6
14 Québec Science | Août ~ Septembre 2011 LA RÉVOLUTION VICTOR HABBICK VISIONS/SPL

03 Document de Reference Automne2011

  • View
    224

  • Download
    0

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Test de lecture

Citation preview

Page 1: 03 Document de Reference Automne2011

14 Québec Science | Août ~ Septembre 2011

LA RÉVOLUTIONVI

CTO

R H

ABBI

CK

VISI

ON

S/SP

L

Biométrie#2 QS août-sept 2011_Layout 1 11-08-25 11:20 AM Page 14

Page 2: 03 Document de Reference Automne2011

u premier étage de l’aéro-port Montréal-Trudeau,dans la salle des arrivées,les hommes d’affaires pres-sés savent désormais com-ment échapper à la longuefile d’attente des douanescanadiennes. Il leur suffit

de se présenter à une borne automatiqueNexus. Cet appareil ultramoderne pho-tographie l’iris de leurs yeux, identifiantainsi l’individu qui peut entrer sans autreformalité sur le territoire canadien. Depuissa mise en place, en 2007, le programmeNexus a permis à près de 400 000 voya-geurs canadiens et états-uniens de gagnerde précieuses minutes en faisant les yeuxdoux à ces machines. Mieux qu’un pas-seport, c’est le corps qui sert désormaisde pièce d’identité. «Cette technologie facilite le passage à

la frontière de voyageurs considéré commeétant à faible risque. Avant d’être enre-gistrés dans le système Nexus, ils se sontprêtés à une entrevue, et on a vérifié qu’ilsn’avaient pas d’antécédents judiciaires,

explique Marie-Géralde Georges, surin-tendante des Services frontaliers du Canadaà l’aéroport Trudeau. Cela nous permetde consacrer plus de temps aux passagersà risque.» Car ces technologies ont toutesle même but : s’assurer qu’un individudangereux ne se fait pas passer pour unautre. Une borne Nexus est en effet difficileà duper. Si on peut mentir sur sa date denaissance ou sur son nom, les iris, eux,ne trompent pas. «La machine se basesur un algorithme qui utilise 244 pointsde référence dans chaque iris pour repérerl’individu dans une base de données,précise Ingrid Muzac, agente des Servicesfrontaliers du Canada. Nous avons mêmedeux vrais jumeaux inscrits au programmeet la machine les distingue parfaitement.»L’emploi des technologies «biomé-

triques», qui permettent d’identifier unepersonne grâce à ses caractéristiques phy-siques ou biologiques, a littéralementexplosé depuis les attentats du 11 septembre2001. Ce jour-là, les États-Unis sont entrésen guerre contre le terrorisme et ont mobiliséle monde entier autour du même objectif :

Août ~ Septembre 2011 | Québec Science 15

Dix ans après les attentats du 11 septembre2001, l’industrie de la surveillance est en pleinessor. Mais pour notre sécurité, va-t-on trop loin?Par Marine Corniou

Au pas!Les mannequins le savent bien : leur démarchechaloupée est une véritable «signature». Et si ladémarche de monsieur Tout-le-Monde ne fait pasfantasmer les foules, elle n’en est pas moinsunique. «La démarche n’est pas aussi distinctiveque les empreintes digitales ou l’iris. Mais c’est laseule marque reconnaissable à distance, mêmelorsque la personne est de dos», explique MarkNixon, de l’université de Southampton, auRoyaume-Uni. D’où son idée de créer un «tunnel»de 4 m de long, utilisable dans les aéroports ou àl’entrée de certains bâtiments, pour enregistrer puisreconnaître la démarche des passants. Dans cetappareil expérimental, 10 caméras numériquescollectent des informations sur la taille de l’individu,sa cadence, sa silhouette et ses mouvements, afinde recréer un modèle en 3 dimensions qui seraconservé dans la base de données. Pour l’instant, il

faut cinq minutes pour «fabriquer» le modèle 3D,mais les chercheurs pensent que d’ici deux ans, le calcul ne prendra que quelques secondes. «Le problème majeur avec la biométriecomportementale, comme l’analyse de ladémarche, c’est qu’elle est facilement modifiée parl’âge, un accident ou une prise de poids. Il fautdonc qu’elle soit utilisée en combinaison avecd’autres indicateurs plus précis», avertit lechercheur. C’est la raison pour laquelle les camérasdu tunnel «volent» au passage 90 photos desoreilles et du visage, histoire de combinerreconnaissance faciale et reconnaissance de ladémarche. Les premiers tests sont encourageants :une centaine de participants s’y sont prêtés, et lesystème a confirmé leur identité dans 99% des cas.Reste à prouver que la fiabilité sera la même si la base de données contient des milliers de «démarches» enregistrées. En Chine, deschercheurs de l’Institut des machines intelligentes, à Hefei, ont mis au point un « tapis » qui analysediscrètement la pression des pas et identifie lemarcheur. Un système qui aurait fait ses preuvesavec plus d’un millier de cobayes.

AUN

IVER

SITÉ

DE

SOUT

HAM

PTO

N

Biométrie#2 QS août-sept 2011_Layout 1 11-08-25 11:20 AM Page 15

Page 3: 03 Document de Reference Automne2011

la sécurité. Plus de 80 pays ont déjà dotéleurs citoyens d’un passeport biométrique,dont la puce électronique contient unephoto et les empreintes numérisées desdeux index. Certains pays, comme leMexique, vont encore plus loin. En janvier2011, le président y a déclaré que tous lesjeunes de moins de 17 ans devraient dé -sormais posséder des cartes d’identité bio-métriques (incluant les empreintes numé-riques des 10 doigts et de l’iris). Le Canadadevrait lui aussi détenir ce genre de passe -port très bientôt.Cette gestion policière des citoyens est

justifiée, selon les gouvernements, par lecaractère aussi insaisissable qu’imprévisibledu terrorisme. Dans cette lutte où l’ennemiest partout, la science apporte des moyenspuissants de contrôle, de repérage etd’identification des personnes. Empreintes digitales, iris, mais aussi

forme des mains, des veines, du visage oumême du squelette, chaque parcelle denotre corps peut être scannérisée, photo-graphiée, numérisée et stockée dans desbases de données pour servir ensuite àprouver notre identité. Cette obsession sécuritaire est soutenue

par des ordinateurs toujours plus perfor-mants, des techniques photographiques

d’une grande précision, une analyse quasiinstantanée des données et une baisse descoûts de la technologie. Si bien que la bio-métrie fleurit partout: dans les prisons,les écoles, les hôpitaux, les banques et lesentreprises. Au Japon, 80% des distribu-teurs automatiques de billets sont équipésd’un lecteur des veines de la main, per-mettant de s’assurer que la carte bancaireest utilisée par son propriétaire. Plusieurspays, dont la France et les États-Unis, ontmême installé des bornes de contrôle d’em-preintes digitales dans les cafétérias sco-laires, pour vérifier l’identité des jeunesclients. Il faut dire que la sécurité est unfilon en or. En 2014, on prévoit que lemarché mondial de la biométrie repré-sentera 9,4 milliards de dollars : c’est troisfois plus qu’en 2009.

entreprise montréalaise Tech-nologies Excellium surfe al-lègrement sur cette vague.Depuis sa fondation, en2006, le nombre de ses clientsn’a cessé d’augmenter. LaPME fournit des produits etservices biométriques aux

gouvernements, à la police, aux aéroports,aux gestionnaires d’immeubles et aux en-

16 Québec Science | Août ~ Septembre 2011

Au bout des doigtsEmblématique des films policiers, la prise desempreintes digitales est la plus ancienne mesurebiométrique, et demeure encore la plus répandue.Les empreintes (ou dermatoglyphes) se formentavant la naissance, entre la dixième et la vingt-quatrième semaine de grossesse. Elles sontfaçonnées par les gènes, mais aussi par l’environne ment dans lequel se développe le fœtus, notamment par les mouvements du liquideamniotique, les frottements des doigts entre eux ou contre les structures utérines. Si bien qu’ellesdessinent un motif unique à chaque doigt et àchaque individu.

Fiable et peu coûteuse, la prise d’empreintes nese fait plus en pressant son doigt sur un tamponimbibé d’encre, mais grâce à des capteurs optiquesou électroniques. En pratique, on pose le ou lesdoigts sur une surface de verre, et un appareil photomuni de diodes capture l’image en illuminant lescrêtes et les sillons digitaux. L’image est numériséepuis un algorithme la «traduit» en codemathématique, en tenant compte des coordonnéesd’une centaine de points (points de bifurcations deslignes, terminaisons, boucles, etc.). Pour comparerdeux empreintes entre elles, il suffit ensuite devérifier une quinzaine de points. Statistiquement, ilest impossible de trouver deux individus – même des jumeaux – qui ont en commun 12 pointscaractéristiques.

Sauf que les lecteurs optiques traditionnels sontfaciles à duper. Ils ne font pas la différence entre unvrai doigt et un doigt en résine ou en silicone, et lestraces de doigts laissées par l’utilisateur précédentpeuvent brouiller la lecture. De nouveaux types decapteur, les capteurs «capacitifs», permettent deminimiser les fraudes. Ils sont constitués deminuscules électrodes qui mesurent les variations deconductivité électrique entre les crêtes en contact avecle capteur et les sillons qui ne le touchent pas. Ilsdétectent le silicone, mais des doigts trop secs ou trophumides peuvent fausser les données. Les capteursles plus sophistiqués sont ceux qui mesurent aussi lachaleur de la peau, voire le flux sanguin.

Au Québec, la police dispose de bornes quipermettent d’enregistrer l’empreinte des 10 doigts,mais aussi celle de la paume et du côté de la main.La raison? Si un criminel s’appuie contre un mur, surune scène de crime, il le fait rarement avec l’index.

La borne automatique Nexus à l’aéroport Montréal-Trudeau. Elle confirme l’identité du passageren photographiant son iris.

L’

US D

EPT

OF

HO

MEL

AND

SEC

URIT

Y

Biométrie#2 QS août-sept 2011_Layout 1 11-08-25 11:20 AM Page 16

Page 4: 03 Document de Reference Automne2011

treprises commerciales. «Nous gérons aussil’accréditation des participants à de grandesréunions, comme le G8 et le G20 à Torontoen 2010», explique le président Jean-ClaudeSiew, au cours d’une visite pour le moinsludique. Car chez Excellium, chaque porteest dotée d’un «gadget» différent. L’hommeaffable présente son visage à un systèmede reconnaissance faciale, et la porte s’ouvreinstantanément. Pour franchir les sas sui-vants, il lui suffit d’effleurer les bornes avecson doigt. Ses empreintes ou le dessin desveines de ses mains, préalablement enre-gistrés dans la banque de données, sontaussitôt reconnus. De quoi faciliter la viede nombreux utilisateurs, affirme cet en-trepreneur énergique. «Plutôt que de portersur soi des cartes et des documents falsi-fiables, ou de mémoriser des dizaines demots de passe, on n’a besoin que de soi-même pour s’identifier : c’est beaucoupplus pratique», soutient-il. Mais la biométrie peut aussi se montrer

sous un jour plus inquiétant. «Il existedeux usages bien différents de ces techno-logies : celui qui permet d’authentifier lesgens, c’est-à-dire de s’assurer qu’ils sontbien qui ils disent être, et celui qui permetde repérer les criminels et de les surveillerà leur insu», souligne Jean-Claude Siew.

Cet usage, beaucoup pluscontroversé, fait pourtant l’objetde recherches très intenses.D’ici quelques années, la reconnaissance

du visage, de l’iris ou du squelette permet -tra probablement de repérer un criminelrecherché dans une foule anonyme. Lafaçon dont une personne bouge, parle outape sur un clavier d’ordinateur – ce quel’on appelle la «biométrie comportemen-tale» – peut aussi trahir son identité.Comme nombre de poseurs de bombessont inconnus des services de police, on atout intérêt à apprendre à dicerner les gensau comportement suspect ou faisant mon-tre d’une nervosité inhabituelle. Dans cedomaine, les Israéliens ont pris une lon-gueur d’avance. L’aéroport Ben-Gourionde Tel-Aviv, considéré comme l’un desplus sûrs au monde, est équipé de bornesd’enregistrement qui posent une série dequestions au voyageur, et mesurent dis-crètement les variations de pouls, de tem-pérature ou du rythme respiratoire.«Quand on dissimule quelque chose, notrecorps réagit. Nos capteurs mesurent plusde 12 paramètres physiologiques à distan -ce, les analysent en quelques secon des etpeuvent repérer les personnes mal inten-tionnées», explique Ehud Givon, directeurgénéral de l’entreprise qui a conçu lesbornes, WeCU Technologies, située à Cé-sarée, au nord de Tel-Aviv. Le système,affirme-t-il, est fiable à 97% et parvientà différencier les terroristes des phobiquesde l’avion. Au Canada, des chercheurs duministère de la Défense nationale travail -lent aussi sur le repérage des comporte-ments hostiles. Pas moyen d’en savoirplus : le Ministère a décliné nos demandesrépétées d’entrevue. Le sujet est sensible…

Août ~ Septembre 2011 | Québec Science 17

D’un seul regardLa reconnaissance de l’iris est considérée comme latechnique biométrique la plus fiable. Seul organeinterne visible de l’extérieur, il est très peu modifiépar le vieillissement, et sa texture est unique. L’iris,qui est la partie colorée de l’œil, est une sorte de

membrane composée de cellulespigmentées et de deux couches de

fibres musculaires, qui luipermettent de se contracter oude se dilater en fonction dela luminosité. Ces fibres,dont l’enchevêtrementrésulte du hasard dudéveloppementembryonnaire,constituent un motifencore plus complexeque les empreintes

digitales. La probabilité detrouver deux iris identiques

est de 1 sur 10 à la puissance72! Un chiffre inimaginable.

Pour obtenir une «empreinte» del’iris, une simple photo suffit. On utilise en

général l’infrarouge, car cette source d’éclairagen’éblouit pas et évite les reflets sur l’œil. Un logicielextrait ensuite les caracté ristiques de l’iris et lestraduit en un code à barres unique. Outre sa grandeprécision, cette technique a l’avantage d’êtredifficile, voire impossible, à tromper. Les capteursétudient la réaction de l’œil aux variations de lalumière, pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un œilde verre, et détectent sans problème le dessinsimpliste des lentilles colorées.

Seul inconvénient, la reconnaissance de l’irisdemande une bonne coopération de l’utilisateur. La plupart des systèmes requièrent de se placer à20 cm de la borne, de garder les yeux dans le mêmeaxe et de refaire la photo plusieurs fois si la premièreimage est floue. Cependant, en 2010, la firme états-unienne Snarnoff a développé un appareil capablede capter l’image de l’iris de personnes en mouve -ment, jusqu’à une distance de 3 m, et de vérifier leuridentité, au rythme de 30 personnes par minute!

Jusqu’aux osPas besoin d’être mort pour montrer son squelette.Les chercheurs du Wright State Research Institute,aux États-Unis, tentent de mettre au point unscanneur capable de révéler la structure osseused’une personne à 50 m de distance. C’est quechaque squelette est unique, de par sa densité, saforme, ses anomalies et ses «cicatrices» (brochesmétalliques, anciennes fractures, etc.). Impossiblepour un malfaiteur de mentir au scanner ou de«déguiser» ses 206 os… Cependant, il fautdisposer d’une base de données de référence oùles os des terroristes recherchés ont déjà étéscannés une première fois. Or, faire accepter cesystème par la population risque d’être délicat, carl’exposition répétée aux rayons X ou gamma, quipermettent de voir le squelette, peut augmenter lerisque de cancer.

La biométrie fleuritpartout : dans lesprisons, les écoles,les hôpitaux, les banques et les entreprises. En 2014, le marché mondial de cette industriereprésentera 9, 4 milliards de dollars.

EXC

ELLI

UM

Biométrie#2 QS août-sept 2011_Layout 1 11-08-25 11:20 AM Page 17

Page 5: 03 Document de Reference Automne2011

Cela ne surprend pas René Provost. Selonce professeur de droit et fondateur duCentre sur les droits de la personne et lepluralisme juridique de l’Université McGill,«le contrôle des frontières est devenu lepoint névralgique de la réflexion sur lesdroits de la personne. Lorsqu’on seprésente aux frontières, on doit, dans unecertaine mesure, renoncer à la protectionde nos droits fondamentaux, affirme-t-il.Depuis le 11 septembre 2001, les intérêtsgénéraux de la société priment sur lesdroits de la personne.»Ainsi, en 2008, le Royaume-Uni a été

condamné par la Cour européenne desdroits de l’homme pour avoir constituéune base de données contenant le profilADN de 5 millions de personnes, dont100 000 n’avaient été impliquées dansaucun crime ou délit ! Quant aux militai -res états-uniens, ils ont ramené d’Irakdes milliers de données biométriques decivils (empreintes digitales ou iriennes,photographies) collectées arbitrairement.

ensemble de la société est enfait aux prises avec une re-définition de la «sphère pri -vée». Au Royaume-Uni, parexemple, il est difficile de sepromener incognito dans larue. Deux millions de camé-ras scrutent la population en

continu, si bien que chaque citoyen peutêtre filmé 70 fois par jour! Et la grandemajorité de ces caméras appartiennent àdes sociétés privées, qui gèrent les donnéescomme elles l’entendent. Car la technologiea avancé plus vite que les lois, et le déve-loppement fulgurant de la biométrie s’estfait sans garde-fous juridiques. Or, il y a des problèmes. Les machines

ont beau être très perfectionnées, chaquetechnique peut conduire à de faux rejetsou à de fausses acceptations. «Jusqu’à quel point peut-on tolérer les

erreurs? s’interroge Stéphane Leman-Langlois, chercheur en criminologie àl’Université Laval et titulaire de la Chaire

18 Québec Science | Août ~ Septembre 2011

À visage découvertDepuis des décennies, douaniers et policierscomparent les visages des gens à leur photod’identité. D’où l’idée d’automatiser la«reconnaissance faciale». En matière desurveillance, il n’y a pas plus prometteur. Lareconnaissance du visage pourrait être utilisée àdistance et permettre de repérer un criminelrecherché dans une foule, à l’aide de caméraspostées dans la rue ou les aéroports. La technique,encore expérimentale, n’est utilisée pour le momentqu’à des fins d’authentification, pour reconnaîtreune personne déjà enregistrée qui présentedocilement son visage à la caméra. Un logiciel enextrait un ensemble de points peu susceptibles devarier dans le temps (écartement des yeux,distance nez-bouche, etc.), afin de créer un modèlegraphique, en deux ou trois dimensions. Ce modèlepeut dès lors être comparé à la photo du passeportbiométrique, comme c’est le cas depuis 2007 dansles principaux aéroports d’Australie ou duRoyaume-Uni.

Mais la technique est loin d’être parfaite. Enfévrier dernier, un homme a franchi les bornes del’aéroport de Manchester, au Royaume-Uni, avec lepasseport de sa femme. Le couple avait échangépar mégarde les deux passeports, et seule lafemme s’est vu refuser le passage.

Si la fiabilité de la reconnaissance faciale laisse àdésirer, c’est parce que de nombreux facteurspeuvent modifier l’aspect d’un visage : les conditionsd’éclairage, l’angle de présentation à la caméra, lesexpressions (un sourire, par exemple), mais aussi lemaquillage, le vieillissement, des lunettes, une barbe,etc. Ainsi, la même personne photographiée dansdes conditions différentes peut être impossible àreconnaître, même pour un œil humain. C’estpourquoi les systèmes actuels ne sont réellementefficaces qu’avec la coopération du sujet, dans debonnes conditions d’éclairage. «Il y a une grandedifférence entre comparer deux photos statiques etanalyser un visage qui se déplace sur une séquencevidéo», explique Éric Granger, professeur audépartement de génie de la production automatiséeà l’École de technologie supérieure de Montréal. Sonéquipe a toute fois réussi à développer un logicielcapable de «poursuivre» un visage en mouvement,qui devrait être testé l’année prochaine par lesservices frontaliers canadiens.

Reza Shoja Ghiass, du laboratoire de vision etsystèmes numériques de l’Université Laval, a quantà lui misé sur une approche inédite : lareconnaissance faciale entièrement basée surl’image infrarouge. «Mon système permettra dediscerner le réseau veineux du visage, qui est trèspeu altéré par le vieillissement et par lesexpressions. C’est une technologie qui permet dereconnaître un visage déguisé ou maquillé dansl’obscurité totale!» explique-t-il. Il reste toutefoisquelques problèmes à régler, notamment le fait quele verre des lunettes bloque les infrarouges et faitperdre beaucoup d’information.

Les logiciels de reconnaissance faciale traduisent le visage en un modèle graphique en deux ou trois dimensions.

L’

Biométrie#2 QS août-sept 2011_Layout 1 11-08-25 11:20 AM Page 18

Page 6: 03 Document de Reference Automne2011

de recherche du Canada en surveillanceet construction sociale du risque. Dansun casino privé, si le droit d’entrée estrefusé à tort, les conséquences sont mi-nimes. En revanche, dans le service public,une erreur est bien plus grave, car ellepeut bafouer les droits des citoyens.» Etque se passera-t-il, par exemple, si unepersonne est reconnue à tort comme fai-sant partie d’une liste de criminels re-cherchés? Bénéficiera-t-elle de la pré-somption d’innocence? «Il y a des risquesde dérapage, c’est sûr, surtout dans despays où les droits de la personne sontbafoués, comme la Chine. Ce qui est im-portant, c’est que la biométrie demeureun outil. Les machines ne doivent enaucun cas prendre la décision finale»,avertit René Provost.Quant à savoir si la biométrie tiendra

ses promesses de lutte contre le terrorisme,rien n’est moins sûr. D’une part, le lienentre le contrôle des frontières et la pré-vention des attaques terroristes est loind’être établi; d’autre part, «les événementsterroristes étant objectivement rares, onne dispose pas de suffisamment dedonnées statistiques pour évaluer l’effi-cacité de ces mesures», souligne StéphaneLeman-Langlois.Ni pour mesurer les dérives de cette in-

dustrie florissante… �QS

Août ~ Septembre 2011 | Québec Science 19

Prêter l’oreilleDécollées, rondes, avec ou sans lobe, les oreillesaussi peuvent trahir notre identité. «Moins affectéespar le vieillissement que le reste du visage, elles ontl’avantage d’être formées dès la naissance et de peuse modifier. Leur taille peut changer, mais leurstructure reste la même. Les oreilles sont donc unexcellent “outil” biométrique», souligne Mark Nixon,chercheur à l’université de Southampton, auRoyaume-Uni. Pour le démontrer, son équipe a utilisé un logiciel qui permet de projeter des rayonslumineux virtuels sur une photo d’oreille et d’endéduire sa structure tridimensionnelle, même si elleest en partie cachée par des cheveux. En 2010, leschercheurs ont conduit des tests sur 252 photosd’oreilles, pour voir si le logiciel pouvait les apparieravec autant de photos de visages de profil. Résultat?Dans 99,6% des cas, la machine a associé lesoreilles à leur propriétaire.

Sous la peauLe réseau des vaisseaux sanguins, et plusprécisément celui des veines, dessine un motif uniqueet impossible à copier, et son authentifica tion estsimple : la paume de la main ou le doigt sont éclairéspar des rayons infrarouges, qui sont absorbés parl’hémoglobine (le pigment rouge du sang). Les veinesapparaissent donc en noir sur fond blanc, et leurcartographie est modélisée par un algorithme.Contrairement aux empreintes digitales, la biométriedu réseau veineux peut se faire sans contact. AuJapon, plus de 80% des distributeurs automatiquesde billets sont équipés de cette technologie! Demême, certaines voitures ne démarrent qu’après avoirreconnu le doigt du conducteur. Depuis 2009, Sonycommercialise même un lecteur miniaturisé quireconnaît les fines veines du bout du doigt, et peutêtre intégré à un téléphone cellulaire ou à unordinateur. L’entreprise nippone Fujitsu, leader dansce domaine, affirme que le taux de faussesacceptations (personnes reconnues par erreur) estinférieur à 0,00008%. Quant aux probabilités defraudes, elles sont négligeables. Même l’idée sordidede couper le doigt de quelqu’un et de s’en servir

comme passe a été prise en considération par lesfabricants. Les capteurs ne fonctionnent que s’ilsdétectent plusieurs signes vitaux, comme le pouls ou la saturation en oxygène.

La biométrie des gènesAu royaume de la biométrie, l’identification par ADNdevrait être reine. Impossible à berner et valable dela naissance à la mort, la signature génétique d’unindividu est la plus fiable pour identifier un individu!Mais cette technique présente d’importants défauts :elle coûte cher (600 $ à 1 500 $ par test), nécessitedes analyses qui prennent plusieurs heures ainsiqu’un prélèvement de cellules (sang, salive, peau).Pour l’instant, elle est donc réservée à l’identificationà partir de prélèvements effectués sur des scènes de crime. C’est notamment grâce au prélèvement«préventif» de l’ADN d’une sœur d’Oussama BenLaden que le corps du chef d’Al-Qaïda a pu êtreidentifié, le 2 mai dernier. Il a suffi de comparer l’ADNdu cadavre à celui de sa sœur pour confirmer le lien.Cette technique est utilisée pour vérifier la parentédes réfugiés et des demandeurs d’asile, ou dans lecadre du regroupement familial.

Dans tous les sensVoix douce ou aiguë, parfum fleuri ou musqué... on reconnaît nos proches sans les voir, au nez ou à l’oreille! Des pistes également explorées par la biométrie. La reconnaissance vocale, cependant, est loin d’être fiable. Comme toutes lescaractéristiques comportementales, la voix peutêtre modifiée volontairement, se transformer avec l’âge ou à la suite d’une maladie. Elle resteintéressante comme première approche dereconnaissance, notamment par téléphone.

Quant à l’odeur, les chiens le savent bien :chaque humain en a une qui lui est propre. Cetteodeur est constituée de plusieurs substanceschimiques volatiles, dont la combinaison estunique. Ces composés peuvent être capturés etanalysés par des «nez électroniques». Encore austade expérimental, cette technique a l’avantage de pouvoir être utilisée à distance.

Le réseau des veines dela main est spécifique à chacun. Il peu doncservir à nous identifier.

«Il y a des risques de dérapage, c’estsûr, surtout dans

des pays où les droitsde la personne sontbafoués. Ce qui est

important, c’est que la biométrie

demeure un outil. Les machines nedoivent en aucun

cas prendre ladécision finale.»

EXC

ELLI

UM

Biométrie#2 QS août-sept 2011_Layout 1 11-08-25 11:20 AM Page 19