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Au-delà de l’horizon Par le chef d’escadron Sébastien Barbot, promotion maréchal Lyautey, juillet 2010 Dans un monde qui a pris conscience que les conflits ne se résolvaient pas uniquement par l’action militaire, nombreuses sont les organisations qui réfléchissent à la mise en œuvre d’une approche globale dans le traitement des crises. Cette combinaison de moyens militaires et civils destinée à créer durablement les conditions de la paix fait donc l’objet de réflexions et de politiques initiées au sein de l’Union européenne, de l’OTAN ou de l’ONU. A cet égard, la dernière évolution onusienne en la matière, une note rédigée par le Département des Opérations de Maintien de la Paix (DOMP) intitulée « New Horizon », montre la volonté de l’ONU de se réapproprier un rôle de premier plan dans la résolution des crises. Dix ans après la parution du « rapport Brahimi » et alors que le futur concept stratégique de l’OTAN est encore en discussion, l’ONU doit aller encore plus loin et doit saisir l’opportunité de redevenir un acteur majeur des opérations de paix. A la fin des années 1990, l’ONU a pris acte des difficultés qu’elle avait rencontré dans la mise en œuvre des opérations de maintien de la paix : échecs des missions en Bosnie-Herzégovine et au Rwanda suivis de la défection des Etats occidentaux estimant que les mandats n’offraient pas de garanties suffisantes tant pour la sécurité de leurs soldats que pour le succès de la mission. Elle a donc engagé des réflexions sur les actions à mener afin d’écarter un certain nombre d’obstacles à son efficacité. Le premier fruit de ces réflexions, le « rapport Brahimi » paru en 2000, a été complété par la doctrine Capstone en 2008 puis par la note « New Horizon » en juillet 2009. Les similitudes entre les trois textes montrent que les esprits sont désormais mûrs pour réformer en profondeur les structures onusiennes et renforcer l’intégration des missions. Cette approche intégrée fait ainsi l’objet d’un chapitre de la doctrine Capstone. Il y est mis en exergue la nécessité de faire partager à l’ensemble des acteurs onusiens déployés sur une mission une même vision des objectifs stratégiques. Le but de cette approche est bien d’optimiser l’efficacité de l’ensemble d’un dispositif qui se veut multidimensionnel (agences civiles, militaires et policiers) et d’éviter la duplication des efforts qui peut du reste s’avérer contre-productive. Par ailleurs, le triple partenariat évoqué dans la note « New Horizon » (partenariat d’objectifs, d’action et d’avenir) synthétise en vingt propositions les aspirations des responsables du maintien de la paix. Ainsi, il est demandé de bénéficier d’une stratégie et d’un état final recherché sans ambiguïtés avant même d’initier le processus de génération de force. Il est également recommandé de renforcer le dialogue entre tous les organes onusiens (Conseil de Sécurité, Département des Opérations de Maintien de la Paix, Etats membres et contributeurs de troupes) et ce, à tous les niveaux (au siège à New York et dans les états- majors des missions sur le terrain). Il semblerait donc que les ingrédients de l’approche globale soient tous réunis et que l’ONU ait pris conscience de l’intérêt de traiter les crises dans toutes leurs dimensions de manière coordonnée. A priori, c’est l’organisation la mieux armée pour le faire, car elle seule bénéficie de la légitimité reposant sur une résolution du Conseil de Sécurité, seule instance mondiale fondée à prendre ce type de décision. De surcroît, elle seule dispose d’un éventail aussi large de capacités. L’Union européenne pourrait éventuellement concurrencer l’ONU en la matière,

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Au-delà de l’horizon Par le chef d’escadron Sébastien Barbot, promotion maréchal Lyautey, juillet 2010 Dans un monde qui a pris conscience que les conflits ne se résolvaient pas uniquement par l’action militaire, nombreuses sont les organisations qui réfléchissent à la mise en œuvre d’une approche globale dans le traitement des crises. Cette combinaison de moyens militaires et civils destinée à créer durablement les conditions de la paix fait donc l’objet de réflexions et de politiques initiées au sein de l’Union européenne, de l’OTAN ou de l’ONU. A cet égard, la dernière évolution onusienne en la matière, une note rédigée par le Département des Opérations de Maintien de la Paix (DOMP) intitulée « New Horizon », montre la volonté de l’ONU de se réapproprier un rôle de premier plan dans la résolution des crises. Dix ans après la parution du « rapport Brahimi » et alors que le futur concept stratégique de l’OTAN est encore en discussion, l’ONU doit aller encore plus loin et doit saisir l’opportunité de redevenir un acteur majeur des opérations de paix. A la fin des années 1990, l’ONU a pris acte des difficultés qu’elle avait rencontré dans la mise en œuvre des opérations de maintien de la paix : échecs des missions en Bosnie-Herzégovine et au Rwanda suivis de la défection des Etats occidentaux estimant que les mandats n’offraient pas de garanties suffisantes tant pour la sécurité de leurs soldats que pour le succès de la mission. Elle a donc engagé des réflexions sur les actions à mener afin d’écarter un certain nombre d’obstacles à son efficacité. Le premier fruit de ces réflexions, le « rapport Brahimi » paru en 2000, a été complété par la doctrine Capstone en 2008 puis par la note « New Horizon » en juillet 2009. Les similitudes entre les trois textes montrent que les esprits sont désormais mûrs pour réformer en profondeur les structures onusiennes et renforcer l’intégration des missions. Cette approche intégrée fait ainsi l’objet d’un chapitre de la doctrine Capstone. Il y est mis en exergue la nécessité de faire partager à l’ensemble des acteurs onusiens déployés sur une mission une même vision des objectifs stratégiques. Le but de cette approche est bien d’optimiser l’efficacité de l’ensemble d’un dispositif qui se veut multidimensionnel (agences civiles, militaires et policiers) et d’éviter la duplication des efforts qui peut du reste s’avérer contre-productive. Par ailleurs, le triple partenariat évoqué dans la note « New Horizon » (partenariat d’objectifs, d’action et d’avenir) synthétise en vingt propositions les aspirations des responsables du maintien de la paix. Ainsi, il est demandé de bénéficier d’une stratégie et d’un état final recherché sans ambiguïtés avant même d’initier le processus de génération de force. Il est également recommandé de renforcer le dialogue entre tous les organes onusiens (Conseil de Sécurité, Département des Opérations de Maintien de la Paix, Etats membres et contributeurs de troupes) et ce, à tous les niveaux (au siège à New York et dans les états-majors des missions sur le terrain). Il semblerait donc que les ingrédients de l’approche globale soient tous réunis et que l’ONU ait pris conscience de l’intérêt de traiter les crises dans toutes leurs dimensions de manière coordonnée. A priori, c’est l’organisation la mieux armée pour le faire, car elle seule bénéficie de la légitimité reposant sur une résolution du Conseil de Sécurité, seule instance mondiale fondée à prendre ce type de décision. De surcroît, elle seule dispose d’un éventail aussi large de capacités. L’Union européenne pourrait éventuellement concurrencer l’ONU en la matière,

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mais elle ne pourrait le faire qu’à terme, étant donné que même si elle dispose d’une certaine légitimité procurée par l’aspect soft power de son action, elle est encore loin de pouvoir mettre en œuvre le volume d’agences dont dispose l’ONU. L’OTAN quant à elle peut se targuer de se montrer efficace sur le plan militaire mais n’a pas de capacités civiles à déployer sur le terrain. A cet égard, le nouveau concept stratégique qui doit être élaboré au cours de cette année fait l’objet d’un débat entre les tenants d’un élargissement des missions au domaine civil et les opposants à la constitution d’une « mini-ONU ». La plupart des membres européens de l’Alliance, France en tête, demandent à ce que l’ONU, seule assemblée à avoir une légitimité mondiale à leurs yeux, soit bien réaffirmée dans son rôle. Ils considèrent que l’OTAN doit rester une structure avant tout militaire. Enfin, l’Alliance souffre d’un déficit d’image tant dans les pays où elle intervient qu’auprès des populations de ses Etats membres. L’OTAN est ainsi perçue par certains esprits critiques comme une alliance occidentale cherchant à protéger ses propres intérêts stratégiques, voire, pour les plus virulents, menant une guerre de civilisation, si ce n’est une croisade. En schématisant, la situation peut être décrite de la manière suivante : d’un côté, l’ONU, potentiellement puissante de ses agences pour peu que leur action soit coordonnée mais réputée faible sur le plan militaire ; de l’autre, l’OTAN, militairement puissante mais ne disposant pas des moyens civils pour mettre en œuvre l’approche globale. On peut y ajouter, au milieu, l’Union européenne, qui s’y essaie mais avec des moyens par trop limités pour prétendre agir dans le cadre d’un engagement majeur. Sans le dire explicitement, le DOMP a certainement en tête cette typologie des atouts et des faiblesses des différentes organisations lorsqu’il propose dans la note « New Horizon » un élargissement du partenariat de maintien de la paix en évoquant entre autres l’Union européenne. Cette volonté d’élargir les partenariats est apparue de manière encore plus flagrante avec la signature de l’accord « secret » entre les deux secrétaires généraux de l’ONU et de l’OTAN en septembre 2008. Cet accord, basé sur la notion de « responsabilité de protéger », donc sur une logique plutôt interventionniste, vise bel et bien à renforcer la coopération opérationnelle entre les deux organisations. Il s’applique notamment aux domaines de la communication, du partage de l’information, du renforcement des capacités, de la formation, des exercices et de la planification. A priori, ce type de partenariat peut sembler antinomique. Pourtant, il apparaît qu’il pourrait être bénéfique pour toutes les parties. D’un côté, l’ONU pourrait ainsi compter sur les réserves opérationnelles de l’OTAN et de l’UE et espérer voir des troupes se déployer rapidement, ce que les armées occidentales savent faire. L’objectif d’un déploiement sous 90 jours évoqué dans le « rapport Brahimi » serait enfin tenu. De plus, cette force bien formée serait crédible, à l’inverse de ce que l’on observe sur nombre de théâtres. Il est assez évident que des Casques bleus venant d’un pays figurant dans les derniers au classement « Indice de Développement Humain » ne sont pas de nature à faire régner l’ordre. Au mieux, une telle force suscite des moqueries ; au pire, elle laisse le champ libre aux actions des « fauteurs de troubles ». De l’autre, l’OTAN ou l’UE dans une moindre mesure pourraient agir dans un cadre qui légitimerait leur action aux yeux des populations locales comme des populations occidentales, tout en gardant une certaine visibilité. Cela permettrait à ces organisations de se défaire des accusations d’interventionnisme occidental, de néo-colonialisme ou d’impérialisme. Le partenariat ONU-OTAN n’est pas encore aussi développé, mais le rapprochement des deux entités progresse. Minimale dans le cadre de l’AMISOM en Somalie (soutien aérien de l’OTAN aux forces de l’UA) ou dans le cadre de le MINUAD au Darfour (transport stratégique, formation à la gestion du renseignement), la coopération devrait à terme être plus

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poussée en Afghanistan en matière d’action civilo-militaire et de coordination de leurs actions. Pour autant, il reste un certain nombre de questions à régler pour que l’ONU puisse s’appuyer pleinement sur les capacités militaires de l’OTAN ou de l’UE et mener des politiques d’approche globale dans la résolution des conflits. La première d’entre elles tient au nombre de missions déployées à l’heure actuelle : 18 missions contraignent au déploiement de 82 000 soldats. Considérant que les effectifs militaires occidentaux ne cessent de diminuer notamment pour des raisons budgétaires, il apparaît dès lors compliqué de se passer des troupes des pays du Sud pour assurer le maintien de la paix. Il conviendra alors de déterminer à quelle étape du conflit il est possible d’assurer un transfert entre armées occidentales et armées du Sud, et à quelle hauteur car il ne faut pas que la force perde toute crédibilité lors des phases de stabilisation et de normalisation/consolidation. Il faudra également traiter des structures de commandement tant au siège que sur le terrain. Après les expériences douloureuses des années 1990, les nations occidentales sont peu promptes à mettre à disposition de l’ONU des troupes si elles n’ont pas l’assurance qu’elles soient correctement commandées et employées. La guerre du Liban de 2006 a permis la création d’une Cellule Militaire Stratégique (CMS) ad hoc chargée de la planification stratégique de l’opération. Même si elle a été décriée, il n’en reste pas moins vrai que cette expérience a débouché sur le renforcement en effectifs de cette entité désormais intégrée au DOMP et devenue Cellule d’Analyse Stratégique. Pour convaincre des partenaires occidentaux de renforcer leur coopération, l’ONU devra montrer que cette structure est un premier pas vers la mise sur pied d’un commandement intégré propre à mettre en œuvre l’approche globale. Le même constat peut être fait sur le terrain où les chaînes civiles et militaires apparaissent souvent comme trop distinctes pour mener une action conjointe efficace. Enfin et surtout, l’ONU devra se prononcer sur la nature réelle des opérations qu’elle entend mener. L’absence de définition claire de la notion de « maintien de la paix robuste » n’est pas de nature à convaincre les nations occidentales d’envoyer des troupes sous mandat ONU. Le refus de faire de « l’imposition de la paix » autorisant la conduite d’opérations stratégiques et opératives achève d’expliquer leurs réticences. Si elle veut bénéficier de leur renfort, l’ONU aura nécessairement à faire évoluer sa position sur le type d’actions qu’elle veut mener. Encore faudra-t-il prévenir les blocages institutionnels et arracher un consensus entérinant ce changement de posture. Il n’est pas possible de résoudre les conflits par la seule force. A contrario, il est rarement possible de s’en passer. L’approche globale semble donc être la meilleure stratégie pour rendre le monde plus sûr. L’ONU l’a bien compris, à l’instar de l’OTAN ou de l’UE, et la note « New Horizon » prouve qu’elle a considérablement évolué dans ce domaine. Pourtant, si elle veut dépasser le cadre actuel des coopérations limitées et redevenir l’organisation pivot des opérations de paix, elle devra aller encore au-delà de ces propositions, aller « beyond the horizon », et véritablement créer les conditions de partenariats fructueux.