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221 10- ECOLE-CULTURE OU LA DOUBLE HOMOGENEISATION DES CONNAISSANCES. EHUI Prisca Justine Institut des Sciences Anthropologiques de Développement (ISAD), Université de Cocody E-mail : [email protected] RÉSUMÉ L’école prépare les jeunes générations à participer au défi du développement de leur propre environnement, à travers des méthodes et des curricula prédéfinis. A cet effet, elle doit être capable de leur donner les moyens de s’adapter, de connaitre et de comprendre les réalités complexes de leur environnement. On comprend alors que les politiques éducatives doivent être imprégnées d’une véritable complémentarité entre la culture locale et celle de l’extérieure qui jusque là est considérée à tort ou à raison comme « supérieure » et privilégiée dans les écoles. C’est sans doute par rapport à cet état de fait que la question de la prise en compte de la culture locale dans la formation scolaire a été abordée dans le cadre de l’étude sur le thème « l’école et le futur de la Côte d’Ivoire ». Pour les acteurs du système éducatif ivoirien, la construction d’une école dynamique passe nécessairement par la prise en considération du patrimoine local, qui selon eux, est un moyen d’affirmation de soi et de construction d’une identité sociale. Mots clés : Apprenants, Culture, Contextualisation, Dialogue, Ecole, Pédagogie, syncrétisme. ABSTRACT School prepares the young generations to participate in the challenge of their own environment, through methods and predefined curricula. For that purpose, it must be able to give them the tools for adapting itself, for knowing and understanding the complex realities of their environment. We understand that education policies in Côte d’Ivoire must be soaked with a real complementarity between the local culture and that of the outside which up to there considered rightly or wrongly as “superior” and

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10- ECOLE-CULTURE OU LA DOUBLE HOMOGENEISATION DES CONNAISSANCES.

EHUI Prisca Justine

Institut des Sciences Anthropologiques de Développement (ISAD), Université de Cocody

E-mail : [email protected]

RÉSUMÉ

L’école prépare les jeunes générations à participer au défi du développement de leur propre environnement, à travers des méthodes et des curricula prédéfinis. A cet effet, elle doit être capable de leur donner les moyens de s’adapter, de connaitre et de comprendre les réalités complexes de leur environnement. On comprend alors que les politiques éducatives doivent être imprégnées d’une véritable complémentarité entre la culture locale et celle de l’extérieure qui jusque là est considérée à tort ou à raison comme « supérieure » et privilégiée dans les écoles.

C’est sans doute par rapport à cet état de fait que la question de la prise en compte de la culture locale dans la formation scolaire a été abordée dans le cadre de l’étude sur le thème « l’école et le futur de la Côte d’Ivoire ». Pour les acteurs du système éducatif ivoirien, la construction d’une école dynamique passe nécessairement par la prise en considération du patrimoine local, qui selon eux, est un moyen d’affirmation de soi et de construction d’une identité sociale.

Mots clés : Apprenants, Culture, Contextualisation, Dialogue, Ecole, Pédagogie, syncrétisme.

ABSTRACT

School prepares the young generations to participate in the challenge of their own environment, through methods and predefined curricula. For that purpose, it must be able to give them the tools for adapting itself, for knowing and understanding the complex realities of their environment. We understand that education policies in Côte d’Ivoire must be soaked with a real complementarity between the local culture and that of the outside which up to there considered rightly or wrongly as “superior” and

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privileged in schools.

It is doubtless with regard to this established fact that the question of the consideration of the local culture on the school training was approached within the framework of the study on the theme « school and the future of Côte d’Ivoire». According to the actors of educational system in Côte d’Ivoire, the construction of a dynamic school should necessarily take into consideration the local holdings, which according to them is a means of assertion one and mean of construction of a social identity.

Keywords: Learners, Culture, Contextualization, Dialogue, School, Educational methods.

I- INTRODUCTION ET PROBLEMATIQUELa vision assimilationniste de l’école coloniale (André, 2007) n’a pu

favoriser après les indépendances, la mise en place effective d’un projet scolaire en adéquation avec l’environnement culturel africain. Le choix des programmes scolaires, du medium d’enseignement, des techniques et documents pédagogiques (LMD, FPC, PPO, manuels scolaires, le français, l’anglais…) sont en majorité des modèles occidentaux, qui dans le fond, dévoilent un mimétisme doublé d’un rapport de dépendance.

Soumis à cette même situation, le système éducatif ivoirien semble être incapable de se développer un référentiel pédagogique en harmonie avec son environnement en dépit de certaines initiatives1. Dés lors, des piliers du système scolaire ivoirien notamment le medium d’enseignement demeurent sur la base d’un impérialisme culturel, qui ne contribue pas à assurer la valorisation et la pérennisation des savoirs locaux jusque-là, pratiqués et considérés par les populations comme le « ciment » de leur identité. Une telle pratique pédagogique peut avoir pour conséquences la non-efficacité du système éducatif, la compréhension superficielle des notions apprises et le découragement des apprenants (Mbemba, 2010). Dans la mesure où tout en rétrécissant leur imagination, celle-ci offre aux élèves une vision étroite qui contrarie l’esprit critique (Mgharfoui, 1999). Abondant dans le même sens et faisant référence à l’impossibilité d’utiliser le support linguistique familial, Poth (1997) affirmera que cette école fait replier l’enfant sur lui-même «dans l’attitude 1 L’édition de certains manuels scolaires adaptés à l’environnement africain tel que l’ouvrage « Mamadou et Bineta » sont des initiatives plus ou moins réussies.

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de résignation qu’on lui impose et, par voie de conséquence, elle atrophie son pouvoir d’idéation et sa curiosité naturelle» (p. 8). Pour remédier à ces dysfonctionnements, certains pays ont projeté de la rapprocher de leur milieu de vie.

Au Rwanda, la normalisation et la standardisation du Kinyarwanda par le canal de l’école (Muyankesha, 2011) ont conduit non seulement à l’intercompréhension des différents sous groupes mais aussi à sa bonne cohabitation avec le français et l’anglais dans l’enseignement et l’administration. En Guinée, les langues nationales occupent encore aujourd’hui une place importante dans la vie publique et privée des populations Diallo (1999). En effet, utilisées comme medium de l’enseignement de 1968-1984 (du primaire au supérieur), elles faisaient partie des épreuves, des examens et concours. Aussi, un diplôme d’alphabétisation dans les langues nationales était exigé à n’importe quel poste de responsabilité. Les résultats obtenus dans ces deux pays ne sont pas similaires dans les autres.

Au Burkina-Faso, l’initiation des écoles satellites et des écoles bilingues dans le but de rapprocher l’école du milieu de l’élève ont abouti à des résultats encourageants. Mais l’absence de politique linguistique claire, la réticence de la population et la méfiance de certains intellectuels vis-à-vis de cette pratique n’ont pu favoriser leur promotion (Napon, 2002). En 2001, le Projet Ecole Intégrée (PEI) est initié en Côte d’Ivoire sous le regard de l’Institut Linguistique Appliquée (ILA) avec pour objectif, l’enseignement formel de la langue maternelle de l’enfant avant le français. Sur la base des résultats2, Brou-Diallo (2011) estimera que la première langue d’enseignement devrait être la langue maternelle afin d’optimiser la réussite scolaire des enfants. Malheureusement, cette expérimentation n’a pu s’étendre au plan national.

Pour rappel, le système éducatif ivoirien est un modèle hérité de l’époque coloniale. Après l’accession à l’indépendance, plusieurs reformes éducatives ont été initiées. L’histoire de ces reformes scolaires s’étend sur la période allant de 1960 à 1980 et de 1980 à nos jours (Lanoue, 2004). Une périodisation qui s’apparente au « planning »

2 Avec l’éclatement de la guerre de 2002, seulement cinq écoles du sud ont pu terminer cette expérimentation. Malheureusement, cette expérimentation n’a pu être réalisée sur toute l’étendue du territoire en raison des difficultés surtout financières.

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des conférences d’Addis-Abeba (1961) et de Harare (1982). En effet, au lendemain des indépendances, conscients du rôle moteur de l’école dans le développement socioéconomique et dans la construction de l’unité nationale (Lange, 1990), les Etats africains décident d’élargir la scolarisation en opposition à la politique coloniale.

En Côte d’Ivoire, la première période de reforme éducative (1960-1980) est dominée par l’introduction de la télévision éducative et le vote de la loi de 1977 par l’Assemblée nationale. En effet, au début des années 70, sans aucune préparation sérieuse et nécessaire (Désalmand, 1986), les autorités ivoiriennes optent pour l’usage de la télévision éducative dans l’enseignement primaire. Mais cette innovation est abandonnée au début des années 80 sous la pression des syndicats d’enseignement au motif d’une « éducation au rabais », de son coût et de l’hostilité des parents (Ministère, 1999). Pendant cette décennie, une Commission de réforme rassemblant les principaux partenaires est constituée. Ses conclusions débouchent sur la loi de réforme de l’éducation votée par l’Assemblée Nationale en 1977. Celle-ci prévoyait des passerelles à tous les niveaux d’éducation afin d’offrir des chances d’insertion sociale à tous. Dans le fond, elle portait elle-même une intention de « décolonisation » des savoirs scolaires selon Lanoue (2004, op.cit). Cependant elle n’a pas connu d’application en raison de son coût estimé prohibitif (Odounfa, 2003).

Quant à la deuxième époque, elle débutera avec l’instauration du Probatoire3 en 1980 qui sera supprimée en 1990 suite aux grèves des étudiants (Ministère, 1999, op.cit). En 1993, la politique réformatrice de l’école ivoirienne a fait de son cheval de bataille la lutte contre la fraude scolaire. En 1994, une Concertation Nationale sur l’Ecole Ivoirienne (CNEI), regroupant les différents partenaires, élabore un rapport, qui sert de base à la réforme promulguée par la loi n˚95-696 du 7 septembre 1995 relative à l’enseignement. Cette loi réaffirme le droit à l’éducation et l’égalité de traitement de tous les Citoyens. Elle définit quatre grandes priorités dont la recherche de l’équité, la recherche de la valorisation des ressources humaines, le développement d’une culture scientifique et technologique nationale et le développement des éléments de culture qui renforcent l’ivoirité en même temps que l’universalité (Ministère, PNDEF, 1998-2010). De 1993 à 1999 en plus des réformes de fond en vue de lutter contre l’échec et la fraude scolaires, le Ministre de l’Education Nationale

3 Examen de passage en classe de Terminale.

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renforce le dispositif institutionnel (décrets, loi sur l’enseignement privé, convention avec les municipalités, la décentralisation de l’organisation des examens, l’immatriculation des élèves du secondaire…). Celles-ci seront suivies d’actions sociales avec le programme de prêt des manuels scolaires dans 75 % des localités de la Côte d’Ivoire et le développement des cantines scolaires (Odounfa, 2003).

Au regard de ces différentes expérimentations, il est claire que la Côte d’Ivoire manifeste le besoin de « construire son école ». D’ailleurs, en milieu scolaire ivoirien, l’on parlera de programmes français et de programmes ivoiriens selon les établissements. Or, en 2000 ces différentes reformes scolaires ne semblent guère donner satisfaction au ministre en charge de l’Education Nationale qui fait remarquer le 8 juin que « l’école ivoirienne est inadaptée à la société, c’est une école importée.» (Fraternité Matin, 2000).

Dans le même élan, Kouamé (2009) révèle qu’une proportion élevée des réalités décrites dans les textes sont totalement inconnues des élèves dans les manuels de français en usage dans les lycées ivoiriens. Leurs contenus étant souvent en inadéquation aux besoins de l’élève et à ses réalités quotidiennes. Sur la base de l’affirmation du ministre et des observations de Kouamé, l’on peut avancer sans risque de se tromper que l’école ivoirienne a encore soif d’un profond changement. Car comme le souligne Ki-Zerbo (2004) le développement d’un peuple ne vient pas uniquement de l’extérieur mais aussi des éléments tirés de lui-même ; d’où tout l’intérêt d’établir un cadre d’échange et de discussion pour favoriser un rapport de complémentarité entre l’école et la culture locale.

Comment une telle reforme éducative est-elle possible ? Comment doit-on procéder à la construction d’un tel modèle scolaire ? Tout projet éducatif est une construction sociohistorique (De Queiroz,

2010). Il est le résultat du mariage entre le passé et le présent, entre les valeurs matérielles et immatérielles, entre les valeurs conscientes et inconscientes, entre les valeurs morales et intellectuelles (Kamara, 2007). Son idéal se résume dans la transmission de ces valeurs pour la prévision et la construction de l’avenir. Au regard de ce qui précède, l’éducation est un programme multidimensionnel (politique, social, psychologique, biologique…) qui tire sa substance, son existence et sa

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subsistance d’un ordre chronologique regroupant le passé, le présent et le futur. Ses assises multidimensionnelles (politique, social, économique, psychologique…), chronologiques (passé, présent et futur) et dualistes (valeurs matérielles et immatérielles, théoriques et pratiques) montrent sa conformité avec la culture. Accentuant cet accord, Kamara (2007) dira que l’éducation est un autre nom de la culture.

Dans son point de vue sur le rapport école-culture, Forquin (2004) évoque la relation intime et organique qui existe entre l’éducation et la culture. Pour ce dernier « L’éducation n’est rien hors de la culture et rien sans elle. Réciproquement, c’est par et dans l’éducation que se transmet et perpétue la culture. L’éducation réalise la culture comme mémoire vivante » (p : 5). Une vision qui fait de l’éducation et de la culture deux entités unitaires, réciproques et complémentaires.

Pendant la colonisation, l’éducation scolaire est introduite en Afrique. Sa pédagogique est construite sur la base d’un système d’intervention culturelle entièrement déterminé de l’extérieur (Martin, 1971) afin de répondre à l’agenda du colonisateur (Akkari, 2008). Programmée pour la formation de moniteurs, d’instituteurs et de cadres subalternes indigènes (Mouralis, 1984), elle devint par la suite une politique d’assimilation, de formation d’automates et de diplômés aliénés. Un avis partagé par Sanou (2003) qui estime que la logique principale de l’école coloniale était non seulement liée aux intérêts politiques et économiques des colons mais aussi à l’apprivoisement en élite locale au compte de la France.

Au lendemain des indépendances, l’école est perçue comme un instrument de construction de l’unité nationale, de développement socioéconomique, de procès de socialisation et de contrôle social (Martin, 1971 ; Lange, 1990). Cette approche est par la suite réfutée par certains auteurs qui voient en elle un endoctrinement culturel (Kamara, 2007, op.cit); un processus de chosification de l’autre (Feiro, 1980) dans lequel, le sujet (le colon) imprime sa marque sur l’objet conquis (le colonisé). Quant à Ki-Zerbo (1990), il considère son adoption comme un objet de rupture avec les systèmes éducatifs endogènes. En effet, créant un fossé entre la formation reçue et les réalités communautaires (Bianchini, 2004), son application systématique et fidèle semblent enfermée les Africains dans un état d’esprit de peuple non créatif (Foaleng ; Kenmogne, 2009) ; d’où l’affirmation reprise par Ka (2010) : « L’école moderne, après avoir évincé l’initiation traditionnelle au point

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de n’en faire qu’un fait de minorité, est devenue l’instance principale et déterminante de la formation en Afrique (…).A cause de son insularité, tous ceux qui bénéficient de l’instruction offerte par l’école moderne, se trouvent coupés de leur environnement, de leurs parents, de leur classe d’âge et des schèmes de pensées traditionnelles ».

Face aux malaises provoqués par cette institution scolaire et malgré la résistance de certains bureaucrates africains pour son maintien (André, 2007), des auteurs tels que Ki-Zerbo (1990), Bianchini (2004), Foaleng et Kenmogne (2009) et bien d’autres suggèrent une école prenant en compte les ressources culturelles des communautés locales. A ce sujet, Compaoré (1997) trouve les assises de cette nouvelle école dans « la philosophie de l’éducation agricole » pour un développement socioéconomique des populations en accord avec leurs besoins quotidiens. Pendant que Poth (1997), opte pour l’entrée des langues maternelle à l’école comme une possibilité pour l’enfant de verbaliser en toute circonstance ses intérêts et sa pensée.

Si ces propositions à connotation sociolinguistique, socioéconomique et socioculturelle tentent de combler le vide creusé par le caractère monoculturel et monorationnel de l’éducation scolaire en place, la théorie interculturelle de l’éducation semble être aussi une autre paire de correction à cette politique éducative assimilationniste.

Le développement des théories sur l’éducation interculturelle trouve son appui dans plusieurs arguments dont la décolonisation, la démocratisation de la vie politique, l’internationalisation des migrations, l’émergence des minorités ethniques et culturelles en occident, la remise en cause de la mission et du contenu de l’école (Akkari, 2008 ; Mgharfoui, 1999). Contrairement à l’école classique qui fait la promotion d’une seule culture, celle-ci prend en compte les variétés culturelles et ethniques au sein de la société; d’où sa sensibilisation à la pluriculturalité et à la multiculturalité.

Fondée sur l’interaction, la réciprocité, la mutualité, le dialogue, la reconnaissance et l’échange (Rey, 1996 ; Lemaire, 2012), l’éducation interculturelle voit dans chaque spécificité culturelle une ressource pédagogique mobilisable (Gamonet, 2006). Au regard de son fonctionnement et de ses finalités, elle jouerait le rôle de « kit du dialogue culturel et de défi de l’altérité » (Sauguet, 2007) quoique sa démarche soit doublée de relations conflictuelles et pacifiques.

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En outre, Gamonet (2006) et Deproost (2005) révèlent que son ouverture à la diversité et à l’altérite la conduirait sur la même lancée que l’éducation à la citoyenneté. Elles poursuivraient alors toutes deux des objectifs de comportements et l’acquisition de valeurs telles que le respect de l’autre et la tolérance.

Les perspectives interactionnistes, altruistes, équilibristes de l’éducation interculturelle et sa ressemblance avec l’éducation à la citoyenneté est une proposition de réponse à l’impérialisme scolaire. Sa sensibilisation à la pluralité /multiplicité culturelle a contribué à la découverte et à la reconnaissance de l’autre dans sa différence. Une étape importante dans la déconstruction des préjugés, de la méfiance et du rejet de l’autre.

Loin de mettre en doute sa valeur pédagogique, Audet (2005) souligne sa partialité dans la mesure où selon elle, elle n’a pas « affaire à la culture dans son intégralité mais plutôt dans ses fragments » (p. 443). Comme alternative, certains auteurs joignent le préfixe trans à la culture pour donner naissance à la composante transculturalité, exprimant l’idée de passage et de changement (Lemaire, 2005). Pour Puren (2008), la composante transculturelle permet de retrouver sous la diversité des manifestations culturelles ce qu’Emile Durkheim appelait le fonds commun d’humanité ou valeurs universelles. Quant à De Carlos (1998), il souligne que la transculturalité en éducation signifie la nécessité d’aller au delà des particularismes culturels locaux pour privilégier la perspective universelle. Une logique éducative qui suppose le dépassement des frontières culturelles.

La présente réflexion s’inscrit dans la dimension transculturelle de l’éducation puisque le projet de contextualisation de l’école ivoirienne est moins un exercice de réciprocité culturelle que de dépassement des particularismes.

I- METHODEL’étude a été réalisée dans les villes d’Abidjan, de Bouaké, de

Korhogo, d’Abengourou, de Daloa et de Man.

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Les responsables de la politique éducative4, les gestionnaires de l’école (Directeurs régionaux; inspecteurs de l’enseignement primaire; directeurs d’écoles primaires; inspecteurs de l’enseignement secondaire; Principaux de collèges et proviseurs de lycées; Présidents et/ou Vice-présidents des universités; Directeurs et/ou Directeurs Généraux des Grandes Ecoles; Doyens et/ou Vice-Doyens des UFR), les enseignants et formateurs (Instituteurs, Professeurs de collèges et lycées, Enseignants-chercheurs et chercheurs des universités), les bénéficiaires de l’école (Elèves des classes terminales, étudiants et parents d’élève) et organisations syndicales (Syndicats d’élèves et d’étudiants, Syndicats d’enseignants du primaire, du secondaire, du supérieur et Syndicats ou organisations de parents d’élèves et d’étudiants) sont les différentes composantes de notre population d’enquête. Ces choix répondaient au souci d’approcher les acteurs et partenaires les plus significatifs de l’école ivoirienne.

Les techniques « boule de neige » et l’échantillon typique (Depelteau, 2000) ont été privilégiés dans la construction de l’échantillon. La première technique, destinée à la dimension quantitative de l’étude a consisté à demander à nos premiers informateurs (Elèves, étudiants, parents d’élèves, instituteurs, professeurs (lycée et collège) enseignants-chercheurs et chercheurs) le nom d’individus pouvant faire partie de cette enquête. Pour l’enquête qualitative, l’échantillon typique a permis de faire le choix des personnes ressources impliquées dans le fonctionnement du système éducatif. La taille de l’échantillon est 1133 enquêtés dont 1019 pour l’enquête quantitative, 71 pour l’entretien individuel et 43 pour le focus.

Les instruments de recueil de données sont le guide d’entretien et le questionnaire. Le guide d’entretien a été utilisé pour les entretiens individuels destinés aux politiques éducatives et aux gestionnaires de l’école et le focus group (composé de six personnes au moins), qui était adressé aux organisations syndicales. Quant au questionnaire, il a été adressé aux bénéficiaires de l’école et aux formateurs.

4 Ministère de l’Education Nationale et de la Formation de Base, Ministère de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle et Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique

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L’analyse des données quantitatives a été possible grâce au Logiciel SPSS5 qui a permis de faire ressortir les résultats statistiques. Avant l’usage du logiciel INVIVO6 qui a permis au codage de chaque entretien, une transcription intégrale des entrevues a été faite.

III- RESULTATS La présentation des données recueillies auprès des enquêtes sur

la prise en considération des savoirs et savoir-faire locaux respecte les dimensions quantitatives et qualitatives de l’étude.

III.1- Données quantitatives On dénombre 63,20% des parents d’élèves qui accordent une

importance à la culture et 31,60% l’estime très importante alors que 31,60% la jugent simplement importante. Ce sont 22, 60% des parents qui ne la trouvent pas très importante et ce sont 05,80% qui ne la trouvent pas du tout importante. Les étudiants dans leur majorité (66,10%) trouvent la culture importante (43,00%) ou très importante (23,10%). Pour un total de 30,70% des enquêtés, sa contribution n’est pas très importante (25,30%) ou pas du tout importante (05,40%).

Quant aux élèves de terminale, 68,20% donnent une réponse affirmative, soit 38 ,10% pour très important et 30,10% pour important. 25,50% dont (19,20%) pour pas très importante et (06,20%) pour pas du tout important. Près de deux tiers de chaque catégorie enquêtée (parents d’élèves, étudiants et élèves de terminale) est favorable à la prise en compte de la culture comme déterminante dans la construction d’une école dynamique.

5 Statistical package for Social Sciences6 INVIVO, un logiciel pour l’analyse des données qualitatives/ www.invivo.net/

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Tableau I : Réponses des bénéficiaires de l’école

Enquêtés TI1% I2% Total aff3 %

PTI4

%PDTI5

%

Total nég6%

Total %

Nbre Tl

Parents d’élève 31,60 31,60

63,2022,60 05,80

28,4091,60 180

Etudiants 23,10 43,0066,1O

25,30 05,4030,70

96,80 180

Elèves de Tle 38,10 30,10

68,2019,30 06,20

25,5093,70 178

Pour les enseignants du primaire, 63,60% sont pour l’affirmative, avec 31,60% pour très important et 31,60% pour important. 05,80% de ce corps ne croient pas du tout à l’importance de la culture et 22,60% ne la trouve pas importante.

Les enseignants du secondaire estiment à 34,20% que les savoirs et savoir faire locaux sont très importants et 43,80% importants pour une école dynamique. Soit 78% pour l’approche affirmative. Les réponses négatives représentent 15,80%, dont 14,40% pour pas très important et 01,40% pour pas du tout important.

Les enseignants du supérieur répondent à l’affirmative à 62,60%, soit 31,30% pour très important et 31,30% pour important. 32,50% de cette population ne croient pas à la participation de la culture locale dans la construction d’une école efficace. 26,50% ne la trouve pas importante et 06,00% pas du tout importante.Tableau II : Réponses des enseignants et formateurs

Enquêtés TI% I%To-tale aff%

PTI% PDTI% Total nég% Total % Nbre Tl

Primaire 31,60 31,60 63,20 22,60 05,80 28,40 91,60 180

Secondaire 34,20 43,80 78,00 14,40 01,40 15,80 93,80 165

Supérieur 31,30 31,30 62,60 26,50 06,00 32,50 95,10 98

Au regard des données quantitatives, la tendance affirmative (très important et important) est la plus soutenue. Elle évolue entre 62,20% et 78,00% et enregistre près des deux tiers de chaque catégorie d’enquêtés.

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L’approche négative qui est estimée entre 15, 80% et 32,50% concerne près du tiers de la population enquêtée.

III.2- Approche qualitative La mise en œuvre d’une politique éducative prenant en compte le

patrimoine culturel ivoirien nécessite en priorité la prise de conscience, l’expression d’une volonté de reconnaitre ces ressources comme un fondement indispensable dans la construction de l’identité nationale. Cela doit commencer par la destruction des préjugés internes et externes sur les cultures locales selon un des représentants des syndicats du supérieur : « ce qu’il faut reconnaître, c’est que l’intellectuel négro-africain est complexé, parce qu’en réalité, il ne connaît pas la contribution des négro-africains à la culture universelle, disons qu’il a eu des préjugés défavorables au négro africain suite à la colonisation, à l’esclavage, au sous-développement. Tout cela empêche les intellectuels négro-africains de déployer toutes leurs compétences pour le développement de leur nation…».

Cette démarche de prise de conscience passe nécessairement par la connaissance de la tradition ; atteste cet inspecteur de l’école ivoirienne « il faut toujours partir de la connaissance de base, apprendre par exemple ce que nous avons à Man, à Bondoukou (…) il faut apprendre à connaître notre environnement …». Son rejet pourrait être néfastes selon les dires de ce syndicaliste qui révèle que « si nous ne prenons pas en compte notre réalité de tous les jours qui est marquée par notre culture, il est évident que nous n’allons pas progresser. Il y a des fondamentaux de notre culture que nous devons découvrir et intégrer à tout ce que nous faisons : politique économique, éducation, santé ».

La connaissance et la reconnaissance des valeurs culturelles, dévoilent une aspiration à retrouver le sens de ses racines et à se construire une identité. La culture devient alors un instrument d’identité, de libération et d’indépendance. Cet avis est partagé par l’un des enquêtés en ces termes : « Moi, je pense qu’il faut mettre la culture au centre des débats de la formation et de l’éducation, parce que c’est avec la culture qu’on peut transcender les dominations. C’est le cas des pays asiatiques. Il faut une culture forte à la base ».

Ainsi, l’introduction du patrimoine local dans les programmes scolaires est inévitablement une reforme d’exploitation pédagogique théorique

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et pragmatique qui selon nos enquêtés, doit répondre à la question du comment, du quand et du qui.

Concernant le quand, un gestionnaire de l’école primaire estime qu’il faut introduire notre réalité culturelle dès le bas âge c’est-à-dire au primaire. Pour lui, L’école est devenue par essence le canal d’acquisition et de transmission des valeurs. Elle doit à partir des contenus pédagogiques véhiculer les valeurs cardinales pour le développement de la personne mais aussi promouvoir le trait-d’union des cultures telles que les alliances interethniques, la parenté à plaisanterie. Pour certains, si ces notions étaient enseignées et vulgarisées dans les établissements cela éviterait un certain nombre de conflits. Cette initiative contribuera à développer chez les apprenants une nouvelle vision car «c’est par la culture qu’on peut changer la mentalité des gens » selon l’un de nos informateurs.

Quant au comment, il aborde l’usage des langues locales, la conception d’ouvrages traitant des acquis propres, la contribution des dépositaires de la tradition et l’adaptation des programmes scolaires aux réalités socioéconomiques comme moyens de valorisation de la culture. Pour les politiques éducatives, le patrimoine linguistique est une richesse qui mérite d’être mis à la disposition des apprenants. A cet effet, les langues nationales doivent être enseignées à l’école (en fonction des régions) pour permettre à ceux-ci, d’une part, de les manier avec habilité et en connaitre les règles d’usage et, d’autre part, pour y intégrer de nouvelles connaissances afin d’établir un rapport équilibré avec le monde extérieur. Cette initiative n’est possible que si les élèves eux-mêmes s’y impliquent : « il faut que l’enfant apprenne son ethnie et qu’il passe les vacances au village. Pour que l’enfant puisse comprendre ce qu’on va lui enseigner, il faut qu’il vive son milieu » selon un responsable du ministère de l’Education Nationale.

L’enseignement de la langue doit être appuyé dans la pratique par la conception d’ouvrages qui permettent de conserver et de promouvoir les ressources culturelles. Cette tâche est une étape fondamentale parce qu’elle conduit à constituer un ensemble de documents accessibles à tous pour la sensibilisation et la formation. Tout cela est possible, si l’on associe les dépositaires des savoirs traditionnels.

A cet effet, « il faut concevoir des ouvrages qui parlent de nos cultures afin de les valoriser. Les concepteurs des programmes doivent

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introduire dans les programmes les éléments de la culture, de sorte qu’en progressant les enfants aient des connaissances sur les peuples » avance un autre responsable de l’éducation nationale.

Pour certains enquêtés, les actions éducatives en faveur du patrimoine culturel par les curricula demandent une volonté politique .A travers des questionnements, un syndicaliste du monde estudiantin fait cette sensibilisation : « La culture, c’est chanter, danser, manger, comment s’habiller etc. Est-ce qu’on a pensé à faire la toge en pagne akan, baoulé en sénoufo etc. ? Est-ce qu’on pense à prendre les képis traditionnels ou chapeau traditionnel pour en faire des chapeaux d’agrégé de l’enseignement ou chapeau de titulaire ? Est-ce qu’on a pensé à faire la promotion de nos médicaments traditionnels qui sont aussi efficaces que les médicaments chimiques vendus en pharmacie ? Il va falloir prendre ce qui peut s’adapter à nos réalités et au développement qu’on veut concevoir pour nos populations ».

L’adaptation des programmes scolaires aux réalités culturelles locales répond aussi à des considérations socioéconomiques. En effet, étant un pays agricole, les enquêtés proposent la mise en place d’une volonté politique pour que des programmes de formation agricole soient intégrés à l’école, afin que les apprenants, en sortant de là, puissent se prendre en charge et créent leurs propres activités. Surtout que selon les responsables de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, certaines écoles par le croisement des savoirs locaux et scolaires ont pu réduire la pénibilité des conditions de travail par l’amélioration des instruments de travail (daba, décortiqueuse,) des paysans et des tisserands. Ils ont aussi fait des « foyers améliorés » pour donner plus de consistance au charbon pour ainsi réduire les dépenses. Des fours solaires et des antennes paraboliques ont été aussi faits. En clair, l’inscription des acquis locaux dans les pratiques pédagogiques selon les acteurs du système, est une opportunité capitale.

IV-DISCUSSION La convergence des réponses obtenues auprès des différentes

catégories d’enquêtés tant au niveau quantitatif que qualitatif souligne l’importance de la prise en compte effective du patrimoine local (matériel et immatériel) dans la construction d’une école dynamique. En effet, il ressort que « la scolarisation » des savoirs et savoir-faire culturels ou sociopragmatiques est un support vertical dans la formation des

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235EHUI Prisca Justine(2012). Ecole-culture ou la double homogénéisation des connaissances

apprenants. Elle se perçoit d’une part comme un instrument de libération, d’affirmation, d’indépendance et d’autre part comme un passage obligé dans la construction de l’identité sociale et du développement socioéconomique.

En accord avec les conclusions des ruralistes dont Ki-Zerbo (1990 ; 2004), Bianchini (2004), Foaleng et Kenmogne (2009), Compaoré (1997), Sanou (2003), Ka-mana (2010) et Poth (1997) et des interculturalistes de l’éducation dont Mgharfoui (1999), Akkari (2008), Sauquet (2007), Abdallah-Pretceille (1999), Rey (1996), Lemaire (2012) et bien d’autres, les résultats de l’étude démontrent que la construction d’un système scolaire ivoirien en rupture avec la monoculturalité, la monorationalité, l’impérialisme culturel est d’une utilité capitale. Les avantages de cette rupture résident dans la construction d’un modèle éducatif vers une plus large intégration des différentes cultures en présence dans les programmes scolaires. Par conséquent, les politiques éducatives ivoiriennes sont invitées à s’orienter vers un processus de contextualisation des programmes scolaires dans la mesure où pour se construire « l’enfant a besoin que ses racines, sa culture soient reconnues positivement » (Gamonet, 2006 :19).

La contribution de cet article réside dans la conduite à tenir quant à la conception théorique et pratique de ce projet éducatif. Dans une allure de changement institutionnel, ce projet prône le « métissage culturel » (Pogam, 2007). Il est l’engendrement d’une réalité nouvelle née d’une communication sélective et consensuelle qui selon Mbemba, (2010) implique les réalités culturelles sociales, techniques et linguistiques du milieu de l’apprenant avec l’ouverture obligée sur le monde extérieur. Pour le cas ivoirien, cette expérimentation éducative débute par la construction de connaissances trans-ethniques/ transculturelles pour déboucher sur un dialogue culturo-culturel ; d’où le choix de la thèse transculturelle de l’éducation pour le dépassement des frontières culturelles (De Carlos, 1998).

De la construction de connaissances trans-ethniques…La promotion de l’éducation scolaire en Côte d’Ivoire a contribué à

la mise en veilleuse des systèmes éducatifs préexistants (traditionnels). Dorénavant l’école devient le lieu privilégié pour former, transmettre et développer la capacité de compréhension et de connaissance de la

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jeune génération. Il est donc opportun de la saisir comme une plate-forme de rencontre et d’échange de multiples cultures et un moyen de canalisation de la diversité ethnique constante pour la construction de connaissances trans-culturelles (trans-ethniques) après une étape interculturelle.

La première étape consiste à identifier, à connaitre et à visiter chaque ordre culturel afin de nommer les valeurs, s’assurer de leur compréhension, de leur manipulation, de leur utilité et les présenter sous forme d’une constellation sous le contrôle d’un esprit critique. Dans ce contexte, il faut prendre toutes les dispositions pour que le patrimoine culturel de différentes ethnies en présence soit mis sur un pied d’égalité, afin de mieux répertorier les similitudes et les dissemblances dans l’objectif d’élaborer les programmes pédagogiques.

Par des analyses minutieuses, sur la base de compromis et de concessions réciproques, les éléments retenus des différentes cultures doivent être combinés de sorte à donner naissance à un produit syncrétique que nous nommons le syncrétisme du premier degré ou métissage du dedans. Cette harmonisation culturelle interne qui conduit à la construction de connaissances trans-ethniques se développe dans le double champ de la théorie et de la pratique et se situe à la jonction de plusieurs champs disciplinaires, dont l’anthropologie (dans ses dimensions ethnologiques et ethnographiques), la sociologie, la sociolinguistique, l’histoire, la psychopédagogie, etc.

A la rencontre culturo-culturelle.Une fois les pratiques traditionnelles encore en usage dans les

différentes aires culturelles ivoiriennes susceptibles d’exploitation pédagogique et scientifique sont compilées pour donner naissance à un corpus de connaissances transmissibles, le dialogue école-culture, peut être enclenché.

Selon Durkheim (1922) l’étude historique de formations et de développement des systèmes d’éducation montre leur dépendance à la religion, à la politique, au degré de développement des sciences, de l’état de l’industrie, etc. En d’autres termes, toute forme d’éducation est un construit, un exercice cognitif qui tire ses propriétés du vécu des hommes ; d’où sa fonction de « transmission culturelle » selon Forquin (2004). A cet effet, l’éducation scolaire est la transmission de la

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culture occidentale du moins de la culture française au peuple ivoirien. Egalement, le rapport école-culture n’est autre qu’une rencontre franco-ivoirienne du point de vue culturelle

La communication entre ces deux cultures par l’entremise de l’école (en tant qu’espace géographique) est un exercice minutieux de « déconstruction » et de « reconstruction », de « déstructuration » et de « restructuration » culturelle qui, tout en prenant en compte les éléments ou les séquences des deux cultures en présence, aboutira à ce que nous appelons le syncrétisme culturel du second degré ou la rencontre du dedans métissé et du dehors. La contextualisation des programmes répond au souci de préserver l’identité culturelle ivoirienne (construite à partir des différences et des ressemblances des identités ethniques) et de célébrer le mariage entre le gain et le don, entre l’endogène et l’exogène afin de transférer des compétences plus actives et bénéfiques à l’apprenant. Car, comme le souligne ce responsable du Ministère de l’Education Nationale, « On va à l’école pour acquérir des compétences, des capacités utiles permettant de transformer l’environnement. L’école doit donc faire la promotion de savoirs utiles , utilisables sinon elle devient un lieu où on va pour avoir des diplômes qui ne servent à rien parce que dans la formation on n’a pas prévu de transférer ce qu’on a appris à l’école. La compétence, c’est transférer ce qu’on a appris à l’école pour résoudre les problèmes auxquels le citoyen ou l’élève est confronté dans sa vie quotidienne.».

CONCLUSION Au regard de notre analyse, la contextualisation de l’école ivoirienne

répond à une double homogénéisation des connaissances en présence. Ce travail propose en réalité un modèle transculturel éducatif qui s’opère en deux articulations. La première s’appuie sur un programme d’harmonisation culturelle interne pour la construction des connaissances trans-ethniques (ce qui passe nécessaire par la reconnaissance et la connaissance des différentes matrices culturelles en présence) au niveau théorique et pratiques. Quant à la deuxième, elle est le lieu de rencontre du dedans métissé (les résultats du premier exercice ou cultures universelles à l’ivoirienne) et du dehors (programmes déjà existants dans nos écoles).

Les différentes cultures en présence doit être prise en compte dans leur intégralité pour la construction d’un système éducatif « transculturel

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et contextualisé ». Ce qui permettra d’une part, de réagir contre l’impérialisme culturel dont souffrent déjà nos écoles et d’autre part, de contribuer à une meilleure convertibilité du capital scolaire des apprenants pour le développement de leur environnement.

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(Footnotes)1 Très Important2 Important3 Affirmative (réponse)4 Pas Très Important5 Pas Du Tout Important6 Negative (réponse)