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40 • MONSTRES DES MYTHOLOGIES MONSTRES DES MYTHOLOGIES • 41
Méduse
Les serpents qui ondulentdangereusement dans
la chevelure et sur le crânede Méduse paraissent
très agressifs. Alors quel’un d’entre eux semble
la mordre au menton, deux autres sont sur
le point de s’affronter.
Méduse est représentée de face, le regard insaisissable.
Sa bouche grande ouvertelaisse voir sa langue et
sa dentition, ce qui ajoute à la déformation de ses traitsplutôt masculins et peut-êtreétudiés par l’artiste à partir
du reflet de son propre visage grimaçant.
Un cri de douleur mêlée de terreur s’échappe du visage
tourmenté du monstre. Aucun détail de la composition
ne permet d’en comprendre la cause, excepté l’évocation
très stylisée des gouttes de sangjaillies de son cou tranché.
Si le Moïse et les porteurs de grappesdessiné au recto de cette feuille est sans doutel’œuvre du peintre de Palerme Giacinto Calandrucci, cette tête de Méduseprovient plus probablement de son atelier.
π Le Bernin, Buste de Méduse,vers 1644-1648,Marbre, 68 cmRome, musées du Capitole
π Giacinto Calandrucci (attr. à), Tête de Méduse, 3e tiers du XVIIe siècle
Sanguine et rehauts de blanc sur papier, 32 × 17 cm
Paris, musée du Louvre
Paraissant à la foisinquiète et surprise,Méduse exprime une souffrance quil’éloigne du monstremalfaisant et luiconfère une certainehumanité.
Les traits de Méduse auraient été inspirés à l’artiste par sa maîtresse Costanza Bonarelli, dont il exécuta également un portrait sculpté à titre personnel. Le personnage regarde vers le bas, les sourcils froncés et la bouche légèrement ouverte.
L’œuvre se caractérise par de superbes effets de matière traduisant
une grande aisance technique. La subtilemétamorphose des mèches de cheveux
en serpents aux ondulations menaçantesconstitue une démonstration incontestable
de la virtuosité du sculpteur.
Ce célèbre buste n’est pas le fruit d’une commande
particulière et certains auteurs avancent que Le Bernin l’aurait fait pour son plaisir.
Bien qu’aucun document n’atteste son attribution,la qualité supérieure de l’œuvre est un plaidoyer
en faveur du talentueux Italien.
Les sorcières
CRÉATURES MALÉFIQUES • 167166 • CRÉATURES MALÉFIQUES
Bien qu’il n’y ait aucune indication de décor, l’atmosphère sombre et
les tonalités rougeoyantes font penser àla scène d’incantation des trois sorcières
dans leur caverne obscure, autour de leur chaudron, telle que l’évoqueWilliam Shakespeare dans Macbeth.
Le dessin, très enlevé, prive de toute féminité ces crânes proéminents aux oreilles allongées comme celles des satyres. Mais on rappellera que, dans la pièce de Shakespeare, Banquo remarque que les trois sorcières présentent un caractère androgyne.
En révélant le comique de la superstition,signifié par le sourire goguenard de la sorcière
et ses attributs grotesques, le peintre sembleassocier sorcellerie et folie, cherchant peut-être
à mettre en garde contre certaines superstitions.
π John Runciman, Les Trois Sorcières, vers 1767-1768Encre et lavis sur papier préparé, 23,5 × 24,8 cmÉdimbourg, National Galleries of Scotland
L’évocation des sorcières, qu’on retrouvenotamment chez George Romney, JamesNorthcote et Heinrich Füssli, était en phaseavec le goût de l’époque pour les légendesmédiévales mais aussi avec la poétique du Sublime théorisée par Edmund Burke.
Frère d’Alexander Runciman, JohnRunciman appartient à cette génération
d’artistes britanniques de la seconde moitiédu XVIIIe siècle qui ont montré un grand
intérêt pour les créatures fantastiques liéesaux puissances occultes.
Tandis que, de la main droite, la vieille femme fait le geste traditionnel intimant le silence,accompagné de la devise Mondeken toe (« tiens ta bouche close »), le coq qui surmonte son crânesemble au contraire chanter bruyamment.
Fasciné par la représentation de la laideur et dugrotesque, le peintreflamand Quentin Metsyslivre ici le portrait d’une mégèredisgracieuse, dont le sceptre se termine par un personnageirrévérencieux, exhibantses fesses au spectateur.
π Quentin Metsys, Allégorie de la folie, vers 1510-1520Huile sur panneau, 60,3 × 47,6 cm
Collection particulière
216 • DES RÉCITS LÉGENDAIRES À L’HISTOIRE NATURELLE DES RÉCITS LÉGENDAIRES À L’HISTOIRE NATURELLE • 217
Ce poisson gigantesque en train d’avaler un petit bateauavec ses occupants introduit un traité scientifique sur la faune marine. Pourtant, l’image montre bien quel’illustrateur a greffé une tête de monstre carnivore sur un corps de poisson assez commun.
La conviction que de tels montres étaient capablesd’engloutir des embarcations entières s’est maintenuejusqu’au XVIIe siècle. Cela dit, le proverbe suivantlequel les « gros poissons mangent les petits » étaitfréquemment illustré dans les pays septentrionaux.
La composition n’est pas sans rappeler l’épisode de Jonas qui,selon la Bible, fut avalé par une baleine, avant d’être recraché surla côte syrienne au bout de trois jours, épisode qui fut interprétécomme un symbole de la mort et de la résurrection du Christ.
π Un poisson monstrueux avale un navire,in Physica animalium, Pays-Bas, XVIIe siècle
Dessin coloriéParis, Bibliothèque nationale de France
Monstres marins
268 • MI-HOMMES MI-MONSTRES MI-HOMMES MI-MONSTRES • 269
Bravant l’interdit du Décalogue, l’homme a cru pouvoir se substituer
à Dieu, mais les êtres qu’il a créés n’ont cessé de lui échapper.
L’existence de créatures artificielles créées à l’image de l’homme est un
des mythes les plus anciens de l’humanité. Leur histoire commence
avec les statues de Dédale et l’évocation de Talos, un géant métallique
façonné par Héphaïstos. Dès le Moyen Âge, les progrès dans l’art de
l’horlogerie permettent la fabrication d’énormes personnages de bois
ou de métal : ce sont les jacquemarts, qui frappent de leur marteau les
cloches des beffrois. À la Renaissance, les statues animées participent
aux spectacles des cours et à l’animation des jardins. Ce succès se
maintient avec l’âge classique, qui voit dans l’être humain le
mécanisme le plus parfait de la nature. Au XVIIIe siècle, les progrès dans
le domaine de la production d’automates sont tels qu’on considère que
la fabrication d’un homme artificiel n’est plus qu’une question de
temps. Bientôt, les automates mécaniques sont concurrencés par des
androïdes d’une autre nature, lointains descendants du Golem et des
homoncules. Le jeu devient plus périlleux : créer
une vie artificielle est un défi risqué, même si
l’électricité, nouveau feu vital, remplace la
convocation des puissances occultes, et
même si la symbiose entre l’homme et la
machine passe à présent par une fusion de
l’organique et de la cybernétique.
Les androïdes
ÉtymologieDu grec andros,« homme », « androïde »désigne un automated’apparence humaine.
Sources principalesOn croise des créaturesartificielles à l’image del’homme chez Homère,dans les Mille et UneNuits, chez l’Arioste,Cervantès, Rabelais,Cyrano de Bergerac,Swift et, bien sûr, MaryShelley. Elles sont légionà partir du XIXe siècle.
IconographieLa généalogie desandroïdes remonte au mythe des statuesanimées. Par la suite, des personnages mus par des mécanismesd’horlogerie apparaissentdans les jardins, les cabinets decuriosités, puisles salons à lamode. À la findu XVIIIe siècle,leur puissanced’évocationsurnaturelle gagneen importance. Avec l’âge industriel,les androïdes deviennentde plus en plusmenaçants.
√ Jacob Epstein, The Rock Drill(Torse de métal), vers 1913-1914
Bronze, 70,5 × 58,4 × 44,5 cmLondres, Tate Gallery
Les androïdes
π Cornelis Jacobus van Oeckelen, Clarinettiste androïde, 1838
Technique mixte, 189,2 × 67,3 × 76,2 cmLos Angeles, John Gaughan Collection
À l’origine, le personnage était habilléd’un costume de troubadourqui dissimulait le thoraxabritant un mécanismecomplexe capable de fairejouer à l’androïde quatrepetites pièces classiques sur sa clarinette.
La vogue de l’automatemusicien remonte à la première réalisation de Vaucanson dans ce domaine : un joueur de flûte traversière dont les sons provenaienteffectivement de l’instrument.
Depuis le XVIIIe siècle, le succès des « anatomies mouvantes »
créées par le mécanicien grenoblois Jacques de Vaucanson s’est
étendu à plusieurs pays européens. Ces machines capables de
reproduire le mouvement et les attitudes d’êtres vivants
fascinent les curieux.
Cet automate grandeur nature, conçu pour être
montré à un public nombreux, a été achevé par Cornelis
Jacobus van Oeckelen en 1838. Après l’avoir présenté dans les grandes villes
des Pays-Bas, il partit à la conquête du public américain,
sans y faire fortune comme il l’avait espéré.
Le flûtiste de Vaucanson captivait les spectateurs du
XVIIIe siècle par ses mouvementsnaturels que personne ne pouvait expliquer.
Mais le public américain duXIXe siècle était trop
familiarisé avec les machines pour qu’un automate puisse
vraiment l’abuser.
LE SPECTACLE DES MONSTRES • 319318 • LE SPECTACLE DES MONSTRES
Mutants et post-humains
π ORLAN, Self-hybridations africaines, masque de Danse « Pwevo » et visage de femme Euro-forézienne, 2000
Photo Duratrans dans caisson lumineux, 156 × 125 cm, pièce uniqueCourtesy of the Artist/galerie Michel Rein, Paris
π Matthew Barney incarnant « The Loughton Candidate » dans Cremaster 4 de Matthew Barney, 1994Courtesy of the Artist/Gladstone Gallery, New York
Cremaster est un ensemble de cinq films réalisés entre 1994 et 2002 par l’artiste américain Matthew Barney. Ce cycle complexe puise ses références dans le cinéma hollywoodien, le sport, la franc-maçonnerie et différentes mythologies pour créer un univers peuplé d’hybrides.
Tout à la fois troublantes, scandaleuses etpoétiques, les œuvres d’ORLAN explorent les potentialités de son propre corps commeautant de sculptures de chair directementmodelables au moyen de la chirurgie esthétique,de la biotechnologie et du morphing.
Barney cherche àdépasser les catégories
et les classifications afin de donner naissance à un être incarnant tous
les genres, à la foishermaphrodite ettransgressif, entre
masculin et féminin,entre humanité
et animalité.
Grâce au morphing et à différents logiciels,toutes les fantaisies
sont désormaispossibles. Les techniques
traditionnelles sontdélaissées au profit de matériaux plus
malléables, tels que la résine, la cire ou
la vaseline, évoquant un univers en perpétuel
développement.
La démarche de cette artiste s’est radicalisée au début des années 1990,
lors d’« opérations chirurgicales performances »,
minutieusement mises en scène, au cours desquelles elle a peu
à peu transformé son visage en fonction des canons de
beauté assignés à la femme.
Dans la série des « Self-Hybridations »,
ORLAN est passée aux mutationsvirtuelles en ayant recours à
l’image numérique, à la vidéo et à l’infographie. Elle s’y approprie
des pratiques corporellestraditionnellement non occidentalestelles que le tatouage et le piercing.
En subissant de nouvellesaltérations, notamment au niveau
du crâne, du nez, des dents, du couet des yeux, ORLAN rappelle
utilement que toutes les civilisationsont façonné les corps et, parconséquent, ont conditionné
nos regards et nos désirs.