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Temps fort Le Temps Lundi 14 avril 2014 2 > E-diplomatie > > Mehdi Atmani C’est la conséquence la plus tangible des spectaculaires révé- lations d’Edward Snowden sur l’espionnage mondial de la NSA. Dix mois après l’éclatement du scandale, le Brésil organise à São Paulo les 23 et 24 avril prochains NetMundial, une conférence in- ternationale sur la gouvernance d’Internet. Plus de 46 pays y parti- ciperont, dont la Suisse, qui dé- barque au Brésil avec trois repré- sentants du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et de l’Office fédéral des communi- cations (Ofcom). La délégation suisse sera accompagnée par les nombreux acteurs déjà basés à Genève (organisations, société ci- vile, ONG) et actifs sur les enjeux d’Internet. C’est Dilma Rousseff qui a im- posé ce «Net Mundial» dans l’agenda diplomatique. Echaudée par l’affaire des écoutes menées par Washington, la présidente brésilienne a mis ses mesures pro- tectionnistes à exécution pour s’affranchir du joug américain sur Internet. Le 25 mars dernier, le Brésil a voté une loi visant à régu- ler la Toile et protéger les inter- nautes brésiliens. Ce n’est qu’un début. Dilma Rousseff plaide aussi pour la construction de câ- bles internet sous-marins indé- pendants des Etats-Unis, pour le développement d’un encryptage propre au Brésil pour les télépho- nes et les communications entre ordinateurs, et pour le stockage domestique des données. Dilma Rousseff ouvre grand la porte à l’atomisation de la Toile, soit la mort du réseau global au profit d’une douzaine d’Internets indépendants gérés par les Etats eux-mêmes. Nous n’en sommes pas là. Du moins, pas encore. Mais la menace existe. Plusieurs pays – à l’instar de la Chine et de la Rus- sie – se rangent derrière le Brésil. Moins radicale, l’UE compte aussi mettre un terme à l’hégémonie américaine sur Internet. Sous pression, les Etats-Unis et leurs alliés – les puissants «Five Eyes» (Royaume-Uni, Canada, Nouvel- le-Zélande, Australie) – plaident pour le statu quo, mais n’auront pas d’autre choix que de céder une part du gâteau. k Enjeux économiques Le modèle de gouvernance d’Internet sous domination amé- ricaine a vécu. Les crispations étrangères se cristallisent autour de l’Icann. LInternet Corporation for Assigned Names and Num- bers délivre les noms de domai- nes internet au niveau mondial via 13 organisations, établies dans leur grande majorité en Amérique du Nord. C’est une so- ciété de droit commun sans but lucratif créée en 1998. Si de nom- breux pays sont représentés en son sein, l’Icann reste de droit américain car dépendant du se- crétaire américain au Commerce. De ce fait, les Etats-Unis confèrent aux GAFA – les géants d’Internet que sont Google, Amazon, Face- book et Apple – un pouvoir que beaucoup jugent indécent. L’en- jeu est donc économique, puis- que les GAFA auraient tout à per- dre de l’érection de nouvelles cyberfrontières. En réponse aux salves de criti- ques, les Etats-Unis ont annoncé qu’ils s’apprêtaient à quitter la su- pervision de l’Icann d’ici au mois de septembre 2015, date butoir pour un changement de gouver- nance. Le 14 mars dernier, le Dé- partement américain du com- merce a publiquement fait part de son intention de faciliter la transition en convoquant «les parties prenantes à travers le monde pour réfléchir à des pis- tes». L’option pressentie est l’inter- nationalisation de l’Icann, dotée d’une gouvernance multipartite dont la supervision serait assu- mée par plusieurs acteurs (gou- vernements, organisations inter- nationales, entreprises et société civile). k Un compromis global? Fadi Chehade, le nouveau pré- sident de l’Icann, est personnelle- ment favorable à l’internationali- sation de son organisme, mais ce transfert de pouvoir «ne con- duira pas à renoncer au contrôle d’Internet», a-t-il déclaré fin mars à l’issue de la 49e réunion de l’Icann, à Singapour. Un double discours qui prouve bien que Washington n’entend rien lâcher de son monopole. A l’heure ac- tuelle, tous les protagonistes sont suspendus aux premières conclu- sions de Net Mundial. Mais que faut-il en attendre? Pour amorcer sa transition, l’Icann devra s’appuyer sur les 188 contributions qui seront discu- tées à Net Mundial. Elles émanent des gouvernements (200 repré- sentants), d’entreprises, d’organi- sations internationales (100 re- présentants) et de la société civile (500 représentants). Ces contri- butions touchent l’ensemble des domaines de la gouvernance d’In- ternet: l’universalité du réseau, la vie privée, la propriété intellec- tuelle, les questions de transpa- rence et de droits de l’homme. Aucun accord n’est attendu à São Paulo, mais les discussions de- 123RF > Frédéric Riehl est un des trois négociateurs de la délégation suisse à la conférence Net Mundial de São Paulo Le Temps: Avec votre collègue de l’Ofcom et un membre du DFAE, vous représenterez la Suisse à São Paulo. Que comptez-vous en tirer? Frédéric Riehl: Il ne faut pas s’at- tendre à des miracles. La meilleure chose serait que l’on parvienne à l’établissement d’une feuille de route pour se déterminer sur le futur de la gouvernance internet. On discute un peu partout sur la planète, mais rien n’avance. – Net Mundial est donc une conférence pour rien? – Non! Mais il faut avoir à l’esprit que l’on ne négocie rien à l’issue d’une conférence de deux jours. La gouvernance est une question qui se discute depuis dix ans. Elle doit trouver sa voie. Le rendez- vous de São Paulo vise donc à débloquer la situation, car à l’heure actuelle on nage en plein immobilisme, même à l’ONU. Si les Etats-Unis lâchent l’Icann, que mettrons-nous à la place? Si l’on obtient déjà une feuille de route pour savoir quelle direction prendre, ce sera bien. – Genève est pressentie pour ac- cueillir la future Icann. Allez-vous passer votre grand oral au Brésil? – Nous n’en sommes pas là. Notre présence à Net Mundial nous permet de tâter le terrain et de prendre la température pour savoir quel rôle de facilitateur la Suisse pourrait jouer dans le futur. Nous allons réseauter et suivre en détail l’évolution des discussions. Aucune décision ne sera prise sur le futur de l’Icann. Les Etats-Unis sont dans une phase de prospection. – Le DFAE et l’Ofcom ont alloué 400 000 francs à la Geneva Inter- net Platform (GIP), le nouvel orga- nisme qui convie les acteurs de la gouvernance internet. Comptez- vous investir davantage? – C’est surtout le DFAE qui a été moteur dans cet investissement. Nous n’avons pas de plan à long terme. Nous verrons bien quelle plus-value elle apportera et si d’autres sponsors dans le futur mordront à l’hameçon. – Genève accueille déjà une quin- zaine d’organisations impliquées dans la gouvernance internet. Mais partagent-elles pour autant les mêmes intérêts? – Non. La plupart des organisa- tions onusiennes regardent à leur porte, et selon leur intérêt. Certai- nes comme l’UIT et l’OMPI ont même leur propre feuille de route en matière de gouvernance. La Geneva Internet Platform a pour mission de décloisonner tout ça. – L’affaire Snowden a radicalisé la position du BRICS face aux Etats-Unis. La menace d’une ato- misation de la Toile est-elle réelle? – Nous plaidons pour un Internet universel. Il ne faut pas peindre le diable sur la muraille, mais il faut rester vigilant. – Les Etats-Unis maîtrisent l’en- semble des infrastructures d’Inter- net, ainsi que ses services. Même avec un abandon de l’Icann, peut-on vraiment imaginer un meilleur partage des pouvoirs? – Il ne faut pas être naïf. Les Etats- Unis garderont toujours un lien privilégié avec le réseau. Mais la situation actuelle mérite des changements et des discussions de fond pour parvenir à une meilleure internationalisation de l’Icann. – Dans ce débat sur la gouver- nance, on se surprend de n’enten- dre que les gouvernements et les organisations internationales. Quid des géants du secteur privé tels que Google, Cisco ou Face- book? – Les acteurs du numérique sont présents dans les discussions onusiennes, ainsi qu’au sein de l’Internet Governance Forum. Le secteur privé devrait être repré- senté à São Paulo. Propos recueillis par M. At. ‘‘ Restons vigilants envers les risques d’une atomisation de la Toile, mais ne peignons pas le diable sur la muraille,, Frédéric Riehl Chef du service des Affaires internationales et vice-directeur de l’Office fédéral de la communication 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 16 17 15 CDI Commission de droit international IETF Internet Engineering Task Force ISOC Internet Society HCDH Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ISO Organisation internationale de normalisation UIT Union internationale des télécommunications CEI Commission électrotechnique internationale Gare Cornavin Place des Nations 1 2 3 4 5 6 7 Rhône Lac Léman Dans le domaine d'Internet, la Cité de Calvin compte une quinzaine d’organisations internationales. Les décisions de ces sociétés influent sur la majorité des enjeux de l'e-gouvernance. SOURCE: HTTP://GIPLATFORM.ORG Genève, la ville où sont prises plus de 50% des décisions 0 200 m DCAF Centre pour le contrôle démocratique des forces armées OMPI Organisation mondiale de la propriété intellectuelle Diplo Foundation Fondation Diplo GIP Geneva Internet Platform OMC Organisation mondiale du commerce UNIDIR Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement CSTD Commission de la science et de la technologie au service du développement IGF Forum sur la gouvernance d’Internet OIT Organisation internationale du travail CERN Organisation européenne pour la recherche nucléaire 9 10 11 12 13 14 15 16 17 8 KEYSTONE

01*20*1. · Internet. Le 25 mars dernier, le Br silavot uneloivisant r gu-ler la Toile et prot ger les inter-nautes br siliens. Ce nÕest quÕun d but. Dilma Rousseff plaide aussi

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Page 1: 01*20*1. · Internet. Le 25 mars dernier, le Br silavot uneloivisant r gu-ler la Toile et prot ger les inter-nautes br siliens. Ce nÕest quÕun d but. Dilma Rousseff plaide aussi

Tempsfort Le TempsLundi 14 avril 20142

> E-diplomatie

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Mehdi Atmani

C’est la conséquence la plustangible des spectaculaires révé-lations d’Edward Snowden surl’espionnage mondial de la NSA.Dix mois après l’éclatement duscandale, le Brésil organise à SãoPaulo les 23 et 24 avril prochainsNetMundial, une conférence in-ternationale sur la gouvernanced’Internet. Plus de 46 pays y parti-ciperont, dont la Suisse, qui dé-barque au Brésil avec trois repré-sentants du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE) etde l’Office fédéral des communi-cations (Ofcom). La délégationsuisse sera accompagnée par lesnombreux acteurs déjà basés àGenève (organisations, société ci-vile, ONG) et actifs sur les enjeuxd’Internet.

C’est Dilma Rousseff qui a im-posé ce «Net Mundial» dansl’agenda diplomatique. Echaudéepar l’affaire des écoutes menéespar Washington, la présidentebrésilienne a mis ses mesures pro-tectionnistes à exécution pours’affranchir du joug américain surInternet. Le 25 mars dernier, leBrésil a voté une loi visant à régu-ler la Toile et protéger les inter-nautes brésiliens. Ce n’est qu’undébut. Dilma Rousseff plaideaussi pour la construction de câ-bles internet sous-marins indé-pendants des Etats-Unis, pour ledéveloppement d’un encryptagepropre au Brésil pour les télépho-nes et les communications entreordinateurs, et pour le stockagedomestique des données.

Dilma Rousseff ouvre grand laporte à l’atomisation de la Toile,soit la mort du réseau global auprofit d’une douzaine d’Internetsindépendants gérés par les Etatseux-mêmes. Nous n’en sommespas là. Du moins, pas encore. Maisla menace existe. Plusieurs pays –à l’instar de la Chine et de la Rus-sie – se rangent derrière le Brésil.Moins radicale, l’UE compte aussimettre un terme à l’hégémonie

américaine sur Internet. Souspression, les Etats-Unis et leursalliés – les puissants «Five Eyes»(Royaume-Uni, Canada, Nouvel-le-Zélande, Australie) – plaidentpour le statu quo, mais n’aurontpas d’autre choix que de céderune part du gâteau.

k Enjeux économiquesLe modèle de gouvernance

d’Internet sous domination amé-

ricaine a vécu. Les crispationsétrangères se cristallisent autourde l’Icann. L’Internet Corporationfor Assigned Names and Num-bers délivre les noms de domai-nes internet au niveau mondialvia 13 organisations, établiesdans leur grande majorité enAmérique du Nord. C’est une so-ciété de droit commun sans butlucratif créée en 1998. Si de nom-breux pays sont représentés en

son sein, l’Icann reste de droitaméricain car dépendant du se-crétaire américain au Commerce.De ce fait, les Etats-Unis confèrentaux GAFA – les géants d’Internetque sont Google, Amazon, Face-book et Apple – un pouvoir quebeaucoup jugent indécent. L’en-jeu est donc économique, puis-que les GAFA auraient tout à per-dre de l’érection de nouvellescyberfrontières.

En réponse aux salves de criti-ques, les Etats-Unis ont annoncéqu’ils s’apprêtaient à quitter la su-pervision de l’Icann d’ici au moisde septembre 2015, date butoirpour un changement de gouver-nance. Le 14 mars dernier, le Dé-partement américain du com-merce a publiquement fait partde son intention de faciliter latransition en convoquant «lesparties prenantes à travers lemonde pour réfléchir à des pis-tes». L’option pressentie est l’inter-nationalisation de l’Icann, dotéed’une gouvernance multipartitedont la supervision serait assu-mée par plusieurs acteurs (gou-vernements, organisations inter-nationales, entreprises et sociétécivile).

k Un compromis global?Fadi Chehade, le nouveau pré-

sident de l’Icann, est personnelle-ment favorable à l’internationali-sation de son organisme, mais cetransfert de pouvoir «ne con-duira pas à renoncer au contrôled’Internet», a-t-il déclaré fin marsà l’issue de la 49e réunion del’Icann, à Singapour. Un doublediscours qui prouve bien queWashington n’entend rien lâcherde son monopole. A l’heure ac-tuelle, tous les protagonistes sontsuspendus aux premières conclu-sions de Net Mundial. Mais quefaut-il en attendre?

Pour amorcer sa transition,l’Icann devra s’appuyer sur les 188contributions qui seront discu-tées à Net Mundial. Elles émanentdes gouvernements (200 repré-sentants), d’entreprises, d’organi-sations internationales (100 re-présentants) et de la société civile(500 représentants). Ces contri-butions touchent l’ensemble desdomaines de la gouvernance d’In-ternet: l’universalité du réseau, lavie privée, la propriété intellec-tuelle, les questions de transpa-rence et de droits de l’homme.Aucun accord n’est attendu à SãoPaulo, mais les discussions de-

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> Frédéric Riehl est undes trois négociateursde la délégation suisseà la conférenceNet Mundial de São Paulo

Le Temps: Avec votre collègue del’Ofcom et un membre du DFAE,vous représenterez la Suisse à SãoPaulo. Que comptez-vous en tirer?Frédéric Riehl: Il ne faut pas s’at-tendre à des miracles. La meilleurechose serait que l’on parvienne àl’établissement d’une feuille deroute pour se déterminer sur lefutur de la gouvernance internet.On discute un peu partout sur laplanète, mais rien n’avance.

– Net Mundial est doncune conférence pour rien?– Non! Mais il faut avoir à l’espritque l’on ne négocie rien à l’issued’une conférence de deux jours.La gouvernance est une questionqui se discute depuis dix ans. Elledoit trouver sa voie. Le rendez-vous de São Paulo vise donc àdébloquer la situation, car àl’heure actuelle on nage en pleinimmobilisme, même à l’ONU. Siles Etats-Unis lâchent l’Icann, quemettrons-nous à la place? Si l’onobtient déjà une feuille de routepour savoir quelle directionprendre, ce sera bien.

–Genève est pressentie pour ac-cueillir la future Icann.Allez-vous passer votre grand oralauBrésil?– Nous n’en sommes pas là. Notreprésence à Net Mundial nouspermet de tâter le terrain et deprendre la température poursavoir quel rôle de facilitateur laSuisse pourrait jouer dans lefutur. Nous allons réseauter etsuivre en détail l’évolution desdiscussions. Aucune décision nesera prise sur le futur de l’Icann.Les Etats-Unis sont dans unephase de prospection.

– LeDFAE et l’Ofcomont alloué400 000 francs à laGeneva Inter-net Platform (GIP), le nouvel orga-nisme qui convie les acteurs de lagouvernance internet. Comptez-vous investir davantage?– C’est surtout le DFAE qui a étémoteur dans cet investissement.Nous n’avons pas de plan à longterme. Nous verrons bien quelleplus-value elle apportera et sid’autres sponsors dans le futurmordront à l’hameçon.

–Genève accueille déjà une quin-zaine d’organisations impliquéesdans la gouvernance internet.Mais partagent-elles pour autantlesmêmes intérêts?– Non. La plupart des organisa-tions onusiennes regardent à leurporte, et selon leur intérêt. Certai-

nes comme l’UIT et l’OMPI ontmême leur propre feuille de routeen matière de gouvernance. LaGeneva Internet Platform a pourmission de décloisonner tout ça.

– L’affaire Snowden a radicaliséla position duBRICS face auxEtats-Unis. Lamenace d’une ato-misation de la Toile est-elle réelle?– Nous plaidons pour un Internetuniversel. Il ne faut pas peindre lediable sur la muraille, mais il fautrester vigilant.

– Les Etats-Unismaîtrisent l’en-semble des infrastructures d’Inter-net, ainsi que ses services.Mêmeavec un abandon de l’Icann,peut-on vraiment imaginer unmeilleur partage des pouvoirs?– Il ne faut pas être naïf. Les Etats-Unis garderont toujours un lienprivilégié avec le réseau. Mais lasituation actuelle mérite deschangements et des discussionsde fond pour parvenir à unemeilleure internationalisation del’Icann.

–Dans ce débat sur la gouver-nance, on se surprend de n’enten-dre que les gouvernements et lesorganisations internationales.Quid des géants du secteur privétels queGoogle, Cisco ou Face-book?– Les acteurs du numérique sontprésents dans les discussionsonusiennes, ainsi qu’au sein del’Internet Governance Forum. Lesecteur privé devrait être repré-senté à São Paulo.Propos recueillis parM.At.

‘‘ Restons vigilantsenvers les risquesd’une atomisation de laToile,mais ne peignonspas le diable surlamuraille,,

Frédéric RiehlChef du service desAffaires

internationales et vice-directeur del’Office fédéral de la communication

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CDICommission de droit international

IETFInternet Engineering Task Force

ISOCInternet Society

HCDHHaut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme

ISOOrganisation internationale de normalisation

UITUnion internationale des télécommunications

CEICommission électrotechnique internationale

GareCornavin

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LacLéman

Dans le domaine d'Internet,la Cité de Calvin compte une quinzaine d’organisations internationales. Les décisions de ces sociétés influent sur la majorité des enjeux de l'e-gouvernance.

SOURCE: HTTP://GIPLATFORM.ORG

Genève, la ville où sont prises plus de 50% des décisions0 200 m DCAF

Centre pour le contrôle démocratique des forces armées

OMPIOrganisation mondialede la propriété intellectuelle

Diplo Foundation Fondation Diplo

GIPGeneva Internet Platform

OMCOrganisation mondiale du commerce

UNIDIRInstitut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement

CSTDCommission de la scienceet de la technologie au servicedu développement

IGFForum sur la gouvernance d’Internet

OITOrganisation internationale du travail

CERNOrganisation européenne pourla recherche nucléaire

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3TempsfortLe TempsLundi 14 avril 2014

C’est unehistoire courteetmouvementéeà la fois. Il fautremonter audébutdesannées2000pourdéceler lespremièresimplicationsdesEtatsdans lesquestionsdegouvernanced’Internet. Plusparticulièrementen2003, àGenève. LaCitédeCalvin avait accueilli la premièrephasedesdiscussionsduSommetmondial sur la sociétédel’information (SMSI)organiséparl’Union internationaledestélécommunications (UIT). Ledeuxième rounddenégociationsavait eu lieudeuxansplus tardàTunis.

C’est en2005que lagouvernanceinternet fait sonentréedansl’agendadiplomatiquemondial.ATunisdéjà, denombreuxpaysplaidentpour l’internationalisationde l’Icannpourdonnerplusdepoidsà l’ONUetàd’autresorganisationsintergouvernementales.Làaussi,Washington, du tempsdeGeorgeW.Bush,avait rejetél’ensembledecesdemandes. LeSMSIdébouche toutdemêmesuruncompromisavec la créationdel’InternetGovernanceForum.Celui-ci renforce la coopérationmulti-acteurs et invite le secteurprivéàprendrepart auxdiscussions.

Première révolution: entre2005et2014, le nombredes internautespassede 1 à3milliards. Leshabitudesd’utilisationchangent.Lesattaquescontre ladominationdesEtats-Unis se fontplusvirulentes, commeen témoigne lesommetonusien sur lagouvernanced’Internetqui s’esttenuendécembre2012àDubaï. Ilregroupe lespayset lesopérateurs. Le sommetapourobjet la révisiondu règlementdestélécoms, datantde 1988.ADubaï, les grandsémergents,comme leBrésil deDilmaRousseffprennent consciencedeleurpoids. Le sommet se solde surlapolarisationdespositions. En2013, les révélationsd’EdwardSnowdenn’ont fait qu’accentuerlesdivergences.Mais le scandaleaaussi donnéuncoupd’accélérateuraudébat sur la gouvernance. Resteà savoir si les lignes sontprêtesàbouger.M. At.

Une lutte Nord-Sud pour la gouvernance du réseau

NSF (Arlington, Etats-Unis)National Science FoundationLa fondation nationale pour la science est une agence indépendante du gouvernement des Etats-Unis, équivalente du CNRS en France.

Lacnic (Montevideo, Uruguay)Latin America and Caribbean Network Information Center Registre internet régional pour l’Améri- que latine et les Caraïbes. Il gère la distribution des adresses IPv4 et IPv6.

APC (Melville, Afrique du Sud)Association pour le progrèsdes communicationsL’une des plus anciennes organisations internationales actives sur les enjeux d’Internet (50 membres dans 35 pays).

Afrinic (Ebene, Maurice)African NetworkInformation CenterRegistre internet régional qui dessert l’Afrique. Il gère la distribution des adresses IPv4 et IPv6.

Apnic (Brisbane, Australie)Asia-Pacific NetworkInformation CenterRegistre internet distribuant lesadresses IPv4 et IPv6 en Asie (sauf au Moyen-Orient) et dans le Pacifique.

ARIN (Chantilly, Etats-Unis)American Registryfor Internet Numbers Registre internet pour les Etats-Unis,le Canada et les Caraïbes. Gère la distribution des adresses IPv4 et IPv6.

W3C (Cambridge*, Etats-Unis)World Wide Web Consortium Organisme de normalisation à but non lucratif fondé par Tim Berners-Lee. Promeut la compatibilité des technologies du World Wide Web.

OCDE (Paris, France)Organisation de coopération et de développement économiques34 pays membres avec un système de gouvernement démocratique et une économie de marché.

CCI (Paris, France)Chambre de commerce internationale Représente mondialement les entreprises, soit plusieurs milliers de sociétés.

Unesco (Paris, France)Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la cultureInstitution onusienne qui promeut la culture, la science et l’éducation.

CE (Bruxelles, Belgique)Commission européennePrincipale institution de l’UE. Dotéede 28 commissaires, elle propose et met en œuvre les politiques communautaires.

RIPE (Amsterdam, Pays-Bas)Ripe NetworkCoordination CenterRegistre internet distribuant les adresses IPv4 et IPv6 en Europe, dans une partie de l’Asie et au Moyen-Orient.

Interpol (Lyon, France)Organisation internationalede police criminelleElle promeut la coopération policière internationale. Elle compte 193 pays membres.

OTAN CCD COE (Tallinn, Estonie)Centre d’excellencede cyberdéfense de l’OTANIl conseille et formule des propositions de lutte contre la cybercriminalité aux Etats membres.

Icann (Marina Del Rey, Etats-Unis)Internet Corporation for Assigned Names and Numbers Organisation de droit commun sans but lucratif. Délivre les noms de domaine au niveau mondial via 13 organisations.

DoC (Washington, Etats-Unis)Département américaindu commerceDépartement de l’exécutif américain chargé du commerce et de l’industrie.

BM (Washington, Etats-Unis)Banque mondialeElle regroupe cinq institutions internationales. Sa mission est de lutter contre la pauvreté en aidant les pays à effectuer des progrès durables.

IEEE (New Brunswick, Etats-Unis)Institute of Electricaland Electronics EngineersAssociation professionnelle qui compte plus de 400 000 membres dans le domaine des télécommunications.

PNUD (New York, Etats-Unis)Programme des Nations unies pour le développementProgramme et fonds de l’ONU pour venir en aide aux pays endéveloppement.

BRI (Bâle, Suisse)Banque des règlements internationauxPlus ancienne organisation financière internationale. Elle assiste entre autres les banques centrales.

OSCE (Vienne, Autriche)Organisation pour la sécuritéet la coopération en Europe Organisation européenne qui vise à favoriser le dialogue et la négociation entre l’est et l’ouest du continent.

UNODC (Vienne, Autriche)Office des Nations uniescontre la drogue et le crimeOrgane onusien qui assiste les Etats membres dans leur lutte contre la criminalité, la drogue et le terrorisme.

CNUDCI (Vienne, Autriche)Commission des Nations unies pour le droit commercial internationalElle promeut l’harmonisation et l’unification du droit commercial international (60 Etats membres).

EuroDIG (Allemagne, dès 2014)European Dialogueon Internet GovernancePlateforme de dialogue paneuropéenne multi-acteurs (UE, Icann, Ofcom) sur la gouvernance d’Internet.

A F R I Q U ED U S U D

U N I O N E U R O P É E N N E(sauf Royaume-Uni)

B R É S I L

I N D E

I R A N

A U S T R A L I E

É T A T S - U N I S

C A N A D A R O Y A U M E - U N I

C H I N E

R U S S I E

É M I R A T SA R A B E S U N I S

A R A B I ES A O U D I T E

S U I S S E

*Le W3C dispose de plusieurs sièges.

N O U V E L L E -Z É L A N D E

Pour le statu quo

Pour une gouvernance multipartite

Indécis, mais optent pour davantage de régulation

Pour plus de contrôle

La quasi-totalité des organismes actifs dans l’administration d’Internet sont basés aux Etats-Unis et en Europe. La supervision de la Toile

cristallise des positions antagonistes. Il y a les défenseurs du statu quo (Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande), pour qui

la gouvernance d’Internet doit rester sous domination américaine. En face, la Russie et la Chine sont partisans d’un plus grand contrôle national du

réseau, dont la supervision serait confiée à l’ONU, via l’UIT. L’Iran et les Emirats s’alignent sur cette position. L’Afrique du Sud, l’Inde et le Brésil

sont plus indécis, mais opposés à l'hégémonie des Etats-Unis. Ce sont des «swing states», soit des pays susceptibles de passer dans un camp

comme dans un autre. Quant à l’UEet à la Suisse, elles défendent une gouvernance multipartite assumée par plusieurs organismes étatiques.

TEXTES: M. A. SOURCE: DIPLOFOUNDATION.ORG

vraient aboutir, au mieux, à l’éta-blissement d’une feuille de routepour débloquer la situation. Car,à l’heure actuelle, tous les acteursparlent de gouvernance, maisrien n’avance. Pourquoi?

k La révolte des BRICSL’administration d’Internet

cristallise deux positions domi-nantes qui s’affrontent diamétra-lement. D’un côté se tiennent lesdéfenseurs du «statu quo», pourqui la gouvernance de l’Internetdoit rester telle qu’elle est actuel-lement, partagée par les Etats, lesecteurprivé et la société civile. Cecamp est celui de l’Icann et des«Five Eyes» anglo-saxons, quis’échangent automatiquementles données en matière de sur-veillance. Ce club des cinq a lesoutien de l’industrie high-techcar, dans le cas d’une atomisationde la Toile, les GAFA perdraientdes parts demarché qu’ils ne sontpas prêts à concéder. Pour le biende son économie, les Etats-Unisont donc tout intérêt à lâcher dulest sur l’Icann s’ils veulent garan-tir un réseau global et unifié.On trouve dans le camp ad-

verse les partisans d’une révolu-tion institutionnelle du réseau.C’est celui des BRICS (Brésil, Rus-sie, Chine, Inde et Afrique duSud), les parents pauvres de lagouvernance internet. Selon eux,leNet est devenuun tel levier éco-nomique et politique qu’il néces-site de facto davantage de régula-tion. Donc de contrôle. Dans cecas de figure, il s’agirait de placerla supervision de l’Icann sousl’égide de l’Union internationaledes télécommunications (UIT),dont la maison mère est l’ONU.Mais encore faut-il qu’ils soientd’accords entre eux. Car si lesBRICS font bloc contre les Etats-

Unis, ils ne parlent pas à l’unis-son.En leur sein, deux groupes s’af-

frontent avec des positions par-fois très ambiguës. Le premier, les«radicaux», avec la Chine, la Rus-sie,mais aussi l’Iran, les Emirats etl’Arabie saoudite, plébiscitent l’al-ternative onusienne. Mais laChine, par exemple, fait profilbas. Si Pékin plaide pour davan-tage de régulation, il laisse le soinà la Russie demonter au front surles questions de gouvernance.Cette attitude lui permet de trou-ver un équilibre dans sa politiquenumérique. Le pays qui compte leplus grand nombre d’internautesprofite de la globalité des infras-tructures d’Internet pour boostersa cyberéconomie tout en filtrantle contenu du réseau aux Chinois.Pékin limite ainsi l’accès à sonmarchéauxentreprises et aux ser-vices étrangers (Google, Face-bookouTwitter) pourdévelopperses propres médias sociaux, telsSinaWeibo et Renren.L’Afrique du Sud, l’Inde et le

Brésil sont plus indécis. Ce sontdes swing states, soit des pays sus-ceptibles de passer dans un campcommedansunautre. L’Inde, toutparticulièrement, adopte des po-sitions parfois contradictoires. SiNew Delhi prône davantage decontrôle, l’industrie numériqueindienneest trèsprochedesGAFAaméricains. Quant au Brésil, ils’estmontré très virulent à l’égarddes Etats-Unis. Mais à l’approchede Net Mundial, le pays tend àassouplir sa position pour facili-ter la recherche d’un compromis.

k La stratégie européenneAu centre de cette lutte de pou-

voir, l’Union européenne défendune troisième option, soit l’inter-nationalisation de l’Icann dotée

d’une gouvernance multipartiteassumée par plusieurs organis-mes étatiques ou internationaux.Alignée jusqu’ici sur la positionaméricaine, l’UE fait pression surles Etats-Unis – par le biais de sesinstitutions à Bruxelles – pourdéfendre l’industrie numériqueeuropéenne. Lemarché européencompte 500 millions d’internau-tes, soit un tauxdepénétrationde65%. Dans un passé récent, laCommission européenne aprouvé qu’elle pouvait tenir tête àWashington; on pense, entreautres, à sa victoire contre la posi-tionmonopolistique de Google.Reste à convaincre les Etats

membres. Le Royaume-Uni, parexemple, s’aligne sur la positionaméricaine, alors que l’Allemagnesonge, depuis lemois d’octobre, àla mise en place d’un routage na-tional pour échapper à la sur-veillance américaine. Les messa-ges cryptés seraient ainsi envoyéset stockés dans des centres dedonnées allemands de haute sé-curité. On doit cette idée à Deuts-che Telekom, dont le PDG ambi-tionne d’étendre le système àl’ensemble de l’espace Schengen.Une sorte d’Internet européen ré-servé aux paysmembres.

k Genève aux aguetsSi Bruxelles rêve d’accueillir

l’Icann, elle se heurte aux argu-ments suisses. C’est en effet aubout du lac Léman que l’avenirinstitutionnel d’Internet pourraitse jouer. Car Genève possède desérieux atouts. Par l’intermédiairede la quinzained’acteurs présents(organisationsonusiennes, entre-prises, société civile), c’est ici quese prennent plus de 50% des déci-sions liées à Internet. De plus, Ge-nève jouit d’une très longue expé-rience de la diplomatie. Pour

beaucoup, la Cité de Calvin est lelieu idéal pour construire le futurd’un Icann internationalisé.Pour l’heure, les Américains

prospectent et les diplomatessuisses vantent les atouts du site.Si l’Icann – qui dispose déjà d’uneantenne à Genève – déménage enSuisse, elle rejoindrait l’InternetSociety, soit l’autorité morale ettechnique la plus influente dansle domaine. Aucune négocia-tion n’est en cours. Uniquementdes prises de contact informellesentre le DFAE et les acteurs de lagouvernance numérique.Le DFAE et l’Ofcom viennent

d’allouer 400 000 francs en sou-tien à la Geneva Internet Platform(GIP). Inauguré le 8 avril, ce nou-vel organisme convie l’ensembledes acteurs de la gouvernanced’Internet autour de la table. Avecl’Icann, Genève parviendrait à at-tirer toute la communauté tech-nique (ingénieurs, informati-ciens). Elle disposerait ainsi del’ensemble des acteurs clés d’In-ternet dans un rayon de 2 kilomè-tres.Net Mundial ne réglera pas la

question de la gouvernance; lesdiscussions durent depuis dixans. Le défi réside dans la rédac-tion d’une feuille de route avantles conférences de Berlin (juin) etIstanbul (septembre).

DR

AFP

>> Sur InternetRetrouvez ces infographies dans unformat interactif, ainsi que toutel’actualité de la Genève internatio-nale. Dès le 23 avril, suivez lesderniers développements de NetMundial, la conférence brésiliennesur la gouvernance internet.

www.letemps.ch/gva

REUTE

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