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La Vigie est une lettre disponible sur www.lettrevigie.com . Si vous appréciez son contenu, nhésitez pas à la soutenir en vous abonnant ! 1 Sommaire p. 1 Légitime défense ? p. 4 Rumeurs du monde p. 6 Vu de la lorgnette : La Vigie a un an 15 octobre 2015 N° 27 Paraît tous les deux mercredis La France frappe donc depuis fin septembre l’Organisation État Islamique (OEI) en Syrie. L’annonce en avait été faite par le Président de la République, dès la conférence de presse du 7 septembre : il précisait alors que « le Parlement en sera informé au titre de l’article 35 de la Constitution ». Mais le 16 septembre, à l’issue du Conseil des ministres, le porte- parole du gouvernement précisait que la France invoquerait « le principe de légitime défense » pour justifier ces frappes. Ceci fait écho aux déclarations du Premier Ministre, le 13 janvier, devant l’Assemblée Nationale, qui affirmait : « Oui, la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l'islamisme radical ». Autant de déclarations qui affirment une volonté mais qui trahissent pourtant une certaine confusion : au-delà de la légalité de notre action, c’est surtout sa légitimité qui est en jeu et au-delà sa cohérence stratégique. Une grande fragilité juridique Ainsi, nous serions en guerre. Le mot n’est pas anodin. À La Vigie, nous sommes circonspects depuis le début à propos de l’usage de ce mot. La guerre implique un déchaînement de moyens, un nombre élevé de victimes et la réponse ferme d’un engagement total du pays, du moins en France. Si l’OEI est réellement en guerre, c’est sur son territoire, pas sur le nôtre. Affirmer l’état de guerre suppose des conditions strictes. L’article 35 de la Constitution dans son premier alinéa énonce que « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». Mais une déclaration de guerre suppose un adversaire que l’on reconnaisse, un État, ce qui n’est pas le cas comme en témoigne l’usage peu convaincant de l’acronyme Daech pour refuser cette qualité étatique à l’adversaire. De même, le 7 septembre, on parle d’informer le Parlement, selon le deuxième alinéa de l’art. 35 qui définit les conditions de l’intervention armée à l’étranger. Malgré le poids des mots, il s’agit donc d’une opération extérieure. Pourtant, cette lecture logique est aussitôt combattue par la référence à la légitime défense. Or celle-ci renvoie non à la Constitution mais à la Charte des Nations- Unies. Mais cette nouvelle référence pose Légitime défense ?

15 octobre 2015 Paraît tous les deux mercredis N° 27 Sommaire€¦ · Poutine résolu. Elle a tenté d’en discerner le sens stratégique, mais elle en a amplifié sans ciller

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Sommaire p. 1 Légitime défense ? p. 4 Rumeurs du monde p. 6 Vu de la lorgnette : La Vigie a un an

▪ p. 4 Chine, entre stratégie terrestre et stratégie maritime ▪

15 octobre 2015

N° 27

Paraît tous les deux mercredis

La France frappe donc depuis fin

septembre l’Organisation État Islamique

(OEI) en Syrie. L’annonce en avait été faite

par le Président de la République, dès la

conférence de presse du 7 septembre : il

précisait alors que « le Parlement en sera

informé au titre de l’article 35 de la

Constitution ». Mais le 16 septembre, à

l’issue du Conseil des ministres, le porte-

parole du gouvernement précisait que la

France invoquerait « le principe de légitime

défense » pour justifier ces frappes. Ceci

fait écho aux déclarations du Premier

Ministre, le 13 janvier, devant l’Assemblée

Nationale, qui affirmait : « Oui, la France

est en guerre contre le terrorisme, le

djihadisme et l'islamisme radical ». Autant

de déclarations qui affirment une volonté

mais qui trahissent pourtant une certaine

confusion : au-delà de la légalité de notre

action, c’est surtout sa légitimité qui est en

jeu et au-delà sa cohérence stratégique.

Une grande fragilité juridique

Ainsi, nous serions en guerre. Le mot n’est

pas anodin. À La Vigie, nous sommes

circonspects depuis le début à propos de

l’usage de ce mot. La guerre implique un

déchaînement de moyens, un nombre élevé

de victimes et la réponse ferme d’un

engagement total du pays, du moins en

France. Si l’OEI est réellement en guerre,

c’est sur son territoire, pas sur le nôtre.

Affirmer l’état de guerre suppose des

conditions strictes. L’article 35 de la

Constitution dans son premier alinéa

énonce que « La déclaration de guerre est

autorisée par le Parlement ». Mais une

déclaration de guerre suppose un

adversaire que l’on reconnaisse, un État, ce

qui n’est pas le cas comme en témoigne

l’usage peu convaincant de l’acronyme

Daech pour refuser cette qualité étatique à

l’adversaire. De même, le 7 septembre, on

parle d’informer le Parlement, selon le

deuxième alinéa de l’art. 35 qui définit les

conditions de l’intervention armée à

l’étranger. Malgré le poids des mots, il

s’agit donc d’une opération extérieure.

Pourtant, cette lecture logique est aussitôt

combattue par la référence à la légitime

défense. Or celle-ci renvoie non à la

Constitution mais à la Charte des Nations-

Unies. Mais cette nouvelle référence pose

Légitime défense ?

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également problème… Car elle suppose

que nous ayons été victimes d’une

« agression armée » (art. 51 de la Charte),

avec une « certaine gravité de ses

dimensions et de ses effets » (jurisprudence

de la Cour Internationale de Justice, CIJ).

On peut douter que les attentats du 11

janvier puissent être qualifiés ainsi,

d’autant que leur lien avec l’OEI est ténu,

et que l’affirmation de la légitime défense

intervient neuf mois plus tard… Quant à la

nature de l’agresseur (une organisation

non-étatique), elle pose également des

difficultés puisque la CIJ affirme, dans une

jurisprudence, que « L’article 51 de la

Charte reconnaît ainsi l’existence d’un droit

naturel de légitime défense en cas

d’agression armée par un État contre un

autre État ». Enfin, l’intervention directe en

Syrie suggère qu’on se passe du

consentement de l’Etat syrien. Or, le régime

actuel combat effectivement et

officiellement l’OEI. Les opérations

françaises se font donc sans demander

l’accord du gouvernement syrien…

Autant dire que la série d’arguments

présentés par la France est bien fragile

juridiquement (pour des considérations

plus détaillées, voir ici et ici, un auteur

estimant qu’on est à la limite du

détournement de procédure). Constatons

que cela posera aussi des difficultés en

droit interne : comment juger un

« combattant » revenu de Syrie, puisque

celui-ci pourra s’en prévaloir (il était en

« guerre ») et donc bénéficier du statut de

« combattant », prévu aux Conventions de

Genève ? Or, actuellement, on impute ces

actions à des motifs de terrorisme…

Quelle légitimité ?

Ces « risques juridiques » témoignent de la

fragilité de la position française. Si les

actions en Irak étaient juridiquement

couvertes puisque le gouvernement de

Bagdad nous l’avait officiellement

demandé, tel n’est pas le cas en Syrie.

Or, agir directement sur un territoire

souverain sans accord de celui-ci soulève

d’évidentes difficultés politiques. Il est en

effet régulièrement reproché aux

Occidentaux d’intervenir de façon illégale

ou illégitime. L’affaire du Kosovo en était

déjà un exemple (interprétation extensive

de la résolution des Nations-Unies) tandis

que l’intervention américaine en Irak

passait outre toutes les règles du droit

international. Si les interventions en

Afghanistan et en Libye étaient légitimées

par des résolutions des Nations-Unies

(malgré une interprétation extensive en

Libye), il n’y a rien d’équivalent pour le cas

syrien. Or, la France serait cette fois parmi

les fraudeurs de cette légitimité

internationale.

La question est d’autant plus gênante

qu’elle vient à la suite de notre opposition à

l’intervention en Irak, en 2003, et surtout de

notre discours pour critiquer les actions

russes en Ukraine : que n’a-t-on alors

entendu pour critiquer cette violation

inadmissible du droit international…

Être sourcilleux sur la légalité

internationale impose d’être irréprochable.

Dans le cas présent, la position française

souffre de failles évidentes, même si elles

ont été peu relevées publiquement

jusqu’ici ; nul doute que d’autres sauront le

signaler en temps opportun à leur profit…

Incohérence stratégique

Au fond, toutes ces imprécisions marquent

l’incohérence stratégique dans laquelle

nous nous trouvons actuellement, tout

particulièrement au Proche-Orient. La ligne

française était pourtant à peu près claire.

D’une part, opposition à el Assad, manière

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de rattraper l’erreur de jugement sur Ben

Ali au moment de la révolution tunisienne :

la révolte syrienne fut d’abord vue

uniquement sous cet angle. Au point que

Paris eut en permanence une ligne dure,

sans évaluer la résilience du régime syrien.

D’autre part, alliance avec les monarchies

sunnites du Golfe, expression la plus nette

de la diplomatie économique théorisée par

L. Fabius à son arrivée au Quai. Les

contrats d’armement récompensaient un

appui sans faille, par exemple au moment

de la négociation sur le nucléaire iranien où

Paris fut particulièrement rigide.

Cette inflexibilité politique et morale

s’accordait donc aux intérêts économiques.

La France était du côté des purs et des

durs, comme par exemple au moment de la

qualification des tirs chimiques de Damas,

à l’automne 2013 : Paris était alors plus

intransigeante que Washington.

Plusieurs éléments vinrent perturber cette

posture. D’abord, le désinvestissement

américain de la région, marqué par les

négociations nucléaires et une certaine

prise de distance de la région, grâce au

pétrole de schiste. Ensuite, l’apparition

brutale de l’OEI qui fragilisait le dispositif

géopolitique régional. Enfin, l’initiative

russe visant à soutenir Damas et mettant au

grand jour les contradictions occidentales,

particulièrement celles des Français.

Les alliés de l’Otan ne paraissent pas d’un

grand secours. Les Américains sont

fuyants, eux-mêmes perplexes, et

tergiversent, au point de suspendre la

formation d’une opposition armée selon

leurs vues. L’Arabie saoudite est

étrangement silencieuse, probablement

parce qu’elle voit la Russie comme un utile

contrepoids à l’Iran. Les Européens sont

sans surprise absents. La France se trouve

donc face à ses contradictions, tout d’abord

celle qui consiste à désigner l’ennemi.

Longtemps, sa ligne fut « ni Assad, ni

l’OEI ». Or, elle ne tient plus. L’action russe

pose le problème autrement et impose une

alternative : soit prendre parti entre chiites

et sunnites, soit suivre la ligne de la

communauté internationale contre le

djihadisme. Si Paris suit son alliance avec

l’Arabie sunnite, elle choisit la première

opposition et doit donc composer avec

l’OEI qui apparaît comme un moindre mal

à Riyad. Mais c’est en contradiction avec le

discours du Premier ministre et la

mobilisation intérieure et extérieure contre

le jihadisme, sans même parler de la

question des réfugiés qui nécessite d’agir à

la racine du problème. Si en revanche on

suit la ligne contre le terrorisme, cela

impose un certain accord avec la Russie,

une certaine tension avec l’Arabie et le

constat d’une opposition à Assad

composée majoritairement de jihadistes (Al

Nosra est une filiale d’AL Qaida).

Ce dilemme est aujourd’hui patent. Une

solution pourrait consister à maintenir le

discours actuel, en attendant que les

événements à venir clarifient les choses : au

fond, l’incohérence est aussi ambigüité, et

les hommes politiques n’aiment guère en

sortir. Aussi est-il probable que l’on va

maintenir cette ligne, en dépit de son

incohérence, mais au prix d’une moindre

influence sur le règlement de la crise.

Derrière les paroles de fermeté (guerre,

légitime défense), la position de la France

dans la région semble actuellement dans

l’impasse. Elle doit donc faire profil bas en

attendant que le terrain décide ou qu’une

solution politique apparaisse à l’horizon.

On a connu des situations plus

favorables

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Rumeurs du monde

Arrêtons-nous un instant pour écouter

la rumeur du monde et tenter de

décoder des messages récemment émis

qui engagent notre sécurité et pèseront

sur notre posture stratégique. Avant

toute analyse, notons qu’à New York,

Bruxelles ou Strasbourg, on a entendu

les signaux d’un monde turbulent que

les structures internationales peinent à

réguler. On le mesure chaque jour.

On relèvera, parmi les discours

lanceurs d’alerte, ceux provenant de

l’Assemblée générale des Nations unies

à New York ou de visiteurs de marque

à Washington, ceux anxieux des

réunions militaires atlantiques à

Bruxelles, et ceux inquiétants venus de

Strasbourg, du couple franco-allemand

comme de la Turquie. Tous visaient les

opinions publiques et les consciences.

Tous émanaient d’enceintes issues de la

Seconde Guerre mondiale qui eurent

leur centralité et leur utilité stratégiques

mais se sont bien relativisées depuis la

fin du monde bipolaire.

Certains ont vu dans cette effervescence

la réunion de circonstances propices à

la guerre « à l’ancienne ». D’autres ont

discerné dans ces remous la mutation

inquiétante de la conflictualité du

monde sous l’effet de conflits

civilisationnels irréductibles. D’autres

enfin, et ce sera notre lecture, y lisent

les inévitables effets d’une croissance

continue et chaotique de l’humanité sur

la surface toujours plus disputée d’une

planète finie, encore dans l’adolescence

stratégique, sauf dans ce « Vieux

monde » européen hésitant rejoint

désormais par l’Amérique du Nord.

Limites médiatiques

La petite planète politico-journalistique

française s’est faite abondamment

l’écho de tous ces événements distants

sauf la récente visite à Paris dans le

« format Normandie » d’un président

Poutine résolu. Elle a tenté d’en

discerner le sens stratégique, mais elle

en a amplifié sans ciller les effets

d’émotion (victimes et réfugiés

climatiques), a mis l’accent sur des

préoccupations domestiques (frictions

entre souverainistes, républicains et

progressistes, grand-messe de la COP

21) ou sur ceux plus graves de l’Europe

(domination allemande, submersion

migratoire, épouvantail du Brexit

britannique). Elle a aussi personnalisé à

outrance les analyses et les enjeux pour

Barack, Vladimir, les deux François,

Angela, Recep, Bachar … Derrière ces

facilités qui déforment la rumeur du

monde, essayons de décoder les étapes

du changement stratégique en cours.

Indices et évolutions durables

La plupart des discours occultent en

fait la dérive continue du centre de

gravité stratégique de l’Atlantique vers

l’Indien et le Pacifique, ce qui réduit

leurs préoccupations et prescriptions à

l’expression d’approches régionales,

loin des réalités du développement en

Afrique, en Inde ou en Chine et de la

« compétition coopérative » qui

s’intensifie au sein des ¾ de l’humanité.

Ailleurs des règles du jeu émergent, du

G20 à l’OCS et dans le club des Brics.

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Mais ce qu’indiquent ces signaux pris

dans leur ensemble, c’est la

relativisation accélérée des enceintes

globales, ces infrastructures politiques

établies il y a 70 ans sur les décombres

d’une Europe alors au cœur du monde.

Jusque-là, la gouvernance mondiale

avait connu une certaine continuité

politique du Congrès de Vienne (1815),

à celui de Berlin (1885), au traité de

Versailles (1919), à la SDN (1920),

jusqu’à la Charte de San Francisco et

l’ONU (1945). Un triple ciseau de

dérégulation internationale change

aujourd’hui la donne étatique.

Une triple discontinuité stratégique

D’abord, l’inadéquation avérée d’une

forme d’universalité géoéconomique de

la gouvernance mondiale. Elle devait

conduire à cette mondialisation

pacifiante et enfin heureuse car

débarrassée des scories des temps en « -

isme » (communisme, nationalisme

étatisme, christianisme, islamisme) par

la force de l’intérêt général servis par

les vertus de la loi du marché.

On redécouvre que la mondialisation

n’est que le côté pile d’une pièce dont

les régionalismes sont le côté face. La

prospérité se nourrit de la diversité de

même que la sécurité requiert la liberté.

Il n’y a donc pas d’ordre universel

accessible, stable et définitif, ce qui

renvoie aux mantras musulmanes « Il

n’y a de Dieu que Dieu » et « Si Dieu

l’avait voulu il aurait fait de nous une

seule communauté ». Il n’y a pour

l’heure ni religion civile étatique ni

modèle unique de progrès. Déception !

La seconde discontinuité affecte la

collectivité du Vieux monde qui

reprend petit à petit sa marche

westphalienne négociée, faute d’avoir

su établir un ordre nouveau coopératif.

D’abord au sein de l’Union européenne

qui s’est montrée incapable, on s’en est

déjà expliqué et on y reviendra, d’aller

plus loin dans son intégration, fragilisée

par son actuel palier à 28 membres dont

la combinaison n’a pas plus de sens

géopolitique que de viabilité

géoéconomique. Ensuite, dans le

voisinage du continent européen qui

n’a pas su dégager à ses marches des

espaces stables de transition utile vers

l’Afrique (au Maghreb), vers le monde

slave (Biélorussie, Ukraine) et vers

l’Asie (Turquie), graves lacunes que

l’UE paie cher aujourd’hui. Enfin, au

sein de l’Alliance atlantique, dont

l’Organisation est aujourd’hui sidérée

par la détermination de la Fédération

de Russie à donner un coup d’arrêt

définitif à une entreprise terroriste

radicale, l’OEI, que le Vieux monde

avait sinon suscitée, du moins laissé

proliférer par des calculs biaisés. C’est

ce triple échec qui a stoppé le processus

de pacification en cours d’un continent

européen désormais réduit au front

oriental de la masse nord-américaine,

siège d’un Occident défensif.

La dernière discontinuité, aujourd’hui

consommée, est d’ordre politique. C’est

celle qui a marginalisé l’action publique

au profit de dynamiques économiques

privatisées, celle qui a dû reléguer les

politiques étatiques au profit des

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communautés d’intérêt, lobbies et

structures transversales de l’économie

mondialisée. Dépossédés de leurs

leviers et incapables d’exercer leurs

responsabilités régaliennes, les États

européens sont coincés entre médias et

marchés et soumis à des lois extérieures

ou aux diktats de ces systèmes

autoritaires voisins qu’incarnent

Vladimir Poutine ou Recep Erdogan.

C’est dans ce théâtre géostratégique en

transition que ces signaux s’échangent.

Retour sur ces discours significatifs

C’est d’abord le pape François qui

invite l’Amérique du Nord et le monde

à défendre un ordre mondial plus juste,

plus équitable, plus respectueux de la

planète. L’effort pour le climat qu’il

défend a été placé dans une vaste

perspective de justice sociale, volant la

vedette à la France qui s’est approprié

la prochaine COP 21 de l’ONU.

C’est ensuite le président Poutine qui à

la Tribune de l’ONU se livre à un

plaidoyer pour l’autorité coopérative et

régulatrice de l’ONU, fustigeant toute

forme d’action qui s’en affranchirait et

de stratégie qui se l’accaparerait. Et

c’est dans cet esprit qu’il affirme agir et

défendre les peuples dont il a la charge.

C’est Xi Jinping qui, à l’ONU et lors de

sa visite d’État aux États-Unis, fait

l’éloge de la coopération pacifique, de

la confiance stratégique mais expose ses

vues de l’Asie et de la Mer de Chine.

C’est V. Poutine encore qui, après une

minutieuse préparation régionale (voir

LV 25 et 26) déclenche, une action

militaire décidée pour défaire l’OEI. En

prenant la tête d’une opération que

conduisait avec des biais pervers une

coalition menée par les États-Unis, il

rétablit sous son autorité la Russie,

l’Iran et la Turquie en puissances

tutélaires de la région dont les intérêts

sont à respecter. Les autres suivront. Ce

sont le président français et la

chancelière allemande qui implorent

plus d’Europe pour affronter les temps

à venir et échapper à l’impuissance,

notamment face au défi migratoire.

C’est enfin R. Erdogan venu conforter à

Strasbourg ses compatriotes, qu’il voit

comme une armée d’agents de la vraie

civilisation qui s’imposera à une Europe

affaiblie et qui devra négocier sa bonne

volonté migratoire. Tous ces signaux

convergent et annoncent la fin d’une

sorte de rêve de gouvernance mondiale.

Le retour en force de la géopolitique est

rude pour la France ; elle le vit seule.

La lorgnette : Premier anniversaire de LV.

Avec ce numéro, la lettre La Vigie, LV, fête sa

première année d’analyse stratégique.

C’est l’occasion pour ses fondateurs de

remercier tous les fidèles de LV pour leurs

encouragements, leurs conseils, leurs

abonnements. Ils ont été très utiles et nous

comptons bien sur eux pour la suite, pour

renforcer notre pertinence et augmenter notre

notoriété. C’est aussi celle de consolider notre

audience en tentant le « pari fou » de doubler

nos abonnés au cours d’une deuxième année

qui se terminera sur le début d’une campagne

présidentielle active que LV suivra avec

précision. C’est enfin le moment de parler de

nos projets, une version en langue anglaise dès

que nos moyens le permettront, un livre pour

OK et un autre pour JD (voir le site).

La Vigie est une lettre bimensuelle d’analyse stratégique, par abonnement. Directeur de la publication : O. Kempf. Rédacteur en chef : J. Dufourcq. Site : www.lettrevigie.com Nous

contacter : [email protected]. Abonnement France : 60 euros pour 25 numéros pour les particuliers, 250 euros (5 licences) pour entreprises et organisations.