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0 vents de folie - Le Proscenium · V E N T S D E F O L I E - Comédie de Thierry FRANÇOIS et Cyril TESSEREAU - page 2 Ce texte ne peut être reproduit, diffusé, ou interprété

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V E N T S D E F O L I E - Comédie de Thierry FRANÇOIS et Cyril TESSEREAU - page 2

Ce texte ne peut être reproduit, diffusé, ou interprété sans autorisation des auteurs.

Vents de folie

Une comédie de Thierry FRANÇOIS et Cyril TESSEREAU Distribution : 4 personnages (Peut être joué par 3 comédiens si Gérard et Nath sont interprétés par le même)

- Jean-Noël : Homme de la quarantaine bien passée, écolo, inventeur. Costume - bermuda en jean, t-shirt écolo, sandales en lanières de cuir

- Gérard : Cafard un peu crade. Costume - panoplie de cafard, 6 pattes, 2 antennes, 1 carapace légère…)

- Miss Reed : Jeune femme soi-disant américaine et soi-disant représentant d’un investisseur. Costume - déguisement caricatural de femme d’affaire, CPCH, jupe tailleur, attaché case

- Nath : Blatte, fille de Gérard-le-cafard.

Costume – panoplie de cafard féminisée (flots sur les antennes, soutien-gorge sur la carapace, jupette… à voir).

Durée : environ 80 minutes Décor : Un décor unique possédant a minima deux issues, l’une donnant sur le palier de l’appartement, l’autre sur la salle de bain, et une fenêtre. La pièce principale de l’appart fait office de salon / salle à manger / cuisine… la déco est similaire à l’intérieur d’une vieille ferme (fausses poutres apparentes, vieux meubles, rayonnages en planches, ustensiles en cuivre, téléphone mural à fil, sol paillé ou revêtement façon faux gazon, sacs en jute… que du naturel, des matériaux bruts, du bois… pas d’inox, ni de plastique, ni de surfaces laquées. Comme mobilier indispensable : un fauteuil, un bar avec deux tabourets hauts ou une table et deux chaises. Il y a dans un coin un autel avec les portraits en berne de trois vaches et d’un chien ; sous les portraits les cloches et le collier. Au mur sont exposées deux affiches : « Greenpeace » et « Sortir du nucléaire ».

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Synopsis Jean-Noël est un écolo marseillais qui croit en la fin du monde si l’humanité ne se lève pas le maffre. Il a décidé de réagir et met au point un système qui se veut contribuer au sauvetage de la planète. Hélas, criblé de dettes, il ne peut plus développer son invention et est contraint de faire appel à un investisseur. Peu avant la venue de cet investisseur Jean-Noël est frappé par le don – ou la malédiction - de communiquer avec un cafard qui squatte son appartement. Gérard-le-cafard se frotte les pattes devant la bêtise de l’humanité. La pollution il s’en nourrit chaque matin ; Hiroshima, ses arrière-grands-parents habitaient dans le cratère et ça ne leur a même pas décoiffé les antennes. Miss Reed est soi-disant mandatée par l’investisseur en question pour établir la convention de partenariat financier avec Jean-Noël. Cependant, en réalité, elle nourrit de bien plus sombres desseins… Et Nath ? Aaaah, Nath… Je ne peux pas tout vous dire, non plus.

Thierry FRANCOIS La Marguerite – B2

231, rue Pierre Doize 13010 MARSEILLE

Tél. 09 50 41 00 65

[email protected]

www.festicomedies.fr

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Prologue

Une poursuite s’allume sur Gérard le cafard. Il est assis sur le proscenium, il mange une salade. (NdA. Quand je dis qu’il « mange une salade », il ne s’agit pas d’un plat préparé, mais d’une laitue en pied dans laquelle il mord à pleine dent pour mieux postillonner des morceaux de feuilles sur le premier rang).

- GÉRARD : Ça, c’est une entrée, non ?

Il mord dans la salade et mâchouille trois secondes. Je ne vais pas vous raconter des salades, mais il n’y a rien de tel pour ouvrir l’appétit.

Il met ses doigts dans sa bouche, se cure une dent, ressort sa main comme s’il tenait quelque chose qu’il observe avec plaisir.

Mmmh ! Et avec une limace en bonus collector !

Il porte de nouveau ses doigts à la bouche pour y redéposer son trésor et va pour avaler, mais finalement ressort la limace de sa bouche et la tend à un spectateur du premier rang.

Tu en veux ? C’est de la bonne ! (…) Tu ne veux même pas goûter ? (…) Comment ça tu ne peux pas le faire ?

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Scène 1 : Jean-Noël, Gérard

Le rideau s’ouvre sur Jean-Noël au téléphone en pleine conversation. Gérard se lève tout en continuant de mâchouiller sa limace et de se goinfrer la laitue, et il va rejoindre Jean-Noël. Ce dernier n’y prête pas attention. En fait, Jean-Noël ne le voit tout simplement pas. Alors que Jean-Noël téléphone, Gérard prend discrètement l’écouteur de l’antique combiné.

- JEAN-NOËL : Qué1, tu peux pas le faire ? Qué tu peux pas le faire ? Oh, grandet 2! le premier fada venu il est capable de faire la vache ! (…) Vé, une vache, ça fait « meuuh », ça broute, ça pète et basta. Même pas, je te demande de brouter (Gérard est hilare.) Hé non, couillon, c’est pas ce que je voulais dire, t’ies pas obligé de péter non plus… De toute façon, la machine, elle sera pas branchée sur toi, la machine. (…) Franchement, je vois pas ce qui te gêne. Ce serait un rôle de composition pour toi, je comprendrais, mais là… Allô ? Allô ?... Allô !

Après un instant, Jean-Noël raccroche le combiné.

Gérard singe un commentateur sportif, dans une main un micro - l’écouteur du téléphone - et l’autre main appliquée sur une oreillette virtuelle.

- GÉRARD : Ah la la, la, laaa ! Une si belle occasion, si proche du but ! Mais quelle erreur ! Une faute de débutant, tout à fait impardonnable à ce stade de la compétition ! … Suivant !

Jean-Noël compulse son carnet d’adresse, visiblement nerveux. - JEAN-NOËL : Non... Non... Edmond, c’est non. Fannie, elle est partie. Félicie… aussi. Tonin est trop loin. Manon, c’est re-non. Mireille, pareil... Samira, pas là... Pierrot, au boulot… René, en congés... Mario, à l’hosto… Clarence, en vacances… Fatche de3, y’a plus dégun4 ! - GÉRARD, toujours en mode « commentateur » : Aïe, aïe, aïe ! Il est au bout du carnet, au bout du rouleau. Ça doit faire mal, mesdames et messieurs. Devra-t-il déclarer forfait ?

Il va vers les cadres de vache en décroche un et lui parle.

1 Qué : Comment

2 Grandet : Sobriquet pour interpeler gentiment son correspondant

3 Fatche de : Exclamation populaire « tête de »… tête de quoi ? ici, il ne précise pas.

4 Dégun : Personne

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- JEAN-NOËL : Oh pauvre ! Ça me gave 5d’échouer maintenant si près du but, que ça fait trois ans que je me lève l’âme6, et là, juste il me manque un assistant pendant une petite heure. C’est tout de même pas la mer à boire. Si tu m’entends de là-haut, Marie-Beth, fais quéque chose !

A cet instant, le téléphone sonne. Jean-Noël regarde la photo de la vache avec stupéfaction.

- JEAN-NOËL : Marie-Beth ? C’est toi ? J’étais sûr que tu me laisserais pas émouscaillé7 !

Jean-Noël embrasse la photo prestement, la remet à sa place et file répondre au téléphone.

- JEAN-NOËL : Allô, Jean-Noël, bonjour… Pascalou ? (...) Oh ! Adieu collègue 8! Quel bon vent ? (…) Ah bon ? Hé bé ! (…) C’est sûr que je la remets, mais tu sais, Marie, ça fait la vie des rats9 que je suis plus avec cette fadade10 ! Enfin, comme quoi, les coïncidences… Et autrement, tu vas ? Ça fait un bail, dis. (…) Au fait, tu sais pas ce qu’y m’arrive ? Tu te souviens de mon projet ? (…) Vouais, le méthaspirateurTM, eh bé, mes financeurs y m’ont largué. (...) Comment ça « eux aussi » ? Ca a rien à voir avé Marie. (…) Ouais, bon. N’empêche, ils retirent tous leurs billes et moi, vé, je suis à Payol11. Faut que je trouve une solution pour continuer sinon je vais finir dans un trou à rats. - GÉRARD : Ben qu’est-ce qu’il a contre les trous à rats ? J’aime bien, moi… - JEAN-NOËL : Ou pire, je vais me retrouver boumian12, dans le caniveau, au milieu des mégots de cigarettes et des cafards. - GÉRARD : Hé ! Ho ! Ca veut dire quoi ça ? Nous ne sommes pas assez bien pour Môssieur ? - JEAN-NOËL : Bref, j’avais parlé de ma machine sur un forum écolo d’internénette et ça a fait le buzze13. Et balalin-balalan14, un investisseur m’a contacté (…) Vouiii ! Il est prêt à y mettre le paquet en plus. Un truc de calu15, je te dis… des américains ! Bref, j’attends

5 Ca me gave : ça m’énerve, ça me prend la tête.

6 Se lever l’âme (ou le maffre) : faire des pieds et des mains, se bouger le cul.

7 Emouscaillé : dans la mouscaille, dans la mouise, dans la panade. Etre émouscaillé, avoir des ennuis.

8 Adieux collègue : Bonjour mon ami.

9 Ca fait la vie des rats : Il y a fort longtemps

10 Fadade : folle

11 Etre à Payol : être ruiné, à sec, raide.

12 Boumian : Clochard

13 Buzze : adaptation à la marseillaise du « buzz »

14 Balalin-balalan : de fil en aiguille

15 Un truc de calu : un truc de ouf !

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leur délégué d’une minute à l’autre. (…) Là ? Je lui prépare un petit thé, des panisses16 aux herbes pour bien le détendre, puis une démo du bousin, et vé17 ! c’est dans la poche. C’est là que tu interviens, mon Pascalou. T’ies libre tout à l’heure ? (…) Merci. Tu me sauves la vie ! (…) Qué ? (…) Non, c’est tout simple, j’ai la machine et faut juste que tu fasses la vache. (…) C’est uniquement pour montrer le principe (…) Non, non, je te promets, on la branchera pas. (…) Eh non ! Réfléchis. Où tu veux que je trouve une vraie vache dans le huitième ? Il suffira que tu…

Il s’interrompt brusquement. Oh fan18, mes panisses ! Attends, ça crame !

Il coince le combiné du téléphone entre le cou et la joue et se précipite vers le mini-four à trois pas de là. Le fil du téléphone est tendu, presque à bout de course. Il ouvre la porte du four d’une main et retire la plaque de cuisson de l’autre. Il se brûle, hurle, et la laisse tomber au sol. Dans le mouvement, le combiné du téléphone glisse de son cou et va pendouiller au bout de son fil torsadé.

Waaaah ! Putain de jobastre 19que je fais !

Jean-Noël regarde sa main, affolé. Gérard qui regardait ailleurs a sursauté à cause du vacarme.

- GÉRARD : Ho la ! Jean-Noël fait déjà péter le dessert !

Gérard rejoint les cookies éparpillés et se met à les renifler et à les lécher les uns après les autres. Jean-Noël souffle sur sa main, puis va reprendre le combiné du téléphone avec sa main douloureuse et hurle à nouveau. Il change de main et reprend la conversation.

- JEAN-NOËL : Allô ?... Vouais. Non mais j’ai fait une cagade20. J’ai inventé une recette de panisses au four et je me suis cuit la mimine en pierrade sur la grille. Putain ça douille21 ! Brûlure de force 6 sur l’échelle de Riche-terre !... Hé non, les urgences c’est pas possible, j’ai rendez-vous avé mon destin aujourd’hui, pas le temps de filer à la Timone22 (…) Eh non ça craint pas, j’ai un bouquin super pour les bobos… pour les bobos… de la vie quotidienne ! (…) Ok. Bon je file et je t’attends dans une heure à la maison. Ciao collègue, et merci, hé !

16

Panisses : préparation marseillaise à base de farine de maïs. 17

Vé : Regarde. Tu vas voir ! Interjection 18

Fan ! fils. Ici, il ne précise pas fils de quoi… - interjection 19

Jobastre : imbécile 20

Cagade : connerie, bêtise 21

Ca douille : ça fait mal (peut aussi signifier que c’est très cher) 22

La Timone : un hôpital de Marseille

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Il raccroche son téléphone et va vers ses rayonnages de livres. Gérard repose l’écouteur

- GÉRARD : Je l’aime bien Jean-Noël. Le vendredi, c’est psy, mais le samedi, c’est panisses. Mais bon, avant ça, j’ai mon ragoût qui marine dans la salle de bain… Vous l’entendez qui m’appelle ? « Gégééé ! À taaable ! »

Gérard part dans la salle de bain en humant l’air. Mmmmh ! J’arrive, ma puce !

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Scène 2 : Jean-Noël - JEAN-NOËL : Hé, où je l’ai mis ? (…) Té, le voilà. « La médecine naturelle pour les nuls ».

Il saisit le livre, crie une nouvelle fois, et réitère le geste de sa main valide. Il pose le bouquin sur la table et lit l’index alphabétique.

Abcès, amibiase, borréliose, botulisme, brucellose… Vé ! brûlures, page 52.

Il fait maladroitement tourner les pages jusqu’à la cinquante deuxième et lit à haute voix.

« Riche en collagène, le blanc d’œuf est un excellent onguent à appliquer sur… »

Lève le nez du bouquin. Oh, niaï23, j’ai plus d’œuf, que j’ai tout mis dans les panisses... (Un temps.) Et alors ? Si je veux y mettre de l’œuf dans ma panisse, j’y mets de l’œuf ! Quelqu’un qui bronche ?

Continue la lecture quelques lignes plus loin. « …l’effet bénéfique de l’aloe vera pour régénérer… »

S’interrompt. Pfff ! Hé bé, il me reste qu’à en bouturer un pied sur la terrasse.

Continue de lire un autre paragraphe. « …pouvez aussi appliquer un corps gras sur la plaie pour diffuser la chaleur et… »

Parcourt le texte plus loin. « …riche en phénol, le thym est l’antiseptique recommandé pour… »

Referme le livre. Ah ! Un corps gras et du thym. Ça, j’ai.

Va vers la partie cuisine.

23

Niaï : stupide, niais

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Le corps gras… un pot de saindoux, et du thym… euh… des herbes de Provence feront l’affaire, autrement à quoi ça sert que l’autre pébron24 y se décarcasse ?

Il saisit un petit pot d’herbe de Provence, le met dans sa poche, puis prend une verrine pleine de saindoux et l’amène sur la table. Il plonge sa main meurtrie dedans.

Ça fait du bien, té ! Faut être généreux avé le saindoux, ça craint pas, c’est naturel ! Il saupoudre ensuite avec les épices méditerranéennes et regarde le résultat avec satisfaction.

Il s’agit juste de laisser agir sans pastisser25 tout l’appart.

Il jette un coup d’œil rapide autour de lui dans la cuisine. Ah.

Il prend un gant de cuisine26 et l’enfile, puis contemple sa main avec satisfaction, et enfin aperçoit les panisses par terre. Il attrape un plat et une assiette à côté du four et jette tant bien que mal les tranches de panisse les moins noires dans le plat et celles qui sont cramées dans l’assiette.

La nature est bien faite. Si tu nais pas avé des moufles à la place des doigts, c’est qu’il y a une raison. Ça paraît couillon comme ça, mais attraper des panisses avé les doigts, c’est des millions d’années d’évolution. Au départ, les premiers vertébrés c’étaient des gros batraciens, hé bé… hé bé… (Cherchant la suite de sa pensée.) Hé bé, ils mangeaient pas de panisses. C’est pas qu’ils n’auraient pas aimé, mais avé des palmes c’est aussi galère qu’avé des moufles. Alors qu’avé les doigts…

Se relève, pose le plat sur la table, et va reprendre l’assiette de panisses immangeables. Il se dirige vers la fenêtre avec l’assiette et la vide dehors.

Zou27 ! Les panisses cramées, c’est pour les gabians28. Petits, petits ! Il revient à la table et prend ostensiblement de sa main libre deux tranches de panisses mangeables dans le plat. Il en croque un et est saisit.

Oh fan ! Ça arrache ! J’y suis pas allé de main morte… on sent bien les herbes !

24

Pébron : poivre, ici imbécile. 25

Pastisser : tartiner, étaler généreusement 26

Le gant de cuisine est nécessairement décoré sous forme d’une tête d’animal - lézard, singe, cheval, grenouille,

mouton, zèbre, vache… à vous de voir – qui permettra de temps en temps un jeu de marionnette rehaussant

l’aspect dérangé de Jean-Noël. 27

Zou ! exclamation qui marque le mouvement, allez ! 28

Gabian : goéland

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Il a la tête qui tourne et s’appuie sur un meuble. Il prend une seconde bouchée.

Putain, c’est violent le spice-panisse. Comme ça te boulègue le teston 29! (À son gant de cuisine, la voix traînante.) T’i’en veux, toi aussi ?

Il met une tranche de panisse dans la « bouche » du gant et regarde le gant qui le broie en une pluie de miettes, lui-même animé d’étranges contorsions de douleur.

Ça fait drôle, hé ? Il engouffre le reste du première tranche et semble mâcher tranquillement. Mais soudain son regard se fixe en direction du public avec une expression d’intense surprise avant de cracher une pluie de miettes.

Oh fatche de ! Bientôt minuit et j’ai pas étendu ma lessive ! Vous savez le dicton : « linge au balcon, Jean-Noël dans le salon ». Faut vite que je l’étende avant que les draps aillent au lit. C’est des couche-tôt mes draps, surtout l’hiver… les taies aussi, d’ailleurs. C’est du blanc qui supporte pas le noir.

Jean-Noël se dirige vers la salle de bain avec une démarche de zombie chaloupée (NdA : ça demande du boulot, mais l’effet n’est pas mal, ça ressemble à un mix entre le mec bourré et l’automate).

Boudiou30 ! Il est bien long ce parquet, et tout de biscanti31. Va falloir que j’en parle au gonze32 du syndic avant la prochaine largade33. C’est pas tellement le roulis le problème, c’est plutôt le tangage… surtout en sortant du port.

Il s’arrête deux secondes, le temps de s’enfiler la seconde tranche de panise. Puis fait machine arrière vers le plat, plonge sa main dedans et en saisit une poignée avant de repartir vers la salle de bain en titubant. Avec la marionnette du gant de cuisine, il rajoute :

Pour la route, mon capitaine !

La marionnette lui met une autre panisse dans la bouche, il mâche et la remercie.

Merci. T’ies bien brave.

29

Ca te boulègue le teston : ça te remue la tête 30

Boudiou : Bon dieux ! 31

De biscanti : bancal, penché 32

Gonze : gars, mec 33

Largade : Flux d’air et d’eau correspondant à une très légère marée en Méditerranée.

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Scène 3 : Jean-Noël, Gérard

Un instant après être entré dans la salle d’eau, il fait un grand bond en arrière en jetant les panisses à travers la cuisine.

- JEAN-NOËL, dans l’encadrement de la porte, la voix pâteuse d’un mec stone : Oh fada34 ! Qui t’ies, toi ? - GÉRARD, off : Eh bien, mais, Gérard. - JEAN-NOËL : Qué Gérard ? J’hallucine, là. Le flash de panisses ! - GÉRARD, off : Gérard, vous dis-je. Votre colocataire. - JEAN-NOËL : Une blatte qui parle ! En plein Marseille… (Son gant de cuisine rajoute.) Et au mois de novembre ! - GÉRARD, criant, off : Ah non ! Arrêtez ! Regardez ce que vous faites, il y en a partout à présent ! - JEAN-NOËL : Pouaaah ! Mais c’est dégueu ! C’est quoi ce cafoutche35 dans ma salle de bain ?

La marionnette de Jean-Noël regarde le sol, dégoûtée – elle peut éventuellement rajouter un « Beuuurk ! » avec effet ventriloque en bonus. Gérard sort de la salle de bain furieux en repoussant Jean-Noël vers la scène.

- GÉRARD : Eh ! Oh ! Là ! du calme ! C’est NOTRE salle de bain… Et puis c’est MON dîner. Un peu de respect, je vous prie ! - JEAN-NOËL, à sa main gantée : Il est pas vrai ce gonze ! Je le crois pas ! Vé le, avé son rat crevé qui emboucane36 ma salle de bain ! - GÉRARD : Il ne s’agit pas d’un rat, mais d’une souris. - JEAN-NOËL, écœuré : Une brave bestiasse37 ! Elle est énorme cette souris ! 34

Fada : fou 35

Cafoutche : débarras souvent mal rangé, ici « c’est le bazar ». 36

Emboucaner : puer, gêner, dégager une odeur gênante, nauséabonde.

V E N T S D E F O L I E - Comédie de Thierry FRANÇOIS et Cyril TESSEREAU - page 13

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- GÉRARD : Mais non, c’est la fermentation qui fait ça. - JEAN-NOËL : C’est immonde ! - GÉRARD : Dites donc, ce n’est pas moi qui ai marché dessus. - JEAN-NOËL : Lève-la du mitan38 ! - GÉRARD : Vous ignorez ce qui est bon. Cela fait trois semaines que je la laisse macérer sous la baignoire… - JEAN-NOËL : C’était ça l’odeur ? Bouge-moi ce truc de là ! Allez, zou !

Gérard va chercher son repas et revient sur scène, en tenant une souris géante, plate et dégoulinante dans les mains.

- GÉRARD : Forcément, là on a perdu pas mal de jus, mais croyez-moi, elle est succulente.

Jean-Noël va à la porte d’entrée, l’ouvre en grand et indique la sortie à son hôte indésirable.

- JEAN-NOËL : À la bonne heure, tu prends ton estrasse39 et tu me débarrasses le plancher. Illico presto ! - GÉRARD : Pardon ? - JEAN-NOËL, s’énervant franchement : Dehors ! Va caguer à Endoume 40! C’est clair, là ? (À son gant de cuisine.) Oh, je suis pas bien, moi, je parle à une blatte. - GÉRARD : Cela n’a rien de dégradant. - JEAN-NOËL : Vraiment trop chargés mes panisses. L’hallu totale.

37

Une brave bestiasse : une grosse bête, un sacré spécimen ! 38

Lève la du mitant : retire-la du milieu 39

Estrasse : saleté, saloperie. 40

Aller caguer à Endoume : Aller se faire voir ailleurs

V E N T S D E F O L I E - Comédie de Thierry FRANÇOIS et Cyril TESSEREAU - page 14

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- GÉRARD : Elles font comme l’inspecteur des impôts chaque matin… - JEAN-NOËL : Quoi ? - GÉRARD : Elles ouvrent les volets de la perception…

Jean-Nöel reste perplexe. - JEAN-NOËL : Oh pauvre ! Et en plus une blatte avec des vannes aussi pourries que sa viande. Dehors ! - GÉRARD : Et de quel droit me mettez-vous à la porte ? - JEAN-NOËL : Du droit que je suis ici chez-moi, couillon ! - GÉRARD : Je vous signale que j’y étais avant vous ! - JEAN-NOËL : Ah voui ? - GÉRARD : Voui ! - JEAN-NOËL : Et depuis quand ? - GÉRARD : 350 millions d’années ! - JEAN-NOËL : Hé bé, gàri41, tu peux casser ta tirelire, que t’ias une palanquée 42de loyers en retard ! - GÉRARD : Vous ne pensez vraiment qu’à l’argent. - JEAN-NOËL : Facile à dire quand on est squatteur. On voit bien que c’est pas toi qui es couvert de dettes !

41

Gàri : mec 42

Une palanquée : beaucoup

V E N T S D E F O L I E - Comédie de Thierry FRANÇOIS et Cyril TESSEREAU - page 15

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- GÉRARD : Je ne vous permets pas. Je suis un honnête cafard. - JEAN-NOËL : Peut-être, mais là, c’est moi qui raque43 le loyer, donc je suis chez moi et tu vires ! - GÉRARD : Beuuuuuuh ! (Bruit de buzzer.) Mauvaise réponse ! Je serais votre place, je ne ferais pas cela. - JEAN-NOËL : Je serais toi, j’aurais six pattes, fadoli44 ! Alors avance-toi un peu, direction la porte ! - GÉRARD : C’est une mauvaise idée, Jean-Noël. Ecoutez-moi. Vous avez tout avantage à me garder. - JEAN-NOËL : Je vois que des inconvénients à héberger une blatte. - GÉRARD : Un cafard. Arrêtez de me traiter de blatte. - JEAN-NOËL : C’est gros nez blanc et blanc gros nez. - GÉRARD : Peut-être, mais je préfère que l’on m’appelle « cafard », ça fait moins guindé. Il n’y a aucun inconvénient à héberger un cafard, surtout si ce cafard, c’est moi. - JEAN-NOËL : Vé, écoute-le l’autre ! - GÉRARD : Parfaitement ! Et ce, pour deux raisons : primo je suis célibataire, et deusio je suis asocial. - JEAN-NOËL : Hé bien sûr ! Pourquoi j’y ai pas pensé ? Un cafard célibataire et asocial, ça change tout. (Péremptoire.) Dehors ! (Changeant sa voix, il fait parler son gant de cuisine.) Zou ! Boulègue45 ! - GÉRARD : Vous rigoleriez moins si j’avais un harem de quinze épouses, cinq cents mioches et que je faisais des raves parties chaque soir dans votre cuisine avec deux mille potes, comme Edmond. 43

Raquer : payer, mais pas de bon gré (signifie aussi vomir à Marseille) 44

Fadoli : fou 45

Zou, boulègue ! : Bouge de là !

V E N T S D E F O L I E - Comédie de Thierry FRANÇOIS et Cyril TESSEREAU - page 16

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- JEAN-NOËL : Edmond ? - GÉRARD : Le cafard du sixième. Parlez-en à votre voisine du dessus, la bande à Edmond lui file le bourdon. Alors que vous, avec Gérard vous êtes peinard. Je suis votre assurance anti-vermine. Le premier qui ramène ses sales pattes chez nous, je le vire manu militari. Je n’ai pas l’air comme ça, mais vous ne m’avez jamais vu en colère - une vraie terreur ! - JEAN-NOËL : T’ies sérieux, là ? - GÉRARD : Très. Avec Gérard, pas d’lézard, mais si je pars, qui sera la nouvelle star ? Vous savez ce que vous perdez, mais point ce que vous gagnez. Vous êtes veinard de m’avoir. - JEAN-NOËL : Qu’est-ce tu veux me faire acroire46 ? - GÉRARD : Mieux vaut un petit chez soi qu’un grand lupanar. - JEAN-NOËL : Et tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle me les brise ! Au revoir ! - GÉRARD : Sérieusement, vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi il n’y avait pas d’insectes dans ce foutoir ? Ce n’est pas un hasard. - JEAN-NOËL : Mais… pourquoi… pourquoi47 chez moi le biotope est équilibré, et les surpopulations en milieux clos, pour la plupart … - GÉRARD, l’interrompant : Stooop ! Si vous n’avez pas d’insecte ici, c’est parce qu’il y a Gérard. Point barre. - JEAN-NOËL Stooop ! Y’a pas d’insecte ici, et pas de Gérard qui tienne. Tu te barres ! - GÉRARD : On verra plus tard.

Gérard s’assied ostensiblement dans un fauteuil. - JEAN-NOËL : C’est tout vu, mon lascar ! 46

Acroire : croire, gober 47

Pourquoi : ici, dans le sens de parce que.

V E N T S D E F O L I E - Comédie de Thierry FRANÇOIS et Cyril TESSEREAU - page 17

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Jean-Noël se précipite sur lui. Gérard se relève d’un bond. Jean-Noël le course. Gérard s’arrête brusquement.

- GÉRARD, tendant la souris à Jean-Noël : Vous en voulez une part ? - JEAN-NOËL : Tu rêves ! Dégun mangera ta saleté chez moi ! (À part.) Qué testard48 !

Jean-Noël attrape la souris avec son gant, hurle de douleur, puis gémis de dégoût, et enfin la jette par la fenêtre.

- GÉRARD : Ma souris ! Ma souris ! Mais il est fou ! Un vrai caviar ! - JEAN-NOËL : À ton tour, mon gaillard !

Jean-Noël se remet à courir après Gérard. - GÉRARD : A l’aide ! A l’insecticide ! Au barbare !

48

Testard : quelqu’un de têtu

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Scène 4 : Gérard, Jean-Noël, Ms. Reed

La sonnette retentit. Jean-Noël, dans tous ses états, court autour de la table pour chasser Gérard puis se dirige vers la porte. Il s’essuie rapidement les vêtements avec son gant, hurle, puis se ressaisit.

- JEAN-NOËL, avec sa main gantée : Vaï ! Tu perds rien pour attendre ! Une heure de cafard, ça te bouffe au moins soixante minutes de bonheur !

Il ouvre la porte et Miss Reed entre avec la souris sur la tête - une galette de 30/40 centimètres de diamètre, en fourrure grise, visqueuse et dégoulinante d’un liquide louche, avec deux yeux, une queue, voire des oreilles. Elle reste immobile, flegmatique, la souris sur la tête, un attaché-case à la main.

- MS. REED : Mister Dujardin ? [Prononcer Doudjardine.] - JEAN-NOËL, décontenancé devant le tableau : Dujardin, voui. Et c’est pas un mystère. - MS. REED, stoïque, tendant la main : Enchantée. Miss Reed de Hartcliff and Page... - GÉRARD : Enchanté, miss. Ma souris vous va à ravir, mais elle s’appelle revient.

Jean-Noël serre la main tendue avec son gant de cuisine et grimace de douleur, sans oser hurler.

- JEAN-NOËL, se forçant à être poli et convenable : Oh ! Tout le plaisir est pour moi, misse Ride. Vous avez fait bon voyage ? - MS. REED, imperturbable : Le voyage très ordinaire… mais, euh… il pleut souvent les rats à Marseille ?49 - JEAN-NOËL : Ah. Euh… déjà c’est rare quand il pleut. (Montrant l’animal couvre-chef dégoulinant.) Ensuite c’est pas un rat, mais une souris. - GÉRARD : Evidemment que c’est une souris. Chacun sait que le rat perd toute saveur lorsque il est faisandé. Ce serait tout bonnement un sacrilège !

49

Prononcer le « TS » de rats et le « S » de Paris... Enfin, gros accent américain sur-joué, quoi.

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- MS. REED : Oh. J’ai beaucoup la chance. Just un pitite averse de souris. - JEAN-NOËL, examinant le cadavre : Je dirais plutôt un suicide par défenestration - très fréquent chez la souris, bien plus qu’on se l’imagine… Mais vé, vous êtes couverte comme un Saint-Georges50. Défaites-vous 51? - MS. REED : Que je me défais ? - JEAN-NOËL : Et voui, le manteau et le…(Montrant la souris.) et le capéu52. - MS. REED : Je comptais le garder un peu plus, mais puisque vous insistez… - GÉRARD : Par ici la bonne sou-soupe ! - JEAN-NOËL : Permettez, misse ?

À nouveau, Jean-Noël attrape la souris avec son gant, hurle de douleur, puis gémis de dégoût, et enfin la lance par la fenêtre.

- GÉRARD : Eh ! On ne joue pas avec la nourriture ! - JEAN- NOËL, à Gérard : La ferme ! - MS. REED : Pardon ? - JEAN-NOËL : Je disais… La ferme ! (Montrant son appartement.) C’est… c’est le thème de ma déco. - MS REED : Je vois cela. - GÉRARD : Perspicace, la fille ! - JEAN-NOËL : C’est balès53, non ? 50

Etre couvert comme un Saint-Georges : être tro chaudement vêtu 51

Défaites-vous : Mettez-vous à l’aise, retirez votre manteau… 52

Capéu : Chapeau

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- MS REED : Well, c’est assez déran… (Se reprenant.) Assez décalé ! Yes. Décalé et euh, (Cherchant un mot français sans le trouver.) …amazing54 !

Miss Reed pose sa mallette. - JEAN-NOËL : C’est peut-être eux mes zigues, mais moi je suis un pacoulin55 de la ville, et j’en suis fier ! Mon appart, il est surtout agréable à vivre, que je sens cette communion avé l’authentique et… - GÉRARD, lui coupant la parole : Ah oui ? Parlons-en de la communion ! Et la communion avec mon dîner ? Je m’en rappellerai de celle-là. Affameur de cafards ! - JEAN-NOËL, à Gérard : Eou ! Y va pas se la claver56 le casse-figue 57? Je suis chez moi et je fais ce que je veux. Que si ça te va pas, la porte, c’est par là !

Miss Reed prend la réplique pour elle, sans réellement la comprendre et s’en offusque. Elle se saisit de sa mallette comme si elle allait repartir.

- MS REED, sèchement : All right58 ! Si vous voulez que je pars déjà, alors je pars. Mais euh… C’est stupid59 que je fais le voyage pour rien. - JEAN-NOËL : Mais pas du tout. Salopiot de cafard ! - MS REED, choquée : Pardon ?

Jean-Noël devient mielleux et tente d’être rassurant. Il prend l’attaché-case des mains de miss Reed et le repose pour qu’elle reste.

- JEAN-NOËL : Non, non, ne le prenez pas mal, jeune fille. C’est que récemment, je me suis engatsé60 avec un cafard et ça me dévarie61 un peu et…

Ms Reed grimpe en quatrième vitesse sur une chaise en criant. 53

Balès : fort 54

Amazing : trop d’la balle - qui roxxe du gros poney ! 55

Pacoulin: paysan 56

Se la claver : se taire (se la fermer… à l’aide d’une clavette) 57

Casse-figue : casse-bonbon… casse-couilles. Personne dont la présence est difficile à supporter. 58

All right : Ah bah d’accord. 59

Stupid : ils ont oublié le « e », mais grosso modo cela signifie « stupide » ou « niaiseux ». 60

S’engatser : s’accrocher avec quelqu’un 61

Dévarier : troubler

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- MS REED, soudainement hystérique : Des cafards ? Oh my God ! I hate it ! Ewww62 ! Avec toutes son dirty papattes, son gloomy bidon, son grande bouche piquant, son scary face… bloody rotten beast ! Quelle affrosité ! Ewww caca !63 - GÉRARD, bombant le torse : Eh oui, c’est bien moi tout ça ! Merci, merci.

Gérard salue le public. - MS REED, toujours hystérique : Où ils sont ? Où ils sont ? (Scrutant anxieusement.) Il bougeait là ! lààààà ! Burn it ! Brûlez-le ! Go, go, go ! Seek and destroooy !64 - GÉRARD : Hola, du calme, du calme, please ! Jean-Noël, faites quelque chose. Elle veut me destroyer, l’infidèle ! Je vous revaudrai cela, l’ami. Je vous revaudrai ça ! - JEAN-NOËL : Hé non, c’est pas un cafard ça… C’est mon lombri-composteur - vous savez, le modèle de composteur d’intérieur. Bé, il a une fuite… C’est juste un ver de terre tout péquélet65 qui… - MS REED : Un ver !

Ms Reed, toujours sur la chaise, s’évanouit et tombe dans les bras de Jean-Noël, qui glisse au sol avec elle. Ils se retrouvent couchés, elle sur lui et Jean-Noël se débat de façon ridicule.

- GÉRARD, sur le mode commentateur sportif : Quelle magnifique action ! C’est incroyable, mesdames et messieurs, on tient le record ! Deux minutes zéro sept, pour emballer une fille - champion du monde ! Rappelons qu’il était parti avec un cafard, une souris et un ver de terre en handicap, mais quelle performance au final ! Du-ja-mais-vu ! (puis parle normalement) … Faudra que j’essaye moi aussi, tiens.

62

Ewww : Interjection américaine de dégoût à ne pas confondre avec « you » qui signifie indifféremment « tu »

ou « vous », ou « toi ». 63

« Avec toutes ses sales pattes, son abdomen trouble, ses grandes mandibules, sa face d’épouvantail… saleté

de bestiole pourrie ! Quelle (…) ! Caca beurk ! » 64

Fissa, fissa ! Rayez-le de la surface de ce monde ! (expression guerrière) 65

Péquélet : petit, minus

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Scène 5 : Jean-Noël, Gérard

Jean-Noël se relève enfin, laissant miss Reed toujours évanouie par terre. - JEAN-NOËL : Oh Bonne Mère ! Je le crois pas ! Et l’autre mariole66 qui débite ses conneries, là ! Que si je l’empègue67 celui-là, je lui mets la tête comme un coucourdon68 ! (À Gérard.) Viens là, pétous ! Il commence à courir pour chasser Gérard. - GÉRARD, tournant autour de la table avec Jean-Noël à ses trousses : Miss Reed, miss Reed, on n’oublie pas miss Reeeeeed ! - JEAN-NOËL : Oh con, c’est vrai, misse Ride ! Où est ma « médecine naturelle pour les nuls » ? - GÉRARD : Vous allez l’achever à coups de bouquin ? - JEAN-NOËL : Hé non ! c’est pour la réveiller ! - GÉRARD : À coups de bouquin ? - JEAN-NOËL : Hé non, calu, avé les remèdes ! Y’en a forcément un pour la ranimer ! - GÉRARD : On la mange pas alors ? - JEAN-NOËL : C’est pas vrai d’être aussi con ! Bon, aide-moi au lieu de barjaquer69. Porte70-moi un verre d’eau du temps que je lis… - GÉRARD (perplexe) : Mais oui, c’est ça… Un cafard qui porte un verre d’eau… Et c’est qui le con ? - JEAN-NOËL : Finalement t’ias raison, le coup de bouquin sur la chichourle71, c’est une bonne idée !

66

Mariole : celui qui fait le malin 67

Empéguer : attraper 68

Coucourdon : la courge (ici, la tête) 69

Barjaquer : parler pour ne rien dire 70

Porter : ici, apporter

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Commence à courser Gérard en brandissant le livre.

- GÉRARD : ET MS REED ! MS REED ! ON N’OUBLIE PAS MS REEEEED ! - JEAN-NOËL : T’ias raison, misse Ride d’abord.

S’arrête et lit fébrilement le livre. Alors, alors…Eczéma, épilepsie, escarres… - GÉRARD : Cherchez à anthelmophobie, plutôt. - JEAN-NOËL : Quoi ? - GÉRARD : La peur des vers. - JEAN-NOËL : Mais d’où y sort ce cafard ? - GÉRARD : Et alors, on peut être un insecte et être cultivé, non ? Sachez que c’est mon arrière-grand-père lui-même qui a aidé Kafka à finir sa métamorphose. Ca vous en bouche un coin, n’est-ce pas ? - JEAN-NOËL : Pourquoi ? Il n’arrivait pas à se métamorphoser tout seul, ton Kafka ?

Gérard regarde Jean-Noël et hausse les épaules. Jean-Noël retourne à son livre.

- JEAN-NOËL : Ah voilà - évanouissement, page 93… « Ouvrir les pièces d’habit qui serrent »… C’est pas le plus désagréable… « Coucher la personne évanouie en position latérale de sécurité pour permettre au contenu de l’estomac de se déverser en cas de vomissement » … Oh dégueu ! Elle va pas raquer72 ici quand même ? - GÉRARD : Attendez avant de commencer, je vais chercher une paille.

71

Chicourle : jujube (ici, la tête) 72

Raquer : vomir

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- JEAN-NOËL, dégoûté : Ah nooon ! Aaaaah ! «…en relevant les jambes, on améliore l’irrigation du cerveau » … Intéressant, mais bon, à quoi ça sert ?... c’est une femme. « …Faire respirer du parfum ou du vinaigre fort »… Parfum ou vinaigre fort ? Ah oui, je sais, il me reste du fromage corse du mois dernier. À respirer, il te fracasse le nez !

Jean-Noël entreprends alors d’arracher le chemisier de Ms Reed, de la coucher sur le côté, puis soulève une jambe.

Et comment je fais pour le fromage maintenant ? Ah !

Jean-Noël traine miss Reed pour la rapprocher de la table, lui pose la jambe sur le plateau et cours chercher le fromage.

- GÉRARD : Ne m’abandonnez pas avec cette folle, Jean-Noël ! Elle veut ma peau ! (Se campant devant le corps de miss Reed.) Notez, qu’elle fait moins sa maligne maintenant, n’et-ce pas ? (À miss Reed.) On ne la ramène plus. Gérard est dans la place, gamine. Tu vas voir comment il les mate les hystéros dans ton genre.

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Scène 6 : Jean-Noël, Ms Reed, Gérard

Jean-Noël revient en courant. Gérard s’écarte de miss Reed et va se placer devant les portraits de vaches. Jean-Noël glisse et aplatit le fromage sur le chemisier ouvert de Ms Reed, qui se réveille en hurlant.

- JEAN-NOËL : Putain, il est trop balès ce bouquin ! (Au public.) J’aurais dû en acheter deux, té !

Miss Reed plisse le nez, renifle son chemisier, dégoûtée. - MS REED : Ewww ! What’s happening ? C’est quoi ce strange matière ! Oh nooo, mon beau chemise il est complètement infected ! - JEAN-NOËL : T’inquiète, c’est du fromage bio ! Ça tache… presque pas. - MS REED, écœurée : Mais cette odeur… - GÉRARD : Ah ben ça… y vient de faire Calvi-Marseille à la nage alors forcément, à l’arrivée ça sent un peu le frescun73.

Gérard se pince le nez et agite violemment une main pour se faire de l’air.

- MS REED, montrant Gérard du doigt, bras tendu et rigide : Ça a bougé là ! - JEAN-NOËL : Où ça ? - MS REED, toujours le bras tendu : Là ! Sur le portrait du grosse rouge vache !

Gérard se fait le plus petit et immobile possible. - JEAN-NOËL : C’est Marie-Elisabeth que vous traitez de grosse rouge vache ? Vous z’avez pas honte ? (Prenant un air mélancolique.) Une pure tarentaise, si dévouée et tellement brave74…

73

Sentir le frescun : puer 74

Brave : gentille

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- MS REED, désolée : Oh… c’était votre vache. - JEAN-NOËL : Vous pouviez pas savoir, vaï… Nous étions si proches, elle et moi. Une véritable complicité.

Jean-Noël se lève, et tout en parlant il va allumer un bâtonnet d’encens sur l’autel avec les portraits de vaches. Puis il fait quelques révérences bouddhistes.

- MS REED : Vous aviez une ferme à ce temps ? - JEAN-NOËL : Hé non, elle broutait sur le toit, ici, au Corbu. J’ai mon petit paradis là-haut. C’est un accord avé les co-propriétaires, y me laissent cultiver gracieusement et en échange je leur fournis du lait et quéques légumes. Cet immeuble, c’est le rêve pour jardiner, il y a la grande terrasse, le point d’eau pour arroser ou pour l’abreuvoir… qu’avant c’était une pataugeoire pour les minots. - MS REED : Incredible !75 - JEAN-NOËL : En écologie, il n’y a pas de petits gestes. A Marseille, si chaque terrasse était cultivée, on serait auto-suffisant.

Gérard ose sortir de son immobilisme apeuré. - GÉRARD : Et si les bobos faisaient tomber la neige, la colline des Auffes76 serait une piste noire !

Après quoi Gérard entreprend sa toilette en se léchant négligemment les antennes.

- JEAN-NOËL : Mais au lieu de ça, les gens y s’enferment dans leur appart avé la clim. Té ! Vous savez que le jour où les chinois auront la clim ce sera la fin du monde ? - MS. REED : Oui… euh… peut-être, mais des vaches sur le toit du immeuble c’est…(Ne trouvant pas de mot.) waouh ! Surtout à Marseille ! - GÉRARD : La Marsiale, teste d’aï77 ! 75

Tu m’en diras tant ! 76

Auffes : vallon des Auffes, lieu connu de Marseille 77

Teste d’aï : tête d’âne

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- JEAN-NOËL, montrant le portrait : Vé, ce regard, tendre et intelligent. Je sentais son enthousiasme à m’assister dans mes espériences jusqu’à… jusqu’à l’esplosion. - MS REED, navrée : Ouch ! - JEAN-NOËL, ému : La solution la plus évidente, c’était d’utiliser la turbine à gass pour actionner le méthaspirateurTM. Mais... mauvais réglage de la compression, mauvaise limonade78 et ma pauvre Marie-Beth, peuchère, elle…

Jean-Noël s’étrangle d’émotion, baisse les yeux et caresse la tête de son gant de cuisine en le regardant tristement.

- MS REED : Ce sont des choses qui arrivent… Elle a probablement pas eu du temps pour souffrir. - GÉRARD : Un simple pet de travers et on l’a retrouvée décalquée sur l’immeuble d’en face. Comme ça, subitement, sans crier gare. Splatch !

Gérard fait un geste ample des deux bras pour mimer une grosse tache sur une façade.

- MS REED : Là ! Ça bougeait encore !

Gérard recroqueville prestement ses bras et reste immobile, le regard effrayé. Jean-Noël inspecte la zone indiquée par miss Reed.

- JEAN-NOËL : Hé non, hé non… c’est votre imagination. Et puis vaï, vous n’êtes pas venue ici pour le safari. - MS REED : Quoique je sens le fauve déjà … Oh sorry, je peux changer le chemise ? - JEAN-NOËL : Hé voui, z’avez toute une tapée79 de t-shirts propres dans la salle de bain. Il y en a 499 dans 5 tailles différentes du smale au xixèle80. Je vous en offre un, bien volontiers, misse. - MS REED : 499 ? Pas 500 ? 78

Mauvaise limonade : situation porteuse de gros ennuis 79

Une tapée : beaucoup 80

Du smale au xixèle : du small au XXL

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- JEAN-NOËL : J’avais un stand au Salon de l’agriculture l’an passé pour présenter le méthaspirateurTM avé des t-shirts promotionnels. Ma foi, j’ai vendu qu’un seul t-shirt, mais c’est déjà prometteur, vous trouvez pas ? - MS REED : C’est encourageant. - JEAN-NOËL : C’est la mamet81 qui l’a acheté. Enfin bref, c’est de ce côté la salle de bain.

Jean-Noël lui indique la direction et miss Reed sort en tenant du bout des doigts les pans de son chemisier éloignés de sa peau. Le gant de Jean-Noël suit les fesses de miss Reed du regard.

Qu’est-ce tu regardes, malpoli !

Il se tape sur la main (celle avec le gant) et retient un cri de douleur.

81

La mamet : la vieille femme, la grand-mère

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Scène 7 : Jean-Noël, Gérard

Dès que Jean-Noël se retrouve seul il se précipite sur Gérard et l’agrippe par les antennes de sa main valide. Il le ramène jusqu’au proscenium sans lâcher sa prise.

- JEAN-NOËL : Ven aquí82, Gégé ! Je t’avais prévenu que tu perdrais rien pour attendre. - GÉRARD, grimaçant : Aïe, aïe, aïe ! Pas les antennes ! Pas les antennes ! - JEAN-NOËL : C’est l’heure de mettre les voiles. J’ai pas envie que tu pourrisses la signature du contrat. Compris ? - GÉRARD : Aïe ! Lâche mes antennes, ça me donne des fourmis ! Aïe-euh ! - JEAN-NOËL : Tu me tutoies, maintenant ? - GÉRARD : C’est qu’on est très proches, là. Lâche mes antennes ! - JEAN-NOËL : Pas avant que tu me promettes de déguerpir, bordille ! - GÉRARD : Arrête, Jean-Noël ! Tu le regretteras ! Tu ne comprends pas que nous sommes complémentaires ? - JEAN-NOËL : Nous ? - GÉRARD : J’admets que tu n’es pas mauvais dans l’invention pure, mais question applicatif et fignolage, tu as de la chance que je sois là. - JEAN-NOËL, resserrant sa prise : Pardon ? - GÉRARD, grimaçant : Ta machine – aïe ! - heureusement que je travaille dessus la nuit sinon ce n’est pas trois vaches que tu aurais envoyé brouter les pissenlits par la racine, mais tout un troupeau.

82

Ven aqui : viens ici

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- JEAN-NOËL : Oh fifre83 ! Tu me chantes quoi, là ? - GÉRARD : Qui a re-calibré le brûleur après la rupestre disparition de Marie-Beth ? C’est moi ! Qui a passé deux nuits à régler le moteur du compresseur de l’intérieur ? Encore moi ! - JEAN-NOËL, stupéfait, il lâche Gérard et prend un peu de recul : Tu me galèges84, là ? - GÉRARD : Ben tiens ! Si je ne l’avais pas fait, tu aurais vu ce que cela donne une vache retournée comme une chaussette dans un sac d’aspirateur. - JEAN-NOËL : C’est vrai que j’ai été surpris le matin en trouvant le problème résolu… que je pensais avoir capté la solution pendant la nuit sans m’en souvenir… - GÉRARD : Ingrat ! Crois-moi, ce n’est pas avec ta « médecine naturelle pour les nuls » que tu réparerais ta machine. Et puis qui ? Qui mieux qu’un cafard peut débugger un programme ? - JEAN-NOËL : C’est bien joli tout ça, mais vaï, tu restes un cafard et je veux pas de ça chez moi. - GÉRARD : Même si je te dis que j’ai la solution au problème de lévitation ? - JEAN-NOËL, tout excité : Oh ! Tu sais comment faire pour qu’une vache elle s’envole pas ? Dis-moi ! Tu sais comment faire ?

Gérard se fige.

83

Fifre : pipeau, ici beau parleur 84

Galèger : raconter des salades, exagérer

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Scène 8 : Miss Reed, Jean-Noël, Gérard

Miss Reed est entrée dans le dos de Jean-Noël. Elle porte le T-shirt promotionnel du Méthaspirateur™.

- MS REED, regarde Jean-Noël comme s’il était fou : Faut pas le contrarier. Faut pas détruire ses rêves. - JEAN-NOËL : Hé ? - MS REED, apaisante : Peut-être si le vache il veut voler, il a ses raisons. - JEAN-NOËL, très sérieux : Ah d’accord. Regardez-moi bien - entre Gérard qui veut que je soigne votre anthelmophobie de je sais pas trop quoi, et vous qui me voyez analyser les fantasmes refoulés d’une vache – dîtes-moi franchement : est-ce que j’ai vraiment une tronche de psychologiste ?

Jean-Noël met face à son visage le gant de cuisine qui le regarde fixement un instant, puis il change sa voix en faisant parler son gant.

Je pose la question ! - MS REED : Ow, je… je comprende pas tout ce que vous parlez, je connais pas ce Gérard, mais euh… Je voulais pas vexer vous. - JEAN-NOËL : Gérard ? C’est rien. Revenons à notre affaire au lieu de déparler85.

Jean-Noël est dans l’espace cuisine et met de l’eau à bouillir. - GÉRARD, lissant douloureusement ses antennes : Gérard c’est rien… C’est rien… Ce n’est peut-être rien, mais sans lui tu ne serais personne ! - JEAN-NOËL, ignorant la réplique de Gérard : Je vous sers un thé, milédi, le temps que mon collaborateur arrive pour la démonstration ? - MS REED : Oui. Avec un goutte du lait, please.

85

Déparler : dire des âneries

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- JEAN-NOËL, limite catastrophé : Du lait ?... Vous voulez dire, du lait de… de vache ? - MS REED, penaude : Je disais le connerie ? - JEAN-NOËL, très ému : Oh non, non… mais c’est que… émotionnellement… enfin… du lait, quoi. Vous comprenez ?

Jean-Noël amène sur la table un plateau préparé à l’avance avec deux tasses, sous-tasses, cuillers, pot de sucre.

- MS REED : Sorry, je ne voulais pas… - JEAN-NOËL, ravalant un petit sanglot : No problème ! Je vous en porte.

Miss Reed s’assied à table (ou au bar, selon le décor). Jean-Noël retourne vers la cuisine chercher son petit pot de lait86. Miss Reed aperçoit l’assiette de panisse et en pioche un. Elle le regarde avec intérêt, le renifle.

- MS REED : Vos cookies sont beaucoup mignons. C’est vous les fabrique ?

Jean-Noël se retourne, affolé. - JEAN-NOËL, criant : Oh le con de Manon87 ! On touche pas aux cookies ! No cookies ! - MS REED, reposant prestement le gâteau, effrayée : Oh ! - GÉRARD : Obéis si tu ne veux pas t’envoler au pays des psycho-schtroumpfs. - JEAN-NOËL : C’est pas des coukizes, c’est des panisses et ils sont tout rances, peuchère ! - MS REED : Mais on dirait ils sortent du four… - JEAN-NOËL : Méfi88 ! qu’y datent du mois dernier.

86

Accessoiriste ! Un petit pot de lait façon pot de lait fermier cylindrique en étain, vous voyez le genre ? 87

Le con de Manon : exclamation intraduisible (enfin presque) 88

Méfi : Méfiez-vous, attention

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Jean-Noël apporte la théière et le pot de lait. Il confisque l’assiette de panisses.

- MS REED : Ils sont encore chauds. - JEAN-NOËL : C’est qu’ils sont malades… sûrement une poussée de fièvre.

Jean-Noël verse le thé dans la tasse de miss Reed, puis le nuage de lait, mais le lait est caillé.

- MS REED : C’est votre lait qui est malade. - JEAN-NOËL : Oh fan, c’est vrai ! Il est juste bon à faire de la brousse… (Soudainement affligé.) Ce lait, c’est tout ce qu’il me restait d’elle, peuchère… Cette fois, Marie-Thérèse n’est plus. (Parlant avec son gant.) Adieu, Mary-thé !

Jean-Noël jette le petit pot de lait par la fenêtre. - MS REED : Une de vos vaches ? - JEAN-NOËL, indiquant le second portrait de vache : Plus qu’une vache hélas, une héroïne qui a laissé sa marque dans la prestigieuse histoire de la science.

Jean-Noël se lève et va allumer un bâtonnet d’encens sous le portrait de Mary-thérèse et fait quelques révérences bouddhistes.

- GÉRARD : Et quelle trace ! Un cratère roussi de huit mètres de diamètre. - JEAN-NOËL : C’était avant que je stocke le méthane dans un ballon de caoutchouc. A l’époque, j’utilisais une enveloppe d’aluminium. - MS REED : L’aluminium n’était pas étanche assez ? - JEAN-NOËL : Hé si, mais sur le toit de l’immeuble la vache surmontée d’une bulle métallique était plus esposée que le paratonnerre. - MS REED : Oh, my god ! Nooo !

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- JEAN-NOËL, acquiesce de la tête, puis regarde miss Reed tristement : Hé vouai, foudroyée dans la force de l’âge et aussitôt incinérée par son propre méthane. - GÉRARD : Nous n’avons retrouvé que ses sabots fondus et sa cloche incrustée dans la parabole. - MS REED : C’est horrifique ! Le pauvre Mary-Theurèze. - GÉRARD : Sans compter l’odeur de corne brûlée dans tout le quartier pendant une semaine. - MS REED : Il faut plus vous pensez de tout ça. Il faut regarder le future. Je suis sûre vous aurez encore plein de les vaches sur votre toit et ils seront heureux. - JEAN-NOËL : Voui. Mais ça me fait peine89. - MS REED : Elle était heureuse votre Mary-Theurèze sur son toit, c’était son petit prairie à elle là-haut, pareil comme à la campagne, mais sans rivière. - JEAN-NOËL : Malheureuse ! On mène90 jamais les vaches à la rivière ! - MS REED : Vraiment ? - JEAN-NOËL : Hé bien sûr ! Les vaches n’ont pas de sphincter. Si elles avancent dans l’eau, elles se remplissent et alors… elle coulent. - MS REED : Oh. Je l’ignorais.

L’antique téléphone sonne. - JEAN-NOËL : Escusez-moi.

Jean-Noël se lève et va répondre.

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Faire peine : avoir de la peine 90

Mener : emmener

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Allô ! Ah, Pascalou. On attend plus que toi, mon beau. (…) Qué insolation ? en novembre un coup de cagnard91 ? (…) Hé bé, ma foi, j’vais me débrouiller. (…) Et non que je t’en veux pas, ce sont des choses qui arrivent. (…)

Jean-Noël achève la conversation très sèchement. Vouais. C’est ça, et soigne-toi bien. Cia’-ciao. - GÉRARD : Ca sent le lapin, tout ça !

Jean-Noël raccroche le combiné, jette le téléphone par la fenêtre et retourne vers Reed.

- JEAN-NOËL, revenant vers miss Reed : C’est cette sègue92 de Pascalou qui m’a posé un l… (Se reprenant.) Non, je veux dire qu’hélas mon collaborateur a un empêchement de dernière minute. Vous comprenez, c’est un cycle infernal. À cause du pétrole, l’air est pollué, ce qui déclenche le réchauffement du climat. Par conséquent, on climatise sa voiture, donc il faut plus d’essence, alors on exploite encore plus de gisements de pétrole. Mais à cause du réchauffement, la banquise fond et de plus en plus de nappes sont accessibles. Alors eux-autres y les esploitent et au bout du compte, vos assistants se chopent un coup de cagnard en plein mois de novembre, et moi, au final, je pourrai pas vous faire la démonstration en question. (À son gant.) Y sont pas couillons les lobbies pétroliers, té. - MS REED : Vraiment ? - GÉRARD : Jeannot, ne baisse pas les bras. Nous avons besoin de ses capitaux pour achever notre œuvre ! - JEAN-NOËL : A moins que… - MS REED et GÉRARD : A moins que ? - JEAN-NOËL : Hé, ça me gêne de vous demander ça… mais je peux pas laisser les lobbies pétroliers gagner cette lutte, ce serait trop facile. - MS REED : Disez-moi. - JEAN-NOËL : A moins que vous n’acceptiez de… de me faire la vache. 91

Cagnard : soleil 92

Sègue : branleur

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- MS REED : Pardon ? - JEAN-NOËL : Hé voui, je peux pas vous montrer le méthaspirateur™ juste comme ça. Ca marquerait mal… Vous voulez bien, misse ? - MS REED : Vous plaisantez ? C’est un joke ? - JEAN-NOËL : Ah mais, je le branche pas, c’est promis. Ce sera comme pour de faux, bien sûr. - MS REED : Je… cela n’est pas le rôle pour moi. - GÉRARD, observe miss Reed et mime sa poitrine plate : Mouais… Grande nouveauté au salon de l’agriculture 201393 : du lait de limande ! - JEAN-NOËL, à Gérard : T’ies pas bien de dire des trucs pareils, toi ? - MS REED : J’ai trop le, euh… (Cherchant le mot.) farouge, oui ? - JEAN-NOËL : Farouge ? - MS REED, expliquant en montrant son visage : Yes, rouge… le face ! - JEAN-NOËL, comprenant : Aaaah ! RouCHE! FarouCHE ! Vous êtes trop farouche, effarouchée. Vous manquez de graine94, quoi. - MS REED : That’s it. - JEAN-NOËL, en mode « winneur » : Hé ! Y faut pas ! Pas dans votre métier, en tout cas. Je veux pas d’un partenaire timide et craintif. C’est pas comme ça que fonctionnent les affaires. - MS REED : Vous avez raison. 93

Merci de réactualiser la date éventuellement… le temps passe tellement vite ! 94

Manquer de graine : manquer d’assurance

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- JEAN-NOËL : Allez zou ! Faut foncer ! Vous me faites la vache, je vous fais la démonstration et ensemble nous serons les maîtres du monde ! Ok ? - MS REED : Ok. - JEAN-NOËL : Bouléguès pas, hé ? - MS REED, ahurie : What ? - JEAN-NOËL : Pas bouger, je reviens. Le temps de tout préparer et je suis à vous. (À son gant.) Viens, toi, que tu me donnes la main95. - MS REED : Promise. Je bouger pas.

Ms Reed se fige et bloque même sa respiration. Jean-Noël sourit. - JEAN-NOEL : Vous pouvez respirer, of course96.

Miss Reed expire. Jean-Noël sort chercher son matériel.

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Donner la main : donner un coup de main. 96

Prononcer à la marseillaise, auffe kource !

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Scène 9 : Miss Reed, Gérard

Dès que Jean-Noël est sorti, miss Reed se précipite vers l’antique téléphone. Elle passe devant Gérard qui se plaque contre le mur, immobile. Elle reste un instant interdite devant l’antique combiné, décroche et vérifie qu’il y a une tonalité – avec un truc pareil, on ne sait jamais – puis compose un numéro. Son interlocuteur est au bout du fil, elle lui parle comme une comploteuse qui a peur de se faire prendre et… sans le moindre accent américain.

- MS REED, sans le moindre accent américain : Allô ? (…) Oui, c’est moi. Je suis chez lui. (…) Hein ? (…) Non, mais comment t’as fait ? Comment t’as pu rester un an avec ce mec ? Il est complètement barré ! Bon à enfermer ! - GÉRARD, médusé : Oh la ! C’est quoi cette embrouille ? - MS REED : Déjà, tu verrais chez lui, j’te raconte pas. Il a décoré son appart comme une ferme - n’importe quoi ! Mais c’est encore pire dans sa tête ! Il passe son temps à parler à sa main et à faire exploser des vaches dont il collectionne les portraits... Un grand malade ! Une sorte de psychopathe fétichiste ! - GÉRARD : Ouais bon, là j’avoue qu’elle a pas tout à fait tort. - MS REED : Oui, oui. Ne t’inquiète pas, ce sera un jeu d’enfant de le mettre à genoux, cet enfoiré. Il paiera pour ses crimes. - GÉRARD : Elle y va un peu fort, la miss. Il a son petit caractère le Jean-Noël, mais il n’a jamais tué que trois vaches. - MS REED : Bien sûr, on fait comme on a dit. Je le fais signer le contrat, je lui pique ses brevets, je le pousse à investir jusqu’à ce qu’il hypothèque son slip, et tout ça sans jamais toucher un rond des capitaux que je vais lui faire miroiter. - GÉRARD : Eh ! Touche pas mon Jeannot, mon frère ! - MS REED : Dans un an, il sera au fond du gouffre. Je te le promets, maman.

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- GÉRARD : Maman ? Elle appelle sa mère ? Oh bon sang ! - MS REED : Et c’est pas parce que c’est mon père que j’aurai la plus petite compassion. Pas après ce qu’il t’a fait ! - GÉRARD : J’en étais sûr ! - MS REED : Oh ! Je l’entends qui revient. Je file !

Miss raccroche prestement le combiné et retourne s’asseoir.

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Scène 10 : Jean-Noël, Gérard, miss Reed

Miss Reed fait mine de siroter son thé. Jean-Noël revient sur scène habillé avec une blouse blanche façon rat de labo. Il pousse une desserte à deux étages recouverte d’une housse. Un paper board est posé par-dessus, et sur le tableau, une tenue de vache vient compléter l’improbable empilement.

- JEAN-NOËL : Voilà, voilà. J’ai pas été trop longuet ? - GÉRARD : Jeannot, faut que je te parle ! - JEAN-NOËL, à Gérard : Tu parleras plus tard. - MS REED, interloquée : Mais je parler pas. - JEAN-NOËL, à Gérard : Raison de plus. Maintenant, l’heure est aux choses sérieuses. - GÉRARD : C’est très sérieux ce que… - JEAN-NOËL, le coupant vivement : Tu captes pas que je joue mon avenir, là ? - GÉRARD : Le problème, c’est ton passé et… - JEAN-NOËL, l’interrompt une nouvelle fois : Alors tu te la claves !

Miss Reed, interloquée, regarde Jean-Noël et lui fait signe qu’elle n’ouvre plus la bouche.

- GÉRARD, boudeur : Ça va. Je me tais. Tant pis pour toi. Tu l’auras voulu. - JEAN-NOËL, menaçant, à Gérard : Et rappelle-toi que t’ies juste toléré ici. - MS REED, reprenant sa sacoche : Je crois j’ai entendu assez. Je reviendrai quand vous sera calmé.

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- GÉRARD, à miss Reed : Bon vent ! Et ne te presse surtout pas de revenir, traitresse ! - JEAN-NOËL : Hé mais non, vous pouvez rester, vous. - MS REED : Pardon ? - JEAN-NOËL : C’est pas pour vous que je disais ça. - MS REED : Alors pour qui ? - JEAN-NOËL : Pour… pour… pour ma timidité. - MS REED : Vous parlez à vous-même ? - JEAN-NOËL : Oui, c’est ça. C’est une technique de motivation. Allez, accroche-toi, Jeannot ! Fonce ! Te laisse pas intimider ! Fais-y voir que t’ies un cador ! - GÉRARD : Et tu crois qu’elle va gober ça ? - MS REED : Ouiii ! (Elle applaudit sur le « oui ».) Parfois je le fais cela aussi… mais dans la tête. - GÉRARD, à part, faisant signe qu’il a affaire à deux fous : Tel père, telle fille ! - JEAN-NOËL : Hé. Ça marche aussi, mais c’est plus stimulant quand on estériorise. Vous devriez essayer. - MS REED : Maintenant ? - JEAN-NOËL : Hé oui ! Vaï, lâchez-vous ! Combattez vos complexes ! Soyez une vinneuse ! - MS REED : Ok… (Se concentre une seconde.) J’ai pas peur de le ridicule ! Je peux le mettre la costume du vache ! - JEAN-NOËL, enthousiaste : Très bon, ça ! Je peux le mettre le costume de vache, et même, je VEUX le mettre !

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- MS REED : Je VEUX la mettre la costume du vache ! - JEAN-NOËL, enthousiaste : Très bien ! Parfait ! Continuez ! - MS REED, volontaire : C’est pas ce frenchie qui impressionne moi ! Je vais le marcher dessus ! - JEAN-NOËL, plus réservé : Ok, c’est bon, je crois qu’on a compris. - MS REED, déterminée : Je vais l’écrase, ce minus. - JEAN-NOËL, tentant de calmer le jeu : C’est bon. On est prêt, je crois. - MS REED, guerrière : Je vais le pulvérise, le destroy ! - JEAN-NOËL, limite vexé : Ca ira, on est suffisamment chauds, là ! - MS REED, excitée comme une puce : Yeah ! Ready ! - JEAN-NOËL : Bien. Costume de vache ? - MS REED, toujours à fond : Ok ! Let’s go !

Jean-Noël va chercher le costume de vache posé sur la desserte et le montre fièrement. Le déguisement en question se compose d’une salopette blanche décorée d’ocelles noirs. Au bas du dos est cousue une queue et au niveau du bas-ventre est fixé un gant de caoutchouc rose bourré de coton hydrophile. En travers du dos est écrit MéthaspirateurTM, au dessus d’un « M » dans un écusson façon super-héro.

- JEAN-NOËL : Entièrement fait main, le modèle bucolique-body de chez Prim’Holstein, collection printemps-été 201297 ! Existe aussi en version promotionnelle pour les minots98. J’en ai 500 en caisses sur le toit si vous voulez.

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Il n’est pas interdit d’adapter la date et/ou la saison. 98

Minots : enfants

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- GÉRARD : Alors miss monde, toujours « raidie99 » ? Jean-Noël, fais une pause, il faut que je te dise que…

L’enthousiasme de miss Reed a quelque peu tendance à soudainement s’effondrer – autrement dit, elle déchante grave.

- JEAN-NOËL, toujours fier de lui : Vous avez vu avec quelle force ça crée du contexte ? C’en est presque déconcertant, té ! - MS REED, déconcertée (justement) : J’arrivais pas de trouver le mot juste. - JEAN-NOËL : Super, ma quique ! Pendant que vous enfilez ça, je me prépare l’espace de démo. - MS REED, hésitante : C’est que… - JEAN-NOËL : Allez, hop ! « Je pioux la mettre le costioume diou vache ! » - MS REED, à contre-cœur : Okay. (Répètant sans entrain.) Je… Hum… Je pioux la mettre la costioume diou vache.

Jean-Noël positionne sa desserte bien en vue et décharge le paper-board pendant que miss Reed enfile la salopette. Gérard observe miss Reed. Il est mort de rire. Jean-Noël se retourne vers miss Reed et s’exclame.

- JEAN-NOËL : Ah ! Je vous l’avais dit, c’est trop fort en contexte ! N’y voyez aucune vulgarité, mais la Prim’Holstein, ça démoule sa race ! - MS REED, se sentant ridicule, mais voulant encore y croire : Really ? - JEAN-NOËL : On s’y croirait, té !... Ah. Attendez, juste un détail.

Va chercher un serre-tête avec des cornes de vaches qui était planqué dans un coin et l’ajuste sur la tête de miss Reed. Il recule d’un pas et admire son œuvre.

Parfait ! On vous a jamais dit que vous aviez une tête à porter des cornes ? C’est pas tout le monde. (Regarde le public.) Y’en a beaucoup – surtout ce soir – mais c’est

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Comprenez « ready », soit pour les anglo-résistants : « prête ».

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pas tout le monde ! (Re-regarde le public.) Ça aussi j’en ai 500 en stock. Vous en voulez un, monsieur ? Ou alors vous peut-être ?100 (Revenant vers miss Reeds.) Et question mamelles alors là, pauvre… ça vous change du tout au tout. Si Kafka il avait eu ça, il en aurait moins cagué pour se métamorphoser, ah. - MS REED, empotée : Et euh… je fais quoi, now ? - JEAN-NOËL : Rien. Pour l’instant vous vous asseyez là et vous faites le santon101… - GERARD : Dans la crèche il y a une vache, et (montrant Jean-Noël) le ravi. - JEAN-NOËL : A moins(e) que vous ne préfériez rester à quatre pattes pour être encore plus immergée dans le contexte. - MS REED : Oh no, trop de contexte tue le contexte102. Assise, c’est bien. - JEAN-NOËL : D’accord. Mais méfi de pas froisser la queue.

Miss Reed va s’asseoir à la place indiquée par Jean-Noël. (Elle voit bien le paper-board, mais le public le voit mieux encore).

- GÉRARD : Stoppe tout, Jeannot !... (À part.) Bon sang, il ne m’écoute plus. J’espère que l’effet des panisses va pas se dissiper !

Jean-Noël se racle la gorge et prend une posture de conférencier. On peut imaginer la bouteille d’eau minérale, la cravate qu’il sort de la poche de sa blouse et ajuste consciencieusement sur son t-shirt… Il prend deux marqueurs de couleurs différentes et réalise son schéma de principe au tableau, tout en le commentant.

100

Jean-Noël peut en profiter pour s’amuser avec le public et s’avancer sur le proscenium, voire descendre

devant le premier rang (dans ce cas, prévoir qu’il ait deux ou trois serre-têtes à agiter). 101

Faire le santon : ne pas bouger 102

NdA. C’est pas parce que je ne le répète pas à chaque réplique qu’on n’oublierait de prononcer [Ohou nohou,

troppe de context tioue le contexte] à l’américaine.

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- JEAN-NOËL : Mesdames, Messieurs - Vaches, et Béus103 - merci d’être venus autant nombreuses et nombreux assister à la démonstration du Méthaspirateur™. Posons tout d’abord la question de base : Qu’est-ce que le processus « VACHE » ?

Il regarde le public, comme s’il attendait une réponse, et continue après un bref silence.

Hé bé… Je vois qu’on part de loin.

Jean-Noël repose la question et y répond mécaniquement comme un enfant qui récite les tables de multiplication.

Qu’est-ce que le « processus vache » ? Le processus « VACHE », à partir d’un produit d’entrée communément appelé « Herbe » s’articule en deux phases majeures et vaccinées : « BROUTER » et « RUMINER », qui peuvent elles-mêmes se décliner en sous-processus, bien qu’il soit pour l’heure inutile d’approfondir ce champ. Retenez simplement qu’à partir du produit d’entrée « Herbe », le processus « VACHE » génère principalement en produit de sortie du… du ?

Jean-Noël attend une réponse qui viendra du public ou de miss Reed. - MS REED : Le lait ? - JEAN-NOËL : Non ! J’ai dit : « principalement ». Le processus vache génère principalement du… méthane, puis… de la bouse, et enfin… du lait ; et accessoirement, de l’urine, de la

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Béu : bœuf, bovin

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viande, des veaux, du cuir, de la corne, de l’urine, des poils et des yeux, mais ce n’est pas notre propos du jour. Méthane, bouse, lait. Sur ces trois produits renouvelables, nous n’en valorisons réellement qu’un seul. Qué gâchis ! La bouse nous l’utilisons essentiellement en engrais alors que vé, convenablement conditionnée on peut en faire des granulés pour le chauffage, ou des briquettes de construction aux estraordinaires caractéristiques d’isolation thermique et phonique. Quant au méthane rejeté par les ruminants, c’est un terrible polluant qui creuse le trou de la couche d’ozone avec ses petits doigts comme ça, et qui accélère le réchauffement climatique en intensifiant l’effet de serre. - GÉRARD, montrant miss Reed avec ses cornes : Et l’effet de cerf, c’est pas quand il pousse des bois sur la tête des gens. - JEAN-NOËL : Quoi qu’il en soit, c’est là que j’interviens. C’est là que mon invention prend tout son sens. Vé, laissez-moi vous espliquer le Méthaspirateur.

Jean-Nöel repose ses marqueurs, va vers la desserte et saisit le voile qui la recouvre.

Ceci est une révolution ! Je vous présente la i-vache, le nec plus ultra en matière de bovotique !

Jean-Noël retire le voile. Miss Reed est stupéfaite, mais on ignore si c’est dans un sens positif ou négatif. On découvre l’invention de Jean-Noël rangée sur la desserte à double étage. Sur celui du bas est entreposée la machine et, sur l’étage du haut la télécommande grossière (un gros levier à trois positions, et un joystick). La « machine » ressemble davantage à l’assemblage improbable d’un bricoleur fou, qu’à un produit vendable. Elle se compose d’un corps sous la forme d’un gros sac à dos, destiné à être posé sur le dos de la vache. De chaque côté, elle est flanquée par deux sacoches reliées au sac par des fils électriques et des flexibles de douche. Un tuyau d’aspirateur sort également du sac à dos, afin de se « brancher » sur la vache. Quatre étriers achevés par des bracelets viendront s’attacher sur les pattes de l’animal pour absorber l’énergie cinétique censée actionner le moteur de l’aspirateur. Enfin, le sac est surmonté d’une antenne pour la télécommande et d’un ballon de baudruche en aluminium pour le stockage du méthane. Pour parachever l’impression désastreuse donnée par l’objet, les couleurs sont atrocement vives et mal assorties.

- JEAN-NOËL : Approchez-vous, misse Ride, que je vous fasse voir.

Miss Reed se lève et rejoint Jean-Noël.

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- MS REED : C’est le très mysterious machine. - JEAN-NOËL : Hé non, c’est tout simple en réalité.

Jean-Noël prend en main le sac à dos. Dedans ce sac, un aspirateur, dessiccateur, condenseur à énergie cinétique. Tournez-vous.

Jean-Noël prend en main le sac à dos. Evidemment en position verticale on ne se rend pas bien compte. Mettez-vous à quatre pattes s’il vous plaît. - MS REED : Ow, mais no. Je… - JEAN-NOËL, la coupant : Je peux pas à la fois porter la machine et faire la démonstration, donc c’est forcément vous. (Péremptoire.) Pour la science !

Miss se met à quatre pattes de mauvais gré. - MS REED : C’est stupid104, je suis ridicule. - GÉRARD : Tant que tu y es, tu devrais en profiter pour la traire avant que ce soit elle qui te le fasse ! - JEAN-NOËL, à Gérard : Et toi, t’ias intérêt à la boucler pendant la démo que je te colle un bendeu105 ! - MS REED, outrée : Hey you! Reste poli ou je pars. - JEAN-NOËL : C’est pas pour vous que je dis ça. Après l’accident de panisses, la souris fermentée, le cafard, votre anthelmophobie, mes créanciers et l’explosion de Marie-Beth je suis boulégué, c’est tout. - MS REED : Pardon ? - JEAN-NOËL : Non, rien. Oubliez. 104

Stupid : stupide. 105

Bendeu : une baffe, un pain, une torgnole

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Jean-Noël va chercher une règle qu’il utilisera pour indiquer les différents composants du Méthaspirateur™.

Alors, alors… Vous avez ce flexible qui théoriquement se branche disons, pour faire politiquement correct, entre les membres antérieurs de la bestiasse.

Jean-Noël imite le geste avec le flexible, Reeds fait un bond en avant pour esquiver.

Hé non, n’ayez pas peur ! C’est pour aspirer la matière première qu’elle soit solide, ou gazeuse. Ici, dans le sac, le centre de traitement. Les sacoches latérales reçoivent, selon le programme voulu, soit les granulés combustibles pour chaudières, soit les briquettes d’isolation. Quant au ballon, il est là pour stocker le méthane. Vous comprenez ? - GÉRARD, boudeur, dans son coin : Dites « meuh ! ». Une fois pour oui, deux fois pour non. De toute façon il n’écoute plus personne quand il part dans ses démos. - MS REED : Très ingénious106.

Miss Reed saisit un étrier et l’agite. Et ceci ? - JEAN-NOËL : Ah ça ! Ma toute dernière innovation. Ces bracelets s’attachent aux pattes de la vache et captent l’énergie des mouvements qui alimente tout le système. Je vais vous faire voir.

Jean-Noël fixe les bracelets aux chevilles et poignets de miss Reed. Vé, marchez maintenant.

Miss Reed avance, toujours à quatre pattes à travers la pièce. Dès cet instant, un bruit de machinerie énorme emplit la scène, cliquetis, compressions, vapeur, pistons... (Si on peut faire s’allumer ou fumer des éléments de la machine, c’est encore mieux. Il peut s’amuser aussi avec la télécommande et lui faire faire des cabrioles ou autres couillonnades.)

- GÉRARD : Plus haut, les papattes. Plus haut ! - MS REED, criant : C’est bruiteux !

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Ingénious, on dirait un mot provençal comme ça, mais non.

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- JEAN-NOËL, une main en pavillon d’oreille : Hé ? - MS REED, hurlant : Beaucoup du bruit ! - JEAN-NOËL : Arrêtez de marcher, ça fait trop de bruit. - GÉRARD, les mains en porte-voix : C’est le Concorde ?

Miss Reed s’arrête de marcher et le bruit cesse. Elle se relève pour signifier la fin de l’expérience.

- MS REED : Je stoppe le marche, il fait trop du bruit. - JEAN-NOËL : Voui. Il me reste deux choses à corriger avant la commercialisation : le bruit qui stresse un poil les animaux, et la lévitation. C’est pourquoi j’ai besoin de belins107. - MS REED : De belins ? - JEAN-NOËL : D’argent, si vous préférez. - MS REED : Ah. Ok . - GÉRARD : Jean-Noël, écoute-moi ! Tu fais fausse route avec miss Reed ! - JEAN-NOËL, criant après Gérard : Va te faire une patrouille ! J’ai pas fini, Gérard ! - MS REED : Gérard ? - JEAN-NOËL : Oui, Gérard… Gérard… euh… j’ai rarement connu l’échec et quelques petits réglages, je les crains pas. - MS REED : Plutôt le gros réglage pour cet bruit, no ? Et euh… C’est quoi le problem du lévitécheun ?

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Les belins : l’argent

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- JEAN-NOËL, soudainement triste : Ah… une tragique expérience. - MS REED, regardant les portraites de l’autel : Le troisième vache, isnt’it ? - JEAN-NOËL : Marie-Marguerite…

Jean-Noël va jusqu’à l’autel et tout en expliquant la tragédie, il met deux bâtons d’encens à brûler et fait quelques gestes de prière bouddhiste.

Avec elle, aucun risque d’esplosion que j’avais déjà remplacé le moteur à gasse par l’énergie cinétique. Pas de risque de foudre, pourquoi le ballon n’était plus en aluminium. Tout fonctionnait à merveille jusqu’au jour où Marie-Marguerite a brouté une rangée de choux. Et alors, vaï, elle a émis trop de gasse et la pauvrette, elle s’est envolée. - MS.REED : Vous ne l’avez plus revue jamais ? - JEAN-NOËL : Hélas, si. Arrivée à une altitude critique, tout a gelé et elle est retombée comme une pierre.

Miss Reed entreprend de retirer le méthaspirateur™ de son dos. - MS REED : C’est terrible ! - JEAN-NOËL, montrant le portrait du chien : Surtout pour Caprice, le chien de la concierge, qui s’est retrouvé sous l’impact. - MS REED : Pas de chance. Il promenait dehors juste à cet moment ? - JEAN-NOËL : Hé non. C’était un chien très intelligent. Il était en train de regarder des Chiffres et des lettres à la télé. Il calculait tranquillement comment faire 213 avé un neuf, un onze et trois conneries, quand tout à coup, paf ! Il s‘est mangé Marie-Marguerite sur le teston en même temps qu’une partie du plafond. Té, vé ! Son compte était bon. - MS REED : C’est affreux ! - JEAN-NOËL : D’autant que j’aurais préféré que ce soit la vieille qui y passe. Je l’aimais bien ce caniche, il aboyait bien moins fort qu’elle.

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- GÉRARD : Record du monde ! Marie-Marguerite est la seule vache congelée à avoir descendu neuf étages en une secondes soixante douze centièmes. - MS REED : J’en ai vu assez, mister Doudjardine. Votre projet m’intéresse. Passons au contract. - GÉRARD : Attends, je dois te dire une chose ! - JEAN-NOËL : Attendez, je dois vous faire voir deux choses. - MS REED : Ok, mais faisez vite. - JEAN-NOËL, montrant l’antenne surplombant le sac à dos : Ceci, misse Ride, c’est une antenne vifi108. Eh voui ! la i-vache est connectée à l’internénette et se pilote à distance. Par un ingénieux système de neuro-sondes, vous pouvez régler automatiquement le mode de production en fonction du cours des matières premières et de la qualité de la pâture. Trois modes sont disponibles : « Rumination longue » pour favoriser la production de gass, « Mastication rapide » pour donner plus de fibre aux briquettes, et enfin le mode « Garrigue» en cas de terrain pauvre. Bien sûr, le retour à l’étable bénéficie d’un guidage par GPS. Le GPS, vous connaissez ? C’est comme un PSG, mais qui fonctionne. - MS REED : Oh my God! - JEAN-NOËL : Dieu n’est pour rien à l’affaire. Dieux s’est contenté de fabriquer la simple vache, J’AI mis au point la i-vache !

Jean-Noël va à la desserte. Et vous avez ici mon module de commande intuitif : le levier pour sélectionner le mode de production, et le joystick pour diriger l’animal en mode manuel – Et voui ! je pense aussi à nos amis du Portugal. Mais le troupeau peut fonctionner 24 heures sur 24 en automatique. Gain minimal de production garanti de 782% pour un investissement dérisoire de 4000 euros par teste de vache, soit 2000 par corne, ou encore 1000 par sabot et peut-être moins109 selon la quantité d’unités produites ou le nombre de sabots du susdite ruminant. - MS REED : Cow much110 ? Je veux dire, how much ? Combien ?

108

Vifi : le wifi marseillais 109

Ne surtout pas oublier de prononcer le « e » de « moinse » 110

Cow much : Vache bien ( ?)

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- JEAN-NOËL : Combien de quoi ? - MS REED : Combien de dollars vous voulez pour le terminer ton travail ? - JEAN-NOËL : Attendez, que j’ai pas fini. Je voudrais pas que vous signiez à la taste111. Laissez-moi vous montrer… le futur !

Jean-Noël court au paper-board. Il soulève la page sur laquelle il avait fait le schéma du « processus vache ». Apparaît alors un dessin. Il tournera les pages dévoilant tout une série d’autres œuvres en commentant brièvement, mais de manière exaltée.

Vous avez vu le modèle Green Peace riche en couleurs, voici le modèle Texan pour les grandes exploitations avec son antenne parabolique de 3m pour la liaison satellite et ses bracelets-rangers. Et là, le modèle « Vache folle » pour la clientèle gay avec bracelets en fourrure rose et un embout spécial pour le flexible de collecte adaptable au propriétaire. Voici le modèle lounge pour vache d’intérieur ou les sacoches sont directement remplacées par un poêle à granules. Et voici enfin le modèle Dark Vador en armure intégrale qui séduira la population geek avé son ballon en forme d’Etoile de la Mort. Un tel objet, croyez-moi, y frôle le collector ! Il me reste 497 catalogues produits. Tenez, en voici un pour vous. Vous voyez, j’ai pensé à tout - absolument à tout – y compris aux plus improbables des niches commerciales. Ce projet, misse Ride, il est tout simplement – pardonnez-moi l’expression - « vachement chié ».

Gérard et miss Reed applaudissent.

- GÉRARD : Alors là, tu m’as bluffé, mon Jeannot. Mais ne t’emballe pas. Avec elle, plus tu t’envoles, plus tu t’enfonces ! - MS REED : Super ! Combien vous avez le besoin ?

Miss Reed sort une liasse de papiers de sa sacoche et la pause sur la table.

Disez le chiffre et je note lui dans le contract. - GÉRARD : Ne lui réponds pas, Jeannot. C’est un escroc ! - MS REED : Combien, mister Doudjardine ?

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Faire quelque chose à la taste : sans avoir goûté, à la hâte.

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- JEAN-NOËL : Ben… entre six mois et un an de recherches… ça devrait avoisiner les deux millions de dollars. - MS REED : Ok ! Vendu !

Miss Reed griffonne le montant sur le contrat pré-rempli. Vous signez ici ! - GÉRARD : Signe rien. Elle te gruge ! J’ai des preuves !

Gérard s’agite comme un fou pour attirer l’attention de Jean-Noël, hélas miss Reed le voit.

- MS REED, horrifiée, pointant la table du doigt : Hiiii ! le cafarde !

Promptement, elle retire son escarpin et en donne un grand coup sur la table. Une chaussure en carton géante tombe des cintres et s’abat sur Gérard… écrasé. Jean-Noël se précipite vers Gérard. La poursuite est braquée sur les deux acteurs et la chaussure, laissant miss Reeds dans l’ombre.

- JEAN-NOËL, affolé : Gérard ! Géraaard ! - GÉRARD, mourant : Aaarh… Jeannoooot… Lévi… Lévitation… - JEAN-NOËL : Qué la lévitation ? Qué la lévitation ? - GÉRARD, mourant : La solution… le plan sous la… sous la baignoire… (Regroupant ses dernières forces.) Reeeeed… Reed te ment… Tu y arriveras sans elle… C’est… c’est ta… Aaaargh ! - JEAN-NOËL, secouant Gérard : Gérad ! Gérard ! Mon Gégéééé ! Oh fadoli, ne pars pas ! Pas toiiiii !

La scène est plongée dans le noir à l’exception de la poursuite qui se resserre sur Gérard qui agonise. La poursuite s’éteint progressivement jusqu’au noir complet. La chaussure géante et Gérard sont sortis de scène. La lumière revient, Jean-Noël est prostré et fixe sa main du regard comme s’il tenait le corps de l’insecte dans sa paume.

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- MS REED, enthousiaste : Je déteste les blattes, mais je le tué, ce saleté ! - JEAN-NOËL, outré : Qué saleté ? Ce n’est pas une saleté ! C’est Gérard ! Gérard, mon pote, mon co-inventeur, mon alter égal ! - MS REED : Une blatte ! Just une bloody blatte ! - JEAN-NOËL : Il détestait qu’on le traite de blatte. Gérard était fier d’être un cafard, et vous l’avez écrasé de sang froid. Vous me dégoûtez ! Plus je connais les hommes et plus j’apprécie les cafards ! Casse-toi, cagole, avant que je te camphre112 ! - MS REED, vexée : C’est vraiment cela vous voulez ? Alors… cherchez l’autre investisseur.

Jean-Noël, ne répond pas. Miss Reed se lève et fourre le contrat dans sa sacoche. Elle va pour remettre son escarpin. Jean-Noël l’interrompt dans son geste.

- JEAN-NOËL : Non, attendez, je… Je me suis emporté. Escusez-moi. - MS REED : Trop tard. - JEAN-NOËL : C’est vrai qu’en fin de compte, Gérard, c’était qu’un insecte… et moi, peuchère, j’ai un peu l’impression que je partais en biberine113 et… Vaï, j’ai besoin de vous. - MS REED : This is not my problem ! 114 - JEAN-NOËL : Si vous m’aidez pas, jamais nous ralentirons le réchauffement climatique ! J’ai plus les moyens de terminer mes travaux et de sauver l’humanité. - MS REED : Pas mon problème ! - JEAN-NOËL : Je suis couvert de dettes, que même les assureurs y veulent plus de moi et… et tous les dégâts dus aux esplosions de vaches sont à ma charge. Je suis ruiné. J’ai plus qu’à aller aux dattes115, té ! 112

Camphrer : frapper 113

Partir en biberine : perdre les pédales, partir en live, pédaler dans la semoule 114

Ce n’est pas mon problème !

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- MS REED : Vous ? Ruiné ? - JEAN-NOËL : Complètely ruinède !

Miss Reed reprend alors son accent français impeccable. - MS REED : Ça change tout ! (Déchirant le contrat.) Si tu es déjà ruiné, ce contrat n’a plus aucun intérêt, il n’était là que pour te mettre sur la paille. - JEAN-NOËL, interloqué : Hé ? Quoi ? Je pige pas. C’est quoi cette couillonnade ? - MS REED : De toute façon, à ce qu’il paraît, tu n’as jamais rien compris, papa. - JEAN-NOËL : Papa ? - MS REED : Tu te souviens de Marie ? Cette brave fille que tu as plaquée quand elle était enceinte ? - JEAN-NOËL : Cette fadade ? - MS REED : Oui, cette fadade, comme tu dis. Eh bien, c’est ma mère ! - JEAN-NOËL : Marie ? Mais je l’ai pas balarguée, c’est elle qui s’est barrée. (À son gant de cuisine.) T’y crois, toi ? J’ai une fille américaine ! Et pas 500 ! Une !

On sonne à la porte.

115

Aller aux dates : mal finir, se retrouver en bas de l’échelle avec un travail pourri

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On fait les paris ? Qui sonne à la porte ?

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À tout de suite !

Thierry François

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