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1- LA QUALITE DES FORMATIONS DELOCALISEES DANS L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR AU BENIN Eric Montcho-Agbassa, Serge Armel Attenoukon, Luc K. Sossa, Chrysal Kenoukon, Césaire Kpenonhoun Résumé Des universités du Nord procèdent de plus en plus à la signature d’accords de partenariat avec des établissements d’enseignement supérieur privés du Sud qui leur servent de relais au plan local. L’offre des formations délocalisées a connu une forte expansion au cours de ces dernières années, sur fond de publicités parfois trompeuses. La présente étude est axée sur la question de la qualité des formations délocalisées au Bénin. La démarche méthodologique retenue repose sur l’analyse documentaire ainsi que sur des entretiens par questionnaires avec au total 300 personnes ressources. Il ressort des résultats de l’étude que l’Etat, qui est le principal garant de la qualité des formations délocalisées dans l’enseignement supérieur au Bénin, a été mis devant le fait accompli et tente de prendre progressivement des mesures pour la régularisation de la délocalisation des formations. C’est du moins le sens que l’on peut donner à la création en 2006 de la Direction générale de l’enseignement supérieur (DGES). Par ailleurs, si l’Etat est conscient du rôle qui est le sien en matière de délocalisation des formations dans l’enseignement supérieur, force est de constater qu’il peine encore à affirmer son autorité dans ce domaine. Il est donc nécessaire que les autorités béninoises définissent un nouveau cadre normatif et institutionnel de l’enseignement supérieur privé en pleine mutation. Mots clés: qualité; formation délocalisée; enseignement supérieur; Bénin. Abstract Northern Universities are increasingly signing partnership accord with some private universities of the South, doing so more at the local level. The offer of delocalized training has largely expanded during the past years through wide publicity. The present study examines the quality of delocalized training; the case of Benin Republic.

1- LA qUALITE DES FORMATIONS DELOCALISEES … · pour la régularisation de la délocalisation des formations. C’est du moins le sens que l’on peut donner à la création en 2006

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1- LA qUALITE DES FORMATIONS DELOCALISEES DANS L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR AU BENIN

Eric Montcho-Agbassa, Serge Armel Attenoukon, Luc K. Sossa, Chrysal Kenoukon, Césaire Kpenonhoun

Résumé Des universités du Nord procèdent de plus en plus à la signature d’accords

de partenariat avec des établissements d’enseignement supérieur privés du Sud qui leur servent de relais au plan local. L’offre des formations délocalisées a connu une forte expansion au cours de ces dernières années, sur fond de publicités parfois trompeuses. La présente étude est axée sur la question de la qualité des formations délocalisées au Bénin.

La démarche méthodologique retenue repose sur l’analyse documentaire ainsi que sur des entretiens par questionnaires avec au total 300 personnes ressources.

Il ressort des résultats de l’étude que l’Etat, qui est le principal garant de la qualité des formations délocalisées dans l’enseignement supérieur au Bénin, a été mis devant le fait accompli et tente de prendre progressivement des mesures pour la régularisation de la délocalisation des formations. C’est du moins le sens que l’on peut donner à la création en 2006 de la Direction générale de l’enseignement supérieur (DGES). Par ailleurs, si l’Etat est conscient du rôle qui est le sien en matière de délocalisation des formations dans l’enseignement supérieur, force est de constater qu’il peine encore à affirmer son autorité dans ce domaine. Il est donc nécessaire que les autorités béninoises définissent un nouveau cadre normatif et institutionnel de l’enseignement supérieur privé en pleine mutation.

Mots clés: qualité; formation délocalisée; enseignement supérieur; Bénin.

Abstract northern Universities are increasingly signing partnership accord with some

private universities of the south, doing so more at the local level. the offer of delocalized training has largely expanded during the past years through wide publicity. the present study examines the quality of delocalized training; the case of benin republic.

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the methods used are documentary analyses, some interviews and questionnaires with 300 concerned and resources persons.

from the outcomes of the investigations, it is realized that the state as the guarantor of quality training in higher education at all levels was surprised at the quality of delocalized training in benin. As a result the state took progressive measures to regulate the delocalized training .this led to the creation in 2006 of the General Direction for higher education (Direction Générale de l’enseignement supérieur). on the other hand if the state is conscious of its role on the delocalization of training in higher education, evidently it still has to affirm its authority in the domain. It is therefore necessary that, the authorities of Benin define a new normative level and institutionalized the framework to change private university training.

Key words: quality; delocalized training; higher education; benin

INTRODUCTIONL’enseignement supérieur joue un rôle-clé dans le développement

économique et social de toute nation. Ceci est encore plus vrai dans l’économie globalisée actuelle, fondée sur l’information et le savoir. Aucun pays ne peut espérer s’intégrer avec succès dans l’économie du XXIème siècle, et en bénéficier, sans une main-d’œuvre éduquée et qualifiée. L’enseignement supérieur agit à quatre grands niveaux (Saint, 2005). Premièrement, il atténue la pauvreté par sa contribution directe à la croissance économique, car il renforce la productivité d’un pays et sa compétitivité internationale. Deuxièmement, l’enseignement supérieur contribue potentiellement à la réduction de la pauvreté par son action d’habilitation et de redistribution. Troisièmement, il consolide l’ensemble du secteur de l’éducation et améliore sa performance. Enfin, l’enseignement supérieur contribue fortement à la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement (OMD)1 (Saint, 2005).

1 Pour engager le XXIe siècle sous de bons hospices, les États membres des Nations Unies sont convenus de huit (08) objectifs essentiels à attendre d’ici 2015 : réduire l’extrême pauvreté et la faim ; assurer l’éducation primaire pour tous ; promouvoir l’égalité, l’autonomisation des femmes ; réduire la mortalité maternelle ; combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies ; assurer un environnement durable et mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

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Le système éducatif du Bénin, à l’instar des autres pays africains, a traverse depuis plusieurs années une crise récurrente; induite surtout par la réforme de « l’ecole nouvelle » instituée en 1975 et caractérisée par la baisse du niveau de culture chez les apprenants. Cette crise a conduit à l’organisation, en 1990, des états généraux de l’éducation; assise censée apporter des propositions susceptibles de juguler la crise et de permettre au Bénin la mise en place d’un système éducatif performant. Certes, des avancées notables s’observent sur le terrain, mais des difficultés persistent et concernent, entre autres, le nombre et la qualification des enseignants, l’effectif et le rendement des apprenants. Sur ce dernier point, les statistiques ne sont guère reluisantes, car elles reflètent l’expression du malaise général du système (ROCARE, 2005). En effet, le premier cycle universitaire est particulièrement marqué par un très fort taux d’échec des apprenants, notamment dans les facultés classiques, comme l’illustre le tableau ci-dessous présenté sur le cas de la Faculté de droit et de sciences politiques (FADESP) de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC):

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14Tableau : S

ynthèse des taux d’inscriptions et des taux de réussite de l’année 2004-2005 à la FAD

ES

P /U

AC

A

nnées

Nom

bre d’étudiants

inscrits

Nom

bre d’étudiants défaillants *

Nom

bre d’étudiants ayant com

-posé

Nom

bre d’étudiants A

journés

Nom

bre d’étudiants

admis

Taux %

de Réussite

SJ1

(1ère session)

3828 1694

2134 1766

368 17,24

SJ2

( 1ère session) 1555

403 1152

765 387

33,59

SJ1

(2nde session)

3482 1595

1887 988

899 47,11

SJ2

(2nde session)

1160 236

924 313

611 66,12

Source : Secrétariat principal de la Faculté de Droit et de Sciences Politiques (FAD

ESP) de l’Université d’Abom

ey-Calavi (décem

bre 2006). *D

éfaillants : Etudiants qui n’ont pas composé ou qui n’ont pas de note dans toutes les m

atières requises pour l’admission.

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Une pratique mercantile s’infiltre de plus en plus dans l’enseignement supérieur2. Les établissements d’enseignement supérieur privés se livrent à une concurrence féroce pour attirer les étudiants et pour ouvrir, par le biais de la délocalisation, des formations dites rares, à des coûts prohibitifs3. Ainsi, l’enseignement, domaine essentiellement réservé à l’Etat par le passé, tend de plus en plus à devenir un service marchand international. L’enseignement supérieur est plus particulièrement affecté (Varghese, 2005).

Globalement, le paysage de l’enseignement supérieur africain est en pleine transformation : phénomènes de différentiation, d’articulation et de privatisation pour faire face à la demande sociale et au marché de l’emploi (Subotsky et Afeti, 2005). De même, on note une diversification des modes de livraison allant de pair avec la généralisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et une ouverture et adaptation à l’enseignement supérieur international de plus en plus présent, avec le développement rapide de l’offre transfrontalière (Varghese, 2005).

Les annonces publicitaires sur les médias sont significatives à cet effet : « faites-vous former dans notre université par les professeurs de renom de telles universités européennes, américaines, etc. et obtenez des diplômes de ces universités sans avoir à vous déplacer ». Le phénomène induit de véritables changements dans la tradition de « diplômation » au Bénin.

En réalité, sous le couvert de la performance et de la qualité de la formation, certaines universités d’Outre4 Mer procèdent à la signature

2 Le phénomène n’épargne guère le secteur de l’enseignement secondaire. A titre illustratif, des responsables d’établissements ont utilisé à d’autres fins les frais de constitution de dossiers des candidats à l’examen de baccalauréat et n’ont pas été en mesure de déposer ces dossiers dans le délai réglementaire. Face à la répétition d’une telle pratique qui amène les autorités compétentes à organiser à titre exceptionnel des sessions de remplacement à l’attention de ces candidats, le gouvernement a décidé de suspendre vingt (20) établissements de l’enseignement secondaire privé, pour deux années scolaires à compter de la rentrée 2009-2010: voir relevé du Conseil des ministres du 15 juillet 2009, dans le quotidien la nation n° 4789 du jeudi 23 juillet 2009, p. 10.

3 Le coût des formations varient de deux cent cinquante mille (250.000) à plusieurs millions de francs pour une année, cf. Montcho-Agbassa, Sossa, Attenoukon, Kenounkon et Kpenonhoun , 2008.

4 Il s’agit pour la plupart des universités françaises et canadiennes.

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d’accords de partenariat avec des établissements privés qui leur servent de relais au plan local. Dans les faits, il s’avère que les formateurs sont eux-mêmes formés dans les universités du Sud et utilisent des ressources pédagogiques locales. Cependant et cela de manière paradoxale diplôme est délivré sous le sceau des établissements du Nord. Ces transformations dont certains pays africains, notamment le Bénin, sont le théâtre, semblent laisser impuissantes les autorités politiques en charge de l’enseignement supérieur, car la demande est de loin supérieure à l’offre des universités publiques.

1- PROBLéMATIqUE : OBJECTIF DE LA RECHERCHEIl se développe dans le milieu des établissements de formations

délocalisées des anomalies préjudiciables à la qualité des formations. Des apprenants obtiennent des diplômes sans suivre les programmes de formation requis (Montcho-Agbassa, Sossa, Attenoukon, Kenounkon et Kpenonhoun, 2008).

Et pourtant, la question de la qualité est essentielle car il s’agit de préparer les ressources humaines appelées à contribuer au mieux-être de leur communauté.

L’analyse de la qualité des formations délocalisées de l’enseignement supérieur au Bénin prend en compte deux aspects : le contenu et l’exécution des programmes de formations et la qualification des enseignants.

En ce qui concerne le contenu et l’exécution des programmes de formations, leur appréciation relève des structures compétentes de l’Etat. Or, jusqu’à un passé récent, l’Etat ne s’impliquait pas comme cela se devait dans la création et le suivi des établissements privés de formations délocalisées. La création d’une Direction générale de l’enseignement supérieur privé (DGES) en 20065 ne garantit guère dans l’immédiat une amélioration de la situation, car il se pose un problème de manque de ressources humaines et matérielles. 5 Décret n° 2006-458 du 05 septembre 2006 portant attributions, organisation

et fonctionnement du Ministère de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle en son article 47. Ce décret est complété par l’arrêté 2007 n° 173/MESPF/CAB/DC/SGM/DGES/SP portant attributions, organisation et fonctionnement de la Direction générale de l’enseignement supérieur. La DGES s’est substituée à la Direction de l’enseignement supérieur (DESup) dont l’un des services techniques avait en charge le secteur de l’enseignement supérieur privé. Ce service est érigé en Direction.

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S’agissant des enseignants, ils sont pour la plupart des vacataires, c’est-à-dire des collaborateurs extérieurs des établissements, sans contrat de travail formel et sans plan de carrière. L’enseignement privé est devenu le point de chute de nombreux diplômés sans emploi. On y accède très souvent sur simple demande sans une formation pédagogique initiale.

La question de la qualité a préoccupé au plus au haut point l’UNESCO et l’OCDE qui ont élaboré des lignes directrices pour les prestations de qualité dans l’enseignement supérieur transfrontalier6. Ces lignes directrices ont été développées en réponse à la commercialisation croissante de l’enseignement supérieur dans un contexte de mondialisation. Elles s’adressent aux principales parties prenantes de l’enseignement supérieur : gouvernement, établissements et prestataires d’enseignement supérieur, associations étudiantes etc.

La présente étude vise à répondre à un certain nombre de questions brûlantes : la qualité préoccupe t-elle réellement les promoteurs des formations délocalisées ? Quel rôle incombe aux structures étatiques compétentes ? Comment le Bénin peut-il tirer le meilleur profit des formations délocalisées? Plus concrètement, les trois objectifs de l’étude sont :

identifier les acteurs de la libéralisation du secteur de • l’enseignement supérieur au Bénin ;

apprécier les accords de partenariat entre établissement • nationaux et étrangers ;

comprendre le rôle de l’Etat en matière de contrôle de qualité • dans le secteur de l’enseignement supérieur privé au Bénin.La réponse à ces préoccupations permettra d’apprécier la qualité

des formations délocalisées au Bénin et d’explorer les pistes de solution pour son amélioration.

2- CADRE CONCEPTUELLa qualité est une notion complexe à définir, surtout dans un domaine

comme l’éducation. Le rapport final de la Conférence mondiale sur

6 Pour consulter ces lignes directrices : http/portal.unesco.org/education/en/ev.php-URL_ID =29220§URL_DO= DO_TOPIC§URL_SECTION=201.htm

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l’enseignement supérieur, (UNESCO, 1998), indique que la qualité de l’enseignement supérieur est un concept multidimensionnel qui tient compte au moins de la qualité des programmes, du personnel, des étudiants, des équipements et des matériels d’enseignement et d’apprentissage. Plusieurs auteurs la définissent comme le résultat des interactions entre les inputs, le processus et les outputs. Les approches moins économétriques mettent l’accent sur une appréciation plus globale des résultats. Ainsi, dans une série de documents datée de 1995 sur le rôle et la mission des universités africaines dans l’avenir, l’Association des Universités Africaines (AUA) définit la qualité comme la mesure dans laquelle les objectifs précédemment fixés sont atteints, ou bien comme ce qui convient aux fins, ou bien encore comme une valeur ajoutée. La qualité supposerait alors: a) des normes convenues ou imposées; b) l’évaluation de ces normes; c) l’existence d’une source pour définir et fixer les normes. Cette définition montre à travers les difficultés qu’elle soulève que la qualité est le concept le plus étendu et le plus englobant de tous les concepts utilisés. Elle regroupe tous les autres concepts utilisés pour évaluer et apprécier les résultats obtenus à la suite des investissements.

La qualité dans son caractère englobant se définit en partant des finalités éducatives, en tenant compte des priorités imposées de l’extérieur aux systèmes éducatifs, et en tenant compte également des finalités que ces systèmes élaborent de l’intérieur. La qualité peut être également définie en partant des intrants, des ressources et des conditions de travail mises à la disposition des enseignants et des élèves. La qualité s’intéresse aux processus d’enseignement et d’apprentissage, aux enseignements dispensés aux élèves, aux programmes d’enseignement, aux méthodes pédagogiques utilisées, aux efforts et à la motivation des élèves. Enfin, la qualité se mesure en fonction des outputs, des résultats de l’enseignement exprimés en termes de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être, de savoir-devenir; en termes d’habiletés. Des indicateurs quantitatifs et qualitatifs peuvent servir à évaluer la qualité des actions éducatives. Toutefois, la formation des enseignants reste un indicateur non moins négligeable, la qualité des apprentissages dépendant de la qualité de l’enseignement.

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3- MéTHODOLOGIECette étude a pour contexte les établissements d’enseignement

supérieur privés recevant des formations délocalisées. Elle s’est fondée sur la recherche et l’analyse documentaires ainsi que sur des entretiens par questionnaires avec des personnes ressources. La sélection desdits participants a été faite sur le base du critère de connaissance du phénomène en étude et ce au niveau des quatre plus importantes villes (Cotonou, Abomey-Calavi, Porto-Novo et Parakou) du Bénin concernées par le phénomène. Au total 300 personnes ont été consultées à savoir : 52 promoteurs d’établissements universitaires privés, 69 enseignants, 99 étudiants, 35 parents d’étudiants, 21 autorités politico-administratives et 19 utilisateurs nationaux. Les instruments de collecte des données ont consisté en 4 différents questionnaires administrés respectivement aux enseignants, aux étudiants, aux parents et aux autorités politico-administratives. Quant aux entrevues mêmes, nous avons utilisé un questionnaire semi structure. La recherche documentaire effectuée en amont a porté sur des mémoires, rapports d’études et d’enquête ainsi que sur des textes de lois et règlements. Elle a surtout permis de recueillir des informations à la Direction générale de l’enseignement supérieur qui a pour mission « la conception, le pilotage, l’exécution et le contrôle de la politique de l’éducation et de la coopération dans les domaines de l’enseignement supérieur et des équivalences de diplôme. »7

Les difficultés d’ordre méthodologique tiennent en l’inexistence de bases de données exhaustives sur le secteur de l’enseignement supérieur privé au Bénin. Si on a pu obtenir la liste des établissements agréés dans ce secteur, il n’a été possible d’avoir l’effectif des étudiants inscrits encore moins les statistiques relatives aux taux de succès.

4- RéSULTATS DE LA RECHERCHEL’Etat a ouvert le secteur de l’enseignement supérieur aux particuliers8.

Ainsi, depuis les années 1990, le secteur privé a commencé à créer

7 Article 1er de l’arrêté n° 173/MESFP/CAB/DC/SGM/DGES/SP du 07 mai 2007 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Direction générale de l’enseignement supérieur.

8 Cf. Constitution béninoise du 11 décembre 1990 (article 14) et Loi n°2003-17 du 17 octobre 2003 portant orientation de l’éducation nationale en République du Bénin.

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des établissements de niveau supérieur. Dans la pratique, le contrôle du secteur échappe à l’Etat tant en ce qui concerne le contenu et la mise en œuvre des programmes des formations que la qualification et les conditions de travail des enseignants. Pour preuve, il n’a pas été possible d’avoir les accords liant les établissements locaux à ceux du nord. Ceci est d’autant plus préoccupant qu’il existe aujourd’hui soixante et un (61) cas de diplômes délocalisés au Bénin conformément aux données de la Direction Générale de l’Enseignement supérieur (DGES). Pour les établissements ainsi que les autorités, les conventions sont considérées comme des documents confidentiels. S’il est possible d’avancer que certains partenaires ont établi des accords, il est en revanche difficile de généraliser une telle affirmation. Pour ceux qui ont des accords, il n’est pas non plus possible d’en citer des noms. Il ressort des informations reçues à la DGES que le registre des accords est non renseigné jusqu’à ce jour. Il va de soi que la non production de ces accords est déjà un frein au contrôle de la qualité des formations délivrées. De même, les missions d’inspection qui devraient permettre d’évaluer les prestations et le cadre de déroulement des établissements, ne sont pas organisées faute de moyens humains et matériels.

On peut donc avancer que l’Etat a été mis devant le fait accompli et tente de prendre progressivement les mesures pour la régularisation du phénomène. C’est du moins le sens que l’on peut donner à la création d’une direction de l’enseignement supérieur privé à la Direction générale de l’enseignement supérieur (DGES), qui connaît elle-même depuis peu une restructuration notamment des actions en vue d’un meilleur contrôle des établissements organisant des formations délocalisées. Au plan régional, le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES), à travers le Programme de reconnaissance et ’équivalence des diplômes»9, est saisi fréquemment de dossiers de demande d’agrément

9 Le Programme « Reconnaissance et équivalence des diplômes » est créé en 1968, et poursuit les objectifs ci-après :

-établir la validité et l’équivalence des diplômes délivrés par le système CAMES et d’autres systèmes ;

-harmoniser les programmes d’enseignement ; -promouvoir la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs. Sur tous

ces points : www. formation.refer.bf/cames/spip.php ?article 6.

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de formations10. Beaucoup sont certes appelés, mais à l’arrivée les élus se comptent du bout des doigts. Cela traduit indubitablement le déficit de qualité remarquable dans le secteur.

En somme, relativement aux objectifs de la présente étude, nous identifions au moins 61 établissements universitaires qui délivrent des diplômes délocalisés au Bénin. Aussi, l’étude montre-t-elle que la principale structure responsable et susceptible d’autoriser l’ouverture d’une université privée au Bénin est la Direction générale de l’enseignement supérieur, un service du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Quant à l’appréciation des accords de partenariat universitaire nord-sud, l’étude indique qu’ils ne sont pas disponibles (en copie) au ministère. Les uns et les autres en font à la limite un sujet tabou. Ce qui pose un véritable problème en matière de contrôle de qualité de ces établissements. Au plan institutionnel, le principal mécanisme mis en place par l’Etat en vue du contrôle de la qualité des établissements privés d’enseignements est la Direction de l’enseignement supérieur privé. Malheureusement, son premier directeur (toujours en place) est aussi un promoteur d’université privée. Au demeurant, le cadre juridique de fonctionnement des universités assignent à celles-ci la formation des cadres compétents pour le développement du Bénin. A cet effet, conformément à la constitution et à différents textes, le rôle de l’Etat est de garantir l’éducation à tous les citoyens béninois. De plus, il assure la qualité de la formation sur toute l’étendue du territoire. En matière de libéralisation du secteur de l’enseignement supérieur au Bénin, l’Etat a l’obligation de soumettre les promoteurs au respect d’un cahier des charges qui comporte les garanties de qualité. Aussi, conserve-t-il en permanence un droit le contrôle sur ces établissements. Mieux, il doit leur accorder des appuis en termes de formation des formateurs ou de renforcement de niveau. Il ressort de la présente étude que l’Etat n’arrive pas encore à s’acquitter convenablement de toutes ces obligations. Ce qui handicape sérieusement le contrôle de qualité des établissements universitaires en général et privés, en particulier.

10 A l’occasion de son 23e colloque sur la reconnaissance et l’équivalence des diplômes, tenu du 26 au 30 décembre à Lomé (Togo), plusieurs établissements ont fait homologuer leurs programmes de formation. Ce sont l’Université polytechnique internationale du Bénin (UPIB) ; la Haute école de commerce et de management (HECM) ; l’Institut CERCO…

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5- DISCUSSIONIl est évident que les établissements supérieurs privés de formations

délocalisées contribuent à la formation des ressources humaines pour le Bénin. Cependant, il existe de nombreuses insuffisances qui interpellent tous les acteurs de cet ordre d’enseignement. C’est en l’occurrence le cas de la qualité de l’enseignement délivré dans ces établissements qui doit constituer la priorité. La question des normes d’éducation est essentielle, au plan national et international, et la plupart des pays mettent au point des systèmes nationaux d’Assurance Qualité (AQ).

Au Bénin, il existe un Conseil consultatif national de l’enseignement supérieur qui étudie les dossiers de demande d’ouverture d’établissement privé. Son autorisation est subordonnée au respect des normes et standards relatifs aux exigences nationales en matière de programmes. Les établissements privés reçoivent donc un agrément pour un programme donné. Mais une fois l’agrément obtenu, ils en disposent pour la plupart sans plus tenir compte du programme pour lequel ils ont été autorisés. Il revient à ce dernier de tout mettre en œuvre pour le contrôler, voire le réguler. Dans l’immédiat, il urge de pourvoir la DGES et plus spécialement la Direction en charge des établissements supérieurs privés de moyens humains et logistiques et suffisants pour accomplir sa mission. A moyen terme, une réforme doit être entreprise en vue de mieux réglementer le secteur de l’enseignement supérieur.

Par ailleurs, l’organisme chargé de gérer les établissements privés y procède sur la base de fondements juridiques préétablis. Le droit comparé est ici d’une utilité certaine pour que le Bénin ne tarde pas davantage à se doter d’un code des établissements privés de formations délocalisées (Holta, 2005). En Afrique du Sud par exemple, l’organisme national chargé de l’Assurance Qualité (AQ), le Comité pour la qualité de l’enseignement supérieur (higher education Quality committee) du Conseil sur l’enseignement supérieur (council on higher education) est responsable de l’accréditation des programmes et des audits institutionnels (ibid). En Ouganda, le Conseil national de l’enseignement supérieur (national council on higher education) exige que les établissements d’enseignement supérieur recrutent du personnel administratif et universitaire répondant aux critères et aux qualifications qu’il a définis. Tous les bacheliers du Nigeria, qu’ils soient dans le

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public ou le privé, sont admis dans les universités à l’issue d’examens administrés par le Conseil conjoint des admissions et des examens d’entrée (Joint Admissions and Matriculation board). Le contrôle de la qualité est fondamental, du fait des craintes que l’expansion des établissements d’enseignement supérieurs publics et privés fasse naître sur les risques d’abaissement de la qualité des cours dispensés (ibid).

Pour cette raison (et c’est le cas au Ghana également) c’est le Conseil national des accréditations (national Accreditation board) qui décide d’accréditer ou non les établissements et les programmes. Pour les établissements publics et privés du Zimbabwe, le contrôle de qualité oblige l’élève à avoir réussi au moins deux épreuves aux examens de fin du secondaire (A level). Les élèves et le corps enseignant font par ailleurs l’objet d’un suivi annuel (ibid). Le Bénin ne saurait donc rester en marge de cette exigence de qualité dans le secteur de l’enseignement supérieur.

Dans le même ordre d’idées, la quasi inexistence de programmes de recherche dans les établissements objet de cette étude constitue un autre sujet de préoccupation. Comment peut-on parler du secteur de l’enseignement supérieur s’il n’existe pas des programmes de recherche qui permettent aux apprenants de contribuer à la production scientifique ? L’importance de la recherche dans l’enseignement supérieur ne sera jamais assez soulignée. Elle contribue en effet à remettre à niveau le corps enseignant et à former le personnel professionnel et universitaire. Elle met également en place un processus de production et de transmission de nouveaux savoirs à la société (ibid).

Nous pensons que les établissements privés peuvent mettre en place de pareils programmes dans le cadre d’un partenariat avec le secteur de l’enseignement supérieur public qui dispose en la matière de ressources humaines et matérielles de qualité.

Mais au-delà, c’est la question de l’adéquation de ces formations avec les marchés national et international, l’enjeu même de la délocalisation, qui est occultée. Il est paradoxal de constater au niveau de certains établissements privés béninois que les programmes exécutés sont ceux du pays de leurs partenaires, alors que leurs diplômés sont a priori destinés pour le marché national de l’emploi. Comment comprendre qu’un diplômé formé normalement pour le marché béninois ou de la

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sous-région ignore complètement les réalités endogènes ? Peut-on dans ces conditions prétendre assurer la résolution des problèmes de développement au niveau des pays africains?

CONCLUSIONLa présente étude révèle que la qualité des formations délocalisées de

l’enseignement supérieur n’est pas encore convenablement garantie au Bénin. Il existe une somme de problèmes qui tiennent essentiellement à l’inexistence d’un cadre législatif et réglementaire approprié et l’ineffectivité du contrôle des activités des établissements privés de l’enseignement supérieur par l’Etat. La qualité des formations est une exigence de premier plan car, elle conditionne l’efficacité des ressources humaines. Elle doit être placée au cœur de toute réflexion sur la délocalisation. Les directives de l’UNESCO et de l’OCDE sont fondamentales à cet égard. Elles devraient aider à tirer le meilleur parti de l’offre transnationale sans pour autant compromettre les priorités et préoccupations nationales. C’est là un défi au cœur de l’objectif de l’ « education Pour tous ». Il est alors permis de faire quelques recommandations à l’endroit des principaux acteurs du système éducatif que sont l’Etat, les promoteurs d’établissements privés et les parents d’élèves.

A l’endroit de l’Etat, il s’agira de :définir un nouveau cadre normatif pour le secteur de •

l’enseignement supérieur au Bénin ;veiller au contrôle de l’adéquation des programmes de formation •

avec la réglementation béninoise ;mettre en place une institution autonome de régulation du •

secteur de l’enseignement supérieur privé ;veiller à la mise en œuvre des sanctions contre les établissements •

supérieurs délocalisés n’ayant pas respecté la procédure de création et d’exercice de leurs activités.

S’agissant des promoteurs d’établissements privés, il est • nécessaire de :

créer un partenariat dynamique avec les établissements du • secteur public en vue des échanges au niveau des ressources humaines et des infrastructures ;

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avoir un corps d’enseignants permanents qualifiés ;• Quant aux parents d’élèves, ils gagneraient à : • vérifier la performance et la réputation des établissements avant •

d’y envoyer leurs enfants ;se constituer en association des parents d’étudiants afin de •

s’impliquer dans la réforme du cadre juridique et institutionnel de la délocalisation des formations de l’enseignement supérieur.

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