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11- Entrepreneur et risques Références J. M. Keynes (1883-1946) A Treatise on Probability F. H. Knight (1885-1972) Risk, Uncertainty and Profit J. A. Schumpeter (1883-1950) Capitalisme, socialisme et démocratie INTRODUCTION Daniel Zajdenweber Professeur émérite, Université Paris Ouest Nanterre La Défense Nés la même année (ou presque) que celle de la mort de Karl Marx, les trois auteurs majeurs que sont Keynes, Knight et Schumpeter ont été confrontés dans les années 1930 à la plus importante crise économique qui, avec l'avènement de l'Union soviétique dans les années 1920, a pu leur faire craindre que le capitalisme pouvait disparaître. En effet, c'est dans un contexte de crises économiques et politiques permanentes – jalonnées par la Première Guerre mondiale, la révolution bolchevique, le traité de Versailles, l'hyperinflation allemande, les crises boursières, financières et monétaires de 1929 et de 1931, la Seconde Guerre mondiale enfin – que le statut et la légitimité de l'entrepreneur ont été l'objet de leurs analyses. Il serait déraisonnable de les résumer en quelques lignes. En simplifiant, on peut dire que pour ces trois auteurs, la légitimité de l'entrepreneur a pour fondement la prise de risque individuelle. Motivé par la réalisation des bénéfices engendrés par les risques assumés et par leur réussite, notamment dans l'innovation, l'entrepreneur contribuerait au développement économique, d'une part par les gains de productivité, d'autre part par la remise en cause des monopoles antérieurs qui maintiennent des prix élevés au détriment des consommateurs. Les extraits de leurs œuvres choisis dans cette anthologie révèlent un aspect moins connu de leurs analyses de la prise de risque individuelle, que d'aucuns ont qualifiées d'irrationnelles. Tous trois ne croient pas au calcul rationnel de la part des « vrais » entrepreneurs par opposition aux simples gestionnaires. Certes, ils peuvent utiliser les outils de la statistique et du calcul des probabilités, dont la rationalité dans la prise de décision sera théorisée un peu plus tard par J. von Neuman et O. Morgenstern dans la Théorie des jeux et des comportements économiques (1944), mais le risque pour Keynes, Knight et Schumpeter ne se ramène pas à un calcul d'espérance mathématique, ni même à un calcul d'utilité espérée. À l'instar de Knight, Keynes rejette l'identification du risque aux probabilités, bien qu'il ait été lui-même un contributeur notable du calcul des probabilités (1) . Au contraire, il met l'accent sur l'absence de probabilités mesurables, voire sur l'ignorance absolue de l'avenir (« Tout simplement nous ne savons pas »), dans la prise de décision des entrepreneurs, dont le comportement relève plutôt d'un optimisme particulier, voire d'un « tempérament sanguin ». De même, Knight, après avoir distingué le risque où les probabilités sont mesurables de l'incertitude où elles ne le sont pas, reprend le discours de Calliclès dans le « Gorgias » de Platon qui voit un plus grand intérêt ou plus grand plaisir dans « la poursuite de la chasse plutôt que dans la prise », autre façon de dire que « l'impossibilité d'atteindre une fin [...] rend si passionnant d'essayer de courir après »

11- Entrepreneur et risques

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11- Entrepreneur et risques

Références

■ J. M. Keynes (1883-1946)

A Treatise on Probability

■ F. H. Knight (1885-1972)

Risk, Uncertainty and Profit

■ J. A. Schumpeter (1883-1950)

Capitalisme, socialisme et démocratie

INTRODUCTION

Daniel ZajdenweberProfesseur émérite, Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Nés la même année (ou presque) que celle de la mort de Karl Marx, les trois auteurs majeurs que sont

Keynes, Knight et Schumpeter ont été confrontés dans les années 1930 à la plus importante crise

économique qui, avec l'avènement de l'Union soviétique dans les années 1920, a pu leur faire craindre que le

capitalisme pouvait disparaître. En effet, c'est dans un contexte de crises économiques et politiques

permanentes – jalonnées par la Première Guerre mondiale, la révolution bolchevique, le traité de Versailles,l'hyperinflation allemande, les crises boursières, financières et monétaires de 1929 et de 1931, la Seconde

Guerre mondiale enfin – que le statut et la légitimité de l'entrepreneur ont été l'objet de leurs analyses. Il serait

déraisonnable de les résumer en quelques lignes. En simplifiant, on peut dire que pour ces trois auteurs, la

légitimité de l'entrepreneur a pour fondement la prise de risque individuelle. Motivé par la réalisation desbénéfices engendrés par les risques assumés et par leur réussite, notamment dans l'innovation, l'entrepreneur

contribuerait au développement économique, d'une part par les gains de productivité, d'autre part par laremise en cause des monopoles antérieurs qui maintiennent des prix élevés au détriment des consommateurs.

Les extraits de leurs œuvres choisis dans cette anthologie révèlent un aspect moins connu de leurs analyses de

la prise de risque individuelle, que d'aucuns ont qualifiées d'irrationnelles. Tous trois ne croient pas au calcul

rationnel de la part des « vrais » entrepreneurs par opposition aux simples gestionnaires. Certes, ils peuvent

utiliser les outils de la statistique et du calcul des probabilités, dont la rationalité dans la prise de décision sera

théorisée un peu plus tard par J. von Neuman et O. Morgenstern dans la Théorie des jeux et des

comportements économiques (1944), mais le risque pour Keynes, Knight et Schumpeter ne se ramène pas

à un calcul d'espérance mathématique, ni même à un calcul d'utilité espérée. À l'instar de Knight, Keynes

rejette l'identification du risque aux probabilités, bien qu'il ait été lui-même un contributeur notable du calcul

des probabilités (1). Au contraire, il met l'accent sur l'absence de probabilités mesurables, voire sur

l'ignorance absolue de l'avenir (« Tout simplement nous ne savons pas »), dans la prise de décision des

entrepreneurs, dont le comportement relève plutôt d'un optimisme particulier, voire d'un « tempérament

sanguin ». De même, Knight, après avoir distingué le risque où les probabilités sont mesurables de

l'incertitude où elles ne le sont pas, reprend le discours de Calliclès dans le « Gorgias » de Platon qui voit un

plus grand intérêt ou plus grand plaisir dans « la poursuite de la chasse plutôt que dans la prise », autre

façon de dire que « l'impossibilité d'atteindre une fin [...] rend si passionnant d'essayer de courir après »

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(Knight). Schumpeter n'a pas développé d'analyses critiques de la notion de probabilité comme ses deuxcontemporains, mais en bon observateur des comportements des entreprises et des fluctuations économiques,

il a mis en évidence une constante dans la décision des entrepreneurs innovants, la prise en compte des gains

extrêmes. Car, même s'ils sont risqués et susceptibles d'entraîner des pertes en cas de non réalisation, « (ils)

attirent le capital sur les pistes inexplorées ». Ce comportement audacieux, voire téméraire, aboutit

souvent à des échecs, une fois sur deux d'après Schumpeter, même pendant les périodes de prospérité.

Mais, en cas de succès, il engendre des gains si importants qu'il serait irrationnel de les négliger. Là encore,

nul besoin d'effectuer des estimations de probabilités. La possibilité de gains extrêmes suffit à motiver les

entrepreneurs.

Les exemples actuels d'entrepreneurs innovants, devenus milliardaires, comme Bill Gates, fondateur de

Microsoft ou Larry Page et Sergey Brin, cofondateurs de Google, sont les parfaites incarnations de

l'entrepreneur schumpétérien, dont les décisions dans l'incertitude absolue au sens de Knight ne doivent rien

au calcul des probabilités, comme le pensait Keynes.

Note

1. Dès 1924, Keynes fut remarqué par Émile Borel, l'un des fondateurs de la théorie mathématique

moderne du calcul des probabilités, qui publia un long article à la fois élogieux et critique sur leTreatise on Probability (« À propos d'un traité de probabilités », Revue philosophique, t. 98, repris dans.

É. Borel, « Valeur pratique et philosophie des probabilités », Paris, Gauthier-Villars, 1939).

J. M. Keynes : incertitude et entrepreneur

[...]

La première hypothèse [du calcul utilitariste], selon laquelle les quantités de bien-être sont soumises aux lois

de l'arithmétique me paraît sujette au doute. Mais cela m'entraînerait trop loin de mon sujet, et je ferai donc,pour développer mon argumentation, comme si cette hypothèse était justifiée dans une certaine mesure. La

deuxième hypothèse, à savoir que les degrés de probabilité sont complètement soumis aux lois del'arithmétique, est directement contredite par le point de vue soutenu dans la première partie de ce traité.

Enfin, si ces deux points étaient mis de côté, la doctrine selon laquelle l'« espérance mathématique » d'actionsdifférentes constitue une mesure idoine de nos degrés de préférence est douteuse pour deux raisons. La

première, c'est que cette doctrine ignore ce que j'ai appelé dans la première partie le « poids » desarguments, à savoir la quantité d'information sur laquelle les probabilités sont établies. La seconde tient à ce

qu'elle ignore également le « risque » en faisant l'hypothèse qu'une chance égale de gagner le ciel ou l'enfer est

aussi désirable que la certitude d'un état intermédiaire » (Keynes, 1921, p. 344 (1)). [...]

Dans un état donné de la technique, des ressources et des coûts, l'emploi d'un certain volume de travail parun entrepreneur [n. i.] lui impose deux sortes de dépenses. [...] La différence entre la valeur de la production

résultant de l'emploi et la somme de [ces coûts] est le profit ou encore, comme nous l'appellerons, le revenude l'entrepreneur [n. i.]. [...] Le profit ainsi défini de l'entrepreneur [n. i.] est, comme il se doit, la quantité qu'il

cherche à rendre maximum quand il fixe le volume de l'emploi à offrir. (Keynes, 1936, p. 51 (2)). [...]

Il est probable que nos décisions de faire quelque chose de positif dont les conséquences s'échelonneront surde nombreux jours ne peuvent pour la plupart être prises que sous la poussée d'un dynamisme naturel – d'un

besoin spontané d'agir plutôt que de ne rien faire – et non en conséquence d'une moyenne pondérée debénéfices quantitatifs multipliés par des probabilités quantitatives. [...] Le calcul exact des bénéfices à venir

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joue [dans l'entreprise] un rôle à peine plus grand que dans une expédition au Pôle Sud. Aussi bien, si ledynamisme faiblit, si l'optimisme naturel chancelle, et si par suite on est abandonné au ressort de la seule

prévision mathématique, l'entreprise s'évanouit et meurt, alors que les craintes de pertes peuvent être aussi

dépourvues de base rationnelle que l'étaient auparavant les espoirs de profit.(Keynes, 1936, p. 176 (3)). [...]

La nécessité d'agir et de décider nous pousse, comme hommes d'action, à faire de notre mieux pour dépasser

cet état de fait contrariant [l'impossibilité d'un calcul rationnel]. En conséquence, nous nous comportonscomme nous devrions si nous avions réalisé le bon calcul benthamien relatif à la série d'avantages et de

désavantages supposés, chacun multipliés par sa probabilité respective, en attendant d'être additionnés.

(Keynes, 1937, p. 114 (4)). [...]

On peut considérer que dans certains cas il n'existe pas de probabilité du tout ; ou bien que les probabilitésn'appartiennent pas toutes à un ensemble de grandeurs mesurables ; ou encore que ces mesures existent

toujours mais que, dans de nombreux cas, elles sont et doivent rester inconnues ; ou que les probabilités sontmesurables, bien que nous ne soyons pas toujours capables de les déterminer en pratique. (Keynes, 1921,

p. 33 (5)). [...]

Quand je dis que toutes les probabilités ne sont pas mesurables, j'entends qu'il n'est pas possible de dire den'importe quel couple de conclusions dont nous avons quelque connaissance que le degré de notre croyance

rationnelle [n. i.] dans l'une des deux possède une relation numérique avec notre degré de croyancerationnelle [n. i.] dans l'autre. Et quand je dis que toutes les probabilités ne sont pas comparables en termes

ordinaux, j'entends qu'il n'est pas possible de dire que le degré de notre croyance rationnelle [n. i.] dans l'unedes deux est égal, plus grand ou plus petit que notre degré de croyance dans l'autre. (Keynes, 1921,

p. 37 (6)). [...]

Par connaissance « incertaine » je n'entends pas distinguer ce que l'on considère comme certain de ce qui est

seulement probable. Le jeu de la roulette n'est pas, en ce sens, soumis à l'incertitude, pas plus que ne l'est laperspective de voir tel Victory Bond tiré au sort. L'espérance de vie, pour sa part, est seulement légèrement

incertaine. Même le temps qu'il fera n'est que modérément incertain. Le sens que je donne à ce terme estcelui qu'il prend lorsque l'on juge incertaine la perspective d'une guerre européenne, le niveau du prix ducuivre ou du taux d'intérêt dans dix ans, la date d'obsolescence d'une invention récente ou la place des

classes possédantes dans la société de 1970. Il n'existe pour toutes ces questions aucun fondement

scientifique sur lequel construire le moindre calcul de probabilité. Tout simplement : nous ne savons pas.

(Keynes, 1937, pp. 113-4 (7)).

Notes

1. “A Treatise on Probability”, London, Macmillan, 1921 ; reed. in The Collected Writings of J. M.Keynes, vol. VIII, London, Macmillan.

2. et 3. Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, 1936, trad. Jean de Largentaye, Paris,

Payot 1939.

4. et 5. 6. 7. “The General Theory of Employment”, Quaterly Journal of Economics, 1937, reed. in The

Collected Writings of J. M. Keynes, vol. XIV, London, Macmillan.

Frank Knight Risque et incertitude (1)

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Il faut distinguer entre deux types d'incertitude, celle qui est mesurable et celle qui ne l'est pas. On utilisera le

mot « risque » pour l'incertitude qui est mesurable et l'on réservera « incertitude » aux situations qui ne sont

pas mesurables. Le mot « risque », dans son acception familière, sert à désigner l'incertitude dont lesconséquences sont jugées défavorables, de même dans le langage courant, l'incertitude fait plutôt référence

aux situations où les conséquences sont favorables. On parle ainsi d'un risque de perte, mais d'un gain

incertain. Cela amène une confusion qui, si notre analyse est juste, peut être levée en spécialisant les termes eten réservant l'emploi du mot « risque » à l'incertitude quantifiable, aux probabilités de l'assurance. Les termes

de probabilité « objective » et « subjective » désigneront respectivement le risque et l'incertitude, ils sont

d'ailleurs souvent utilisés ainsi. [...]

■ La décision économique et l'incertitude

La décision économique normale est la suivante : celui qui prend le risque, l'entrepreneur, a une idée dans des

limites plus ou moins étroites du résultat. S'il est enclin à agir, c'est qu'il anticipe un gain certain ou qu'il assigneune probabilité à la possibilité d'un gain plus important. En dehors des limites de son anticipation, tout autre

résultat lui paraît improbable. Il est donc correct de traiter la décision économique dans l'incertitude, comme

un arbitrage entre des bénéfices faibles mais certains et des bénéfices plus importants mais moins probables.

Au cœur du problème de l'incertitude en économie, il y a le caractère anticipateur du processus économique

lui-même. Les biens sont produits pour satisfaire des besoins. La production des biens prend du temps. Deux

éléments d'incertitude interviennent donc et correspondent aux deux types de prévision qui doivent êtreeffectués. Premièrement, la finalité des opérations de production doit être estimée dès leur origine, or il est

impossible de prédire avec précision, quand démarre une activité de production, quels seront ses résultats,

quelles quantités de biens de telle qualité seront effectivement produits pour une consommation intermédiaire

donnée. Deuxièmement, les besoins sont aussi dans le futur et les prévoir fabrique aussi de l'incertitude. Leproducteur va donc estimer (1) la demande future qu'il s'efforce de satisfaire et (2) les résultats futurs de son

opération de production. Il va sans dire que la conduite rationnelle s'efforce de réduire la part d'incertitude

impliquée dans l'adéquation des moyens aux fins. Ce qui ne veut pas dire que l'incertitude soit intolérable àl'espèce humaine. Nous ne voudrions pas d'un monde où « tout serait écrit » ni que nos activités soient

parfaitement rationnelles.

Mais en essayant d'agir intelligemment, nous nous réservons des capacités d'adaptation, ce qui suppose uneprévision aussi parfaite que possible. Il y a là un paradoxe. En effet, nous courons après des choses que, dans

un moment de calme et de réflexion, nous reconnaissons ne pas désirer vraiment ou pour le moins que nous

ne désirons pas avec autant d'intensité que ne le laissent croire nos comportements. Peut-être est-ce cette

impossibilité d'atteindre une fin, la certitude absolue, qui rend si passionnant d'essayer de courir après elle.Quoi qu'il en soit, nous cherchons à réduire l'incertitude, même si nous ne souhaitons pas la voir disparaître de

notre vie. [...]

■ Comportements individuels face à l'incertitude

Bien que la vie soit plus intéressante avec un certain degré d'incertitude – ce degré souhaité pouvant varier

d'un individu à l'autre et selon les circonstances –, nous supposerons que les individus s'efforcent d'anticiper

avec la plus grande précision possible l'avenir et adaptent leurs comportements à ces prévisions. De ce point

de vue, nous pouvons distinguer cinq variables qui permettent de définir les attributs et capacités individuellesà gérer l'incertitude.

1. Les individus diffèrent dans leur capacité à former, par induction, des jugements corrects sur l'évolution

future des événements. Cette capacité est loin d'être homogène, certains individus sont excellents dans

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certaines situations et non dans d'autres.

2. Une autre différence s'observe dans les capacités des individus à évaluer les moyens, à discerner et

planifier les étapes et ajustements qui sont nécessaires pour faire face à une situation d'incertitude.

3. De même y a-t-il une différence dans les capacités d'exécution des plans et ajustements jugés

indispensables ou souhaitables.

4. Une différence entre les individus dans la confiance qu'ils ont de leurs propres jugements sur le futur. Cetteconfiance est indépendante de la véracité des jugements eux-mêmes.

5. Enfin, des différences d'attitude par rapport à l'incertitude, qui tiennent à l'attrait plus ou moins grand qu'elle

suscite chez les individus. Les uns veulent être certains des conséquences de leurs décisions, tandis qued'autres préfèrent travailler sur des hypothèses originales et semblent attirés par l'incertitude plutôt que

révulsés.

La part d'incertitude effective dans la conduite d'une situation est le degré subjectif de confiance dans lacapacité d'adapter une action. Il est clair que si l'on peut parler en quelque sorte de « vraie valeur » du

jugement et de la capacité d'agir, ce n'est que l'opinion de l'individu vis-à-vis de ces valeurs qui importe. Du

point de vue de l'individu, seules deux variables sont importantes, l'incertitude (subjective ou pressentie) et

son attirance ou répulsion personnelle envers elle. Il faudrait, pour être plus complet, introduire une sixièmevariable qui concerne les événements si exceptionnels et si imprévus que la réaction à ces événements ne

pourra pas être assimilée à une erreur de jugement.

Précisons que, dans cette liste de six variables, les trois premières ne sont pas simples, mais composées. Le

jugement, la capacité à planifier, et la capacité à agir sont chacune le produit d'au moins quatre facteurs :

l'exactitude, la rapidité, la dispersion temporelle et spatiale de l'action. Les deux premières facultés ne

requièrent aucune explication, il est évident que l'exactitude et la rapidité de jugement ou d'action sont desdons plus ou moins variables selon les individus. La troisième se réfère à la durée d'adaptation du

comportement et la quatrième dépend de l'importance de la situation envisagée et l'ampleur des opérations

planifiées. On connaît aussi la différence entre les individus qui s'attachent aux détails et ceux qui embrassent

les données générales d'une situation. Cet aspect complexe est ici simplifié en comparaison de la vie réelle,car on ne retient qu'une vue statique du problème.

Les aptitudes au changement sont aussi importantes que les variables mentionnées. La connaissance est plus

une question d'apprentissage que l'exercice d'un jugement absolu. L'apprentissage demande du temps, or,dans le temps, les situations et les individus se modifient. [...]

Note

1. F. H. Knight (1885-1972), Risk, Uncertainty and Profit, Boston, Houghton-Mifflin, 1921. Extraits

traduits dans Risques, n° 3, décembre 1990. Risque et incertitude p36-39 et 41-42.

Schumpeter

Pratiques monopolistiques (1)

[...]

L'initiative serait rendue impossible dans la majorité des cas si l'on ne pouvait compter dès le départ sur la

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survenance probable de situations exceptionnellement favorables, génératrices (en admettant qu'elles soientexploitées par la manipulation des prix, des qualités et des quantités) de profits suffisants pour surmonter

d'autres situations exceptionnellement défavorables, à la condition que celles-ci soient contrôlées par lesmêmes méthodes. Or, ceci implique à nouveau une stratégie fréquemment restrictive, tout au moins à court

terme, et qui, dans la majorité des cas où elle réussit, suffit tout juste à accomplir son objet. Dans certains

cas, cependant, son efficacité est telle qu'elle se traduit par des profits grandement supérieurs à ceux qui

seraient nécessaires pour provoquer les investissements correspondants. Or, ces cas constituent précisémentles appâts qui attirent le capital sur les pistes inexplorées. Leur influence explique en partie le fait qu'une si

large section du monde capitalise accepte en pratique de travailler pour rien : vers le milieu de la période de

prospérité 1920-1929, la moitié exactement des sociétés américaines étaient exploitées soit à perte, soit avec

des bénéfices nuls, soit avec des bénéfices qui, s'ils avaient été anticipés, auraient été inadéquats à provoquer

les efforts et les dépenses mis en jeu. [...]

Note

1. Joseph Aloïs Schumpeter (1883-1950), Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942, trad. Gaël Fain,Paris, Payot, 1951, pp. 171-172.

Bibliographie

J. M. KEYNES A Treatise on Probability, London, Macmillan, 1921 ; rééd., in The Collected Writings of J.

M. Keynes, vol. VIII, London, Macmillan. Ibid. Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie,

1936, trad. Jean de Largentaye, Paris, Payot, 1939. Ibid. “The General Theory of Employment”, Quarterly

Journal of Economics, 1937 ; rééd. in The Collected Writings of J. M. Keynes, vol. XIV, London Macmillan.

F. H. KNIGHT, Risk, Uncertainty and Profit, Boston, Houghton-Mifflin, 1921. Extraits traduits dans Risques,n° 3, décembre 1990. www.seddita.com