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    socioculturelles et linguistiques internes, principalement entre les groupes du GranPajonal et les groupes riverains, il existe une grande homognit culturelle et un fortsentiment ethnique qui unit tous les Ashaninka2.

    Cet article prsente les rapports entre lchange traditionnel duayompari et lesnouveaux projets de dveloppement durable , en particulier la commercialisationde lartisanat indigne, chez les Ashaninka du fleuve Amnia de lAmazoniebrsilienne3. Il ne prtend pas discuter les orientations idologiques et politico-conomiques de lactuel paradigme du dveloppement amazonien en analysant, parexemple, ses consquences dans une communaut indienne. De la mme manire, ilnaborde pas les relations symboliques complexes que les Ashaninka entretiennentavec leur milieu naturel, ni les rapports entre cette conception indigne et lidologiedu dveloppement durable . En articulant une perspective historique, qui soulignelimportance du commerce pour ce groupe indigne et une tude de certains aspectsde la mythologie native, qui prsente les liens symboliques entre les Ashaninka, lesBlancs et des biens industriels, ce travail cherche essentiellement explorer lesanalogies et les diffrences entre le systme dchange traditionnelayompari et lesnouveaux projets de dveloppement.

    Comme dautres populations indignes dAmazonie brsilienne4, les Ashaninkadu fleuve Amnia ont adopt le terme projet ( projeto ) pour se rfrer auxactivits de dveloppement durable quils exercent aujourdhui en partenariatavec diffrents acteurs de lindignisme5. Ils voient essentiellement le projet comme le principal moyen daccs aux biens industriels. Le terme est devenu

    2 Voir, par exemple, Weiss (1969).3 Les information ethnographiques utilises ici ont t recueillies avec ce groupe durant mon travail,effectu de janvier dcembre 2000, dans le cadre de mon doctorat danthropologie luniversit deBraslia (Pimenta 2002a).4 Voir, par exemple, De Robert (2002).5 Dans cette perspective, lindignisme ne se limite pas aux seules relations des Indiens avec ltat.Reprenant la dfinition propose par Ramos (1998), je dfinis par ce terme les rapports des Ashaninkaavec un ensemble trs htrogne dacteurs : FUNAI (organisme public charg des affaires indiennes auBrsil), ONGs, Gouvernement de lAcre, cologistes, mouvement indigne, entreprises vertes , etc.

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    lquivalent smantique de marchandise . Il sapplique en particulier laproduction et commercialisation dartisanat indigne mais peut signifier nimportequel travail avec les Blancs , en change duquel les Indiens peuvent se procurer desbiens industriels.

    Aprs avoir soulign limportance du commerce interethnique dans lhistoiredes Ashaninka, jessaierai de montrer les relations que ce groupe indigne tablitentre son systme dchange traditionnel et les projets de dveloppementdurable . Pour comprendre les similitudes et les diffrences entre ces deuxsystmes, ainsi que la perception que les Ashaninka ont des projets, il nous faudragalement explorer certains aspects de la mythologie du groupe, en particulier laplace occupe dans cet univers symbolique par les produits manufacturs,aujourdhui en possession des Blancs.

    LESASHANINKAGUERRE ET COMMERCE INTERETHNIQUE

    Les Ashaninka ont toujours t un peuple commerant. Dans plusieurs articles,Renard-Casevitz (1985, 1991, 1992, 1993) sest interroge sur lhistoire desrelations interethniques dans la rgion de laSelva Central pruvienne et a identifi lesprincipales caractristiques socioculturelles des Arawak sub-andins. En mettant enrelief les complexes relations guerrires et commerciales de cette familleethnolinguistique avec les groupes Pano, lEmpire Inca et, postrieurement, lesBlancs, les travaux de Renard-Casevitz nous offrent de prcieuses informations surlethnohistoire indigne de cette rgion de lest amazonien. Ces crits me servirontde principale rfrence pour souligner limportance du commerce dans lhistoireashaninka.

    Renard-Casevitz nous prsente en effet un panorama de laSelva Central prcolombienne o les rapports entre les trois grands ensembles culturels Inca,Pano et Arawak sub-andins oscillaient, suivant les circonstances, entre des priodesdhostilit et de guerre et des temps de paix et de coopration bass sur lchange etle commerce. Avant la colonisation espagnole, il existait dimportants rseaux

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    commerciaux entre les peuples amazoniens de la rgion et les populations andines delEmpire Inca. Les produits de la fort (peaux danimaux sylvestres, plumes, bois,plantes mdicinales, etc.) taient changs contre des biens possds par les Andins(or, argent, tissu, machettes en fer, etc.), et ensuite distribus dans le commerceintra-amazonien, alimentant galement les rseaux de parent.

    Outre ces changes entre les groupes de la fort et les populations de lEmpireInca, il existait galement un commerce intra-amazonien entre Arawaks sub-andins etPano riverains. Un complexe rseau de relations sociales, pouvant stendre sur desmilliers de kilomtres, sdifiait sur ces changes commerciaux et pouvait mener, enfonction des circonstances, la guerre entre rivaux ou la coopration entre allis. Entablissant et fortifiant les alliances politiques, ces transactions commerciales taient lemoyen privilgi pour garantir la paix entre les groupes de la fort, forgeant unesolidarit amazonienne panethnique qui sactivait lorsque la menace des andinssintensifiait. Durant des sicles, ces rseaux commerciaux ont en effet servi de base la mobilisation guerrire des peuples de la fort centrale pruvienne contre lestentatives expansionnistes de lEmpire Inca, puis des colonisateurs espagnols.

    Dans ce systme commercial et guerrier, les Arawak sub-andins, plusparticulirement les Ashaninka, exeraient une fonction primordiale. Leur situationprivilgie rsultait non seulement de leur localisation stratgique entre les habitantsdes Hautes Terres et les groupes panos, qui leur permettait dactiver la mobilisationdes indiens amazoniens lorsque les menaces des Incas ou des Blancs se manifestaient,mais surtout en raison du contrle de la production du sel, principal produitdchange et rfrence montaire du commerce intra-amazonien6. Situes au curdu territoire ashaninka, dans les environs du fleuve Perene, les mines salines descollines duCerro de la Sal formaient la principale rgion productrice de sel et lecentre politique, conomique et spirituel des Arawak sub-andins7. Avant la

    6 Pour les Indiens de laSelva Central , le sel tait un produit trs recherch en raison du got quil donnait la nourriture et surtout pour constituer le principal moyen de conservation des aliments dans le climatchaud et humide de la fort amazonienne (Renard-Casevitz, 1991).7 Selon Renard-Casevitz (1993, p. 29-30), divers mythes des Arawak sub-andins racontent que la dessePareni se serait transforme en sel dans les collines du Cerro de la Sal , offrant ainsi son corps aux hommes.

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    colonisation europenne, cette rgion tait le thtre de conflits priodiques entregroupes arawaks et panos pour le contrle des mines et du commerce intra-amazonien8.

    Ainsi, entre les peuples de la fort de laSelva Central prcolombienne,commerce interethnique et guerre alternaient en fonction des circonstanceshistoriques. Lorsque lEmpire Inca se faisait menaant, les rivalits internes entreamazoniens sattnuaient, les hostilits cessaient, les partenaires dchange semobilisaient et devenaient des allis politiques, crant de vastes alliancesinterethniques pour empcher les tentatives expansionnistes des andins vers lest.

    Ces rseaux commerciaux ont t peu peu branls par la colonisation.Conscients de limportance duCerro de la Sal dans lorganisation du commerceamazonien, les Espagnols ont commenc dsarticuler ce systme en tablissant desmissions religieuses le long des routes commerciales et aux points stratgiques daccsaux mines. Comme dans dautres rgions amazoniennes, le boom du caoutchouc aprofondment modifi le mode de vie des populations indignes et a galement

    fortement contribu dsarticuler ce systme dchange. la fin du XIXe

    sicle, leCerro de la Sal est contrl par les Pruviens qui initirent lexploitationcommerciale du produit. Symbole de la lutte des Arawak sub-andins contre lesenvahisseurs, la perte des mines de sel constitue pour les Ashaninka la fin du contrledu commerce intra-amazonien et un moment cl dans leur relation de dpendanceconomique envers les Blancs.

    Il est difficile de dater la prsence des Ashaninka en territoire brsilien. Enloccurrence, il sagit de lhistoire officielle de ltat de lAcre, n avec lconomieextractiviste du caoutchouc et larrive massive deseringueiros (rcolteurs de latex) partir de la fin du XIXe sicle (Pimenta, 2002b). En raison du peu dintrt quils ontaccord la question indigne, les historiens ne nous offrent que trs peudinformations sur la diversit ethnique de la rgion avant larrive desseringueiros .Lhistoire des Ashaninka se caractrise par une grande mobilit qui rend toute

    8 Selon Espinosa (1993, p. 47), les Ashaninka ont affront tout particulirement lhostilit des Conibo.

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    datation problmatique. Toutefois, partir de certains crits9 et de la mmoire deshabitants du fleuve Amnia, on peut affirmer que les Ashaninka tait dj prsentsdans cette rgion du Haut-Juru la fin du XIXe sicle, cest--dire avant que ceterritoire soit incorpor lUnion brsilienne, la suite du trait de Petrpolis en1903.

    Dans le contexte historique de la colonisation de lAcre, le contact desAshaninka avec les Blancs sest produit dune manire trs particulire. Bien quilsaient particip activement de lextractivisme itinrant ducaucho 10, les Ashaninkanont jamais t sdentariss dans les exploitations de caoutchouc (seringais ),contrairement aux autres groupes indiens de la rgion. la fin du XIXe et au dbutdu XXe sicle, les Ashaninka du Haut-Juru, principalement les habitants du fleuveAmnia, ont su mettre en valeur leurs qualits guerrires et commerciales dans leursrelations avec les colons. Durant le boom du caoutchouc, ils ont essentiellement servicomme guerriers et partenaires dchange des nouveaux patrons blancs, dabord endcimant les indiens hostiles de la rgion, principalement les Amahuaka11, assurantainsi la protection des exploitations deseringa , ensuite en commercialisant desproduits de la forts (peaux danimaux sauvages, viande, etc.) contre des biensmanufacturs (machettes, fusils, munitions, etc.).

    Avec la crise progressive du caoutchouc, ltat brsilien a cherch desalternatives conomiques pour incorporer la rgion amazonienne au reste du pays. partir de la fin des annes 1960, les militaires au pouvoir ont mis en place dambitieux

    9 Voir surtout Castello Branco (1922 ; 1950).10 En particulier en Amazonie pruvienne, lecauchotant rare dans la rgion brsilienne du Haut-Juruo lon trouve essentiellement laseringa . Lecaucho , latex extrait de larbreCastilloa ellastica , est de

    qualit infrieure laseringa produite par lhva brasiliensis . Le front dexpansion ducaucho afortement marqu lAmazonie pruvienne et se distingue galement par le caractre itinrant de saproduction. En effet, contrairement laseringa , dont la sve qui produit le caoutchouc est extraite parsaignes, la production ducaucho ncessite labattage de larbre et une mobilit permanente de la mainduvre pour rechercher de nouvelles zones dexploitation.11 Les Ashaninka considrent les Amahuaka comme leurs ennemis traditionnels et associent ce groupepano tous les strotypes de lIndien sauvage : frocit, nudit, cannibalisme, etc.

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    programmes dveloppementistes et intgrationnistes. Ces politiques avaient pourobjectif loccupation humaine, la valorisation conomique de la terre et lintgrationdune rgion toujours considre comme marginale mais disposant de richessesprometteuses. Dans lAcre, la seconde conqute de lAmazonie sest caractrisepar un nouveau front dexpansion conomique ax, principalement, sur llevageextensif de bovins. Ce dveloppement prdateur a intensifi les luttes pour la terre,caus des dgts cologiques considrables et profondment affecte la vie despopulations indignes de la rgion.

    Isol des rseaux routiers de communication et de la capitale de ltat dAcre(Rio Branco), le Haut-Juru a t moins expos au front dexpansion de llevagebovin, mais les Ashaninka nont pas t pargns par les politiques prdatrices delidologie dveloppementiste et intgrationniste. partir des annes 1970 et enparticulier dans les annes 1980, les forts de lAmnia, riches en bois prcieux(cdre et surtout acajou) ont subi les assauts des entreprises forestires.

    Lexploitation intensive du bois en territoire ashaninka a eu des consquences

    dsastreuses sur lenvironnement et dsarticul la vie sociale des Indiens. Pour seprocurer les biens industriels fournis par les patrons blancs, les Ashaninka ont travaillcomme main-duvre servile pour les entreprises forestires et ont particip delexploitation prdatrice des ressources naturelles de leur territoire. Peu peu,appuys par des fonctionnaires de la FUNAI, des anthropologues, des ONG, et grce leur participation au sein de l Alliance des Peuples de la Fort 12, les Ashaninka delAmnia se sont organiss pour se librer du systme patronal et ont commenc lalutte pour la dmarcation de leur territoire.

    12 L Alliance des Peuples de la Fort a t cre en 1989 la suite de lassassinat du leader desseringueiros Chico Mendes, qui acquit une notorit internationale en raison de son combat pour laprotection de lAmazonie. Cette alliance unissait lesseringueiros , les Indiens et autres populationstraditionnelles (ribeirinhos , etc.) contre les politiques de dveloppement prdateur et luttait pour ladmarcation de terres indignes, la cration de rserves extractivistes et lamlioration des conditions devie des populations locales. Elle a largement profit du soutien du mouvement cologiste international eta t particulirement efficace dans lAcre, surtout dans le Haut-Juru (Pimenta, 2001).

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    Lhomologation officielle de la Terre Indigne Kampa du fleuve Amnia estdevenue effective en 1992. Cet vnement marque lentre des Ashaninka danslarne politique de lindignisme contemporain et dans le nouveau paradigme du dveloppement durable . Organis au sein dune cooprative gre parlassociation APIWTXA13, ce groupe a trouv, au long de ces dix dernires annes,des alternatives conomiques originales pour contrer le modle dveloppementiste et utiliser de manire non prdatrice les ressources du milieunaturel. Les nouveaux projets de dveloppement durable cherchent en effet concilier la protection de lenvironnement et lamlioration des conditionssocioconomiques des Indiens. Ils sont financs et excuts grce la coopration denombreux partenaires de lindignisme: FUNAI, ONG nationales et internationales,entreprises vertes , gouvernement de lAcre, ministre de lEnvironnement, etc.

    Avec ces projets, les Ashaninka du fleuve Amnia ont cr une politique degestion des ressources naturelles de leur territoire et amlior leurs conditionsmatrielles dexistence. Cette exprience leur a galement donn une visibilitcroissante sur la scne indigniste nationale et mme internationale. Sur le planrgional, les Ashaninka sont devenus un exemple d Indiens cologistes et sontrigs en icnes par le gouvernement de lAcre qui se singularise, dans le contexte delAmazonie brsilienne, par la place quil accorde aux questions environnementales14.

    Les projets de dveloppement durable excuts par les Ashaninka offrentune panoplie extrmement varie dactivits : cration de systmes agroforestiers,reboisement des zones endommages par lexploitation anarchique du bois, gestiondurable de la chasse et de la pche, vente de semences despces natives, productionet commercialisation de miel, cration de zones de fort protges , utilisation des

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    Les Ashaninka de lAmnia traduisent ce terme par tous ensembles ou tous unis et ont donn cenom leur association et leur village. Apiwtxa est devenu un symbole de leur lutte politique. Eneffet, lunion interne a t dcisive pour mettre fin lexploitation prdatrice du bois, expulser lespatrons et revendiquer la dmarcation de leur terre.14 Jorge Viana du Parti des Travailheurs (PT) a t lu gouverneur de ltat pour la premire fois en1998 et rlu en 2002. Il a centr sa politique autour de la notion de dveloppement durable etmontre un intrt indit pour les populations indiennes de la rgion.

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    ressources forestires pour lindustrie cosmtique, etc. Toutefois, les Indiensaccordent une place prpondrante la production dartisanat dont la vente leurpermet aujourdhui de se procurer la plupart des biens industriels. Lacommercialisation de lartisanat indigne, que les Ashaninka produisenttraditionnellement en exploitant de manire non prdatrice leur environnement, estdevenue le principal moyen pour sapprovisionner en marchandises et une activitconomique quotidienne de la plupart des familles.

    En ngociant leur artisanat contre des biens industriels des Blancs, les Ashaninkaprocdent une rinterprtation symbolique de leur systme dchangeayompari .Pour comprendre les similitudes et les diffrences entre le troc traditionnel et lesnouveaux projets de dveloppement durable , en particulier la commercialisationdartisanat, il est ncessaire de prsenter dabord la place occupe par les Blancs et lesbiens industriels dans la mythologie indigne.

    LINKA ,LESBLANCS ET LES BIENS INDUSTRIELSQ UELQUES CONSIDRATIONS SUR LA MYTHOLOGIEASHANINKA

    Une des nombreuses influences Incas, visible dans la mythologie des Arawak sub-andins et de certains groupes panos de louest amazonien, concerne la croyance danslexistence dun hros culturel dnommInka , gnralement associ au pouvoirtechnologique et larrive des Blancs15. La figure de lInka existe dans la mythologieashaninka et me parat essentielle pour comprendre les relations de ce groupe avec lesBlancs et les projets de dveloppement durable , qui sont devenus aujourdhui leprincipal moyen daccs aux biens industriels.

    Dans la mythologie ashaninka, lInka est un puissanttasorentsi 16, responsable delarrive des Blancs sur la Terre. Les Indiens de lAmnia racontent, dans leurs

    15 Dans le cas des Pano, Erikson mentionne surtout les Kaxinaw, les Cashibo, les Conibo et les mythesShipibo qui voquent explicitement le temps o les Shipibo vivaient sous la domination de lInka (Erikson, 1992, p. 245).16 Lestasorentsi sont des dieux ashaninkas, fils du Dieu-CrateurPawa , et dots de pouvoirs surnaturels.Ils ont en particulier le pouvoir de transformer le monde visible travers le souffle.

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    mythes dorigine, que le DieuPawa cra lunivers en sparant les Ashaninka desBlancs, rservant aux premiers la Terre et confinant les seconds dans un mondeaquatique souterrain et lugubre, gouvern par les esprits malfiques (kamari ). Un jour, dsobissant son pre, lInka se dirigea vers un lac pour y chercher du poisson,mais y pcha malencontreusement lHomme Blanc (wirakotxa ). Celui-ci se multipliaet envahit la Terre o il passa vivre dfinitivement, semant la terreur et spoliant lesIndiens.

    Pour les Ashaninka, lInka nest pas seulement responsable pour avoirboulevers lordre naturel de lunivers, cest galement lui qui a donn auxoccidentaux les pouvoirs quePawadestinait originellement aux Indiens. Dans leursnarratives, les Ashaninka de lAmnia racontent que le Dieu Crateur tait tout-puissant et dtenait toutes les formes de savoir. Dans les temps primordiaux,Pawa avait charg son filsInka de transmettre toutes ces connaissances aux Ashaninka mais,aprs avoir dsobi aux conseils de son pre et provoqu larrive des Blancs, lInka les a galement gratifis en leur offrant le savoir du Dieu.

    Certains Indiens expliquent quaprs avoir surgi du fond du lac, les Blancs ontcaptur lInka et le dtiennent toujours prisonnier au dtriment du peupleashaninka17. Dautres rcits racontent que le fils dePawa nest pas dtenu contre songr, mais quil aurait tout simplement oubli son peuple et prfrerait vivre encompagnie des Occidentaux. Quelles que soient les versions du mythe, toutessaccordent cependant prsenter lInkacomme lanctre ashaninka qui a tout apprisaux Blancs. Pour les Indiens, la supriorit technologique et conomique du mondeoccidental est prsente comme le rsultat dun vol des connaissances destinesoriginellement aux Ashaninka. Elle est la consquence immorale dun comportementsocial inacceptable dans la socit indigne18, mais en conformit avec les principalescaractristiques du Blanc : voleur et goste.

    17 Le messianisme est une dimension importante de la religion ashaninka qui voque le retour de lInka pour sauver son peuple (Varese, 1968 ; Brown et Fernandez, 1991). Ces croyances sont galementprsentes chez les Ashaninka de lAmnia (Pimenta, 2002a, p. 60-71).18 Pour les Ashaninka, le vol est en effet un comportement intolrable. Les Indiens affirment que dans lepass les individus qui se livraient cette pratique avaient les mains coupes en guise de punition.

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    Il est intressant de noter que les Ashaninka font parfois une liaison troite entrecette suprmatie conomique et le pouvoir lettr. Certains Indiens affirment en effetquePawa naurait pas seulement cr lunivers et ses habitants, mais quil dominaitgalement lcriture, inscrivant prcieusement tout son savoir dans un livre quil avaitlaiss sous la responsabilit de lInka . En sappropriant le livre et en tudiant soncontenu, les Blancs commencrent contrler le processus de fabrication des biensindustriels, laissant les Ashaninka dans lignorance de ce savoir et progressivementdpendants sur le plan conomique. Aujourdhui, travers lcole, lapprentissage dela lecture et de lcriture, les Indiens sefforcent de combler ce manque, leurs yeuxresponsable du dsquilibre conomique entre les deux socits.

    Dans ce processus de spoliation du savoir autochtone, les Ashaninka attribuentune large responsabilit aux gringos , interprtant, leur manire, la suprmatieamricaine sur lconomie mondiale. Si tous les Blancs peuvent aujourdhui produiredes biens manufacturs, les gringos sont en effet considrs par les Ashaninka delAmnia comme les principaux possesseurs du pouvoir conomique et lesinstructeurs dautres Blancs dans le processus de fabrication des marchandises :

    Quand lInka a pch le Blanc, les Blancs se sont multiplis. Il y en a eu beaucoup, detoutes les espces. Cest ainsi quest apparu le gringo amricain et lInka lui a donn lepouvoir [...]. Cest le gringo amricain. Il a tout tudi avec lInka. Il [lInka] lui a toutappris. Cest aussi unwirakotxa , mais ce ne sont pas tous leswirakotxa qui savent faireles moteurs. Cest seulement le gringo qui sait. Il vient parfois au Brsil. Il est intelligent,savant et explique aux autreswirakotxa [...]. En ce temps l, les Ashaninka ne savait pas, gringo savait. Les Ashaninka ne savaient pas crire, ne savaient pas lire, ils ne savaientpresque rien. Le gringo a vol le savoir des Ashaninka. Aujourdhui, il a desmarchandises et les Ashaninka doivent les lui acheter. En ce temps l, lewirakotxa a volet cest pour a quil a de largent. Il a appris faire le fer. Cest le gringo qui sait faire lesmachines en fe (Shomontse).

    Il est intressant de sarrter un moment sur les images construites par lesAshaninka sur les gringos . Si aujourdhui les Amricains peuvent se prsenter auxAshaninka sous plusieurs visages (membres dONG, journalistes, cinastes,anthropologues, etc.), les images et les reprsentations que les Indiens ont des gringos

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    sont historiquement associes leur vision des missionnaires amricains.

    Appuyes et encourages par ltat, les missions nord-amricaines se sont eneffet multiplies en Amazonie pruvienne durant le XXe sicle. Avec leSummerInstitute of Linguistics , leSouth American Indians Missions , leSeventh-Day Adventist et dautres, la prsence missionnaire sest intensifie entre les Ashaninka du Prou. Sices missions ont parfois pu constituer une forme de protection contre les patronscaucheiros et le travail esclave, elles ont galement profondment boulevers lemode de vie des Indiens : prohibition de la polygamie, intgration force au marchet la socit pruvienne, etc. Il ne convient pas danalyser ici les relations entre lesAshaninka et les missions nord-amricaines19, mon intrt se limite montrer lavision que les Ashaninka du fleuve Amnia ont construit des Amricains.

    Selon Gow (1991, p. 69), le passage deshaciendas (grandes proprits),caractrises par un travail quasi esclave pour un patron, lacomunidade (communaut) dirige par les missionnaires marque, dans la vision des Piro, lepassage de la sauvagerie la civilisation . Il ne serait pas tonnant que lonrencontre cette mme ide dans de nombreuses communauts ashaninkaspruviennes qui vivent regroupes autour des missions. Toutefois, pour lesAshaninka du fleuve Amnia, qui ont eu trs peu dexprience de la vie dans ce typede communauts20, les caractristiques quils attribuent aux missionnaires sontessentiellement ngatives. Mme si la plupart na jamais eu de contact direct ouprolong avec les missionnaires nord-amricains, tous les Ashaninka de lAmnia ontlabor une image claire des gringos , caractrise par la peur et la violence quilsinspirent. Les Indiens affirment que les Amricains tuent les Ashaninka pour ensuitesapproprier et utiliser la graisse de leur corps dans la fabrication des moteurs, en

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    Sur ce point, voir tout particulirement le travail de Bodley (1970).20 Les familles Ashaninka qui vivent aujourdhui sur les rives de lAmnia sont originaires dhorizons trsvaris. Certaines ne sont arrives au Brsil que dans les annes 80 ou au dbut des annes 90, fuyant justement les missions nord-amricaines et les violences des communistes , terme gnrique utilis parles Ashaninka pour dsigner les membres des gurillas dextrme gauche (Mouvement de la GaucheRvolutionnaire, Mouvement Rvolutionnaire Tupac Amaru et Sentier Lumineux), mais dune maniregnrale lexprience de vie dans les missions est trs limite entre les Ashaninka de lAmnia.

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    particulier les moteurs davion21. Ce comportement violent et prdateur, associ aux gringos , se retrouve chez dautres groupes indignes et nous aide comprendrelexplication indigne de la supriorit technologique des Blancs sur les Ashaninka.

    Dans son livre sur la colonisation de la rgion du Putumayo en Amazoniecolombienne, Taussig (1986) a montr que les vertus magiques attribues la graissedes corps indignes ont une longue histoire. Durant la colonisation, les Espagnolsimaginaient que la graisse extraite des corps sains des indiens pouvait tre appliquepour soigner les blessures des soldats ou encore utilise dans la fabrication demdicaments. Selon Taussig (ibid ), dans les Andes centrales, la croyance populairefait galement rfrence lexistence dun tre surnaturel nommNakaq ouPishtaco qui utilise le sang, la graisse ou la peau de ses victimes pour prparer desmdicaments, fondre les cloches des glises ou lubrifier des moteurs. Entre les Piro,malgr leur rle civilisateur , les missionnaires amricains occupent une placeambigu puisquils sont aussi associs au pelacra , un tre prdateur qui atteintlimmortalit en volant priodiquement la peau des Indiens pour rajeunir et revigorerson corps vieillissant (Gow, 1991, p. 245). Lpes Garcs (2000) affirme galementque les Tikuna voient les gringos comme des anthropophages qui, aprs stre nourrisde la chair des Indiens, utilisent le cerveau des victimes pour faire fonctionner leursavions ou leur machines.

    Graisse des Ashaninka, peaux des Piro ou cerveau des Tikuna, dans tous ces cas,la supriorit occidentale nest atteinte qu travers la violence dun comportementconsidr comme prdateur, asocial et inhumain : labsorption cannibalesque desvertus indignes. Dans ce contexte, les Ashaninka ne se prsentent pas comme desimples victimes de lOccident. Au contraire, mme dpossds de leur pouvoir, ilsrestent les principaux acteurs de lhistoire. En effet, ils ne sont pas seulement lorigine des Blancs, quils ont eux-mmes pch dans le lac, mais ce sont aussi eux

    qui font et renforcent la puissance des missionnaires et des Occidentaux en gnral.

    21 Ce moyen de transport est en effet le plus utilis par les missionnaires amricains.

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    LCHANGE AYOMPARI OULE RETOUR DES MARCHANDISES

    Pour accder aux biens industriels, produits par les Blancs en raison de leurdtournement immoral du savoir indigne, les Ashaninka durent apprendre commercer. mon avis, une des raisons qui peuvent contribuer expliquer larussite des Ashaninka dans le commerce interethnique et dans les projets actuels de dveloppement durable peut tre cherche dans la flexibilit du systmedchange traditionnel de ce groupe indigne : layompari .

    En tablissant des alliances commerciales avec diffrents autres , leayompari permet aux Ashaninka de rcuprer les marchandises voles par les Blancs dans lestemps mythiques. Dfini lorigine comme un systme dchange ritualis et interneau groupe, leayompari est rinterprt en fonction des contingences historiques pourinclure dautres Indiens et des Blancs, aujourdhui les diffrents acteurs du dveloppement durable qui sont devenus les partenaires privilgis des Ashaninkadans le commerce interethnique.

    Lchange est une institution importante pour de nombreuses populationstraditionnelles et un thme privilgi de la littrature ethnographique. Larticle deMauss ([1950] 1995, p. 143-279) a suscit de nombreux commentaires et esttoujours dune grande actualit22. La Kula , identifie par Malinowski ([1922] 1963)chez les Trobriandais, est sans aucun doute lexemple ethnographique le plus connudes ethnologues et a galement t lorigine dun ample dbat sur lefonctionnement et le sens de lchange chez les populations autochtones des les duPacifique23. Des systmes dchange traditionnel existent galement en Amazonie,par exemple dans la rgion des Guyanes ou dans le Xingu.

    Entre les Ashaninka, linstitution native dayompari permet un hommedtablir, travers lchange de biens, des relations damiti et de partenariat avec unautre individu, situ hors de la sphre de parent. Mme si tous les Ashaninka

    22 Voir, par exemple, les travaux des chercheurs runis autour de la Revue MAUSS, en particulier, AlainCaill (2000).23 Voir, entre autres, Sahlins (1974) et Strathern (1988).

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    peuvent tre considrs comme parents , en raison de leur identit ethniquecommune qui les distingue des autres Indiens et des Blancs24, il nexiste pasncessairement des relations de parent relles (consanguinit ou alliance) entre deuxindividus. Ainsi, les habitants de lAmnia affirment que le termeayompari est utilispour se rfrer dautres Ashaninkas, membres dunnampitsi 25 ou dunecommunaut o ils nont pas de liens de parent connus ou immdiatementidentifiables. Par exemple, durant un voyage un village ashaninka distant, danslequel un individu na pas de parents, le visiteur annonce sa prsence par le termeayompari . Dans ce contexte, lusage du mot se prsente comme un laissez-passer qui exprime en mme temps lappartenance au groupe ethnique et lintentionamicale de la visite.

    la fois parent et inconnu , layompari peut revtir la figure dun autre-semblable . Quand ils essaient de traduire le terme en portugais, les Ashaninka delAmnia utilisent galement les mots ami (amigo ) ou partenaire dchange ( parceiro de troca ), ce qui nous conduit une autre dfinition de layompari . Eneffet, si le mot peut simplement tre employ comme une carte de visite , cest--dire comme une formalit dinteraction sociale entre Ashaninkas qui ne seconnaissent pas ou qui ne sont pas unis par des liens de parent effectifs, le termedsigne galement une troite relation interpersonnelle entre deux individus quidcident de faireaypari , cest--dire de devenir de vrais amis et/ou des partenaires dchange .

    Lorsquils sengagent dans une relationayompari , les deux hommes se doiventthoriquement protection et assistance mutuelle. Toutefois, la distance et lasdentarisation progressive des familles empchent souvent la ralisation de cesobligations. La relation entreayompari se caractrise surtout, par un change diffrde biens entre les partenaires, qui nous rappelle, par de nombreux aspects, lakula des

    24 Les Ashaninka de lAmnia traduisent leur ethnonyme par le peuple , les parents , la famille .25 On peut dfinir sommairement lenampitsi comme un territoire politique compos dune ouplusieurs familles largies (Mendes, 1991, p. 26). Il correspond rarement la communaut ou au villagequi sont des ralits allognes, imposes par le contact et incorpores progressivement par les Ashaninka.

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    insulaires trobriandais26.

    Dans lAmnia, le systmeayompari a subi dimportants changements au longdes dernires dcennies. Sans pouvoir affirmer quil a totalement disparu sous saforme traditionnelle, on peut dire quil a fait lobjet de nombreuses rinterprtationset rajustements la fois pour apprhender le contexte contemporain dudveloppement amazonien et sy adapter.

    Les Ashaninka les plus gs affirment toujours avoir plusieursayompari dansdautres communauts au Brsil et au Prou. Toutefois lexploitation forestire desannes 1980, puis la dmarcation territoriale, ont considrablement augment lasdentarisation des familles et rduit les voyages pour visiter lesayompari . Durantlanne de mon travail de terrain, les rares dplacements des Ashaninka de lAmniahors des limites de leur territoire ont t raliss pour visiter des parents proches etne peuvent tre considrs comme des visites des partenaires dchange. Mme silsne voient pas leurayompari depuis des annes, le systme traditionnel dchange estencore trs prsent dans la mmoire collective et les Indiens affirment quils nont pasoubli les forts liens personnels qui les unissent leurs partenaires dchange et amis.

    Pour justifier la fin des dplacementsayompari , les Ashaninka de lAmniaprsentent plusieurs raisons: la multiplication des contrles la frontireinternationale Brsil/Prou, la violence des mouvements de gurilla pruviens, lestrafiquants de cocane qui agissent dans la rgion, leur occupation dans les nouveauxprojets de dveloppement durable , en particulier la confection dartisanat, lgeavanc de certains qui rend difficile les longs voyages, etc. Beaucoup affirmentgalement tre en attente de la visite de leurayompariet accusent leur partenaire demanquer aux rgles de la rciprocit.

    Les discours sur layompari sont souvent contradictoires et il devientextrmement difficile de savoir jusqu quel point le systme traditionnel dchangereste aujourdhui actif entre les Ashaninka de lAmnia. En mme temps quils se

    26 Comme dans les expditions de lakula , par exemple, layompari est un important facteur de mobilit.

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    rfrent souvent leurayompari au prsent et renvoient un futur incertain laralisation des visites, les exemples concrets dchange traditionnel sinscrivent dansun pass dj lointain (gnralement plus dune dizaine dannes) que les Indiens serappellent avec nostalgie.

    La confiance, la loyaut, lhonntet et la gnrosit sont les vertus essentiellesdunayompari . Un homme ashaninka peut avoir un ou plusieurs partenairesdchange. Ce nombre est variable en fonction des individus mais toutefois limit.Les Indiens estiment en effet que trois ou quatreayompariest un chiffre raisonnabledans la mesure o un seul partenaire dchange rduit considrablement lespossibilits daccs aux marchandises et aux biens manufacturs et quun nombretrop lev d amis rend difficile le respect des obligations, mettant ainsi en dangerchacune des relations.

    Lors de lchange, les deux partenaires sinterpellent par le termeayompari ounyompari ( mon partenaire dchange et/ou mon ami ). Comme lesexpditions commerciales prsentes par Renard-Casevitz, les visitesayompari avaient gnralement lieu la saison sche et les produits changs taient trsvariables:kushma 27, collier 28, arcs et flches, pipes, couteaux, machettes, etc.

    Le don dun objet tablit une dette entre partenaires de telle sorte quelayompari obit troitement la rgle morale de la triple obligation de donner,recevoir et rendre , dfinie par Mauss dans son fameux essai sur le don dans lessocits traditionnelles (Mauss,op. cit .). Comme dans les cas tudis par Mauss,lchangeayompari ne se rduit pas la valeur conomique des produits objets de latransaction, les partenaires adhrent un contrat moral implicite et entretiennent unetroite relation interpersonnelle dont le prestige et lhonneur sont des dimensionsfondamentales. Se soustraire la rgle de rciprocit peut tre interprt comme un

    27 Ce mot dorigine quechua dsigne la tunique traditionnelle des Ashaninka. Dans lAmnia, cevtement est aujourdhui utilis comme un puissant symbole dethnicit.28 Longs colliers confectionns partir de semences et de graines de vgtaux de la rgion. Il est dusageexclusif des hommes qui les portent en bandoulire par dessus leurkushma .

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    signal de refus de lamiti, une attitude goste caractristique des Blancs et fortementcondamne dans la socit ashaninka.

    Les transactions entreayomparisont des changes diffrs, la rtribution ayantlieu gnralement dans lanne ou dans les deux ans qui suivaient le premier don. cette occasion, le dbiteur rend son tour visite son partenaire pour lui offrir un cadeau , tablissant par ce contre-don la continuit de la relation dchange etdamiti. Les objets changs entre deuxayomparipeuvent galement tre offerts dautres partenaires, circulant ainsi, de main en main, dans un vaste rseau dchangequi peut stendre sur des milliers de kilomtres. Le non respect du contrat moraldonne lieu des rclamations du partenaire frustr et peut conduire la fin de larelationayompari , situation extrmement fcheuse pour le dbiteur dont lecomportement est objet de svres critiques et de rprobation sociale.

    Les Ashaninka de lAmnia affirment que le systmeayompari existe galemententre femmes. Dans ce cas, les produits changs sont surtout du tissu, des paniers,des marmites, etc. Dans sa version fminine, les Indiens qualifient le systme deayompao . Ce terme est aussi utilis par les femmes pour qualifier leur partenairedchange ou amie 29.

    Bien que la plupart des anthropologues qui ont travaill avec les Ashaninkafassent rfrence cet change traditionnel, le prsentant comme une institutionimportante de la vie indigne30, il nexiste pas encore de vritable ethnographie du ayompari . Dans un article intitul Deferred Exchange Among the Campa Indians (1973), Bodley ralise un effort pionnier et audacieux pour nous prsenter cesystme dchange traditionnel des Ashaninka et souligne la place prdominante desbiens industriels, en particulier les outils de mtal, dans ces transactions. En

    29 Je nai trouv aucune mention de cette version fminine duayompari dans la rare littratureethnographique sur le thme. Toutefois, bien que beaucoup plus rare, les habitants de lAmnia montassur de son existence et une indienne ma dit avoir encore plusieursayompao dans dautrescommunauts ashaninkas au Brsil et au Prou. Comme pour lchange masculin, les dernires visitesentreayompaoremontent plusieurs annes.30 Voir, par exemple, Varese (1968), Elick (1969) et Bodley (1970 ; 1973).

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    mobilisant les vastes rseaux du commerce intra ethnique, Bodley affirme que leaypari permettait aux Ashaninka les plus isols du monde occidental de se procurerles produits manufacturs :

    Over half of the exchanges involved Campa goods for White manufactured goods,while in less than a fourth Campa goods were traded for other Campa goods; but there

    were no exchanges recorded of manufactured goods for other manufactured goods [...].The important point is that even though at the present time the Campa are ultimatelydependent on outside sources for their metal tools they are essential elements of their traditional culture. Campa who which to avoid face to face contact with Whites andthe entanglements of debt relationships with patrons who demand labor as payment forgoods, can now obtain their tools by trading only with other Campa. In part this explainswhy metal tools figure so prominently in theayompari exchanges (Bodley, 1973,p. 593).

    Si les Ashaninka de lAmnia saccordent pour considrer leayomparicommeun systme dchange lorigine interne au groupe, sa dfinition est nanmoinsflexible et extensible dans la mesure o des individus non-Ashaninkas peuvent y tre

    incorpors. En effet, des membres dautres groupes indignes et mme des Blancspeuvent intgrer le systme et devenirayompari . Certaines relations commercialesentre les Ashaninka et dautres peuples indignes de la Selva Central, avant et aprslarrive des Espagnols, prsentaient dj les caractristiques duayompari . Bien queRenard-Casevitz ne fasse pas rfrence ce terme dans ses travaux, cet auteurmontre que les expditions commerciales et lchange de produits entre Indiensamazoniens, incorporant parfois certaines populations andines voisines, pouvaienttablir dtroites relations personnelles entre partenaires qui devenaient alors de vrais amis (Renard-Casevitz, 1991).

    Les habitants de lAmnia affirment aujourdhui que leurs anctres faisaientdjayompari avec dautres Indiens ; les Kaxinaw, les Piro et les Conibo tant lesgroupes les plus frquemment cits. Le dveloppement du commerce interethniquesemble donc avoir contribu ouvrir les frontires de laypari laltrit. Unprocessus semblable dextension et de rinterprtation de lchange traditionnel sestproduit avec les Blancs. Il semble, en effet, que dans certaines situations historiques,

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    les Ashaninka apprhendent leurs relations commerciales avec les non-Indiens partirde leur systme dchange traditionnel, crant ainsi ce que lon pourrait appeler unayompari interethnique .

    LEPROJET COMMEAYOMPARI INTERETHNIQUE

    Dans son article sur lchange traditionnel entre les Ashaninka, Boldley avaitdj signal la proximit entre layompari et le systme patronal :

    Theayomparisystem with its deferred exchanges strongly resembles the patronsystem which developed with the rubber boom in the late nineteenth century. In thepatron system Indians accept goods from white settlers or traders and promise to paywith labor or goods in the future. For the most part the Campa are scrupulously honestwith their patrons and rarely fail to deliver what is demanded of them [...]. The fact thatniompari my trading partner is sometimes translated as my patron indicates thatthe Campa are clearly aware of the similarities between the two relationships (Bodley,1973, p. 595).

    Les dirigeants de lassociation APIWTXA reconnaissent que lexploitation dubois, qui a abondamment utilis la main-duvre de nombreuses familles ashaninkasdans les annes 80, a t facilite par la familiarit des Indiens avec le systmedchange diffrayompari . Apprhendes partir du systme traditionnel et de laconception indigne de lchange, on peut mme affirmer que les transactions avecles patrons navaient pas toujours le caractre dexploitation prononce quuneanalyse superficielle, base sur une conception occidentale de lconomie, leurattribue. En effet, dans layompari , la valeur conomique des produits changs estsecondaire. Durant le boom de lexploitation anarchique de bois prcieux sur leurterre, les Ashaninka ont parfois chang plusieurs mtres cubes dacajou contre desbroutilles (un kilo de savon, par exemple). Les patrons ont exploit la main-duvre

    indigne selon un rgime quasi-esclavagiste et cette exploitation doit trevigoureusement dnonce. En 2000, aprs un long procs, les dirigeants delassociation APIWTXA, aujourdhui plus familiariss avec les rgles de lconomiemoderne, ont russi faire condamner les entreprises forestires responsables desdgts environnementaux et sociaux provoqus par les invasions mcanises desannes 80. Toutefois, si lexploitation de la main-duvre indienne est vidente sur

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    le plan moral et dans la conception conomiciste de la socit occidentale, lesAshaninka se sentaient beaucoup plus lss et frustrs par le manquement lobligation de rciprocit lorsque le patron ne respectait pas son engagement et nefournissait pas les marchandises promises que par lingalit conomique destransactions et la valeur diffrentielle des produits changs.

    Dans layompariet dans le systme patronal dexploitation du bois, lestransactions se faisaient entre deux partenaires : le patron (ou son reprsentant) et unAshaninka, chef de famille oukuraka 31. La monnaie tait absente des deux systmesqui se caractrisaient par un troc (bois contre biens industriels). Dans les deux cas,lchange tait diffr, prsupposant une relation de confiance minimale entre lespartenaires. Comme layompari pour les groupes isols, le systme patronaldexploitation du bois sest prsent pour les Ashaninka du fleuve Amnia, dans lesannes 70 et 80, comme le seul moyen permettant dacqurir des biens industriels.Sans rduire un systme lautre, on peut affirmer que, sous de nombreux aspects,les relations dchange des Ashaninka avec les patrons ressemblent au troctraditionnel et peuvent tre considres comme des rinterprtations de layompari .Lobjectif principal de tous ces changes tant toujours identique : obtenir les biensindustriels vols par les Blancs dans les temps mythiques.

    Aujourdhui, les Ashaninka du fleuve Amnia se procurent la plupart desproduits manufacturs travers la cooprative et les projets que lassociationAPIWTXA ngocie avec diffrents partenaires de lindignisme. Pour les Indiens, lemot projet a totalement intgr le vocabulaire de la politique interethnique et estdevenu un synonyme de marchandise .

    Comme autrefois, les produits manufacturs du monde occidental arrivent

    31 Mot dorigine quechua que lon peut traduire par chef . Chaumeil (1990, p. 107) a montr que lesystme politique ducuracazgo a t impos aux populations indignes de lAmazonie pruvienne par lesmissionnaires durant la colonisation espagnole et quil a peu de rapports avec les chefferies traditionnelles.Chez les Ashaninka, la figure du chef traditionnel est encore trs problmatique. Celui-ci ne sembleapparatre quoccasionnellement et de faon circonstancielle (Pimenta, 2002, p. 307-332).

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    gnralement en possession des Ashaninka travers un change dans lequel la monnaiene circule pas. Mme si les prix des principaux produits et des pices dartisanat sontconnus, largent comme monnaie dusage est absent dans la relation des Ashaninka avecleur cooprative. Le rle de la monnaie consiste simplement tablir une rfrencesymbolique permettant de dfinir une valeur marchande pour les biens changs.

    La plupart du temps, la cooprative indigne fonctionne galement comme unchange diffr. Dans le cas de lartisanat, par exemple, qui constitue la principaleactivit de dveloppement durable et assure aujourdhui plus de 80 % des besoinsen produits manufacturs de la communaut, les Ashaninka remettent dans unpremier temps leur production artisanale la cooprative et ne retirent gnralementleur marchandises que quelques mois plus tard32. Le bon fonctionnement de lacooprative suppose ainsi une relation de confiance entre les familles associes et lesadministrateurs, qui sont galement les leaders politiques de la communaut. Dans lamesure o ils se matrialisent par laugmentation de loffre de biens industrielsdisponibles dans la cooprative, on peut dire que les projets sont galement peruspar les Ashaninka comme une nouvelle forme dayompari .

    Cest comme layompari . Cest la mme chose. Dabord tu livres ton artisanat lacooprative: tontxoshiki , ton tambour, tout ce que tu fais. Tu as alors un crdit et tupeux prendre des marchandises : du sel, des machettes, du tissu pour que ta femmeconfectionne unekushma , etc. Maintenant, il ny a plus dayomparicomme autrefois.Quand il ny avait pas encore beaucoup de Blancs, seuls les Ashaninka changeaient desproduits entre eux, ils pouvaient aussi changer avec dautres Indiens, ctait vraimentbien. Aujourdhui, on est oblig de faire layompari avec les Blancs. Il y a des Blancs amis

    32 Mme si la cooprative dispose dun petit capital, la plupart du temps, les dirigeants de lAPIWTXAattendent la vente des pices dartisanat ou larrive des fonds dun projet pour procder lachat et ladistribution des marchandises. Durant mon sjour sur le terrain, jai parfois t tmoin des plaintes decertains Indiens contre les dlais trop importants entre la remise de lartisanat et le retrait des produitsmanufacturs. Toutefois, globalement et malgr quelques difficults de gestion lies au manquedexprience administrative, la cooprative ashaninka fonctionne raisonnablement bien. Compare dautres coopratives indignes de la rgion, elle est lune des plus efficaces sur le plan conomique. Ilnest pas exclu que lchange diffr de layompari ait permis aux Ashaninka une plus grande familiaritavec le systme de fonctionnement de la cooprative et plus de tolrance pour accepter les dlais delivraison des marchandises.

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    avec lesquels on peut changer. Cest pour a quon fait le projet. Le projet cest commelayompari . Dabord, tu vas voir la FUNAI33, l-bas Braslia. Ensuite, tu cris le projetavec les gens de la FUNAI. Tu peux faire de lartisanat, tu peux faire un film, tu peuxfaire nimporte quel travail. Quand tu termines, la cooprative reoit des marchandiseset tu peux aller tapprovisionner. a ne cote pas dargent (Aricmio).

    Dun ge avanc, Aricmio est le chaman du village des Ashaninka de lAmniaet un homme trs respect en raison de sa connaissance des traditions et de lhistoirede son peuple. Bien que peu familiaris avec les rouages institutionnels de la politiqueinterethnique, il a t un de mes informateurs 34 privilgis et ma permis demieux apprhender les relations que les Ashaninka tablissent entre layompari et lesprojets de dveloppement durable . Aricmio a t le principal protagoniste dunescne qui sest droule dans le village Apiwtxa et qui a mis clairement en videnceles liens troits que les Indiens construisent entre leur systme dchange traditionnelet les nouveaux projets du dveloppement amazonien.

    Durant mon travail de terrain, jai t contraint de quitter le territoire indigne quelques reprises pour des raisons de sant, pour mapprovisionner en marchandisesou encore pour accompagner les dirigeants de lassociation dans des dplacements enville, en particulier Cruzeiro do Sul, capitale du Haut-Juru, situe environ deux trois jours de bateau du village. Durant ces courts sjours en ville, je dpensais unepartie de mon budget dans lachat de marchandises bon march (briquets, tabac,

    33 Beaucoup dAshaninkas ne distinguent pas clairement les diffrents acteurs de lindignisme (FUNAI,ONGs, gouvernement de lAcre, ministre de lEnvironnement, etc.). Interlocutrice dj ancienne, laFUNAI apparat comme le seul partenaire facilement identifiable et les Indiens considrent parfois quetous les projets sont le rsultat de ngociations avec les reprsentants de linstitution indigniste de ltat.34 Lemploi de lexpression mes informateurs ou de ce simple nom sans le pronom possessif est sansaucun doute trs maladroit en raison du paternalisme et du rapport sujet/objet quelle sous-entend. Il mesemble vident que la rencontre ethnographique ne peut se rduire un simple rapportobservateur/observs et les tendances postmodernes et post-coloniales de lanthropologie se sontattaches le dmontrer. Toutefois, il me parat aussi trs difficile de trouver un terme ou une expressionqui serait totalement labri de connotations pjoratives. dfaut dtre politiquement correct , jemaintiens lexpression et le terme. Lusage des guillemets cherche neutraliser ses connotationsngatives.

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    miroirs, hameons, fil et aiguilles pour la couture, etc.). Lors de mes retours auvillage, je me chargeais personnellement de distribuer ces modestes cadeaux entre mes informateurs pour les remercier de leur hospitalit et de leur contribution lavance de ma recherche.

    Au fur et mesure que mon terrain se droulait, la collaboration dAricmiosest montre de plus en plus importante. Aprs la mfiance initiale que les Ashaninkaexpriment face tout tranger et en particulier aux Blancs, Aricmio est devenubeaucoup plus quun informateur . Progressivement, une certaine complicit nousa unis et nous sommes devenus en quelque sorte amis. Mme en prenant soin de nepas crer de distinctions entre mes informateurs , en raison de son importantecollaboration avec mon travail et des liens personnels que nous avions construits,Aricmio est devenu le principal bnficiaire des biens que je distribuais. Peu peu,en contrepartie des marchandises que je lui offrais, quelques jours ou semaines plustard, il a commenc me rcompenser avec un cadeau , la plupart du temps unepice dartisanat (collier, bracelet, flte de pan, etc.)35.

    Cherchant obtenir plus dinformations sur lchange traditionnel, jai engagune discussion avec Aricmio et un petit groupe dhommes ashaninkas surlayompari , lors dune des nombreuses ftes de piyarentsi 36. ma surprise, pourmexpliquer de manire simplifie ce systme, Aricmio prit justement notrerelation en exemple. Me rappelant nos diffrents changes (marchandises contrepices dartisanat), il mexpliqua que nous tions devenus desayompari , cest--direde vrais amis ou des partenaire dchange .

    35 Bien que dune manire plus irrgulire, il me faut signaler que ces dons et contre-dons, pourreprendre le vocabulaire maussien, ont galement exist avec dautres informateurs .36

    Rituel durant lequel les Ashaninka consomment leur boisson base de manioc ferment. Laconsommation de la bire de manioc , aussi bien par de nombreux groupes indiens que par des Blancs,est frquente en Amazonie et reoit diffrents noms :masato au Prou,caissuma dans lAcre,caxiri dansdautres rgions, etc. Chez les Ashaninka de lAmnia, le terme piyarentsi dsigne la fois le nom durituel et la boisson. Mendes (1991) a soulign les dimensions politiques, conomiques et religieuses du piyarentsi et a montr quil tait beaucoup plus quune simple fte destine rompre la monotonie duquotidien.

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    Attentifs aux propos de mon interlocuteur, les autres hommes du groupeinitirent alors une discussion en ashaninka dont je mefforais dsesprment desaisir le sens. Malheureusement, mes normes dficiences linguistiques et la difficultdobtenir une traduction fidle des diffrents propos a sans aucun doute limit macomprhension de ce moment ethnographique crucial. Aids par livresse provoquepar la bire de manioc, les membres du petit groupe discutaient dans un dbat animlanalogie dAricmio. La grande question tait de savoir si je pouvais rellement trequalifi dayompari , cest--dire, si lapplication de ce terme du vocabulaire indigne un Blanc tait lgitime. Comme dans une assemble parlementaire, les opinionscontradictoires sexprimaient librement et chacun faisait valoir ses arguments.Shomontse, doyen du village, jugeait la comparaison dAricmio trs exagre. Pourlui, en effet, toutayompari devait tre ncessairement un Ashaninka et il tait doncimpossible de qualifier ainsi un Blanc, quel quil soit. Face ces critiques, Aricmiosefforait dexpliciter sa pense, expliquant que mme si je ntais pas un vraiayompari , jtais comme unayompari . Les autres Ashaninkas prsentsoscillaient entre ces deux positions opposes. Visiblement surpris par la complexitde la question, ils ajoutaient leurs commentaires personnels et cherchaient rsoudrelnigme. Finalement, on dcida de mettre un terme au dbat, de vider les calebassesde bire et daller danser.

    Cherchant assouvir ma curiosit ethnographique, je faisais de vains efforts pourobtenir plus de dtails sur les discussions et les arguments de chacun. Je dus toutefoisme satisfaire dune conclusion la fois simple et dconcertante. Tous se montrrentunanimes pour me rpondre, quen ralit, tout le monde avait raison, que je ntaispas un vraiayompari , comme ceux qui existaient autrefois, mais que les tempsavaient changs et lesayompariaussi !

    En octobre 1999, les dirigeants de lassociation APIWTXA et ladministrateur

    rgional de la FUNAI ont labor un projet proposant le nom des Ashaninka delAmnia pour les festivits du Moitar37 de lanne 2000. Lide a t accepte par

    37 lorigine, le termemoitar dsigne un systme dchange traditionnel des Indiens du Xingu. Le mota t repris par la FUNAI qui lutilise pour qualifier les festivits quelle organise annuellement lors de la

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    les responsables de lagence indigniste Brasilia et durant lanne symbolique des500 ans de larrive de Cabral au Brsil, les Ashaninka ont acquis une visibilit sansprcdent sur la scne nationale. Pendant une semaine, du 16 au 23 avril 2000, unpetit groupe dune dizaine dIndiens de lAmnia, comprenant hommes, femmes etenfants, sest rendu la capitale du pays pour raconter leur histoire et mettre en scneleur culture : confection, exposition et vente dartisanat, ralisation dun piyarentsi , construction dune maison traditionnelle, reprsentations musicales,prsentation de la mythologie, etc.

    La prparation de ces festivits a mobilis durant plusieurs mois le villageApiwtxa. Mme si beaucoup dAshaninka ont eu des difficults pour comprendre lessignifications relles du projet, pour les dirigeants de lassociation indigne, le Moitara t un norme succs et un vnement sans prcdent de la politique interethnique.La seule vente dartisanat lie ce projet a rapport la communaut plus de40.000,00 R$38 ; un chiffre record essentiellement destin lapprovisionnement dela cooprative en produits manufacturs essentiels (sel, munitions, machettes,briquets, lampes, etc.).

    Or, il est intressant de noter que le projet du Moitar, propos paralAPIWTXA, avait justement pour titre : Ayompari : un systme dchangeashaninka . Lanalogie explicite entre le projet et lchange traditionnel a tconstante tout au long de la rdaction de la proposition, crite par ladministrateurrgional de la FUNAI, sous lorientation des dirigeants de lassociation ashaninka etensuite, adresse Brasilia pour prsenter la candidature du groupe. Dans laprsentation du projet de lAPIWTXA, le texte affirme :

    Le Moitar 2000 sera unayompari dans lequel les Ashaninka de la Terre IndigneKampa du fleuve Amnia offriront leur art matriel (image, son et artisanat). Nous[FUNAI] rtribuerons avec le paiement de ces biens, avec la reconnaissance de leur

    importance et beaut et les diffrentes composantes de la socit nationale qui auront eu

    semaine du 19 avril ( jour de lIndien ). cette occasion, un groupe indigne du Brsil est choisi pourprsenter sa culture et son mode de vie, lobjectif dclar tant de promouvoir la richesse de la diversitethnique du pays.38 Soit prs de 20.000 dollars amricains au moment du contrat.

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    le privilge de connatre, reconnatre et participer de lvnement, comprendrontcertainement la beaut de la pluralit culturelle et ethnique de notre pays (PerreiraNeto, 1999).

    Outre le Moitar, dans un premier niveau danalyse, nous pouvons dire que lesAshaninka voient les nouveaux projets de dveloppement durable comme une

    forme moderne dayompari . Mme si, dans certaines activits, la relationprojet/marchandise peut sembler moins visible39, tous les projets offrent directementou indirectement la possibilit dobtenir des biens industriels. Pour les Indiens, le projet reprsente donc aujourdhui le principal moyen daccs aux biensmanufacturs, que les Blancs ont russi produire et dtiennent de manire goste ;aprs stre frauduleusement empars des connaissances que le DieuPawa destinaitaux Ashaninka lors de la cration du monde.

    Dans ce scnario, mme sil est risqu daffirmer quils aient totalementsubstitu lesaypari traditionnels, les diffrents acteurs de lindignisme (FUNAI,ONG, gouvernement de lAcre, anthropologues, etc.) sont devenus aujourdhui lespartenaires dchange privilgis des Ashaninka de lAmnia. Toutefois, malgr cesanalogies entre lchange traditionnel et les projets, il existe des diffrencesessentielles entre les deux systmes.

    LES LIMITES DE LAYOMPARI AVEC LESBLANCS

    Dans son article, Bodley avait dj not que, malgr ses similitudes avec lesystme patronal (change diffr, etc.), layompari ne devait pas tre confondu aveclui :

    The resemblance between ones patron and onesayompari is only superficial,however. A patron is always treated with deference and respect, while onesayompari issupposed to be argued with (Bodley, 1973, p. 595).

    39 Par exemple, la cration de systmes agroforestiers. Dans ce cas, les objectifs des projets sont daborddordre cologique, mais ils gardent une dimension conomique. En effet, ds leur mise en place, ilsoffrent aux Ashaninka les biens industriels ncessaires leur cration (outils de travail, etc.) et envisagentaussi, la plupart du temps, la commercialisation dune partie de la production.

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    Lorsque les Ashaninka de lAmnia font aujourdhui rfrence lexploitationde bois des annes 80, ils sont unanimes affirmer que ce ntait pas vraiment unayompari parce que le patron volait et unayompari ne vole pas . Cette explicationtmoigne de la nouvelle conscience politique indigne, construite progressivementavec la lutte pour la dmarcation de la terre et fortifie au long de ces dix derniresannes. Elle ne doit pas nous faire oublier trop rapidement les ressemblances entre lesdeux systmes, mais nous montre galement la spcificit de layompariet deschanges avec les Blancs dans la conception indigne.

    II existe en effet une diffrence fondamentale entre layomparitraditionnel etlayompariavec les Blancs . Le systme dchange entre Ashaninka est hautementritualis. Les partenaires sinvestissent dans une relation interpersonnelle danslaquelle les objets changs vhiculent lhonneur des individus et sont considrscomme une extension de la personne, impliquant ainsi lobservation et le respect denormes thiques particulires qui rgulent les transactions.

    Les Ashaninka de lAmnia se souviennent du rituel qui accompagne, dfinit etsingularise lchange traditionnel40. Durant les visites entreayompari , les partenairesrestent debout, changeant des accusations et des insultes pendant des heures. Lecrditeur se plaint avec vhmence du retard de son dbiteur, du peu dimportanceque celui-ci attribue ses obligations morales et exige le paiement immdiat de ladette. son tour, le partenaire objet des accusations dploie sa stratgie pourconvaincre son ami de son honntet, en essayant de trouver prtextes et justifications pour expliquer le retard. Aprs des heures dun dialogue marqu par desngociations, des accusations et des insultes, les partenaires arrivent enfin un accordet le dbiteur accomplit son obligation sociale et morale de rtribution. Ces rituelsentre partenaires dchange ont t identifis dans la littrature ethnographiquecomme des dialogues crmoniels et existent dans diffrents groupes indiens

    dAmazonie41

    .

    40 Voir aussi Bodley (1973).41 Voir par exemple Fock (1963) et Rivire (1971).

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    Mme si dans certain cas, il peut se crer une forte relation personnelle entre unAshaninka et un Blanc (dans le systme patronal par exemple), les changes avec lesreprsentants du monde occidental natteignent jamais les dimensions affectives etsymboliques prsentes dans layompari . On a vu avec Bodley que, dans le systmepatronal, les rapports dun Ashaninka avec son patron sont bass sur le respect et laconsidration, cest--dire totalement opposs aux relations qui caractrisent le rituelentreayompari . En effet, les projets, et plus gnralement les changes avec lesBlancs, ignorent le processus de ritualisation et ne peuvent partager le code culturelqui donne sens au troc traditionnel. Labsence de rituel dans les transactions avec lesBlancs cre une situation ambigu qui explique les positions confuses et parfoiscontradictoires exprimes par les Ashaninka lorsquils cherchent caractriser ceschanges. Ainsi, si dun ct, leurs relations avec les Blancs se dfinissent galementpar un troc diffr (patron, cooprative, projets, anthropologue) et non montaire ( a ne cote pas dargent ), dun autre ct, labsence du rituel mdiateur rend ceschanges superficiels et purement conomiques, puisquils se rsumentessentiellement une simple transaction dun objet contre un autre, par exemple,dune pice dartisanat contre un bien industriel.

    Dans sa tentative pour mexpliquer layompari comme un exemple de notrerelation dchange, Aricmio cherchait surtout tablir un dialogue interculturel et faciliter ma comprhension du sujet. Comme fournisseur de biens industriels, jepouvais exercer la fonction dunayompari , mais mon informateur savaitparfaitement que je ntais quun semblant dayompari puisque je ne partageaispas avec lui, le code symbolique qui structure lchange entre les Ashaninka.

    La prsence ou labsence de rituel dans les transactions a t discute pardiffrents auteurs pour distinguer les changes traditionnels et les changes avec lesBlancs. Strathern (1988: 177-178) a ainsi insist sur cette diffrence quelle considre

    fondamentale. Cet auteur prsente les changes traditionnels comme des changemdiatiss (mediated exchange ) dans lesquels les objets sont considrs comme unprolongement de la personne. De leur ct, les transactions avec les Blancs sont des changes non mdiatiss (unmediated exchange ), les objets tant rduits leursimple dimension de produits conomiques. partir de ltude dune rumeur,

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    Ramos (1996) a aussi montr comment les diffrentes conceptions de lchange desSanum (sous-groupe Yanomami), des Mayongong et des Blancs sinscrivent chacunedans un code culturel spcifique dont lignorance peut provoquer des consquencesdramatiques dans la situation interethnique.

    Dans le cas des Ashaninka, layompari peut tre utilis comme modleinterprtatif pour qualifier les relations dchange de ce groupe avec les Blancs, enparticulier les projets de dveloppement durable . Toutefois, cette analogie ne doitpas cacher les diffrences profondes entre les deux systmes. Les changes desAshaninka avec les Blancs sont essentiellement des changes non mdiatiss . Pourles Indiens, le projet se rsume aux biens industriels quil est cens fournir.Contrairement layompari , le projet na pas de visage prcis ( nimporte queltravail avec la FUNAI ) et ignore le code culturel qui rglemente le systmedchange traditionnel.

    Loin des attitudes trop souvent paternalistes des acteurs du nouveaudveloppement amazonien (tat, ONG, institutions multinationales, etc.), quirduisent gnralement les populations indiennes de simples victimes du rouleaucompresseur occidental, les Ashaninka nont jamais t des figurants passifs delhistoire et continuent daffirmer aujourdhui de manire crative et originale leurprsence dans le monde. Dans leur rencontre avec les Blancs, ils mobilisent enpermanence leur univers culturel et procdent de complexes rinterprtationssymboliques pour donner sens leurs actions et construire leur futur. Comme ladmontr Sahlins (1981 ; 1985), le dialogue entre histoire et structure nous aide saisir la dynamique culturelle luvre dans les rencontres interethniques.

    La rotation de perspective , pour reprendre lexpression de Viveiros deCastro (1999), nous aide saisir le sens de la notion de projet pour les Ashaninka

    et comprendre plus facilement leur attitude lgard des Blancs et des biensindustriels. Le respect et la considration qui caractrisent la relation des Indiens avecleur ayompari blanc ne doivent pas tre confondus avec un sentimentdinfriorit. Bien quextrmement convoits, les biens industriels sont gnralementaccepts par les Ashaninka avec une froideur parfois surprenante et dconcertantepour un observateur externe. Lorsque joffrais un cadeau un informateur , il

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    me rtribuait quelques fois avec une pice dartisanat, mais je nai jamais assist desractions denthousiasme, ni reu de remerciements particuliers. Cette attitude quipeut nous paratre dplaisante et mme ingrate sexplique aisment si lon abandonnela perspective occidentale pour essayer dapprhender le sens que les Ashaninkadonnent ces changes avec les Blancs.

    Ayant bnfici, dans les temps mythiques, de la complicit de lInka poursemparer honteusement du savoir dePawa , les Blancs ne peuvent pas tre prsentsaujourdhui comme de vraisayompari et offrir des cadeaux puisque les biensindustriels taient lorigine, naturellement, ou plutt culturellement , destinsaux Ashaninka. Malgr leurs efforts pour faire preuve de gnrosit, travers lesprojets de dveloppement durable par exemple, les Blancs ne font en ralit queredistribuer, au compte-gouttes, ce qui devrait revenir de plein droit aux Indiens.Mme si, au cours de leur histoire, les Ashaninka ont appris distinguer diffrentessortes de Blancs42, ces derniers restent toujours troitement associs, dans lacosmologie indigne, la catgorie des esprits malfiques (kamari ) qui se construit enopposition aux bons esprits , aussi appelsashaninka 43. Ainsi, bien quil soitdevenu aujourdhui le principal fournisseur de biens industriels, le comportementimmoral et goste du Blanc, prsent de manire explicite dans la mythologieindigne, contraste toujours fortement avec lhonntet et la gnrosit, qualitsidales de tout individu ashaninka et essentielles du vraiayompari , le traditionnelpartenaire dchange et vritable ami.

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