dans la liturgie, et le critère de canonisation a été le témoignage de la divinité du Christ dans ces livres. De ce fait, des écrits comme l’évangile selon Pierre ou l’évangile selon Thomas n’ont pas été reconnus, car, d’une part, ils ont été composés par des particuliers, sans que les textes aient été proclamés en Église, et, d’autre part, ils reflètent des doctrines pour le moins incertaines, en contraste avec la foi de l’Église. Dans le processus de discernement, l’orthodoxie de la doctrine au sens restreint – concernant Dieu et l’incarnation – contenue dans les livres a de loin primé sur l’exactitude historique. Au sens restreint de la doctrine, disions-nous, car au sens large, on a même un cas notoire où un enseignement contraire à la pratique de l’Église a pu pénétrer dans le Nouveau Testament. Ainsi, instruite par le Christ, qui lui avait commandé d’absoudre les péchés – « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis » (Jean 20:23) – l’Église pratiquait le sacrement de la pénitence. Par contre, l’auteur de l’homélie que nous appelons épître aux Hébreux était d’avis que, si quelqu’un péchait gravement après le baptême, il n’y aurait plus aucun moyen de réconciliation avec Dieu : « Il est impossible que ceux qui ont été une fois illuminés [...], s’ils retombent, soient renouvelés à la repentance ». Cette opinion allait devenir l’hérésie donatiste. Or, face à l’hérésie donatiste, l’Église a continué ce qu’elle pratiquait depuis le Christ, quitte à contredire l’avis de l’auteur de l’épître aux Hébreux. Nous voyons, donc, que ce n’est pas la Bible qui eût créé l’Église ; au 1

τ βιβλία Septante l’évangile selon Pierre l’évangile selon ...servatianus.files.wordpress.com/2015/10/projet.pdfproclamation de ceux-ci dans la liturgie, et le critère

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  • Projet de la Bible inclusive

    « Au commencement était le Verbe (la Parole), et le Verbe était avecDieu ; et le Verbe était Dieu. » (Évangile selon saint Jean 1:1)

    Tous les écrits bibliques pointent vers le Christ ; c’est pourquoi, à la finde la proclamation des saintes écritures dans l’Église, nous pouvons dire :« Parole du Seigneur ! »

    Qu’est-ce que la Bible ? Le mot « bible » vient du grec τ βιβλίαὰ , qui estun pluriel : « les livres ». Ainsi, la Bible n’est pas vraiment un livre, mais unebibliothèque.

    Avant que Dieu s’incarnât, les premiers livres sacrés naquirent au seindu peuple de Dieu dans la première alliance. La plupart des livres de l’AncienTestament ont été rédigés en hébreu ; certaines parties en ont été écrites enaraméen, langue sémitique parlée par le peuple hébreu après le retour del’exil. Quelques trois siècles avant notre ère, ces écritures ont été traduites engrec par une septantaine de savants juifs de la diaspora d’Alexandrie, ce quivalut à cette version grecque le nom de Septante. La langue vernaculaire duChrist et de l’Église de Jérusalem a été l’araméen ; cependant, le NouveauTestament a été rédigé en grec, qui était la langue de culture, et c’estprincipalement dans la Septante grecque qu’a puisé l’Église pour citerl’Ancien Testament dans le Nouveau.

    La méthode selon laquelle l’Église a gardé les écrits a été laproclamation de ceux-ci dans la liturgie, et le critère de canonisation a été letémoignage de la divinité du Christ dans ces livres. De ce fait, des écritscomme l’évangile selon Pierre ou l’évangile selon Thomas n’ont pas étéreconnus, car, d’une part, ils ont été composés par des particuliers, sans queles textes aient été proclamés en Église, et, d’autre part, ils reflètent desdoctrines pour le moins incertaines, en contraste avec la foi de l’Église. Dansle processus de discernement, l’orthodoxie de la doctrine au sens restreint –concernant Dieu et l’incarnation – contenue dans les livres a de loin primé surl’exactitude historique.

    Au sens restreint de la doctrine, disions-nous, car au sens large, on amême un cas notoire où un enseignement contraire à la pratique de l’Église apu pénétrer dans le Nouveau Testament. Ainsi, instruite par le Christ, qui luiavait commandé d’absoudre les péchés – « Ceux à qui vous remettrez lespéchés, ils leur seront remis » (Jean 20:23) – l’Église pratiquait le sacrementde la pénitence. Par contre, l’auteur de l’homélie que nous appelons épître auxHébreux était d’avis que, si quelqu’un péchait gravement après le baptême, iln’y aurait plus aucun moyen de réconciliation avec Dieu : « Il est impossibleque ceux qui ont été une fois illuminés [...], s’ils retombent, soient renouvelésà la repentance ». Cette opinion allait devenir l’hérésie donatiste. Or, face àl’hérésie donatiste, l’Église a continué ce qu’elle pratiquait depuis le Christ,quitte à contredire l’avis de l’auteur de l’épître aux Hébreux.

    Nous voyons, donc, que ce n’est pas la Bible qui eût créé l’Église ; au

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  • contraire, c’est en Église qu’est née la Bible. De ce fait, la Bible est le cœur dela Tradition – c’est-à-dire la transmission – de l’Église. Le critère strictementdoctrinal étant sauvegardé, l’Église n’a pas eu de problème à reconnaître –c’est-à-dire à proclamer dans la liturgie – plus de livres en une région, etmoins de livres dans une autre, tout en gardant la foi catholique « partout,toujours et par tous », selon le commitoire de saint Vincent de Lérins.

    Les hérétiques ont toujours eu l’habitude de prendre des versetsscripturaires isolés, pour faire dire à l’Église le contraire de ce qu’elle a dit. Ensortant des passages de leur contexte, on peut aller jusqu’à “démontrer”, labible en main, qu’il n’y eût point de Dieu.

    L’Église croit en le Dieu triunique. Ce n’est pas en lisant les saintesécritures qu’elle se fût rendu compte de la triunicité de Dieu, mais elletransmet cette foi depuis les prophètes de l’Ancien Testament et jusqu’à nosjours. Or c’est à travers les saintes écritures, prises dans leur ensemble, quel’Église transmet la foi trinitaire d’une génération à l’autre.

    La Bible étant le témoignage de l’orthodoxie et de l’éthique, et non pasleur source, le peuple de Dieu n’a pas eu de problème à lire ce témoignage àtravers le temps, à la lumière de la loi de l’amour, lors même que les passagesisolés, dans leurs sens littéraux, étaient en contradiction. Ainsi, par exemple,dans la Loi de Moïse, un passage dit ceci : « Le Moabite et l’Ammoniten’entreront pas dans l’Église (ou assemblée) du Seigneur jusqu’à la dernièregénération ; qu’ils n’y entrent point ; qu’ils n’y entrent jamais. [...] Tu ne leurdiras jamais de paroles pacifiques ou conciliantes, tant que tu existeras. »(Deutéronome 23). Dans la Bible nous lisons non seulement cette loi, maisaussi comment deux groupes distincts l’ont interprétée. D’une part, nousavons, dans le chapitre 10 du premier livre d’Esdras, l’histoire d’un grouped’Israélites de retour de l’exil ; les chefs religieux prennent à la lettre lepassage du Deutéronome, en ordonnant aux hommes israélites de répudierleurs épouses étrangères et leurs enfants nés de ces mariages. Rien ne garantitque Dieu ait approuvé ces divorces unilatéraux. Au contraire, la Bible contientle livre de Ruth, dont l’intégralité du contenu va à l’encontre du sens littéraldudit précepte deutéronomique : par temps de famine, ce sont des Moabitesqui accueillent une famille d’Hébreux ; à la fin de la famine, la veuve israéliteNoémie et sa belle-fille moabite Ruth vont en Israël ; Ruth épouse ensecondes noces l’Israélite Booz ; ils seront les grands-parents du roi David etles ancêtres de Jésus Christ. En lisant littéralement et isolément les préceptesde la Loi de Moïse, on aurait à rejeter le roi David ainsi que Jésus Christ,comme fruits de mariages illicites. Mais si nous lisons les saintes écrituresattentivement dans leur ensemble, nous constatons que Ruth, quoiqueMoabite, adorait le Dieu unique, et que, de ce fait, la loi de l’amour l’emportesur le précepte deutéronomique qui, quant à lui, doit être pris juste comme unavertissement contre l’idolâtrie des peuples qui entouraient les Hébreux.

    Un autre exemple est celui du sabbat. Le repos durant le jour du sabbatest l’une des pierres fondamentales du judaïsme, son observance étant

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  • demandée impérativement par l’un des dix commandements. La Loi de Moïseest formelle : « Observez le sabbat, parce qu’il est consacré au Seigneur ; celuiqui le profanera mourra de mort : toute âme qui fera œuvre en ce jour-là seraexterminée parmi le peuple. » (Exode 31:14). On a, dans le livre des Nombresau chapitre 15, un exemple concret du peuple d’Israël qui lapide un hommeayant ramassé du bois le jour du sabbat. Cependant, le Christ a « violé lesabbat » (Jean 15:18, cf. Marc 2:23-28, Luc 14:3-6), afin de guérir desmalades ou de permettre à ses disciples de cueillir de la nourriture ; ilprécise : « Le sabbat a été fait pour l’humain, et non pas l’humain pour lesabbat. »

    De même, dans le Nouveau Testament, l’auteur de la première épître àTimothée déclare : « Je ne permets pas à la femme d’enseigner, ni de prendreaucune autorité sur son mari ; mais il faut qu’elle demeure dans le silence. »(I Tim. 2:12)1. Or cette attitude est opposée à d’autres passages du Nouveautestament : Phœbé est antistite (προστάτις) ou diacre ( διάκονος) de l’Égliseἡdes Cenchrées (Romains 16:1-2) ; la femme Priscille catéchise l’hommeApollos (Actes 18:26). La question doit être lue à la lumière du Christressuscité, qui non seulement permet, mais demande aux femmesmyrrhophores – premières témouines de la résurrection – d’aller annonceraux apôtres la résurrection (Jean 20:17-18, Matthieu 28:5-11, Marc 16:1-10,Luc 24:9-10, 22-23).

    Il n’est, donc, pas étonnant de constater l’ordre des lectures bibliquesdans la liturgie. Dans la liturgie synagogale, on commence par le Pentateuque– les cinq livres de Moïse – et l’on finit par une lecture des livres desprophètes. Dans la liturgie chrétienne, l’Ancien Testament vient d’abord,ensuite le Nouveau, à l’exception des évangiles, et pour finir un passage desévangiles. De ce fait, les prophètes sont la clef de l’interprétation de la Loi deMoïse, et le Christ est la clef d’interprétation de tout l’Ancien et le NouveauTestaments.

    La Bible inclusive

    Certains lecteurs se demanderont pourquoi il nous a fallu publier unebible « inclusive ». On devrait plutôt se demander pourquoi il a fallu publieren français des dizaines de versions des saintes écritures. Chaque versionessaie de combler un manque particulier. Ainsi, par exemple, il y a eu destraducteurs qui ont voulu produire des versions simples, compréhensibles partout un chacun ; d’autres traducteurs, au contraire, ont préféré l’exactitude àla simplicité, en utilisant des mots précis, mais probablement inconnus partout un chacun ; certains ont insisté sur les ministères dans l’Églisechrétienne, alors que certains autres les ont minimisés etc.

    Pour l’Ancien Testament, cette version emploie largement la traduction

    1 Ceci sera repris dans la Didascalie éthiopienne, dont il sera question plus loin.

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  • que Pierre Giguet a faite à partir de la Septante grecque ; quant au NouveauTestament, il a été largement emprunté à la traduction de David Martin,parfois sous la révision de Frédéric Osterwald ; toutefois, les deux ont étécorrigées sur la version de Port-Royal2 et sur la Bible de Louvain, qui sont destraductions sur la Vulgate latine. Pour les psaumes, nous avons utilisé lemême principe que pour le reste de l’Ancien Testament, à la différence quequelques corrections ont été faites à partir de la Bible de Londres, étant donnéque la forme des psaumes de cette dernière avait été conçue pour l’usageliturgique. Les livres tritocanoniques éthiopiens, ainsi que d’autres passagesqui font défaut dans les traductions existantes ont été traduits par nos soins,comme il sera expliqué plus loin.

    Voici une liste exhaustive de versets où aucune de ces versions sus-citées n’était satisfaisante, et où l’on a dû choisir d’autres traductionsparticulières :

    α. Genèse 2:23 : « Celle-ci sera appelée “hommesse”, parce qu’elle a étéprise de la chair même de l’homme. » En hébreu, le mot אשה (femme) dérived’איש (homme).

    β. Lévitique 18 et 22. Voir explications plus bas.γ. Le psaume 95 (96), le verset 9 (10) apparaît dans la Vetus latina

    ainsi : « Dicite in nationibus : quia Dominus regnavit a ligno » (« Dites parmiles nations : le Seigneur a régné par le bois »). La leçon « a ligno » n’apparaîtpas dans les texte massorétiques, ni dans la plupart des version de laSeptante. Une seule version bilingue aurait, pour la partie grecque, la leçon« π ξύλουἀ ὸ ». Saint Justin, le philosophe martyr du deuxième siècle, cite engrec ce verset avec la leçon « π το ξύλουἀ ὸ ῦ ». À la même époque, l’épîtreapocryphe de Barnabé paraphrase cette leçon ainsi : « βασιλεία ησο πἡ Ἰ ῦ ἐ ὶξύλου » (« le règne de Jésus sur le bois »). De même, les pères occidentauxdes siècles suivants citent ce verset avec la leçon « a ligno ». Le pèreHunwicke suppose3 que cette leçon se trouvât à l’origine en hébreu, avecréférence à l’arche de l’alliance. Enfin, la liturgie romaine utiliseabondamment ce verset en rapport avec la passion du Christ ; de même, lespremières vêpres dominicales du rite byzantin, au graduel. Pour toutes cesraisons, nous avons pris en compte cette leçon.

    δ. Isaïe 45:8. La plupart des traductions donnent : « Cieux, répandezd’en haut votre rosée », « Vous, cieux, envoyez la rosée de dessus », « Ô cieux,envoyez la rosée d’en haut » etc. La Vulgate dit : « Rorate, cæli, desuper ». Ilest évident que l’objet du verset n’est pas la rosée, mais le Christ. La rosée setrouve dans le verbe. En français, nous avons le verbe « rosoyer » qui,quoique rare dans notre société post-industrielle, traduit bien le verbe rorare.

    2 Cette traduction a été effectuée par les Messieurs et les moniales de Port-Royal, sous ladirection de L.-Isaac Lemaistre. Elle a été d’abord publiée sous pseudonyme,prétendument à Mons, en réalité à Amsterdam, ensuite à Bruxelles.

    3 http://liturgicalnotes.blogspot.be/2014/04/regnavit-ligno-deus.html – consulté le20 avril 2014.

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    http://liturgicalnotes.blogspot.be/2014/04/regnavit-ligno-deus.html

  • Nous avons donc traduit le passage latin littéralement : « Rosoyez, ô cieux, dedessus », ce qui s’articule parfaitement avec son utilisation dans la liturgie.

    ε. I Corinthiens 6:9 et I Timothée 1:10, voir plus bas.ζ. Aucune des versions francophones de la Bible que nous connaissons

    ne traduit correctement le Galates 3:28. Les traductions habituelles donnent :« où il n’y a ni Juif ni Grec : où il n’y a ni esclave ni libre : où il n’y a ni mâle nifemelle : car vous êtes tous un en Jésus-Christ » (Martin), « Il n’y a plusmaintenant ni de Juif, ni de gentil : ni d’esclave, ni de libre ; ni d’homme, nide femme ; mais vous n’êtes tous qu’un en Jésus-Christ » (Port-Royal), « Iln’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni hommeni femme ; car tous vous êtes un en Jésus Christ » (Second). Or l’original grecdit : « ο κ νι ουδα ος ο δ λλην, ο κ νι δο λος ο δ λεύθερος, ο κὐ ἔ Ἰ ῖ ὐ ὲ Ἕ ὐ ἔ ῦ ὐ ὲ ἐ ὐ

    νι ρσεν ἔ ἄ καὶ θ λυ· πάντες γ ρ με ς ε ς στε ν Χριστ ησοῆ ὰ ὑ ῖ ἷ ἐ ἐ ῷ Ἰ ῦ », ce quisignifie : « il n’y a point/plus de Juif ni Grec, il n’y a point/plus d’esclave nilibre, il n’y a point/plus de mâle et femelle ; car tous vous êtes un en ChristJésus ». En réalité, saint Paul cite la Genèse 2:5 : « ρσεν κα θ λυ ποίησενἄ ὶ ῆ ἐα το ςὐ ὺ » (« mâle et femelle les créa-t-il »). Nous avons donc traduit leGalates 3:28 ainsi : « Il n’y a plus de Juif, ni de Grec ; il n’y a plus d’esclave, nide libre ; il n’y a plus de “homme et femme” ; car vous êtes tous un en JésusChrist. »

    À l’instar de Pierre Giguet, de la Bible de Port-Royal et de la Bible deLondres, nous avons utilisé l’orthographe de 1835. Ainsi, nous avons desformes telles que : avénement et événement, célèbrerai et prospèrera, siége etpiége, moëlle et aiguës, côte et côteau etc.

    Pourquoi avoir utilisé d’autres traductions, au lieu d’en faire unenouvelle ? Les traductions dont nous disposons dans le domaine public sontgénéralement bonnes. La Bible de Londres a juste révisé la version deFrédéric Osterwald, en la faisant parfois correspondre à la Bible anglophonedu Roi Jacques et au psautier de Miles Coverdale ; Frédéric Osterwald n’a pasfait de nouvelle traduction, mais il a juste corrigé celle de David Martin ;Pierre Giguet a retenu beaucoup de passages de Port-Royal, qu’il a justecorrigés sur la Septante. Enfin, la Bible sortie par Bibliopolis/Succès du livre autilisé la Bible Second 1910 avec les deutérocanoniques de Port-Royal et unessai d’homogénéisation du texte.

    Pourquoi ne pas avoir utilisé une seule traduction ? Aucune destraductions se trouvant dans le domaine public ne s’élevait entièrement àtoutes les exigences recherchées par la présente édition, même si ellestouchaient, tantôt une, tantôt l’autre, la plupart des principes d’inclusivité.

    1. Les Deutéro- et tritocanoniques

    Lors de la destruction du Temple de Jérusalem en l’an 70 après leChrist, de tous les partis juifs de l’époque, il ne restait plus que l’Églisechrétienne et le judaïsme rabbinique non-chrétien. Ce dernier retint un

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  • nombre d’écritures saintes de l’Ancien Testament plus restreint que leschrétiens. Les livres de l’Ancien Testament qui ont été gardés par l’Églisechrétienne, mais non par le judaïsme rabbinique non-chrétien, s’appellentdeutérocanoniques, c’est-à-dire « du second canon ».

    Cependant, les chrétiens n’ont pas tous la même vision sur lesdeutérocanoniques. La plupart des protestants les rejettent purement etsimplement ; l’Église de Rome accepte les deutérocanoniques au même titreque les autres livres bibliques ; la plupart des Églises orientales et anglicanesconsidèrent les deutérocanoniques comme bons à lire, et elles les lisent dansleur liturgie, mais sans y attacher d’importance doctrinale. Il y a enfin deslivres tardifs, que la plupart considèrent apocryphes, mais qui sont reconnuscomme canoniques par l’Église éthiopienne et – quant à ceux d’entre eux quise trouvent seulement dans l’Ancien Testament – par les Hébreux éthiopiens.La plupart des « tritocanoniques » ne se trouvent dans aucune versionoccidentale de la Bible. Ils ont été traduits en anglais et publiés en fasciculesséparés. Quelques-uns ont été traduits en français aussi, et se trouvent dans ledomaine public.

    Nous considérons que, pour qu’une Bible soit inclusive, elle devraitcontenir également les livres tritocanoniques. Là où l’on n’a pas trouvé detraduction francophone de ces livres, nous les avons retraduits à partir destraductions anglophones. Puisse Dieu le tout-puissant susciter, parmi lesimmigrés éthiopiens parmi nous, quelqu’un qui connaisse le guèze et lefrançais, afin de nous fournir un jour des traductions inédites de tous ceslivres éthiopiens !

    Notons aussi que le canon syrien comprend également le 2 Baruch etcinq psaumes supplémentaires, mais, en revanche, il ne connaissait ni lesépîtres catholiques, ni l’Apocalypse. Pour s’aligner sur le canon les autresÉglises, les bibles syriennes, à partir de 1823, ont introduit les livres“manquants”. De même, nous considérons de notre devoir d’inclure dansnotre version les tritocanoniques syriens.

    L’Église arménienne, faussement accusée pendant longtemps d’êtremonophysite, s’en est défendue, en incluant dans sa bible une « troisièmeépître aux Corinthiens », un écrit qui rejette avec force le monophysisme.

    Reste la question de l’ordre des livres dans la bible. Les Juifs mettentdans l’ordre la Loi, les prophètes, les autres écrits. À la base, chaque Égliseparticulière a mis les livres bibliques dans l’ordre supposé de la chronologiedes événements. De ce fait, par exemple, la bible latine a Judith avant Esther,alors que les bibles syriennes ont Job juste après le Pentateuque. À partir dela bible anglophone de Miles Coverdale, la tendance est de mettre lesdeutérocanoniques à la fin de l’Ancien Testament ; cette méthode a été suivie,par exemple, dans les bibles roumaines, dans la TOB etc., et les Éthiopienss’en sont inspirés aussi, pour mettre les tritocanoniques du NouveauTestament à la fin de celui-ci. La numérotation éthiopienne fait cependantune erreur à la fois chronologique et théologique : la guerre judéo-romaine a

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  • eu lieu après le Christ, donc le livre Joseph Gourion n’a pas sa place dansl’Ancien Testament, mais dans le Nouveau ; de surcroît, la continuité del’Ancien Testament dans le Nouveau est capitale.

    Nous avons opté pour un ordre suivant la chronologie supposée desévénements ; néanmoins, nous gardons les évangiles et les épîtres dansl’ordre habituel. Tout compte fait, notre édition commence, elle aussi, par le« commencement » de la Genèse, et s’achève par le « Viens, SeigneurJésus ! ».

    Voici la liste des livres contenus dans la Bible inclusive. Lesdeutérocanoniques sont marqués d’un « ² » ; les tritocanoniques d’un « ³ » :

    1. Genèse 2. Exode 3. Lévitique 4. Nombres 5. Deutéronome 6. Josué Navé 7. Juges 8. Ruth 9. I Samuel (I Règnes) 10. II Samuel (II Règnes) 11. III Règnes (I Rois) 12. IV Règnes (II Rois) 13. I Chroniques 14. II Chroniques [+ ²prière de Manassé] 15. ³Jubilés 16. ³Hénoch 17. I Esdras 18. Néhémie 19. ³IV Esdras (II Esdras) 20. ¹+²Esther 21. ²Tobie 22. ²Judith 23. Job 24. ¹+³Psaumes 25. Proverbes 26. Ecclésiaste 27. Cantique des cantiques 28. ²Sagesse de Salomon 29. ²Ecclésiastique (Josué Siracide) 30. Isaïe 31. Jérémie 32. Lamentations de Jérémie33. ²Épître de Jérémie

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  • 34. ²I Baruch35. ³II Baruch 36. Ézéchiel 37. ¹+²Daniel 38. Osée 39. Amos 40. Michée 41. Joël 42. Abdias 43. Jonas 44. Nahum 45. Habacuc 46. Sophonie 47. Aggée 48. Zacharie 49. Malachie 50. ²I Macchabées 51. ²II Macchabées 52. ³III Macchabées 53. ³IV Macchabées 54. ³V Macchabées (I Macchabées éthiopien) 55. ³VI Macchabées (II Macchabées éthiopien) 56. ³VII Macchabées (III Macchabées éthiopien)

    57. Matthieu 58. Marc 59. Luc 60. Jean 61. Actes 62. Romains 63. I Corinthiens 64. II Corinthiens 65. ³III Corinthiens 66. Galates 67. Éphésiens 68. Philippiens 69. Colossiens 70. I Thessaloniciens 71. II Thessaloniciens 72. I Timothée 73. II Timothée 74. Tite 75. Philémon 76. Hébreux

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  • 77. Jacques 78. I Pierre 79. II Pierre 80. ³Clément 81. I Jean 82. II Jean 83. III Jean 84. Jude 85. ³Canons de Sion 86. ³Commandements 87. ³Exposé 88. ³Titres 89. ³I Testament du Seigneur 90. ³II Testament du Seigneur 91. ³Didascalie éthiopienne 92. ³Joseph Gourion 93. Apocalypse

    2. Orthodoxie

    Certaines versions modernes et contemporaines de la Bible ontsupprimé les prophéties messianiques. En choisissant des traductionsorthodoxes, les prophéties messianiques restent incluses dans cette version.

    3. Langue inclusive

    La plupart des traductions francophones modernes de la Bibleemploient le patois parisien, quitte à détruire les symbolismes. Par exemple,lorsque le Christ nous dit qu’il faut pardonner « septante fois sept fois »(Matthieu 18:20-21), il ne veut pas dire « 490 fois », mais « toujours ».Malheureusement, la plupart des versions donnent « soixante-dix fois septfois », syntagme qui fausse le symbolisme du texte. De même, lorsque le BonPasteur laisse ses « nonante-neuf brebis » pour aller chercher la brebisperdue (Luc 15:4), il ne s’agit pas de 4×20+19, comme laissent croire laplupart des versions, mais de « toutes sauf une ».

    Afin de refléter le symbolisme authentique des numéraux dans la Bible,ainsi que la dimension internationale de la langue française, nous les avonsutilisés tels que dans la Bible de Louvain. Notez que « octante » peutégalement être prononcé huitante, huiptante etc., selon les régions.

    4. Tutoiement

    Par souci d’orthodoxie doctrinale et d’uniformité, le tutoiement a étégénéralisé. Même si le vouvoiement est courant dans d’autres langues comme

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  • le wallon ou l’anglais contemporain, le français a la chance de conserver letutoiement.

    Lorsque Abraham reçut Dieu en trois personnes, il se prosterna devantlui, en l’invoquant au singulier : « Seigneur, si j’ai trouvé grâce devant toi, nepasse pas outre devant ton serviteur. » (Genèse 18:3). Ceci estparticulièrement important pour la compréhension du monothéisme de notrefoi. Dans les versions vouvoyantes des saintes écritures, cela ne sort pas enévidence.

    5. Dimensions internationale et interrégionale

    Cette version a une dimension internationale et interrégionale, de parses traducteurs suisse (Jean-Frédéric Osterwald), occitan (David Martin),picard (Pierre Giguet), belges (Louvain), franciliens (Port-Royal), anglais etalsaciens (Bible de Londres). Parfois, les différentes variétés de françaisressortent heureusement en évidence.

    Dans nos traductions des livres tritocanoniques, nous n’avons pashésité à employer la langue française internationale, afin d’inclure des motsfrancophones des différents pays. Entre autres, les quatre radicaux du verbeasseoir ont été employés : assoi-, assied-, assi-, assey-.

    6. Dimension postdénominationelle

    La Bible inclusive inclut, de par les versions employées, des traducteursanglicans, arminiens, calvinistes, catholiques-romains, luthériens et vieux-catholiques.

    Précédemment, ce genre de démarche se faisait par le principe du pluspetit dénominateur commun, en excluant les particularités des différentesÉglises, ou, si vous voulez, l’intersection d’une série d’ensembles. À l’inverse,nous avons préféré conserver la réunion des ensembles, en choisissant lesleçons les plus en accord avec l’identité de l’Église, afin de conserverl’intégrité doctrinale.

    7. Dimension liturgique

    La plupart des bibles qu’on trouve dans le commerce ont été impriméespour l’usage personnel et pour l’étude. Elles affluent en notes de bas de page,et c’est très bien. Notre version se veut plutôt liturgique. De ce fait, des notesen bas de page seraient superflues. Nous nous sommes souciés de la lisibilitédu texte, afin qu’on puisse l’utiliser au lutrin.

    8. Dimension financière

    Il y a peu de versions bibliques qui soient financièrement accessibles à

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  • tout un chacun, notamment à cause des droits d’auteur réservés par lestraducteurs/réviseurs. Nous espérons que cette bible sera satisfaisante auniveau du coût. D’ailleurs, cette version n’est pas copyrightée.

    9. Sans anachronismes

    Les anachronismes sont assez récurrents dans les différentestraductions de la Bible. Deux d’entre eux portent atteinte à la théologie desministères. Tout d’abord, il est question, dans les saintes écritures, de lanotion de כהן, en grec ερεύςἱ , en latin sacerdos. Pendant longtemps, cela a étérendu en français par le mot « prêtre », et cela est toujours le cas dans laplupart des traductions contemporaines. Or le mot « prêtre » vient du grecπρεσβύτερος, et désigne un ministère chrétien. Pierre Robert Olivétan a été lepremier à éliminer cet anachronisme, et a traduit /כהן ερεύςἱ par« sacrificateur », mot issu à la base de « sacré », ce qui correspond bien à lanotion en question. De ce fait, nous avons suivi Olivétan en employant le mot« sacrificateur ».

    D’autre part, dans le Nouveau Testament, il y a les πίσκοποι-ἐπρεσβύτεροι et les διάκονοι. Même si leurs fonctions dans l’Église primitiveont été quelque peu différentes que de nos jours, ces trois mots grecs ontdonné en français les mots « évêque », « prêtre », « diacre ». Ces trois motssont présents dans la Bible de Louvain et chez Louis-Isaac Lemaistre, et lepremier et le dernier sont également employés par David Martin, Jean-Frédéric Osterwald et dans la Bible de Londres. Nous rejetons fermementl’attitude de certaines bibles contemporaines, qui ont éliminé ces ministèresecclésiaux de leurs versions, en les remplaçant par des xénismes ou par desmots séculiers, et qui, ce faisant, portent atteinte à la catholicité de l’Église.

    10. Sans homophobie

    La plupart des versions contemporaines de la Bible se servent dessaintes écritures pour promouvoir l’agenda homophobe. Des traductionsbibliques qui sont généralement très scrupuleuses, jusqu’à traiter en bas depage à propos des variétés botaniques présentes dans la Bible, mais qui n’ontqu’un impact négligeable sur la vie chrétienne, n’ont aucun scrupule à utiliseranachroniquement le mot « homosexuel » pour “traduire” les mots μαλακοί et

    ρσενοκο ταιἀ ῖ . Ces mots se trouvent dans deux passages, à savoir : dans la Ièreépître de saint Paul aux Corinthiens 6:9 et dans l’épître tritopaulinienne Ière àTimothée 1:10.

    Littéralement, μαλακοί signifie « mous ». Les homophobes ont choiside l’interpréter comme efféminés ou homosexuels. La langue maternelle desaint Paul a été l’araméen, et la première traduction du Nouveau Testament aété la Peshitta ou vulgate syrienne, qui date de l’époque même de la rédaction

    11

  • du Nouveau Testament. La Peshitta traduit μαλακοί par 4מחבלא, qui signifie« destructeurs », ce qui démontre une compréhension morale, non sexuelle,du mot grec.

    Quant au mot ρσενοκο ται, les homophobes l’interprètent aussi enἀ ῖréférence à l’homosexualité “pure et simple”, en prétendant qu’il s’agirait decoïteurs de mâles5. Au premier abord, ce mot emploie une forme féminine, cequi signifie qu’il se réfère soit à des femmes, soit à un métier unisexe. Lamoindre des choses aurait été de le traduire littéralement comme « coïteusesde mâles ».

    Ensuite, il y a un énorme problème dans ces traductions homophobes :le sens d’un mot composé n’est pas toujours la somme des sens des deux motsqui le composent. Par exemple, en employant cette méthode dans unetraduction français-anglais, elle serait automatiquement invalidée : la pommede terre n’est pas earth apple, ni chèvre chaud hot goat, ni belle-sœur sheensister ; dans l’autre sens, kidney beans ne signifie pas pois pulmonaires, nihot dog chien chaud, ni divine office divin bureau, ni trade union unioncommerciale, ni holidays jours saints etc. En français, effacer vient de é +face, mais ça ne veut pas nécessairement signifier « défigurer » ; de même,une pomme de terre n’est nullement une mala terrensis.

    Donc les ρσενοκο ται seraient autre chose que des coïteurs ouἀ ῖcoïteuses de mâles, purement et simplement. Et la Peshitta nous donneraison, car elle emploie דכרא 6שכבי עם , qui veut dire « [ceux/celles] quiviolent [les] homme[s] ».

    Les deux passages du Lévitique que l’on invoque contre les gais sont18:22 et 20:13. La plupart des traductions, à l’instar de la Vulgate latine,donnent ceci : « Tu ne coucheras point avec un homme comme on coucheavec une femme. C’est une abomination. // Si un homme couche avec unhomme comme on couche avec une femme, ils ont fait tous deux une choseabominable; ils seront punis de mort : leur sang retombera sur eux. »

    D’autres versions donnent quelque chose d’un peu différent. Parexemple :

    La Bible Giguet : « Tu n’auras pas commerce avec un autre homme,comme avec une femme, car c’est une abomination. // Si un homme acommerce avec un autre homme comme avec une femme, qu’ils meurent demort tous les deux ; ils ont commis une abomination ; ils sont coupables. »

    La Bible de Port-Royal : « Vous ne commettrez point cette abomination

    4 En hébreu moderne, מחבל = « terroriste ».5 Ayant trouvé le mot ρσενοκο ται traduit par «ἀ ῖ homosexuels » dans l’une des versions

    populaires en français, j’ai écrit au comité de traduction, en leur expliquant les tenantset les aboutissants. En guise de réponse, un professeur d’université m’a envoyé unepage photocopiée d’un dictionnaire grec-français qui est la traduction d’un dictionnairegrec-anglais plus ancien, dont j’ai eu du mal à identifier les auteurs.

    6 Le même verbe se trouve dans Isaïe 13:16 (« leurs maisons seront pillées, et leursfemmes violées ») et Zacharie 14:2 (« les femmes seront violées »).

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  • où l’on se sert d’un homme comme si c’était une femme. // Si quelqu’un abused’un homme comme si c’était une femme, qu’ils soient tous deux punis demort, comme ayant commis un crime exécrable : leur sang retombera sureux. »

    La Bible de Louvain : « Tu ne te mêleras point avec le mâle parcompagnie féminine ; c’est abomination. // Celui qui couchera avec le mâlepar compagnie féminine, l’un et l’autre a fait péché exécrable ; qu’ils meurentde mort. »

    Chouraqui : « Avec un mâle, tu ne coucheras pas à coucherie de femme.C’est une abomination. // L’homme qui couchera avec un mâle à coucherie defemme, ils font une abomination, les deux. Ils sont mis à mort, à mort, leurssangs contre eux. »

    La Septante grecque donne ceci : « Kα μετ ρσενος ο κοιμηθήσὶ ὰ ἄ ὐ ῃκοίτην γυναικός, βδέλυγμα γάρ στιν. // Kα ς ν κοιμηθ μετ ρσενοςἐ ὶ ὃ ἂ ῇ ὰ ἄκοίτην γυναικός, βδέλυγμα ποίησαν μφότεροι, θανατούσθωσαν, νοχοίἐ ἀ ἔε σιν.ἰ » Littéralement : « Et avec le/un mâle tu ne coucheras le lit d’une/lafemme, car c’est horreur. // Et celui qui couchera avec le/un mâle le lit dela/une femme, horreur font les deux, qu’ils se tuent, coupables sont-ils. »

    L’hébreu massorétique : « ואת זכר לא תשׁשכב משׁשכבי אשׁשה תועבה הוא׃ »et « ואישׁש אשׁשר ישׁשכב את זכר משׁשכבי אשׁשה תועבה עשׂשו שׁשניהם מות יומתו דמיהם׃ »

    Afin de déterminer comment traduire ces versets, nous nous référons àun article écrit par le théologien Noah Marsh, que nous traduisons ce-dessousen entier.

    Qui est ma chair ?La Mise à découvert de l’honneur familial dans le Lévitique 18:7-23

    « Et le Seigneur parla à Moïse, disant : “Parle aux fils d’Israël, dis-leur :Je suis le Seigneur votre Dieu ; vous ne vous conduirez pas selon les mœursde l’Égypte, où vous avez demeuré ; vous ne vous conduirez pas selon lesmœurs de Chanaan, où je vous mène ; vous ne marcherez point suivant leurslois. Vous exécuterez mes jugements, vous observerez mes préceptes, et vousmarcherez selon ce qu’ils prescrivent : je suis le Seigneur votre Dieu”. »(Lévitique 1:1-4). Le chapitre 18 du Lévitique, qu’on pourrait qualifier de“sexuel”, commence avec ce qui ressemble à un programme xénophobe. Or,c’est juste le contraire. Le Lévitique 18:6 définit la famille du lecteur, la« chair », comme quelque chose dont on doit protéger l’honneur. Dans lesseize versets suivants, l’honneur est présenté dans trois séries. Enfin, tout lechapitre 18 du Lévitique exige du lecteur de protéger l’honneur de tous leshumains, car tout honneur vient du SEIGNEUR. Ainsi, le Lévitique 18 considèreque tous les humains sont la famille du lecteur, même les nations qu’il sembleexclure dans les premiers versets7.

    7 Traditionnellement, les biblistes divisent le Lév. 18:7-23 en deux sections : Lév. 18:7-17

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  • Après une brève introduction pour dire au peuple d’obéir auxcommandements du SEIGNEUR (18:1-5), le Lévitique 18:6 commence unelongue liste de préceptes. Toute les autres interdictions parlent à la deuxièmepersonne du singulier, alors que celle-ci parle au pluriel. L’utilisation dupluriel et le fait qu’il se trouve en tête de la liste des préceptes signifient quecette interdiction fonctionne comme introduction vis-à-vis de tous lespréceptes8.

    En tant qu’introduction, le Lévitique 18:6 présente le principe seréférant à chaque précepte du chapitre, à savoir : « Personne ne s’approcherad’un parent de sa chair, pour mettre à découvert sa nudité : je suis leSeigneur. »9

    Dans le Lévitique, le syntagme « mettre à découvert la nudité » apparaîtseulement dans ce passage, ainsi que dans le parallèle Lévitique 20 ; donc ondoit regarder ailleurs, pour voir ce que ce syntagme signifie. Ailleurs, la Biblehébraïque mentionne la « mise à découvert de la nudité » huit fois10. Dans ceshuit cas, mettre à découvert la nudité de quelqu’un, c’est le punir, lui fairehonte, le déshonorer.11 C’est pourquoi, lorsque le Lévitique interdit que l’onmette à découvert de la nudité de quelqu’un, il s’adresse à la personne qui lit,donc au lecteur, en lui interdisant de déshonorer ce quelqu’un. Ainsi, leLévitique 18:6 considère l’honneur comme point de départ de tous les interdisqui suivent12.

    Après avoir interdit formellement que l’on déshonore la « chair », leLévitique 18:7 applique cela à la famille biologique du lecteur, en

    et 18:18-23, par convention. Pour un débat et une analyse détaillés des différentespositions, voyez Joanne M. Dupont, Women and the Concept of Holiness in the"Holiness Code" (Leviticus 17-26). Literary, Theological and Historical Context (thèsede doctorat, Université de Marquette, 1989) pages 92-96. Dans cette étude, personne nesuggère une division entre Lév. 18:19 et 18:20. Alors que la forme de 18:18-23 estdifférente de 18:7-17, cette division double ne tient pas compte de l’absence abrupte dusyntagme-clef « tu ne mettras pas à découvert la nudité » à partir de 18:20. – NDA

    8 Adrian Schenker, « Quel rapport y a-t-il entre les prohibitions de l’inceste et les autresprohibitions du Lévitique 18 et 20 », in The Book of Leviticus. Composition andReception, dir. Rolf Rendtorff et Robert A. Kugler, VTSup, SBL Press, Atlanta, 2003,page 163. Schenker pense que le Lévitique 18:6 est une introduction seulement pour lepassage Lév. 18:7-18, étant donné que 18:19-23 ne traite des rapports familiauxd’aucune sorte. – NDA

    9 On ne peut pas ignorer la connexion du Lévitique 18:6 avec 18:7-23. C’est le seulprécepte apodictique de tout le chapitre 18. Le 18:6 met en avant des termes qui serontrépétés tout au long du passage : « chair », « ne pas s’approcher », « mettre à découvertsa nudité », « Je suis le Seigneur. » – NDA

    10 Exode 20:26 ; Isaïe 47:3 ; Ézéchiel 16:36-37 ; 22:10 ; 23:10, 18, 29. – NDA11 On fait honte à quelqu’un pour l’encourager à se corriger. Voyez le débat sur la honte

    chez Matthews, Gender-Related Legal Situations, pages 97-112, surtout 98. – NDA12 Même si le Lévitique 18:20-23 n’utilise pas le vocabulaire de la nudité mise à découvert,

    néanmoins, c’est l’honneur qui y est en jeu. Nous reviendrons à ces quatre versets endétail plus tard dans cet article, afin de comprendre comment ils élargissent le thème del’honneur qui se trouve dans les autres interdictions. – NDA

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  • commençant par sa mère et son père, pour passer à toute une série de gens desa famille : sa belle-mère (18:8), sa sœur et sa demi-sœur (18:9), ses petites-filles (18:10), sa sœur adoptive (18:11), ses tantes paternelle (18:12) etmaternelle (18:13).

    Le Lévitique identifie la personne directement comme parentebiologique du lecteur (18:7, 9, 11), ou il dit que la nudité de celle-ci est celled’un parent biologique du lecteur (18:8, 10)13.

    Deux de ces préceptes vont plus loin qu’un parent biologique. LeLévitique 18:12 et 18:13 reprennent le verset introductif, en utilisant le mot« chair » pour nommer la parenté14.

    Ces trois passages sont les seules mentions du mot « chair » dans desconstructions de phrase, dans tout le chapitre. Ceci suggère que la « chair »fonctionne comme une anaplodiplose15, en indiquant que les interdictions ducontenu font savoir au lecteur qui est sa « chair ». En effet, cela est soulignépar une seconde anaplodiplose16. Le Lévitique 18:7 et 18:13 sont, dans cechapitre, les seuls exemples du syntagme « elle est [...] ta mère ». Ainsi, cessept versets signifient que les parents biologiques du lecteur sont sa chair, etlui interdisent de les déshonorer.

    Alors que le Lévitique identifie qui est la chair du lecteur, la liste semblecourte, étant donné toutes les possibilités de parenté biologique.Évidemment, le passage n’exclut pas la fille même du lecteur. On a beaucoupessayé d’expliquer pourquoi la fille du lecteur n’est pas explicitementmentionnée, mais il ne faut pas chercher d’explication. La liste des parents nese veut pas exhaustive. Elle fait le tour des parents biologiques sur les quatregénérations d’une maisonnée juive. Le Lévitique commence par la générationau-dessus du lecteur (18:7-8), puis il passe à la génération même du lecteur(18:9)17. Puis le Lévitique passe aux deux générations au-dessous du lecteur(18:10), puis il revient à la génération du lecteur (18:11), avant de finir avec lagénération au-dessus du lecteur (18:12-13). Cette façon fait le tour de la

    13 Il est intéressant de noter que les préceptes alternent entre ceux qui font référence à unparent biologique et ceux qui parlent des gens dont la nudité est celle d’un parentbiologique. On aura une alternance similaire dans la troisième série depréceptes. – NDA

    14 James W. Watts, The Rhetoric of Ritual Instruction in Leviticus 1-7, in The Book ofLeviticus. Composition and Reception, dir. Rolf Rendtorff et Robert A. Kugler, VTSup,SBL Press, Atlanta, 2003, pages 79-100. Watts considère la répétition et la modificationcomme figures de styles tout au long du Lévitique. – NDA

    15 L’anaplodiplose, en latin et anglais inclusio, est une figure de style, qui consiste en unmotif qui entoure un texte, apparaissant à la fois au début et à la fin dudit texte, enbouclant la boucle. – NDT

    16 L’affirmation du Lévitique 18:7, « C’est ta mère הוא) ; (אמך tu ne mettras pas àdécouvert sa nudité » revient dans 18:13 : « Tu ne mettras pas à découvert la sœur de tamère, car elle est la chair de ta mère (כי־שאר אמך הוא). » – NDA

    17 Toutes les sortes de sœurs y sont comprises. – NDA

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  • famille tout entière du lecteur18.Des quatre générations, l’énumération met l’accent sur la génération

    en-dessous de deux façons. Tout d’abord, le Lévitique parle d’elle au début età la fin. Deuxièmement, le Lévitique lui accorde une trop grande attention parrapport aux autres générations. La génération en-dessous occupe quatreversets sur les sept au total. Aussi, quatre parents de la génération au-dessoussont mentionnés, alors que les trois autres générations sont représentées parseulement cinq parents au total. Ces interdictions mettent l’accent sur lagénération au-dessus du lecteur, car c’est la génération de laquelle vientl’honneur du lecteur19. Dans l’ancien Israël, les membres de la famille tiraientleur honneur du chef de la famille20. Si un patriarche décédait, la générationsuivante de mâles devenaient les chefs de leurs familles respectives. Parexemple, le Lévitique 18:10 interdit de déshonorer ses petites-filles, parce que« c’est ta propre nudité », ce qui veut dire que l’honneur des petites-filles dulecteur l’honneur même du lecteur. Ainsi, déshonorer sa petite-filles, c’est sedéshonorer soi-même.

    Bref, ces sept premiers versets (Lév. 18:7-13) mettent l’accent surl’honneur de la génération ascendante, parce que l’honneur du patriarche estl’honneur de la maisonnée. Si un parent biologique se fait déshonorer, ledéshonneur tombe sur le chef de famille du lecteur, et enfin sur le lecteurmême.

    18 Il est communément admis que la famille israélite s’étend sur trois générations (lagénération du chef de famille et les deux en-dessous) ou sur quatre (la génération duchef de famille, la génération au-dessus, les deux générations au-dessous) ; cf. Exode20:6. Pour des explications détaillées sur la structure généalogique de la maisonnéeisraélite, voyez S. Bendor, The Social Structure of Ancient Israel. The Institution of theFamily (BEIT'AB) From the Settlement to the End of the Monarchy , Simor, Jérusalem,1996, pages 48-66 ; Philip J. King et Lawrence E. Stager, Life in Biblical Israel,Westminster John Knox, Louisville, 2001, pages 36-61 ; Madeline Gay McClenney-Sadler, Recovering the Daughter’s Nakedness. A Formal Analysis of Israelite KinshipTerminology and the Internal Logic of Leviticus 18 , dir. Claudia V. Camp et AndrewMein, vol. 476, T & T Clark, New-York, 2007, pages 26-75 ; Leo G. Perdue, et al.,Families in Ancient Israel, dir. Browning and Evison, Westminster John Knox,Louisville, 1997). Un compte-rendu des différentes explications pourquoi la fille n’estpas mentionnée dans ce code “exhaustif” de l’inceste peut être consulté chez JonathanR. Ziskind, The Missing Daughter in Leviticus XVIII, 46, n° 1 (1996), pages 125-130.Ziskind suggère que la fille n’est pas mentionnée pour ne pas saper l’autorité paternelledans sa propre famille. Si c’est le cas, cela apporte un argument en faveur de notrearticle. Mais il y a une autre explication : les relations énumérées sont représentativesde chacune des générations, ce qui élargit la liste de ceux qui sont la « chair » dulecteur. – NDA

    19 Pour plus de détails concernant l’organisation de la maisonnée dans l’Israël ancien,voyez S. Bendor, The Social Structure of Ancient Israel, pages 48-66. – NDA

    20 Victor H. Matthews, Honor and Shame in Gender-Related Legal Situations in theHebrew Bible, in Gender and Law in the Hebrew Bible and the Ancient Near East, dir.Victor H. Matthews, et al., Journal for the Study of the Old Testament. SupplementSeries , Sheffield, 1998), pages 104-108. – NDA

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  • Ayant défini la « chair » comme étant d’abord la famille biologique, lepas suivant est d’inclure des parents non-biologiques dans cette définition.Avant de passer au pas suivant, le dernier parent biologique dont s’occupe letexte est l’oncle paternel. Le Lévitique 18:14 dit au lecteur de ne pas approcherla femme de son oncle paternel. Même si l’oncle paternel est un (לא תקרב)parent biologique, néanmoins, s’il est le plus âgé de la famille, c’est lui quideviendrait le patriarche d’une autre maisonnée. Ainsi, cette interdictionétend l’intérêt du lecteur à des gens qui ne sont pas de sa maisonnée.

    On s’étend avec plusieurs interdictions, pour finir avec le Lévitique18:19, qui est la troisième fois dans ce chapitre où l’on interdit au lecteur des’approcher (קרב) d’une femme. De ce fait, le lien terminologique entre le18:14 et le 18:19 indique que ces deux versets-ci forment une anaplodiploseenglobant une deuxième série. Il est intéressant de voir que la seule autre foisoù l’on parle de « s’approcher », c’est le 18:6. Cette section est également liéeà l’interdiction, à l’infinitif, de « mettre à découvert » ; (לגלות) les quatreseules circonstances de cet infinitif dans la Bible hébraïque se trouvent dansle 18:17-19 et le 18:6. Voilà pourquoi ces connexions terminologiquesindiquent que cette deuxième série devrait être lue comme une autre sous-section d’interdictions introduites par le 18:6. Ainsi, ces six versets continuentà élargir la définition de « chair » en l’étendant à ceux dont le lecteur doitprotéger l’honneur.

    Comme dans la première série, la deuxième série présente une catégoriede gens que le lecteur doit ne pas déshonorer. Après avoir commencé par lafemme de l’oncle paternel (18:14), le Lévitique interdit au lecteur de mettre àdécouvert la nudité de sa bru (18:15), de sa belle-sœur (18:16), d’une femme etsa sœur (18:17a, 18), d’une femme est ses petites-filles (18:17b), et d’unefemme ayant les règles (18:19). Le dénominateur commun entre toutes cespersonnes, c’est le fait d’être apparentées au lecteur à travers le mariage ; elleslui sont parentes par alliance. Alors que la première série se limite à définirles parents biologiques comme étant sa « chair », la deuxième série s’étendaux parents par alliance.

    Comme la première série, les préceptes de la deuxième parcourent lesquatre générations de la maisonnée, énumérant implicitement toute parentèlepar alliance. L’accent, cependant, n’est pas mis sur la génération ascendante,mais sur la génération du lecteur. Quatre des six versets (18:16, 17, 18, 19) fontréférence à une relation de la génération du lecteur, alors que chacune destrois autres générations sont traitées en un verset chacune. Ainsi, sur les huitinterdictions, quatre parlent de la génération du lecteur.

    La seconde série met l’accent sur la génération du lecteur, parce quel’honneur de la maisonnée s’étend aux parents par alliance à travers l’épouseà travers le mariage. Lors du mariage, la femme du lecteur et tous ceux dontelle est responsable entrent dans la maisonnée. Ainsi, en tant que membres dela maisonnée du lecteur, la femme et tous les siens ont accès à l’honneur de la

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  • famille seulement à travers leur relation avec le lecteur. C’est pourquoi, ces sixversets interdisent de jeter la honte, de « mettre à découvert la nudité » desparents non-biologiques, parce qu’une telle chose déshonorerait le lecteurmême, et cela déshonorerait finalement le chef de la maisonnée dont il tirelui-même son honneur. Puisque le lecteur fait graviter autour de lui l’honneurde ses parents par alliance, c’est sur sa génération qu’on met l’accent. Déjà leLévitique a mis l’accent sur l’honneur de la génération ascendante, dans lapremière série, étant donné que le lecteur y puise son honneur. La deuxièmemet l’accent sur l’honneur même du lecteur, car c’est à travers lui que sesparents par alliance auront leur honneur, de la maisonnée dont il est le chef.

    Malgré que les Américains considèrent de nos jours la famillebiologique de l’épouse comme la leur, l’Israël ancien ne partageait pasnécessairement ce point de vue. Au contraire, la maisonnée était patrilocale ;lors du mariage, la femme quittait sa famille biologique pour rejoindre cellede son mari. La femme était incorporée à la maisonnée du mari, mais le marin’était pas considéré membre de la famille d’origine de sa femme. Parconséquent, lorsqu’il est interdit au lecteur de mettre à découvert la nudité deses parents par alliance, le Lévitique élargit la sollicitude pour l’honneur enl’étendant également à la maisonnée d’origine de la femme21. La troisième etdernière série, Lévitique 18:20-23, élargit les frontières encore davantage.Elle incorpore dans la famille du lecteur tout Israélite et tout être humain,parce que finalement tous les humains tirent leur honneur du SEIGNEUR.

    Plutôt que d’interdire de « mettre à découverte la nudité » d’un membrede la famille, le Lévitique 18:20 interdit au lecteur d’avoir des rapportssexuels et enfants avec la femme d’un compatriote. Les interdictions cessentle vocabulaire de la nudité et de la parenté (aucune des relations des deuxséries précédentes n’est mentionnée)22, parce que l’on ne se préoccupe pas des

    21 Plusieurs exemples bibliques attestent qu’une telle chose n’était pas habituelle à desépoques plus anciennes ; par exemple Jacob a épousé à la fois Rachel et Léa (Genèse29-31). – NDA

    22 Une anaplodiplose délimite, cette fois-ci aussi, les limites de la troisième série. LeLévitique 18:23 répète la phrase : « Tu ne coucheras pas pour te souiller avec » (לא־תתן.« לא־תתן שכבתך [...] לטמאה־בה » : également présente dans 18:20 ,(שכבתך לטמאה־בהSans même apparaître dans l’anaplodiplose de la troisième série, le vocabulaire du Lév.18:6 apparaît quand même dans la série finale. À part dans les sections qui encadrent lechapitre, la phrase « Je suis le Seigneur » n’apparaît que dans 18:6 et 18:21. Ainsi, lelecteur traverse les trois séries ; il commence par la chair de toute parente, puis il estquestion d’autres personnes, pour finir avec le SEIGNEUR. La forme de Lévitique 18:20déplace doucettement le lecteur vers la troisième et dernière série d’interdictions. LeLévitique 18:20 commence ainsi : « Avec la femme de ton prochain tu ne coucheras paspour la progéniture » ou, plus littéralement, « Et à la femme de ton prochain tu nedonneras pas tes coucheries à semence » (ואל־אשת [...] לא־תתן [...] לזרע). Cette forme,« à la femme [une telle] ne fais pas X pour Y » est parallèle au début du passageLévitique 18:19 : « Et de la femme qui a ses règles tu n’approcheras pas pour mettre àdécouvert sa nudité » (אל־אשה [...] לא תקרב לגלות). – NDA

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  • menaces intestines vis-à-vis de l’honneur familial. Maintenant on se soucie dela menace extérieure vis-à-vis de l’honneur familiale, à savoir la prédationsexuelle sur les femmes23. La sexualité d’une femme, euphémiquement son lit,était le droit exclusif d’un seul mâle (cf. Prov. 6:27-29) ; toute violation de cedroit exclusif était un affrontement de l’honneur de l’homme en question.Puisque l’honneur était une perle rare, si un homme arrivait à coucher avec lafemme d’un autre homme, alors son honneur croissait, pendant quel’honneur de l’homme de la femme violée décroissait. C’est pourquoi leLévitique 18:20 interdit au lecteur de croître en honneur aux dépens del’honneur de son prochain24.

    Pendant que l’honneur reste le thème principal, il ne s’agit plus del’honneur du lecteur, comme dans les séries précédentes. Au fait, cetteinterdiction empêche le lecteur d’augmenter son honneur, en contradictionapparente avec les interdictions précédentes. Comme nous avons vu, lapréoccupation de l’honneur de la maisonnée est un outil pour définir qui estconsidéré la « chair » du lecteur (18:6). Celui-ci ne peut plus déshonorer unautre Israélite pour son propre honneur. Par conséquent, en se souciantplutôt de l’honneur de l’Israélite prochain, le Lévitique 18:20 déclare quel’Israélite prochain est un membre de la « chair » du lecteur.

    Jusqu’à ce point, l’extension de la « chair » du lecteur a progressédoucement, mais maintenant, avec l’inclusion de toute un groupe de gens, ona affaire à un changement radical. Plutôt que d’expliquer cette “missioncivilisatrice”, le Lévitique la justifie par une nouvelle interdiction. Encore unefois, le Lévitique 18:21 parle d’un autre honneur que celui de la progénituredu lecteur. Il s’agit de l’honneur du SEIGNEUR, dans deux propositions liées.Certains commentateurs pensent que la seconde proposition serait uneinterdiction distincte, mais grammaticalement celle-ci ne fait que clarifier lapremière. Chaque fois que le Lévitique 18 introduit une nouvelle interdiction,le verbe est en deuxième position ; or dans la seconde proposition de 18:21, leverbe est en position initiale (ולא תחלל). Ainsi, il convient de considérer leLév. 18:21 comme étant une seule interdiction, dont la seconde propositionest une apposition qui clarifie la première. De ce fait, la meilleure traductionde ce verset serait : « Tu ne donneras pas tes enfants pour qu’ils serventMoloch, à savoir, tu ne souilleras mon nom saint : je suis le SEIGNEUR. »

    La première proposition interdit d’offrir des enfants à Moloch, sans

    23 David D. Gilmore, Introduction. The Shame of Dishonor, in Honor and Shame and theUnity of the Mediterranean (réd. David D. Gilmore, American AnthropologicalAssociation, Washington D.C., 1987), pages 10-11 ; Maureen J. Giovannini, FemaleChastity Codes in the Circum-Mediterranean. Comparative Perspectives, in Honorand Shame and the Unity of the Mediterranean , op. cit., pages 61-74 ; Victor H.Matthews et Don C. Benjamin, Social World of Ancient Israel 1250-587 BCE,Hendrickson, Peabody, 1993, pages 180-181. – NDA

    24 De même, le détail « pour la progéniture » est dû, vraisemblablement, au fait que plusune maisonnée avait d’enfants, plus grand en était l’honneur (cf. Prov.). – NDA

    19

  • précision (Lév. 18:21a). Souvent les commentateurs pensent que ce versetparle du sacrifice d’enfants25, mais il suffirait d’y voir une simple consécrationà Moloch (cf. I Sam. 1)26. Quel que soit le cas, l’enfant n’appartient plus aulecteur. Maintenant l’enfant appartient à Moloch. Dans l’Israël ancien, letransfert d’enfant entre deux maisonnées rabaisse la famille qui donnel’enfant, tout en élevant l’honneur de la famille qui reçoit l’enfant27. Pour cela,tout transfert de progéniture vers Moloch augmente l’honneur de Moloch, auxdépens du lecteur.

    La deuxième proposition explique par la suite pourquoi il y a cetteinterdiction : donner sa progéniture à une autre divinité souille le nom duSEIGNEUR. Selon cette interprétation, c’est au SEIGNEUR qu’appartient laprogéniture du lecteur. Ceci ne devrait pas nous surprendre, étant donnéqu’ailleurs, le Lévitique appelle Israël le peuple du SEIGNEUR : « Je marcheraiavec vous, je serai votre Dieu, et vous serez mon peuple. » (Lév. 26:12). Eneffet, les enfants israélites n’appartiennent pas aux Israélites. Ce sont lesenfants du SEIGNEUR, d’où le fait qu’Israël rachète ses premiers-nés :« Consacre-moi tout premier-né, tout être qui aura ouvert les entraillesmaternelles parmi les fils de mon peuple, depuis l’humain jusqu’auxbestiaux ; il est à moi. » (Exode 13:2, italiques ajoutés)28. Ainsi, le lecteur estempêché de dédier ses enfants à une autre divinité, car ce faire déshonoreraitle SEIGNEUR. Au fait, les interdictions de la préface se justifient de la mêmefaçon : « Personne ne s’approchera d’un parent de sa chair, pour mettre àdécouvert sa nudité : je suis le Seigneur. » (Lév. 18:6). Le Lévitique sepréoccupe de l’honneur du lecteur, car le SEIGNEUR est le chef de la famille, etson honneur est en cause. Le SEIGNEUR est celui dont le lecteur tire sonhonneur. C’est sur base de cette hypothèse que le Lévitique élargit ladéfinition de « chair » toujours davantage.

    Une fois que le Lévitique a fait dépendre du SEIGNEUR l’honneur dulecteur, l’interdiction suivante s’étend au-delà d’Israël29, 30. Comme dans

    25 Jacob Milgrom, Leviticus. A Book of Ritual and Ethics, Fortress, Minneapolis, 2004,pages 197-200, 205-206. – NDA

    26 Cette seconde interprétation permet de comprendre le mot « donner, passer » (להעביר)de deux façons : l’une métaphorique, l’autre littérale. L’interprétation métaphoriques’imagine que la progéniture change de territoire géographique lorsqu’elle est dédiée àune autre divinité. L’interprétation littérale serait le fait que la progénituredéménagerait vers un pays où l’on adore Moloch (cf. la version samaritaine), endevenant ainsi la propriété de Moloch. – NDA

    27 Julian Pitt-Rivers, The Fate of Schechem or the Politics of Sex. Essays in theAnthropology of the Mediterranean, Cambridge Studies in Social Anthropology 19, dir.Jack Goody, Cambridge University Press, Cambridge, 1977, page 166. – NDA

    28 Cf. Exode 13:13-15 ; 34:20 ; Nombres 18:15-16. – NDA29 Milgrom, Leviticus, pages 196-197 et 206-207. Milgrom croit qu’il s’agit d’une

    interdiction de l’homosexualité, limitée à un groupe restreint. De plus, Milgrom penseque le principe derrière tous les préceptes de Lévitique 18 serait la perte de sperme,source de vie. – NDA

    30 Plus exactement, Milgrom, op. cit., dit que « les relations neveu-oncle, grand-père-

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  • 18:20, le Lévitique 18:22 interdit au lecteur d’accroître son propre honneur enviolant la femme d’un autre homme. Mais cette interdiction est rédigée d’unefaçon différente31. D’habitude, le substantif associé à une personne est תשכב traduit par « lit » de la personne (comme dans tous les autres passages oùcela se trouve dans le Lévitique, sauf pour le précepte parallèle dans 20:13)32.Par exemple, la Bible présente l’épisode de David et Bersabée ainsi : « Sur lesoir, David se leva de sa couche (משכבו) et se promena sur la plate-forme dela maison royale. » (2 Sam. 11:2)33. Autrement, si « lit, couche » est utilisécomme un euphémisme sexuel, à l’instar de « connaître » ,(ידע) alors lameilleure façon de traduire le verbe et l’état-construit est la traductionidiomatique, en y voyant un rapport sexuel. Par exemple, lorsque les Israélitesrazzient Jabès-Galaad, on leur dit : « Tout homme et toute femme ayantconnu la couche d’un homme משכב־זכר) ידעת ,(וכל־אשה vous lesanathématiserez. » (Juges 21:11)34. Il faut souligner que, dans le cas del’euphémisme sexuel, l’état-construit désigne avec qui la personnea eu des relations sexuelles35. Le Lévitique 18:22 n’utilise pas le verbe« connaître », mais un autre euphémisme pour les rapports sexuels :« coucher » (שכב, p. ex. Lév. 15:24). Ainsi l’état-construit « lit d’une femme »indique que le rapport sexuel a lieu, en réalité, avec une femme. De ce fait,l’interdiction devrait être traduite idiomatiquement : « Avec36 un homme, tune coucheras37 pas avec une femme אשה) ; (משכבי car c’est uneabomination. »38

    petit-fils, beau-père-beau-fils sont interdites aussi. Ceci implique que l’interdictionhomosexuelle ne se réfère pas à toutes les relations entre deux mâles, mais seulement àcelles entre des membres du cercle familial. Toutefois, les relations homosexuelles entrenon-parents ne sont ni interdites, ni pénalisées. » – NDT

    31 La femme appartient à un autre homme, puisque lui seul a accès au lit de celle-ci. Olyanconsidère que .est un terme plus général et universel pour « homme » (Jerome T זכר Walsh, Leviticus 18:22 and 20:13. Who is Doing What to Whom ? 120, n° 2, 2001, page205). – NDA

    32 Lév. 15:4, 5, 21, 23, 24, 26. – NDA33 Gen. 49:4 ; Exode 7:28 ; 21:18 ; Lév. 15:5, 21 ; 2 Sam. 4:7, 11 ; 11:2, 13 ; 13:5 ; I Rois (III

    Règnes) 1:47 ; II Rois (IV Rois) 6:12 ; Job 7:13 ; 33:19 ; Ps. 4:5 ; 36 (35):5; 41 (40):4 ;149:5 ; Prov. 7:17 ; 22:27 ; Eccl. 10:20 ; Cant. 3:1; Isaïe 57:2, 7, 8 ; Ézéchiel 23:17 ; Osée7:14 ; Michée 2:1. – NDA

    34 Nombres 31:17, 18, 35 ; Juges 21:11, 12.35 Cette phrase nous semble le clef de la traduction du passage qui nous intéresse ; c’est

    pourquoi nous la mettons en gras. – NDT36 En général, את associé à un substantif sans article – en l’occurrence « [un] homme » –

    indique qu’au plus souvent signifie את « avec » (William L. Holladay, dans את AConcise Hebrew and Aramaic Lexicon of the Old Testament, version 7.0.012g.2006) – NDA

    37 est au singulier, parce que cela s’adresse encore au lecteur ; les actes d’un autre תשכבhomme ne sont pas interdits par ce précepte. Ceci veut dire que l’autre homme estresponsable de la femme, qui est, donc, son épouse ou sa concubine. – NDA

    38 Mary Douglas, Leviticus as Literature, Oxford University Press, Oxford, 1999, pages

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  • En d’autres termes, le Lévitique 18:22 interdit au lecteur d’avoir desrapports sexuels avec une femme, si celle-ci a déjà des rapports avec un autrehomme, étant donné que la sexualité de cette femme était le droit exclusifd’un seul homme39. Si deux hommes couchaient avec elle, cela déshonoreraitl’un d’eux. Similaire à l’interdiction de coucher avec la femme de sonprochain, ce verset élargit la définition de la chair, en interdisant au lecteurd’abuser de la sexualité de la femme d’un autre homme. Mais cetteinterdiction va encore plus loin : cet homme n’est pas nécessairement unIsraélite. La « chair » du lecteur s’étend au-delà d’Israël40.

    Cette extension de la famille ne peut être faite que lorsque le lecteurreconnaît que son honneur et l’honneur de toute autre personne vient duSEIGNEUR. Le verset final de notre section, Lévitique 18:23, attire à nouveaul’attention du lecteur sur le fait que l’honneur concerne également toutefemme. La première moitié du verset interdit à l’homme de ne pas utiliser debête comme jouet sexuel, car sinon le rapport sexuel le souillerait, autrementdit, il le déshonorerait : « Par41 une bête tu n’auras42 pas de coucherie, pour tesouiller avec elle. » Le mot « elle » qui désigne ce qui souillerait le lecteur,peut faire référence à la fois à la coucherie et à la bête (féminin singulier).Mais, vu la proximité de « elle » avec « coucherie », il y a plus de probabilitéque le premier se réfère au second. Comme nous avons vu, violer une femme,c’est déshonorer son mari. Violer une femme en utilisant un animal, c’estencore plus déshonorable. Si le lecteur souillait une femme, il déshonoreraitson mari, mais aussi le SEIGNEUR. Puisque le lecteur tire son honneur aussi duSEIGNEUR, le lecteur se déshonorerait soi-même. La seconde moitié du versetrevoit tout simplement la même interdiction, mais du point de vue de lafemme. Ainsi, les interdictions réciproques soulignent que le lecteur ne peutdéshonorer personne, surtout à travers la sexualité d’une femme.

    166-169, dit que תועבה devrait être traduit par « haïssable », qui exprime mieux le faitque תועבה exprime une action. – NDA

    39 On ne précise pas si cette relation est simultanée, c’est-à-dire un ménage à trois ou unepartouze, ou bien s’il s’agit de deux hommes ayant des rapports avec une femme à desmoments différents, à savoir une aventure ou une liaison adultère. – NDA

    40 Ceci a des implications intéressantes sur l’endogamie d’Israël, surtout en rapport avecles compréhensions anthropologiques de l’endogamie, comme chez Carol Delaney,Seeds of Honor, Fields of Shame in Honor and Shame and the Unity of theMediterranean , dir. David D. Gilmore, American Anthropological Association,Washington D.C., 1987, pages 35-48 ; ou chez Lester E. Grabbe, Leviticus , dir.Whybray, Sheffield Academic, Sheffield, 1993, pages 78-79. – NDA

    41 Grammaticalement, la préposition avec un verbe désigne souvent un instrument ou בun moyen par lequel l’action est accomplie. Dans ce cas, la préposition indique que lelecteur ne peut pas avoir de rapports sexuels en utilisant un animal. – NDA

    42 Dans le dictionnaire de Brown-Driver-Briggs, ne fait נתן pas partie des verbes aveclesquels la préposition indiquerait un complément d’objet, comme c’est le cas pour :toucher, serrer, frapper, atteindre, remplir, gouverner, ainsi que les verbes deperception, émotion ou parole. – NDA

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  • Dans tout le chapitre, cette dernière étape est unique en ce qu’elle metl’accent sur un autre honneur que celui du lecteur, étant donné que le point dedépart est l’honneur du SEIGNEUR. Le lecteur doit protéger l’honneur de safamille, parce qu’il s’agit également de l’honneur du SEIGNEUR.

    Pour finir, chacune des étapes ou séries du passage Lévitique 18:7-23 serattache au principe qui les unit : « Personne ne s’approchera d’un parent desa chair, pour mettre à découvert sa nudité : je suis le SEIGNEUR. » (18:6). Parconsidération pour l’honneur, les trois séries redéfinissent qui est la « chair »du lecteur. La première série interdisent au lecteur de déshonorer saparentèle biologique. Ensuite, la seconde série prolonge l’honneur à laparentèle par alliance (18:14-19). Finalement, la troisième étape inclut toutel’humanité dans la sollicitude du lecteur pour l’honneur, étant donné que tousles humains tirent leur honneur du SEIGNEUR (18:20-23). En étendantl’honneur d’Israël aux non-Israélites, le Lévitique ordonne au lecteur detraiter Chanaan et l’Égypte comme eux ne l’avaient pas traité : « Tu aimeraston prochain comme toi-même. » (19:18; cf. 19:34)43. Ainsi, le Lévitique 18met Israël à part, par rapport à Canaan et à l’Égypte, en traitant Canaan etl’Égypte comme de la famille.

    43 Rainer Kessler, The Social History of Ancient Israel. An Introduction, trad. Maloney,Fortress, Minneapolis, 2008, pages 57-59. Voyez également J. Joosten, People andLand in the Holiness Code. An Exegetical Study of the Ideational Framework of theLaw in Leviticus, 17-26, vol. 67, Brill, New-York, 1996), pages 76-77. – NDA

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