4
5/24/2018 SurLaRvolution»,ParRobertKurz-CritiqueRadicaledeLaValeur-slidepdf.com http://slidepdf.com/reader/full/-sur-la-revolution-par-robert-kurz-critique-radicale-de-la- Dimanche 20 avril 2014  Révolution et  « Critique de la dissociation-valeur » Robert Kurz *  La « Critique de la dissociation-valeur » (Wert-Abspaltungs-Kritik), qualifiée en France de manière plus étroite de « Critique de la valeur » (Wertkritik), est avant tout une triple rupture dans la théorie marxienne du capital, avec Marx et au-delà de Marx. Elle est d'abord on le sait, une relecture originale, serrée, philologique du Marx de la théorie du capital, dans la filiation critique et au-delà, de ce qui avait été engagé par le courant allemand (évidemment inconnu en France) de la « Neue Marx Lekture » de Hans-Georg Backhaus et Helmut Reichelt, avec la volonté très clairement de reconstruire de nouveaux fondements radicalisés pour une nouvelle critique de l'économie politique. Elle attaque donc bien en amont d'une simple rupture dans la théorie de la révolution (comme s'y cantonnent les théories post-marxistes, post-prolétariennes ou communisatrices françaises). Du moins, cette triple rupture dans la théorie du capital a pour conséquence une rupture (en cascade) dans la théorie même de la révolution à laquelle veut contribuer ce courant. Même si en réalité les niveaux ne sont pas si dissociés que cela, puisque les premiers textes des revues « Marxistische Kritik » [Critique marxiste] en 1986 puis de « Krisis » à la fin des années 1980, sont bien entendu un mélange indissociable de rupture à la fois dans la théorie du capital et de rupture dans la théorie de la révolution. De manière absolument sans rapport (dans le contenu théorique comme dans la forme) avec ce qu'avaient pu faire dans les années 1970 Jacques Camatte et la revue post-ultragauche « Invariance », Kurz, Lohoff, Klein, Trenkle, Scholz et leurs amis vont rompre dans la théorie du capital, par l'abattage systématique de toutes les vaches sacrées du marxisme traditionnel, notamment celles qui constituent encore aujourd'hui le panthéon ossifié de la théorie marxiste de la révolution et du prolétariat, et le spasme ritualisé des derniers débris du vieux mouvement ouvrier. Et Kurz note que bien du travail théorique déjà engagé (et non traduit) au sein de notre courant, reste à faire pour reconstruire une théorie/pratique de la révolution pour le XXIe siècle qui puisse aller au-delà de la synthèse sociale capitaliste et de la forme sujet moderne. En France, avec une grande diversité de points de vue, la revue « Sortir de l'économie » tente depuis 2007 d'ouvrir quelques uns de ces chantiers dans cette direction. On le sait, l’objet principal des réflexions autour du courant de la « Critique de la dissociation-valeur » est d’abord et prioritairement de « décentrer » et d’« approfondir » la théorie du capital en la fondant sur de nouvelles bases, en la faisant passer du Marx exotérique au Marx ésotérique, et au-delà, en laissant de côté des pans entiers de l’œuvre de Marx, et ce non dans la volonté de restituer un « vrai Marx » (indéniablement le marxisme traditionnel est fidèle à une part véritable de l'oeuvre de Marx), mais afin de reprendre uniquement ce qui semble aujourd’hui intéressant pour refonder une théorie critique du noyau du capitalisme. Pour cerner le « noyau » de la Wertkritik, on pourrait en effet distinguer trois niveaux essentiels de rupture avec l’ancienne théorie marxiste-traditionnel du capital (on pourrait également noter d’autres niveaux de rupture dans la théorie du capital pour la Wertkritik : l'abandon du matérialisme historique, le dépassement du subjectivisme et de l'objectivisme, l'abandon d'une lecture classiste et sociologiste du noyau du capital, une théorie originale de la forme sujet moderne, la critique en soi du travail, des Lumières, etc.). Premier niveau, un décentrage qui a pour caractéristique principale, de placer la critique du fétichisme de la marchandise « au centre de son approche théorique »[1]. Ce décentrage est ainsi de venir en amont de la survaleur, du salaire, de l’exploitation, de la propriété privée des moyens de production, des classes et de leurs luttes, pour attaquer sur l’analyse de la forme-valeur et de la structure de la marchandise à partir des catégories anonymes de base – marchandise et travail abstrait, valeur et argent. Et montrer que c’est cette analyse de la forme-valeur avec sa critique catégorielle qui nous permet d’interpréter le capitalisme dans ce qu’il a de plus caractéristique : le fétichisme non pas comme mystification (interprétation classique dans le marxisme traditionnel) mais comme phénomène réel, cette inversion réelle (et non une simple représentation) entre sujet/objet, valeur d’usage/valeur, fonctionnaires et fétiche, etc., pôles constitués par le rapport même du capital. Une des ruptures essentielles est donc celle-ci :  « A son niveau le plus profond, le capitalisme n’est donc pas en réalité la domination d’une classe sur une autre, mais le fait, souligné par le concept de fétichisme de la marchandise, que la société tout entière est dominée par des abstraction réelles et anonymes. Il y a des groupes sociaux qui gèrent ce processus et en tirent des bénéfices – mais les appeler ‘‘classes dominantes’’ signifierait prendre pour ‘‘argent comptant’’ les apparences. Marx ne dit rien d’autre lorsqu’il appelle la valeur le ‘‘sujet automate’’ » (A. Jappe, « Aliénation, réification et fétichisme de la marchandise », ibid., p. 77).  Ce premier niveau de la critique des catégories/formes capitalistes fétichistes et destructrices va aussi avec l’affirmation d’une méthode originale de la spécification historique (théorie originale de la rupture donc entre la société capitaliste et les sociétés non capitalistes - inexistence de l'économie dans ces dernières), avec l’important point de la critique de l’approche historico-logique du premier chapitre du « Capital » (voir Anselm Jappe dans « Les Aventures de la marchandise », Denoël, 2003) : les catégories de Marx sont-elles celles à la fois de sa genèse historique et de sa genèse logique (une fois que le capital est déjà à lui-même son propre présupposé-posé par son existence même), ou est-ce que Marx dès le départ du livre parle des catégories dans un monde où déjà le capital constitue la totalité sociale (des catégories donc de son fonctionnement logique) ? Deuxième niveau de la rupture, c’est la théorie de la dissociation-valeur autour de Roswitha Scholz qui n’est même plus un décentrage au sein de la théorie du capital (d’un Marx exotérique à un Marx ésotérique se réduisant à la portion congrue), mais une nouveauté théorique fondamentale et même un dépassement de la critique de la valeur (Wertkritik) qui n’est plus désormais explicative de la totalité sociale (un recueil des articles fondamentaux de Scholz paraîtra en 2015 ou 2016). Le troisième niveau, est la reformulation de la théorie de la crise comme limite interne absolue du capital (au niveau de la masse de valeur), au-delà de « l’anecdote » de la baisse tendancielle du taux de profit, et au-delà de ce qu'ont pu en dire Rosa Luxemburg, Henryk Grossmann et Paul Mattick. L'ouvrage à paraître en mai 2014, d’Ernst Lohoff et Norbert Trenkle, « La Grande dévalorisation. Pourquoi la spéculation et la dette de l'Etat ne sont pas les causes de la crise » (Post-éditions, 2014) sera la première présentation approfondie en France d'une de ces théories « Wertkritik » de la crise (mais au sein du courant il y a également des débats et des polémiques sur cette question, avec des différences aujourd'hui très nettes entre les groupes Krisis et Exit par exemple, si bien que cet ouvrage ne représente que le point de vue de ses auteurs).  Plus « Sur la Révolution », par Robert Kurz - Critique radicale de la valeur http://palim-psao.over-blog.fr/article-revolution-et-critique-de-la-dissoc... 1 of 4 8/06/2014 20:48

« Sur La Révolution », Par Robert Kurz - Critique Radicale de La Valeur

Embed Size (px)

Citation preview

  • Dimanche 20 avril 2014

    Rvolutionet Critique de la dissociation-valeur Robert Kurz *

    La Critique de la dissociation-valeur (Wert-Abspaltungs-Kritik), qualifie en France de manire plus troite de Critique de la valeur (Wertkritik), est avant tout une triplerupture dans la thorie marxienne du capital, avec Marx et au-del de Marx. Elle est d'abord on le sait, une relecture originale, serre, philologique du Marx de la thorie du capital, dansla filiation critique et au-del, de ce qui avait t engag par le courant allemand (videmment inconnu en France) de la Neue Marx Lekture de Hans-Georg Backhaus et HelmutReichelt, avec la volont trs clairement de reconstruire de nouveaux fondements radicaliss pour une nouvelle critique de l'conomie politique. Elle attaque donc bien en amont d'unesimple rupture dans la thorie de la rvolution (comme s'y cantonnent les thories post-marxistes, post-proltariennes ou communisatrices franaises). Du moins, cette triplerupture dans la thorie du capital a pour consquence une rupture (en cascade) dans la thorie mme de la rvolution laquelle veut contribuer ce courant. Mme si en ralit lesniveaux ne sont pas si dissocis que cela, puisque les premiers textes des revues Marxistische Kritik [Critique marxiste] en 1986 puis de Krisis la fin des annes 1980, sontbien entendu un mlange indissociable de rupture la fois dans la thorie du capital et de rupture dans la thorie de la rvolution. De manire absolument sans rapport (dans lecontenu thorique comme dans la forme) avec ce qu'avaient pu faire dans les annes 1970 Jacques Camatte et la revue post-ultragauche Invariance , Kurz, Lohoff, Klein, Trenkle,Scholz et leurs amis vont rompre dans la thorie du capital, par l'abattage systmatique de toutes les vaches sacres du marxisme traditionnel, notamment celles qui constituent encoreaujourd'hui le panthon ossifi de la thorie marxiste de la rvolution et du proltariat, et le spasme ritualis des derniers dbris du vieux mouvement ouvrier. Et Kurz note que bien dutravail thorique dj engag (et non traduit) au sein de notre courant, reste faire pour reconstruire une thorie/pratique de la rvolution pour le XXIe sicle qui puisse aller au-del dela synthse sociale capitaliste et de la forme sujet moderne. En France, avec une grande diversit de points de vue, la revue Sortir de l'conomie tente depuis 2007 d'ouvrirquelques uns de ces chantiers dans cette direction. On le sait, lobjet principal des rflexions autour du courant de la Critique de la dissociation-valeur est dabord et prioritairement de dcentrer et d approfondir la thorie ducapital en la fondant sur de nouvelles bases, en la faisant passer du Marx exotrique au Marx sotrique, et au-del, en laissant de ct des pans entiers de luvre de Marx, et ce nondans la volont de restituer un vrai Marx (indniablement le marxisme traditionnel est fidle une part vritable de l'oeuvre de Marx), mais afin de reprendre uniquement ce quisemble aujourdhui intressant pour refonder une thorie critique du noyau du capitalisme. Pour cerner le noyau de la Wertkritik, on pourrait en effet distinguer trois niveauxessentiels de rupture avec lancienne thorie marxiste-traditionnel du capital (on pourrait galement noter dautres niveaux de rupture dans la thorie du capital pour la Wertkritik :l'abandon du matrialisme historique, le dpassement du subjectivisme et de l'objectivisme, l'abandon d'une lecture classiste et sociologiste du noyau du capital, une thorie originalede la forme sujet moderne, la critique en soi du travail, des Lumires, etc.). Premier niveau, un dcentrage qui a pour caractristique principale, de placer la critique du ftichisme de lamarchandise au centre de son approche thorique [1]. Ce dcentrage est ainsi de venir en amont de la survaleur, du salaire, de lexploitation, de la proprit prive des moyens deproduction, des classes et de leurs luttes, pour attaquer sur lanalyse de la forme-valeur et de la structure de la marchandise partir des catgories anonymes de base marchandiseet travail abstrait, valeur et argent. Et montrer que cest cette analyse de la forme-valeur avec sa critique catgorielle qui nous permet dinterprter le capitalisme dans ce quil a de pluscaractristique : le ftichisme non pas comme mystification (interprtation classique dans le marxisme traditionnel) mais comme phnomne rel, cette inversion relle (et non unesimple reprsentation) entre sujet/objet, valeur dusage/valeur, fonctionnaires et ftiche, etc., ples constitus par le rapport mme du capital. Une des ruptures essentielles est donccelle-ci : A son niveau le plus profond, le capitalisme nest donc pas en ralit la domination dune classe sur une autre, mais le fait, soulign par le concept de ftichisme de la marchandise,que la socit tout entire est domine par des abstraction relles et anonymes. Il y a des groupes sociaux qui grent ce processus et en tirent des bnfices mais les appelerclasses dominantes signifierait prendre pour argent comptant les apparences. Marx ne dit rien dautre lorsquil appelle la valeur le sujet automate (A. Jappe, Alination,rification et ftichisme de la marchandise , ibid., p. 77).

    Ce premier niveau de la critique des catgories/formes capitalistes ftichistes et destructrices va aussi avec laffirmation dune mthode originale de la spcification historique (thorieoriginale de la rupture donc entre la socit capitaliste et les socits non capitalistes - inexistence de l'conomie dans ces dernires), avec limportant point de la critique de lapprochehistorico-logique du premier chapitre du Capital (voir Anselm Jappe dans Les Aventures de la marchandise , Denol, 2003) : les catgories de Marx sont-elles celles la fois desa gense historique et de sa gense logique (une fois que le capital est dj lui-mme son propre prsuppos-pos par son existence mme), ou est-ce que Marx ds le dpart dulivre parle des catgories dans un monde o dj le capital constitue la totalit sociale (des catgories donc de son fonctionnement logique) ? Deuxime niveau de la rupture, cest lathorie de la dissociation-valeur autour de Roswitha Scholz qui nest mme plus un dcentrage au sein de la thorie du capital (dun Marx exotrique un Marx sotrique se rduisant la portion congrue), mais une nouveaut thorique fondamentale et mme un dpassement de la critique de la valeur (Wertkritik) qui nest plus dsormais explicative de la totalitsociale (un recueil des articles fondamentaux de Scholz paratra en 2015 ou 2016). Le troisime niveau, est la reformulation de la thorie de la crise comme limite interne absolue ducapital (au niveau de la masse de valeur), au-del de lanecdote de la baisse tendancielle du taux de profit, et au-del de ce qu'ont pu en dire Rosa Luxemburg, Henryk Grossmannet Paul Mattick. L'ouvrage paratre en mai 2014, dErnst Lohoff et Norbert Trenkle, La Grande dvalorisation. Pourquoi la spculation et la dette de l'Etat ne sont pas les causes dela crise (Post-ditions, 2014) sera la premire prsentation approfondie en France d'une de ces thories Wertkritik de la crise (mais au sein du courant il y a galement des dbatset des polmiques sur cette question, avec des diffrences aujourd'hui trs nettes entre les groupes Krisis et Exit par exemple, si bien que cet ouvrage ne reprsente que le point devue de ses auteurs).

    Plus

    Sur la Rvolution , par Robert Kurz - Critique radicale de la valeur http://palim-psao.over-blog.fr/article-revolution-et-critique-de-la-dissoc...

    1 of 4 8/06/2014 20:48

  • Vous trouverez ci-dessous un court extrait de R. Kurz (1943-2012) sur la question de la rvolution, paru en franais dans son recueil Vies et mort du capitalisme. Chroniques de lacrise , (Lignes, 2011, pp. 166-170, traduction par Olivier Galtier, Wolfgang Kukulies et Luc Mercier). Plus largement, sur la thmatique de la rvolution au XXIe sicle, on pourra parexemple se reporter trois textes encore non traduits de Robert Kurz : un premier texte qui aborde plutt la thmatique de la critique du paradigme traditionnel de la lutte des classesdans les marxismes et la position de Marx l-dedans (texte de 1989), deux autres textes enfin qui abordent la thmatique de la nature du politique/et de lEtat dans la thorie du courantWertkritik, et par l, la critique du vieux concept de rvolution. Bonne lecture. Clment Homs - 1989: Der Klassenkampffetisch. Thesen zur Entmythologisierung des Marxismus. (gemeinsam mit Ernst Lohoff) In: Marxistische Kritik. Nr. 7, Verlag Marxistische Kritik. - 1994: Das Ende der Politik. Thesen zur Krise des warenfrmischen Regulationssystems. In: Krisis. Nr. 14, Horlemann Verlag. - Die Unselbstndigkeit des Staates und die Grenzen der Politik. Vier Thesen zur Krise der politischen Regulation . Titres et inter-titres de ce dernier texte :Non-autonomie de ltat et limites de la politique. Quatre thses sur la crise de la rgulation politique. 1. March et tat, conomie et politique, comme ples du mme champ historique 2. Les fonctions conomiques de ltat moderne 3. La dpendance structurelle du sous-systme politico-tatique et lillusion du primat de la politique 4. La crise sculaire de la rgulation politico-tatique

    [1] Anselm Jappe, Alination, rification et ftichisme de la marchandise , in A. Cukier, V. Charbonnier, F. Montferrand, La rification : histoire d'un concept critique , La Dispute,2014, p. 81.

    Entretien de R. Kurz sur la rvolution

    Pourriez-vous dfinir un concept de rvolution qui romprait avec le ftichisme et avec la vie quotidienne totalement soumise la reproduction du capital ?

    Robert Kurz : Le concept de rvolution est connot historiquement par le paradigme de la Grande Rvolution franaise, par le paradigme de la srie des rvolutions bourgeoises duXIXe sicle et des rvolutions de la modernisation de rattrapage la priphrie du march mondial au cours du XXe sicle (Russie, Chine, tiers-monde). Dans ce contexte, larvolution se limitait la forme politique de la prise de pouvoir et, en ce qui concerne le XXe sicle, ltatisation des catgories capitalistes. De ce point de vue, le concept appartient cette priode de lhistoire qui a vu simposer le travail abstrait, la logique de la valorisation et le rapport moderne entre les sexes. Sa carrire semble donc termine. Dans les restes dumarxisme comme dans lidologie mouvementiste, la rvolution ne joue plus aucun rle en tant quacte de bouleversement politique. Mais cest l jeter le bb avec leau du bain. Enremisant le concept de rvolution sans mme lavoir examin, la gauche na fait que ratifier sa soumission la forme dexistence capitaliste fonde socialement sur les classesmoyennes.

    Ce concept de rvolution limit la politique, Marx la critiqu ds ses premiers crits. Pour lui, la rvolution sociale reprsente une autre qualit qui, en mme temps que le rapport-valeur et la forme-marchandise, abolit la forme politique quest ltatisme. Toutefois, chez lui, comme plus tard chez Lukcs, ce bouleversement prend encore la forme de la rvolutionproltarienne. Or, prcisment, ce paradigme reste bloqu au niveau du concept de rvolution politique. Quand on atteint la limite interne de la valorisation, la question de la rvolutionse pose de faon nouvelle et diffrente, au-del de lontologie du travail abstrait : elle se pose en tant que rupture avec la synthse sociale[1] dominante sous les formes de la valeur etdu rapport capitaliste entre les sexes. Cette synthse sociale nest rien dautre que la forme spcifique de socialisation au sens dune totalit ngative qui, elle aussi, ne peut tre abolieque par un bouleversement qui englobe toute la socit.

    Cest pour cela quil faut un mouvement grande chelle, et aujourdhui une chelle transnationale, si lon veut frapper au cur de la synthse sociale. Des occupations dentreprisespar les salaris, par exemple, sont insuffisantes. Ceux-ci ne feraient que sriger en sujet-capital collectif, en un sujet qui reste prisonnier de la synthse opre par le march et laconcurrence. Cest cela qui fait chouer jusqu prsent les tentatives semblables (pendant la grande crise en Argentine par exemple[2]). Une transformation au niveau dun capitalindividuel, ou, dune faon gnrale, au niveau dune reproduction particulire est impossible. Depuis toujours, cest la question de la synthse sociale et donc de la planification socialeau-del de la forme-valeur, qui constitue le point de dpart (et non un quelconque point darrive) de la rupture pratique avec le capitalisme. En ce sens, le concept de rvolution nestpas simplement devenu sans objet mme sil na plus rien voir avec la vieille conception politique. La thorie critique en tant que critique catgorielle doit insister sur cette questionde la synthse sociale y compris contre la conscience mouvementiste qui se cantonne au niveau symbolique et refuse daffronter le problme.

    Aujourdhui, la gauche mouvementiste postopraste se plat dire vouloir changer le monde sans prendre le pouvoir (John Holloway). Ici, la synthse sociale est remplace par unconcept diffus de vie quotidienne, qui a fait carrire partir de 1968. Certes, ce quon dsigne souvent sous le terme de rvolution (culturelle) de la vie quotidienne a toujours t,dune faon ou dune autre, la musique accompagnant les transformations sociales ; mais rduit ce seul aspect, il peut aussi sagir dune simple adaptation culturelle la dynamiquecapitaliste. Certains concepts labors par des soixante-huitards et la gauche postmoderne ont intgr depuis longtemps la gestion de crise capitaliste, par exemple sous la forme de lapropagande nolibrale pour lautoresponsabilit individuelle. La thmatisation de la vie quotidienne ne peut remplacer des interventions relles au niveau de la synthse sociale ; toutcomme elle ne saurait rendre superflue la force dintervention que cela ncessite (par exemple, des grves, des barrages sur les voies publiques ou la paralysie des points nvralgiquesdu capitalisme). La question du pouvoir ne se limite pas au paradigme politique du pouvoir dEtat, mais se pose dabord comme la question dun contre-pouvoir social dans larsistance contre la gestion de crise. En ralit, le quotidien nest pas en soi un lieu de rsistance, notion qui, ce niveau, perd sa substance. Au contraire, la rsistance commence lo les individus slvent au-dessus de leur quotidien dtermin par le capitalisme jusque dans ses pores mmes et deviennent ainsi enfin capables de sorganiser. Faisant suite au mouvement alternatif des annes 1980 et son chec, la mtaphysique gauchiste de la vie quotidienne se rfre en partie aussi des tentatives dune autre mode deproduction et de vie lchelle plus petite de communauts particularistes, quelles soient lgitimes de faon no-utopiste ou pragmatique. Ces tentatives, par exemple, sous la formedune conomie dite locale ou du mouvement numrique Open Source[3], ne peuvent pas atteindre la synthse sociale pas plus que les occupations dentreprises. En tant que pseudo-alternative un mouvement social de rsistance et partir de limmanence capitaliste, elles menacent de virer lautogestion de la pauvret. Dans la mesure o y transparat lidedune critique de la forme-marchandise, cette ide se rduit un format tel que la critique perd son contenu dcisif et quelle sembrouille dans des contradictions sans issue. Lesprtendues alternatives ne sont pas seulement embourbes dans des relations contractuelles bourgeoises, elles se rfrent aussi de minuscules segments de la reproduction qui,dans son ensemble, reste dtermine par le capital. Cest pourquoi les projets pratiques particularistes lorgnent gnralement vers un financement extrieur par lEtat, que ce soitsous la forme dun revenu social ou dun sponsoring municipal. Ltatisme keynsien et lidologie alternative ne sont que les deux faces dune mme mdaille ; le dnominateurcommun est lorientation directe et indirecte vers le dficit public. A travers ces deux positions, ce qui domine de faon inavoue, cest la conscience des classes moyennes qui,toujours, veut le beurre et largent du beurre. Les gauches keynsienne et alternative doivent donc toutes les deux refouler et nier la nouvelle qualit de la crise, parce que leurs illusionsne survivront pas la fin du systme de crdit global et de lconomie de bulles financires. Elles se verront confrontes la limite relle de la synthse sociale dominante au plus tardlorsque la chute brutale de la conjoncture mondiale atteindra la vie quotidienne jusque dans les centres capitalistes. Extrait de lentretien paru dans la revue portugaise en ligne Zion Edies, n8, fvrier-mars 2009. * Le titre est le seul fait de la salle des machines du site Palim Psao

    [1]Le concept de synthse sociale a t dvelopp par Alfred Sohn-Rethel, un thoricien proche de la premire gnration de lEcole de Francfort. Sur ce concept, on pourra sereporter en franais au livre de cet auteur, La pense-marchandise, Le Croquant, 2011, en particulier la p. 122 [Note de la mise en ligne Palin Psao][2]La crise notamment partir de dcembre 2001, et le mouvement des piqueteros qui a suivi [Note de la mise en ligne]

    Sur la Rvolution , par Robert Kurz - Critique radicale de la valeur http://palim-psao.over-blog.fr/article-revolution-et-critique-de-la-dissoc...

    2 of 4 8/06/2014 20:48

  • [3]Lexpression Open Source (ou code source libre) sapplique aux logiciels dont la licence respecte des critres tablis selon lOpen Source Initiative, cest--dire la possibilit de libreredistribution, daccs au code source et de travaux drivs (NdT).

    Publi dans : Que faire ? Quoi faire ?

    Qu'est-ce que la wertkritik (Critique de la valeur) ?Avec d'une part le travail magistral de Moishe Postone, et d'autre part les groupes allemands et autrichiens comme Krisis, Exit !, Streifzge avec des thoriciens comme Robert Kurz,Roswitha Scholz, Norbert Trenkle, Anselm Jappe, Grard Briche, Ernst Lohoff, et plusieurs autres auteurs, de nouvelles lectures de l'uvre de la maturit de Marx sont apparues durantles deux dernires dcennies. La relecture opre par Robert Kurz (1943-2012), principal thoricien de la Critique de valeur (wertkritik) ou encore appele thorie critique de la dissociation-valeur , a cherch avec Marx mais aussi au-del de Marx, renouveler les fondements d'une thorie critique radicale de l'conomie politique au XXIe sicle.

    A la diffrence des lectures traditionnelles de Marx avec lesquelles elle rompt, cette nouvelle critique s'est en grande partie faite remarque pour avoir articul une approche thoriquequi porte une attention particulire au caractre ftichiste de la production de marchandises, la dimension abstraite de tout travail (le travail abstrait), la distinction entre valeur etrichesse matrielle et la nature du capital comme sujet automate (la formule est de Marx lui-mme). Le capitalisme est ici interprt comme une forme historique de ftichisme.Ainsi, la diffrence des marxismes traditionnels, les sujets principaux du capitalisme ne sont ni le proltariat, ni la bourgeoisie, mais plutt le ftiche-capital lui-mme (la valeur quis'autovalorise) que paradoxalement nous ne cessons de constituer au quotidien au travers de nos rapports sociaux. Un des points centraux de ce nouveau travail thorique a t dedvelopper une critique du capitalisme qui ne s'arrte pas au niveau des antagonismes de classes sociologiques, la question des rapports de distribution et de proprit prive desmoyens de production. La classe capitaliste gre un processus de production de marchandises son propre profit, mais n'en est pas l'auteur ni le matre. Travailleurs et capitalistes nesont que les fonctionnaires d'un processus ftichiste qui la fois les dpasse et ne cesse d'tre constitu par eux. La lutte des classes si elle existe bel et bien, en affirmantpositivement le travail et le point de vue de la classe proltaire, n'est en ralit qu'une lutte d'intrts toujours constitus l'intrieur des formes de vie et de socialisation capitalistes.

    Ainsi l'inverse de l'anticapitalisme tronqu, la critique de la valeur ose enfin critiquer le systme dans sa totalit, et d'abord critiquer pour la premire fois son principe de synthsesociale, le travail en tant que tel, dans ses deux dimensions concrte et abstraite, comme activit socialement mdiatisante et historiquement spcifique au seul capitalisme, et noncomme simple activit instrumentale, naturelle et transhistorique, comme si le travail tait l'essence gnrique de l'homme qui serait capte extrieurement par le capital. Comme siencore le travail n'tait que l'activit transhistorique du mtabolisme entre l'homme et la nature. L'conomie est une ralit sociale qui merge et existe comme telle que dans lessocits capitalistes partir des XIVe et XVe sicles. C'est le double caractre du travail et non le march, le rapport social de domination d'une classe sur une autre et la propritprive des moyens de production, qui constitue le noyau du capitalisme. Dans la socit capitaliste seulement, le travail abstrait se reprsente dans la valeur, la valeur est l'objectivationd'un lien social alin, elle est donc historiquement spcifique qu' la seule formation sociale capitaliste. Dans cette comprhension encore, la valeur n'est pas limite la seule sphre conomique , mais impose sa structure toute la socit, elle est une forme sociale de vie et de socialisation, un fait social total . La valeur d'change d'une marchandisen'est que l'expression, la forme visible, de la valeur invisible .

    Un mouvement d'mancipation du ftichisme de la valeur, ne peut plus critiquer ce monde partir du point de vue du travail. Il ne s'agit donc plus de librer le travail du capital, mais dese librer du travail en tant que tel, non pas en faisant travailler les machines la place car le mode industriel de production est intrinsquement capitaliste (la technologie n'est pasneutre), mais en abolissant une activit pose au centre de la vie comme socialement mdiatisante. Cependant la critique radicale n'a pas fournir en pice jointe, un mode d'emploipour une organisation alternative de lemploi de la vie. Elle dveloppe une explication possible du monde prsent, des souffrances relles de nos propres vies et des exigences socialesqui leurs sont imposes, mais elle ne constitue pas un mode d'emploi expliquant comment construire correctement une socit idale . La critique de la dissociation-valeurdnaturalise toute forme d'conomie, et c'est l dj une forme de pratique radicale. Le seul critre propos par la wertkritik, c'est qu'aucun medium ftichiste (comme aujourd'hui letravail) ne s'interpose dsormais entre les individus sociaux et entre les individus sociaux et le monde. Et comme cela n'a jamais exist, un monde au-del des divers ftichismessociaux reste inventer. Mais il ny a pas de compromis possible avec lconomie, cest--dire avec le travail comme forme capitaliste du mtabolisme avec la nature, et commemdiation sociale entre les humains. Redistribuer les richesses capitalistes comme le prconisent les conomistes de gauche la sauce no-keynsienne, ce n'est pas s'opposer laforme de vie sociale capitaliste. De plus, on ne peut privilgier ct de l'conomique, d'autres dimensions (le don, l'entraide, le care, etc.) qui pourraient exister paralllement, car lavaleur est une forme sociale totale ftichiste qui envahit tout : il faut sortir carrment de lconomie en inventant dautres formes de mdiation sociale entre nous, que celles du travail,de la marchandise, de largent, du capital qui branche nos capacits de travail sur ses agencements sociaux et ses machines.

    D'autres points forts de ce nouveau travail thorique a t de fournir une structure qui permette de comprendre le processus de crise conomique qui a commenc dans les annes1970 et dont les considrables effets actuels sont souvent compris comme une simple crise financire , ou encore un autre apport a t l'laboration d'une thorie socio-historique dela connaissance et de la subjectivit qui rompt avec l'pistmologisme contemporain, tout en permettant de comprendre autrement l'antismitisme, le racisme, la politique, l'Etat, le droit,la domination patriarcale, etc. Pour faire plus ample connaissance avec ce nouveau travail thorique rompant avec le marxisme, on pourra aller voir dans la partie " prsentation de lawertkritik

    Sur la Rvolution , par Robert Kurz - Critique radicale de la valeur http://palim-psao.over-blog.fr/article-revolution-et-critique-de-la-dissoc...

    3 of 4 8/06/2014 20:48

  • Contact C.G.U. Signaler un abus Articles les pluscomments

    Sur la Rvolution , par Robert Kurz - Critique radicale de la valeur http://palim-psao.over-blog.fr/article-revolution-et-critique-de-la-dissoc...

    4 of 4 8/06/2014 20:48