01. La Renaissance

Embed Size (px)

Citation preview

  • Histoire du franaisChapitre 5

    La Renaissance

    L'affirmation du franais

    (XVIe sicle)

    Plan du prsent article

    1. La prpondrance de l'Italie Les conflits Les italianismes2. Les guerres de religion (1562-1598) et le Nouveau Monde Les consquences de la Rforme La dcouverte du Nouveau Monde3 Le franais comme langue officielle? L'ordonnance de Villers-Cotterts de 1539 L'expansion du franais en France4 Les problmes du franais L'omniprsence des patois La vogue des latiniseurs et cumeurs de latin Les dfenseurs du franais5 Les premires descriptions du franais

    Le XVIe sicle fut celui de la Renaissance. Au plan des ides, en dpit des guerres d'Italie et des guerres dereligion qui ravagrent la France tout au long du sicle, le pays vcut une priode d'exaltation sans prcdent:le dveloppement de l'imprimerie (invente au sicle prcdent), la fascination pour l'Italie, et l'intrt pour lestextes de l'Antiquit, les nouvelles inventions, la dcouverte de l'Amrique, etc., ouvrirent une re deprosprit pour l'aristocratie et la bourgeoisie. Pendant que la monarchie consolidait son pouvoir et que labourgeoisie s'enrichissait, le peuple croupissait dans la misre et ignorait tout des fastes de la Renaissance.

    1 La prpondrance de l'Italie

    Le XVIe sicle fut marqu par la prpondrance de l'Italie dans presque tous les domaines en raison de sarichesse conomique, sa puissance militaire, son avance technologique et scientifique, sa suprmatieculturelle, etc. Aussi, nest-il pas surprenant que les Franais aient t fascins par ce pays et qu'ils aient cd une vague d'italomanie, que la langue reflte encore aujourd'hui.

    1.1 Les conflits

    peine matres de leur royaume unifi, les rois de France se lancrent dans les conqutes extrieures: lesguerres d'Italie stalrent de 1494 1559. l'origine, ces conflits mirent en scne le roi de France, quivoulait faire valoir ses droits sur les royaumes de Naples et du Milanais, mais on peut penser aussi que lesFranais furent attirs par les richesses et la civilisation brillante d'au-del des Alpes, alors qu'ils accusaient un

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    1 sur 20 12-10-19 21:53

  • net retard conomique et culturel sur l'Italie, une squelle de la guerre de Cent Ans (1337-1453). Mais leconflit s'largit et l'Italie devint le thtre de rivalits entre la France de Franois Ier et l'empereur romaingermanique, Charles-Quint (1500-1558), qui tait en mme temps roi d'Espagne.

    Les conflits finirent par s'attnuer entre Franais et Italiens au point que des contacts troits et pacifiquess'tablirent. De nombreux Italiens vinrent vivre la cour du roi de France et les mariages diplomatiques,comme celui de Catherine de Mdicis avec Henri II, amenrent la cour des intellectuels, des artistes et desscientifiques italiens. Rgente de France pendant prs de vingt ans, Catherine de Mdicis sut rgner avec unepoigne de fer et favorisa le dveloppement des arts... italiens en France. La cour de France se raffina ens'italianisant.

    Au moment de la Renaissance, l'Italie avait tout pour exercer une trs grande fascination sur les Franais; elletait en avance sur tous les plans: conomique, militaire, culturel, etc. Le grammairien Ferdinand Brunot (citpar Bartina Harmina WIND dans Les mots italiens introduits en France au XVIe sicle, Deventer, AE. E.Kluwer, 1928, p. 26) dcrit ainsi cette fascination de l'Italie sur l'Europe:

    Au XVIe sicle, l'Italie domine intellectuellement le monde; elle le charme, l'attire, l'instruit, elle est ducatrice. N'yet-il ni guerres d'Italie, ni contact avec les populations d'au-del des Alpes, ni mariages italiens la cour deFrance, que l'ascendant de l'art, de la science, de la civilisation italienne se ft nanmoins impos.

    De fait, la cour de France s'exprimait autant en italien qu'en franois, car des centaines de courtisans taientd'origine italienne et avaient adopt les usages italiens, que ce soit la mode, les arts, la musique, l'alimentation,etc.

    1.2 Les italianismes

    L'influence culturelle de l'Italie se reflta ncessairement dans la langue franaise au moyen des emprunts.Des milliers de mots italiens pntrrent le franais, notamment des termes relatifs la guerre (canon, alarme,escalade, cartouche, etc.), la finance (banqueroute, crdit, trafic, etc.), aux moeurs (courtisan, disgrce,caresse, escapade, etc.), la peinture (coloris, profil, miniature, etc.) et l'architecture (belvdre,appartement, balcon, chapiteau, etc.). En ralit, tous les domaines ont t touchs: l'architecture, la peinture,la musique, la danse, les armes, la marine, la vie de cour, les institutions administratives, le systmepnitencier, l'industrie financire (banques), le commerce, l'artisanat (poterie, pierres prcieuses), lesvtements et les objets de toilette, le divertissement, la chasse et la fauconnerie, les sports questres, lessciences, etc. Bref, une vritable invasion de quelque 8000 mots l'poque, dont environ 10 % sont utilissencore aujourd'hui.

    buffleriztournesolporcelainecitrouilleperlefloringalerietraficcanoncavalcadebrigandbaldaquinbarrettelavandepolice

    alarmebanquetbrigadeestamperperruqueguirlandeescrimeescaladesaccagerplagebanquecavalierpartisanrotondecalibreplastron

    caressercitadelleembusquerescadronestradeesplanadeestropiermdailletribuneinfanterieescortervolterbanderoleviolonradispoltron

    panachebmolmosaquebalustremousquetballetfleuretincognitocartouchegamellestyletombrellefigurinepiastreestafetteintermde

    balcongrottecolonelpistoncasematepidestalpilastresentinelleparapetdsastrearabesquecamisoleparasolbagatellebusteballon

    caporalsorbetvermicellemascaradesrnademascaradeappartementbrocoliconcertcabriolecaleonstallecarrossecartonfantassinpolichinelle

    storeburlesquecorridorbassonberlingotcortgebombefortintrombeopracoupolesoclecostumecarafonvioloncellegouache

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    2 sur 20 12-10-19 21:53

  • arsenal lustrebanqueroutelagunemasque

    fuguepommade

    gondolecavale

    miniaturefresque

    pianomandoline

    Cet apport considrable de quelque 8000 mots n'a pas dur trs longtemps, seulement quelques dcennies. Laplupart de ces italianismes sont disparus avec le temps, comme c'est d'ailleurs le sort qui attend la plupart desmots emprunts l'anglais par le franais (ou par toute autre langue) de nos jours. Lorsque les modes changentou que les ralits disparaissent, les mots disparaissent aussi. Effectivement, il ne reste qu'environ 800italianismes au XXIe sicle. Il n'en demeure pas moins que l'apport de l'italien a dpass en importance toutesles influences trangres qui ont agi sur le franais presque jusqu'au milieu du XXe sicle. Non seulement cetteinfluence italianisante a-t-elle t importante, mais elle a t trs profonde, car presque tous les mots se sontintgrs phontiquement au franais, beaucoup ont form des drivs ou ont subi des altrations de sens.

    De nombreux crivains de la Renaissance se sont levs alors en vain contre cette intrusion des italianismesdans la langue franaise et cette manie de s'italianiser tout prix. Ainsi, Broalde de Verville (1556-1626),l'auteur de Moyen de parvenir (1616), exhortait les Franais de ne pas dire la soupe se mange (influenceitalienne), mais on mange la soupe. Le succs fut mitig, car on retrouve encore aujourd'hui l'expression Onparle italien, une traduction mot mot du clbre Si parla italiano. Le pote Barthlemy Aneau (v.1505-1565) dnonait les corruptions italiques et la singerie de la singerie italiane. Quant tienneTabourot (1547-1590), il considrait que l'italien n'tait qu'une corruption latinogotise du langage romain(sous l'influence des Ostrogoths?).

    Mais l'un des plus grands pourfendeurs des italianismes demeure sans contredit Henri Estienne (1528-1598),un imprimeur huguenot et rudit polyglotte, qui a consacr sur ce sujet au moins trois ouvrages:

    - Traict de la Conformit du langage franois avec le grec (1565);- Deux dialogues du nouveau franais italianiz, et autrement desguiz, principalement entre lescourtisans de ce temps. De plusieurs nouveautez qui ont accompagn ceste nouveaut de langage.De quelques courtisianismes modernes et de quelques singularitez courtisianesques (1578):- De la prcellence de la langue franaise (1579).

    Dans ses Deux dialogues du nouveau langage franois italianiz..., Estienne, pamphltaire anti-papiste, crivitune satire sur le jergon (jargon) farci ditalianismes de la cour dHenri IV:

    Vous vous accoustumerez tant ce jergon de cour que, quand vous la voudrez quitter, vous ne pourrezpas quitter pareillement son jergon : vous serez en danger destre en risee plusieurs cosmopolitains,qui ne vivent ni parlent courtisanesquement : et toutefois savent comment il faut vivre et comment ilfaut parler.

    Le pamphltaire prenait pour cible les nouveautez et courtisianismes adopts par certains auteursfranais, par exemple, spaceger, strade, ragionner, mescoler, leggiadres, etc. Henri Estienne qualifiait cesusages de barbarismes, de barragouinage, de langage farragineux, de jergonnage ou encore dejergon si sauvage / appel courtisan langage. Se qualifiant lui-mme de tyran des mots, Henri Estiennes'opposa toute sa vie tant la langue vulgaire qu' la langue savante, en combattant les latinismes, lesarchasmes, les italianismes, les patois et les termes techniques. Il aurait avou sur son lit de mort qu'il avaitvoulu maintenir la puret de la langue franaise. On qualifierait certainement Henri Estienne aujourd'hui depuriste!

    2 Les guerres de religion (1562-1598) et le Nouveau Monde

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    3 sur 20 12-10-19 21:53

  • Le XVIe sicle fut aussi l'poque des guerres de religion, contrecoup de la rforme d'Henri VIII en Angleterre(protestantisme), de Luther en Allemagne et de Calvin en Suisse. Ces guerres taient lies la mentalit dutemps; il semblait n'y avoir que deux possibilits pour ceux qui confessaient une autre religion: se convertir ouprir, selon le principe du crois ou meurs. Catholiques (papistes) et protestants (huguenots) se firent laguerre pour assurer par la force le triomphe de la vraie foi, mais ces conflits servirent en ralit les intrtsdes grandes familles princires, qui lorgnaient vers le trne en faisant appel, les unes l'Angleterre, les autres l'Espagne. Pendant ce temps, les guerres de religion livrrent le pays la famine et au pillage, entre lesbatailles ranges, les massacres, les tortures et les assassinats des Grands du Royaume.

    2.1 Les consquences de la Rforme

    Quoi qu'il en soit, la Rforme entrana le dclin du latin en introduisant l'usage des langues vulgaires(vernaculaires) dans le culte et les Saintes critures.

    Erasme (1469-1536), l'un des plus grands humanistes de la Renaissance et l'un des grands penseurs de sonpoque, tait un thologien hollandais n Rotterdam, d'o son nom Desiderius Erasmus Roterdamus. Dansun texte rdig en latin de 1516 (Paracelsis), Erasme prtendait que, si les thologiens s'opposaient ce que lepeuple lise la Bible dans leur langue (maternelle), c'est qu'ils dsiraient se rserver un rle de prophte oud'oracle. Dans Opera Omnia (1523), il considrait normal de lire l'vangile dans sa langue (maternelle)plutt que de rpter comme un perroquet des paroles incomprhensibles:

    Pourquoi parat-il inconvenant que quelqu'un prononce l'vangile dans cette langue o il est n et qu'il comprend:le Franais en franais, le Breton en breton, le Germain en germanique, l'Indien en indien? Ce qui me parat bienplus inconvenant, ou mieux, ridicule, c'est que des gens sans instruction et des femmes, ainsi que des perroquets,marmottent leurs psaumes et leur oraison dominicale en latin, alors qu'ils ne comprennent plus ce qu'ilsprononcent. [Traduit du latin]

    De son ct, Martin Luther entreprenait la traduction en allemand de la Bible, ce qu'il termina en 1522. Cettetraduction eut une immense rpercussion pour la langue allemande, car Luther s'est trouv populariser etfixer l'allemand crit. En gnral, l'glise catholique s'opposait toute traduction des Saintes critures, voyantdans ces traductions des facteurs potentiels d'hrsie. Erasme, entre autres, fut condamn pour avoir proposdes traductions, et nombre de curs furent envoys au bcher pour avoir prn des traductions en franais.

    En 1559, Jean Calvin (1509-1564) alors rfugi Genve, fonda le calvinisme et diffusa sa doctrine enfranais en Suisse romande comme en France. Son livre, l'Institution chrtienne, contient l'essentiel de sesides sur la loi, la foi, la prdication, les sacrements et les rapports entre les chrtiens et l'autorit civile. Par celivre, Calvin contribua aussi fixer l'criture du franais alors en pleine volution. Par ses crits, Calvinchangea radicalement les rapports linguistiques entre l'glise et le peuple. Cependant, le franais continuerad'tre mal peru en France par l'glise catholique durant tout le XVIe sicle. Tandis que le latin continuaitd'tre la langue de l'glise catholique, le franais tait devenu celle de l'glise protestante en France et enSuisse romande. Les imprimeries de Genve et d'Amsterdam devinrent par le fait mme des centresimportants de diffusion du franais en Europe et en France.

    Par leur brassage d'hommes et d'ides, les campagnes militaires dans le royaume de France contriburent, plusque tout autre cause, faire entrer dans la langue franaise un certain nombre de mots anglais et espagnols. Cesont surtout des termes relatifs la guerre et aux produits exotiques dus la dcouverte de l'Amrique et delAsie par les Anglais et les Espagnols, voire les Portugais.

    2.2 La dcouverte du Nouveau Monde

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    4 sur 20 12-10-19 21:53

  • Le franais a emprunt de l'Espagne (et du Nouveau Monde) quelque 300 mots, et du Portugal, unecinquantaine de mots. Ces emprunts sont entrs en franais partir de la Renaissance jusqu'au XVIIe sicle;c'est dire que le Moyen ge espagnol n'a pas exerc une influence importante sur le franais, et ce, en incluantles termes d'origine arabe dont une partie est passe dans les emprunts du franais l'espagnol. Cependant,avec la dcouverte de l'Amrique par l'Espagne et le Portugal, l'espagnol et le portugais auront transmis unnombre important de termes exotiques.

    alcve (arabe)ppitecaracolertoradorcortesmlassesatin (arabe)moresquetoquengresavanecannibalehamacintransigeant

    canaricoutillechocolatcasquecondortabacromancebizarrecamaradefanfaron(arabe)lamaparertoucangaucho

    marronquadrillecaramelestampillematamorepassacaillesiesteadjudantpacotilleflottilleembarcadrecigaretomateaubergine

    cacahutebolromayonnaisematamoremiradorpampagitanetornadeouraganmasembarcationcacaoananasmandarine

    avocatcoyotecanyonlassotangorumbaestudiantinsafranmoustiquecanotmultrejonquilleembargopirogue

    hidalgoalezanparadebandoulireanchoisgoyaveindigopalabreabricotpastillecastagnettevanillecdillecrole

    Cependant, l'Espagne n'a jamais exerc une influence aussi grande que l'Italie sur le franais, et l'anglaisn'tablira son influence vritable qu'au XIXe sicle pour l'Angleterre et qu'aprs la Seconde Guerre mondialepour les tats-Unis.

    Jaloux des richesses que l'Espagne et le Portugal retiraient de leurs colonies, Franois 1er nomma JacquesCartier (1491-1557) la tte d'une premire expdition en 1534. Ce dernier devait dcouvrir de nouveauxterritoires et fonder ventuellement un empire colonial. Bien que ces dcouvertes soient inestimables, lesvoyages de Cartier au Canada (1534, 1535-1536, 1541-1542) se soldrent, au point de vue de la colonisation,par des checs, car au dbut du XVIIe sicle aucun Franais ne sera encore install sur le territoire de laNouvelle-France. Bien que le navigateur franais ait chou fonder un tablissement au Canada, il donna la France des droits sur le territoire. Au plan linguistique, les voyages de Cartier contriburent fixer trs ttla toponymie de l'est du Canada: les noms de lieu sont depuis cette poque ou franais ou amrindiens. Cartieraura eu aussi le mrite d'tablir les bases de la cartographie canadienne et d'avoir dcouvert le grand axefluvial le Saint-Laurent grce auquel la Nouvelle-France pourra recouvrir, pour un temps, les trois quartsdu continent nord-amricain.

    3 Le franais comme langue officielle?

    la fin du XVe sicle, qui avait connu des conflits militaires, l'expansion du franais se trouvait renforce. Leroi de France avait dsormais une arme permanente et ces immenses brassages de la population mle par lesguerres n'ont pu que favoriser le franais auprs des soldats patoisants. Avec ses 20 millions d'habitants, laFrance restait le pays le plus peupl d'Europe et les impts rendaient le roi de France plus riche que ses rivaux,ce qui contribua asseoir son autorit et promouvoir sa langue. De plus, Paris commenait dominer la vieconomique du pays; l'glise et l'Universit y exeraient leurs principales activits, tandis que les grandesfamilles de marchands et de banquiers y avaient install leur quartier gnral. On y trouvait aussi le Parlement,la Chambre des comptes, le Grand Conseil, la Chancellerie, etc. partir de 1528, le roi Franois Ier manifestason intention de s'installer Paris:

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    5 sur 20 12-10-19 21:53

  • Nostre intention est doresnavant faire la plus grande part de nostre demeure et sejour en nostrebonne ville et cit de Paris et alentour plus qu'aultre lieu du royaume.

    Ds lors, toute une population nouvelle et influente prit racine Paris et propagea le franois du roi. Ils'labora ainsi une forme de franais, tantt populaire tantt cultiv, qui s'tendit dans toute l'le-de-France. Lavarit populaire, le parisien ( aujourd'hui le francilien?), est celle des artisans, des ouvriers ou manuvres,des serviteurs, des petits marchands, etc. La varit cultive, le franoys, est celle de la religion, de labourgeoisie, de l'enseignement, de l'administration et du droit. Ces deux varits taient diffrentes, surtoutdans la prononciation et le vocabulaire, mais nanmoins intelligibles entre elles. Si le parler parisien comptaitplus de locuteurs que le franoys, celui-ci demeurait plus prestigieux.

    3.1 L'ordonnance de Villers-Cotterts de 1539

    Une autre cause pourrait expliquer galement l'expansion du franais cettepoque: une importante ordonnance royale, l'ordonnance de Villers-Cotterts(1539), traitait de la langue, du moins partiellement (deux articles), car le titre del'ordonnance mentionnait clairement qu'il s'agissait de la justice: Ordonnance duRoy sur le faict de justice. Pour Franois Ier, cette ordonnance tait une faon derduire le pouvoir de l'glise tout en augmentant celui de la monarchie.Dornavant, le roi s'attribuait de plus grands pouvoirs administratifs et limitaitceux de l'glise aux affaires religieuses, notamment pour les registres denaissance, de mariage ou de dcs, lesquels devaient tre contresigns par unnotaire. En obligeant les curs de chaque paroisse tenir un registre desnaissances et des dcs, Franois Ier inaugurait ainsi l'tat civil.

    C'est dans son chteau de Villers-Cotterts que Franois Ier, qui parlait lefranoys, le latin, l'italien et l'espagnol, signa l'ordonnance imposant le franoyscomme langue administrative au lieu du latin.

    Bien que l'ordonnance soit relativement longue avec ses 192 articles (voir le texte complet), seuls les articles110 et 111 concernaient la langue:

    110. Que les arretz soient clers et entendibles et afinqu'il n'y ayt cause de doubter sur l'intelligencedesdictz Arretz, nous voullons et ordonnons qu'ilzsoient faictz et escriptz si clerement qu'il n'y ayt nepuisse avoir aulcune ambiguite ou incertitude, ne lieua en demander interpretacion.

    111. Nous voulons que doresenavant tous arretz,ensemble toutes aultres procedeures, soient de nozcourtz souveraines ou aultres subalternes etinferieures, soient de registres, enquestes, contractz,commisions, sentences, testamens et aultresquelzconques actes et exploictz de justice ou qui endeppendent, soient prononcez, enregistrez et delivrezaux parties en langaige maternel francoys et nonaultrement.

    [110. Afin quil ny ait cause de douter surlintelligence des arrts de nos courssouveraines, nous voulons et ordonnons quilssoient faits et crits si clairement, quil ny ait nipuisse avoir ambigut ou incertitude, ni lieu demander interprtation.

    111. Nous voulons donc que dornavant tousarrts, et ensemble toutes autres procdures,soient de nos cours souveraines ou autressubalternes et infrieures, soient des registres,enqutes, contrats, testaments et autresquelconques actes et exploits de justice ou quien dpendent, soient prononcs, enregistrs etdlivrs aux parties en langage maternelfranoys et non autrement.]

    Cette mesure royale faisait en sorte que les procdures judiciaires et les dcisions de justice soient accessibles la population. Pour cela, il fallait utiliser le langage maternel franoys au lieu du latin. Aujourd'hui, onconsidre que ce texte de Franois Ier faisait du franais la langue officielle de ltat, mais ce n'tait pas trs

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    6 sur 20 12-10-19 21:53

  • clair l'poque. En revanche, tout le monde avait compris que, dans un tribunal, les parties en cause devaientdornavant comprendre la langue de la procdure; finies les longues plaidoiries prpares en latin par lesavocats! Beaucoup comprirent aussi que les tribunaux avaient dsormais le choix d'utiliser le franoys OUle langage maternel vulgaire, c'est--dire la langue locale, l'exclusion du latin. l'poque, le franais taitaussi tranger que le latin pour limmense majorit de la population. Rappelons que la plupart desordonnances royales prcdentes (entre 1490 et 1535) employaient des formules autorisant le choix entre deuxusages linguistiques:

    - en langage Franois ou maternel (ordonnance de 1490);- en vulgaire ou langage du pas (ordonnance de 1510);- en langue vulgaire des contractans (ordonnance de 1531);- en franoys ou a tout le moins en vulgaire dudict pays (ordonnance de 1535).

    Ainsi, l'ordonnance de 1539 pouvait trs bien tre interprte comme un choix entre le franoys OU lalangue vulgaire locale. C'est par la suite, entre autres, aprs la Rvolution franaise, qu'on rvisa cette partiede l'histoire du franais. On n'est mme pas sr encore aujourd'hui si le langage maternel franoys dsignaitla langue maternelle du roi ou celle de la population de l'le-de-France ou encore celle de tous les Franais.Comme l'poque les patois taient omniprsents, personne ne comprit que l'ordonnance royale considraitque le franoys tait la langue maternelle de tous les Franais, mais ce mot pouvait comprendre l'poquetous les parlers d'ol. Autrement dit, le champenois, le picard, l'artois, etc., pouvaient tre considrs commedu franoys. En gnral, on estimait que l'ordonnance de 1539 ntait pas dirige contre les parlers locaux,mais seulement contre le latin de lglise utilis par les gens de droit ou de justice.

    D'ailleurs, en fin stratge, Franois Ier ne pouvait s'en prendre rellement aux parlers locaux en cette poque decrise religieuse et de conflits entre catholiques et protestants (huguenots). En s'attaquant au latin, le roirduisait le pouvoir de l'glise catholique et s'alliait ainsi les protestants qui rejetaient massivement le latin etencourageaient plutt l'usage des parlers locaux. Non seulement Franois Ier augmentait son pouvoir surl'glise catholique, mais il apaisait aussi les huguenots. Bref, ce n'est pas d'abord l'amour de la languefranoyse qui motivait Franois Ier, mais bien un savant calcul politique.

    L'ordonnance de 1539 n'eut pas d'effets immdiats, mais elle prcipita la tendance dj amorce depuis 1450,qui consistait rduire le rle du latin au profit du franoys. Certains parlements rgionaux taient passs aufranoys tout au cours du XVe sicle, notamment Toulouse, Bordeaux, etc. En 1550, l'usage de l'occitan avaitdisparu presque partout des archives administratives et judiciaires du midi de la France.

    3.2 L'expansion du franais en France

    Devant l'hostilit de l'glise publier des ouvrages en d'autres langues que le latin, Franois Ier crait en 1543l'Imprimerie royale destine publier, en plus du latin, des ouvrages en grec, en hbreu et en franoys. Ilconfra le titre d'imprimeur royal pour honorer la langue franoyse Denys Janot : ... avons retenu etretenons, par ces prsentes, nostre imprimeur en ladicte langue franoyse: pour doresnavant imprimer bien etdeument en bon caractre et le plus correctement que faire se pourra, les livres qui sont et seront composez, etqu'il pourra recouvrer en ladicte langue.

    Ds lors, les crits en franoys se multiplirent. L'invention de l'imprimerie a eu pour effet de diffuser unnombre beaucoup plus considrable de livres en cette langue, bien que le latin restt encore privilgi. Avant1550, prs de 80 % des livres imprims en France taient en latin, cette proportion tait passe 50 % en1575. Nanmoins, l'imprimerie favorisa la diffusion du franais: il parut plus rentable aux imprimeurs depublier en franais plutt qu'en latin en raison du nombre plus important des lecteurs dans cette langue.

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    7 sur 20 12-10-19 21:53

  • Mais les jours du latin taient compts, bien que l'glise catholique continut de tenir le latin dans l'exercicedu culte et l'enseignement. videmment, l'glise s'opposa avec obstination toute rforme qui ravalait lelatin en seconde place aprs le franoys (ou franois). Elle rprima mme par le fer et par le feu lesmouvements de rforme qui prconisaient la traduction des livres saints en langue vulgaire. On sait ce quiarriva: vers 1520, la Bible et l'vangile furent traduites en franais et tous les calvinistes de France ou deSuisse s'verturent rpandre les Saintes critures sous cette forme, videmment au grand dam de lahirarchie catholique qui tenait son latin. Bon gr mal gr, les polmiques religieuses finirent toutes partre rdiges en franais, aussi bien qu'en latin.

    Par ailleurs, le franais commena simposer comme une langue diplomatique en Europe. Par exemple, si letrait des Pyrnes, conclu entre la France et lEspagne, avait t rdig en franais et en espagnol en 1659, letrait dAix -la-Chapelle de 1668, sign entre les deux mmes pays, fut rdig uniquement en franais.

    4 Les problmes du franais

    Le franais de l'poque tait loin d'avoir rsolu tous les problmes qui freinaient encore son expansion. Il yavait l'incontournable question de la prsence des patois qu'on appelait de plus en plus des dialectes (depuisRonsard), mais aussi la non-uniformisation de l'orthographe, l'omniprsence des cumeurs de latin etl'absence d'ouvrages portant sur la description du franais.

    4.1 L'omniprsence des patois

    En 1533, un humaniste picard du nom de Charles de Bovelles (1479-1553) un disciple de Jacques Lefvred'taples (1450-1536), l'un des pres de la Rforme franaise et lun des plus grands philologues de laRenaissance crivit un ouvrage sur les langues vulgaires parles en France: De differentia vulgariumlinguarum et Gallici sermonis varietate (Des diffrentes langues vulgaires et varits de discours utilissdans les Gaules). Dans son ouvrage, lauteur faisait remarquer: Il y a actuellement en France autant decoutumes et de langages humains que de peuples, de rgions et de villes. Il voquait notamment les peuplestrangers que sont les Burgondes, les Francs, les Bretons, les Flamands, les Normands, les Basques et lesGermains cisrhnans. Son inventaire des langues indignes (les parlers d'ol) comprenait les Lorrains, lesBourguignons, les Poitevins, une partie des Belges comme les habitants d'Amiens et de Pronne, les habitantsde Saint-Quentin, de Laon et les Esses, les Parisiens, ceux du Hainaut. En somme, l'auteur soulignait lagrande diversit linguistique dans la France de son poque, mais aujourd'hui les Esses font partie del'Allemagne, le Hainaut, de la Belgique.

    Rappelons qu'au dbut de la Renaissance la plupart des Franais ne parlaient pas le franais (ou franois),mais leur langue rgionale appele patois (dialecte). Cest dailleurs dans ces langues que les prtressadressaient leurs ouailles. Lorsque les enfants allaient dans les coles de village, cest galement dans ceslangues quils apprenaient les prceptes de leur religion et parfois certains rudiments dcriture. On ne parlaitfranois (varit basse) comme langue maternelle qu' Paris, dans certaines villes du Nord (Rouen, Reims,Metz, etc.) et au sein des classes aristocratiques (varit haute) du nord de la France. Partout ailleurs, lefranois, quand il tait connu, demeurait une langue seconde (varit basse ou haute) pour l'aristocratie et lagrande bourgeoisie.

    Jusqu'ici, on employait le terme de patois pour dsigner les parlers rgions du royaume de France. Engnral, le mot faisait rfrence un parler incomprhensible par les autres locuteurs. Par exemple, unlocuteurs du barnais ne comprenait pas un locuteur du basque, pas plus que le savoyard ou le poitevin. Maisle mot patois possdait en mme temps une connotation ngative. C'est pourquoi Pierre de Ronsard(1524-1585) trouva le mot dialecte (du grec dialektos: langue) pour dsigner son parler vendmois. Au

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    8 sur 20 12-10-19 21:53

  • XVIe sicle, tout le monde prit conscience et de l'unit et de la disparit linguistiques dans le royaume deFrance. Le mot dialecte fut alors employ dans les milieux littraires pour dsigner le fonds lexical danslequel les crivains et les potes pouvaient puiser des mots de leur terroir. Ronsard dclarait en 1565 qu'ilacceptait les vocables picards, angevins, tourangeaux, etc., lorsqu'ils comblaient les lacunes du franois:

    Tu sauras dextrement choisir & approprier ton uvre les mots plus significatifs des dialectes de nostre France,quand mesmement tu nen auras point de si bons ny de si propres en ta nation, & ne se fault soucier si lesvocables sont Gascons, Poitevins, Normans, Manceaux, Lionnois ou dautres pas, pourveu quilz soyent bons &que proprement ilz signifient ce que tu veux dire, sans affecter par trop le parler de la court, lequel estquelquesfois tresmauvais pour estre le langage de damoiselles & jeunes gentilzhommes qui font plus deprofession de bien combattre que de bien parler. [] Tu ne rejecteras point les vieux verbes Picards, commevoudroye pour voudroy, aimeroye, diroye, feroye : car plus nous aurons de motz en nostre langue, plus elle seraparfaicte, & donnera moins de peine celuy qui voudra pour passetemps sy employer. (Ronsard, 1565).

    Citons aussi Montaigne (1533-1592) qui affirmait: Que le gascon y aille, si le franois n'y peut aller. Cetteentre soudaine des dialectes dans la littrature ne dura pas trs longtemps. Mme le grand FranoisMalherbe (1555-1628) en vint insister sur la ncessit d'unifier la langue franaise, comme en tmoigne cecommentaire sur la posie de Philippe Desportes:

    Comme un ray du soleil, qui la nuict se destainct (Desportes, Epitaphes,v.4, p. 93)

    Note 2 : Je dirois : esteint, et non desteint. Les Normands disent : lachandelle est desteinte ; mais mal, car il faut dire esteinte. Desteint se ditdun drap ou autre chose qui a perdu sa couleur. Les rayons du soleil ne sedesteignent point la nuit ; et puis bien parler, une clairt ne se desteint pas,elle sesteint ; une couleur se desteint, cest--dire perd son lustre, perd sonteint. (Malherbe, 1606).

    Malherbe ne semblait pas apprcier les provenalismes, gasconismeset autres dialectalismes ou italianismes:

    Et que chacun sattend prendre son repas (Desportes, lgies, Livre II, p.390)

    Note : Je napprouve pas ce langage : il sattend prendre son repas, carattendere des Latins ne signifie pas attendre ; et attendre en francois nesignifie autre chose quexpectare. Cette phrase est provenale, gasconne, etdautres telles dialectes loignes, ou italienne : Attende a far i fatti suoi.(Malherbe, 1606).

    On parlait beaucoup l'poque de dgasconiser la langue franoise. la fin du XVIe sicle, tiennePasquier (1529-1615), dans ses Recherches pour la France (1570), proposait un portrait d'une Francelinguistiquement unifie l'crit :

    Ceux qui avoient quelque asseurance de leurs esprits, escrivoient au vulgaire de la Cour de leurs Maistres, qui enPicard, qui Champenois, qui Provenal, qui Tholozan, tout ainsi que ceux qui estoient la suite de nos Roysescrivoient au langage de leur Cour. Aujourdhuy il vous en prend tout dune autre sorte. Car tous ces grandsDuchez et Comtez estant unis nostre Couronne nous nescrivons plus quen un langage, qui est celuy de la Courdu Roy, que nous appellon Franois. (Pasquier, 1570).

    Pourtant, Pasquier s'opposait ce que la cour serve de modle linguistique en raison de l'usage italianisant deses membres; il prfrait l'usage du Parlement plus proche de la ralit. Dans une lettre Claude de

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    9 sur 20 12-10-19 21:53

  • Kerquefinen, il crivait dix ans plus tt (1560):

    Vous n'estes pas le premier qui estes de ceste opinion, & y en a une infinite en France, qui estiment avec vous qu'ilfaut puiser l'Idee & vraye nafvete de nostre langue e la cour de noz Rois, comme sejour & et abord general de tousles mieux disants de la France. Si vous me disiez que c'est la ou il faut aller prendre a bien faire ses besongnes, jele vous allouerois franchement; mais pour apprendre a parler le vray franois, je le vous nie toue a plat. Aucontraire (voyez, je vous en prie, combien je m'eslongne en cecy de vous), j'estime qu'il n'y a lieu ou nostre languesoit plus corrompue.

    Dans le dictionnaire (Dictionnaire franais contenant les mots et les choses) que Pierre Richelet (1631-1694)publiera en 1680, il se moquera de lusage des dialectes dans les provinces et, ce faisant, ses locuteurs serontconsidrs comme ne sachant pas parler :

    Mdecine. Quelques personnes se servent du mot de mdecine pour dire la femme d'un Mdecin. Ils dirontMadame la Mdecine, ou Mademoiselle la Mdecine telle est acouche. Ces personnes parlent comme lesProvinciaux qui ne savent pas parler. On dit Paris, la femme d'un Mdecin (Richelet, 1680).

    Par la suite, tous les dictionnaires conserveront cette approche dprciative de la notion de dialecte. Il en estainsi dans le dictionnaire d'Antoine Furetire (1620-1688) de 1690, le Dictionnaire Universel, contenantgnralement tous les mots franois tant vieux que modernes et les termes de toutes les Sciences et des Arts :

    DIALECTE. .m. Langage particulier d'une Province, corrompu de la Langue generale ou principale du Royaume.Les Grecs avoient plusieurs sortes de Dialectes, le Dialecte Ionique, olique, &c. Le Gascon, le Picard, sont desDialectes Franois. Le Boulonnois, le Bergamasque, sont des Dialectes Italiens. (Furetire, 1690).

    Pour Furetire, il existe une langue gnrale et un langage particulier d'une province, qui n'est qu'unecorruption de la langue prcdente. En 1694, le Dictionnaire de l'Acadmie franaise reprendra la mmeapproche, ce qui ne surprend pas de la part de l'Acadmie :

    DIALECTE. s.m. Langage particulier d'une ville ou d'une province, driv de la Langue generale de la nation. LaLangue Grecque a differents dialectes. (Dictionnaire de lAcadmie, 1694).

    Les notions de dialecte et de patois seront toujours associes un usage infrieur, corrompu,grossier, rural, paysan, par opposition la langue franoise juge suprieure, raffine, douce,lgante, sinon royale. Cette hirarchisation des parlers permettra aux rudits de l'poque de faire drivertous les dialectes de France de la seule et unique langue franaise, ce qui, on le sait aujourd'hui, est tout faiterron, puisque tous ces dialectes, comme le franais, proviennent du mme latin d'origine. Comme on peut leconstater, l'intgration des parlers rgionaux prne par Ronsard n'a pas pu tenir le coup trs longtemps. Lediscours du triomphe de la langue nationale sur les patois et de la supriorit du franais sur les idiomes desprovinces deviendra le modle institutionnel de la civilisation. Par le fait mme, la langue se transformera unobjet politique comme langue de l'tat, c'est--dire une langue officielle qu'il faudra organiser et rglementer.

    4.2 La vogue des latiniseurs et cumeurs de latin

    Le latin du XVIe sicle demeurait encore une langue vivante pour certaines catgories de personnes: lesjuristes ou gens de droit, les ecclsiastiques ou gens d'glise, les lettrs et les scientifiques. Tous cesprofessionnels lisaient, crivaient et parlaient le latin, en plus de leur langue maternelle (le franois ou undialecte). Le latin tait aussi une langue fort utile, qui leur permettait non seulement de communiquer avec cequ'on appellerait aujourd'hui les membres de la communaut internationale, mais aussi d'entretenir des liensdirects avec les crits du pass. Le latin tait une langue vhiculaire commode sans qu'il ne faille s'encombrerde traductions.

    Cependant, le latin du XVIe sicle n'tait plus celui des Romains. En tant que langue vivante chez les rudits, il

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    10 sur 20 12-10-19 21:53

  • avait continu d'voluer. Dix sicles avaient pass depuis que le latin n'tait plus la langue maternelle depersonne! Plus aucun Romain du temps de Csar ou de Cicron n'aurait compris un scientifique franais(italien, espagnol, allemand, etc.) s'exprimer en latin du XVIe sicle. Par exemple, les Franais avaientintroduit des voyelles orales inconnues des Romains, comme le [] de flte; les Allemands recouraient desprononciations particulires pour transcrire certaines consonnes, pendant que les Italiens, les Espagnols, lesHongrois, etc., avaient leurs propres faons de lire et d'crire le latin.

    Avec le temps, les scientifiques n'entendaient plus le mme latin, selon qu'il tait utilis en France, en Italie, enAllemagne ou en Hongrie. La communication orale entre rudits de diffrents pays devenait de plus en plusdifficile! Le grand humaniste et thologien hollandais rasme (1469-1536) consacra en 1528 un ouvrage surcette question: Dialogus de recta latini graecique sermonis pronuntatione (Dialogues sur la prononciationcorrecte du grec et du latin). Les humanistes se rendirent compte que l'existence du latin terneltait unmythe et qu'il avait subi des altrations, des dformations et des dgradations au cours des sicles. En fait, iln'avait fait qu'voluer.

    Sous l'impulsion d'rasme, un vaste mouvement de rvision se mit en branle afin de redonner une sorte delustre au latin perdu. La relecture de l'Antiquit, qui avait envahi toute l'Europe, favorisa en mme temps larelatinisation du franais, ce qui allait durer plus d'un sicle. C'tait la solution que les rudits du latinavaient trouve pour enrichir la pauvret du franois par rapport au latin. Ce mouvement rvisionniste,qui demeure l'un des plus importants de toute l'histoire du franais, se fit sentir la fois dans l'orthographe etle lexique.

    - La question de l'orthographe

    Le XVIe sicle fut aussi celui d'une certaine uniformisation de l'orthographe. Jusqu'alors, tous les clercs,rudits, juristes, copistes, potes et autres crivaient les mots comme bon leur semblait, sans aucune vritablecontrainte. Certains esprits de la Renaissance furent sensibles la gne qu'imposait alors l'orthographe, surtoutavec les contraintes apportes par l'imprimerie. Les typographes, une profession alors fort la mode depuisl'invention de l'imprimerie, fut responsable de biens des traditions, parfois fort sottes, sinon bienencombrantes.

    Ainsi, les imprimeurs introduisirent des consonnes tymologiques absentes dans la graphie franaise, alorsqu'elles n'taient pas prononces. Par exemple, un g et un t dans doi apparut pour rappeler que le mot doigtprovenait du latin digitum. Il en fut de mme pour le p de compter (< lat. computare), le b de doubter (< lat.dubitare), le c de faict (< lat. factum), le g de congnoistre (< lat. cognoscere), le p de corps < lat. corpus) ou detemps < lat. tempus), le h de homme (< lat. homo), le b de soubdain (< lat. subitaneus), le p de sept (< lat.septem), le g de vingt (< lat. viginti), le x de paix (< lat. pax). Et il y en a eu beaucoup d'autres! En ancienfranais, ces mots s'crivaient respectivement conter, doter, faz, conoitre, cors, tems, om, sudein, set, vint etpais. De cette faon, les latiniseurs, qui voulaient absolument reconnatre la forme latine derrire la formefranaise, multipliaient les lettres superflues rappelant l'tymologie latine. Ainsi, le mot abhorrer, avec sesnouvelles formes latinisantes (< lat. abhorrere), apparaissait comme nettement suprieur l'ancienne graphiepopulaire avorir, dcidment trop simple. Ces complications orthographiques faisaient l'affaire destypographes qui pouvaient ainsi non seulement afficher leurs connaissances, mais aussi recevoir deshonoraires plus levs parce que les mots d'imprimerie taient plus longs composer.

    Toutefois, les savants latiniseurs ont fait parfois des erreurs en croyant, par exemple, que le mot pois(aujourd'hui poids) venait du latin pondus, alors qu'il provenait de pensum. Il en est ainsi de lais (de laisser)devenu legs (en rfrence legatum), de seel (du lat. pop. sitellus) devenu sceau (pour le distinguer de seau).Cela tant dit, c'est cette poque que nous devons cette dplorable orthographe du franais dont les

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    11 sur 20 12-10-19 21:53

  • francophones subissent encore les servitudes.

    partir des annes 1530, certains rudits commencrent protester contre l'envahissement du franais par lelatin. Ainsi, Jean-Antoine de Baf (1532-1589), grand admirateur de la culture antique et thoricien de laversification, protestait contre les complications en usage et prconisait un systme simple et lgant, mais sonsuccs fut presque nul. Il semble que les crivains, les lettrs et les gens du monde abdiqurent en faveur destypographes et leur laissrent le soin d'crire le franais comme ils le jugeaient, c'est--dire de faon plussavante, plus latinisante, plus noble et plus flatteuse... pour eux.

    Un illustre humaniste de l'poque, Geoffroy Tory (v. 1480-1533), imprimeur et graveur de son mtier,renouvela la forme des livres. En mme temps, il condamnait avec vigueur les latineurs qui remplaaient lesmots bien connus par des formes latinisantes telles que transfeter pour traverser, deambuler pour sepromener, quadrivies pour places publiques. Voici ce qu'il pensait des escumeurs de latin :

    On dit communment (et on dit vrai) qu'il y a grande vertu naturelle dans les herbes, pierres et paroles. En donnerdes exemples serait superflu tant la chose est certaine. Mais je voudrais qu'il plt Dieu de me donner la grce depouvoir, par mes paroles et requtes, persuader certains que, mme s'ils ne veulent pas faire honneur notrelangue franaise, qu'au moins ils ne la corrompent pas. J'estime qu'il y a trois sortes d'hommes qui se plaisent travailler la corrompre et la dformer : ce sont les escumeurs de latin, les faiseurs de bons mots et lesjargonneurs. Quand les escumeurs de latin disent : "Despumon la verbocination latiale, & transfreton la Sequaneau dilicule & crepuscule, puis deambulon par les Quadrivies & Platees de Lutece, & comme verisimilesamorabundes captiuon la beniuolence de lomnigene & omniforme sexe feminin", il me semble qu'ils ne semoquent pas seulement de nous, mais d'eux-mmes.

    Dans un livre de 1529 intitul Champ-Fleury, auquel est contenu l'art & science de la deue et vrayeproportion des lettres attiques et vulgairement Lettres Romaines, proportionnes selon le corps & le visagehumain, Geoffroy Tory proposa mme une rforme en profondeur de lorthographe. Il popularisa le caractreromain (parce que ses premiers caractres furent raliss au monastre de Subiaco, prs de Rome) quilenrichit de lapostrophe, des accents aigus et de la cdille (d'influence espagnole):

    En nostre langage franois, dit-il, navons point daccent figure en escripture, et ce pour le default que nostrelangue nest encore mise ne ordonnee a certaines reigles, comme les hebraique, grecque et latine. Je vouldroisquelle y fust, ainsi que on le porroit bien faire.

    Tory eut aussi l'ide de remplacer les lettres lides par une apostrophe (la + apostrophe lapostrophe), cequi n'tait pas encore rpandu en franais. Bref, Geoffroy Tory joua un grand rle dans l'laboration des signesgraphiques du franais. En 1529, Franois Ier lui accorda le titre d'imprimeur du roi et, en 1532, il le fitadmettre comme libraire-jur de l'universit de Paris.

    L'imprimeur Tory ne fut pas le seul des dlatineurs combattre ces cumeurs de latin. Franois Rabelais(v. 1494-1553) s'leva aussi contre les cumeurs de latin et la pdanterie latine pour dfendre la languevulgaire (populaire):

    Si je vis encore lge dun chien, en sant et intgrit, tel que vcut Dmonax philosophe, par arguments non impertinants etraisons non rfutable je prouverai en barbe de je ne sais quel centonifiques botteleurs de matires cent et cent fois grabeles,rappetasseurs de vieilles ferrailles latines, revendeurs de vieux mots latins tous moisis et incertains, que notre langue vulgairenest tant vile, tant inepte, tant indigente et mpriser quils lestiment (Cinquime livre, prologue).

    L'un des textes les plus clbres de l'uvre de Franois Rabelais demeure sans doute celui de l'escholierlimousin, que rencontrent Paris le personnage Pantagruel et ses compagnons. L'crivain se moquejoyeusement du jargon prtentieux de ceux qui ont fait leurs tudes la Sorbonne et qui ont pris l'habitude delatiniser leur propre langue un point tel qu'ils ne sont plus gure compris:

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    12 sur 20 12-10-19 21:53

  • Comment Pantagruel rencontra un Limosin qui contrefaisoit le langaige Francoys

    Quelque jour, je ne say quand, Pantagruel se pourmenoit aprs soupper avecques ses compaignons par la portedont l'on va Paris. L rencontra ur escholier tout jolliet, qui venoit par icelluy chemin ; et, aprs qu'ilz se furentsaluez, luy demanda : " Mon amy, d'ont viens tu ceste heure ? L'escholier luy respondit : " De l'alme, inclyte etcelebre academie que l'on vocite Lutece.

    Qu'est ce dire ? dist Pantagruel un de ses gens ?C'est (respondit-il), de Paris.

    Tu viens doncques de Paris, dist il ? Et quoy passez vous le temps, vous aultres messieurs estudiens, audictParis ? " Respondit l'escolier : " Nous transfretons la Sequane au dilucule et crepuscule ; nous deambulons parles compites et quadrivies de l'urbe ; nous despumons la verbocination latiale, et, comme verisimilesamorabonds, captons la benevolence de l'omnijuge, omniforme, et omnigene sexe feminin. Certaines dieculesnous invisons les lupanares, et en ecstase venereique, inculcons nos veretres es penitissimes recesses despudendes de ces meritricules amicabilissimes ; puis cauponizons es tabernes meritoires de la Pomme de Pin, duCastel, de la Magdaleine et de la Mulle, belles spatules vervecines perforamines de petrosil. Et si, par fortefortune, y a rarit ou penurie de pecune en nos marsupies, et soyent exhaustes de metal ferrugin, pour l'escotnous dimittons nos codices et vestes opigneres, prestolans les tabellaires venir des Penates et Larespatriotiques. " A quoy Pantagruel dist : " Que diable de langaige est cecy ? Par Dieu, tu es quelque heretique.

    Seignor, non, dit l'escolier, car libentissiment, ds ce qu'il illucesce quelque minutule lesche du jour, je demigreen quelc'un de ces tant bien architectez monstiers, et l, me irrorant de belle eaue lustrale, grignotte d'un transonde quelque missicque precation de nos sacrificules ; et, submirmillant mes precules horaires, elue et abstergemon anime de ses inquinamens nocturnes. Je revere les Olimpicoles. Je venere latrialement le supernelAstripotent. Je dilige et redame mes proximes. Je serve les prescriptz Decalogiques et, selon la facultatule demes vires, n'en discede le late unguicule. Bien est veriforme que, cause que Mammone ne supergurgite goutteen mes locules, je suis quelque peu rare et lend supereroger les eleemosynes ces egenes queritans leursstipe hostiatement.

    Et bren, bren ! dist Pantagruel, qu'est ce que veult dire ce fol ? Je croys qu'il nous forge icy quelque langaigediabolique et qu'il nous cherme comme enchanteur. " A quoy dist un de ses gens : " Seigneur, sans doubte, cegallant veult contrefaire la langue des Parisians ; mais il ne faict que escorcher le latin, et cuide ainsi pindariser,et luy semble bien qu'il est quelque grand orateur en francoys, parce qu'il dedaigne l'usance commun de parler. "A quoi dict Pantagruel : " Est il vray ? " L'escholier respondit : " Signor Missayre, mon genie n'est poinct aptenate ce que dict ce flagitiose nebulon, pour escorier la cuticule de nostre vernacule Gallicque, mais viceversement je gnave opere, et par veles et rames je me enite de le locupleter de la redundance latinicome. Par Dieu(dist Pantagruel) je vous apprendray parler. Mais devant, responds moy : dont es tu ? " A quoy dist l'escholier :"L'origine primeves de mes aves et ataves fut indigene des regions Lemovicques, o requiesce le corpore del'agiotate sainct Martial.

    J'entens bien, dist Pantagruel ; tu es Lymosin, pour tout potaige. Et tu veulx icy contrefaire le Parisian. Or vienza, que je te donne un tour de pigne! " Lors le print la gorge, luy disant : " Tu escorche le latin ; par sainctJean, je te feray escorcher le renard, car je te escorcheray tout vif. "

    Lors commena le pauvre Lymosin dire : " Ve dicou, gentilastre ! Ho, sainct Marsault, adjouda my ! Hau, hau,laissas quau, au nom de Dious, et ne me touquas grou ! " A quoy dist Pantagruel : " A ceste heure parle tunaturellement. " Et ainsi le laissa, car le pauvre Lymosin conchioit toutes ses chausses, qui estoient faictes queheue de merluz, et non plein fons ; dont dist Pantagruel : " Sainct Alipentin, quelle civette ! Au diable soit lemascherabe, tant il put ! " Et le laissa. Mais ce luy fut un tel remord toute sa vie, et tant fut alter qu'il disoitsouvent que Pantagruel le tenoit la gorge, et, aprs quelques annes, mourut de la mort Roland, ce faisant lavengeance divine et nous demonstrant ce que dit le philosophe et Aule Gelle : qu'il nous convient parler selon le

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    13 sur 20 12-10-19 21:53

  • langaige usit, et, comme disoit Octavian Auguste, qu'il fault eviter les motz espaves en pareille diligence que lespatrons des navires evitent les rochiers de mer.____________________Rabelais, Pantagruel 1532, Chapitre VI.

    Pour Rabelais, les cumeurs de latin sclrosaient l'enseignement, maintenaient les sciences dansl'obscurantisme et corrompaient le franais, rien de moins.

    - Les doublets

    C'est aussi cette poque que nous devons une augmentation importante des doublets, mme si ce processustait apparu ds la dbut de l'ancien franais. la Renaissance, les doublets devinrent l'une des manifestationscourantes du renouvellement du vocabulaire. Un doublet correspond deux mots de mme originetymologique, dont l'un a suivi l'volution phontique normale, alors que l'autre a t emprunt directement aulatin (parfois au grec) aprs quelques sicles. Ainsi, htel et hpital sont des doublets; ils proviennent tous lesdeux du mme mot latin hospitalis, mais l'volution phontique a abouti htel, tandis que, quelques siclesplus tard, l'emprunt a donn hospital, puis hpital. Le mot latin d'origine populaire est toujours le plus loign,par sa forme, du latin classique. On compte probablement quelques centaines de doublets qui ont t formsau cours de l'histoire. Nous n'en citons ici que quelques-uns. On constatera que les doublets ont toujours dessens diffrents, parfois trs loigns l'un de l'autre:

    MOT LATIN > fr. pop. / motsavant

    MOT LATIN > fr. pop. / motsavant

    MOT LATIN > fr. pop. / motsavant

    MOT LATIN > fr. pop. / motsavant

    rigidus > raide/rigidefragilis > frle/fragilependere > peser/penserinteger > entier/intgrelegalis > loyal/lgalliberare > livrer/librerfabrica > forge/fabrique

    acer > aigre/creauscultare > couter/ausculterabsolutum > absous/absolucapitalem > cheptel/capitaleadvocatum > avou/avocatsingularis > sanglier/singuliermasticare > mcher/mastiquer

    capsa > chsse/caissesenior > sieur/seigneurministerium > mtier/ministrescala > chelle/escalecausa > chose/causeporticus > porche/portiquesimulare > sembler/simuler

    strictum > troit/strictpotionem > poison/potionfrictionem > frisson/frictionclaviculum > cheville/claviculepedestrem > pitre, pitre/pdestretractatum > trait/tractoperare > oeuvrer/oprer

    En franais, les doublets touchent gnralement des mots d'usage trs courant, mais peu de termesscientifiques ou de la vie quotidienne ou familiale. Ce mouvement a eu pour rsultat d'introduire un trs grandnombre de mots savants. Mais ce procd du calque, reproduisant l'tymologie latine, a produit un importantlexique savant fort diffrent du fonds lexical ancien et populaire rsultat des lois phontiques et de l'volutiondes mots dans le temps. Paralllement, ce nouveau lexique va s'imposer massivement et s'ajouter l'anciencomme un systme autonome.

    - Le fameux participe pass

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    14 sur 20 12-10-19 21:53

  • C'est au XVIe sicle qu'apparat la rgle de l'accord du participe pass avecavoir. Nous la devons Clment Marot (1496-1544). Ce dernier l'avaitemprunte un professeur italien qui, enseignant le franais des Italiens,essayait de trouver un systme sous-jacent au fonctionnement du participepass. Marot a formul ainsi la rgle du participe pass avec avoir :

    Nostre langue a ceste faonQue le terme qui va devantVoluntiers regist le suyvant.Les vieux exemples je suyvrayPour le mieulx: car, dire vray;La chanson fut bien ordonneQui dit m'amour* vous ay donne.Et du bateau est estonnQui dit: M'amour vous ay donn.Voil la forceque possdeLe femenin quand il precede.Or prouvray par bons temoingsQue tous pluriels n'en font pas moins:

    Dieu en ce monde nous a faictz;Faut dire en termes parfaictz:Dieu en ce monde nous a faictz;Faut dire en parolles parfaictes:Dieu en ce monde les a faictes;Et ne fault point dire en effect:Dieu en ce monde les a faict.Ne nous a fait pareillement,Mais nous a faictz tout rondement.L'italien, dont la facondePasse les vulgaires du monde,Son langage a sinsi bastyEn disant: Dio noi a fatti.

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    15 sur 20 12-10-19 21:53

  • En graphie moderne, on aurait eu:

    Notre langue a cette faonQue le terme qui va devantVolontiers rgit le suivant.Les vieux exemples je suivraiPour le mieux: car, dire vrai;La chanson fut bien ordonneQui dit: M'amour vous ai donne.Et du bateau est tonnQui dit: M'amour vous ai donn.Voil la force que possdeLe fminin quand il prcde.Or prouverai par bons tmoinsQue tous pluriels n'en font pas moins:

    Dieu en ce monde nous a faits;Faut dire en termes parfaits:Dieu en ce monde nous a faits;Faut dire en paroles parfaites:Dieu en ce monde les a faites;Et ne faut point dire en effet:Dieu en ce monde les a fait.Ni nous a fait pareillement,Mais nous a faits tout rondement.L'italien, dont la facondePasse les vulgaires du monde,Son langage a ainsi btiEn disant: Dio ci fatti.

    C'est cette rgle (le mot amour tait fminin), fonde sur l'opposition entre le participe pass avec tre et leparticipe pass avec avoir, que nous observons aujourd'hui. l'poque de Clment Marot, elle n'aurait connuqu'un succs relatif: les crivains suivaient plus ou moins cette nouvelle rgle. On pouvait crire la lettre qu'ila crite, aussi bien que il a une lettre crite ou il a crite une lettre. long terme cependant, il parut pluscommode d'avoir une rgle afin que le franais soit plus comparable au latin. Les imprimeurs apprirent parcur les clbres vers de Marot, sans savoir que, pendant des sicles, cette fameuse rgle fera la vie dure auxcoliers! Dans son Histoire de la langue franaise, le grammairien Fernand Brunot prcise que, au XVIIesicle, la prononciation pouvait jusqu' un certain point justifier la rgle de Marot. Ainsi, le e final, parexemple, de rendue ou de chante sentendait grce lallongement de la voyelle finale, maisuniquement avant une pause. Bref, le participe pass termin par les voyelles -i, -u et - tait souvent marqupar un allongement loral, mais il n'y avait rien de rigide. D'autres reprendront la rgle de Marot, dontVaugelas et Malherbe qui ltendra aux verbes pronominaux, mais ce n'est qu'au XIXe sicle que les rgles duparticipe pass seront imposes dans les coles de France, de Belgique, des cantons suisses romands et duCanada franais.

    3.4 Les dfenseurs du franais

    De plus en plus de savants crivirent en franais, notamment les mathmaticiens, les chimistes, les mdecins,les historiens et les astronomes, et plusieurs crivains prconisrent d'employer cette langue, dont Du Bellay,Ronsard, Rabelais, Montaigne, Robert Estienne, etc.

    En 1521, Pierre Fabri (v. 1450-v. 1535), un rhtoricien et un pote franais, crivit un trait de rhtoriqueintitul Grant et vray art de pleine rhetorique. Il pouvait affirmer que le vocabulaire du franoys estsuffisamment riche pour dsigner les ralits avec prcision et lgance:

    Et qu'il soit vray le langaige franoys est si ample et si abundant en termes que combien que l'en puisse parler detoutes sciences sans user de propres termes de icelles comme par circunlocutions, toulteffoys le plus elegant et leplus agreg est de user de propres termes ja par noz peres imposez. Je entens des termes honnestes carlesdeshonnestes se doibvent dire par circunlocution comme il sera dict cy aprs.

    Ce genre de propos explique la publication du fameux pamphlet de Joachim Du Bellay (1522-1560), LaDeffence, et Illustration de la Langue Francoyse (Dfense et illustration de la langue franaise), qui parut en1549 et gnralement considr comme le manifeste de La Pliade. Dans ce texte, Joachim Du Bellayprconisait, contre les dfenseurs du latin, l'usage de la langue franaise en posie. Il favorisait ouvertementl'enrichissement du vocabulaire par la cration de termes nouveaux (abrviations de termes existants, crationde mots composs, ractivation du sens des racines anciennes, etc.). Les emprunts d'autres langues,

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    16 sur 20 12-10-19 21:53

  • rgionales ou trangres (grecque et latine notamment) sont galement conseills, condition que les motschoisis soient adapts en franais. Du Bellay recommandait aussi d'abandonner les formes potiquesmdivales employes jusqu' Clment Marot et prconisait l'imitation des genres en usage dans l'Antiquit,tels que l'lgie, le sonnet, l'pope ou l'ode lyrique, mais aussi la comdie et la tragdie. Du Bellayconsidrait aussi que le latine et le grec taient des langues mortes, devenues difficiles d'accs, contrairementaux langues vivantes:

    Ne pensez donc, imitateurs, troupeau servile, parvenir au point de leur excellence, vu qu' grand'peine avez-vousappris leurs mots, et voil le meilleur de votre ge pass. Vous dprisez notre vulgaire, par aventure non pourautre raison, sinon que ds enfance et sans tude nous l'apprenons, les autres avec grand'peine et industrie. Ques'il tait, comme la grecque et latine, pri et mis en reliquaire de livres, je ne doute point qu'il ne ft (ou peu s'enfaudrait) aussi difficile apprendre comme elles sont.

    Les ides exprimes par Du Bellay n'taient pas tout fait nouvelles, mais celui-ci eut le mrite de les rendrepubliques, et ce, avec une certaine audace, il faut l'avouer. On peut consulter le texte au complet de Dfense etillustration de la langue franoise de Du Bellay en cliquant ICI. On admirera la richesse et l'invention desmots crs par l'auteur qui met en pratique ce qu'il prconise.

    Dans la Franciade (1572), Pierre Ronsard dsirait dmontrer que langue vulgaire franaise tait capable deproduire un pome appartenant au plus prestigieux des genres littraires, et de fournir un mythe doriginenational liant la France un pass hellnique. Dans sa prface, il prsente le latin comme une chose morte:

    C'est autre chose d'escrire en une langue florissante qui est pour le prsent reeu du peuple, villes, bourgades etcitez, comme vive et naturelle, approuve des Rois, des Princes, des Snateurs, marchands et trafiqueurs, et decomposer en une langue morte, muette et ensevelie sous le silence de tant d'espaces d'ans, laquelle ne s'apprendplus qu' l'escole par le fouet et par la lecture des livres, ausquelles langues mortes il n'est licite de rien innover,comme disgracies du temps [...] comme chose morte, laquelle s'est perdue par le fil des ans, ainsi que font touteschoses humaines, qui perissent vieilles, pour faire place aux autres suivantes & nouvelles : car ce n'est pas raisonque la nature soit tousjours si prodigue de ses biens deux ou trois nations, qu'elle ne vueille conserver sesrichesses aussi pour les derniers comme pour les premiers.

    Robert Estienne (1503-1559), le fils de Henri Estienne, tait un imprimeur huguenot, mais aussi l'un deshumanistes les plus rudits de son poque. Il connaissait non seulement le franois, le latin et le grec, maisaussi l'hbreu, comme le prouvent les ouvrages savants qu'il a transmis dans ces diffrentes langues. Dans Dela prcellence du langage franois (1579, ), Robert Estienne estimait que les patois constituaient une richessepour le royaume, mais que le franois devait demeurer la langue principale:

    J'estime qu'en cas de langage je ne puis appeler le cueur de la France les lieux o sa nayvet et puret est lemieux conservee: de sorte que tous y sont d'accord que ces voscables estrangers nous doivent servir depassetemps plustost que d'ornement ou enrichissement, et que le langage de ceux qui en usent autrement, doitestre dclar non pas franois mais gastefranois.

    Robert Estienne introduisit en 1530 l'accent aigu, l'accent grave et l'accent circonflexe. D'autresproposeront plus tard le point virgule, le trait d'union, etc.

    Pour terminer sur cette question, laissons la parole nul autre que Ren Descartes (1596-1659) qui justifiaitainsi son choix du franais dans la rdaction de son clbre Discours de la mthode (1637):

    Et si jcris en franais qui est la langue de mon pays, plutt quen latin, qui est celle de mes prcepteurs, cest cause que jespre que ceux qui ne se servent que de leur raison naturelle toute pure, jugeront mieux de mesopinions, que ceux qui ne croient quaux livres anciens; et pour ceux qui joignent le bon sens avec ltude,

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    17 sur 20 12-10-19 21:53

  • lesquels seuls je souhaite pour mes juges, ils ne seront point, je massure, si partiaux pour le latin, quils refusentdentendre mes raisons pour ce que je les explique en langue vulgaire.

    Aprs avoir crit son ouvrage en franais, Descartes retourna au latin pour ses Mditations mtaphysiques etLes principes de la philosophie, mais il avait nanmoins ouvert le chemin et d'autres ensuite n'hsiteront plus crire la science en franais.

    5 Les premires descriptions du franais

    Au cours du XVIe sicle, la langue franaise s'tait considrablement enrichie et diversifie. Les latinismes,italianismes, dialectalismes, nologismes, etc., avaient fini par accrotre la masse des mots du franais. Lefranais tait devenu une langue littraire et un instrument acceptable pour la transmission des connaissancesscientifiques. C'est cette poque que commencrent les premires grammaires et les premiers dictionnairesrdigs en France, car l'Angleterre avait prcd les Franais ce sujet.

    C'est depuis Robert Estienne (1503-1559) que les rpertoires de mots sont appels des dictionnaires, cemot provenant du latin mdival dictionarium, lui-mme issu de dictio signifiant action de dire ourservoir de dictions, de mots. Robert Estienne publia en 1539 le Dictionnaire Francois latin contenant lesmotz et manieres de parler franois tournez en latin. L'ouvrage contenait 9000 mots franais, chacun suivid'une dfinition en latin; la seconde dition passera 13 000 entres. Le dictionnaire mettait l'accent sur lelexique spcialis.

    L'anne suivante (1530), l'Anglais John Palsgrave (1480-1554) publiait Lesclaircissement de la languefranoyse. Son ouvrage, rdig en anglais malgr son titre, tait ddi Henri VIII et la princesse Mary dontil fut le prcepteur. Palsgrave mettait l'accent sur la prononciation et la manire de former les lettres tout enprsentant un vocabulaire bilingue, ce qui en faisait un dictionnaire. L'auteur anglais voulait faire connatre lagrammaire du franais au moyen de rgles prcises. Il croyait que le franais tait en gnral corrompu cause du manque de rgles et de prceptes grammaticaux. Il faut dire que de nombreux grammairiensfranais s'enttaient rdiger leurs rgles du franois en... latin.

    Progressivement, les grammairiens en vinrent trouver une terminologie fraaise: adjectif, conjonction,adverbe, conjugaison, terminaison, etc. En 1550, parut un ouvrage important de Louis Meigret (v. 1500-v.1558) : Trett de la grammaire francoeze, fet par Louis Meigret Lionoes. Meigret dsirait qu'on crivit commeon parle et il a invent un systme graphique trs particulier. En voici un exemple tir de son trait,videmment plus difficile lire :

    [J]e suys asseur qune bone parte de eus qi sn mlet, sont si frans de suyure le stile Latin, dabandoner lenotre, qe combien qe leur parolles sot nayuemnt Franozes : la maouz ordonane rent toutefos le sensobscur, auq vn gran mecontntemnt de lorlle du lecteur, de lassistne. De vrey si nou consideron bien lestile de la lange Latin celuy de la notre, nou l trouuerons contrres en e qe comunemnt nou fzons la fin declaoz ou dun discours, de e qe l Latins font leur comnemnt : si nou considerons bien lordre de nature,nou trouuerons qe le stile Franos sy ranje beaocoup mieus qe le Latin. Car l Latins prepozent comunemnt lesouspoz ao vrbe, luy donans n suyte le surpoz.

    Le projet de Meigret tait d'laborer les rgles d'un langage entendible partir d'une communeobservance. Chez ce grammairien, la norme orthographique ne prtendait pas tre autoritaire, mais devaitplutt provenir d'un usage rel. Meigret croyait qu'il revient aux spcialistes de fixer la graphie, en la rglantsur lusage oral, dont ils sont le greffier. Mais l'orthographe non traditionnelle prne par Meigret acertainement limit son influence, car elle a suscit un rejet gnralis. Au plan thorique, peut-tre est-ce luiqui avait raison? L'ouvrage de Meigret est le premier du genre utiliser les adjectifs franais et franaise (aulieu de franois/franoise) pour dsigner la langue.

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    18 sur 20 12-10-19 21:53

  • Pour sa part, le grammairien Honorat Rambaud (1516-1586) voulut proposer, lui aussi, une orthographecalque sur la prononciation. Dans La Declaration des Abus que lon commet en escrivant Et le moyen de leseuiter, & de reprsenter nayuement les paroles: ce que iamais homme na faict, il considra qu'il fallaitaugmenter le nombre des lettres latines si l'on voulait transcrire fidlement les sons du franais. Le trait de351 pages de Rambaud proposait 24 nouvelles lettres de plus et atteignait les 52 lettres. Du temps deRambaud, les gens riches parlaient et crivaient le franais, bien que leur langue maternelle soit un dialecte(patois). Quant aux pauvres, ils ne parlaient pas franais et n'crivaient pas du tout. Rambaud enseignait auxnotables, mais dsiraient que les gens du peuple puissent ventuellement crire le franais. Malgr la grandecohrence graphique propose, le systme de Rambaud fut peru comme l'uvre d'un fou par les rudits deson poque. Bref, les tudes de Meigret de Rambaud dmontrent qu'il n'est pas ais de calquer l'orthographesur la prononciation. Une orthographe tymologique permet de garder la langue fixe, alors qu'une orthographecalque sur la prononciation est soumise au changement priodique.

    Mentionnons aussi un autre ouvrage qui a fait fureur au XVIe sicle: la Gramere de Pierre de la Rame(1515-1572) dit Petrus Ramus. Rdige en 1562, la grammaire de Ramus, qui admirait Meigret, se voulait undialogue pdagogique entre un matre et son lve. Il a propos des rformes grammaticales avec la distinctionde la lettre u et de la lettre v (confondues cette poque), ainsi que des trois e : e, (accent aigu) et (accent grave).

    la fin du XVIe sicle, la langue franaise avait beaucoup chang. L'orthographe n'tait pas encore vraimentnormalise, et il tait frquent de trouver dans la mme page, voire un mme paragraphe, des graphiesdiffrentes pour un mme mot. Le lexique s'tait considrablement enrichi par l'apport massif de mots savantsemprunts directement du latin.

    Bien qu'encore assez diffrente du franais contemporain, la langue de cette poque peut aujourd'hui se liresans quil ne soit ncessaire de passer par la traduction; il s'agit presque du franais moderne. Cependant, lepeuple continuait d'ignorer peu prs tout de cette langue qui commenait se codifier; dans la rgion deParis, il parlait un autre type de franais, populaire celui-l, qui ne s'embarrassait pas des latinismes,italianismes et hispanismes, lesquels ne proccupaient encore que les lettrs, les bourgeois et les nobles. Enattendant, l'enseignement reculait partout, car une grande partie de la population s'tait dtourne del'ducation. La population paysanne tait massivement illettre et, dans les campagnes, seuls les notablespouvaient lire et crire le franois.

    Dernire mise jour: 05 dc. 2010

    Histoire de la langue franaise

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    19 sur 20 12-10-19 21:53

  • Section 1: Empire romainSection 2: Priode romaneSection 3: Ancien franaisSection 4: Moyen franaisSection 5: VOUS TES ICI

    Section 6: Grand SicleSection 7: Sicle des LumiresSection 8: Rvolution franaiseSection 9: Franais contemporainSection 10: Bibliographie

    Accueil: amnagementlinguistique dans le monde

    Histoire du franais: La Renaissance http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/francophonie/HIST_FR_s5_Renai...

    20 sur 20 12-10-19 21:53