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    Dorval Brunelle et Christian DeblockCahiers de recherche sociologique, vol. 6, n 1, 1988, p. 63-78.

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    DOI: 10.7202/1002039ar

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    Le Canada, les tats-Unis, le Mexique et la continentalisation de lconomie nord-

    amricaine

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    Cahiers de recherche sociologique, vol. 6, no 1, printemps 1988

    Le Canada, les tats-Unis, leMexique et la continentalisationde rconomie nord-amricaine

    Dorval BRUNELLE et Christian DEBLOCK

    La notion de continentalisation, telle qu'elle sera utilise dans cespages, vise rendre compte et cerner deux processus interrelis: lepremier, et le plus dterminant sans doute, renvoie la reconfigurationd'une structure industrielle transnationale l'intrieur de l'espacecontinental, tandis que le second reflte la multiplication et

    l'intensification des relations d'change entre les pays impliqus.Ainsi dfinie, l'expression n'est pas originale puisque les auteurs

    ont depuis toujours soulign la complmentarit conomique, politiqueet sociale qui caractrise les rapports entre les tats-Unis et le Canada.Ce qui est relativement nouveau, par contre, c'est l'ide d'adjoindredsormais le Mexique aux deux autres pays et d'envisager maintenant le

    phnomne de la consolidation d'un espace conomique et social nord-amricain sous un jour diffrent, c'est--dire en ouvrant le cadrethorique de faon tenir compte de l'volution des trois socitsimpliques.

    Cet ajout pose un dfi l'analyse, puisqu'il ne s'agit pas seulementd'intgrer des dmarches prouves le rseau des changes que leMexique entretient avec les tats-Unis et le Canada, il s'agit d'abord etavant tout cette occasion de prendre acte de la nature asymtrique de la

    position occupe par le Mexique au sein de l'espace en question. Si le

    Canada et les tats-Unis comptent parmi les pays les plus dvelopps,par contre le Mexique appartient au Tiers-Monde: au surplus sonhistoire, ses grandes idologies et ses implications socio-politiques lerapprochent davantage de l'Amrique latine que de l'Amrique anglo-saxonne. Toute la question est alors de savoir s'il y a quelquefondement vouloir rassembler des cadres socio-conomiques aussidivers autourd'une unit qui n'aurait d'assise que gographique.

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    64 L'conomie mondiale en mutation

    Schmatiquement, deux faons de procders'offrent nous ici: onpeut soit chercher reprer les causes de l'mergence d'une conomiepolitique du continentalisme au sein de l'espace en question, soit valuerque certaines transformations internes au Mexique et aux tats-Unisnous obligent dsormais devoir largir l'acception du terme.

    Selon la premire dmarche, on pourra relever, entre autres choses,que l'volution rcente de l'conomie mondiale a conduit la formation

    de grands blocs go-conomiques, au premier rang desquels figure leMarch commun europen, que l'activit industrielle et commerciales'est redploye du ct de la bordure de l'Ocan Pacifique et que, enconsquence, les tats-Unis, le Canada tout comme le Mexique seraientdsormais tous trois partie prenante face aux contraintes qui militent enfaveurde la formation d'un bloc conomique nord-amricain. A l'appuide cette thse, il faudrait relever l'importance prmonitoire que prendl'engagement souscrit par le prsident Reagan lors de sa campagnelectorale de l't 1980, de vouloir mener concurremment desngociations de libre-change aussi bien avec le Canada au nord, qu'avecle Mexique, au sud. Les deux sries de ngociations ont ensuite tmises en marche respectivement en mars 1985 avec le Canada et enseptembre de la mme anne avec le Mexique. Surce front, sa politiqueaura t couronne de succs puisque deux accords ont effectivement tsigns, le premier avec le Mexique le 7 novembre 19871, l'autre avec leCanada, le 2 janvier 1988, qui jettent tous deux les bases d'une entitqui s'impose dornavant comme un nouveau bloc conomique aux yeux

    des autres puissances, dont le Japon, en particulier2

    .Pourtant, quel que soit le poids des contraintes internationales dans

    l'ventuelle consolidation d'un bloc conomique nord-amricain, il ne

    1 W. A. Orme, jr., "U.S., Mexico Sign Trade Pact Requiring Talks onConflict", The Washington Post, 1 novembre 1987, p. D 8. Mme sil'accord, aux dires du reprsentant au commerce, C. Yeutter, est plusmodeste que ceux que les tats-Unis ont signs ou s'apprtent le faire

    avec Isral et avec le Canada, il participe du mme esprit et doit leurtre compar.Au surplus, l'accord avec le Mexique prvoit que les ngociations entreles deux partenaires sont ouvertes et qu'ils disposent de 90 jours pours'entendre autour de sept questions en litige, savoir: les textiles,l'agriculture, l'acier, les produits lectroniques, l'investissement tranger,la proprit intellectuelle et les industries des services.2 "North-America vs. Japan?", International Herald Tribune, 12 janvier1988, p. 4.

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    La continentalisation 65

    faudrait pas tre conduit minimiser le poids des contraintes infra-continentales pour autant. Le continentalisme a t une des picesmatresses dans la stratgie reaganienne de reconqute des marchsd'exportation; durant le deuxime mandat surtout, les dclarations deReagan, de son secrtaire d'tat adjoint aux Affaires interamricaines,Elliot Abrams, ou celles du reprsentant au commerce, Clayton K.Yeutter, se sont faites de plus en plus prcises et convaincantes sur laquestion de l'accroissement de l'interdpendance entre les tats-Unis, le

    Mexique et le Canada3

    .Pour les industriels amricains, l'enjeu est de taille: non seulement

    l'ouverture des frontires largit le bassin des consommateurs ventuelsde l'ordre de quelque cent millions, mais surtout elle permet de rduire leniveau actuel de sous-utilisation de la capacit productive des entreprisesdomestiques. A terme, bien sr, une telle voie de dveloppement peuts'avrersans issue si elle conduit viter d'aborder le problme pos parle renouvellement d'un appareil productifmenac par l'obsolescence.

    Alors, dans la mesure o la question de savoir s'il faut ou nonrecourir l'adoption de politiques industrielles aux tats-Unis polariseles options et les esprits4, l'ouverture du march continentalconstituerait une rponse exemplaire puisqu'elle correspond d'abord etavant tout aux canons du libralisme le plus pur dfendu par la Maison-Blanche d'une part, qu'elle quivaut contourner le problme del'adoption d'une politique industrielle ensuite en le soumettant

    dsormais aux exigences de ce march continental de l'autre.

    Au surplus, les deux autres partenaires, le Mexique et le Canada,sont galement sensibles l'volution des conjonctures internationale etnationale, avec le rsultat que, l aussi, l'option continentale gagne encrdibilit ainsi que peuvent en tmoigner les accords commerciauxrcents signs avec les tats-Unis, en mme temps que les fortscourants d'opinion favorables aux alternatives dites "no-librales" sur

    lesquels ces ralignements stratgiques se sont appuys

    5

    .

    3 "Crece la interdependencia de Mexico, E.U. y Canada: Abrams",Finanzas, Mexico, D.F., 5 juin 1987, la une. Ou encore: "Mexican-U.S. Trade Talks", The New York Times, 28 octobre 1987, p. D.7.4 J.-M. Saussois, "Les USA la recherche d'une politique industrielle",

    Revue franaise de gestion, no 46, juin-juillet-aot 1984, pp. 61-69.5 Pour le Canada, la pice matresse de ce ralignement est le Rapport de

    la Commission royale sur l'union conomique et les perspectives de

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    Ces quelques indications font rapidement le tour des facteurs quiont prsid l'mergence d'une conomie politique du continentalisme.Mais il subsiste un autre rseau de causes lies plus spcifiquement des transformations intervenues de part et d'autre de la frontireamricano-mexicaine, en particulier.

    Nous faisons rfrence ici plusieurs phnomnes commel'migration lgale et illgale des Mexicains en territoire amricain et

    aux entreprises de sous-traitance maquila qui ont refaonnl'conomie frontalire depuis quelques annes. Or, dans la perspectived'une ouverture des trois socits impliques, ces transformations

    pourraient s'avrer lourdes de consquence dans le processus deredploiement conomique en cours en Amrique du Nord. Et mme leCanada pourrait s'avrer touch par cette restructuration depuis quecertains conseillers en investissements proposent dsormais d'engagerdes capitaux canadiens dans l'exploitation d'une main-d'oeuvre mexicaine bon march6.

    Ces deux ordres de facteurs, les premiers relevant d'une conomiepolitique, les seconds de stratgies ponctuelles d'investissement, ne sontvidemment pas tanches; ils se compltent et s'additionnent aucontraire et nous autorisent avoir recours une notion decontinentalisation qui devrait tenir compte de l'volution parallle des

    phnomnes d'intgration conomique l'intrieurd'une Amrique duNord qui rassemble les tats-Unis, le Mexique et le Canada.

    En un sens, la continentalisation reflte l'ouverture progressive desconomies nationales depuis la Deuxime Guerre et participe de ce quel'on a appel parfois la tri-polarisation de l'conomie capitaliste7. Dansun autre sens cependant, ce dploiement l'intrieur du continent nord-amricain revt des caractristiques spcifiques inscrites dans l'histoirepropre chacun des trois pays impliqus, de mme que dans les

    dveloppement du Canada, Ottawa, 1985. Au sujet de la situationmexicaine, on pourra se rfrer R. Villarreal, La Contrarrevolucinmonetarista. Teora, Poltica Econmica e Ideologa del Neoliberalismo,Mexico, Ediciones Ocano, S.A., 4e dition, 1984.6 F. Blaser, "'Canadian Business Missing Out on Mexico", FinancialPost, 25 mai 1987, p. 8.7 E. H. Preeg, Economie Blocs and U.S. Foreign Policy, Washington,D.C., National Planning Association, 1974.

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    relations bilatrales entretenues par les tats-Unis avec le Mexique, parles tats-Unis avec le Canada.

    Pour ce qui concerne les tats-Unis, le Canada et le Mexique, lesprincipales caractristiques de la continentalisation sont: premirement,que le continent nord-amricain abrite la premire puissance conomiquedu monde; deuximement, que le Canada et le Mexique constituent pourles tats-Unis les deux sources majeures d'approvisionnement en

    matires premires; troisimement, que les ensembles conomiquescanado-amricain et mexicano-amricain comptent parmi les relationscommerciales les plus importantes et, quatrimement, que le Mexiqueappartient auTiers-Monde.

    Afin d'avancer dans l'tude et de prparer un approfondissementventuel des nombreux processus que l'expression est susceptible derecouvrir, nous tudierons quelques facteurs ou lments qui justifientd'inclure dsormais le Mexique dans le processus d'intgrationconomique l'chelle continentale, partird'unemise en parallle desconomies politiques mexicaine et canadienne durant les annes 1970.

    1 Le bloc conomique canado-amricain

    Tout au long de la deuxime moiti du XIXe sicle jusqu' laDeuxime Guerre, les relations d'change du Canada et des tats-Unis se

    sont inscrites l'intrieur de ce qu'un historien canadien a appel le"triangle de l'Atlantique-Nord8". cet gard, aussi bien l'Angleterre, lestats-Unis, que le Canada forment des puissances atlantiques, toutcomme le Mexique d'ailleurs.

    Cependant cette interrelation s'est effrite sous la pousse de troiscauses: premirement, l'effondrement de l'Empire britannique;deuximement, la monte de la puissance amricaine et, troisimement,la formation du March commun la fin des annes 1950.

    Du ct canadien, tout au long de cette priode cruciale qui courtdepuis la signature du Trait de Rome en 1957, qui cre l'Europe desSix, et l'entre de la Grande-Bretagne dans le March commun seize

    8J. Bartlet Brebner, North Atlantic Triangle. The Interplay of Canada

    the United States and Great Britain, (1945), Toronto, McClelland andStewart, 1966.

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    annes plus tard, en 1973, plusieurs formules d'institutionnalisation deschanges l'intrieur de ce "triangle" ont t proposes, depuis lacration d'un North-Atlantic Free Trade Association 9 entre le Canada,l'Angleterre et les tats-Unis, jusqu' l'adhsion pure et simple duCanada au March commun10.

    Quoi qu'il en soit, la solution qui a prvalu est celle qui a conduitla Grande-Bretagne se joindre au March commun et briser le"triangle", avec le rsultat que les changes transatlantiques crotront

    beaucoup plus lentement par la suite que les changes canado-amricains. Paralllement, les changes commerciaux du Canada et destats-Unis avec les pays de la bordure du Pacifique, dont le Japon,connatront une progression constante, ce qui contribuera galement les isoler davantage de l'Europe.

    Si l'on ajoute ce premier facteur, la menace que l'extension d'unbloc conomique europen fait peser sur la croissance de l'conomie

    canado-amricaine, on aura en mains les principaux lmentssusceptibles d'expliquer le recours une stratgie de continentalisationde la part des deux pays impliqus.

    Parmi les facteurs internes qui ont accru la continentalisation, ilimporte de retenir la question de l'approvisionnement de l'industrieamricaine. On peut d'ailleurs faire remonterau dbut des annes 1950les premires conceptualisations d'un espace conomique nord-amricain. Au sortir de la Deuxime Guerre, les tats-Unis ont tablileur hgmonie sur le monde "libre", tout en approfondissant leurirrmdiable opposition face l'URSS. La guerre de Core, dclencheen juin 1950, va exacerber la fois la prcarit de leur conomie etrendre encore plus dterminant le rle de leader que les tats-Unisexercent dans le soutien au capitalisme l'chelle du monde. Pour

    pouvoir soutenir leur rle international, les Amricains doivent alorsaccrotre leur capacit industrielle sur leur propre sol. Dans lescirconstances cres par la guerre de Core o rien n'exclut que le conflit

    ne conduise au dclenchement d'une troisime guerre mondiale, leproblme de l'approvisionnement de l'industrie amricaine en richessesnaturelles conduit le prsident Truman nommer une commissiond'enqute qui se voit confier le mandat d'isoler, de reprer et de proposer

    9 H. G. Johnson, The Canadian Quandary, Toronto, McClelland andStewart, 1977, pp. III-X.10

    Resources for Tomorrow, Ottawa, 1962, vol. 3, p. 405.

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    des modalits d'accs aux principales ressources naturellesindispensables au maintien de la croissance de l'industrie amricaine. Lerapport Paley, intitul Resources for Freedom, est publi en 1952 Washington. Des 29 produits cls rpertoris par la commission, leCanada est identifi comme source majeure d'approvisionnement pour12 d'entre eux11.

    Au surplus, il apparat alors clairement aux Amricains que le

    ravitaillement par l'intrieur du continent s'avrerait scuritaire etprfrable un transit par voie de mer qui serait facilement accessibleaux sous-marins ennemis. C'est pourquoi le rapport Paley recommandela construction d'un ouvrage d'infrastructure majeur, la Voie maritimedu Saint-Laurent. Paracheve en 1959, cette voie de navigation permetdsormais d'approvisionner directement depuis Sept-Iles, situe l'embouchure du golfe Saint-Laurent, les usinesriverainesdes grandslacs sises en plein coeur du continent nord-amricain.

    Ce profond ramnagement infra-structurel va contribuer concentrer et accrotre la capacit industrielle des tats-Unis et duCanada dans ce que l'on a appel le heartlandcanado-amricain. En1965, cette zone industrielle bnficiera d'un accord de libre-changesectoriel important touchant la production automobile, auquel on adonn le nom dePacte de l'auto.

    L'un dans l'autre, facteurs externes et facteurs internes

    s'additionnent pour accrotre l'intgration conomique entre les tats-Unis et le Canada, intgration qui touche non seulement les dimensionsconomiques, politiques et stratgiques, mais galement, les formesculturelles de la vie sociale canadienne.

    2 Le Mexique et la continentalisation

    Durant l'aprs-guerre, l'instar de l'conomie canadienne,l'conomie mexicaine voit sa dpendance vis--vis des tats-Unis crotrealors que ses relations commerciales avec ses anciens partenaires dontl'Angleterre, l'Allemagne et la France perdent de leur importancerelative. Paralllement, au dbut des annes 1980, les changes avec le

    11 H. Aitken, American Capital and Canadian Resources, Cambridge,Harvard University Press, 1961, p. 84.

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    Japon occuperont le deuxime rang, aprs ceux que le Mexiqueentretient avec les tats-Unis.

    Entre 1940 et 1960, l'conomie mexicaine a connu un des taux decroissance les plus levs du monde, un phnomne que les auteurs ontqualifi de "miracle mexicain". Avec un taux dcennal de 79,7%, leMexique n'est dpass que par l'Allemagne de l'Ouest et le Japon, et se

    place devant les Etats-Unis avec 48,7%, le Canada avec 58,3%, l'URSS

    avec 52,1% ou l'Amrique latine dans son ensemble avec 55,2%

    12

    .Si ces chiffres refltent l'efficacit des mesures de croissance

    implantes au cours de ces dcennies, il faut reconnatre cependant queles mcanismes de distribution se sont avrs impuissants enrayerl'appauvrissement puisque, entre 1950 et 1969, la part du revenu total

    perue par la moiti infrieure des familles mexicaines diminuait de19% 15% tandis que les 20% les plus riches voyaient la leur passer de60%64%13.

    Ainsi, malgr une performance conomique exceptionnelle et lalente transformation d'une conomie agraire en un capitalisme industrielmoderne alors que le pourcentage de la main-d'oeuvre occupe dansl'agriculture tombe de 68% 41%, le Mexique est toujours aux prisesavec le genre d'conomie duale qui caractrise les autres pays d'Amriquelatine14.

    L'industrialisation du Mexique, l'instar de celle du Canada, futfinance grce l'investissement tranger, avec le rsultat que la balancedes paiements est systmatiquement dficitaire, un processus qui accrotla dette externe. Or, tant donn que, en 1970, 60% du commerceextrieur est engag avec les tats-Unis, tant donn galement que lesinvestisseurs amricains accaparent 79% de l'investissement trangertotal, il rsulte que l'conomie mexicaine dpend, dans une mesure quin'est pas sans rappeler le cas canadien encore une fois, de celle des tats-Unis. Mais toute comparaison s'arrte ici puisque le Mexique

    1 2R. D. Hansen, La poltica del desarrollo mexicano, Mexico, Siglo

    XXI, 5e dition 1974, pp. 7-11, o l'auteur reprend les rsultats destudes de Simon Kuznets.13 C. Boucher, "Le Mexique et la leon du ptrole", Les Cahiers dusocialisme, no 10-11, automne 1982, p. 341.14 F. Carmona, G. Montano, J. Carrion et A. Aguilar M., El milagromexicano, Mexico, Editorial Nuestro Tiempo, 4e dition, 1974.

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    appartient bel et bien au Tiers-Monde15. Contrairement au Canadad'ailleurs, le dveloppement du Mexique tout au long de l'aprs-guerre et

    jusqu' l'aube des annes 1970 crot essentiellement l'ombre duprotectionnisme, un protectionnisme qui conduit le gouvernement maintenir ses distances vis--vis du GATT, en particulier, auquel iln'ahrera que le 24 aot 1986.

    3 Les mesures Nixon du 15 aot 1971

    Si toute comparaison entre le Canada et le Mexique pouvaits'avrerhasardeuse jusqu'ici, il faudrait au moins relever quel pointl'attitude des deux gouvernements devant l'imposition unilatrale desmesures du prsident Nixon le 15 aot 1971 a t analogue. Aussi bienau Canada qu'au Mexique, les autorits ont cherch ngocier un statutd'exception partird'une "relation privilgie" prtendument entretenue

    par les Amricains avec leurs partenaires. Tous deux ont chou et, fait

    plus significatif encore, tous deux ont procd desserrer l'emprise queles tats-Unis exeraient sur leurs changes commerciaux et leursinvestissements en ayant recours la diversification d'une part, eninstituant une forme ou une autre de contrle sur les investissementstrangers de l'autre.

    Le Canada met sur pied son Agence d'examen des investissementstrangers l'anne mme o le Mexique adopte sa loi pour promouvoir

    l'investissement mexicain et contrler l'investissement tranger, le 9fvrier 197316. Et, tout comme il s'agit, pour le Canada, de mettre enapplication un processus de canadianisation de l'conomie, le Mexiquese propose de "mexicaniser" ses entreprises et ses investissements.

    Quant la dpendance commerciale vis--vis des tats-Unis, leMexique et le Canada envisagent paralllement de se lancer dans unevaste offensive visant diversifier leurs changes, c'est--dire desubstituer le multilatralisme au bilatralisme de fait qui prvalaitantrieurement. Au Canada, cette redfinition a pris le nom de

    15 Ce que refltent au mieux les PNB par habitant qui s'lventrespectivement 2 080$ au Mexique, 13 680$ au Canada et 16 690$ auxtats-Unis, pour Tanne 1987.16 J. Z. Vazguez et L. Meyer, Mxico frente a Estados Unidos. Unensayo histrico, 1776-19801 Mexico, El Colegio de Mxico, 1982,

    p.217.

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    "troisime option" compter de 1972, au Mexique, il s'est agi, sous laprsidence de Luiz Echeverra (1970-1976), de mettre en place ce qu'unauteura appel une "nouvelle politique extrieure"17. On peut d'ailleursprendre une mesure de l'ambition du projet mexicain la seulenumration de quelques initiatives, parmi lesquelles nous pouvonsretenir le projet de Charte des droits et devoirs conomiques des tatsqui devait tre approuv par l'Assemble gnrale des Nations-Unies le12 dcembre 1974 et la mise sur pied du Systme conomique del'Amrique latine (SELA) auquel ont adhr les vingt-cinq pays latino-amricains la mme anne18.

    Alors que le Mexique s'tait, par tradition et vocation, confin dansun rle plutt passif en matire internationale, nous le voyonsdsormais prendre les devants et assumeren quelques occasions celui deleader du Tiers-Monde, ainsi qu'en tmoignent le projet de Charte quireoit l'aval de la trs grande majorit des pays, mais auquel s'opposentles puissances industrialises, ou encore cet autre projet de mettre sur

    pied un Systme pour le dveloppement du Tiers-Monde19

    .

    Ces initiatives mettent en lumire les difficults et les paradoxesde la croissance conomique mexicaine. En effet, la dpendanceconomique du Mexique l'gard destats-Unis le dtourne d'un marchpotentiel norme avec les autres pays d'Amrique latine et des Carabes,tandis que sa dpendance politique l'empchait de faire contrepoids l'omniprsence des tats-Unis dans ces rgions. Ainsi, toutes sesinitiatives comme la reconnaissance de Cuba ds le dbut des annes1960, les liens troits entretenus avec le Chili de S. Allende de 1970

    17M. Ojeda, Alcances y limites de la poltica exterior de Mxico,

    Mexico, El Colegio de Mxico, 1984, p. 188 et suiv.18 L e SyStme en question a t calqu sur l'Organisation des paysexportateurs de ptrole au moment o celle-ci avait pu renverser en faveurde ses membres les termes d'changes qui auparavant n'avantageaient queles pays importateurs dvelopps.

    Le problme, dans le cadre du SELA, c'est qu'il s'agit de prendre encompte plusieurs produits fort disparates dont certains occupent une placestratgique dans les filires de production, comme le cuivre, le soufre oule fer, tandis que, pour plusieurs autres, il s'agit de produits deconsommation dont l'offre est excessive, comme le caf, le sucre, lecoton ou le cacao. Dans de telles conditions, malgr la parent detactique entre l'OPEP et le SELA, la porte de celui-ci est fort limite.Voir M. Ojeda, op.cit., pp. 190-191.19

    Idem, p. 191.

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    La continentalisation 73

    1973 et, plus rcemment, la reconnaissance de la lgitimit de larvolution au Nicaragua, entre autres, ont contribu placer la politiquemexicaine en porte--faux j)ar rapport celle dfendue par la Maison-Blanche et le Congrs des Etats-Unis.

    Dans ces conditions, l'enjeu de la formalisation d'une intgrationcontinentale revt pour les Amricains une importance stratgiquedterminante si ce rapprochement devait du mme coup saper les basesde la position eminente occupe par le Mexique vis--vis du reste del'Amrique latine et du Tiers-Monde dans son ensemble.

    Cependant, l'instar du Canada encore une fois, malgr lesmesures imposes et les efforts consentis, le Mexique devait seretrouver, en fin de compte, encore plus dpendant des tats-Unis qu'ilne l'tait sous la prsidence de Gustavo Diaz Ordaz (1964-1970). Eneffet,

    "alors que le commerce extrieur du Mexique avec les tats-Unisen 1969 comptait pour66,3% du total, etqu'il devait diminuer59,4% en 1974, ce ne futqu'un phnomne passager, puisqu' la

    fin de la dcennie il tait remont 66% "20.

    4 L'conomie frontalire

    Ce que nous avons rapidement pass en revue permet de faireressortir quelques homologies entre les cas mexicain et canadien, au-delde l'asymtrie des relations entretenues par chacun avec les tats-Unis.A cet gard, l'enjeu de la relation entre les tats-Unis et le Mexique est

    beaucoup plus primordial et dlicat, pour les tats-Unis, que ne peutl'tre l'enjeu de la relation entretenue avec le Canada, compte tenu duniveau d'intgration atteint entre les deux partenaires.

    En effet, si l'une et l'autre situation peuvent se rclamerd'une

    asymtrie, le fait que le Mexique appartienne au Tiers-Monde d'une part,qu'il y assume un rle de leader de l'autre, confre la relation un sensradicalement diffrent de celle que les tats-Unis et le Canada ont nouetout au long des dernires dcennies surtout. cet gard, nul neconteste que le Canada appartient au groupe des pays les plusdvelopps, ainsi que peut en tmoigner sa participation aux sommets

    J.Z. Vzquez et L. Meyer, op.cit., p. 214.

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    74 L'conomie mondiale en mutation

    conomiques des Sept ou, plus simplement, ses prises de position enfaveur des pays nantis contre les pays du Tiers-Monde en plus d'uneoccasion.

    Afin de bien marquer cette asymtrie, quelques rappels autour desproblmes poss par l'conomie frontalire au Mexique pourraients'avrer probants.

    La frontire entre le Mexique et les tats-Unis a fait l'objet deplusieurs conflits arms entre les deux pays tout au long du XIXesicle. Aujourd'hui dlimite sur une importante partie de son parcours

    par le Rio Bravo le Rio Grande pour les Amricains cettefrontire a connu ces rcentes annes de profonds bouleversements dontles plus importants ont t sur le plan conomique, la mise sur piedd'un programme de maquiladora , c'est--dire de sous-traitrance et, sur le

    plan dmographique, une explosion qui a multipli par vingt enquarante ans la population de villes frontalires comme Tijuana,

    Mexicali, Ciudad Jurez, Nuevo Laredo ou Matamoros.

    La question migratoire a depuis longtemps pos un problmepineux pour les autorits amricaines: tandis que l'offre d'une main-d'oeuvre bon march semblait certains entrepreneurs trop intressante

    pour tre refuse, l'influx de manoeuvres devait quand mme trerglement comme ce fut le cas pour le programme des braceros quiavait t mis au point en 1942 alors que les tats-Unis avaient un

    pressant besoin de travailleurs pour soutenir leur effort de guerre.Quand le programme a t aboli en 1964, le gouvernement mexicain aeu recours la formule de la sous-traitance afin d'offrir du travail unemain-d'oeuvre qui ne trouvait plus s'employer aussi aisment auxtats-Unis.

    Il y avait dj plus de 680 maquilas qui employaient 290 000travailleurs en 1985 et les prvisions situent leur nombre un millionde travailleurs en 199021. Entre-temps, la question migratoire n'anullement t rgle pour autant puisque l'on value l'heure actuelle

    plus d'un million par anne le nombre des entres illgales detravailleurs mexicains aux tats-Unis et ce malgr l'assouplissement

    21 F. Blaser, op. cit. Voir aussi B. O'Reilly, "Business Makes a Runfor the Border", Fortune, 18 aot 1986, pp. 70-76.

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    dans les conditions d'accs au statut de "document", par opposition celui de "non document" los indocumentados 22.

    Par ailleurs, la frontire amricano-mexicaine connat un va-et-vient annuel de 60 millions d'Amricains. L'un dans l'autre, cesfluxde

    biens, de main-d'uvre et de touristes ont transform l'conomie du norddu Mexique en une zone aux caractristiques propres, trs influence parles modes amricaines, une zone qui pourrait ventuellement se

    disjoindre du reste du pays ou, tout le moins, poser aux autoritscentrales des dfis indits.

    Conclusion

    Depuis le dbut des annes 1980, la continentalisation de l'espacenord-amricain est un processus conomique qui touche aussi bien lestats-Unis et le Canada que le Mexique.

    Un ventuel libre-change tendu l'espace continental serviraitdeux fins: premirement, accrotre et resserrerles liens entre les trois

    partenaires en faisant bnficier l'conomie continentale d'importantesconomies d'chelle; deuximement, accrotre et resserrerle contrledes tats-Unis sur les politiques de dveloppement national de ses deuxautres partenaires, tant entendu que l'enjeu gopolitique est beaucoup

    plus dlicat pour le Mexique qui occupe par moment le rle de leader

    face aux autres pays d'Amrique latine. l'heure actuelle, les modalits de la continentalisation sont

    essentiellement dictes par les besoins de croissance de l'conomieamricaine elle-mme, de telle sorte que les ventuelles contraintes de laspcialisation devraient tre assumes parles deux partenaires plutt que

    par les tats-Unis. Dans ces conditions, il apparat indispensable dedistinguer, au niveau thorique, entre une continentalisation entenduecomme redploiement et relocalisation de l'activit industrielle l'chelle du continent de l'Amrique du Nord, de la continentalisationentendue comme stratgie propre une conomie politique tatsunienned'inspiration "reaganienne" qui verrait dans l'accroissement du contrlesur les politiques nationales de ses partenaires, un mcanisme visant

    prolonger ou tendre le pouvoir conomique des tats-Unis sur les

    2 2 A. Riding, Distant Neighbors. A Portrait of the Mexicans, New York,Vintage Books, 1986, pp. 478-483.

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    politiques de dveloppement au Mexique et au Canada. Selon cettedernire interprtation, la continentalisation caractriserait la stratgie dedbordement du capitalisme amricain au-del de ses frontiresimmdiates.

    l'heure actuelle, en effet, le Canada et le Mexique sontrespectivement les premier et quatrime partenaires commerciaux destats-Unis. Au surplus, le dficit commercial des tats-Unis face au

    Mexique est pass ces dernires annes au quatrime rang parmi lesdficits les plus importants, venant aprs ceux que les tats-Unisconnaissent face au Japon, au Canada et l'Allemagne de l'Ouest23.

    Si les analystes ont pu fonctionner jusqu' maintenant avecl'approche en vertu de laquelle le Canada et les tats-Unis occupaienttout l'espace continental nord-amricain, dans les circonstances

    prsentes, cette rduction devrait s'avrerde moins en moins dfendabletant aux niveaux gographique, conomique que social. Au demeurant,

    si cette elisin peut se justifier pour les Canadiens dans la mesure oleurs changes avec le Mexique se rduisent l'envoi annuel de hordestouristiques, la situation se prsente diffremment pour les Amricains

    puisque ceux-ci entretiennent des liens beaucoup plus intimes avec leursvoisins du sud. En effet, la pression dmographique au Mexique mmeet le dplacement des axes d'industrialisation vers le sud aux Etats-Unisdepuis le frost belt vers le sun belt, ont t des facteurs qui ontcontribu accrotre sensiblement le niveau des changes entre les deux

    pays au cours de la dernire dcennie.Entre-temps, il semble bien, dans l'esprit du gouvernement

    conservateur en poste Ottawa, que la question du libre-change soit cet gard hautement slective dans la mesure o il s'agit bel et biend'entretenir et de resserrer les liens privilgis avec les tats-Unisuniquement24. D'ailleurs, le simple fait que les changes commerciauxentre le Canada et l'Amrique latine continuent de dcrotre sensiblementdepuis 1980 contribue maintenir ce sentiment d'isolement et de rendreencore plus pressante aux yeux du gouvernement actuel la ngociation

    2 3 O.A.S., Trade News, Washington, D.C., mars 1987, qui donne leschiffres suivants, au sujet des dficits commerciaux des tats-Unis enmilliards de dollars: avec le Japon, 58,5$; le Canada, 23,3$; l'Allemagnefdrale, 15,6$; le Mexique, 5,2$; le Brsil, 3,5$.24 D. Brunelle et C. Deblock, Le libre-change par dfaut, Montral, VLBditeur ( paratre).

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    d'un statut particulier avec les tats-Unis et ce, quel que soit l'tat actueldu contentieux entre le Mexique et les tats-Unis. Sur le plan tactique,une telle slectivit l'intrieurde l'espace continental pourrait s'avrerdlicate partir du moment o les Amricains auront men termeleurs ngociations commerciales avec le gouvernement mexicain25.

    Qu'il s'agisse du Canada, ainsi que du Mexique d'ailleurs, laconjoncture actuelle oblige les deux autres partenaires des tats-Unis

    envisager diffremment l'isolement dans lequel ils avaient pu secantonner jusqu'ici l'un vis--vis de l'autre. Malgr tout ce qui lesspare en effet, l'ventualit d'une institutionnalisation ducontinentalisme risque dsormais de poser des problmes communsnouveaux au Canada et au Mexique, quand cela ne serait qu'au seulniveau stratgique d'envisagerde traiter avec une puissance conomiquedont la rputation imprialiste et protectionniste n'est plus faire.

    Il n'y a, en principe, aucun inconvnient au resserrement et

    l'intensification des relations d'changes dans un espace continental quifasse place et droit aux trois pays concerns avec leurs richesseshumaines et culturelles propres, bien au contraire. cet gard, lecontinentalisme est un projet fascinant si l'on entend par l assouplir etencourager les relations entre pays, peuples et ethnies, sur la base d'unecomprhension et d'un respect mutuels. Malheureusement cependant, ilest permis de douterque le libre-change soit une faon d'atteindre ce butdans la mesure o le libre-changisme, en survaluant l'impact

    conomique des questions et des enjeux, place les autres rapportsd'change la remorque et la merci de la recherche du profit. Dans cesconditions, nous risquons d'assister la monte des tensions entre lecontinentalisme social et le continentalisme conomique. Dj, l'heure prsente, des conditions particulirement aberrantes de productiondans certains secteurs de l'agriculture au Mexique ont contraint certainesassociations ouvrires tendre des boycotts l'chelle continentale26.

    Ce genre de consquences sociales ngatives de l'intgrationconomique entre les trois pays risque de s'intensifier, au dtriment desacquis sociaux et culturels du continentalisme. De surcrot, la stratgie

    bilatrale du Canada, en ignorant les consquences terme d'une

    2 5 G. Bueno, "El tratado de libre comercio entre Estados Unidos yCanad", Comercio Exterior, 37, 11, novembre 1987, pp. 926-935.2 6 W. Kistner, "Scrutiny of the Bounty. The Chemical Fog Over Mexico'sFarmworkers", Mother Jones, dcembre 1986, pp. 28-35.

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